Language of document : ECLI:EU:T:2009:16

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

23 janvier 2009 (*)

« Référé – Marchés publics – Rejet d’une offre – Demande de sursis à exécution – Perte d’une chance – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑511/08 R,

Unity OSG FZE, établie à Sharjah (Émirats arabes unis), représentée par M. C. Bryant et Mme J. McEwen, solicitors,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. G. Marhic et A. Vitro, en qualité d’agents,

Mission de police de l’Union européenne en Afghanistan (EUPOL Afghanistan), établie à Kaboul (Afghanistan),

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision, prise par EUPOL Afghanistan dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, de rejeter l’offre de la requérante et d’attribuer à un autre soumissionnaire le marché de fourniture de services de gardiennage et de protection rapprochée en Afghanistan,


LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        En décembre 2007, la Mission de police de l’Union européenne en Afghanistan (EUPOL Afghanistan), établie en vertu de l’action commune 2007/369/PESC du Conseil, du 30 mai 2007 (JO L 139, p. 33), avait conclu avec la requérante, Unity OSG FZE, un contrat portant sur la fourniture de services de sécurité. Ce contrat était valide jusqu’au 30 novembre 2008.

2        À la fin du mois de septembre 2008, EUPOL Afghanistan a publié un avis de marché de services qui portait sur la fourniture de services de gardiennage et de protection rapprochée en Afghanistan et qui visait à remplacer le contrat en vigueur, et ce à partir du 1er décembre 2008 pour une durée initiale de douze mois susceptible d’être prolongée. L’objet de ce contrat était, en substance, de garantir une protection complète et continue de tout le personnel d’EUPOL Afghanistan dans la ville de Kaboul et dans d’autres régions d’Afghanistan, les services de sécurité requis comprenant notamment le gardiennage, la protection rapprochée et la sécurité résidentielle. Il était estimé que le respect des obligations découlant du contrat requerrait la satisfaction d’environ 67 positions de catégories diverses pour lesquelles seraient impliquées quelque 118 personnes.

3        Après avoir introduit une demande de participation à la procédure d’appel d’offres et reçu une invitation à soumissionner, la requérante a déposé son offre le 12 novembre 2008, soit dans le délai imparti à cet égard.

4        Le 23 novembre 2008, la requérante a reçu une lettre d’EUPOL Afghanistan l’informant que son offre avait été rejetée et que le marché avait été attribué à la société ArmorGroup (ci-après la « décision attaquée »). Par lettre du 24 novembre 2008, elle a protesté auprès d’EUPOL Afghanistan contre son éviction de la procédure en indiquant qu’elle avait l’intention de contester l’attribution du marché.

5        Estimant que des contacts irréguliers avaient eu lieu entre EUPOL Afghanistan et ArmorGroup au cours de la procédure de passation du marché en cause, la requérante a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 novembre 2008, introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

6        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée, en vertu de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, dans l’attente de l’adoption d’une ordonnance qui mettra fin à la présente procédure de référé, et, en tout état de cause, jusqu’à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours au principal ;

–        ordonner toute autre mesure conservatoire considérée comme appropriée ;

–        condamner le Conseil et EUPOL Afghanistan aux dépens.

7        Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 5 décembre 2008, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

8        EUPOL Afghanistan n’a pas déposé de mémoire.

9        Le 1er décembre 2008, le juge des référés a posé des questions écrites aux parties. La requérante et le Conseil y ont répondu dans le délai imparti.

 En droit

10      En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

11      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient édictés et sortent leurs effets dès avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes en référé doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

12      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

13      Enfin, il importe de souligner que l’article 242 CE pose le principe du caractère non suspensif des recours (ordonnance du président de la Cour du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C‑377/98 R, Rec. p. I‑6229, point 44, et ordonnance du président du Tribunal du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T‑191/98 R II, Rec. p. II‑2551, point 42). Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires.

14      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

15      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

 Arguments des parties

16      La requérante fait valoir que, en cas de rejet de sa demande en référé, elle subira un préjudice grave et irréparable à la suite de l’exécution du contrat litigieux qui était censée débuter le 1er décembre 2008. Compte tenu de différents facteurs relatifs à la nature du contrat et de la position de la requérante en tant que contractant en place, elle serait affectée d’une manière différente des autres soumissionnaires évincés et subirait un préjudice qui ne pourrait être compensé adéquatement par l’octroi d’une indemnisation pécuniaire, du fait qu’il irait bien au-delà d’un simple préjudice financier.

17      La nature de l’ancien contrat et celle du nouveau contrat seraient telles que le transfert entre les contractants impliquerait de sérieuses perturbations pour la requérante. Elle serait obligée de retirer du matériel et du personnel d’Afghanistan et de les redéployer ailleurs ou de vendre ses équipements et de licencier son personnel. Ainsi, les membres de son personnel qui étaient censés arriver en Afghanistan le 4 décembre 2008 n’auraient pas pu y venir et la requérante serait tenue de les redéployer ailleurs ou de mettre fin aux contrats d’emploi, ce qui causerait des bouleversements sérieux, compte tenu du volume et de la nature des contrats concernés.

18      En outre, la capacité de la requérante à exécuter le contrat serait irrémédiablement affectée même si elle obtenait l’annulation de la décision attaquée. L’offre de la requérante aurait été déposée sur la base de l’expérience locale de son personnel, de sa situation à Kaboul et de ses équipements. Dans l’hypothèse où le contrat entre EUPOL Afghanistan et ArmorGroup serait mis en œuvre comme prévu, la requérante serait obligée de limiter l’impact financier qui en résulterait, en vendant ses équipements, en libérant son personnel ou en le redéployant ailleurs. Ce faisant, dans l’hypothèse d’un nouvel appel d’offres, la requérante ne serait pas en mesure de déposer une offre d’une valeur équivalente à celle qu’elle avait soumise. Par ailleurs, la requérante ne pourrait plus disposer de ses bâtiments à Kaboul en tant que base à partir de laquelle exercer ses activités et sa position en serait par conséquent affectée.

19      La requérante ajoute que sa capacité à conserver sa licence de sécurité en Afghanistan serait irrémédiablement affectée. La conservation de cette licence dépendrait en effet de sa participation à des contrats tels que celui en cause en l’espèce. De plus, dans l’hypothèse d’une perte de sa licence de sécurité, la capacité de la requérante à exercer d’autres travaux en Afghanistan en serait affectée.

20      Enfin, la perte du marché en cause porterait gravement atteinte à la réputation de la requérante en tant que contractant en place. Cela serait d’autant plus manifeste si ce préjudice s’ajoutait à la perte éventuelle de la licence de sécurité de la requérante. Ces effets ne pourraient être correctement quantifiés ou compensés ultérieurement par l’octroi de dommages et intérêts.

21      Le Conseil soutient que les allégations avancées par la requérante ne permettent pas d’établir à suffisance qu’elle subirait un préjudice grave et irréparable avant que soit rendue la décision au principal. En conséquence, la condition relative au caractère urgent des mesures provisoires sollicitées ne serait pas remplie.

 Appréciation du juge des référés

22      Il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. C’est à cette dernière partie qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnances du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 187 ; du 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T‑195/05 R, Rec. p. II‑3485, point 124, et du 25 avril 2008, Vakakis/Commission, T‑41/08 R, non publiée au Recueil, point 52, et la jurisprudence citée).

23      Lorsque le préjudice dépend de la survenance de plusieurs facteurs, il suffit qu’il apparaisse comme prévisible avec un degré de probabilité suffisant [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67, et ordonnance du président du Tribunal du 16 janvier 2004, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03 R, Rec. p. II‑205, point 71 ; voir également, en ce sens, ordonnance de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C‑280/93 R, Rec. p. I‑3667, points 32 à 34]. La partie requérante demeure cependant tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage grave et irréparable (ordonnances Arizona Chemical e.a./Commission, précitée, point 72, et HFB e.a./Commission, précitée, point 67).

24      Il convient donc d’examiner si, en l’espèce, la requérante a démontré avec un degré de probabilité suffisant qu’elle subira un préjudice grave et irréparable si les mesures provisoires qu’elle sollicite ne lui sont pas octroyées.

25      S’agissant de la gravité du préjudice invoqué en l’espèce, il importe de rappeler que ce dernier serait subi à l’occasion d’une procédure d’appel d’offres pour l’attribution d’un marché. Or, une telle procédure a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus conforme aux critères de sélection prédéterminés. L’autorité communautaire qui institue une telle procédure dispose, par ailleurs, d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise de la décision de passer le marché (arrêts du Tribunal du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T‑145/98, Rec. p. II‑387, point 147 ; du 26 février 2002, Esedra/Commission, T‑169/00, Rec. p. II‑609, point 95, et du 14 février 2006, TEA-CEGOS e.a./Commission, T‑376/05 et T‑383/05, Rec. p. II‑205, point 50).

26      Une entreprise qui participe à une telle procédure n’a, dès lors, jamais la garantie absolue que le marché lui sera adjugé, mais doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire. Dans ces conditions, les conséquences financières négatives pour l’entreprise en question, qui découleraient du rejet de son offre, font, en principe, partie du risque commercial habituel, auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face (ordonnance du juge des référés du Tribunal du 14 septembre 2007, AWWW/FEACVT, T‑211/07 R, non publiée au Recueil, point 41).

27      Il s’ensuit que la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public est inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, indépendamment d’une appréciation concrète de la gravité de l’atteinte spécifique alléguée dans chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, ordonnance Deloitte Business Advisory/Commission, précitée, point 150).

28      En conséquence, c’est à la condition que l’entreprise requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de l’entreprise requérante (voir, en ce sens, ordonnance Deloitte Business Advisory/Commission, précitée, points 151 et 156, et la jurisprudence citée).

29      En l’espèce, force est de constater que la requérante n’a pas produit le moindre élément permettant de considérer, compte tenu en particulier de sa taille, que la perte qu’elle risque de subir serait suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoires. Elle s’est notamment abstenue d’exposer le caractère mondial, régional ou local de ses activités de fourniture de services de sécurité en indiquant si elle faisait partie d’un groupe d’entreprises actives sur plusieurs marchés géographiques ou si elle réalisait, au contraire, l’essentiel de son chiffre d’affaires avec EUPOL Afghanistan. Or, s’agissant d’éléments essentiels de fait et de droit constitutifs d’une éventuelle urgence, de telles précisions, étayées par des données chiffrées, auraient dû figurer dans la demande en référé (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T‑236/00 R, Rec. p. II‑15, point 34 ; du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 52, et du 23 mai 2005, Dimos Ano Liosion e.a./Commission, T‑85/05 R, Rec. p. II‑1721, point 37).

30      Dès lors, à défaut d’éléments pertinents figurant dans la demande en référé, le juge des référés n’est pas en mesure de considérer que, pour la requérante, la perte d’une chance de percevoir les revenus résultant de l’exécution du marché en cause serait suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoires.

31      Il convient d’ajouter que le préjudice d’ordre financier allégué par la requérante ne saurait être regardé comme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure. La requérante n’a, notamment, pas établi qu’elle serait empêchée d’obtenir une telle compensation par voie d’un éventuel recours en indemnité en vertu de l’article 288 CE (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 10 novembre 2004, European Dynamics/Commission, T‑303/04 R, Rec. p. II‑3889, point 72, et la jurisprudence citée).

32      La requérante fait, certes, valoir que son préjudice ne pourra être compensé adéquatement par l’octroi d’une indemnisation pécuniaire. Il convient cependant de rappeler qu’elle a présenté une offre pour le marché en cause. Il serait donc possible, dans le cadre d’un éventuel futur litige indemnitaire, de comparer cette offre avec celle retenue par EUPOL Afghanistan (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 15 juillet 2008, CLL Centres de langues/Commission, T‑202/08 R, non publiée au Recueil, point 79).

33      Dans ce contexte, il résulte d’une jurisprudence récente de la Cour que, lorsque le Tribunal accorde des dommages et intérêts sur la base de la valeur économique attribuée au préjudice subi en raison d’un manque à gagner, cette réparation est en principe susceptible de satisfaire à l’exigence d’assurer la réparation intégrale du préjudice individuel que la partie concernée a effectivement subi du fait des actes illégaux particuliers dont elle a été victime (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, Rec. p. I‑833, point 76).

34      Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où la requérante obtiendrait gain de cause au principal, il pourra être attribué une valeur économique au préjudice qu’elle a subi en raison de la perte de la chance de remporter l’appel d’offres litigieux, valeur économique qui est susceptible de satisfaire à l’obligation de réparation intégrale du dommage individuel effectivement subi (voir, en ce sens, ordonnance Vakakis/Commission, précitée, point 67).

35      À la lumière de ce qui précède, les mesures provisoires demandées ne se justifieraient, dans les circonstances de l’espèce, que s’il apparaissait que, en l’absence de telles mesures, la requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence même ou de modifier de manière irrémédiable sa position sur le marché (voir, en ce sens, ordonnance European Dynamics/Commission, précitée, point 73).

36      Or, la requérante n’a pas rapporté la preuve que, en l’absence des mesures provisoires sollicitées, elle risquerait d’être placée dans une telle situation.

37      En effet, d’une part, elle s’est abstenue de fournir des données relatives à sa taille et à sa situation financière (voir point 29 ci-dessus). D’autre part, si la requérante fait valoir que, au cas où elle n’obtiendrait pas le contrat litigieux, elle subirait des perturbations sérieuses du fait qu’elle devrait retirer du matériel d’Afghanistan, redéployer ou licencier son personnel et abandonner ses bâtiments à Kaboul, il y a lieu de constater qu’il s’agit de pures affirmations qui ne sont étayées par aucun élément de preuve susceptible de conduire le juge des référés à conclure que l’existence de la requérante sera mise en péril jusqu’à ce que le Tribunal statue sur l’affaire au principal.

38      Par ailleurs, en ce qui concerne plus particulièrement l’argument tiré de ce que la requérante serait obligée de licencier certains de ses employés, il est de jurisprudence bien établie que, afin d’établir que la condition relative à l’urgence est remplie, le requérant est obligé de démontrer que le sursis à exécution demandé est nécessaire à la protection de ses intérêts propres. En revanche, pour établir l’urgence, un requérant ne saurait invoquer une atteinte portée à un intérêt qui ne lui est pas personnel, telle, par exemple, une atteinte aux droits de tiers (voir ordonnance du président du Tribunal du 10 novembre 2004, Wam/Commission, T‑316/04 R, Rec. p. II‑3917, point 28, et la jurisprudence citée). Dès lors, le préjudice subi par les employés de la requérante ne saurait utilement être invoqué pour étayer le caractère urgent du sursis à exécution demandé. En effet, il ne s’agit pas d’atteintes portées à des intérêts personnels de la requérante [voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 2 août 2006, Aughinish Alumina/Commission, T‑69/06 R, non publiée au Recueil, point 81, et du 19 juillet 2007, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07 R, Rec. p. II‑2767, points 147 et 168].

39      Dans la mesure où la requérante invoque une atteinte à sa réputation, il suffit de relever que la participation à une soumission publique, par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que l’élimination d’un soumissionnaire, en vertu des règles de la soumission, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une entreprise a été illégalement écartée d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, son exclusion est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation (voir ordonnance Deloitte Business Advisory/Commission, précitée, point 126, et la jurisprudence citée).

40      La requérante soutient encore que le préjudice qu’elle subira ne saurait être réduit à un dommage financier. À cet égard, elle dénonce le risque d’une perte de sa licence de sécurité en Afghanistan et de sa capacité à exercer d’autres travaux dans ce pays dans l’hypothèse où elle perdrait le contrat litigieux. Toutefois, il s’agit, de nouveau, de pures affirmations qui ne sont étayées par aucun élément de preuve susceptible d’être vérifié par le juge des référés. La requérante n’a notamment pas apporté d’éléments permettant de conclure que la seule perte du marché en cause l’empêcherait à l’avenir de mener à bien d’autres prestations de services de sécurité de même envergure et de participer à d’éventuels appels d’offres lancés par EUPOL Afghanistan dans ce domaine.

41      En tout état de cause, la requérante indique que, en l’absence de mesures provisoires, toute réparation qui lui sera octroyée après le 30 novembre 2008 (date de la fin de son contrat avec EUPOL Afghanistan) aura peu d’effet pratique et que sa position sera irrévocablement modifiée à compter du 1er décembre 2008 (date de la mise en vigueur du contrat conclu entre EUPOL Afghanistan et ArmorGroup). Elle fait ainsi, elle-même, valoir que, postérieurement à ces dates, le préjudice se sera réalisé et ne saurait donc plus être « évité », au sens de la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus, par l’adoption de la mesure provisoire demandée. Or, la finalité de la procédure de référé n’est pas d’assurer la réparation du préjudice invoqué (ordonnances du président du Tribunal du 15 mai 2003, Sison/Conseil, T‑47/03 R, Rec. p. II‑2047, point 41, et du 27 août 2008, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 R, non publiée au Recueil, point 53).

42      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer que la requérante n’a pas établi avec le degré de probabilité requis que, si le juge des référés ne lui accorde pas les mesures provisoires qu’elle sollicite, elle subira un préjudice grave et irréparable.

43      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si cette demande peut être considérée comme recevable et, dans l’affirmative, si les autres conditions d’octroi du sursis à exécution sollicité sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 23 janvier 2009.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.