Language of document : ECLI:EU:C:2016:63

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 28 janvier 2016 (1)

Affaire C‑613/14

James Elliott Construction Limited

contre

Irish Asphalt Limited

[demande de décision préjudicielle
formée par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande)]

«Article 267 TFUE – Compétence de la Cour – Notion d’‘acte pris par les institutions’ – Norme européenne EN 13242:2002 publiée par le Comité européen de normalisation (CEN) en vertu d’un mandat de la Commission européenne – Directive 89/106/CEE relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les produits de construction – Transposition de la norme européenne EN 13242:2002 en droit national – Granulat utilisé dans la construction – Méthode et moment du contrôle de la conformité d’un produit avec cette norme – Marquage ‘CE’ – Directive 98/34/CE prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques – Champ d’application – Invocation dans un litige entre particuliers»






Table des matières


I –   Le cadre juridique

A –   Le droit de l’Union

1.     La directive 89/106

2.     La norme EN 13242:2002

3.     La directive 98/34

B –   Le droit irlandais

II – Les faits et la procédure au principal

III – Analyse des questions préjudicielles

A –   Sur la première question préjudicielle, sous a): compétence de la Cour pour interpréter par la voie préjudicielle les normes techniques harmonisées

1.     Les directives «nouvelle approche» ne sauraient être employées au détriment de la compétence préjudicielle de la Cour

2.     La Commission exerce un contrôle significatif sur la procédure d’élaboration de normes techniques harmonisées par le CEN

3.     Le fonctionnement du CEN en tant qu’organisme de normalisation dépend de l’action de l’Union

B –   Sur la première question préjudicielle, sous b): méthodes de preuve du respect de la norme harmonisée EN 13242:2002

C –   Sur la troisième question préjudicielle: la présomption d’aptitude à l’usage des produits conformes à la directive 89/106

D –   Sur la quatrième question préjudicielle: la teneur maximale en soufre prescrite par la norme EN 13242:2002

E –   Sur la cinquième question préjudicielle: l’utilisation du marquage «CE»

F –   Sur la deuxième question préjudicielle: l’application de la directive 98/34 et de la jurisprudence CIA Security International et Unilever

IV – Conclusion

1.        Conformément à l’article 267 TFUE, la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) a saisi la Cour de questions préjudicielles portant sur l’interprétation de a) certains articles de la directive 89/106/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les produits de construction (2); b) la norme harmonisée EN 13242:2002 (ci‑après la «norme EN 13242:2002») adoptée par le Comité européen de normalisation (CEN), et c) la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (3).

2.        Le renvoi préjudiciel a été effectué dans le cadre d’un litige opposant la société de construction James Elliott Construction Limited (ci-après «James Elliott») et l’entreprise Irish Asphalt Limited (ci-après «Irish Asphalt») concernant un manquement contractuel. Cette dernière entreprise avait fourni à la première des granulats de type Clause 804 qui n’étaient prétendument pas conformes aux exigences de qualité prévues par la norme EN 13242:2002, que la National Standards Authority of Ireland (NSAI) a mise en œuvre en Irlande par la norme I.S. EN 13242:2002.

3.        La présente affaire soulève pour la première fois directement devant la Cour la question de savoir si elle est compétente pour se prononcer, par la voie préjudicielle, sur l’interprétation d’une norme technique harmonisée adoptée par le CEN puis transformée en norme technique nationale, ainsi que plusieurs questions d’interprétation relatives au contenu de la norme harmonisée et à son invocation dans des litiges entre particuliers.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

4.        L’élimination des entraves techniques à la libre circulation des produits de construction dans le marché intérieur a été réalisée par l’adoption de l’une des directives appliquant la «nouvelle approche» en matière d’harmonisation, à savoir la directive 89/106, qui fixe les critères élémentaires auxquels ces produits doivent satisfaire. L’élaboration des spécifications techniques pour chacun de ces produits a été confiée par la Commission européenne au CEN, en tant qu’organisme européen de normalisation. En ce qui concerne les granulats, la Commission a conféré au CEN le mandat M/125, pour la mise en œuvre duquel le CEN a adopté la norme EN 13242:2002 relative aux «granulats pour matériaux traités aux liants hydrauliques et matériaux non traités utilisés pour les travaux de génie civil et pour la construction des chaussées» (4).

5.        Par la suite, la directive 89/106 a été abrogée et remplacée par le règlement (UE) no 305/2011 (5). La norme EN 13242:2002 a également été modifiée ultérieurement, en 2007 (6), mais ces changements ne sont pas applicables en l’espèce.

6.        Pour que la Commission puisse identifier les futurs obstacles techniques, la directive 83/189/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (7) a établi une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques qui permettait d’identifier les domaines nécessitant une harmonisation par l’adoption de directives «nouvelle approche». Après plusieurs modifications, la directive 83/189 a été remplacée par la directive 98/34, applicable à la présente affaire, telle que modifiée par la directive 98/48/CE (8). Cette procédure d’élimination des obstacles techniques a récemment été modifiée et codifiée par la directive (UE) 2015/1535 (9).

1.      La directive 89/106

7.        Afin de supprimer les entraves techniques aux échanges dans le domaine des produits de construction et de favoriser leur libre circulation dans le marché intérieur, la directive 89/106 a procédé à une harmonisation non exhaustive qui suivait la nouvelle approche visée dans la résolution du Conseil, du 7 mai 1985, concernant une nouvelle approche en matière d’harmonisation technique et de normalisation (10). Conformément à cette approche, l’article 3 de cette directive mentionne les exigences essentielles applicables aux ouvrages ayant une influence sur les caractéristiques techniques des produits, qui sont identifiées à l’annexe I de la directive («résistance mécanique et stabilité»; «sécurité en cas d’incendie»; «hygiène, santé et environnement»; «sécurité d’utilisation; protection contre le bruit»; «économie d’énergie et isolation thermique»).

8.        Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, sous a), de cette directive, le principal moyen de preuve du respect des exigences de sécurité par les produits de construction est la conformité de ceux-ci «aux normes nationales qui transposent les normes harmonisées et dont les références ont été publiées au Journal officiel des Communautés européennes. Les États membres publient les références de ces normes nationales.» La marque «CE» atteste de cette conformité.

9.        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/106,

«[…]

Aux fins de la présente directive, on entend par ‘normes harmonisées’ les spécifications techniques adoptées par le CEN ou le [Comité européen de normalisation électrotechnique (Cenelec)] ou par ces deux organismes sur mandat de la Commission donné conformément à la directive 83/189/CEE sur la base d’un avis émis par le comité visé à l’article 19 et selon les orientations générales concernant la coopération entre la Commission et ces deux organismes, signées le 13 novembre 1984.»

10.      Comme nous pouvons le constater, la directive 89/106 a procédé à une harmonisation minimale des exigences essentielles auxquelles les produits de construction doivent satisfaire et renvoie, pour les spécifications techniques, aux normes ultérieurement adoptées par les organismes européens de normalisation. Pour assurer la qualité des normes techniques harmonisées, l’article 7 de cette directive dispose que ces organismes les établissent en tenant compte des mandats donnés par la Commission conformément à la directive 83/189. Les normes techniques harmonisées sont publiées par la Commission dans la série C du Journal officiel (11).

Les produits de construction qui satisfont aux normes techniques harmonisées bénéficient d’une présomption de conformité à la directive 89/106, dont l’article 6, paragraphe 1, garantit leur libre circulation sur le territoire de tous les États membres, à moins que la clause de sauvegarde de l’article 21 ne soit applicable (12).

2.      La norme EN 13242:2002

11.      En application de l’article 7 de la directive 89/106, le 6 juillet 1998, la Commission a donné le mandat M/125 au CEN pour que celui-ci élabore une norme technique relative à un type de matériau de construction, les granulats. Conformément à ce mandat, le CEN a adopté la norme EN 13242:2002.

12.      Le mandat M/125 (13) a chargé le CEN d’adopter les normes techniques sur les granulats utilisés dans la construction, afin que ceux‑ci soient aptes à l’usage prévu, selon la définition de cette expression énoncée dans la directive 89/106 (14).

13.      Le chapitre II, points 8 et 9 (15), et le chapitre III, point 2 (16), du mandat M/125 contiennent des règles relatives aux méthodes d’essai destinées à vérifier le respect des spécifications techniques de la norme harmonisée. En vertu du chapitre III, point 1, de ce mandat, «[d]es normes harmonisées doivent être élaborées afin de permettre aux produits énumérés aux annexes 1 et 2 de démontrer leur aptitude à satisfaire les exigences essentielles. L’un des objectifs de la directive étant d’éliminer les barrières aux échanges, les normes découlant de celle-ci seront exprimées, dans la mesure du possible, en termes de performances des produits (article 7, paragraphe 2, de la directive), compte tenu des Documents interprétatifs.»

14.      En exécution du mandat M/125, le CEN a adopté la norme EN 13242:2002, dont l’article 2, relatif aux «Références normatives», prévoit le renvoi à d’autres normes techniques du CEN (17) et dont l’article 6, intitulé «Caractéristiques chimiques», est libellé en ces termes:

«6.1 Généralités

La nécessité de procéder aux essais et de déclarer toutes les caractéristiques spécifiées dans cet article varie en fonction de l’emploi ou de l’origine du granulat. Le cas échéant, les essais spécifiés à l’article 6 doivent être réalisés pour déterminer les caractéristiques chimiques appropriées.

[…]

NOTE 2 – Quand une caractéristique n’est pas requise, une catégorie ‘Non requis’ peut être utilisée.

NOTE 3 – Pour obtenir plus d’informations sur le choix des catégories appropriées à des applications spécifiques, se référer aux dispositions nationales en vigueur sur le lieu d’utilisation du granulat.

[…]

6.3 Soufre total

Le cas échéant, la teneur en soufre total du granulat, déterminée conformément à l’EN 1744‑1:1998, article 11, doit être exprimée par la catégorie correspondante spécifiée dans le tableau 13.

Tableau 13

Catégories des valeurs maximales de la teneur en soufre total

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[…]»

15.      Le point ZA.1 de l’annexe ZA de cette norme garantit qu’elle a été élaborée dans le cadre d’un mandat donné au CEN par la Commission en application de la directive 89/106 et que les granulats satisfaisant à ladite norme bénéficient d’une présomption d’aptitude à l’usage (18).

16.      Les références à la norme du CEN ont été publiées dans la série C du Journal officiel le 27 mars 2003 (19).

3.      La directive 98/34

17.      La directive 98/34 a codifié et remplacé le contenu de la directive 83/189 et de ses modifications. En substance, la directive 98/34 a créé une procédure de prévention de l’apparition d’obstacles techniques dans le marché intérieur, complémentaire à l’harmonisation des législations. Elle prévoit un système d’information pour les normes techniques élaborées par les organismes nationaux de normalisation et un autre pour les règles techniques adoptées par les autorités nationales des États membres.

18.      Dans un langage quelque peu confus, l’article 1er de la directive 98/34 distingue les «normes» des «règles» techniques (20), sur le fondement du caractère volontaire des normes techniques par rapport à la nature obligatoire des règles techniques. Cette différence de nature trouve son origine dans le fait que les normes techniques sont adoptées par des entités privées, à savoir les organismes de normalisation nationaux et européens, tandis que les règles techniques constituent des actes normatifs des autorités publiques nationales. Néanmoins, l’interaction entre les règles techniques et les normes techniques est très intense en droit de l’Union, tout particulièrement depuis l’année 1985, avec l’utilisation de la nouvelle approche en matière d’harmonisation des législations afin de faire avancer le marché intérieur.

19.      La séparation de la réglementation des procédures d’information en matière de normes et de règles techniques a apporté certains éclaircissements. Le règlement (UE) no 1025/2012 (21) contient désormais la réglementation relative à la normalisation de l’Union, tandis que la directive 2015/1535 régit la procédure d’information sur les règles techniques.

20.      La procédure d’information en matière de règles techniques est régie, pour l’essentiel, par les articles 8 et 9 de la directive 98/34. En vertu de l’article 8, les États membres sont tenus de communiquer à la Commission leurs projets de règles techniques (22). L’article 9 fixe un délai de trois mois durant lequel l’État notifiant ne saurait adopter définitivement son projet. Ce délai est prorogé si un ou plusieurs États membres émettent un avis circonstancié indiquant que le projet de règle technique est susceptible de créer des obstacles à la libre circulation des marchandises ou si la Commission décide d’entamer l’élaboration d’une norme d’harmonisation.

B –    Le droit irlandais

21.      En tant que membre du CEN, la NSAI a repris littéralement le texte de la norme EN 13242:2002 dans la norme technique irlandaise I.S. EN 13242:2002.

22.      L’article 10 de la loi de 1980 sur la vente de biens et la fourniture de services (Sale of Goods and Supply of Services Act 1980 (ci-après la «loi de 1980») a modifié l’article 14 de la loi de 1893 sur la vente de biens (Sale of Goods Act) en ces termes:

«1.      Sous réserve des dispositions de la présente loi et de toute autre loi à cet effet, il n’y a aucune condition implicite ou garantie quant à la qualité ou l’aptitude à quelque usage que ce soit de biens fournis en vertu d’un contrat de vente.

2.      Lorsque le vendeur vend des biens dans le cadre d’une entreprise, il y a une condition implicite que les biens fournis en vertu du contrat sont de qualité marchande, mais cette condition n’existe pas:

a)      en ce qui concerne des défauts pour lesquels l’attention de l’acheteur a été spécialement attirée avant la conclusion du contrat, ou

b)      si l’acheteur examine les biens avant la conclusion du contrat pour ce qui concerne des défauts que cet examen aurait dû révéler.

3.      Des biens sont de qualité marchande s’ils sont aptes à l’emploi ou aux emplois pour lesquels des biens de ce type sont généralement achetés et d’une durabilité raisonnable eu égard à toute description faite de ces biens, de leur prix (si pertinent) et de toute autre circonstance pertinente et toute mention dans la présente loi de biens de qualité non marchande doit être interprétée de cette manière.

4.      Lorsque le vendeur vend des biens dans le cadre d’une entreprise et l’acheteur porte à la connaissance du vendeur expressément ou de manière implicite tout emploi particulier pour lequel les biens sont achetés, il y a une condition implicite que les biens vendus au titre du contrat soient raisonnablement aptes à remplir cet usage, et ce peu importe que de tels biens soient ou non généralement achetés pour un tel emploi, sauf lorsque les circonstances montrent que l’acheteur ne s’appuie pas, ou qu’il est déraisonnable qu’il s’appuie, sur la compétence ou le jugement du vendeur.»

23.      En vertu de l’article 55 de la loi de 1980, lorsqu’un acheteur contracte en tant que consommateur, les conditions implicites prévues par l’article 14 ne peuvent pas être exclues. Cependant, lorsque, comme en l’espèce, l’acheteur n’est pas un consommateur, les dispositions de l’article 14 peuvent être amendées, modifiées ou entièrement exclues par accord des parties.

24.      En l’espèce, les parties n’ont ni amendé, ni modifié, ni exclu les conditions implicites prévues à l’article 14, paragraphes 2 et 4, de la loi de 1980; dès lors, la High Court (Haute Cour) a jugé que celles-ci étaient incluses dans le contrat.

II – Les faits et la procédure au principal

25.      James Elliott a introduit une action à l’encontre d’Irish Asphalt pour non‑respect d’un contrat de fourniture de granulats connus en Irlande sous le nom de Clause 804, produit initialement employé dans la construction de routes et, comme éléments de remplissage de haute qualité, dans la construction de bâtiments. James Elliott avait utilisé ces granulats dans le centre de jeunesse de Ballymun, dans la ville de Dublin. Irish Asphalt a fourni les granulats à James Elliott entre le 27 août et le 17 décembre 2004, pour un prix total de 25 000 euros hors taxe.

26.      Après l’achèvement du projet, des fissures ont commencé à apparaître dans les sols et plafonds, rendant l’immeuble inutilisable. James Elliott en a accepté la responsabilité et effectué des travaux de réparation pour un coût d’au moins 1 550 000 euros. Estimant que les dommages trouvaient leur origine dans un phénomène connu sous le nom de «soulèvement de la pyrite», généré, selon elle, par la présence de pyrite dans les granulats Clause 804 fournis par Irish Asphalt, James Elliott a demandé, sans succès, à cette entreprise une indemnisation pour manquement contractuel.

27.      Le 13 juin 2008, James Elliott a introduit une action en réparation contre Irish Asphalt. Par un jugement du 25 mai 2011, la High Court (Haute Cour) a considéré que les dommages trouvaient leur origine dans le soulèvement de la pyrite, en raison de la présence de framboïdes de pyrite dans les granulats fournis par Irish Asphalt.

28.      La High Court (Haute Cour) a estimé que le contrat entre ces deux entreprises exigeait la fourniture de granulats Clause 804 conformes aux spécifications de la norme irlandaise sur les granulats (I.S. EN 13242:2002), qui mettait en œuvre la norme EN 13242:2002. Après examen des éléments de preuve relatifs à une série d’essais réalisés sur les granulats retirés du bâtiment en 2009, cinq années après leur fourniture et leur utilisation dans sa construction, la High Court (Haute Cour) a conclu que le matériau ne respectait pas la norme à plusieurs égards, en particulier s’agissant de sa teneur en soufre. Selon la High Court (Haute Cour), Irish Asphalt avait violé les obligations contractuelles qui la liaient à James Elliott, lesquelles lui imposaient, conformément à l’article 14, paragraphe 2, de la loi de 1980, de fournir des granulats de qualité marchande et aptes à l’emploi indiqué au fournisseur.

29.      Irish Asphalt a fait appel de ce jugement devant la Supreme Court (Cour suprême), mais a admis, au cours de l’instance d’appel, que les dommages du bâtiment avaient été causés par le soulèvement de la pyrite. Le 2 décembre 2014, la Supreme Court (Cour suprême) a rendu un arrêt portant sur les questions de droit national, rejetant l’appel et déclarant que les conclusions de la High Court (Haute Cour) relatives à la teneur en soufre étaient étayées par des preuves et que ses appréciations des faits étaient fondées et ne devaient pas être infirmées.

30.      Néanmoins, la Supreme Court (Cour suprême) ne s’est pas prononcée sur les aspects de l’appel liés à l’application du droit de l’Union, car elle nourrissait des doutes sur la nature juridique des normes techniques européennes et leur invocation dans le cadre de relations contractuelles entre particuliers sur l’interprétation de la norme EN 13242:2002 et sur l’obligation de notification préalable des normes irlandaises relatives à la vente de marchandises. Elle a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      a)      Lorsque les termes d’un contrat de droit privé obligent une partie à fournir un produit ayant été fabriqué conformément à une norme nationale, elle-même adoptée en application d’une norme européenne prise sur mandat donné par la Commission au titre des dispositions de la directive 89/106 sur les produits de construction, l’interprétation de ladite norme constitue-t-elle une question susceptible de faire l’objet d’une demande de décision préjudicielle auprès de la Cour en application de l’article 267 TFUE?

b)      S’il est répondu affirmativement à la première question, sous a), la norme EN 13242:2002 exige-t-elle que le respect ou la violation de ladite norme soient uniquement établis par la preuve d’essais réalisés conformément aux normes (non mandatées) adoptées par le [CEN] et visées dans la norme EN 13242:2002 et uniquement lorsque ces essais sont réalisés au moment de la production et/ou de la fourniture; ou la violation de la norme (et par conséquent la violation du contrat) peut-elle être établie par la preuve d’essais réalisés postérieurement si les résultats de ces essais sont logiquement probants de la violation de la norme?

2)      Lorsqu’elle se prononce sur un recours pour violation d’un contrat de droit privé concernant un produit fabriqué conformément à une norme européenne prise en vertu d’un mandat donné par la Commission au titre de la directive 89/106 sur les produits de construction, une juridiction nationale est-elle tenue d’écarter l’application de dispositions de droit national qui impliquent des clauses relatives à la qualité marchande, l’aptitude à l’emploi ou la qualité au motif que tant les dispositions légales que leur application créent des normes ou imposent des spécifications ou exigences techniques qui n’ont pas fait l’objet d’une notification conformément aux dispositions de la directive 98/34 relative aux normes et réglementations techniques?

3)      Une juridiction nationale devant se prononcer sur un recours pour violation d’un contrat de droit privé présumée résulter de la violation d’une clause relative à la qualité marchande ou l’aptitude à l’emploi (implicite, par la loi, dans un contrat entre les parties et non modifiée ou écartée par elles) concernant un produit fabriqué conformément à la norme EN 13242:2002 est-elle tenue de présumer que le produit est de qualité marchande et apte à l’usage et, si c’est le cas, une telle présomption peut-elle être renversée uniquement par la preuve du non-respect de la norme EN 13242:2002 par des essais effectués conformément aux essais et protocoles visés dans la norme EN 13242:2002 et effectués au moment de la fourniture du produit?

4)      S’il est répondu affirmativement à la fois à la première question, sous a), et à la troisième question, une limite relative à la teneur totale en soufre des granulats est-elle prescrite par la norme EN 13242:2002, ou conformément à celle-ci, de sorte que le respect d’une telle limite était exigé notamment pour donner lieu à une présomption de qualité marchande ou d’aptitude à l’usage?

5)      S’il est répondu affirmativement à la fois à la première question, sous a), et à la troisième question, la preuve que le produit portait le marquage ‘CE’ est-elle nécessaire pour s’appuyer sur la présomption créée par l’annexe ZA à la norme EN 13242:2002 et/ou l’article 4 de la directive 89/106 sur les produits de construction?»

31.      Le renvoi préjudiciel a été enregistré au greffe de la Cour le 30 décembre 2014 et, au cours de la procédure écrite, James Elliott, Irish Asphalt, le gouvernement irlandais et la Commission ont présenté des observations.

32.      Lors de l’audience, qui s’est tenue le 19 novembre 2015, les représentants de James Elliott, d’Irish Asphalt, de l’Irlande et de la Commission ont comparu et formulé oralement leurs allégations.

III – Analyse des questions préjudicielles

33.       Les questions préjudicielles posées en l’espèce par la Supreme Court (Cour suprême) me paraissent clairement recevables. De fait, seule l’Irlande a soutenu que le litige entre James Elliott et Irish Asphalt portait sur une situation ou une relation d’affaires purement interne (le manquement à un contrat liant deux entreprises irlandaises), circonscrite à l’Irlande, dont les conséquences étaient régies par le droit irlandais, de telle sorte qu’aucune disposition juridique de l’Union dont la validité ou l’interprétation susciterait des doutes ne serait applicable.

34.      L’argument du gouvernement irlandais ne saurait être accueilli, car, à l’instar de la Supreme Court (Cour suprême), je considère que, pour trancher le litige, il est nécessaire d’interpréter la norme EN 13242:2002, adoptée conformément aux directives 89/106 et 98/34 et transposée par la norme technique irlandaise I.S. EN 13242:2002. C’est à la Supreme Court (Cour suprême) qu’il appartient de se prononcer sur l’éventuel manquement contractuel, mais son appréciation peut dépendre de l’interprétation du droit de l’Union, situation dans laquelle la Cour considère être compétente pour répondre, à titre préjudiciel, aux questions déférées par les juridictions nationales (23).

A –    Sur la première question préjudicielle, sous a): compétence de la Cour pour interpréter par la voie préjudicielle les normes techniques harmonisées

35.      La Supreme Cour (Cour suprême) demande si, en vertu de l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour interpréter par la voie préjudicielle une norme technique harmonisée. La recevabilité de cette question préjudicielle ne fait aucun doute, pas plus que sa pertinence ou l’intérêt qu’elle présente, d’autant plus que, jusqu’à présent, la Cour n’a jamais eu l’occasion de se prononcer directement sur cette question.

36.      Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’analyser si les normes techniques harmonisées du CEN, adoptées conformément à un mandat donné par la Commission et publiées dans la série C du Journal officiel, peuvent être qualifiées d’«actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union» aux fins du renvoi de questions préjudicielles de validité et d’interprétation.

37.      Dans leurs observations, Irish Asphalt et la Commission affirment toutes deux que la Cour a déjà résolu cette question dans l’arrêt Latchways et Eurosafe Solutions (C‑185/08, EU:C:2010:619). J’estime au contraire que, dans cet arrêt, la Cour s’est bornée à constater que les dispositions de la norme EN 795 relatives aux dispositifs d’ancrage de classe A1 ne relevaient pas du champ d’application de la directive 89/686/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux équipements de protection individuelle (JO L 399, p. 18), parce qu’il ne s’agissait pas de spécifications techniques harmonisées, dès lors qu’elles n’avaient pas été approuvées par la Commission et qu’elles avaient été expressément exclues de la publication au Journal officiel. La Cour en a déduit qu’elles n’entraient pas dans le cadre du droit de l’Union et que, partant, elle n’était pas compétente pour procéder à leur interprétation (24).

38.      À mon sens, on ne saurait déduire de l’arrêt Latchways et Eurosafe Solutions (C‑185/08, EU:C:2010:619) que, a contrario, la Cour aurait jugé qu’elle était compétente si la norme EN 795 avait été une norme technique harmonisée, conformément à la directive 89/686 (25). En outre, à cette occasion, la Cour a jugé qu’elle ne se prononcerait pas sur la nature juridique des normes harmonisées (26), analyse que j’estime être indispensable aux fins d’apprécier si ces normes peuvent faire l’objet de questions préjudicielles.

39.      Pour la Supreme Court (Cour suprême), il convient de répondre à sa première question par la négative, car la norme nationale qui met en œuvre une norme européenne élaborée par le CEN en vertu d’un mandat conféré par la Commission au titre de la directive 89/106 ne constitue pas un acte pris par une institution, un organe ou organisme de l’Union. James Elliott et l’Irlande sont du même avis, pour deux raisons principales: d’une part, le caractère privé du CEN et, d’autre part, la nature non contraignante des normes techniques harmonisées. Le CEN est une association de droit privé sans but lucratif régie par le droit belge et composée des organismes de normalisation de 33 pays européens, organismes qui sont tous également des entités privées, de telle sorte qu’il ne saurait être qualifié d’institution, organe ou organisme de l’Union (27). Selon l’Irlande, l’autonomie du CEN n’est pas affectée par le fait qu’il est chargé d’élaborer des normes techniques par la Commission, car il est libre d’accepter ou de refuser le mandat (28). De plus, les normes techniques harmonisées du CEN sont toujours d’application volontaire et, selon James Elliott, la logique de l’harmonisation de législations par des directives «nouvelle approche» serait mise en échec si leur application faisait l’objet d’une judiciarisation.

40.      Ces arguments ne me convainquent pas. J’indique dès à présent que ma réponse à la première question est affirmative et que la Cour doit se déclarer compétente pour statuer sur les questions préjudicielles d’interprétation relatives à des normes techniques harmonisées telles qu’en l’espèce. Celles-ci doivent être réputées être des «actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union» aux fins de l’article 267 TFUE.

41.      Mon opinion repose sur les trois arguments que je développerai ci-après: a) les directives «nouvelle approche» ne sauraient être employées au détriment de la compétence préjudicielle de la Cour; b) la Commission exerce un contrôle significatif sur la procédure d’élaboration de normes techniques harmonisées par le CEN, et c) le fonctionnement du CEN en tant qu’organisme de normalisation de l’Union européenne dépend de l’action de celle‑ci.

1.      Les directives «nouvelle approche» ne sauraient être employées au détriment de la compétence préjudicielle de la Cour

42.      La directive 89/106, qui n’a pas procédé à une harmonisation exhaustive et détaillée des spécifications techniques des produits de construction, parmi lesquels figurent les granulats, est directement liée à la norme EN 13242:2002. Cette directive fixe les prescriptions minimales auxquelles les matériaux de construction doivent satisfaire pour que les ouvrages soient sûrs et confie aux organismes européens de normalisation la tâche d’établir ultérieurement les normes comprenant les spécifications techniques précises afin que ces matériaux soient conformes aux exigences élémentaires prévues par la directive. L’application des normes harmonisées est volontaire et le producteur est toujours libre d’appliquer d’autres spécifications techniques pour satisfaire aux exigences. Les produits fabriqués dans le respect des normes harmonisées jouissent néanmoins de la présomption de conformité avec les exigences essentielles prévues par la directive 89/106 (29).

43.      Le législateur de l’Union a recours à la méthode du renvoi à l’instrument de normalisation technique, fréquemment employée en droit national et international, que l’Union a encouragée pour faciliter la réalisation du marché intérieur à partir de l’année 1985 (30). Conformément à cette méthode, la directive 89/106 contient uniquement les éléments essentiels de la réglementation harmonisée applicable aux produits de construction, de sorte que les normes du CEN sont un complément nécessaire pour leur permettre de circuler librement dans le marché intérieur.

44.      Si la Cour est, de toute évidence, compétente pour interpréter la directive 89/106 par la voie préjudicielle (31), elle doit également avoir la possibilité de répondre à des questions préjudicielles relatives aux normes techniques harmonisées qui complètent cette directive. Autrement, l’harmonisation des produits de construction serait privée d’effet, puisque les normes techniques harmonisées (en l’occurrence, la norme EN 13242:2002) pourraient faire l’objet d’interprétations divergentes dans les différents États membres.

45.      Le recours à la «nouvelle approche» dans les directives d’harmonisation ne saurait entraîner une limitation de la compétence de la Cour pour interpréter par la voie préjudicielle l’ensemble de la réglementation harmonisée (à savoir la directive et les normes techniques harmonisées qui la complètent) applicable à la production et à la commercialisation d’un bien déterminé. Si, s’agissant d’une directive d’harmonisation complète, la compétence préjudicielle s’étend à toutes les normes harmonisées relatives au produit en cause, la même solution doit s’appliquer aux directives «nouvelle approche», qui ne sauraient être utilisées au détriment de la compétence de la Cour.

2.      La Commission exerce un contrôle significatif sur la procédure d’élaboration de normes techniques harmonisées par le CEN

46.      La technique normative du renvoi à la normalisation européenne est réglementée par le législateur de l’Union de manière générale aussi bien que spécifique dans chaque directive qui l’emploie. La réglementation générale se trouvait initialement dans la directive 83/189, puis dans la directive 98/34, qui a récemment été remplacée par la directive 2015/1535. Pour ce qui concerne les produits de construction, la réglementation spécifique figurait dans la directive 89/106, qui a été remplacée par le règlement no 305/2011. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un cas de normalisation technique purement privée, réalisée à l’initiative du CEN et sans lien avec le droit de l’Union. Au contraire, la Commission exerce un contrôle sur la procédure d’élaboration des normes techniques harmonisées confiée au CEN, contrôle qui se concrétise dans plusieurs éléments que j’exposerai ci‑après.

47.      En premier lieu, une norme technique harmonisée est toujours rédigée à partir d’un mandat conféré par la Commission au CEN. La norme EN 13242:2002 trouve son origine dans le mandat M/125.

48.      Les articles 4, paragraphe 2, et 7, paragraphe 1, de la directive 89/106 indiquent que les normes harmonisées sont les spécifications techniques adoptées par le CEN ou le Cenelec ou par ces deux organismes «sur mandat de la Commission donné conformément à la directive 83/189 sur la base d’un avis émis par le comité visé à l’article 19 et selon les orientations générales concernant la coopération entre la Commission et ces deux organismes, signées le 13 novembre 1984». Partant, en l’absence de mandat, il n’y a pas de norme harmonisée du CEN et ledit mandat contient les éléments essentiels qui doivent gouverner l’élaboration de la norme technique harmonisée par le CEN.

49.      Sans le mandat M/125, le CEN n’aurait donc pas adopté la norme EN 13242:2002. Bien que le CEN élabore également des normes techniques européennes de sa propre initiative, celles-ci ne sont pas des normes harmonisées liées à une directive et les produits qui s’y conforment ne bénéficient ni de la présomption de conformité avec la directive ni du droit de libre circulation (32). Tel était le cas, par exemple, de la norme EN 795, qui a fait l’objet de l’arrêt Latchways et Eurosafe Solutions (33) et dont l’absence de lien avec le droit de l’Union a conduit la Cour à se déclarer incompétente pour l’interpréter par la voie préjudicielle.

50.      En deuxième lieu, la référence aux normes techniques harmonisées doit nécessairement être publiée au Journal officiel. C’est la condition que l’article 7, paragraphe 3, de la directive 89/106 prévoit pour que ces normes puissent produire le principal effet que la directive leur attribue, c’est-à-dire la présomption de compatibilité avec la directive et la garantie de libre circulation du produit dans l’Union si celui‑ci y satisfait.

51.      Certes, seule la référence à la norme harmonisée apparaît dans le Journal officiel, et non l’intégralité de son contenu. Le CEN élabore les normes techniques harmonisées en langues anglaise, française et allemande, et ce sont les organismes nationaux de normalisation qui font partie du CEN qui rédigent les versions nationales et les vendent aux intéressés. Ces organismes nationaux sont titulaires des droits de propriété intellectuelle sur les versions nationales respectives de la norme technique harmonisée et perçoivent des droits de diffusion, ce qui a donné lieu à une jurisprudence variable dans certains États membres quant à la nécessité de publier officiellement des normes techniques harmonisées lorsque les législateurs y renvoient (34). Aux fins du présent renvoi préjudiciel, j’estime qu’il n’est pas indispensable d’approfondir l’importante question de savoir si la publication officielle des normes techniques harmonisées devrait être complète pour que celles-ci produisent des effets juridiques (35) et pour que le principe de publicité des actes normatifs soit respecté. Cette exigence aurait une incidence considérable sur le système européen de normalisation et, plus particulièrement, sur la vente de normes techniques harmonisées par les organismes nationaux de normalisation.

52.      En raison de l’obligation de publier la référence de la norme harmonisée au Journal officiel, la Commission doit contrôler son contenu pour vérifier s’il est conforme au mandat conféré au CEN ainsi qu’à la directive. L’article 5 de la directive 89/106 prévoyait cette obligation d’une manière un peu plus confuse, mais l’article 10, paragraphe 6, du règlement no 1025/2012, ainsi que l’article 17, paragraphe 5, du règlement no 305/2011, désormais applicable aux produits de construction, ne laissent aucune place au doute. La décision de publication de la Commission produit des effets juridiques et constitue donc un acte pouvant faire l’objet d’un recours en annulation (36).

53.      En troisième lieu, conformément à l’article 5 de la directive 89/106, la Commission et les États membres ont la possibilité d’élever des objections à la norme élaborée par le CEN s’ils estiment qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la directive ou au mandat donné par la Commission. L’objection peut faire obstacle à la publication de la norme harmonisée au Journal officiel ou entraîner le retrait ultérieur de cette publication, lorsqu’elle est soulevée a posteriori. Dans un tel cas, la norme technique du CEN n’entraîne pas de présomption de conformité d’un produit à la directive.

54.      Étant donné les différences entre les directives «nouvelle approche» quant à la procédure d’objection à l’encontre des normes techniques harmonisées, cette procédure a été réglementée de manière uniforme à l’article 11 du règlement no 1025/2012 (37). La Commission procède désormais à un contrôle ex ante, avant leur publication. Les objections formelles peuvent être soulevées par les États membres et le Parlement européen, mais non par la Commission, qui contrôle la norme technique harmonisée, étape indispensable à la publication de sa référence. De même que les décisions relatives à la publication des normes techniques harmonisées, celles de la Commission sur les objections formelles soulevées par les États membres ou le Parlement envers ces normes sont des actes juridiques susceptibles de recours en annulation (38).

55.      Tant la possibilité pour les États membres et le Parlement de soulever une objection formelle que l’intervention de la Commission avant la publication des normes techniques harmonisées montrent bien qu’il s’agit d’un cas de délégation normative, «contrôlée», à un organisme de normalisation privé (39).

3.      Le fonctionnement du CEN en tant qu’organisme de normalisation dépend de l’action de l’Union

56.      Comme je l’ai déjà indiqué, le CEN est un organisme de normalisation privé, soumis au droit belge et composé des organismes nationaux des États membres de l’Union et de l’AELE. Sa structure et son fonctionnement sont analogues à ceux de la majorité des organismes de normalisation, mais présentent des particularités tenant à son caractère transnational (40). Le caractère privé apparaît clairement lorsque le CEN élabore des normes techniques européennes non harmonisées, mais ce dernier procède d’une autre manière lorsque son activité vise à exécuter les mandats que la Commission lui confère pour élaborer des normes harmonisées.

57.      L’activité du CEN liée aux normes techniques harmonisées repose sur la coopération avec la Commission, qui est régie par un accord figurant dans des orientations générales, renouvelées périodiquement (41). Celles-ci soulignent l’importance de la normalisation pour la politique de l’Union et pour la libre circulation des biens et des services ainsi que pour l’amélioration de la compétitivité des producteurs de l’Union (42). À cette même fin, ces orientations énoncent des principes communs qui gouvernent leurs relations et leur coopération, en vertu desquels les organismes de normalisation s’engagent à procéder à l’élaboration de normes de la manière la plus adaptée aux intérêts de l’Union. En contrepartie, la Commission s’engage à fournir son soutien et à s’impliquer dans les travaux de ces organismes.

58.      En outre, la Commission apporte un soutien financier au CEN pour que celui‑ci rédige les normes techniques harmonisées. La décision no 1673/2006/CE (43) prévoit la contribution de l’Union au financement de la normalisation européenne afin de garantir que les normes européennes harmonisées soient élaborées et révisées en tenant compte des objectifs, de la législation et des politiques de l’Union. Le nombre de normes harmonisées que la Commission demande au CEN et aux autres organismes est limité et représente une faible part du nombre total de normes élaborées. C’est l’industrie qui assume la majeure partie du coût de la normalisation, de telle sorte que le recours au CEN par l’Union constitue une option «économiquement rentable», dès lors que l’idée de créer une agence exécutive pour l’adoption des normes techniques exigées par les directives «nouvelle approche» a été écartée (44).

59.      Le caractère privé des organismes de normalisation (en l’occurrence, le CEN) ne signifie pas que leur activité soit étrangère au droit de l’Union. Dans l’arrêt Fra.bo (45), la Cour a jugé que l’article 34 TFUE s’appliquait aux activités de normalisation et de certification d’un organisme privé, lorsque la législation nationale considérait les produits certifiés par cet organisme comme conformes au droit national et que cela entravait la commercialisation de produits qui n’étaient pas certifiés par ledit organisme.

60.      Si la Cour n’a pas hésité à analyser la compatibilité avec le droit de l’Union (plus précisément avec l’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives) des activités d’un organisme national de normalisation liées à une réglementation nationale, a fortiori, elle doit être compétente pour se prononcer, par la voie préjudicielle, sur la compatibilité des normes techniques harmonisées du CEN avec cette interdiction et pour interpréter celles-ci ainsi que la directive qui y renvoie.

61.      Enfin, la compétence de la Cour pour interpréter ce type de normes techniques s’impose, à mon sens, eu égard à la flexibilité dont elle a fait preuve en répondant à des questions préjudicielles relatives à divers actes produisant des effets juridiques autres que des règlements, directives et décisions. Dans l’arrêt Grimaldi (46), par exemple, s’agissant d’une recommandation adoptée sur la base du traité CEE, la Cour a jugé que «l’article 177 [lui attribuait] la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté, sans exception aucune» (47). La Cour a récemment appliqué la même approche flexible dans l’arrêt Gauweiler e.a., dans lequel elle a répondu, par la voie préjudicielle, aux doutes que le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) nourrissait concernant le programme OMT («Outright Monetary Transactions», opérations monétaires sur titres), qui était un acte atypique (48).

62.      Je considère, en définitive, que la norme EN 13242:2002, qui trouve son origine dans le mandat M/125 donné par la Commission en application de la directive 89/106 et de la directive 98/34, produit des effets juridiques dans le marché intérieur et que la Cour est compétente pour l’interpréter. Plus particulièrement, lorsqu’un produit (granulats de construction) satisfait à la norme harmonisée, il bénéficie d’une présomption de conformité aux exigences prévues par la directive 89/106, ce qui facilite sa commercialisation sans entraves dans le marché intérieur.

63.      Eu égard aux arguments qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle, sous a), de la manière suivante: lorsque les termes d’un contrat de droit privé obligent une partie à fournir un produit ayant été fabriqué conformément à une norme technique nationale adoptée en application d’une norme technique harmonisée adoptée par le CEN sur mandat de la Commission, la Cour est compétente pour se prononcer par la voie préjudicielle sur l’interprétation de cette norme technique harmonisée.

B –    Sur la première question préjudicielle, sous b): méthodes de preuve du respect de la norme harmonisée EN 13242:2002

64.      La Supreme Court (Cour suprême) souhaite savoir si la norme EN 13242:2002 exige que son respect soit établi a) en employant uniquement les méthodes de preuve de la conformité visées dans cette norme et mises en œuvre au moment de la fabrication ou de la fourniture du produit, ou b) par d’autres formes de preuve utilisées postérieurement, si les résultats de celles‑ci démontrent logiquement le non‑respect de ladite norme.

65.      Pour la Supreme Court (Cour suprême), le respect ou la violation de la norme EN 13242:2002 peut être déterminé au moment de la fabrication ou de la fourniture du produit, mais également pendant sa durée de vie économiquement raisonnable et par tout moyen de preuve logiquement probant. James Elliott, l’Irlande et la Commission sont du même avis, tandis qu’Irish Asphalt estime que la norme EN 13242:2002 permet uniquement d’employer la méthode de preuve qu’elle vise, et uniquement au moment de la fabrication ou de la fourniture du produit.

66.      Le mandat M/125 (chapitre II, point 9) chargeait le CEN d’inclure, dans la norme harmonisée, la référence à la méthode ou aux méthodes d’essai permettant de déterminer les caractéristiques d’un produit et sa conformité aux spécifications techniques de la norme. De même, le chapitre III, point 2, indiquait que «[l]a norme harmonisée contiendra: […] les méthodes (calcul, méthodes d’essai ou autres) ou la référence à une norme contenant les méthodes de détermination de ces caractéristiques».

67.      La norme EN 13242:2002 indique, à l’article 6, les méthodes d’essai nécessaires à son application et cite celles prévues par différentes normes européennes non harmonisées du CEN (les normes EN 1097‑2:1998, EN 1367‑2 et EN 1744‑1:1998) (49). Il s’agit donc d’un cas d’intégration, par renvoi, du contenu de normes techniques européennes non harmonisées à une norme technique harmonisée. Cette pratique est habituelle dans la normalisation technique du secteur de la construction, parce que, dans ce secteur, plus que les caractéristiques intrinsèques d’un matériau, ce sont les méthodes d’analyse de ses résultats pour la sécurité des bâtiments qu’il importe de déterminer (50).

68.      Sans qu’il soit nécessaire d’analyser plus en détail ce type de renvoi, il me semble clair que l’emploi des méthodes d’essai, dont l’utilisation est volontaire, facilite la preuve du respect des spécifications techniques de la norme harmonisée au moment de la commercialisation ou de la fourniture du produit, ce qui lui permet de bénéficier de la présomption de conformité à la directive 89/106 et de jouir du droit de libre circulation. Cette preuve pourrait être apportée en employant d’autres types d’essais valables sur le plan technique, possibilité à laquelle la norme EN 13242:2002 ne s’oppose pas.

69.      Qui plus est, je considère qu’un produit de construction (les granulats de la présente affaire) peut être soumis à des essais tendant à démontrer le respect des spécifications techniques de la norme EN 13242:2002 non seulement au moment de sa commercialisation par le producteur, mais également pendant la période de viabilité économique de la marchandise. Cela découle de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 89/106, aux termes duquel les exigences essentielles ont une incidence sur les produits et doivent être respectées pendant «une durée de vie raisonnable du point de vue économique».

70.      La clause de sauvegarde de l’article 21 de la directive 89/106 aboutit au même résultat, puisqu’un État membre ne peut retirer du marché un produit auparavant déclaré conforme à ladite directive que s’il effectue des essais postérieurement et découvre que, en réalité, ce produit ne satisfait pas aux exigences essentielles de sécurité prévues par celle-ci. Si les tests de conformité pouvaient uniquement être effectués au moment de la commercialisation initiale, le producteur aurait un contrôle presque absolu sur eux, étant donné le coût économique que l’acheteur devrait supporter pour soumettre les biens acquis à ces essais. La présomption de conformité à la directive 89/106 ne serait plus juris tantum, mais deviendrait presque irréfragable, comme James Elliott l’a affirmé dans ses observations.

71.      Je suggère donc de répondre à la première question préjudicielle, sous b), de la manière suivante: il convient d’interpréter la norme harmonisée EN 13242:2002 en ce sens qu’elle permet d’établir le non-respect de ses spécifications techniques au moyen d’autres méthodes d’essai que celles qu’elle prévoit expressément, et que les unes et les autres méthodes peuvent être utilisées à tout moment au cours de la période de viabilité économique du produit.

C –    Sur la troisième question préjudicielle: la présomption d’aptitude à l’usage des produits conformes à la directive 89/106

72.      Par sa troisième question, la Supreme Court (Cour suprême) désire savoir si la présomption d’aptitude à l’usage d’un matériau de construction, conférée en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 89/106, s’impose également pour déterminer la qualité marchande de ce produit, lorsque cette qualité est exigée par une réglementation nationale générale applicable à la vente de biens.

73.      Toutes les parties à la procédure, à l’exception d’Irish Asphalt, proposent de répondre à cette question par la négative, et je partage cette position. La présomption d’aptitude à l’usage prévue à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 89/106 vaut dans le cadre de cet acte de l’Union et pour la commercialisation du produit dans le marché intérieur sans obstacles techniques. En toute logique, la Cour est compétente pour interpréter la présomption et toutes les dispositions de la directive 89/106 y afférentes. Toutefois, cette présomption n’est pas transposable et ne peut pas être employée pour déterminer la qualité marchande d’un produit de construction, lorsqu’il s’agit d’appliquer une réglementation nationale telle que celle qui régit la vente de biens en Irlande aux relations d’affaires privées.

74.      Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer par la voie préjudicielle sur l’interprétation des lois nationales ni, partant, sur les éléments permettant d’apprécier la qualité marchande des marchandises selon la législation nationale au regard de laquelle les juridictions doivent examiner les manquements à des contrats de droit privé.

75.      Par conséquent, je suggère à la Cour de répondre à la troisième question préjudicielle de la manière suivante: la présomption d’aptitude à l’usage des produits de construction que la directive 89/106 prévoit afin de faciliter la libre circulation de ces produits dans le marché intérieur ne saurait servir à apprécier leur qualité marchande aux fins de l’application d’une loi nationale relative à la vente de biens.

D –    Sur la quatrième question préjudicielle: la teneur maximale en soufre prescrite par la norme EN 13242:2002

76.      Par sa quatrième question préjudicielle, la Supreme Court (Cour suprême) souhaite savoir si la norme EN 13242:2002 prescrit une limite à la teneur totale en soufre des granulats (ou si une telle limite peut être prescrite conformément à cette norme), qui constitue une condition devant être respectée pour bénéficier de la présomption d’aptitude à l’usage.

77.      La réponse à cette question est, en principe, négative. L’article 6.3 de la norme EN 13242:2002 prévoit l’obligation de déclarer la teneur en soufre totale des granulats, mais ne soumet pas la présence de cette substance à un plafond de 1 %. Le tableau 13, visé à l’article 6.3, se réfère aux «Granulats autres que le laitier de haut fourneau refroidi dans l’air» (à savoir les granulats en cause en l’espèce) et envisage la possibilité qu’ils contiennent soit moins de 1 % de soufre, soit plus de 1 % de soufre. À mon sens, cet article ne laisse planer aucun doute.

78.      En 2004, la NSAI a publié un guide d’utilisation de la norme EN 13242:2002, sur la base de la note 3 de l’article 6.1 de la norme EN 13242:2002, qui renvoie aux dispositions nationales en vigueur sur le lieu d’utilisation du granulat pour des applications spécifiques de celui‑ci. Ce guide limite la teneur en soufre total des granulats en question à 1 %. Je crois, néanmoins, que la note 3 susvisée n’autorise pas à fixer cette limite absolue.

79.      À mon sens, le contenu d’une norme technique nationale qui transcrit une norme technique harmonisée du CEN ne saurait contredire cette dernière. Si la norme EN 13242:2002 ne soumet pas la quantité de soufre présente dans les granulats à une valeur maximale, l’organisme de normalisation d’un État membre ne saurait imposer une limite absolue de 1 %. Cette contrainte irait à l’encontre de l’effet utile de la norme harmonisée, qui pourrait être appliquée de manière différente dans chaque État membre, au détriment de l’objectif de la directive 89/106, qui consiste à favoriser la libre circulation des produits de construction dans le marché intérieur. L’article 17, paragraphe 5, du règlement no 305/2011 l’énonce désormais clairement: «les normes nationales incompatibles sont retirées et les États membres mettent fin à la validité de toutes les dispositions nationales incompatibles».

80.      Par conséquent, je propose de répondre à la quatrième question comme suit: la norme harmonisée EN 13242:2002 ne soumet pas la teneur totale en soufre des granulats à une limite de 1 % et toute norme technique nationale contraire doit être écartée.

E –    Sur la cinquième question préjudicielle: l’utilisation du marquage «CE»

81.      Par ailleurs, la Supreme Court (Cour suprême) désire savoir s’il est nécessaire de démontrer que le produit porte la marque «CE» pour bénéficier de la présomption créée à l’annexe ZA de la norme EN 13242:2002 ou l’article 4 de la directive 89/106. Il s’agit donc de déterminer si la marque «CE» est une condition à l’application de la présomption de conformité à la directive 89/106 aux granulats de construction ou si, au contraire, cette marque constitue seulement une preuve que les exigences prévues par cette directive sont respectées.

82.      Contrairement à ce que James Elliott et l’Irlande ont soutenu dans leurs observations, j’estime que la marque «CE» n’est qu’un moyen de preuve du respect des exigences essentielles prévues par la directive 89/106 et non une condition pour établir ledit respect. Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 89/106, la marque «CE» informe du fait qu’un produit est conforme aux normes nationales qui transposent les normes harmonisées et apte à l’usage prévu (51). Aux termes du paragraphe 6 de ce même article, la marque «CE» signifie que les produits répondent aux exigences de l’article 4, paragraphes 2 et 4, et c’est au fabricant ou à son mandataire qu’il incombe de l’apposer, bien que l’article 15 impose aux États membres de veiller à l’utilisation correcte de la marque «CE» et leur permette d’en interdire l’utilisation lorsqu’il est constaté que celle-ci a été apposée indument sur un produit qui ne satisfait pas ou ne satisfait plus aux exigences de la directive 89/106. Enfin, la Cour a jugé qu’un État membre ne pouvait pas exiger que des produits de construction utilisant et portant correctement la marque «CE» portent un marquage national supplémentaire sous prétexte que les normes harmonisées sont incomplètes (52).

83.      La marque «CE» constitue donc une déclaration, par la personne physique ou morale responsable de son apposition, que le produit est conforme aux dispositions applicables de la directive 89/106 et de la norme EN 13242:2002 et qu’il a fait l’objet des procédures d’évaluation pertinentes. Le fabricant est responsable in fine de la conformité du produit à la directive et de l’apposition de la marque «CE» à l’issue de la procédure d’évaluation de la conformité de ce produit. Le marquage «CE» n’est donc qu’une manière de faire savoir que les granulats satisfont aux exigences de la directive 89/106 et de la norme EN 13242:2002, afin de faciliter leur commercialisation (53).

84.      Dans la réglementation générale postérieure (inapplicable au cas d’espèce), le marquage «CE» a été renforcé et est devenu le seul moyen d’attester la conformité du produit avec les exigences applicables définies dans la législation communautaire d’harmonisation. C’est ce que prévoient l’article 30, paragraphe 4, du règlement (CE) no 765/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 9 juillet 2008, fixant les prescriptions relatives à l’accréditation et à la surveillance du marché pour la commercialisation des produits et abrogeant le règlement (CEE) no 339/93 du Conseil (JO L 218, p. 30), qui inclut la définition, le format et les principes généraux qui régissent le marquage «CE», ainsi que la décision 768/2008 applicable aux procédures d’évaluation de la conformité qui aboutissent à son apposition (54). L’usage exclusif du marquage «CE» pour les produits de construction apparaît également à l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 305/2011.

85.      La jurisprudence de la Cour relative à la directive 89/106 existante à ce jour plaide en faveur de l’interprétation que je propose, puisque, aux termes de l’arrêt Elenca (55), une réglementation nationale interdisant de manière automatique et absolue la commercialisation sur le territoire national de produits légalement commercialisés dans d’autres États membres, dès lors que lesdits produits n’ont pas de marquage «CE», n’est pas compatible avec l’exigence de proportionnalité posée par le droit de l’Union. Dans cet arrêt, la Cour nie donc tout caractère matériel au marquage «CE» et lui confère une nature probatoire.

86.      Par conséquent, je suggère de répondre à la cinquième question de la juridiction de renvoi de la manière suivante: le marquage «CE» constitue non pas une condition, mais seulement un moyen de prouver qu’un granulat respecte les exigences de la directive 89/106 et de la norme harmonisée EN 13242:2002.

F –    Sur la deuxième question préjudicielle: l’application de la directive 98/34 et de la jurisprudence CIA Security International et Unilever

87.      La Supreme Court (Cour suprême) souhaite savoir si elle est tenue d’écarter l’application de dispositions de droit national qui établissent des conditions implicites concernant la qualité marchande et l’aptitude à l’emploi ou la qualité au motif qu’il s’agit de règles techniques qui n’ont pas fait l’objet d’une notification conformément à la directive 98/34.

88.      De même que toutes les parties qui ont présenté des observations, à l’exception d’Irish Asphalt, je considère que la réponse à cette question s’impose clairement. Une réglementation nationale, telle que l’article 14, paragraphe 2, de la loi de 1893 telle que modifiée en 1980, en vertu de laquelle les contrats sont soumis – avec la possibilité d’une exclusion par accord des parties – à une clause implicite relative à la qualité marchande des produits ne correspond pas à la définition de la notion de «règle technique» énoncée dans la directive 98/34. Par conséquent, la jurisprudence CIA Security International et Unilever (56) n’est pas applicable à cette réglementation et, pour la même raison, il n’est pas nécessaire que celle-ci fasse l’objet d’une notification préalable à la Commission à l’état de projet.

89.      L’argument d’Irish Asphalt selon lequel l’arrêt de la High Court (Haute Cour) aurait dû être notifié à la Commission, parce qu’il constituerait une règle technique de facto, est dépourvu de fondement solide. Dans cet arrêt, la Cour s’est limitée à appliquer la loi irlandaise à un cas concret, à la seule fin de trancher un litige opposant des sociétés commerciales au regard du contrat conclu par celles‑ci, y compris de ses clauses implicites.

90.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle de l’article 1er, point 11, de la directive 98/34 que la notion de «règle technique» se décompose en trois catégories, à savoir, en premier lieu, la «spécification technique» au sens de l’article 1er, point 3, de ladite directive, en deuxième lieu, l’«autre exigence» telle que définie à l’article 1er, point 4, de cette directive et, en troisième lieu, l’interdiction de fabrication, d’importation, de commercialisation ou d’utilisation d’un produit visée à l’article 1er, point 11, de la même directive (57). La réglementation irlandaise – et a fortiori l’arrêt de la High Court (Haute Cour) – ne constitue pas une mesure législative interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit.

91.      L’article 14, paragraphe 2, de la loi de 1893 (pas plus, j’insiste, que l’arrêt qui l’a appliqué à un contrat déterminé) ne relève pas non plus de la notion de «spécification technique» au sens de l’article 1er, point 3, de la directive 98/34. Par cette notion, on entend «un document définissant les caractéristiques requises d’un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d’emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et les méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, ainsi que les procédures d’évaluation de la conformité».

92.      La Cour a précisé que la notion de «spécification technique» présupposait que la mesure nationale se référait nécessairement au produit ou à son emballage en tant que tels et fixait, dès lors, l’une des caractéristiques requises d’un produit (58). La réglementation irlandaise en cause ne mentionne pas les caractéristiques d’un produit et n’a aucune incidence sur son emballage ou sa présentation, puisqu’elle se borne à signaler, en des termes abstraits, que, dans les relations contractuelles, le produit vendu est réputé être de qualité marchande. Elle ne concerne donc aucun produit en particulier et constitue une règle s’appliquant de manière générale à la vente de tout produit, de telle sorte qu’elle ne relève pas de la notion de «spécification technique» au sens de la directive 98/34.

93.      Pour des raisons analogues, l’article 14, paragraphe 2, de la loi de 1893 ne saurait être inclus dans les «autres exigences» aux fins de la directive 98/34, puisqu’il ne s’agit pas d’une «exigence autre qu’une spécification technique, imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou d’élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation».

94.      Par conséquent, je suggère de répondre à la deuxième question préjudicielle comme suit: une disposition nationale telle que l’article 14, paragraphe 2, de la loi irlandaise sur la vente de biens de 1893, telle que modifiée en 1980, ne saurait être considérée comme une «règle technique» au sens de la directive 98/34, et la jurisprudence CIA Security International (C‑194/94, EU:C:1996:172) et Unilever (C‑443/98, EU:C:2000:496) ne lui est pas applicable.

IV – Conclusion

95.      Eu égard aux raisonnements qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par la Supreme Court (Cour suprême) de la manière suivante:

1)      Lorsque les termes d’un contrat de droit privé obligent une partie à fournir un produit ayant été fabriqué conformément à une norme technique nationale adoptée en application d’une norme technique harmonisée adoptée par le Comité européen de normalisation (CEN) sur mandat de la Commission européenne, la Cour est compétente pour se prononcer par la voie préjudicielle sur l’interprétation de cette norme technique harmonisée.

2)      La norme harmonisée EN 13242:2002 doit être interprétée en ce sens qu’elle permet d’établir le non-respect de ses spécifications techniques au moyen d’autres méthodes d’essai que celles qu’elle prévoit expressément, et que les unes et les autres méthodes peuvent être utilisées à tout moment de la période de viabilité économique du produit.

3)      La présomption d’aptitude à l’usage des produits de construction que la directive 89/106/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les produits de construction prévoit afin de faciliter la libre circulation de ces produits dans le marché intérieur ne saurait servir à apprécier leur qualité marchande aux fins de l’application d’une loi nationale relative à la vente de biens.

4)      La norme harmonisée EN 13242:2002 ne soumet pas la teneur totale en soufre des granulats à une limite de 1 % et toute norme technique nationale contraire doit être écartée.

5)      Le marquage «CE» constitue non pas une condition, mais seulement un moyen de prouver qu’un granulat respecte les exigences de la directive 89/106 et de la norme harmonisée EN 13242:2002.

6)      Une disposition nationale telle que l’article 14, paragraphe 2, de la loi irlandaise sur la vente de biens de 1893, telle que modifiée en 1980, ne saurait être considérée comme une «règle technique» au sens de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques, et la jurisprudence CIA Security International (C‑194/94, EU:C:1996:172) et Unilever (C‑443/98, EU:C:2000:496) ne lui est pas applicable.


1 – Langue originale: l’espagnol.


2 – JO L 40, p. 12.


3 – JO L 204, p. 37.


4 – Note sans objet dans la version en langue française.


5 – Règlement du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction et abrogeant la directive 89/106 du Conseil (JO L 88, p. 5).


6 – EN 13242:2002 + A1:2007.


7 – JO L 109, p. 8.


8 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 217, p. 18).


9 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015 (JO L 241, p. 1).


10 – JO C 136, p. 1.


11 – Aux termes de l’article 7 de la directive 89/106:


      «1.      Pour assurer la qualité des normes harmonisées applicables aux produits, celles-ci doivent être établies par les organismes européens de normalisation selon les mandats que leur donne la Commission selon la procédure prévue par la directive 83/189/CEE et, après consultation du comité visé à l’article 19, conformément aux orientations générales concernant la coopération entre la Commission et ces organismes, signées le 13 novembre 1984.


      2.      Les normes ainsi établies doivent, compte tenu des documents interprétatifs, être exprimées, autant que possible, en termes de performance des produits.


      3.      Dès que les normes ont été établies par les organismes européens de normalisation, la Commission en publie les références au Journal officiel des Communautés européennes, série C.»


12 –      La clause de sauvegarde de l’article 21, paragraphe 1, de la directive 89/106 prévoit expressément que, «[l]orsqu’un État membre constate qu’un produit déclaré conforme à la présente directive ne satisfait pas aux exigences des articles 2 et 3, il prend toutes mesures utiles pour retirer ce produit du marché, pour interdire sa mise sur le marché ou pour en restreindre la libre circulation».


13 – M/125: mandat donné au CEN/Cenelec pour la réalisation de travaux de normalisation visant à établir des normes harmonisées pour les granulats. Seules les versions en langues anglaise, française et allemande sont disponibles sur le site Internet de la Commission relatif aux mandats d’harmonisation à l’adresse suivante: http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/mandates/index.cfm?fuseaction=search.detail&id=249&lang=fr. Le mandat M/125 a été modifié le 29 juin 2010, M/125 rev.1 FR.


14 – Aux termes de l’avant-propos du mandat M/125, «[l]e présent mandat est destiné à élaborer des dispositions en vue de l’établissement de normes européennes harmonisées de qualité afin, d’une part, de ‘rapprocher’ les éventuelles dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales (ci‑après dénommées ‘réglementations’) et, de l’autre, de faire en sorte que les produits conformes à ces normes soient réputés aptes à l’utilisation à laquelle ils sont destinés, comme le stipule la Directive».


15 – Le chapitre II, points 8 et 9, de ce mandat énonce:


      «8.      Les comités techniques du CEN doivent apporter une réponse technique à la détermination des caractéristiques du mandat, en tenant compte des conditions énoncées ci-dessous. Les méthodes d’essai suggérées doivent être directement liées aux caractéristiques pertinentes requises et ne doivent pas faire référence aux méthodes de détermination des caractéristiques non couvertes par le mandat. Les exigences de durabilité doivent être traitées dans le cadre de l’état actuel de la technique.


      9.      La référence aux méthodes d’essai et de calcul doit être conforme à l’harmonisation recherchée. En règle générale, une seule méthode doit être mentionnée pour la détermination de chaque caractéristique, pour un produit donné ou une famille de produits.


      Toutefois, si plus d’une méthode est mentionnée, pour des raisons valables, pour un produit ou une famille de produits, en vue de la détermination de la même caractéristique, la situation doit le justifier. Dans ce cas, toutes les méthodes mentionnées doivent être reliées par la conjonction ‘ou’ et une indication de l’application doit être donnée.


      Dans tous les autres cas, deux ou plusieurs méthodes d’essai ou de calcul peuvent être acceptées pour la détermination d’une caractéristique si et seulement si une corrélation existe ou peut être établie entre elles. La norme harmonisée pertinente doit alors en désigner une comme méthode de référence.


      Les méthodes d’essai et/ou de calcul doivent, chaque fois que possible, avoir un caractère horizontal et couvrir la gamme de produits la plus large possible.»


16 – Le chapitre III, point 2, dispose notamment:


      «La norme harmonisée contiendra:


      […]


      les méthodes (calcul, méthodes d’essai ou autres) ou la référence à une norme contenant les méthodes de détermination de ces caractéristiques».


17 – Plus précisément: «[c]ette Norme européenne comporte par référence datée ou non datée des dispositions d’autres publications. Ces références normatives sont citées aux endroits appropriés dans le texte et les publications sont énumérées ci-après.» Il s’agit notamment des normes EN 1097‑2:1998 – Essais pour déterminer les caractéristiques mécaniques et physiques des granulats. Partie 2: Méthodes pour la détermination de la résistance à la fragmentation; EN 1367‑2 – Essais pour déterminer les propriétés thermiques et l’altérabilité des granulats. Partie 2: Essai au sulfate de magnésium, et EN 1744‑1:1998 – Essais pour déterminer les propriétés chimiques des granulats. Partie 1: Analyse chimique.


18 – En vertu du point ZA.1 de l’annexe ZA de la norme EN 13242:2002:


      «La présente Norme européenne a été élaborée dans le cadre du mandat […] donné au CEN par la Commission européenne et l’Association Européenne de Libre Échange [AELE].


      Les articles de cette norme européenne figurant dans la présente annexe répondent aux exigences du Mandat donné dans le cadre de la Directive UE relative aux Produits de construction (89/106/CEE).


      La conformité à ces articles confère aux granulats traités dans la présente norme européenne une présomption d’aptitude aux usages prévus indiqués dans le présent document; il doit être fait référence aux informations accompagnant le marquage CE».


19 – Communication de la Commission dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 89/106/CEE du Conseil (JO C 75, p. 8).


20 – La directive 98/34, telle que modifiée par la directive 94/48, donne les définitions suivantes à l’article 1er:


      «[…]


      3)      ‘spécification technique’: une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d’un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d’emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et les méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, ainsi que les procédures d’évaluation de la conformité.


      […]


      4)      ‘autre exigence’: une exigence, autre qu’une spécification technique, imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou d’élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation;


      […]


      6)      ‘norme’: une spécification technique approuvée par un organisme reconnu à activité normative pour application répétée ou continue, dont l’observation n’est pas obligatoire et qui relève de l’une des catégories suivantes:


      –      norme internationale: norme qui est adoptée par une organisation internationale de normalisation et qui est mise à la disposition du public,


      –      norme européenne: norme qui est adoptée par un organisme européen de normalisation et qui est mise à la disposition du public,


      –      norme nationale: norme qui est adoptée par un organisme national de normalisation et qui est mise à la disposition du public;


      […]


      11)      ‘règle technique’: une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 10, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.


      […]»


21 – Règlement du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relatif à la normalisation européenne, modifiant les directives 89/686/CEE et 93/15/CEE du Conseil ainsi que les directives 94/9/CE, 94/25/CE, 95/16/CE, 97/23/CE, 98/34/CE, 2004/22/CE, 2007/23/CE, 2009/23/CE et 2009/105/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la décision 87/95/CEE du Conseil et la décision no 1673/2006/CE du Parlement européen et du Conseil (JO L 316, p. 12).


22 – L’article 8 de la directive 98/34 est rédigé comme suit:


      «1.      Sous réserve de l’article 10, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet.


      […]


      La Commission porte aussitôt le projet de règle technique et tous les documents qui lui ont été communiqués à la connaissance des autres États membres. Elle peut aussi soumettre le projet pour avis au comité visé à l’article 5 et, le cas échéant, au comité compétent dans le domaine en question.


      […]


      2.      La Commission et les États membres peuvent adresser à l’État membre qui a fait part d’un projet de règle technique des observations dont cet État membre tiendra compte dans la mesure du possible lors de la mise au point ultérieure de la règle technique.


      3.      Les États membres communiquent sans délai à la Commission le texte définitif d’une règle technique.


      […]»


23 – Voir, notamment, arrêt Leur-Bloem, C‑28/95, EU:C:1997:369, point 27.


24 – Arrêt Latchways et Eurosafe Solutions, C‑185/08, EU:C:2010:619, point 36.


25 – Note sans objet dans la version en langue française.


26 – Arrêt Latchways et Eurosafe Solutions, C‑185/08, EU:C:2010:619, point 35.


27 – Aux termes de l’article 1er de ses statuts, «[i]l est constitué une association internationale sans but lucratif (AISBL), avec le numéro d’entreprise 0415.455.651, régie par les lois coordonnées relatives aux associations sans but lucratif, aux associations internationales sans but lucratif et aux fondations». Le texte des statuts du CEN, approuvés par l’assemblée générale extraordinaire du 22 juillet 2013, est disponible en langues française, anglaise et allemande. La version en langue française peut être consultée à l’adresse suivante: ftp://ftp.cencenelec.eu/CEN/AboutUs/Statutes/Statuts_CEN_FR_20140213.pdf.


28 – Comme le prévoit l’article 10, paragraphe 3, du règlement (UE) no 1024/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur et abrogeant la décision 2008/49/CE de la Commission (règlement «IMI») (JO L 316, p. 1).


29 – Voir, pour de plus amples détails, document de la Commission, Guide relatif à la mise en application des directives élaborées sur la base des dispositions de la nouvelle approche et de l’approche globale, 2000.


30 – Voir, à cet égard, Álvarez García, V., Industria, Iustel, Madrid, 2010; Aubry, H., Brunet, A., Peraldi Leneuf, F., La normalisation en France et dans l’Union européenne, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2012; Scheppel, H., The Constitution of Private Governance: Products Standards in the Regulation of Integrating Markets, Hart Publishing, Oxford, 2005.


31 – Voir, notamment, arrêts Commission/Portugal, C‑432/03, EU:C:2005:669; Commission/Belgique, C‑227/06, EU:C:2008:160; Ascafor et Asidac, C‑484/10, EU:C:2012:113, ainsi qu’Elenca, C‑385/10, EU:C:2012:634.


32 – Selon les données fournies par la Commission, le pourcentage de normes harmonisées parmi les normes techniques européennes adoptées par le CEN, le Cenelec et l’European Telecommunications Standards Institute (ETSI) est passé de 3,55 % en 1989 à 20 % en 2009 [SEC(2011) 671 final, p. 6].


33 – C-185/08, EU:C:2010:619.


34 – Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) (BGH, 30 juin 1983, GRUG, 1984, p. 117 à 119) et le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) (BVerfGE, 29 juillet 1998, ZUM 1998, p. 926) ont considéré que les normes techniques du Deutsches Institut für Normung (DIN) (Institut de normalisation) n’étaient pas couvertes par des droits de propriété intellectuelle et devaient faire l’objet d’une publication. En revanche, le Hoge Raad der Nederlander (Cour suprême des Pays-Bas) (Hoge Raad, 22 juin 2012, LNJ:BW0393) a jugé, dans l’arrêt Knooble, que les normes techniques du Nederlands Normalisatie Instituut (NEN) (Institut de normalisation) étaient couvertes par de tels droits et qu’il n’était pas obligatoire de les publier officiellement. Voir analyse de Van Gestel, R., et Micklitz, H.-W., «European integration through standardization: How judicial review is breaking down the club house of private standardization bodies», Common Market Law Review, 2013, no 1, p. 145‑182.


35 – Au point 54 du récent arrêt Balázs, C‑251/14, EU:C:2015:687, la Cour a interprété l’article 1er, point 6, de la directive 98/34 en ce sens qu’il n’exigeait pas qu’une norme au sens de cette disposition soit rendue disponible dans la langue officielle de l’État membre concerné. Cette affaire portait sur la norme hongroise MSZ EN 590:2009, relative à la spécification du point éclair du carburant diesel, qui visait à transposer la norme européenne EN 590:2009 et qui avait été rendue obligatoire en droit hongrois en vertu de l’article 110, paragraphe 13, de la loi sur les droits d’accise. La norme nationale MSZ EN 590:2009 était disponible non pas en langue hongroise, mais seulement en langue anglaise.


36 – L’article 10, paragraphe 6, du règlement no 1025/2012 dispose que «[l]orsqu’une norme harmonisée répond aux exigences qu’elle vise à couvrir et qui sont définies dans la législation correspondante d’harmonisation de l’Union, la Commission publie une référence à cette norme harmonisée sans retard au [Journal officiel] ou par d’autres biais, dans le respect des conditions fixées dans l’acte correspondant de la législation d’harmonisation de l’Union». De même, l’article 17, paragraphe 5, du règlement no 305/2011 énonce clairement que «[l]a Commission évalue la conformité des normes harmonisées établies par les organismes européens de normalisation avec les mandats correspondants. La Commission publie au [Journal officiel] la liste des références des normes harmonisées qui sont conformes aux mandats correspondants.» Voir Schepel, H., «The new approach to the New Approach: The juridification of harmonized standards in EU law», Maastricht Journal of European and Comparative Law, 2013, no 4, p. 531.


37 – L’article 11 du règlement no 1025/2012 dispose, en ce qui concerne les objections élevées à l’encontre des normes harmonisées:


      «1.      Lorsqu’un État membre ou le Parlement européen estime qu’une norme harmonisée ne satisfait pas entièrement aux exigences qu’elle a pour objet de couvrir et qui sont définies dans la législation d’harmonisation de l’Union correspondante, il en informe la Commission et lui fournit une explication détaillée et la Commission, après avoir consulté, s’il existe, le comité créé par la législation correspondante d’harmonisation de l’Union ou après avoir utilisé d’autres formes de consultation des experts sectoriels, décide:


      a)      de publier, de ne pas publier ou de publier partiellement les références à la norme harmonisée concernée au [Journal officiel];


      b)      de maintenir, de maintenir partiellement les références à la norme harmonisée concernée au [Journal officiel] ou de retirer lesdites références.


      2.      La Commission publie sur son site internet des informations sur les normes harmonisées ayant fait l’objet de la décision visée au paragraphe 1.


      3.      La Commission informe l’organisation européenne de normalisation concernée de la décision visée au paragraphe 1 et, si nécessaire, demande la révision des normes harmonisées en cause.


      […]»


38 – Voir ordonnance Schmoldt e.a./Commission, C‑342/04 P, EU:C:2005:562, dans laquelle la Cour a jugé que les requérants de cette affaire n’avaient pas qualité pour former un recours en annulation contre la décision 2003/312/CE de la Commission, du 9 avril 2003, relative à la publication de la référence des normes en matière de produits isolants thermiques, géotextiles, installations fixes de lutte contre l’incendie et carreaux de plâtre conformément à la directive 89/106 du Conseil (JO L 114, p. 50), par laquelle la Commission avait rejeté l’objection déposée par la République fédérale d’Allemagne en application de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive à l’encontre de ces dix normes du CEN relatives à des produits d’isolation thermique, portant les numéros EN 13162:2001 à EN 13171:2001.


39 – Je me contenterai ici de noter que certains auteurs entretiennent des doutes concernant la compatibilité avec la jurisprudence Meroni de l’utilisation, par le législateur de l’Union, dans les directives «nouvelle approche» des méthodes de renvoi aux normes techniques harmonisées. Voir Hofmann, H., Rowe, G., Türk, A., Administrative Law and Policy of the European Union, Oxford University Press, 2011, p. 598 à 600.


40 – La majorité des organismes de normalisation respectent les principes de normalisation établis à l’annexe 3 de l’accord sur les obstacles techniques au commerce (annexe 1A des Accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986/1994) (JO 1994, L 336, p. 1, ci-après l’«accord OTC»), qui contient le code de pratique pour l’élaboration, l’adoption et l’application des normes, dont le texte est disponible à l’adresse suivante: https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/17-tbt_f.htm#ann3. Les articles 2 et 5 de l’accord OTC et l’annexe 3 ont été mis en œuvre par la décision du comité OTC sur les principes devant régir l’élaboration de normes, guides et recommandations internationaux en rapport avec les articles 2 et 5 et l’annexe 3 de l’accord OTC, G/TBT/9, du 13 novembre 2000. Ces principes fondamentaux sont la transparence, l’ouverture, l’impartialité et le consensus, l’efficacité, la pertinence et la cohérence.


41 – Orientations générales pour la coopération entre le CEN, le Cenelec et l’ETSI et la Commission Européenne et l’Association Européenne de Libre-Échange – 28 mars 2003 (JO C 91, p. 7). Les premières orientations ont été adoptées le 13 novembre 1985.


42 – Voir communication COM(2011) 311 final de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen intitulée «Une vision stratégique pour les normes européennes: aller de l’avant pour améliorer et accélérer la croissance durable de l’économie européenne à l’horizon 2020».


43 – Décision du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 2006 relative au financement de la normalisation européenne (JO L 315, p. 9). Cette décision a été abrogée et ses dispositions ont été incorporées aux articles 15 à 19 du règlement no 1025/2012.


44 – Cette option a été expressément écartée au cours des travaux préparatoires du règlement no 1025/2012. Voir document SEC(2011) 671 final, p. 24.


45 – C‑171/11, EU:C:2012:453, point 32. Cette affaire portait sur un organisme privé de normalisation allemand qui élaborait des normes techniques dans le secteur du gaz et de l’eau, selon un système analogue à celui des directives «nouvelle approche», puisque l’organisme allemand avait rédigé la norme technique W 534 et la législation allemande prévoyait que les produits utilisés pour le montage, l’extension, la modification et l’entretien d’installations clients raccordées au réseau public de fourniture d’eau étaient réputés conformes aux règles reconnues de la technique s’ils respectaient ladite norme technique W 534. Dans ce contexte, d’après la juridiction de renvoi, la disposition de l’article 12, paragraphe 4, du règlement relatif aux conditions générales de la fourniture d’eau (Verordnung über Allgemeine Bedingungen für die Versorgung mit Wasser), du 20 juin 1980 (BGBl. 1980 I, p. 750), rendait la commercialisation en Allemagne de tuyauteries et de produits connexes de distribution d’eau potable pratiquement impossible en l’absence de certification de l’organisme de normalisation DVGW, qui attestait de la conformité à la norme technique.


46 – C-322/88, EU:C:1989:646, point 8. Voir également, en ce sens, arrêt Deutsche Shell, C‑188/91, EU:C:1993:24, point 18.


47 – Ainsi, selon l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, la Cour a confirmé sa compétence pour interpréter, par la voie préjudicielle, des instruments de «soft law» adoptés conformément au traité, en indiquant que ces actes n’étaient pas dépourvus d’effets juridiques, les juges nationaux étant donc tenus de les «prendre […] en considération» en vue de la solution des litiges qui leur étaient soumis, notamment lorsqu’ils éclairaient l’interprétation de dispositions nationales prises dans le but d’assurer leur mise en œuvre ou lorsqu’ils complétaient des dispositions communautaires ayant un caractère contraignant. Voir point 34 des conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer qu’il a présentées dans l’affaire Lodato Genaro & C., C‑415/07, EU:C:2008:658.


48 – Arrêt Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, ainsi que points 73 à 80 des conclusions de l’avocat général Cruz Villalón qu’il a présentées dans cette affaire, EU:C:2015:7.


49 – Normes EN 1097-2:1998 – Essais pour déterminer les caractéristiques mécaniques et physiques des granulats. Partie 2: Méthodes pour la détermination de la résistance à la fragmentation; EN 1367‑2 – Essais pour déterminer les propriétés thermiques et l’altérabilité des granulats. Partie 2: Essai au sulfate de magnésium, et EN 1744‑1:1998 – Essais pour déterminer les propriétés chimiques des granulats. Partie 1: Analyse chimique.


50 – Article 17, paragraphe 3, du règlement no 305/2011.


51 – Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 89/106, la marque «CE» indique également qu’un produit est conforme à un agrément technique de l’Union délivré conformément aux dispositions du chapitre III de la directive 89/106, et qu’un produit est conforme aux spécifications techniques nationales initialement communiquées à la Commission en l’absence de normes harmonisées.


52 – Arrêt Commission/Allemagne, C‑100/13, EU:C:2014:2293, point 63.


53 – Voir document de la Commission, Guide bleu relatif à la mise en œuvre de la réglementation de l’UE sur les produits, du 17 juillet 2015, p. 55 et suiv.


54 – Décision du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008 relative à un cadre commun pour la commercialisation des produits et abrogeant la décision 93/465/CEE du Conseil (JO L 218, p. 82).


55 – C-385/10, EU:C:2012:634, points 28 et 29.


56 – Arrêts CIA Security International, C‑194/94, EU:C:1996:172, et Unilever, C‑443/98, EU:C:2000:496.


57 – Voir, notamment, arrêts Lindberg, C‑267/03, EU:C:2005:246, point 54, et Schwibbert, C‑20/05, EU:C:2007:652, point 34.


58 – Voir, en ce sens, arrêts Sapod Audic, C‑159/00, EU:C:2002:343, point 30; Lindberg, C‑267/03, EU:C:2005:246, point 57, et Schwibbert, C‑20/05, EU:C:2007:652, point 35.