Language of document : ECLI:EU:T:2023:846

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

20 décembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien – Article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119/PESC – Article 3, paragraphe 1, du règlement (UE) no 208/2014 – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans les affaires T‑262/21 et T‑256/22,

Viktor Fedorovych Yanukovych, demeurant à Rostov-sur-le-Don (Russie), représenté par Me B. Kennelly, SC,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté, dans l’affaire T‑262/21, par M. A. Boggio-Tomasaz, Mmes T. Haas et S. Van Overmeire, en qualité d’agents, et, dans l’affaire T‑256/22, par MM. Boggio-Tomasaz et J. Rurarz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni (rapporteur) et Mme M. Brkan, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu le retrait de la demande de fixation d’une audience présentée par le requérant et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par ses recours fondés sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Viktor Fedorovych Yanukovych, demande l’annulation, dans l’affaire T‑262/21, de la décision (PESC) 2021/394 du Conseil, du 4 mars 2021, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2021, L 77, p. 29), et du règlement d’exécution (UE) 2021/391 du Conseil, du 4 mars 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2021, L 77, p. 2), et, dans l’affaire T‑256/22, de la décision (PESC) 2022/376 du Conseil, du 3 mars 2022, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2022, L 70, p. 7), et du règlement d’exécution (UE) 2022/375 du Conseil, du 3 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2022, L 70, p. 1), dans la mesure où ces actes (ci-après les « actes attaqués ») maintiennent son nom sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

 Antécédents du litige

2        Les présentes affaires s’inscrivent dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

3        Le requérant est l’ancien président de l’Ukraine.

4        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26), et, à la même date, il a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 »).

5        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

6        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

7        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

8        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel de fonds et de ressources prévues par cette décision (ci-après les « mesures restrictives en cause ») et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

9        Les noms des personnes visées par les actes de mars 2014 sont inscrits sur la liste figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

10      Le nom du requérant apparaissait sur la liste, avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑346/14, ayant pour objet, notamment, une demande d’annulation des actes de mars 2014 en ce qu’ils le visaient.

12      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

13      La décision 2015/143 a modifié, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des noms des personnes visées par le gel des fonds, le texte de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 étant remplacé par le texte suivant :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes : 

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

14      Le règlement 2015/138 a modifié de façon similaire le règlement no 208/2014.

15      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant l’application des mesures restrictives en cause, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, remplacé l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

16      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

17      Le 8 avril 2015, le requérant a adapté ses conclusions dans le cadre de l’affaire T‑346/14, conformément à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, de sorte que celles-ci ont également visé à l’annulation de la décision 2015/143, du règlement 2015/138 ainsi que des actes de mars 2015 en tant que l’ensemble de ces actes le concernaient.

18      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

19      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2016, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑244/16, tendant à l’annulation des actes de mars 2016 en ce qu’ils le visaient.

21      Par arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497), le Tribunal a annulé les actes de mars 2014 en ce qu’ils visaient le requérant et rejeté la demande d’annulation contenue dans l’adaptation de la requête (voir point 17 ci-dessus).

22      Le 23 novembre 2016, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour, enregistré sous le numéro d’affaire C‑598/16 P, contre l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497).

23      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

24      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2017, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑285/17, tendant à l’annulation des actes de mars 2017 en ce qu’ils le visaient.

26      Par arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil (C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786), la Cour a rejeté le pourvoi du requérant visant à obtenir l’annulation partielle de l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497).

27      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63 p. 5) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

28      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

29      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2018, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑300/18, tendant à l’annulation des actes de mars 2018 en ce qu’ils le visaient.

30      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2019 »).

31      Par les actes de mars 2019, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2020 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

32      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2019, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑303/19, tendant à l’annulation des actes de mars 2019 en ce qu’ils le visaient.

33      Par arrêt du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502), le Tribunal a annulé les actes de mars 2016 et de mars 2017 en ce qu’ils visaient le requérant.

34      Par arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018 en ce qu’ils visaient le requérant.

35      Le 5 mars 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/373, modifiant la décision 2014/119 (JO 2020, L 71, p. 10), et le règlement d’exécution (UE) 2020/370, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2020, L 71, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2020 »).

36      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2020, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑291/20, tendant à l’annulation des actes de mars 2020 en ce qu’ils le visaient.

37      Entre les mois de novembre 2020 et de janvier 2021, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis au requérant des informations fournies par le bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») concernant, notamment, la procédure pénale n° [confidentiel](1) (ci-après la « procédure [confidentiel] ») et les mesures prises par le parquet ou d’autres autorités dans le cadre de l’exécution de la décision relative à l’interpellation du requérant et sur lesquelles le Conseil se fondait pour envisager ladite prorogation.

38      Le 4 mars 2021, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2021/394, modifiant la décision 2014/119 (JO 2021, L 77, p. 29), et le règlement d’exécution (UE) 2021/391, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2021, L 77, p. 2) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués dans l’affaire T‑262/21 »).

39      Par les actes attaqués dans l’affaire T‑262/21, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2022 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus. Par ailleurs, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014 ont été subdivisées en deux sections, dont la seconde a été intitulée « Droits de la défense et droit à une protection juridictionnelle effective ». Dans cette section figure, s’agissant du requérant, la mention suivante :

« La procédure pénale relative au détournement de fonds ou d’avoirs publics est toujours en cours.

Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Yanukovych et son droit à une protection juridictionnelle effective, y compris le droit fondamental à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale, ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoigne notamment la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 1[0] août 2020, dans laquelle la Cour a examiné la demande du Bureau national de lutte contre la corruption d’Ukraine et a autorisé l’interpellation de M. Yanukovych. Dans la décision de la Cour, le juge d’instruction a confirmé qu’il existait des motifs raisonnables de suspecter l’implication de M. Yanukovych dans une infraction pénale liée à un détournement et a confirmé le statut de suspect de M. Yanukovych dans le cadre de la procédure pénale.

La Haute Cour anticorruption a également établi que M. Yanukovych séjourne en dehors de l’Ukraine depuis 2014. La Cour a conclu qu’il existait des motifs suffisants de penser que M. Yanukovych tentait d’échapper aux autorités chargées de l’enquête préliminaire.

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil estime que les périodes au cours desquelles M. Yanukovych s’est soustrait à l’enquête doivent être exclues du calcul de la période à prendre en considération pour apprécier le respect du droit à un procès dans un délai raisonnable. Le Conseil considère par conséquent que les circonstances décrites dans la décision de la Haute Cour anticorruption imputées à M. Yanukovych ont contribué de manière significative à la durée de l’enquête. »

40      Le 5 mars 2021, le Conseil a adressé une lettre aux avocats du requérant. Dans cette lettre, le Conseil a informé le requérant que, aux fins du réexamen des mesures restrictives, il avait pris en considération les observations qu’il avait présentées dans ses courriers précédents et il a donné des explications sur les raisons pour lesquelles il n’acceptait pas certaines des principales allégations que le requérant avait formulées dans ses observations. Il a également expliqué pourquoi il considérait que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle il s’était fondé. Le Conseil a également attiré l’attention du requérant sur la possibilité de présenter de nouvelles observations.

41      Par arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334), le Tribunal a annulé les actes de mars 2019 en ce qu’ils visaient le requérant.

42      Entre les mois de novembre 2021 et de janvier 2022, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a, par une lettre du 25 janvier 2022, transmis au requérant des informations fournies par le BPG concernant la procédure n° [confidentiel], la procédure pénale no [confidentiel] (ci‑après la « procédure no [confidentiel] ») et la procédure pénale no [confidentiel] (ci‑après la « procédure no [confidentiel] ») engagées en Ukraine à son égard.

43      Le 3 mars 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/376, du 3 mars 2022, modifiant la décision 2014/119 (JO 2022, L 70, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2022/375, du 3 mars 2022, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2022, L 70, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués dans l’affaire T‑256/22 »).

44      Par les actes attaqués dans l’affaire T‑256/22, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 septembre 2022 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus. Par ailleurs, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014 ont été subdivisées en deux sections, dont la seconde a été intitulée « Droits de la défense et droit à une protection juridictionnelle effective ». Dans cette section figure, s’agissant du requérant, la mention suivante :

« La procédure pénale relative au détournement de fonds ou d’avoirs publics est toujours en cours.

Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Yanukovych et son droit à une protection juridictionnelle effective, y compris le droit fondamental à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale, ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoigne notamment la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 10 août 2020 dans la procédure pénale no [confidentiel], dans laquelle la Cour a examiné la demande du bureau national de lutte contre la corruption d’Ukraine et a autorisé l’interpellation de M. Yanukovych. Dans la décision de la Cour, le juge d’instruction a confirmé qu’il existait des motifs raisonnables de suspecter l’implication de M. Yanukovych dans une infraction pénale liée à un détournement et a confirmé le statut de suspect de M. Yanukovych dans le cadre de la procédure pénale.

La Haute Cour anticorruption a également établi que M. Yanukovych séjourne en dehors de l’Ukraine depuis 2014. La Cour a conclu qu’il existait des motifs suffisants de penser que M. Yanukovych tentait d’échapper aux autorités chargées de l’enquête préliminaire.

En outre, le 15 septembre 2021, la Haute Cour anticorruption d’Ukraine a donné suite à la demande du bureau national de lutte contre la corruption d’Ukraine et a autorisé le placement en détention de M. Yanukovych. Dans cette décision, le juge d’instruction a confirmé les conclusions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 10 août 2020.

Dans la procédure pénale no [confidentiel], la Haute Cour anticorruption d’Ukraine, par sa décision du 25 août 2021, a autorisé l’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale en ce qui concerne M. Yanukovych. Dans cette décision, le juge d’instruction a confirmé le statut de suspect de M. Yanukovych et a conclu que les éléments de preuve donnent des motifs raisonnables de soupçonner M. Yanukovych d’avoir commis les infractions pénales dont il est suspecté. Il a également conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Yanukovych se soustrait délibérément à l’enquête et au tribunal afin d’échapper à sa responsabilité pénale. En outre, dans sa décision du 7 octobre 2021, la Haute Cour anticorruption d’Ukraine a imposé une mesure préventive de détention à M. Yanukovych. Dans cette décision, la Cour a confirmé le statut de suspect de M. Yanukovych ainsi que les motifs raisonnables de soupçonner M. Yanukovych d’avoir commis des infractions pénales. Le juge a également souligné qu’il existe un risque que M. Yanukovych se soustraie à l’enquête et au tribunal afin d’échapper à sa responsabilité pénale.

Le Conseil dispose d’informations selon lesquelles, le 29 décembre 2021, le procureur a considéré que les éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête préliminaire étaient suffisants pour établir un acte d’accusation, et M. Yanukovych et ses avocats ont été informés de l’achèvement de l’enquête préliminaire. La défense s’est vu accorder l’accès aux documents de l’enquête préliminaire à des fins de familiarisation, conformément aux dispositions du code de procédure pénale ukrainien.

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil estime que les périodes au cours desquelles M. Yanukovych s’est soustrait à l’enquête doivent être exclues du calcul de la période à prendre en considération pour apprécier le respect du droit à un procès dans un délai raisonnable. Le Conseil considère par conséquent que les circonstances décrites dans la décision de la Haute Cour anticorruption imputées à M. Yanukovych ont contribué de manière significative à la durée de l’enquête. »

45      Par courrier du 4 mars 2022, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives en cause à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans ses courriers précédents et lui a transmis les actes attaqués dans l’affaire T‑256/22. En outre, il lui a indiqué le délai pour présenter des observations avant l’adoption d’une décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

46      Par arrêt du 30 mars 2022, Yanukovych/Conseil (T‑291/20, non publié, EU:T:2022:187), le Tribunal a annulé les actes de mars 2020 en ce qu’ils visaient le requérant.

 Conclusions des parties

47      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

48      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets respectivement de la décision 2021/394 et de la décision 2022/376 jusqu’à ce que l’annulation partielle respectivement du règlement d’exécution 2021/391 et du règlement d’exécution 2022/375 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

49      Les parties ayant été entendues à cet égard, le Tribunal décide de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 68 du règlement de procédure.

50      À l’appui de ses recours, le requérant invoque trois moyens, tirés, le premier, d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, le deuxième, d’erreurs manifestes d’appréciation et, le troisième, d’une violation de son droit de propriété.

51      Dans le cadre du premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, premièrement, le requérant rappelle les obligations qui incombent au Conseil, sur la base de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, en ce qui concerne la vérification que la ou les décisions des autorités ukrainiennes sur lesquelles il s’est fondé pour inscrire son nom sur la liste ont été adoptées en respectant ses droits fondamentaux de la défense et à une protection juridictionnelle effective.

52      Deuxièmement, en ce qui concerne les actes attaqués dans l’affaire T‑262/21, le requérant fait valoir que le Conseil ne s’appuie désormais que sur la procédure no [confidentiel], qui a été scindée de l’affaire du parquet général no [confidentiel]. Or, dans cette affaire, bien que sept ans se soient écoulés, aucune accusation n’aurait été portée, aucune poursuite n’aurait été engagée et aucun procès n’aurait donc été ouvert. Selon le requérant, ce retard inacceptable et extrêmement préjudiciable démontre non seulement que l’affaire ne repose sur aucun fondement juridique ou factuel légitime, mais constitue également en soi une violation de ses droits fondamentaux. De plus, le requérant indique que, bien que le Conseil ait adressé des questions spécifiques au parquet général, il n’a reçu aucune réponse à un grand nombre d’entre elles, notamment à la question cruciale de savoir pourquoi l’affaire n’avait jamais été portée devant un tribunal ukrainien. Le requérant indique avoir relevé en outre de nombreuses erreurs et omissions dans les informations fournies et dans les questions posées, que le Conseil aurait ignorées.

53      Troisièmement, le requérant fait valoir que la motivation contenue dans les actes attaqués dans l’affaire T-262/21 démontre à elle seule que le Conseil ne peut mentionner aucune information de son dossier prouvant qu’il a vérifié que ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective avaient été respectés dans la procédure no [confidentiel]. Il ajoute que l’unique décision de procédure sur laquelle il a tenté de s’appuyer à cet égard est une décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 10 août 2020. Or, cette décision ne démontrerait pas que les droits de la défense ou le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant ont été respectés au moins pour les raisons suivantes :

–        la décision a été adoptée au cours d’une audience à huis clos, dont la date n’a pas été notifiée au requérant ou à ses avocats ukrainiens et à laquelle ils n’ont pas assisté ;

–        la décision était illégale, du fait que le BPG n’avait pas réactivé l’enquête après sa dernière suspension, le 13 août 2018, avant d’introduire sa demande auprès d’un tribunal ukrainien ;

–        la décision n’était pas susceptible de recours ;

–        la décision avait expiré le 10 février 2021, soit avant l’imposition des sanctions en 2021 ;

–        la décision était simplement procédurale, dans la mesure où elle n’était que la prorogation d’une décision procédurale antérieure, par opposition à un développement nouveau et substantiel ; de telles décisions, qui sont de nature « conservatoire » ou « procédurale », et qui ne sont qu’« incidentes » au regard des enquêtes pénales sur lesquelles les sanctions sont fondées, ne seraient pas susceptibles, à elles seules, de démontrer que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant ont été protégés en substance.

54      De plus, le requérant soutient que le Conseil tente de renverser la charge de la preuve et de l’obliger à démontrer qu’il y a eu une violation de ses droits, au lieu d’examiner s’il disposait de suffisamment d’éléments pour déterminer si, à la lumière de la décision de la Haute Cour anticorruption du 10 août 2020, les droits du requérant avaient en substance été respectés, puis d’expliquer pourquoi il avait abouti à cette conclusion dans son exposé des motifs.

55      Quatrièmement, selon requérant, le fait que le Conseil s’appuie sur les conclusions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine selon lesquelles l’avis de suspicion a été notifié conformément au code de procédure pénale, le requérant a le statut de suspect dans l’enquête et il existait des motifs suffisants pour penser que le requérant tentait d’échapper aux autorités chargées de l’enquête préliminaire est incompatible avec la décision motivée du tribunal de district de Petchersk à Kiev (ci-après le « tribunal de Petchersk ») du 8 octobre 2018 relative à la procédure no [confidentiel].

56      Cinquièmement, le requérant considère que l’argument du Conseil affirmant qu’il tente d’échapper aux autorités chargées de l’enquête préliminaire est en outre démenti par le fait que, après avoir informé, à plusieurs reprises en 2015, le parquet général de l’endroit où il se trouvait en Russie et avoir également indiqué dans chacune de ces lettres sa volonté de participer à l’enquête en ayant recours aux mesures d’assistance judiciaire internationale, il a ensuite communiqué son adresse précise aux autorités ukrainiennes le 6 novembre 2015. Les avocats ukrainiens du requérant auraient en outre fourni au BPG le 16 mars 2017 une lettre du parquet général russe du 7 mars 2017 confirmant l’adresse du requérant.

57      Sixièmement, le requérant fait valoir que le Conseil invoque à tort l’affaire de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH) ayant donné lieu à l’arrêt du 20 juin 2006, Vayiç c. Turquie (CE:ECHR:2006:0620JUD001807802), pour étayer son argument soutenant qu’il a vérifié que ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective avaient été respectés. En effet, ladite affaire concernerait un accusé qui s’était enfui avant le procès à la suite du dépôt d’un acte d’accusation auprès de la juridiction nationale et le retard ultérieur de la procédure pouvait à juste titre lui être imputé. Ces faits seraient très différents de ceux de l’affaire en cause en l’espèce. De plus, il existerait de nombreuses autres affaires de la Cour EDH ayant conclu que des procédures étaient déraisonnablement longues sur le fondement d’enquêtes préliminaires d’une longueur injustifiée.

58      Septièmement, selon le requérant, le Conseil ne peut pas remédier à son incapacité à identifier un élément quelconque de l’enquête relative à la procédure no [confidentiel] démontrant que les autorités ukrainiennes ont respecté ses droits, en faisant référence de manière générale aux dispositions relatives aux droits de l’homme qui existent théoriquement en droit ukrainien. En effet, il ne s’ensuit pas que les décisions judiciaires ont été adoptées en vertu de ces dispositions, ni qu’elles ont été appliquées correctement et équitablement par les autorités ukrainiennes.

59      Huitièmement, le requérant indique que, pour vérifier si le Conseil pouvait, le cas échéant, s’appuyer à juste titre sur les documents du parquet général dans son processus décisionnel, il aurait dû prendre en compte, en premier lieu, le fait que ledit parquet général n’est pas indépendant et qu’il est résolu à le persécuter, en deuxième lieu, que le système judiciaire ukrainien n’est ni indépendant, ni impartial et, en troisième lieu, qu’il a fait l’objet d’un traitement extrêmement inéquitable, notamment au regard des nombreuses violations du droit à un procès équitable, en particulier dans le cadre d’un procès pour trahison qui a été inéquitable sur le plan procédural et motivé par des considérations politiques.

60      S’agissant de l’affaire T‑256/22, outre les arguments invoqués dans la cadre de l’affaire T‑262/21, le requérant, en ce qui concerne la procédure no [confidentiel], considère que la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 15 septembre 2021 est, en substance, presque identique à la décision de la même cour du 10 août 2020 et, par conséquent, soulève les mêmes arguments que ceux soulevés contre cette dernière décision.

61      S’agissant de deux autres décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine des 25 août et 7 octobre 2021 sur lesquelles le Conseil s’appuie dans le cadre de la procédure no [confidentiel], en premier lieu, le requérant fait valoir que la décision du 25 août 2021 n’était pas susceptible de recours, contrairement à ce qui est prévu par l’article 42 du code de procédure pénale ukrainien. Il ajoute que ses avocats ukrainiens ont néanmoins tenté de faire appel contre cette décision, mais cette possibilité leur a été refusée. Il maintient que ce refus était également illégal.

62      En deuxième lieu, le requérant fait valoir que, bien que la décision du 7 octobre 2021 puisse de prime abord faire l’objet d’un recours et qu’elle ait fait l’objet d’un recours, la chambre d’appel de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine a refusé d’ouvrir une procédure au double motif que la décision ne constituait pas une ingérence directe dans les droits du requérant et qu’il ne s’agissait pas d’une décision qui, de l’avis de la chambre, pouvait faire l’objet d’un recours, étant donné qu’elle avait été adoptée sans la participation du requérant.

63      En troisième lieu, selon le requérant, aucune de ces décisions ne respecte les dispositions du code de procédure pénale ukrainien.

64      En quatrième lieu, le requérant indique que la possibilité, pour le BPG, d’introduire les requêtes qui ont abouti aux décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine des 25 août et 7 octobre 2021 reposait sur une modification de la loi promulguée en Ukraine le 27 avril 2021. Cette modification aurait été de toute évidence motivée par des raisons politiques et conçue pour cibler des personnes spécifiques telles que le requérant et éviter de respecter les droits dont il jouissait légalement.

65      En cinquième lieu, le requérant affirme que malgré l’existence de l’autorisation de procéder par défaut (décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 25 août 2021), la pratique des autorités ukrainiennes consistant à suspendre et à rouvrir artificiellement l’enquête s’est poursuivie sans relâche.

66      En sixième lieu, le requérant soutient que les décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine des 25 août et 7 octobre 2021 sont simplement procédurales dans la mesure où elles ne constituent toutes deux que la prorogation de décisions procédurales antérieures, et non des développements nouveaux et substantiels. Ces décisions, qui seraient de nature « conservatoire » ou « procédurale » et qui ne seraient qu’« incidentes » aux enquêtes pénales sur lesquelles les sanctions sont fondées ne seraient pas susceptibles de démontrer, à elles seules, que les droits de la défense et à une protection juridictionnelle effective du requérant ont été protégés en substance.

67      En septième lieu, le requérant fait valoir que les autorités ukrainiennes n’ont fourni au Conseil aucune copie d’une décision quelconque du procureur ukrainien prouvant que l’enquête préliminaire avait été achevée ou qu’un acte d’accusation avait été préparé et délivré ou notifié. Par conséquent, il serait impossible de s’appuyer sur ces prétendus développements à quelque fin que ce soit.

68      Enfin, le requérant considère que, bien qu’il puisse exister des décisions d’un tribunal ukrainien contredisant la décision du 8 octobre 2018 rendue par le tribunal de Petchersk, y compris, dans la même affaire, à savoir la procédure no [confidentiel], il apparaît clairement que rien n’a changé au cours de cette période permettant un tel revirement. Le Conseil ne pourrait donc pas, par principe, s’appuyer sur des décisions contradictoires des tribunaux ukrainiens.

69      En premier lieu, le Conseil soutient, en ce qui concerne le retard auquel le requérant fait référence dans la procédure no [confidentiel], que le comportement de ce dernier, tel qu’il est décrit dans la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 10 août 2020, a contribué à la durée de l’enquête et, partant, au retard pris dans l’engagement des poursuites. Le fait que le requérant ait tenté d’échapper aux autorités chargées de l’enquête préliminaire constituerait un comportement qui doit être pris en compte lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère raisonnable de la durée de l’enquête ou de la procédure conformément à la jurisprudence de la Cour EDH.

70      En deuxième lieu, le Conseil considère avoir vérifié, en ce qui concerne la procédure no [confidentiel], le respect des droits de la défense du requérant et de son droit à une protection juridictionnelle effective conformément à la « jurisprudence Azarov ». À cette fin, et après avoir examiné également les observations du requérant, le Conseil aurait adressé différentes questions spécifiques au bureau du BPG.

71      En troisième lieu, le Conseil conteste que la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 10 août 2020 a violé les droits de la défense et le droit à la protection juridictionnelle effective du requérant en ce que ladite décision a été rendue lors d’une audience à huis clos. En effet, ladite décision aurait été adoptée conformément au code de procédure pénale ukrainien dans la mesure où il s’agit d’une décision de nature procédurale qui n’affecte pas directement les droits ou la situation juridique de la personne à l’encontre de laquelle elle est prise.

72      En quatrième lieu, le Conseil fait valoir que le grief formulé par le requérant, tiré de ce que le BPG n’a pas réactivé l’enquête avant d’introduire sa demande auprès d’un tribunal ukrainien, n’est pas fondé, car le requérant n’explique pas pourquoi la décision relative à l’autorisation de l’interpellation exigerait nécessairement la réactivation de l’enquête conformément au droit ukrainien.

73      En cinquième lieu, s’agissant de l’expiration de la décision avant l’imposition des sanctions en 2021, le Conseil souligne que l’expiration de la décision concernant l’autorisation de l’interpellation n’efface toutefois pas les informations pertinentes concernant l’existence de motifs raisonnables de suspecter l’implication du requérant dans une infraction pénale liée à un détournement de fonds et son statut de suspect dans le cadre de la procédure pénale. En revanche, l’expiration, le 10 février 2021, de la décision dans laquelle il a été conclu qu’il existait des motifs suffisants permettant de penser que le requérant tentait d’échapper aux autorités chargées de l’enquête préliminaire, renforcerait la conclusion du tribunal. En effet, l’expiration de la décision en question serait due au fait que le requérant ne s’est pas présenté devant le juge d’instruction.

74      En sixième lieu, s’agissant de la nature procédurale de la décision du 10 août 2020, le Conseil soutient qu’il doit être en droit de s’appuyer sur des décisions de justice valides adoptées par les juridictions de pays tiers conformément à des codes de procédure qui garantissent le respect des droits de la défense. De plus, selon le Conseil, la décision du 10 août 2020 n’était que la prorogation d’une décision procédurale antérieure, qui, d’après les éléments joints à la requête, n’avait pas été attaquée par le requérant pour violation de ses droits de la défense ou de son droit à une protection juridictionnelle effective.

75      En septième lieu, le Conseil considère que le renvoi du requérant à la décision motivée du tribunal de Petchersk du 8 octobre 2018 est dénué de pertinence pour la présente procédure, puisqu’il ne s’est pas fondé sur l’enquête portant sur la procédure no [confidentiel].

76      En huitième lieu, s’agissant de lettres envoyées au BPG concernant l’endroit où le requérant se trouvait en Russie, afin de démontrer sa volonté de participer à l’enquête en ayant recours aux mesures d’assistance judiciaire internationale, le Conseil fait valoir que, conformément au code de procédure pénale ukrainien, le requérant doit être présent en personne pendant l’examen de la demande relative à l’imposition de la mesure de contrainte que constitue le placement en détention et la possibilité d’une assistance judiciaire internationale par vidéoconférence ou conférence téléphonique est prévue uniquement pour ce qui concerne l’interrogatoire d’une personne, et non pour l’intégralité d’une procédure judiciaire.

77      En neuvième lieu, s’agissant de l’argument tiré du fait qu’il aurait invoqué à tort l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour EDH du 20 juin 2006, Vayiç c. Turquie (CE:ECHR:2006:0620JUD001807802), le Conseil souligne que, selon la jurisprudence pertinente de ladite juridiction, le requérant ne peut pas invoquer la période pendant laquelle il était en fuite, dans la mesure où il cherchait alors à se soustraire à la justice de son pays.

78      Enfin, tout en contestant la force probante d’un certain nombre de rapports du professeur B. invoqués par le requérant et rédigés sur instruction de ses avocats, le Conseil fait valoir néanmoins que les événements mentionnés dans les parties de la requête relatives au BPG et au système judiciaire ukrainien n’ont aucun lien avec la procédure pénale ayant fondé l’inscription du nom du requérant sur la liste. Il ajoute que la jurisprudence de la Cour et du Tribunal ne corrobore nullement la thèse du requérant selon laquelle il lui incombe d’évaluer les allégations d’ordre général concernant l’indépendance du BPG ou du système judiciaire ukrainien.

79      S’agissant des allégations du requérant soulevées dans le cadre de l’affaire T‑256/22, tirées de violations de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au regard des deux décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine des 25 août et 7 octobre 2021 liées à la procédure no [confidentiel], premièrement, le Conseil fait valoir que les deux décisions en cause ont été prises en audience publique, avec la participation des avocats du requérant.

80      Deuxièmement, le Conseil soutient que les décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine des 25 août et 7 octobre 2021 sont des décisions de nature procédurale qui n’affectent pas directement les droits ou la situation juridique de la personne à l’encontre de laquelle elles sont prises. Par conséquent, selon le droit ukrainien, les personnes concernées n’auraient pas le droit de former un recours contre de telles décisions.

81      Troisièmement, le Conseil conteste le fait que les décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine des 25 août et 7 octobre 2021 ne sont pas conformes aux dispositions du code de procédure pénale ukrainien.

82      Quatrièmement, le Conseil souligne que l’affirmation du requérant selon laquelle la modification de la loi adoptée en Ukraine le 27 avril 2021 doit être considérée comme « manifestement motivée par des considérations politiques » n’est pas étayée.

83      Cinquièmement, s’agissant de l’argument invoqué par le requérant quant à la nature procédurale des décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine des 25 août et 7 octobre 2021, le Conseil renvoie aux arguments qu’il a exposés concernant les décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine liées à la procédure no [confidentiel].

84      Sixièmement, le Conseil soutient que, contrairement à ce qu’affirme le requérant, le BPG a dûment informé son avocat que les éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête préliminaire étaient suffisants pour établir un acte d’accusation et a accordé l’accès aux documents de l’enquête préliminaire, en lui donnant la possibilité de se familiariser avec les éléments de preuve recueillis.

85      Septièmement, s’agissant de la décision motivée du tribunal de Petchersk du 8 octobre 2018 invoquée par le requérant, le Conseil soutient que toutes les décisions ultérieures de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine ont infirmé les conclusions de ladite décision.

86      Enfin, s’agissant des lettres envoyées au BPG concernant l’endroit où le requérant se trouvait en Russie, afin de démontrer sa volonté de participer à l’enquête en ayant recours aux mesures d’assistance judiciaire internationale, le Conseil fait valoir que, conformément au code de procédure pénale ukrainien, le requérant doit être présent en personne pendant l’examen de la demande relative à l’imposition de la mesure de contrainte que constitue le placement en détention et la possibilité d’une assistance judiciaire internationale par vidéoconférence ou conférence téléphonique est prévue uniquement pour ce qui concerne l’interrogatoire d’une personne, et non pour l’intégralité d’une procédure judiciaire. 

87      Il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union européenne doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels que consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 64 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 74 et jurisprudence citée).

88      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ladite décision, sont étayés (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 65 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 75 et jurisprudence citée).

89      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par les actes de mars 2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 66 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 76 et jurisprudence citée).

90      Aussi, si, en vertu d’un critère d’inscription tel que celui rappelé au point 13 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 67 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 77 et jurisprudence citée).

91      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel de fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de ce fait, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 68 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 78 et jurisprudence citée).

92      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), implique un contrôle, par la Cour EDH, des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 91 ci-dessus (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 69 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 79 et jurisprudence citée).

93      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien de mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 70 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 80 et jurisprudence citée).

94      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives telles que celles en cause sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics par la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 71 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 81 et jurisprudence citée).

95      En l’espèce, de telles obligations apparaissent d’autant plus impérieuses que, ainsi qu’il résulte du considérant 2 de la décision 2014/119, celle-ci et les décisions subséquentes ont été adoptées dans le cadre d’une politique visant à renforcer et à soutenir l’État de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine (voir point 5 ci-dessus), conformément aux objectifs figurant à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE. Par conséquent, l’objet de ces décisions, qui est, notamment, de faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis et de préserver la possibilité, pour celles-ci, de recouvrer le produit de ces détournements, serait dépourvu de pertinence au regard desdits objectifs si cette constatation était entachée d’un déni de justice, voire d’arbitraire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 95).

96      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté les obligations qui lui incombaient dans le cadre de l’adoption des actes attaqués en ce que ceux-ci concernent le requérant.

97      À cet égard, il y a lieu de relever que le Conseil a mentionné dans les actes attaqués les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures pénales à l’encontre du requérant pour détournement de fonds ou d’avoirs publics avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective (voir points 39 et 44 ci-dessus). Il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que tel avait été le cas en l’espèce.

98      Or, les mesures restrictives précédemment adoptées ont été prorogées et maintenues à l’égard du requérant par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 (voir points 13 et 14 ci-dessus). Ce critère vise les personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

99      Il ressort des motifs des actes attaqués, rappelés aux points 39 et 44 ci-dessus, et de la correspondance entre le Conseil et le requérant que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, tant en 2021 qu’en 2022, sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

100    Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502), du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑300/18, non publié, EU:T:2019:685), du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334), et du 30 mars 2022, Yanukovych/Conseil (T‑291/20, non publié, EU:T:2022:187), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

101    Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté à celles-ci, ainsi qu’il l’avait déjà fait lors de l’adoption des actes de mars 2019, une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

102    Dans la première partie de cette section figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale ukrainien. En particulier, tout d’abord, sont rappelés les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale. Ensuite, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 de ce même code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction d’un tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquête, telles que la saisie de biens et les mesures de détention, ne sont possibles que moyennant une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

103    La seconde partie de la section concerne le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de chacune des personnes dont le nom est inscrit sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, dans les actes attaqués dans l’affaire T‑262/21, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoignerait, notamment, « la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 1[0] août 2020, dans laquelle la Cour a examiné la demande du Bureau national de lutte contre la corruption d’Ukraine et a autorisé l’interpellation de M. Yanukovych » et dans laquelle « le juge d’instruction a confirmé qu’il existait des motifs raisonnables de suspecter l’implication de M. Yanukovych dans une infraction pénale liée à un détournement et a confirmé le statut de suspect de M. Yanukovych dans le cadre de la procédure pénale ».

104    Cette motivation a, en substance, été également fournie dans la lettre du 5 mars 2021 adressée au requérant (voir point 40 ci-dessus)

105    Ainsi, il ressort d’une lecture combinée des motifs exposés dans les actes attaqués dans l’affaire T‑262/21 et dans la lettre du 5 mars 2021 que la procédure concernant la procédure no [confidentiel] est la seule pour laquelle le Conseil atteste avoir effectivement vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant  dans le cadre des actes attaqués dans ladite affaire.

106    S’agissant des actes attaqués dans l’affaire T‑256/22, la seconde partie de la section concernant le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de chacune des personnes dont le nom est inscrit sur la liste précise, s’agissant plus particulièrement du requérant, que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoignerait, notamment, « la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 10 août 2020 dans la procédure pénale n° [confidentiel], dans laquelle la Cour a examiné la demande du Bureau national de lutte contre la corruption d’Ukraine et a autorisé l’interpellation de M. Yanukovych » et dans laquelle « le juge d’instruction a confirmé qu’il existait des motifs raisonnables de suspecter l’implication de M. Yanukovych dans une infraction pénale liée à un détournement et a confirmé le statut de suspect de M. Yanukovych dans le cadre de la procédure pénale ». De plus, le Conseil a ajouté que, « le 15 septembre 2021, la Haute Cour anticorruption d’Ukraine a[vait] donné suite à la demande du [B]ureau national de lutte contre la corruption d’Ukraine et a[vait] autorisé le placement en détention de M. Yanukovych » et que « le juge d’instruction a[vait] confirmé les conclusions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 10 août 2020 ».

107    En outre, le Conseil a indiqué ce qui suit : 

« Dans la procédure pénale [no confidentiel], la Haute Cour anticorruption d’Ukraine, par sa décision du 25 août 2021, a autorisé l’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale en ce qui concerne M. Yanukovych. Dans cette décision, le juge d’instruction a confirmé le statut de suspect de M. Yanukovych et a conclu que les éléments de preuve donnent des motifs raisonnables de soupçonner M. Yanukovych d’avoir commis les infractions pénales dont il est suspecté. Il a également conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Yanukovych se soustrait délibérément à l’enquête et au tribunal afin d’échapper à sa responsabilité pénale. En outre, dans sa décision du 7 octobre 2021, la Haute Cour anticorruption d’Ukraine a imposé une mesure préventive de détention à M. Yanukovych. Dans cette décision, la Cour a confirmé le statut de suspect de M. Yanukovych ainsi que les motifs raisonnables de soupçonner M. Yanukovych d’avoir commis des infractions pénales. Le juge a également souligné qu’il existe un risque que M. Yanukovych se soustraie à l’enquête et au tribunal afin d’échapper à sa responsabilité pénale. »

108    Cette motivation a, en substance, été également fournie dans la lettre du 4 mars 2022 adressée au requérant (voir point 45 ci-dessus).

109    Ainsi, il ressort d’une lecture combinée des motifs exposés dans les actes attaqués dans l’affaire T‑256/22 et dans la lettre du 4 mars 2022 que la procédure no [confidentiel] et la procédure no [confidentiel] sont les deux procédures pour lesquelles le Conseil atteste avoir effectivement vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant  dans le cadre de ladite affaire.

110    En l’espèce, il doit être observé, d’emblée, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure les décisions de justice mentionnées aux points 103, 106 et 107 ci-dessus témoigneraient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure no [confidentiel] et de la procédure no [confidentiel]. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 90 et 91 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider du maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur des infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics prétendument commises par le requérant avait été adoptée dans le respect desdits droits de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 94 et jurisprudence citée).

111    Dans cette perspective, ni la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 10 août 2020, autorisant, à la demande du BGP, l’interpellation de M. Yanukovych et confirmant son statut de suspect dans le cadre de la procédure no [confidentiel], ni la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 15 septembre 2021, concernant la même procédure, par laquelle la Cour a donné suite à la demande du BPG et a autorisé le placement en détention de M. Yanukovych ne sauraient être identifiées comme étant des décisions d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives en cause étant donné qu’il s’agit de deux décisions incidentes. La même conclusion s’applique à la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 25 août 2021 par laquelle elle a autorisé l’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale en ce qui concernait M. Yanukovych, dans le cadre de la procédure no [confidentiel], et à la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 7 octobre 2021, par laquelle elle a imposé une mesure préventive de détention à M. Yanukovych. Cela étant, il est possible d’admettre que, d’un point de vue substantiel, dès lors que ces décisions ont été rendues par une juridiction, elles ont réellement été prises en compte par le Conseil comme étant la base factuelle justifiant le maintien des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 95 et jurisprudence citée).

112    Il y a donc lieu de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que de telles décisions de justice témoignaient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

113    À cet égard, il convient de relever, s’agissant de la décision du 10 août 2020, qu’elle a été prise et, ainsi que le relève le requérant, a expiré également avant l’adoption des actes attaqués. Il s’ensuit que cette décision ne saurait suffire à établir que la procédure no [confidentiel] sur laquelle le Conseil se fonde pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2021 au mois de mars 2022, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant s’est déroulée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 30 mars 2022, Yanukovych/Conseil (T‑291/20, non publié, EU:T:2022:187, points 100 et 101).

114    De plus, il convient de constater que les décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 10 août 2020 et du 15 septembre 2021 ont été adoptées au cours de deux audiences à huis clos, dont les dates n’ont pas été notifiées au requérant ou à ses avocats ukrainiens et auxquelles ils n’ont pas assisté. Dans de telles circonstances, ces décisions ne sauraient témoigner du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre de la procédure no [confidentiel].

115    S’agissant des décisions de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 25 août et du 7 octobre 2021 adoptées dans le cadre de la procédure no [confidentiel], il convient de relever que, même en admettant, ainsi que l’indique le Conseil, que lesdites décisions ont été prises en audience publique, avec la participation des avocats du requérant, il n’en reste pas moins que le Conseil lui-même indique dans ses écritures qu’il s’agit de décisions de nature procédurale qui n’affectent pas directement les droits ou la situation juridique de la personne à l’encontre de laquelle elles sont prises et, de ce fait, ne sont pas susceptibles de recours selon le code de procédure pénale ukrainien. Dans ces conditions, il y a lieu de souligner, à l’instar du requérant, qu’il ne saurait être valablement soutenu qu’une décision qui n’affecte pas ses droits ou sa situation juridique et, de ce fait, n’est pas susceptible de recours puisse démontrer le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective.

116    En tout état de cause, il doit également être relevé que toutes les décisions de justice mentionnées aux points 103, 106 et 107 ci-dessus s’insèrent, notamment, dans le cadre de procédures pénales ayant justifié le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes par rapport à celles-ci, dans la mesure où elles sont de nature soit conservatoire, soit procédurale. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, en ce que, conformément au critère d’inscription applicable, le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale portant sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs appartenant à l’État ukrainien, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener lesdites procédures pénales, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, ainsi qu’il incombe au Conseil de le vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 91 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 94 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 118 et jurisprudence citée).

117    À cet égard, il doit également être observé que le Conseil était tenu d’effectuer une telle vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, la simple possibilité d’invoquer la violation de ces droits devant les juridictions ukrainiennes en vertu de dispositions du code de procédure pénale n’étant pas suffisante en soi pour démontrer le respect desdits droits par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 121 et jurisprudence citée).

118    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du Conseil selon lequel le requérant n’a pas avancé d’élément susceptible de démontrer que sa situation particulière avait été affectée par les problèmes allégués du système judiciaire ukrainien. En effet, selon une jurisprudence constante, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 45 et jurisprudence citée).

119    D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment, en particulier, la simple existence des décisions de justice mentionnées aux points 103, 106 et 107 ci-dessus permettrait de considérer que le respect du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avait été garanti. À cet égard, il y a lieu de relever que tant la procédure no [confidentiel] que la procédure no [confidentiel] se trouvaient encore au stade de l’enquête préliminaire, récemment transférée au bureau national anticorruption, de sorte qu’elles n’avaient pas été soumises à un tribunal ukrainien sur le fond, un tel tribunal n’en ayant eu connaissance que pour des questions procédurales.

120    Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 98 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 124 et jurisprudence citée), prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

121    Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus à l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH.

122    À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant l’article 6 de la CEDH, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort et que ledit principe soulignait l’importance de rendre la justice sans les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, point 126 et jurisprudence citée). De plus, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de périodes d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, points 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, points 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, points 58 à 62).

123    Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, des mêmes enquêtes préliminaires, comme c’est le cas en l’espèce, le Conseil est tenu, préalablement à l’adoption d’une décision prorogeant l’application de ces mesures, de s’assurer du respect du droit de cette personne d’être jugée dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 101, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 127 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 114 et jurisprudence citée).

124    À cet égard, ainsi qu’il a été relevé au point 95 ci-dessus, il importe de rappeler la nature conservatoire du gel des avoirs du requérant et leur objet, à savoir, faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis, au terme des procédures judiciaires engagées, et préserver la possibilité, pour ces autorités, de recouvrer, in fine, le produit de ces détournements. Il incombe donc au Conseil d’éviter qu’une telle mesure, qui se justifie précisément en vertu de sa nature temporaire, soit prolongée inutilement, au détriment des droits et des libertés du requérant, sur lesquels elle a une incidence négative importante, du seul fait que les procédures pénales, encore au stade de l’enquête préliminaire, sur lesquelles elle repose ont été laissées ouvertes, en substance, indéfiniment (voir arrêt du 30 mars 2022, Yanukovych/Conseil, T‑291/20, non publié, EU:T:2022:187, point 118).

125    Il ressort également de la jurisprudence de la Cour EDH ayant trait à l’interprétation de l’article 6 de la CEDH que des retards causés par des suspensions de la procédure par les autorités, les décisions de joindre et de disjoindre les différentes procédures pénales ainsi que les renvois d’une affaire pour un complément d’enquête dans le cadre d’une même procédure peuvent être considérés comme des indices révélateurs d’une grave défaillance dans le fonctionnement du système de justice pénale ukrainien (voir, en ce sens, Cour EDH, 23 juin 2016, Krivoshey c. Ukraine, CE:ECHR:2016:0623JUD000743305, point 97 et jurisprudence citée). En l’espèce, eu égard à la durée prolongée des enquêtes préliminaires en cause, il résulte de ce qui a été indiqué au point 123 ci-dessus que le Conseil était tenu, préalablement à l’adoption des actes attaqués, de s’assurer que la durée desdites enquêtes n’était pas déraisonnable. Dans cette perspective, le Conseil aurait dû, par ailleurs, tenir compte de tout indice de défaillances éventuelles dans le système de justice pénale ukrainien ressortant du dossier des affaires, à savoir, en l’espèce, le fait que les procédures no [confidentiel] et no [confidentiel] avaient toutes les deux été dissociées d’une autre procédure, qu’elles avaient été suspendues et rouvertes à plusieurs reprises et que les enquêtes préliminaires dans le cadre de celles-ci avaient été transférées, plusieurs années après leur ouverture, à une autre autorité investigatrice (voir, notamment, point 119 ci-dessus), sans que cela ait impliqué la moindre progression, au lieu de se contenter des explications fournies par le BPG et de fonder son appréciation exclusivement sur celles-ci (voir arrêt du 30 mars 2022, Yanukovych/Conseil, T‑291/20, non publié, EU:T:2022:187, point 119).

126    S’agissant de l’argument avancé par le Conseil selon lequel, conformément à la jurisprudence de la Cour EDH, la fuite d’un accusé aurait par elle‑même des répercussions sur l’étendue de la garantie offerte par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, quant à la durée de la procédure, il doit être observé que, même en admettant que le requérant se soit illégalement soustrait à l’enquête et à la justice, le Conseil reste en défaut de démontrer que cette circonstance a eu des répercussions sur la durée de la procédure qui seraient imputables au requérant. En revanche, il convient d’observer que les autorités ukrainiennes, en réponse à la demande du Conseil, concernant la procédure no [confidentiel]. De plus, il y a lieu de constater que tant la procédure no [confidentiel], relative à des faits prétendument commis par le requérant entre 2007 et 2012, que la procédure no [confidentiel], relative à des faits prétendument commis par le requérant entre 2003 et 2013, sur lesquelles s’appuie le Conseil, se trouvaient encore, respectivement sept et huit années après leur ouverture, au stade de l’enquête préliminaire.

127    Par ailleurs, il convient de relever, à l’instar du requérant, que la question posée par le Conseil au BPG concernant les raisons qui l’avaient empêché de porter les procédures no [confidentiel] et no [confidentiel] devant un tribunal ukrainien pour être jugé sur le fond n’a obtenu aucune réponse de la part du BPG.

128    En définitive, le Conseil aurait dû à tout le moins apprécier tous les éléments fournis par le BPG et par le requérant et indiquer les raisons pour lesquelles, au terme d’une analyse autonome et approfondie de ces éléments, il pouvait considérer que le droit du requérant à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne avait été respecté en ce qui concernait son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 131 et jurisprudence citée).

129    Il ne saurait donc être conclu, au vu des pièces des dossiers, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si les décisions de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener les procédures pénales en cause avaient été adoptées et mises en œuvre dans le respect des droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et, plus particulièrement, à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

130    À cet égard, il convient également de relever que la jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas d’adoption d’une mesure de gel de fonds telle que celle adoptée à l’égard du requérant, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures restrictives faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée,  ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier si la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption desdites mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 104 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 133 et jurisprudence citée).

131    Enfin, l’argument du Conseil selon lequel, en substance, il ne lui appartient pas de mettre en cause les décisions des juridictions ukrainiennes, qui bénéficieraient d’une sorte de présomption de légalité, doit être rejeté. En effet, s’il est vrai, ainsi qu’il le prétend, qu’il est en droit de se fonder sur de telles décisions comme preuves de l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds publics à l’encontre du requérant, il n’en va pas de même en ce qui concerne les preuves du bon déroulement de cette procédure pénale, y compris pour ce qui est du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi qu’il a été rappelé au point 91 ci-dessus, pour s’assurer que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, le Conseil doit vérifier non seulement s’il existe des procédures judiciaires en cours concernant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics, mais également si, dans le cadre de ces procédures, lesdits droits du requérant ont été respectés (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 135 et jurisprudence citée).

132    Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, d’une part, le Conseil n’était pas en possession de certaines décisions ainsi que de certaines informations sur lesquelles il entendait se fonder et, d’autre part, le requérant a soulevé des doutes quant au respect de ses droits dans le contexte de l’adoption des décisions de justice sur lesquelles le Conseil entendait se fonder. En tout état de cause, il ne saurait être exclu que, au regard notamment des observations présentées par le requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements ultérieurs concernant le respect desdits droits (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑303/19, non publié, EU:T:2021:334, point 136 et jurisprudence citée), ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

133    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre des procédures pénales sur lesquelles il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir son nom sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

134    Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments invoqués par ce dernier.

135    Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 48, deuxième tiret, ci-dessus) tendant, en substance, au maintien des effets respectivement de la décision 2021/394 et de la décision 2022/376 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi visant le présent arrêt, en tant qu’il annulerait respectivement le règlement d’exécution 2021/391 et le règlement d’exécution 2022/375 dans la mesure où ils concernent le requérant et, au cas où un pourvoi serait introduit à cet égard, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2021/394 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2022 et la décision 2022/376 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 septembre 2022. Par conséquent, l’annulation de celles-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à ces dates, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de ces décisions (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Klymenko/Conseil, T‑195/21, EU:T:2021:925, point 113 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

136    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T262/21 et T256/22 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      La décision (PESC) 2021/394 du Conseil, du 4 mars 2021, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2021/391 du Conseil, du 4 mars 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, ainsi que la décision (PESC) 2022/376 du Conseil, du 3 mars 2022, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2022/375 du Conseil, du 3 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Viktor Fedorovych Yanukovych a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

3)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Mastroianni

Brkan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 décembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.