Language of document : ECLI:EU:T:1998:100

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

14 mai 1998 (1)

«Article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 — Responsabilité solidaire pour lepaiement de l'amende»

Dans les affaires jointes T-339/94, T-340/94, T-341/94 et T-342/94,

Metsä-Serla Oy, société de droit finlandais, établie à Helsinki,

United Paper Mills Ltd, société de droit finlandais, établie à Valkeakoski(Finlande),

Tampella Corporation, société de droit finlandais, établie à Tampere (Finlande),

Oy Kyro AB, société de droit finlandais, établie à Kyröskoski (Finlande),

représentées initialement par Mes Hans Hellmann et Hans-Joachim Voges, avocatsà Cologne, puis par Mes Hans Hellmann et Hans-Joachim Hellmann, avocat àKarlsruhe, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Loesch et Wolter,11, rue Goethe,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM.Bernd Langeheine et Richard Lyal, membres du service juridique, en qualité

d'agents, puis par M. Lyal, assisté de Me Dirk Schroeder, avocat à Cologne, ayantélu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre duservice juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 94/601/CE de laCommission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët, Mme P. Lindh,MM. A. Potocki et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 8 juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Les présentes affaires concernent la décision 94/601/CE de la Commission, du 13juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE(IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par unedécision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après«décision»). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs decarton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, dutraité.

2.
    Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation,organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtesimprimées du Royaume-Uni (ci-après «BPIF»), a déposé une plainte informelleauprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de cartonapprovisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prixsimultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'uneéventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurerla publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le

contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialiséedans le courant du mois de décembre 1990.

3.
    Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposéune plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait desobservations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceuxde la plainte déposée par la BPIF.

4.
    Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premierrèglement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après«règlement n° 17»), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissementpréalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnellesdu secteur du carton.

5.
    A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes derenseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tousles destinataires de la décision.

6.
    Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes derenseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que lesentreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins(dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, dutraité.

7.
    En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cettedernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé unecommunication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes lesentreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé àêtre entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

8.
    Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend lesdispositions suivantes:

«Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard— the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH& Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB deEendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement KoninklijkeNederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo OchDomsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA,Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper& Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA

(anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ontenfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

—    dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990au moins,

—    dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991au moins,

—    dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

—    dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertudesquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

—    se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes etinstitutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel communde restriction de la concurrence,

—    ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pourchaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

—    ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées etuniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

—    se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principauxfabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

—    ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesuresconcertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire,afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées,

—    ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, lesarrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation desmachines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractionsconstatées à l'article 1er:

[...]

v)    Finnboard — the Finnish Board Mills Association, une amende de20 000 000 d'écus, pour laquelle Oy Kyro AB est solidairement responsableavec Finnboard à concurrence de 3 000 000 d'écus, Metsä-Serla Oy àconcurrence de 7 000 000 d'écus, Tampella Corp. à concurrence de5 000 000 d'écus et United Paper Mills à concurrence de 5 000 000 d'écus;

[...]»

9.
    Les requérantes, destinataires de la décision, sont des fabricants finlandais decarton. Elles commercialisent leurs produits dans la Communauté ainsi que surd'autres marchés par l'intermédiaire de Finnish Board Mills Association —Finnboard (ci-après «Finnboard»). Finnboard est une association professionnellede droit finlandais qui comptait, en 1991, six sociétés membres, dont les sociétésrequérantes.

10.
    Il ressort du point 174 des considérants de la décision que la Commission a infligéune amende à Finnboard au motif que c'était elle, et non pas les sociétésrequérantes, qui avait participé activement et directement à l'entente. Toutefois,elle a considéré les sociétés requérantes comme solidairement responsables avecFinnboard pour le paiement de la partie de l'amende correspondantapproximativement aux ventes de carton réalisées pour le compte de chacuned'entre elles par Finnboard.

Procédure

11.
    Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 14 octobre 1994, les requérantesMetsä-Serla Oy, United Paper Mills Ltd, Tampella Corporation et Oy Kyro AB ontintroduit leurs recours. Ils ont été respectivement enregistrés sous les numérosT-339/94, T-340/94, T-341/94 et T-342/94.

12.
    Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 30mars 1995, les quatre affaires ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de laprocédure orale et de l'arrêt.

13.
    Par décision du Tribunal du 19 septembre 1995, le juge rapporteur a été affecté àla troisième chambre élargie, à laquelle l'affaire a, par conséquent, été attribuée.

14.
    La décision a fait l'objet de 17 autres recours (T-295/94, T-301/94, T-304/94,T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94,T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94), introduits par tousles autres destinataires de ladite décision, à l'exception de Rena Kartonfabrik ASet des Papeteries de Lancey SA. La requérante dans l'affaire T-301/94, LaakmannKarton GmbH, s'est cependant désistée de son recours par lettre déposée au greffedu Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par

ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301/94, nonpubliée au Recueil).

15.
    Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, nondestinataire de la décision. Cependant, elle s'est désistée par lettre déposée augreffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunalpar ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard/Commission (T-312/94, nonpubliée au Recueil).

16.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidéd'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure endemandant aux parties requérantes de répondre à certaines questions écrites et deproduire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

17.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses auxquestions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 8 juillet 1997.

Conclusions des parties

18.
    Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision dans la mesure où elle les concerne;

—    à titre subsidiaire, réduire le montant de l'amende;

—    condamner la Commission aux dépens.

19.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter les recours;

—    condamner les requérantes aux dépens.

Objet du litige

20.
    Les présents recours ne visent que l'article 3, sous v), de la décision, en vertuduquel les requérantes sont solidairement responsables avec Finnboard dupaiement de l'amende de 20 millions d'écus infligée à celle-ci, respectivement àconcurrence de 7 millions d'écus (Metsä-Serla Oy), de 5 millions d'écus (UnitedPaper Mills Ltd), de 5 millions d'écus (Tampella Corporation) et de 3 millionsd'écus (Oy Kyro AB.

Sur la demande d'annulation de la décision

Sur le moyen unique tiré d'une violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlementn° 17 et de l'article 85, paragraphe 1, du traité

Arguments des parties

21.
    Les requérantes font valoir que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17n'habilite pas la Commission à adopter une décision imposant à une entreprise laresponsabilité du paiement d'une amende à laquelle une autre entreprise a étécondamnée. Cette disposition permettrait seulement d'infliger des amendes auxentreprises ayant elles-mêmes commis l'infraction aux règles de concurrence. Or,la Commission constaterait de manière définitive, à l'article 1er de la décision, queles requérantes n'ont pas enfreint l'article 85 du traité. De plus, l'infraction à cetarticle prétendument commise par Finnboard ne leur serait pas imputée dans ladécision.

22.
    En l'espèce, la Commission aurait retenu une responsabilité du fait d'autrui, notiondistincte de la responsabilité du fait personnel. En effet, contrairement à celle-ci,la responsabilité du fait d'autrui ne serait qu'une responsabilité dérivée.

23.
    La Commission aurait tort de prétendre qu'il n'est pas indispensable de constaterque les requérantes ont commis une infraction aux règles de concurrence pour êtretenues pour solidairement responsables avec Finnboard du paiement de l'amende.En effet, les principes de légalité de l'action administrative (voir arrêt de la Courdu 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité, 42/59 et 49/59, Rec. p. 99) et de sécuritéjuridique exigeraient que la Commission prenne sa décision sur le fondement d'unebase d'habilitation. L'affirmation de la Commission selon laquelle elle aurait puégalement choisir d'infliger une amende aux requérantes serait d'ailleurs contreditepar sa propre constatation contenue au point 174 des considérants de la décision.

24.
    Les requérantes contestent aussi que la Commission ait pu les tenir poursolidairement responsables du paiement de l'amende en établissant l'existenced'une unité économique.

25.
    En premier lieu, contrairement à ce qu'affirme la Commission dans la décision,l'arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et CommercialSolvents/Commission (6/73 et 7/73, Rec. p. 223), ne serait pas transposable enl'espèce. Dans cette affaire, la Cour aurait reconnu que la société mère et sa filialeavaient enfreint ensemble les règles de concurrence et que, de ce fait, elles étaientsolidairement responsables de l'infraction. Une amende aurait dès lors été infligéeà chacune des entreprises (voir, également, arrêt de la Cour du 14 juillet 1972,ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619). Or, en l'espèce, la Commission n'aurait pasconsidéré que Finnboard constituait une unité économique, avec l'une ou l'autresociété membre ou même avec toutes les sociétés membres, au sens de l'article 85,

paragraphe 1, du traité. La jurisprudence pertinente en matière de groupes desociétés concernerait d'ailleurs l'imputabilité des comportements de marché au seindu groupe, celui-ci étant caractérisé par une structure «hiérarchisée» et par lapoursuite du même but économique.

26.
    En second lieu, la thèse selon laquelle chacune des sociétés requérantes formeraitavec Finnboard une unité économique serait dénuée de fondement. Lesrequérantes ne contrôleraient pas et ne pourraient d'ailleurs contrôler Finnboard.A cet égard, elles affirment que les sociétés membres ne participent pas au capitalde Finnboard, qu'elles ne sont pas représentées en tant que sociétés au conseild'administration, les membres de celui-ci étant choisis par toutes les sociétésmembres, et, enfin, que le conseil d'administration, bien qu'il établisse les directivesgénérales, n'est pas habilité à donner des instructions spécifiques au directeurgénéral de Finnboard. Les requérantes rappellent que l'absence de pouvoir decontrôle ou d'instruction est considérée comme significative par la jurisprudence(voir arrêt ICI/Commission, précité).

27.
    En réponse aux arguments avancés par la Commission, elles ajoutent queFinnboard règle elle-même ses frais de fonctionnement grâce aux revenus que luiprocurent les contrats de commission, et que ces frais ne sont pas couverts par lessociétés membres, contrairement à ce qu'affirme la Commission.

28.
    Enfin, elles contestent que la Commission puisse justifier sa décision en soutenantque Finnboard a agi «comme alter ego et dans l'intérêt» des requérantes. Invoquantl'arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm (170/83, Rec. p. 2999), elles fontvaloir qu'une identité d'intérêt, à supposer qu'elle existe — quod non —, ne suffit paspour conclure à l'existence d'une unité économique entre elles et Finnboard (arrêtIstituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, précité, etarrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T-102/92, Rec. p. II-17,notamment points 48 à 50). Chacune des sociétés membres de Finnboardpoursuivrait son objectif économique propre, qui ne saurait être assimilé à celuipoursuivi par Finnboard.

29.
    Dans la mesure où leur responsabilité aurait été retenue pour une gestion de fait,elles rétorquent que cette notion ne suffit pas pour satisfaire aux conditionsénoncées par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, puisque cette dernièredisposition exigerait que les destinataires de la décision aient perpétré l'infractionen tant qu'auteur ou coauteur. Même si Finnboard avait participé à une ententedans le prétendu intérêt des sociétés membres, celles-ci ne seraient pas ipso factoelles-mêmes membres de l'entente.

30.
    Enfin, ni la crainte d'un non-paiement de l'amende de la part de Finnboard ni desraisons d'opportunité (voir point 174 des considérants de la décision) nejustifieraient que la Commission tienne des entreprises pour solidairementresponsables.

31.
    La Commission estime que l'amende est correctement fondée sur l'article 15,paragraphe 2, du règlement n° 17, cette disposition constituant une base juridiquesuffisante pour établir une responsabilité solidaire des requérantes pour lepaiement de l'amende infligée à Finnboard.

32.
    Les requérantes n'auraient pas disposé de départements des ventes pour assurerla commercialisation de leurs produits. Celle-ci aurait donc été assuréeexclusivement par l'intermédiaire de Finnboard. Les contrats de vente portant surles produits concernés auraient été conclus entre les acquéreurs et Finnboard, lafacturation au client aurait été effectuée au nom du fabricant concerné et le droitde propriété aurait été transmis directement de la société membre de Finnboardau client. Pour chaque produit, la politique en matière de prix aurait été définiepar les sociétés membres au sein de Finnboard.

33.
    Finnboard aurait, de plus, été tenue de suivre les instructions données par lesrequérantes en ce qui concerne les volumes et les prix de leurs produits qu'elleécoulait. Bien qu'elle disposât d'une certaine latitude pour négocier les prix et lesconditions de vente, la situation en cause aurait correspondu à la répartition destâches entre le département des ventes et la direction commerciale d'une seule etmême entreprise. Les requérantes ayant confié la vente de l'ensemble de leurproduction à Finnboard, celle-ci pourrait être considérée comme un organismeauxiliaire de chacune des requérantes (voir, à cet égard, arrêt de la Cour du 16décembre 1975, Suiker Unie e.a/Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73, 55/73,56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663).

34.
    Les sociétés membres auraient été en mesure de contrôler les activités deFinnboard, de sorte que celle-ci n'aurait pas pu déterminer de manière autonomeson comportement sur le marché. Outre des instructions émanant des sociétésmembres concernant la commercialisation de leurs produits, celles-ci auraientégalement délégué leur propre représentant au conseil d'administration deFinnboard. Il serait d'ailleurs tout à fait impensable que les requérantes aient remisleur production à une organisation qu'elles n'auraient pas contrôlée et qui auraitpu fixer à son gré les prix et les conditions de vente sans devoir prendre en compteleurs instructions. En outre, le paiement des frais de fonctionnement de Finnboardaurait été assuré par les sociétés membres.

35.
    Dans ces circonstances, et compte tenu du fait qu'elle agissait pour le compte desrequérantes, Finnboard aurait constitué avec chacune des sociétés requérantes uneunité économique en ce qui concerne leurs ventes respectives.

36.
    Cette appréciation serait corroborée par l'unité de comportement sur le marché deFinnboard et des requérantes (voir arrêt Viho/Commission, précité, point 50). Onne pourrait imaginer que, en commercialisant les produits des requérantes,Finnboard n'agissait pas dans l'intérêt de celles-ci. En effet, elle aurait agi, commecela est constaté dans la décision, comme leur alter ego.

37.
    Bien que les requérantes et Finnboard possèdent des personnalités juridiquesdistinctes, le comportement reproché à Finnboard pourrait, conformément à lajurisprudence, être imputé à chacune des requérantes respectives (voir arrêtsprécités ICI/Commission, point 132 et suivants, et Istituto Chemioterapico Italianoet Commercial Solvents/Commission, point 36 et suivants, et arrêts du Tribunal du10 mars 1992, SIV e.a./Commission, T-68/89, T-77/89 et T-78/89, Rec. p. II-1403,point 357, et Viho/Commission, précité, point 47).

38.
    Puisqu'il aurait été permis, en présence d'une unité économique, au sens de lajurisprudence, d'adopter une décision spécifique infligeant une amende à chacunedes requérantes, à tout le moins la disposition relative à la responsabilité solidairepourrait également être appliquée. La constatation expresse, dans l'article 1er de ladécision, de la commission d'une infraction par les requérantes n'aurait pas éténécessaire, le comportement de Finnboard ayant pu être imputé aux requérantes.Il serait donc inexact de faire valoir que la Commission a retenu une responsabilitédu fait d'autrui.

39.
    Les principes découlant de la jurisprudence développée dans le cadre desgroupements de sociétés et concernant des sociétés mères et leurs filiales devraients'appliquer en l'espèce, puisque, dans le cas contraire, les entreprises en questionpourraient se soustraire aux règles de concurrence en créant simplement desorganismes de vente indépendants sur le plan juridique et dont elles nesupporteraient pas la responsabilité du comportement, alors que ces organismesagiraient selon leurs instructions.

40.
    Enfin, la solution adoptée par la Commission ne priverait d'aucun droit lesrequérantes, qui auraient reçu une communication des griefs dans laquelle laCommission annonçait son intention de les rendre solidairement responsables del'amende.

Appréciation du Tribunal

41.
    L'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 dispose:

«La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associationsd'entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d'un milliond'unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour centdu chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune desentreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou parnégligence:

a) elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1[...]»

42.
    Cette disposition ne précise pas expressément si une entreprise qui n'est pasdirectement et formellement tenue pour responsable du comportement

infractionnel constaté par la Commission peut être déclarée solidairementresponsable avec une autre entreprise, auteur du comportement infractionnelconstaté et sanctionnée à ce titre, du paiement d'une amende infligée à cettedernière.

43.
    Toutefois, il y a lieu de considérer que ladite disposition doit être interprétée ence sens qu'une entreprise peut être déclarée solidairement responsable avec uneautre entreprise du paiement d'une amende infligée à celle-ci, qui a commis uneinfraction de propos délibéré ou par négligence, à condition que la Commissiondémontre, dans le même acte, que cette infraction aurait pu être égalementconstatée dans le chef de l'entreprise devant répondre solidairement de l'amende.

44.
    En l'espèce, si Finnboard est l'entreprise directement et formellement tenue pourresponsable de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité (article 1er de ladécision), et si l'amende prévue par l'article 3, sous v), de la décision lui est dès lorsinfligée, chacune des requérantes est cependant déclarée solidairement responsableavec Finnboard du paiement d'une partie de cette amende, la Commission ayantestimé que Finnboard avait agi comme leur «alter ego» et dans leur intérêt(point 174, deuxième alinéa, des considérants de la décision).

45.
    Il convient donc d'examiner s'il existait entre Finnboard et les requérantes des lienséconomiques et juridiques tels que la Commission aurait pu tenir chacune de cesdernières pour directement et formellement responsable de l'infraction.

46.
    A cet égard, il ressort de la décision que la Commission a estimé que lesrequérantes étaient responsables des actes de Finnboard (point 174, deuxièmealinéa, susvisé).

47.
    Pour apprécier le bien-fondé de cette affirmation, il convient de prendre enconsidération les principaux renseignements, tels qu'ils ressortent du dossier et,notamment, de la réponse des requérantes aux questions écrites du Tribunal,relatifs aux modalités de fonctionnement de Finnboard et aux relations juridiqueset factuelles que Finnboard entretenait avec ses sociétés membres, et notammentles requérantes.

48.
    Selon ses statuts du 1er janvier 1987 (paragraphe 2), Finnboard est une associationqui commercialise le carton produit par les requérantes, ainsi que des produits dusecteur papetier produits par d'autres membres.

49.
    Selon les paragraphes 10 et 11 desdits statuts, chacun des membres nomme unreprésentant au sein du «Board of Directors», chargé notamment d'adopter lesrègles de conduite des opérations de l'association, de confirmer le budget, le plande financement et les principes de la répartition des dépenses entre les sociétésmembres et de nommer le «Managing Director».

50.
    Le paragraphe 20 des statuts précise:

«Les membres sont conjointement et solidairement responsables des engagementspris au nom de l'association comme s'ils les avaient contractés à titre personnel.

L'obligation aux dettes et aux engagements est répartie au prorata des facturationsnettes des membres pour l'exercice en cours et les deux exercices précédents.»

51.
    S'agissant de la vente des produits de carton, il ressort de la réponse desrequérantes aux questions écrites du Tribunal qu'elles avaient, à l'époque des faits,donné mandat à Finnboard pour effectuer l'ensemble de leurs ventes de carton, àl'unique exception des ventes internes au groupe de chaque société requérante etdes ventes de faibles volumes à des clients occasionnels en Finlande (voirégalement paragraphe 14 des statuts de Finnboard). De plus, Finnboard fixait etannonçait des tarifs identiques pour les requérantes.

52.
    Les requérantes expliquent également que, lors des ventes individuelles, les clientspassaient leurs ordres auprès de Finnboard en indiquant généralement l'usinepréférée, de telles préférences s'expliquant, notamment, par des différences dequalité entre les produits de chacune des requérantes. Dans l'hypothèse où aucunepréférence n'était exprimée, les ordres étaient répartis entre les membres deFinnboard, conformément au paragraphe 15 de ses statuts, aux termes duquel:

«Les entrées de commandes doivent être réparties de manière juste et égale auxfins de la production par les membres, compte tenu de la capacité de productionde chacun d'eux ainsi que des principes de répartition fixés par le conseild'administration.»

53.
    Finnboard était autorisée à négocier les conditions de vente, y compris le prix, avecchaque client potentiel, les requérantes ayant établi des lignes directrices généralesrelatives à ces négociations individuelles. Chaque commande devait toutefois êtresoumise à la société requérante concernée qui décidait de l'accepter ou non.

54.
    Le déroulement des ventes individuelles et les principes comptables appliqués pourlesdites ventes sont décrits dans une déclaration du 4 juin 1997 de l'expert-comptable de Finnboard:

«Finnboard agit en tant que commissionnaire pour ses commettants, en facturant'en son nom propre pour le compte de chaque commettant‘.

1.    Chaque commande est confirmée par l'usine du commettant.

2.    Au moment de l'expédition, l'usine envoie une facture initiale à Finnboard('Mill invoice‘). La facture est inscrite dans le compte commettants en tantque créance et dans le registre des achats de Finnboard en tant que detteenvers l'usine.

3.    La facture émise par l'usine (déduction faite des coûts estimés de transport,de stockage, de livraison et de financement) est prépayée par Finnboarddans le délai convenu (10 jours en 1990/1991). Finnboard finance ainsi lesstocks étrangers et les créances clients de l'usine sans devenir propriétairedes marchandises expédiées.

4.    Lors de la livraison au client, Finnboard émet une facture client pour lecompte de l'usine. La facture est enregistrée en tant que vente dans lecompte commettants, et en tant que créance dans le registre des ventes deFinnboard.

5.    Les paiements effectués par les clients sont inscrits dans les comptescommettants, et les écarts éventuels entre les prix et les coûts estimés et lesprix et les coûts réels (voir point 3) sont soldés par le comptecommettants.»

55.
    Il apparaît ainsi en premier lieu que, même si Finnboard a été autorisée ànégocier, avec les clients finals et dans le respect des lignes directrices fixées parles requérantes, les prix et les autres conditions de vente, aucune vente ne pouvaitavoir lieu sans l'approbation préalable du prix et des autres conditions de vente parla société requérante concernée.

56.
    En second lieu, il est constant que le droit de propriété passait directement de lasociété requérante concernée au client final.

57.
    Enfin, le Tribunal constate que les commissions perçues par Finnboard, qui figurenten tant que chiffre d'affaires dans ses rapports annuels, ne couvrent que les fraisliés aux ventes qu'elle a effectuées pour le compte de ses sociétés membres, telsque les frais de transport ou de financement. Il s'ensuit que Finnboard n'a euaucun intérêt économique propre à prendre part à la collusion sur les prix, car lesaugmentations de prix annoncées et mises en oeuvre par les entreprises réunies ausein des organes du GEP Carton n'ont pu engendrer aucun profit pour elle. Enrevanche, la participation de Finnboard à cette collusion revêtait un intérêtéconomique direct pour les requérantes.

58.
    Dans les circonstances de l'espèce, les liens économiques et juridiques entreFinnboard et chacune des requérantes étaient donc tels que, en commercialisantle carton au profit des requérantes, Finnboard n'a agi qu'en tant qu'organeauxiliaire de chacune de ces sociétés. Au regard de ces liens et du fait qu'elle étaittenue de suivre les directives émises par chacune des requérantes et ne pouvait pasadopter sur le marché un comportement indépendant de chacune d'elles,Finnboard constituait en réalité une unité économique avec chacune de ses sociétésmembres produisant du carton (voir, par analogie, arrêt Suiker Uniee.a./Commission, précité, points 538 à 540).

59.
    Dès lors, la Commission a considéré à juste titre, dans les motifs de la décision, queles requérantes étaient responsables des agissements anticoncurrentiels deFinnboard, de sorte qu'il aurait été possible de constater, dans le chef de chacuned'elles, une violation, commise de propos délibéré, de l'article 85, paragraphe 1, dutraité. Elle a donc pu, au lieu d'infliger une amende directement à chacune dessociétés requérantes, choisir de retenir la responsabilité solidaire de chacune decelles-ci avec Finnboard pour le paiement d'une partie de l'amende infligée à cetteassociation professionnelle.

60.
    Au vu des considérations qui précèdent, le moyen doit être rejeté.

Sur la demande de réduction du montant de l'amende

61.
    Selon l'article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure, la requête introductived'instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. La fin de non-recevoir résultant d'une violation de cette disposition peut être soulevée d'office(voir, notamment, arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission,T-64/89, Rec. p. II-367, points 73 et 74).

62.
    Les requérantes n'ayant invoqué aucun moyen au soutien de leurs demandes deréduction du montant de l'amende, lesdites demandes doivent être déclaréesirrecevables.

63.
    Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les recours doivent être rejetés.

Sur les dépens

64.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie quisuccombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantesayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens,conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Les recours sont rejetés comme non fondés pour autant qu'ils visent àl'annulation de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994,relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE(IV/C/33.833 — Carton).

2)    Les recours sont rejetés comme irrecevables pour autant qu'ils visent à laréduction de l'amende infligée par l'article 3 de cette décision.

3)    Les requérantes sont condamnées aux dépens.

Vesterdorf             Briët     Lindh

     Potocki      Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'allemand.