Language of document : ECLI:EU:F:2015:116

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

6 octobre 2015 (*)

« Fonction publique – Recrutement – Concours général – Inscription sur la liste de réserve – Décision de l’AIPN de ne pas recruter un lauréat – Compétences respectives du jury et de l’AIPN – Conditions d’admission au concours – Durée minimale d’expérience professionnelle – Modalités de calcul – Erreur manifeste d’appréciation du jury – Absence – Perte de chance d’être recruté – Indemnisation »

Dans l’affaire F‑119/14,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

FE, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Mes L. Levi et A. Blot, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Currall et G. Gattinara, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de MM. R. Barents, président, E. Perillo (rapporteur) et J. Svenningsen, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 juin 2015,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 24 octobre 2014, FE a introduit le présent recours tendant à l’annulation de la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination de la Commission européenne (ci‑après l’« AIPN »), du 17 décembre 2013, refusant son recrutement par la direction générale (DG) « Justice » à partir de la liste de réserve du concours EPSO/AD/42/05, ainsi qu’à l’indemnisation du préjudice matériel et moral prétendument subi du fait de cette décision.

 Cadre juridique

2        En matière de recrutement des fonctionnaires, l’article 5 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version en vigueur à l’époque des faits en cause (ci‑après le « statut »), prévoit, en particulier, à son paragraphe 3 ce qui suit :

« Toute nomination à un emploi de fonctionnaire requiert, au minimum :

[…]

c)      pour les grades 7 à 16 du groupe de fonctions [des administrateurs] :

i)      un niveau d’enseignement correspondant à un cycle complet d’études universitaires sanctionné par un diplôme lorsque la durée normale desdites études est de quatre années ou plus, ou

ii)      un niveau d’enseignement correspondant à un cycle complet d’études universitaires sanctionné par un diplôme et une expérience professionnelle appropriée d’une année au moins lorsque la durée normale desdites études est de trois années au moins, ou

iii)      lorsque l’intérêt du service le justifie, une formation professionnelle de niveau équivalent. »

3        L’article 28 du statut est ainsi libellé :

« Nul ne peut être nommé fonctionnaire :

a)      [s]’il n’est ressortissant d’un des États membres de l’Union, sauf dérogation accordée par l’[AIPN], et s’il ne jouit de ses droits civiques ;

b)      [s]’il ne se trouve en position régulière au regard des lois de recrutement qui lui sont applicables en matière militaire ;

c)      [s]’il n’offre les garanties de moralité requises pour l’exercice de ses fonctions ;

d)      [s]’il n’a satisfait, sous réserve des dispositions de l’article 29, paragraphe 2, [du statut,] à un concours sur titres, sur épreuves ou sur titres et épreuves dans les conditions prévues à l’annexe III [du statut] ;

e)      [s]’il ne remplit les conditions d’aptitude physique requises pour l’exercice de ses fonctions ;

f)      [s]’il ne justifie posséder une connaissance approfondie d’une des langues de l’Union et une connaissance satisfaisante d’une autre langue de l’Union dans la mesure nécessaire aux fonctions qu’il est appelé à exercer. »

4        L’article 30 du statut prévoit :

« Pour chaque concours, un jury est nommé par l’[AIPN]. Le jury établit la liste d’aptitude des candidats.

L’[AIPN] choisit sur cette liste le ou les candidats qu’elle nomme aux postes vacants. »

5        L’article 4 de l’annexe III du statut établit ce qui suit :

« L’[AIPN] arrête la liste des candidats qui remplissent les conditions prévues [à] l’article 28 [, sous a), b) et c),] du statut et la transmet au président du jury accompagnée des dossiers de candidature. »

6        L’article 5 de cette même annexe III du statut indique :

« Après avoir pris connaissance de ces dossiers, le jury détermine la liste des candidats qui répondent aux conditions fixées par l’avis de concours.

En cas de concours sur épreuves, tous les candidats inscrits sur cette liste sont admis aux épreuves.

[…] »

7        Enfin, le titre A, point II, de l’avis de concours EPSO/AD/42/05 (voir point 8 du présent arrêt) se lit, au sujet du profil requis et des deux premières conditions d’admission, comme suit :

« Le concours est ouvert aux candidats qui […] remplissent les conditions suivantes :

1.      Titres ou diplômes

Kandydaci muszą legitymować się dyplomem ukończenia wyższych studiów prawniczych w Polsce. [Les candidats doivent être titulaires d’un diplôme polonais d’études de droit.]

2.      Expérience professionnelle

Après le cycle d’études universitaires requis [au point 1], une expérience professionnelle de deux ans minimum est requise. »

 Faits à l’origine du litige

8        Le 8 décembre 2005, l’Office européen de sélection du personnel (EPSO) a publié l’avis de concours général EPSO/AD/42/05 (ci‑après le « concours ») pour la constitution d’une réserve de recrutement de juristes linguistes de grade AD 7 de langue polonaise, destinée à pourvoir des postes vacants au sein des institutions européennes, notamment à la Cour de justice des Communautés européennes (JO C 310 A, p. 3, ci‑après l’« avis de concours »). La date limite d’inscription au concours était fixée au 11 janvier 2006.

9        Au titre A, point I, intitulé « N[ature des fonctions] », de l’avis de concours, les fonctions à exercer étaient décrites dans les termes suivants :

« —      Traduction et/ou révision en polonais de textes juridiques à partir d’au moins deux des langues officielles de l’Union européenne.

–        Vérification de la concordance linguistique et juridique de textes législatifs en polonais, déjà traduits et révisés, par rapport aux autres versions linguistiques de ces textes, contrôle de leur qualité rédactionnelle et du respect des règles en matière de présentation formelle.

[…] »

10      Le titre A, point II.2, de l’avis de concours précisait en outre que, pour pouvoir être admis à passer les épreuves, les candidats devaient, à la date limite fixée pour l’inscription au concours, justifier, « [a]près le cycle d’études universitaires requis, [d’]une expérience professionnelle de deux ans minimum […] ».

11      La requérante s’est portée candidate au concours le 27 décembre 2005. Elle a indiqué à la rubrique « E[xpérience professionnelle] » de son acte de candidature au concours (ci‑après l’« acte de candidature ») qu’elle disposait de six expériences professionnelles d’une durée totale de trente et un mois, dont quinze mois d’activité en tant que juriste linguiste free‑lance pour la Cour de justice, soit du 15 octobre 2004 jusqu’à la date de son acte de candidature, ainsi que trois mois de stage auprès du cabinet d’avocats W., à Bruxelles (Belgique), du 1er juillet au 30 septembre 2005.

12      La requérante a été admise à participer aux épreuves du concours. Au terme de ses travaux, le jury a inscrit son nom sur la liste de réserve du concours, dont la validité, initialement fixée au 31 décembre 2007, a été reportée, après plusieurs prolongations, au 31 décembre 2013, date à laquelle elle a définitivement expiré.

13      Par courriel du 22 mai 2013, la requérante a été invitée par les services de la DG « Justice » à passer, le 28 mai suivant, un entretien en vue de son éventuel recrutement à un poste d’administrateur au sein de ladite direction générale. Dans la perspective de ce recrutement, les services de la DG « Ressources humaines et sécurité » (ci‑après la « DG ‘Ressources humaines’ ») ont également signalé à la requérante, par courriel adressé à cette dernière le 24 mai 2013 avec copie à la DG « Justice », qu’étant donné qu’elle était actuellement agent temporaire à la Cour de justice « la visite médicale [d’embauche] n’[était] pas nécessaire, car, en cas de recrutement à la Commission, [la DG ‘Ressources humaines’] all[ait] demander le transfert de [son] aptitude médicale ».

14      Au mois de juin 2013, la requérante a été informée par la DG « Justice » qu’elle avait été retenue pour le poste d’administrateur et qu’une demande de recrutement la concernant avait été transmise à la DG « Ressources humaines ».

15      Il ressort des pièces du dossier que, en juin 2013, les services compétents de la Commission avaient également informé la requérante que, « [é]tant donné que la Commission n’avait pas participé à l’organisation du concours […] et que la liste de réserve issue dudit concours, sur laquelle la [requérante] était inscrite, était une liste de juristes linguistes et non pas d’administrateurs, une dérogation devait être demandée auprès du [c]ommissaire en charge des [r]essources humaines et de la sécurité, la politique de la Commission étant de ne pas faire usage de ces listes sauf exceptions notables pour son [s]ervice juridique et pour quelques fonctions spécialisées dans d’autres [directions générales], sous certaines conditions ».

16      Par courriel du 26 juillet 2013, le chef de l’unité « Droit des contrats » de la DG « Justice » a communiqué à la requérante que la DG « Ressources humaines » avait donné « son accord pour son engagement [dérogatoire] en tant qu’administrateur [à partir] de la liste de réserve des juristes linguistes », tout en soulignant que la DG « Ressources humaines » la contacterait et qu’elle ne devait entreprendre aucune démarche avant d’avoir reçu une communication officielle de la part de celle‑ci.

17      À la fin du mois d’août 2013, la DG « Ressources humaines » a demandé à la requérante de fournir des pièces justificatives de ses expériences professionnelles antérieures à son acte de candidature, au regard de la condition d’admission relative à l’expérience professionnelle minimale de deux ans figurant dans l’avis de concours.

18      Pendant la période allant de la fin du mois d’août 2013 au mois de novembre 2013, la requérante a eu plusieurs entretiens avec des représentants de la DG « Ressources humaines » et a fourni différents documents et explications afin de clarifier la question des expériences professionnelles dont elle s’était prévalue dans son acte de candidature. Durant cette période, les représentants de la DG « Justice » ont confirmé à plusieurs reprises leur intérêt pour son recrutement.

19      Par lettre du 17 décembre 2013, l’AIPN a informé la requérante que son recrutement à la DG « Justice » ne pourrait pas avoir lieu, au motif qu’elle ne remplissait pas la condition d’admission au concours relative à l’expérience professionnelle requise (ci‑après la « décision litigieuse »). Selon l’AIPN, à la date limite d’inscription au concours, la requérante ne disposait que de vingt‑deux mois d’expérience professionnelle, au lieu des deux ans exigés par l’avis de concours. Pour arriver à cette conclusion, l’AIPN n’a retenu, au titre de l’expérience professionnelle en tant que « traduct[eur] free‑lance » pour la Cour de justice, qu’une durée de sept mois et, au titre de l’expérience professionnelle en tant que stagiaire au cabinet d’avocats W., qu’une durée de deux mois, ce qui ne correspondait pas aux quinze et aux trois mois déclarés par la requérante dans l’acte de candidature. La décision litigieuse précisait également qu’en ce qui concerne l’activité « free‑lance pour la [Cour de justice] » la durée de l’expérience professionnelle de la requérante avait été calculée sur la base du nombre total de pages traduites, soit 721, et d’une norme de 5 pages par jour, considérée comme adéquate pour la Commission et sensiblement inférieure à celle de 8 pages par jour d’usage à la Cour de justice.

20      Le 14 mars 2014, la requérante a introduit une réclamation contre la décision litigieuse. Cette réclamation a été rejetée par décision de l’AIPN du 14 juillet 2014 (ci‑après la « décision de rejet de la réclamation »).

 Conclusions des parties

21      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision litigieuse ;

–        annuler la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner la Commission au paiement d’une somme de 26 132,85 euros, à majorer d’intérêts de retard, et des contributions au régime de pensions à compter du mois de septembre 2013, ainsi qu’au paiement de un euro symbolique pour le préjudice moral causé ;

–        condamner la Commission aux dépens.

22      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en partie comme irrecevable et en partie comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

1.     Sur l’objet du recours

23      Selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont, dans le cas où cette décision est dépourvue de contenu autonome, pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8).

24      En l’espèce, la décision de rejet de la réclamation confirme la décision litigieuse. Les conclusions en annulation dirigées contre celle‑ci sont donc dépourvues de contenu autonome et, par suite, doivent être regardées comme formellement dirigées contre la décision litigieuse, telle que précisée par la décision de rejet de la réclamation (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2004, Eveillard/Commission, T‑258/01, EU:T:2004:177, point 32).

2.     Sur les conclusions en annulation de la décision litigieuse

25      À l’appui de ses conclusions en annulation, la requérante soulève quatre moyens, tirés, en substance :

–        le premier, de l’incompétence de l’AIPN ;

–        le deuxième, soulevé à titre subsidiaire, de l’erreur manifeste d’appréciation de l’AIPN, ainsi que de la violation de l’avis de concours et des principes de sécurité juridique et d’égalité de traitement ;

–        le troisième, de la violation du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude, ainsi que du non‑respect du délai raisonnable ;

–        le quatrième, de l’illégalité de la condition d’admission au concours relative à l’expérience professionnelle.

 Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence de l’AIPN

 Arguments des parties

26      Selon la requérante, l’AIPN aurait dépassé les limites de son pouvoir de contrôle des décisions du jury du concours, telles que fixées par la jurisprudence, dès lors qu’en l’espèce rien ne montrerait que la décision du jury de l’admettre à passer les épreuves du concours pour ensuite l’inscrire sur la liste de réserve était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

27      À cet égard, la requérante fait valoir, en premier lieu, que l’avis de concours ne précisait pas, quant à l’expérience professionnelle de deux ans requise, s’il devait s’agir d’emplois à temps plein ou à temps partiel.

28      En deuxième lieu, s’agissant du travail de juriste linguiste accompli par la requérante pour la Cour de justice, tant le caractère free‑lance de cette activité que le fait d’avoir poursuivi en parallèle des études résulteraient sans équivoque des pièces qu’elle avait jointes à son acte de candidature. En outre, aucune règle n’imposerait la division du nombre total de pages traduites par une quelconque norme journalière afin de déterminer la durée à temps plein d’une telle expérience professionnelle.

29      En troisième lieu, en ce qui concerne le stage auprès du cabinet d’avocats W., rien n’aurait empêché le jury du concours de comparer les déclarations faites par la requérante dans son acte de candidature avec les pièces justificatives qu’elle y avait jointes, de sorte qu’il n’y aurait pas de raison de considérer que le jury avait été induit en erreur par la façon dont la durée de cette expérience professionnelle avait été présentée dans l’acte de candidature.

30      Par conséquent, l’AIPN, qui ne connaîtrait pas la méthodologie ou les règles de calcul appliquées par le jury pour évaluer la durée de l’expérience professionnelle de la requérante, ne saurait justifier le réexamen de l’admissibilité de sa candidature au concours sans porter atteinte aux principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime qui devraient caractériser le système de sélection des fonctionnaires des institutions de l’Union européenne.

31      Pour sa part, la Commission rappelle, premièrement que, selon la jurisprudence, lorsqu’une expérience professionnelle d’une durée minimale est requise par un avis de concours, cette exigence doit s’entendre comme se référant à une période de travail accomplie à temps plein pendant ladite durée ou à une période de travail accomplie à temps partiel équivalant, en termes de temps de travail, à la période requise à temps plein.

32      Vu le libellé de l’avis de concours et le fait que l’activité de « traduct[eur] ‘free‑lance’ » auprès de la Cour de justice exercée par la requérante ne saurait être assimilée à un travail à temps plein, dès lors qu’elle était totalement libre de gérer son temps de travail et qu’elle avait même poursuivi des études en parallèle, le jury du concours aurait dû « comptabiliser » cette expérience professionnelle comme un travail à temps plein.

33      Or, l’inscription du nom de la requérante sur la liste de réserve du concours démontrerait, selon la Commission, l’erreur manifeste d’appréciation du jury qui aurait retenu la durée de l’expérience professionnelle de « traduct[eur] ‘free‑lance’ » auprès de la Cour de justice en se basant sur les dates de début et de fin de cette activité, telles qu’indiquées dans l’acte de candidature, sans se soucier du fait qu’il ne s’agissait pas d’un travail à temps plein, sans se rendre compte du caractère free‑lance de l’activité et, en définitive, sans appliquer aucune méthode afin de calculer la durée à temps plein correspondante à l’expérience professionnelle dont il s’agissait.

34      Deuxièmement, toujours selon la Commission, le jury n’aurait pas pu, sans erreur manifeste d’appréciation, retenir trois mois d’expérience professionnelle pour le stage auprès du cabinet d’avocats W., tel qu’indiqué par la requérante dans l’acte de candidature, dès lors que la seule pièce justificative à sa disposition, à savoir le certificat de stage joint à l’acte de candidature, ne faisait état que d’une quarantaine de jours de stage, répartis sur la période allant de mai à septembre 2005.

35      Par conséquent, le jury, dont la vigilance aurait d’ailleurs dû être éveillée par les documents joints à l’acte de candidature, aurait commis plusieurs erreurs manifestes d’appréciation en considérant que la requérante satisfaisait à la condition d’admission au concours relative à l’expérience professionnelle. Dans ces circonstances, l’AIPN avait été obligée de ne pas donner suite à la décision du jury de l’inscrire sur la liste de réserve et n’avait pu que refuser le recrutement de la requérante. Le premier moyen du recours devrait donc être rejeté comme non fondé.

 Appréciation du Tribunal

36      Le moyen d’incompétence soulevé par la requérante porte essentiellement sur la question de savoir quelles sont les conditions d’exercice et la portée juridique du pouvoir de contrôle de l’AIPN sur les décisions prises par le jury de concours dans le cadre des compétences propres de celui‑ci.

37      Or, au vu des différents et nombreux arguments avancés à cet égard par la requérante et par la Commission, il convient d’organiser l’analyse du premier moyen en cinq parties distinctes, mais étroitement liées entre elles, à savoir : une première partie relative à la répartition des compétences entre l’AIPN et le jury de concours ; une deuxième partie sur le caractère à temps plein ou à temps partiel de la durée de l’expérience professionnelle requise par l’avis de concours ; une troisième partie sur le mode de calcul de la durée minimale de deux ans d’expérience professionnelle ; une quatrième partie sur l’étendue du pouvoir de l’AIPN d’écarter un lauréat de la liste de réserve et, enfin, une cinquième partie sur l’erreur manifeste éventuellement commise par le jury du concours dans l’appréciation de la durée de l’expérience professionnelle de la requérante.

38      À l’issue de cette analyse, il y aura lieu d’accueillir le premier moyen, car l’AIPN, en décidant au stade du recrutement d’écarter la requérante de la liste de réserve pour des motifs d’admission ne figurant pas dans l’avis de concours, a dépassé les limites de sa compétence, telles que fixées précisément par l’avis de concours en cause et que le jury avait quant à lui dûment respectées.

–       Sur la répartition des compétences entre l’AIPN et le jury de concours

39      Dans le domaine du recrutement du personnel des institutions européennes effectué moyennant l’organisation d’un concours général, le juge de l’Union a constamment affirmé que, en raison du principe d’indépendance régissant l’exercice des fonctions propres aux jurys de concours, l’AIPN ne dispose pas du pouvoir d’annuler ou de modifier une décision que le jury a prise dans le cadre de ses compétences, telles que fixées notamment par l’article 30 du statut ainsi que par l’article 5 de son annexe III (voir arrêt du 20 février 1992, Parlement/Hanning, C‑345/90 P, EU:C:1992:79, point 22, et ordonnance du 10 juillet 2014, Mészáros/Commission, F‑22/13, EU:F:2014:189, point 48).

40      Cependant, étant tenue de prendre des décisions exemptes d’illégalité, l’AIPN ne saurait être liée par la décision d’un jury dont l’illégalité serait susceptible d’entacher, par voie de conséquence, ses propres décisions administratives (voir, en ce sens, arrêt du 20 février 1992, Parlement/Hanning, C‑345/90 P, EU:C:1992:79, point 22). C’est pourquoi l’AIPN, avant de procéder à la nomination d’un fonctionnaire, a l’obligation de vérifier si le candidat concerné remplit les conditions que le statut impose, sous peine de nullité de la décision de recrutement, pour qu’il puisse être régulièrement recruté au service de l’Union. Lorsqu’il est, par exemple, évident que la décision du jury d’admettre un candidat à passer les épreuves du concours est illégale, car entachée d’une erreur manifeste, l’AIPN, à laquelle le jury a transmis la liste de réserve dans laquelle figure le nom de ce candidat qui a entretemps réussi les épreuves, doit alors refuser de procéder à la nomination dudit lauréat (voir, en ce sens, arrêts du 23 octobre 1986, Schwiering/Cour des comptes, 142/85, EU:C:1986:405, points 19 et 20, et du 23 octobre 2012, Eklund/Commission, F‑57/11, EU:F:2012:145, point 49).

41      Ceci étant, en ce qui concerne encore la répartition des compétences entre l’AIPN et le jury de concours, il y a également lieu de rappeler que l’objet d’un avis de concours est essentiellement celui d’informer, de façon transparente, exhaustive et aussi exacte que possible, les membres du jury ainsi que les personnes se portant candidates audit concours sur les conditions légales pour pouvoir être nommé, le cas échéant, à l’emploi visé. Une telle finalité de l’avis de concours répond d’ailleurs précisément à une exigence élémentaire de respect du principe de sécurité juridique.

42      Dès lors, l’avis de concours serait privé de son objet si l’AIPN pouvait écarter de la liste de réserve un lauréat en invoquant une condition ou une modalité d’admission ne figurant ni dans ledit avis ni dans le statut, ou n’ayant pas fait en tout cas l’objet, antérieurement à l’adoption de l’avis de concours, d’une publication accessible ou nécessairement connue du jury ainsi que des candidats intéressés (voir, en ce sens, s’agissant d’avis de vacance, arrêts du 14 avril 2011, Šimonis/Commission, F‑113/07, EU:F:2011:44, point 74, et du 15 octobre 2014, Moschonaki/Commission, F‑55/10 RENV, EU:F:2014:235, point 42).

43      L’avis de concours constitue ainsi le cadre de la légalité de toute procédure de sélection pour le pourvoi d’un emploi au sein des institutions de l’Union en ce que, sous réserve des dispositions supérieures du statut pertinentes, y inclus l’annexe III du statut, il régit, d’une part, la répartition des compétences entre l’AIPN et le jury dans l’organisation et le déroulement des épreuves du concours et fixe, d’autre part, les conditions concernant la participation des candidats, en particulier leur profil, leurs droits et leurs obligations spécifiques.

44      Or, en l’espèce, s’agissant de la répartition des compétences entre l’AIPN et le jury dans le cadre du concours, l’avis de concours précisait, au titre B, consacré au déroulement du concours, point 1, sous a), que, s’agissant de l’admission au concours, « [l’AIPN] arrête la liste des candidats qui remplissent les conditions prévues au titre A, point II.4, [de l’avis de concours] et la transmet au président du jury, accompagnée des dossiers de candidature », les « conditions prévues au titre A, point II.4, [de l’avis de concours] » étant les conditions générales d’admission au concours, au demeurant reprises de l’article 28 du statut (voir point 3 du présent arrêt).

45      En revanche, selon le libellé du titre B, point 1, sous b), « [a]près avoir pris connaissance des dossiers des candidats, le jury [doit, conformément d’ailleurs aux dispositions de l’article 5 de l’annexe III du statut,] détermine[r] la liste de ceux qui répondent aux conditions figurant au titre A, points II.1, 2 et 3, [de l’avis de concours] et qui sont, en conséquence, admis au concours », les « conditions figurant au titre A, points II.1, 2 et 3, [de l’avis de concours] » étant les conditions de titres ou diplômes, d’expérience professionnelle et de connaissances linguistiques requises pour être admis à concourir (voir point 7 du présent arrêt).

46      En particulier, selon le titre A, point II.2, de l’avis de concours, les candidats, pour être admis à passer les épreuves, devaient remplir non seulement la condition prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous c), du statut, à savoir être titulaire d’un diplôme universitaire polonais d’études de droit, mais ils devaient également prouver, comme condition supplémentaire, avoir eu, après la fin du cycle complet d’études universitaires requis, « une expérience professionnelle de deux ans minimum ». Ni cette dernière disposition ni celle du titre B, point 1, sous b), de l’avis de concours ne fournissait cependant au jury du concours d’instruction précise à suivre ou des indications quant à la nature de cette expérience professionnelle minimale de deux ans ou à son rapport avec les fonctions à exercer en tant que fonctionnaire de l’Union. Ces dispositions ne donnaient pas non plus de précisions quant aux modalités d’exécution du travail accompli pendant ces deux ans d’expérience professionnelle, par exemple s’il devait s’agir d’un travail à temps plein ou à temps partiel, exercé en tant que salarié ou en tant que travailleur indépendant.

47      De plus, le « Guide à l’intention des candidats » (JO C 327 A, p. 3), auquel l’avis de concours, en introduction de son titre C, intitulé « C[omment postuler] ? », invitait les candidats à se référer pour la correcte présentation de leur candidature (ci‑après le « guide à l’intention des candidats »), ne contenait pas non plus d’explications utiles, de nature à effectivement guider, d’une part, les membres du jury dans l’exécution des tâches figurant dans l’avis de concours ainsi que, d’autre part, à guider les candidats dans la rédaction de leur acte de candidature. Ce guide se limitait en effet à préciser au titre A, point II.4, sous la rubrique « Informations relatives à votre expérience professionnelle […] », que les candidats devaient « [i]ndiquer, dans [leur] acte de candidature, les dates exactes de début et de fin de chacun de [leurs] emplois ainsi que la fonction et la nature des tâches effectuées ». En particulier, « [p]our les activités professionnelles non salariées (indépendants, professions libérales[, etc.]), p[ouvaient] être admis comme preuves des extraits de déclaration fiscale ou toute autre pièce officielle justificative. »

48      Telles étant les dispositions relatives à la répartition des compétences entre l’AIPN et le jury figurant dans l’avis de concours et dans le guide à l’intention des candidats, force est par conséquent de constater que, en ce qui concerne l’organe chargé de vérifier la nature et la durée de l’expérience professionnelle requise pour participer au concours ainsi que le respect des critères permettant de calculer sa durée, le cadre de légalité composé par ces deux textes était sur ce point muet, l’avis de concours confiant néanmoins au seul jury la tâche d’établir, dans l’exercice de ses fonctions et dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation, la liste des candidats admis à passer les épreuves du concours.

–       Sur le caractère à temps plein ou à temps partiel de l’expérience professionnelle requise par l’avis de concours

49      À cet égard, s’agissant, en particulier, de l’expérience professionnelle acquise par la requérante auprès de la Cour de justice en tant que juriste linguiste free‑lance, à savoir une activité professionnelle qui est par définition exercée de façon indépendante et qui était, en l’espèce, la plus pertinente au vu de l’objet du concours, destiné précisément à recruter des juristes linguistes, ni l’avis de concours ni d’autres actes susceptibles d’entrer juridiquement en ligne de compte dans le cadre du concours ne contenaient d’indication sur ce qu’il y avait lieu d’entendre par « expérience professionnelle », ni sur les modalités de calcul du temps de travail se rapportant à ladite « expérience professionnelle », comme par exemple le nombre d’heures de travail accomplies ou le nombre de pages traduites per diem, et, dans ce cas, s’il y avait lieu de distinguer entre la traduction de textes juridiques complexes et celle de textes d’un autre genre.

50      Dans le silence, tel que voulu par l’AIPN compétente, de l’avis de concours et du guide à l’intention des candidats au sujet des éléments permettant d’apprécier la durée de l’expérience professionnelle requise, la Commission affirme, néanmoins, que, lorsqu’un avis de concours prévoit, comme condition d’admission aux épreuves, d’avoir une expérience professionnelle d’une durée minimale, cette période de travail doit être entendue, tant par le jury que par les candidats, comme se rapportant, par définition, à une activité professionnelle exercée à temps plein.

51      À ce sujet, il convient d’abord de relever que, dans les affaires citées par la Commission et ayant donné lieu à l’arrêt du 31 janvier 2006, Giulietti/Commission (T‑293/03, EU:T:2006:37), et aux ordonnances du 14 décembre 2006, Klopfer/Commission (F‑118/05, EU:F:2006:137), et du 10 juillet 2014, Mészáros/Commission (F‑22/13, EU:F:2014:189), le juge de l’Union a certes retenu que la durée de l’expérience professionnelle requise, même en l’absence d’une indication précise dans les avis de concours en cause, devait s’entendre comme la durée d’une expérience professionnelle exercée à temps plein. Cependant, dans les affaires susmentionnées, il était question d’activités professionnelles exercées surtout en tant que salarié et dont la durée était donc aisément déterminable au regard des contrats de travail ou des attestations de travail des employeurs. En revanche, dans le cas d’espèce, si l’avis de concours exigeait certes une durée minimale de deux ans d’expérience professionnelle dans le domaine de la traduction ou, plus vraisemblablement, dans celui de la traduction juridique, la manière de prendre en compte et de comptabiliser, en termes de durée, une expérience professionnelle exercée sous le statut de travailleur indépendant n’était toutefois pas explicitée, alors que ce type d’expérience de travail free‑lance correspond tout à fait à la nature des fonctions décrites dans l’avis de concours.

52      Par conséquent, faute d’une indication expresse dans l’avis de concours sur le mode de calcul de la durée de l’expérience professionnelle requise ou de toute autre indication utile à cet égard, la ratio juris de cette condition d’admission, en ce qui concerne en particulier les candidats, telle la requérante, pouvant se prévaloir d’une expérience spécifique de juriste linguiste free‑lance, ne pouvait certainement pas être celle d’exiger de la part de ces candidats, afin de prouver qu’il s’agissait d’une activité professionnelle équivalente à celle d’un travail exercé à temps plein, d’avoir traduit pendant chaque jour de travail accompli en cette qualité au cours de la période de référence de deux ans un nombre de pages de textes juridiques déterminé. Cette condition, en effet, n’était pas prévue par l’avis de concours, ni explicitement ni implicitement, notamment au vu d’autres conditions figurant dans l’avis de concours.

53      Dès lors, en l’absence dans l’avis de concours de critères ou de modalités de calcul de l’expérience professionnelle requise pour être admis à concourir, il y a lieu de considérer que le jury, même dans l’hypothèse dans laquelle la durée de l’expérience professionnelle en cause devait se rapporter à celle d’une activité exercée à temps plein, a pu se fonder, pour l’appréciation de l’admission de la requérante à participer aux épreuves, d’une part, sur le fait qu’il devait s’agir d’une activité « professionnelle » de juriste linguiste – donc d’une activité qui ne pouvait pas avoir un caractère « occasionnel » et qui devait principalement concerner la traduction de textes juridiques – exercée de façon constante, à savoir pendant une durée significative de temps, au service d’un commettant professionnel, personne publique ou privée qui, sur la base du contrat en cause, était en droit de demander des traductions de textes juridiques à tout moment et, le cas échéant, dans des délais impératifs, en raison précisément de son activité professionnelle ou institutionnelle exigeant des traductions juridiques d’un certain niveau.

54      D’autre part, toujours aux fins de l’appréciation de l’expérience professionnelle requise, le jury devait se fonder, conformément aux dispositions pertinentes du guide à l’intention des candidats, sur la preuve que les prestations professionnelles avaient été effectivement exercées, non seulement pendant une période constante dans le temps, mais aussi dans une mesure quantitative consistante qu’il appartenait précisément au jury, composé de personnes expertes en la matière, d’apprécier par rapport à la nature des fonctions décrites dans l’avis de concours et par rapport à l’ensemble des autres activités éventuellement exercées, par chaque candidat, pendant la durée de référence de deux ans.

55      Aussi, le guide à l’intention des candidats exigeant que les candidats précisent, dans leur acte de candidature, la nature des tâches qu’ils avaient effectuées, il appartenait au jury, dans le cadre des compétences qui lui avaient été confiées par l’avis de concours, d’apprécier, de façon différente, le caractère professionnel de l’expérience acquise selon qu’il s’agissait d’une activité exercée en tant que « traduct[eur] ‘free‑lance’ » ou en tant que « juriste linguiste free‑lance », en particulier lorsque cette deuxième activité avait été prestée au bénéfice d’une institution de l’Union qui, comme la Cour de justice, ne demande à ses prestataires que la traduction de textes à contenu exclusivement juridique.

56      Dès lors, ne pouvant pas attribuer à cette condition d’admission supplémentaire, au vu du libellé à cet égard muet de l’avis de concours, une portée autre que celle qui précède, sous peine d’enfreindre, dans le cas contraire, le principe de sécurité juridique (voir point 41 du présent arrêt), la thèse de la Commission selon laquelle la durée minimale de deux ans d’expérience professionnelle doit, dans le cas spécifique du concours, être entendue comme se rapportant, par définition, à une activité professionnelle exercée à temps plein, à calculer de surcroît selon les modalités figurant dans la décision litigieuse (voir point 19 du présent arrêt), ne saurait être retenue, faute en effet d’avoir indiqué dans l’avis de concours que, en ce qui concerne notamment les candidats faisant valoir une expérience professionnelle de juriste linguiste free‑lance, le temps plein dont il s’agit devait correspondre nécessairement à celui calculé selon les modalités internes de cette institution ou, en tout cas, selon des modalités spécifiques.

–       Sur le mode de calcul de la durée minimale de deux ans d’expérience professionnelle

57      À cet égard, il convient de considérer que le jury, qui n’était tenu par aucune modalité figurant explicitement dans l’avis de concours quant à la façon de calculer la durée de l’expérience professionnelle minimale de deux ans requise pour être admis à concourir, a pu raisonnablement estimer, sur la base de son large pouvoir d’appréciation en la matière, qu’il n’y avait pas lieu de se conformer spécifiquement au mode de calcul de telle ou telle institution, la Commission n’étant pas, en tout état de cause, la principale institution concernée par la procédure du concours. En fait, en vertu du titre A, deuxième alinéa, de l’avis de concours, la liste de réserve en question était destinée à « pourvoir des postes vacants au sein des institutions européennes, notamment à la Cour de justice […] ».

58      Or, si, afin de calculer la période de deux ans d’expérience professionnelle, le jury avait dû éventuellement s’inspirer d’un mode de calcul déjà existant au sein de l’une ou de l’autre des institutions de l’Union, il aurait pu, sur la base du critère de la bonne administration du concours et de l’effet utile de cette procédure, se référer en premier lieu au mode de calcul utilisé par la Cour de justice et non pas nécessairement ou exclusivement à celui de la Commission, qui, comme il ressort du point 15 du présent arrêt, considère, par ailleurs, ne pas avoir participé à l’organisation du concours.

59      Sur ce point d’ailleurs, l’argument de la Commission selon lequel le mode de calcul en vigueur à la Cour de justice, en ce qui concerne le ratio de pages traduites par jour de travail accompli, serait, par rapport à l’expérience professionnelle de la requérante, moins favorable que celui retenu par la Commission (voir point 19 du présent arrêt) n’est pas pertinent, étant donné que, selon la thèse de la Commission, il s’agirait ici de savoir si le jury devait utiliser le mode de calcul de la Commission et non celui d’autres institutions ou son propre mode de calcul.

60      Toujours à cet égard, il y a également lieu de constater que la Commission, tant dans la décision de rejet de la réclamation que dans son mémoire en défense, se réfère à l’expérience professionnelle de la requérante en tant que « traduct[eur] ‘free‑lance’ » alors qu’il ressort des pièces jointes à l’acte de candidature que celle‑ci avait fourni au jury des attestations de travail exercé en tant que « juriste linguiste » free‑lance auprès de la Cour de justice. Or, il s’agit, en l’espèce, de fonctions nettement différentes, ce que le jury du concours, composé de spécialistes en la matière, ne pouvait certainement pas ignorer, s’agissant d’un concours destiné précisément au recrutement de juristes linguistes (lesquels, sur le plan administratif, sont de ce fait recrutés en principe directement au grade AD 7) et non pas de traducteurs (qui sont en revanche recrutés au grade de base, soit AD 5, du groupe de fonctions des administrateurs).

61      Il s’ensuit que le fait que le jury du concours n’ait pas adopté le mode de calcul que les services de la Commission utilisent pour calculer la durée minimale d’une expérience professionnelle considérée comme se rapportant à une expérience de travail à temps plein ne signifie pas, automatiquement, que le jury aurait apprécié de façon erronée la condition de durée minimale de deux ans d’expérience professionnelle dont la requérante devait justifier pour son admission à participer aux épreuves du concours.

–       Sur le pouvoir de l’AIPN d’écarter la requérante de la liste de réserve des lauréats

62      Sur la base des considérations qui précédent et notamment de celles figurant aux points 39 à 48 du présent arrêt au sujet de la répartition des compétences entre l’AIPN et le jury du concours, il convient de relever que, lorsque, comme en l’espèce s’agissant de l’expérience professionnnelle antérieure requise, un avis de concours prévoit une condition spécifique d’admission aux épreuves d’au moins deux années d’expérience professionnelle, l’AIPN ne saurait, au moment où elle envisage de recruter un lauréat du concours sélectionné comme tel par le jury, écarter ce lauréat de la liste de réserve en invoquant, pour ce faire, des modalités d’appréciation et de calcul de l’expérience professionnelle requise qu’elle a elle‑même omis d’inscrire dans l’avis de concours ou qui ne figurent pas dans un acte juridiquement opposable aux membres du jury ainsi qu’à tout candidat du concours.

63      Dans le cas contraire, le principe de sécurité juridique, qui est un des principes régulateurs de toute procédure de concours (voir point 41 du présent arrêt), serait irrémédiablement compromis si un candidat ayant dûment fourni les dates exactes de début et de fin de chacun de ses contrats, totalisant ainsi la durée suffisante de l’expérience professionnelle requise par un avis de concours, apprenait l’existence d’autres modalités nécessaires pour satisfaire à ladite condition de durée d’expérience professionnelle uniquement au moment où, après avoir reçu une proposition de recrutement en tant que lauréat de ce concours, l’AIPN concernée l’informerait de l’existence de ces modalités et du fait que, par rapport à celles‑ci, il n’aurait pas dû être admis à participer aux épreuves.

64      Par ailleurs, dans les circonstances, telles que celles de l’espèce, d’un concours général interinstitutionnel, au non‑respect du principe de sécurité juridique s’ajouterait également le non‑respect du principe d’égalité de traitement. En effet, l’AIPN de chacune des institutions éventuellement concernées par le concours pourrait, au stade du recrutement, considérer qu’elle dispose légitimement de la compétence pour apprécier, de façon autonome, la condition d’admission concernant l’expérience professionnelle requise et que, chaque fois que le jury aurait utilisé un mode de calcul de la durée minimale de l’expérience professionnelle exigée qui ne correspondrait pas au sien, le jury aurait, nécessairement, commis une erreur manifeste d’appréciation justifiant que l’AIPN puisse revenir sur l’appréciation du jury. Si un tel raisonnement devait être suivi, chaque AIPN serait alors en droit de remplacer le mode de calcul que le jury a, quant à lui, indistinctement appliqué à tous les candidats dans le calcul de la durée de l’expérience professionnelle requise par son propre mode de calcul. Or, l’intégralité du travail que le jury a accompli dans le cadre des responsabilités qui sont les siennes et dans l’intérêt de toutes les institutions concernées par un concours pourrait finalement être remise en cause en fonction des exigences variant d’une institution à une autre, voire d’une certaine propension des services en charge du recrutement de l’une ou l’autre institution à vouloir substituer leur propre appréciation à celle du jury.

65      Certes, en l’espèce, l’avis de concours prévoyait, comme habituellement, à son titre D, intitulé « I[nformations générales] », que « [l]es lauréats inscrits sur la liste de réserve auxquels un emploi sera[it] offert devr[aie]nt ultérieurement présenter les originaux de tous les documents requis dont ils [avaient] transmis des photocopies, qu’il s’agisse de diplômes, de certificats divers ou d’attestations de travail », et que « [l]e recrutement se fera[it] en fonction des dispositions statutaires […] ».

66      Cependant, de telles clauses ne sauraient constituer, à elles seules, la base juridique conférant à l’AIPN la compétence pour pouvoir légitimement écarter, a posteriori, de la liste de réserve établie par le jury un lauréat qui n’aurait pas respecté une condition d’admission ne figurant pas dans l’avis de concours qu’elle a elle‑même adopté et ne figurant pas non plus dans une disposition du statut ou dans tout autre texte de droit opposable aux candidats.

67      En effet, l’illégalité que l’AIPN voudrait opposer au lauréat du concours ne découlerait pas, dans ce cas, d’une erreur manifeste que le jury aurait commise dans l’appréciation d’une condition d’admission spécifique voulue par l’avis de concours ou figurant dans une disposition du statut, mais découlerait de l’erreur commise par l’AIPN elle‑même de ne pas avoir prescrit, dans l’avis de concours, la clause supplémentaire que l’expérience professionnelle minimale de deux ans requise pour être admis à participer aux épreuves devait être une expérience professionnelle exercée à temps plein pendant deux ans et devait être calculée selon des critères spécifiques clairement préétablis, dont le non‑respect aurait entraîné la non‑admission à la participation aux épreuves du concours. En définitive, une telle régularisation, ex post, de l’avis de concours par l’AIPN lors du recrutement ne saurait se faire ni en empiétant sur la compétence du jury, qui, dans le déroulement du concours, est en effet lié par les termes figurant dans l’avis de concours, ni au détriment du lauréat concerné.

68      Par conséquent, l’argument visant à soutenir que l’AIPN ne pourrait pas adopter, en tout état de cause, une décision de recrutement illégale à cause d’une décision illégale antérieurement adoptée par le jury est inopérant, car, en l’espèce, la décision du jury invoquée par l’AIPN n’est frappée d’aucune illégalité par rapport aux dispositions statutaires ou aux conditions figurant clairement dans l’avis de concours. Il s’agit tout au plus d’une différence entre le mode selon lequel le jury a apprécié, dans le cadre des compétences qui sont les siennes, l’expérience professionnelle minimale prescrite par l’avis de concours et le mode de calcul du temps plein selon des critères spécifiques que l’AIPN estime pouvoir utiliser au stade de la nomination. Cependant, l’AIPN n’ayant pas indiqué dans l’avis de concours que la condition de deux ans d’expérience professionnelle devait s’entendre comme une expérience professionnelle exercée pendant deux ans à temps plein, ce qui en aurait fait une modalité juridiquement contraignante tant pour le jury que pour les candidats et dont le non‑respect par ceux‑ci aurait entraîné leur élimination du concours, cette différence d’appréciation qui découle du choix méthodologique retenu par l’AIPN est le fait exclusif de cette dernière, car c’est à elle seule, et non au jury, que revient la compétence d’établir, dans l’avis de concours, les conditions d’admission.

69      À cet égard, la Commission soutient encore qu’en l’espèce le jury, en violation des dispositions de l’avis de concours le chargeant spécifiquement de vérifier, candidat par candidat, le respect de la condition d’admission de l’expérience professionnelle, aurait, en pratique, complètement omis de tenir compte de cette clause. En effet, les services de la DG « Ressources humaines » de la Commission, qui ont essayé de comprendre comment le jury avait pu calculer la durée de l’expérience professionnelle de la requérante, ont dû conclure que ce dernier n’avait appliqué aucune méthode pour calculer la durée de cette expérience professionnelle. Cette omission justifierait donc la compétence de l’AIPN pour légitimement écarter la requérante de la liste de réserve.

70      Ceci, cependant, n’est pas le cas en l’espèce, la Commission n’ayant pas fourni la preuve d’une telle omission manifeste de la part du jury ou, en tout cas, la preuve d’une admission aux épreuves du concours de la requérante qui aurait été décidée par le jury de façon manifestement arbitraire par rapport aux termes de l’avis de concours. En effet, il ressort des pièces du dossier soumis au Tribunal que, en ce qui concerne l’admission de la requérante aux épreuves, le jury disposait de documents, joints par celle‑ci à son acte de candidature, attestant d’une activité professionnelle en tant que juriste linguiste free‑lance auprès de la Cour de justice pendant quinze mois sans interruption et que rien ne permet d’affirmer que le jury n’aurait pas examiné ces documents, par exemple sur la base du critère indiqué aux points 53 et 55 du présent arrêt, qui est un critère que l’AIPN, se considérant tenue par son seul mode de calcul interne à l’institution, n’a, en revanche, certainement pas pris en compte.

71      Il s’ensuit que, en adoptant la décision litigieuse, l’AIPN a outrepassé sa compétence en matière de contrôle du respect de la condition d’admission supplémentaire concernant l’expérience professionnelle, en empiétant ainsi sur la compétence que, sur ce point, l’avis de concours avait expressément réservée au jury et en empiétant aussi sur les prérogatives d’autonomie et d’indépendance propres aux jurys de concours.

72      Au demeurant, la Commission n’a pas non plus démontré que le jury de concours, dans l’éventualité où il aurait néanmoins procédé, candidat par candidat, à l’appréciation de la durée de l’expérience professionnelle requise par l’avis de concours, aurait commis, à ce stade, une erreur manifeste dans le calcul de cette durée, justifiant ainsi que l’AIPN puisse réviser la liste des candidats admis à concourir et donc justifier aussi sa compétence pour écarter la requérante de la liste de réserve, même à la veille d’un éventuel recrutement.

–       Sur l’erreur manifeste éventuellement commise par le jury du concours dans l’appréciation de la durée de l’expérience professionnelle de la requérante

73      À cet égard, il convient de rappeler qu’une erreur est manifeste lorsqu’elle peut être aisément détectée à l’aune des critères auxquels le législateur a entendu subordonner l’exercice par l’administration de son large pouvoir d’appréciation. En particulier, il ne saurait y avoir erreur manifeste si l’appréciation mise en cause peut être admise comme vraie ou valable (arrêt du 23 octobre 2012, Eklund/Commission, F‑57/11, EU:F:2012:145, point 51, et ordonnance du 10 juillet 2014, Mészáros/Commission, F‑22/13, EU:F:2014:189, point 52).

74      Or, comme cela a été relevé aux points 45 et 48 du présent arrêt, le jury du concours, auquel l’avis de concours avait expressément confié le contrôle de la condition d’admission concernant l’expérience professionnelle et notamment la durée de ladite expérience, sans la subordonner cependant au respect d’un critère précis de calcul, devait accomplir cette tâche sur la base des attestations que chaque candidat devait fournir, conformément aux dispositions figurant dans le guide à l’intention des candidats (voir point 47 du présent arrêt), en ce qui concerne notamment « les dates exactes de début et de fin de chacun de [leurs] emplois ainsi que la fonction et la nature des tâches effectuées ».

75      En l’espèce, il y a lieu de constater que, dans son acte de candidature, la requérante s’est prévalue de façon précise de plusieurs expériences professionnelles d’une durée totale de 31 mois. D’une part, elle a fait état de différentes activités professionnelles d’une durée cumulée de treize mois, qui n’ont fait l’objet d’aucune contestation de la part de la Commission. D’autre part, elle a indiqué avoir accompli quinze mois d’activité en tant que juriste linguiste free‑lance pour la Cour de justice et trois mois de stage auprès du cabinet d’avocats W., que l’AIPN n’a cependant comptabilisés qu’à hauteur de, respectivement, sept et deux mois d’expérience professionnelle.

76      La Commission, en revanche, fait valoir que le jury n’aurait effectivement pas pris en compte le caractère free‑lance de l’activité de « traduct[eur] » exercée par la requérante pour la Cour de justice, la requérante « ne recevant pas un salaire en contre[partie], n’étant pas soumise à un horaire de travail ou à une hiérarchie et sa présence à la Cour [de justice] n’étant pas requise pour l’exercice de ses tâches » (voir, à cet égard, point 87 du présent arrêt).

77      Toutefois, il ressort clairement de l’attestation de la Cour de justice et des bons de commande que, entre le 1er octobre 2004 et l’introduction de son acte de candidature, la requérante a été appelée à travailler, sans solution de continuité, en tant que « juriste linguiste free‑lance » pour la Cour de justice. Il n’y a donc aucune raison de considérer, comme le suggère la Commission, que le jury, composé d’experts en la matière, aurait ignoré le caractère free‑lance de cette activité professionnelle qui, de par sa nature, n’est pas soumise à des contraintes horaires de travail préétablies. Éventuellement, c’est la Commission qui semble confondre, en les traitant de la même manière, l’activité de « traducteur » free‑lance avec celle de « juriste linguiste » free‑lance.

78      De même, en ce qui concerne les études spécialisées de droit international poursuivies par la requérante du mois d’octobre 2004 au mois de juin 2005, en parallèle avec une partie de son activité de juriste linguiste free‑lance auprès de la Cour de justice, il suffit d’observer que les pièces jointes à l’acte de candidature faisaient état sans équivoque de ce fait. Il n’y a donc pas davantage de raison de considérer que le jury ne l’aurait pas dûment pris en considération aux fins de l’appréciation de la durée de l’expérience professionnelle nécessaire pour l’admission au concours.

79      Ensuite, il convient de constater que les bons de commande joints à l’acte de candidature mettaient en exergue, vu la périodicité et l’ampleur des commandes passées par la Cour de justice et honorées par la requérante pendant les quinze mois de collaboration avec cette institution, le caractère à la fois constant et consistant du travail effectué par cette dernière en tant que juriste linguiste free‑lance (et donc pas en tant que « traduct[eur] ‘free‑lance’ »), nonobstant les études de droit international poursuivies en parallèle.

80      Enfin, comme cela a déjà été relevé au point 57 du présent arrêt, le jury disposait d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne l’équivalence, en termes de temps de travail, entre une activité exercée à horaires variable en free‑lance et un travail à temps plein et disposait notamment à cette fin d’une marge de manœuvre importante tenant au fait que la durée cumulée des expériences professionnelles de la requérante, dans leur ensemble, dépassait de sept mois la durée minimale de deux ans requise.

81      Compte tenu de ces constatations, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas non plus apporté la preuve que le jury aurait commis une erreur manifeste dans le calcul de la durée de l’expérience professionnelle de la requérante.

82      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le premier moyen, tiré de l’incompétence de l’AIPN, doit donc être accueilli.

 Sur le deuxième moyen, tiré, à titre subsidiaire, de l’erreur manifeste d’appréciation de l’AIPN, ainsi que de la violation de l’avis de concours et des principes de sécurité juridique et d’égalité de traitement

83      Ce moyen ayant trait essentiellement à l’évaluation des faits objet de la présente affaire, le Tribunal estime, à ce titre et dans le but d’une bonne administration de la justice, pouvoir l’examiner, même après avoir accueilli le premier moyen soulevé à titre principal.

 Arguments des parties

84      La requérante soutient que, à supposer que l’AIPN ait pu légalement substituer sa propre appréciation de la condition tenant à l’expérience professionnelle à celle du jury, celle‑ci aurait néanmoins examiné la condition de l’expérience professionnelle de façon manifestement erronée, notamment en ce qui concerne, d’abord, le calcul à temps plein de son expérience professionnelle en tant que juriste linguiste free‑lance auprès de la Cour de justice, puis la durée de son stage au sein du cabinet d’avocats W. et, enfin, l’application à son expérience professionnelle de juriste linguiste free‑lance auprès de la Cour de justice de la norme journalière d’un nombre déterminé de pages à traduire qui, cependant, n’était pas mentionné dans l’avis de concours.

85      La Commission conclut au rejet du deuxième moyen.

 Appréciation du Tribunal

86      Afin d’examiner si l’appréciation faite par l’AIPN quant à la durée de l’expérience professionnelle de la requérante est manifestement erronée, il y a lieu de vérifier tout d’abord si les modalités ou les critères utilisés par l’AIPN à cet égard se fondent sur une base juridique pertinente, par rapport au cadre de la légalité représenté par l’avis de concours et justifiant ainsi, de la part de l’AIPN, l’utilisation, dans l’appréciation d’une condition d’admission à caractère éliminatoire, d’un critère de calcul spécifique et légal vis‑à‑vis de personnes extérieures à l’institution.

87      Or, il ressort de la décision de rejet de la réclamation que l’AIPN a considéré que « le jury n’avait probablement pas tenu compte du fait que le travail de la [requérante] pour la Cour [de justice] était […] free‑lance et qu’il devait, partant, être comptabilisé non pas sur la base des mois durant lesquels la [requérante] avait coopéré avec cette institution, mais sur la base du travail effectivement réalisé, la [requérante] ne recevant pas un salaire en contre[partie], n’étant pas soumise à un horaire ou à une hiérarchie et sa présence à la Cour [de justice] n’étant pas requise pour l’exercice de ses tâches[ ; d]ès lors, un calcul du nombre de jours travaillés dans ce contexte, par exemple, sur la base du nombre de pages traduites, s’imposait. Ceci était d’autant plus le cas que les bons de commande des traductions figuraient dans le dossier et que la possibilité d[e s]’en servir pour les activités professionnelles non salariées était prévue dans le [g]uide [à l’intention des candidats] » (souligné par le Tribunal).

88      Le guide à l’intention des candidats, selon la Commission, constituerait ainsi la base juridique suffisante pour utiliser les mécanismes de conversion de la quantité de travail produit en journées de travail accomplies, tels que ceux utilisés par les services de la Commission pour le travail de traduction au sein de cette institution. Il s’ensuit que, selon la Commission, l’AIPN « était en droit de vérifier le temps de travail de la requérante en tant que free‑lance pour la Cour de [j]ustice » (souligné par le Tribunal).

89      Dans son mémoire en défense, la Commission souligne également que, « comme la requérante a[vait] demandé à être recrutée par la Commission, il était inévitable pour l’AIPN de se baser sur ses propres critères pour calculer l’expérience professionnelle à temps plein » (souligné par le Tribunal).

90      Or, s’il est incontestable que, en l’espèce, le recrutement de la requérante aurait dû, le cas échéant, avoir lieu au sein de la Commission, force est cependant de constater que la Commission n’indique nulle part, ni au stade de la décision de rejet de la réclamation ni dans le cadre de la présente procédure, sur quelle base juridique, opposable directement à la requérante, l’AIPN aurait été tenue de corriger l’éventuelle erreur manifeste commise par le jury dans le calcul de l’expérience professionnelle de la requérante en utilisant le critère du nombre de pages traduites par jour selon le ratio utilisé par les services de traduction de la Commission, à savoir cinq pages par jour ouvrable, et ceci indépendamment du fait qu’il s’agissait en l’espèce de traduire spécifiquement des textes juridiques et/ou de vérifier la concordance linguistique et juridique de textes législatifs.

91      En effet, un tel mode de calcul, même en admettant qu’il puisse découler de la communication du vice‑président de la Commission SEC (2004) 638, du 25 mai 2004, concernant les besoins en termes de traduction, n’a pas été édicté dans ce document en tant que critère obligatoire de sélection pour l’admission aux épreuves d’un concours destiné spécifiquement au recrutement de juristes linguistes. En tout état de cause, ce mode de calcul ne figurait pas dans l’avis de concours et il n’avait pas non plus fait l’objet d’une publication accessible ou nécessairement connue du jury ou des candidats concernés. De plus, un tel critère, comme l’a d’ailleurs affirmé la Commission elle‑même, ne correspond pas aux critères utilisés par les services de traduction des autres institutions ayant accès à la liste de réserve du concours pour le recrutement, le cas échéant, de leurs juristes linguistes. Dès lors, il ne s’agit pas d’un critère commun aux institutions de l’Union.

92      Par conséquent, l’AIPN, opérant à la place du jury du concours afin d’assurer le respect d’une condition d’admission aux épreuves, condition d’admission dont l’appréciation et l’application de façon uniforme par rapport à tous les participants au concours s’imposait, ne pouvait pas utiliser un mode de calcul exclusivement interne à la Commission et par conséquent non interinstitutionnel, s’avérant ainsi non pertinent, s’agissant, en l’espèce, de recruter des juristes linguistes, et non contraignant vis‑à‑vis de personnes extérieures à l’institution.

93      Il s’ensuit que l’analyse de l’expérience professionnelle de la requérante faite par la Commission visant à calculer, selon les critères utilisés par ses services de traduction, le nombre de pages traduites par la requérante pendant sa période d’activité en tant que juriste linguiste free‑lance auprès de la Cour de justice comme s’il s’agissait du travail d’un « traducteur » de la Commission, même à la supposer plausible, ne se fonde sur aucune disposition légale pertinente et directement opposable à la requérante et constitue, par conséquent, une erreur manifeste de la part de l’AIPN, aisément détectable par le Tribunal (voir point 70 du présent arrêt).

94      Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu d’accueillir le deuxième moyen, bien que soulevé à titre subsidiaire, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments avancés à cet égard par la requérante.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude, ainsi que du non‑respect du délai raisonnable

95      Ce moyen ayant trait essentiellement à l’évaluation des faits objet de la présente affaire, le Tribunal estime, à ce titre et dans le but d’une bonne administration de la justice, pouvoir l’examiner, même après avoir accueilli le premier moyen soulevé à titre principal.

 Arguments des parties

96      La requérante reproche tout d’abord à l’AIPN d’avoir remis en cause la validité de la décision du jury de l’admettre au concours à la dernière étape de la procédure de son recrutement, presque sept ans après l’établissement de la liste de réserve, et, plus particulièrement, après que la DG « Ressources humaines » avait accordé une dérogation en vue de son recrutement comme administrateur. En outre, la validité de la liste de réserve avait été prolongée plusieurs fois et la requérante avait été invitée à plusieurs entretiens d’embauche dans l’intervalle, sans que son admissibilité au concours n’ait jamais été vérifiée ou remise en question.

97      Ensuite, la requérante soutient que les agents de la DG « Ressources humaines » lui ont refusé l’accès à son dossier EPSO lors des entretiens qu’elle a eus avec eux en septembre et en octobre 2013, l’accès ne lui ayant été accordé qu’au mois de novembre suivant.

98      En outre, selon la requérante, en prenant quatre mois pour adopter la décision litigieuse, l’AIPN aurait dépassé le délai raisonnable d’examen du dossier. Compte tenu, d’une part, de la nature du contrôle que l’AIPN était amenée à effectuer en l’espèce, limité à l’erreur manifeste d’appréciation du jury, et, d’autre part, de l’intérêt constant manifesté par la DG « Justice » pour le recrutement de la requérante, initialement prévu pour septembre 2013, un tel délai serait excessif et, par ailleurs, entièrement imputable à la DG « Ressources humaines ».

99      Enfin, l’AIPN aurait traité le dossier de façon inéquitable, les représentants de la DG « Ressources humaines » ayant émis des opinions contradictoires et confuses quant aux éléments pertinents pour le calcul de la durée de l’expérience professionnelle et aux documents à présenter à cet égard et qui, par la suite, n’ont pas été retenus. Un tel comportement aurait également retardé la procédure de recrutement.

100    La Commission conclut au rejet du troisième moyen.

 Appréciation du Tribunal

101    Premièrement, il convient de rappeler que l’AIPN ne doit examiner la légalité de la décision du jury d’inscrire un candidat sur la liste de réserve d’un concours qu’au moment où se pose la question du recrutement effectif de ce dernier et nullement au moment où le jury lui communique la liste de réserve (arrêt du 15 septembre 2005, Luxem/Commission, T‑306/04, EU:T:2005:326, point 24). Le temps écoulé depuis l’établissement de la liste de réserve ou le nombre de prolongations de la validité de cette liste ne sont donc pas des circonstances pertinentes pour apprécier en l’espèce si l’AIPN a enfreint le principe de bonne administration en remettant en cause la décision du jury d’admettre la requérante à passer les épreuves du concours.

102    Ensuite, quant à la dérogation à la liste de réserve dont il s’agit (voir point 15 du présent arrêt), il convient d’observer que cette décision a été prise nécessairement après la décision du jury d’inscrire la requérante sur ladite liste, mais avant l’indispensable vérification, de la part des services de l’AIPN, de son aptitude à être nommée fonctionnaire. Or, cette décision de dérogation, bien qu’elle soit intervenue intempestivement, à savoir bien avant que l’AIPN n’ait pu vérifier l’aptitude de la requérante à être nommée au poste concerné, n’implique pas, de jure, le fait que l’AIPN ne pourrait plus vérifier, dans les limites de ses compétences, le respect desdites conditions de nomination imposées impérativement par le statut. Autrement dit, une décision de dérogation telle que celle en cause n’équivaut pas, automatiquement, à une décision d’aptitude à être nommé fonctionnaire. Or, parmi les conditions statutaires de nomination, figure celle, énoncée à l’article 28 du statut, d’avoir passé un concours sur titre et épreuves qui, en l’espèce, ne pouvait être que le concours en cause dans la présente affaire.

103    Deuxièmement, en ce qui concerne l’accès au dossier EPSO, force est de constater que l’allégation de la requérante relative au refus prétendument opposé par les agents de la DG « Ressources humaines » à ses demandes verbales d’accès n’est étayée par aucun élément de preuve. Bien que la requérante ait fait mention d’un tel refus dans un courriel du 11 novembre 2013 adressé à la DG « Ressources humaines », son affirmation n’est pas confirmée par le destinataire, qui, au contraire, l’a invitée à accéder à son dossier dès le lendemain. D’ailleurs, la requérante, qui admet avoir eu accès à son acte de candidature et aux pièces jointes le 12 novembre 2013, n’indique pas en quoi le prétendu refus antérieur serait constitutif d’une violation du principe de bonne administration ou du devoir de sollicitude.

104    Troisièmement, s’agissant du délai pris par l’AIPN pour rendre sa décision, il convient de relever qu’aucun délai n’est fixé par une disposition du droit de l’Union concernant la prise de décision sur le recrutement d’un fonctionnaire dans le cadre d’une procédure de concours telle que celle à laquelle la requérante a participé. Il s’ensuit que, selon une jurisprudence constante, le caractère raisonnable du délai pris par l’institution pour adopter l’acte en cause doit être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de la portée de l’enjeu en cause pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties concernées (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, C‑334/12 RX‑II, EU:C:2013:134, point 28, et la jurisprudence citée).

105    En l’espèce, à la suite de l’entretien d’embauche du 28 mai 2013, la DG « Justice » a transmis la demande de recrutement concernant la requérante à la DG « Ressources humaines » au mois de juin 2013 et, au mois de juillet 2013, la DG « Ressources humaines » a donné la dérogation nécessaire pour l’engagement, sur un poste d’administrateur, d’un candidat figurant sur une liste de réserve de juristes linguistes. Le dossier EPSO a été communiqué à la Commission au mois de septembre 2013 et la décision litigieuse a été adoptée le 17 décembre 2013. Entre‑temps, à la fin du mois d’août 2013, la requérante s’est renseignée auprès de la DG « Ressources humaines » sur l’état de la procédure de recrutement.

106    S’agissant d’abord du critère de la portée de l’enjeu en cause, bien que la perspective de son recrutement présentait une importance indéniable pour la requérante, celle‑ci ne saurait se prévaloir d’aucun droit à être nommée fonctionnaire et, en l’absence de l’accord de la DG « Ressources humaines », elle ne saurait pas non plus invoquer une confiance légitime à cet égard, nonobstant l’intérêt constant manifesté par la DG « Justice » pour son recrutement (voir arrêt du 19 mai 2015, Brune/Commission, F‑59/14, EU:F:2015:50, point 78, et la jurisprudence citée). Ensuite, l’AIPN ayant considéré, quoique à tort, que le jury avait commis une erreur manifeste d’appréciation en admettant la requérante à participer au concours, la vérification du respect de la condition d’admission relative à l’expérience professionnelle requise par l’avis de concours présentait, en tant que telle et dans les limites indiquées aux points 53 à 55 du présent arrêt, une certaine complexité. Enfin, estimant que les informations contenues dans le dossier EPSO étaient, à certains égards, contradictoires et insuffisantes, l’AIPN a demandé à la requérante des documents et explications supplémentaires. Aucun retard injustifié dans la procédure de recrutement ne saurait donc être imputé à l’AIPN.

107    Dès lors, le délai d’environ six mois écoulé entre la demande de recrutement adressée par la DG « Justice » à la DG « Ressources humaines », en juin 2013, et l’adoption de la décision litigieuse, le 17 décembre suivant, ne saurait, en l’espèce, être jugé globalement déraisonnable.

108    Quatrièmement, le fait que les agents de la DG « Ressources humaines » ont tenu la requérante informée, à différentes étapes intermédiaires de la procédure de recrutement, des éléments qu’ils estimaient pertinents pour le calcul de la durée de son expérience professionnelle et des preuves à apporter à cet égard n’équivaut pas à un traitement inéquitable de sa situation. Au contraire, la requérante a ainsi eu l’opportunité de prendre position sur les aspects controversés de son dossier et de faire valoir en sa faveur, au cours de la procédure de recrutement, tous les arguments et les éléments de preuve dont elle disposait. L’AIPN était au demeurant libre d’apprécier la force probante de tels éléments.

109    Il s’ensuit qu’aucune violation du principe de bonne administration, du devoir de sollicitude ou du délai raisonnable ne peut être constatée sur la base des éléments avancés par la requérante et que, par conséquent, le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré de l’illégalité de la condition d’admission au concours relative à l’expérience professionnelle

 Arguments des parties

110    La requérante soutient, par la voie d’une exception d’illégalité, que la condition d’admission relative à l’expérience professionnelle figurant dans l’avis de concours serait contraire au principe d’égalité de traitement, dans la mesure où d’autres avis de concours pour le recrutement de juristes linguistes ne prévoiraient aucune condition de ce type.

111    La Commission conclut au rejet du quatrième moyen, à titre principal comme irrecevable et à titre subsidiaire comme non fondé.

 Appréciation du Tribunal

112    Le premier moyen d’annulation, tiré de l’incompétence de l’AIPN, ayant été accueilli, il n’y a plus lieu d’examiner le quatrième moyen. En outre, dès lors que, par rapport aux conditions figurant dans l’avis de concours quant à la répartition des compétences entre l’AIPN et le jury, il a été établi que l’AIPN était liée par la décision du jury d’admettre la requérante au concours au titre de la condition tenant à l’expérience professionnelle dans la mesure où cette décision était exempte d’erreur manifeste, l’éventuelle illégalité de cette condition d’admission ne donnerait pas lieu à un préjudice personnel supplémentaire indemnisable au profit de la requérante.

3.     Sur les conclusions indemnitaires

 Arguments des parties

113    La requérante fait valoir qu’elle aurait été certainement recrutée en septembre 2013 si l’illégalité dont est entachée la décision litigieuse n’avait pas été commise. Étant donné que, entre le 1er septembre 2013 et le 1er février 2014, date à laquelle la requérante affirme avoir été engagée en tant que référendaire auprès d’un membre du Tribunal de l’Union européenne, elle est restée sans emploi, attendant la décision de l’AIPN, ladite illégalité lui aurait causé un préjudice matériel représenté par la perte des revenus qu’elle aurait perçus, ainsi que d’autres avantages liées à une nomination, y compris la possibilité d’être engagée comme fonctionnaire sous l’empire de dispositions statutaires plus avantageuses, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2013.

114    En conséquence, la requérante estime qu’il y a lieu de l’indemniser en lui reconnaissant « tous les effets » d’une nomination en septembre 2013 en tant qu’administrateur de grade AD 7, échelon 1, affecté à la DG « Justice », à savoir, « entre autres », l’ancienneté de grade au 1er septembre 2013, la reconstitution de sa carrière, le payement rétroactif des contributions au régime de pensions et le versement de la rémunération pour la période pendant laquelle elle est restée sans emploi, rémunération évaluée, sous réserve de majoration, à 26 132,85 euros, à augmenter des intérêts moratoires calculés au taux fixé par la Banque centrale européenne pour les opérations principales de refinancement sur la période concernée et majoré de deux points.

115    La requérante ajoute qu’elle aurait également subi, du fait de la décision litigieuse, un préjudice moral résultant du stress et de l’angoisse générés par la remise en cause, presque sept ans après son inscription sur la liste de réserve, des droits qu’elle avait acquis en tant que lauréate du concours, ainsi que de l’obligation dans laquelle elle s’est trouvée d’entamer elle‑même des démarches auprès de ses anciens employeurs pour obtenir les informations exigées par la DG « Ressources humaines » aux fins de l’évaluation de son expérience professionnelle. À ce titre, la requérante limite sa demande à un euro symbolique.

116    La Commission, pour sa part, conclut au rejet des conclusions indemnitaires. S’agissant du préjudice matériel pour perte de chance, la demande en réparation aurait un lien étroit avec les conclusions en annulation et devrait donc être rejetée comme non fondée. Par ailleurs, la requérante ne saurait se prévaloir d’aucune chance sérieuse de recrutement et ne saurait considérer non plus que sa nomination aurait dû se faire à une date déterminée. En tout état de cause, tel que précisé par la Commission à l’audience, en réponse à une question figurant dans le rapport préparatoire d’audience, un recrutement antérieur au 1er mars 2014, éventuel délai de préavis inclus, n’aurait pas été envisageable en l’espèce.

117    En outre, les demandes de reconnaître au profit de la requérante « tous les effets » d’une nomination et de reconstituer sa carrière seraient manifestement irrecevables, la première en raison de son imprécision et, la seconde, en raison du fait que, selon la jurisprudence, il n’appartient pas au juge de l’Union d’adresser des injonctions à l’administration dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 91 du statut.

118    Quant au préjudice moral, les conclusions indemnitaires seraient irrecevables, faute d’une demande préalable au titre de l’article 90 du statut, ce préjudice découlant, selon la Commission, d’un comportement non décisionnel de l’administration, à savoir le retard dans la gestion du dossier de la requérante.

119    La demande en réparation du préjudice moral ne serait néanmoins pas fondée. Ainsi, le stress et l’angoisse allégués seraient peu vraisemblables dans les circonstances de l’espèce, d’autant plus que le statut de lauréat d’un concours ne confère à l’intéressé aucun droit à être nommé fonctionnaire et qu’il incombe à chaque candidat de produire les éléments nécessaires à l’appréciation de l’existence et de la pertinence de ses titres et expérience professionnelle.

 Appréciation du Tribunal

120    Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité d’une institution suppose la réunion d’un ensemble de conditions concernant l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (voir, notamment, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, EU:C:1994:211, point 42, et du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, EU:C:2008:107, point 52).

121    La décision litigieuse étant, ainsi qu’il a été jugé dans le cadre de l’examen du premier moyen, entachée d’illégalité, il convient d’examiner si la requérante a subi un préjudice causé par cette décision.

122    En ce qui concerne le préjudice matériel, force est de constater que, par l’effet de la décision litigieuse, la requérante a perdu une chance réelle d’être recrutée en qualité de fonctionnaire sur l’emploi vacant à la DG « Justice », pour le pourvoi duquel cette direction générale avait en effet manifesté, à plusieurs reprises, son intérêt à l’égard de la requérante (voir point 18 du présent arrêt et, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2013, Thomé/Commission, F‑97/12, EU:F:2013:142, point 76).

123    Aussi, indépendamment des mesures que la Commission devra adopter, conformément à l’article 266 TFUE, pour exécuter le présent arrêt d’annulation, il y a lieu de considérer que la requérante a perdu de manière définitive la chance d’être nommée à un emploi d’administrateur de grade AD 7 sur le poste qui était vacant à la DG « Justice » pour lequel cette direction générale avait d’ailleurs obtenu, afin de proposer cet emploi à la requérante, une dérogation administrative à la liste de réserve du concours qui était destinée, en effet, à permettre le recrutement, en premier lieu, de juristes linguistes. Ce préjudice ouvre donc le droit, dans le respect des autres conditions légales, à réparation (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2011, AA/Commission, F‑101/09, EU:F:2011:133, points 79 à 82).

124    Ensuite, la requérante affirme, en se fondant sur l’intérêt de l’unité de la DG « Justice » à laquelle elle aurait dû être affectée, intérêt non contesté d’ailleurs par la Commission, qu’en l’absence de l’illégalité dont est entachée la décision litigieuse elle aurait été recrutée à partir du 1er septembre 2013.

125    Or, il convient à cet égard de rappeler, d’une part, que le dossier EPSO n’est parvenu à l’AIPN qu’au mois de septembre 2013.

126    D’autre part, si la Commission soutient que, sur le plan administratif, la première date possible de recrutement sur le poste vacant aurait été le 1er mars 2014, il n’en demeure pas moins que, si l’AIPN n’avait pas estimé à tort que le jury avait commis une erreur manifeste d’appréciation, la durée de l’analyse du dossier de la requérante aurait été vraisemblablement plus courte, en raison notamment de l’intérêt manifesté, à plusieurs reprises, par la DG « Justice » pour le pourvoi de ce poste.

127    Dans les circonstances de l’espèce, il convient donc de considérer que la chance de la requérante d’être recrutée, en l’absence de l’illégalité reprochée à la Commission, sur le poste d’administrateur en cause est née à son profit au plus tôt le 1er novembre 2013, en prenant aussi en compte le fait que, comme il résulte du courriel du 24 mai 2013 envoyé par la DG « Ressources humaines » à la requérante (voir point 13 du présent arrêt), la visite médicale d’embauche, en cas de recrutement par la Commission, n’aurait pas été nécessaire, la requérante ayant déjà passé cette visite auparavant auprès de la Cour de justice.

128    Enfin, la requérante soutient que le montant de son préjudice matériel s’élèverait, pour la période allant du 1er septembre 2013 au 1er février 2014, pendant laquelle elle est restée sans emploi en attendant l’adoption de la décision litigieuse, à la somme de 26 132,85 euros, représentant les revenus qu’elle aurait perçus en tant que fonctionnaire de grade AD 7, échelon 1. La requérante ajoute que la Commission devrait également être condamnée au paiement des contributions au régime de pensions à compter du mois de septembre 2013.

129    Toutefois, sans qu’il soit besoin de prendre position sur la fin de non‑recevoir opposée par la Commission aux demandes tendant à ce que « tous les effets » de la nomination soient reconnus et à la reconstitution de la carrière, il suffit de rappeler que le préjudice matériel dont la requérante est fondée à obtenir l’indemnisation n’est pas lié à un manque à gagner, mais à la perte de chance d’avoir été engagée en qualité de fonctionnaire sur le poste qui faisait l’objet de la procédure de recrutement en cause.

130    En conséquence, compte tenu des circonstances de l’espèce et en faisant usage de la faculté pour le Tribunal d’évaluer le préjudice ex æquo et bono, il sera fait une juste réparation de l’entier préjudice matériel subi par la requérante, vu notamment le traitement mensuel correspondant au poste à pourvoir, le caractère réel de la chance perdue, la première date possible de recrutement et la situation professionnelle de la requérante pendant la période de référence, en condamnant la Commission à lui verser la somme forfaitaire de 10 000 euros.

131    S’agissant du préjudice moral, il convient à titre liminaire de constater que, contrairement à ce qu’allègue la Commission, le dommage prétendument subi ne résulte pas d’un comportement de l’administration dépourvu de caractère décisionnel, à savoir du retard dans la gestion du dossier de la requérante, mais de la décision litigieuse.

132    Toutefois, il y a lieu de décider que l’annulation de la décision litigieuse constitue en elle‑même une réparation adéquate et suffisante du préjudice moral allégué par la requérante, celle‑ci ne parvenant pas à établir avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation de la décision litigieuse.

133    Il s’ensuit que la Commission doit être condamnée à payer à titre indemnitaire à la requérante la somme de 10 000 euros.

 Sur les dépens

134    Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens, mais n’est condamnée que partiellement aux dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

135    Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que la Commission est la partie qui succombe pour l’essentiel. En outre, la requérante a, dans ses conclusions, expressément demandé que la Commission soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission doit supporter ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 17 décembre 2013 par laquelle la Commission européenne a refusé de recruter FE est annulée.

2)      La Commission européenne est condamnée à payer à FE la somme de 10 000 euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      La Commission européenne supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par FE.

Barents

Perillo

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 octobre 2015.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       R. Barents


* Langue de procédure : le français.