Language of document : ECLI:EU:C:2013:163

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

14 mars 2013 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Entente – Secteur des raccords en cuivre et en alliage de cuivre – Raccords à souder et à sertir – Administration et appréciation des preuves – Droit d’être entendu en justice – Obligation de motivation – Principe de proportionnalité»

Dans l’affaire C‑276/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 3 juin 2011,

Viega GmbH & Co. KG, établie à Attendorn (Allemagne), représentée par Mes J. Burrichter, T. Mäger et M. Röhrig, Rechtsanwälte,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. V. Bottka et R. Sauer, en qualité agents, assistés de Me A. Böhlke, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur) et C. Vajda, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 janvier 2013,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Viega GmbH & Co. KG (ci-après «Viega») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 mars 2011, Viega/Commission (T-375/06, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel ce dernier a rejeté son recours tendant à obtenir, à titre principal, l’annulation partielle de la décision C(2006) 4180 de la Commission, du 20 septembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/F/38.121 – Raccords) (ci-après la «décision litigieuse»), ainsi que, à titre subsidiaire, la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.

 Les antécédents du litige

2        Aux points 1 à 3, 7, 8, 11 et 12 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté ce qui suit:

«1      Par la [décision litigieuse], la Commission des Communautés européennes a constaté que plusieurs entreprises avaient enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) [ci‑après l’‘accord EEE’] en participant, au cours de différentes périodes comprises entre le 31 décembre 1988 et le 1er avril 2004 à une infraction unique, complexe et continue aux règles communautaires de concurrence revêtant la forme d’un ensemble d’accords anticoncurrentiels et de pratiques concertées sur le marché des raccords en cuivre et en alliage de cuivre, qui couvraient le territoire de l’EEE. L’infraction consistait à fixer les prix, à convenir de listes de prix, de remises et de ristournes et de mécanismes d’application des hausses des prix, à répartir les marchés nationaux et les clients et à échanger d’autres informations commerciales ainsi qu’à participer à des réunions régulières et à entretenir d’autres contacts destinés à faciliter l’infraction.

2      [Viega], un producteur de raccords en cuivre, figure parmi les destinataires de la décision [litigieuse].

3      Le 9 janvier 2001, Mueller Industries Inc., un autre producteur de raccords en cuivre, a informé la Commission de l’existence d’une entente dans le secteur des raccords, et dans d’autres industries connexes sur le marché des tubes en cuivre, et de sa volonté de coopérer au titre de la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la ‘communication sur la coopération de 1996’).

[...]

7      À partir de février-mars 2002, la Commission a adressé aux parties concernées plusieurs demandes de renseignements en application de l’article 11 du règlement nº 17, puis de l’article 18 du règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

8      En septembre 2003, IMI plc [ci-après ‘IMI’] a présenté une demande visant à bénéficier de la communication sur la coopération de 1996. Cette demande a été suivie par celles du groupe Delta (mars 2004) et de FRA.BO SpA (juillet 2004). La dernière demande de clémence a été présentée en mai 2005 par Advanced Fluid Connections plc [...]

[...]

11      À l’article 1er de la décision [litigieuse], la Commission a constaté que [Viega] avait enfreint les dispositions de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE entre le 12 décembre 1991 et le 22 mars 2001.

12      Pour cette infraction, la Commission a, à l’article 2, sous j), de la décision [litigieuse], infligé à [Viega] une amende de 54,29 millions d’euros.»

3        Pour Viega, le montant de départ de l’amende a été fixé à 60 millions d’euros. Du fait de la durée de sa participation à l’infraction, à savoir neuf ans et trois mois, la Commission a, d’abord, majoré le montant de l’amende de 90 %, ce qui a abouti à fixer le montant de base de l’amende à 114 millions d’euros. Ensuite, en application du plafond de 10 % du chiffre d’affaires total sur les amendes infligées conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, elle a réduit le montant de base de l’amende infligée à Viega à 54,29 millions d’euros.

 Les moyens soulevés devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

4        Au soutien de son recours devant le Tribunal, Viega a soulevé, en substance, quatre moyens tirés, premièrement, d’une violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003 résultant d’un calcul erroné du chiffre d’affaires pertinent, deuxièmement, d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 253 CE en ce qui concerne la constatation erronée de sa participation à l’entente et, à titre subsidiaire, la détermination erronée de la durée de celle-ci, troisièmement, d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 253 CE en ce qui concerne la constatation erronée de la portée géographique de sa participation à l’entente et, quatrièmement, d’une violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003 résultant de l’absence de prise en considération de circonstances atténuantes.

5        Le Tribunal a examiné, d’abord, les deuxième et troisième moyens, par lesquels Viega contestait sa participation à l’entente. Puis, il a examiné le premier moyen et le dernier moyen, qui visaient une réduction du montant de l’amende infligée. Aucun des moyens invoqués par Viega au soutien de son recours n’ayant été accueilli par le Tribunal, celui-ci a rejeté le recours de Viega dans son ensemble.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

6        Par son pourvoi, Viega conclut à ce que la Cour:

–        à titre principal, annule l’arrêt attaqué, dans la mesure où cet arrêt lui fait grief, ainsi que la décision litigieuse en tant qu’elle la concerne;

–        à titre subsidiaire, annule ou réduise l’amende qui lui a été infligée à l’article 2, sous j), de cette décision;

–        à titre plus subsidiaire, renvoie l’affaire devant le Tribunal, et

–        condamne la Commission aux dépens.

7        La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner Viega aux dépens.

 Sur le pourvoi

8        À l’appui de son pourvoi, Viega invoque trois moyens. Elle fait, tout d’abord, valoir que le Tribunal a violé le droit d’être entendu, les principes régissant l’administration de la preuve et l’obligation de motivation. Elle soutient, ensuite, que ce dernier a violé l’article 81 CE et l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003. Enfin, Viega reproche au Tribunal d’avoir violé le principe de proportionnalité.

9        La Commission considère que les moyens invoqués au soutien du pourvoi doivent être rejetés comme irrecevables ou, en tout état de cause, comme non fondés. Elle ajoute que, Viega ne soulevant aucun argument à l’appui de sa demande subsidiaire visant à obtenir la réduction de l’amende qui lui a été infligée, cette demande est irrecevable.

10      Étant donné que les deux premiers moyens du pourvoi se recoupent largement, il convient de les examiner conjointement.

 Sur les premier et deuxième moyens, tirés, d’une part, d’une violation des principes régissant l’administration et l’appréciation des preuves, du droit d’être entendu et de l’obligation de motivation, ainsi que, d’autre part, d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003

 Argumentation des parties

–       Premier moyen

11      Par son premier moyen, Viega relève que le Tribunal, pour démontrer sa participation à l’entente litigieuse, s’appuie principalement sur les notes manuscrites de M. P. (membre du personnel d’IMI) et sur la déclaration d’IMI du 17 décembre 2003, sans mentionner ses arguments au sujet de ces documents et le fait qu’elle avait mis en doute la force probante de ces éléments de preuve. Viega reproche au Tribunal de ne pas avoir tenu compte de ces arguments dans l’arrêt attaqué et d’y avoir ignoré ces objections sérieuses quant auxdits éléments de preuve.

12      Viega rappelle que les notes de M. P., lues en partie en combinaison avec la déclaration d’IMI, ont été utilisées à titre de preuve principale de sa participation à l’entente, du degré de cette participation ainsi que de la portée de ladite entente. Viega relève, à cet égard, que cette déclaration a été faite dans le cadre d’une demande de clémence d’IMI et que le Tribunal admet lui-même, au point 35 de l’arrêt attaqué, concernant la valeur probante de déclarations faites dans un tel contexte, que la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de l’existence d’une infraction commise par ces dernières sans être étayée par d’autres éléments de preuve. Dès lors que les déclarations d’un salarié d’une entreprise et les explications de l’entreprise à ce sujet constituent un seul élément de preuve, Viega estime que le Tribunal aurait dû invoquer d’autres éléments de preuve à l’appui des affirmations figurant dans les notes de M. P. ainsi que dans la déclaration d’IMI. Or, le seul élément, indiqué à cet égard par le Tribunal, au point 41 de l’arrêt attaqué, serait insuffisant.

13      S’agissant, spécifiquement, de l’administration et de l’appréciation des éléments de preuve, Viega fait valoir que la charge de la preuve d’une violation des règles de concurrence incombe, en vertu de l’article 2 du règlement n° 1/2003, à la Commission en tant qu’autorité qui l’allègue. En admettant que, dans la plupart des cas, l’existence d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui peuvent constituer, dans leur globalité, en l’absence d’autres explications possibles cohérentes, la preuve d’une violation des règles de concurrence, Viega estime qu’il n’est toutefois pas possible de se fonder sur des déclarations faites dans le cadre d’une demande de clémence sans les vérifier, alors que leur exactitude a été contestée.

14      Viega considère que le Tribunal aurait dû ordonner d’office des mesures d’instruction pour vérifier l’exactitude de la teneur des affirmations, ainsi que la date et les circonstances de leur élaboration. Viega précise qu’elle n’avait pas l’obligation de proposer une mesure d’instruction à cet égard au cours de la procédure en première instance, étant donné que la charge subjective de la preuve concernant l’exactitude des affirmations de M. P. et d’IMI pesait non pas sur elle, mais sur la Commission. En tout cas, Viega aurait expressément contesté la teneur et la fiabilité des affirmations en cause.

15      En ce qui concerne, en particulier, le droit d’être entendu, Viega fait valoir que le Tribunal, en ignorant ses arguments, a porté atteinte à ce droit, dans la mesure où le respect des droits de la défense dans une procédure susceptible d’aboutir à des sanctions constitue un principe fondamental. Selon elle, les droits de la défense comprennent non seulement le droit de prendre position, mais également le droit à la prise en considération des arguments pertinents soumis, qui doivent être analysés par le Tribunal.

16      Quant à l’obligation de motivation, Viega soutient que, en ne prenant pas en considération ses arguments, le Tribunal a enfreint cette obligation. Viega rappelle, d’une part, que le contrôle de la légalité d’une décision qui est exercé dans le cadre du contrôle du respect de l’obligation de motivation doit nécessairement prendre en considération les faits sur lesquels le Tribunal s’est fondé pour aboutir à la conclusion selon laquelle la motivation est suffisante ou insuffisante. Elle ajoute, d’autre part, que toute juridiction a l’obligation de motiver ses décisions, en indiquant les raisons qui l’ont amenée à ne pas retenir un moyen formellement invoqué devant elle. Selon Viega, l’arrêt attaqué, qui ne motive pas sa décision d’ignorer l’argumentation de la requérante concernant l’exactitude des principaux éléments de preuve, ne satisfait manifestement pas à ce critère de motivation.

17      La Commission estime que ce moyen doit être écarté comme étant irrecevable ou, en tout état de cause, comme étant non fondé.

–       Deuxième moyen

18      Par son deuxième moyen, Viega soutient que l’arrêt attaqué enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE en ce que le Tribunal a constaté qu’elle avait participé, le 30 avril 1999, à une réunion «ayant un caractère anticoncurrentiel». Elle ajoute que cet arrêt méconnaît également l’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 en ce que la participation à cette réunion a été prise en compte dans le cadre de la fixation du montant de l’amende. Viega fait valoir que, étant donné que le Tribunal n’a démontré ni l’inclusion des raccords à sertir à l’entente alléguée ni sa participation à une entente portant sur les raccords à sertir, son chiffre d’affaires relatif à ce domaine n’aurait pas dû être pris en compte pour le calcul de l’amende. Ainsi, au lieu du montant de départ fixé à 60 millions d’euros par la Commission pour le calcul de l’amende, celui-ci se serait élevé seulement à 5,5 millions d’euros.

19      Viega soutient que le Tribunal a rappelé, au point 32 de l’arrêt attaqué, à juste titre, concernant l’administration de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, que la Commission doit rapporter des preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction alléguée a été commise et que l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant l’infraction. Selon Viega, le Tribunal n’a toutefois pas respecté ce critère, qui exige une «ferme conviction» et enfreint, ainsi, en définitive, l’article 81, paragraphe 1, CE en concluant à l’existence d’une infraction qui n’est pas établie à suffisance de droit.

20      Viega considère que le Tribunal a commis une erreur lorsque, après avoir examiné la question de savoir si, lors de la réunion du 30 avril 1999 il a été discuté de manière anticoncurrentielle des prix sur le marché des raccords à sertir, celui-ci est parvenu, au point 47 de l’arrêt attaqué, à la conclusion que les notes manuscrites de M. P., prises lors de cette réunion, font plutôt référence à une réunion ayant un caractère anticoncurrentiel qu’à une simple réunion concernant la possibilité d’approvisionnement.

21      Viega est d’avis que le Tribunal ne pouvait pas se fonder, en l’espèce, sur des indices vagues qui ne suggèrent qu’une certaine probabilité d’une infraction et maintient qu’aucune preuve selon laquelle les raccords à sertir étaient concernés par une infraction aux règles de concurrence n’a été rapportée ni dans la décision litigieuse ni dans l’arrêt attaqué. Viega met en exergue que la preuve de la participation à une réunion donnée et/ou la preuve du caractère anticoncurrentiel de cette réunion sont pertinentes et que si seul un accord anticoncurrentiel dans le secteur des raccords à souder avait été établi, seul son chiffre d’affaires réalisé dans ce secteur aurait été pris en compte pour le calcul de l’amende.

22      Viega soutient que, étant donné qu’elle est innovatrice dans le domaine des raccords à sertir et compte tenu de sa position de monopole dans ce domaine, elle ne pouvait pas être intéressée par les accords relatifs aux raccords à sertir. De plus, selon Viega, l’entente alléguée sur les raccords à souder n’englobait pas les raccords à sertir, contrairement à ce qui est exposé aux points 81 à 88 de l’arrêt attaqué, notamment, car les raccords à sertir sont sensiblement plus chers que les raccords à souder.

23      S’agissant des réunions des 17 décembre 1999 et 27 juin 2000, Viega souligne qu’elle n’y a pas participé et que ces réunions avaient pour objet de développer une stratégie dirigée justement contre elle, car elle était leader sur le marché des raccords à sertir. Quant à la réunion du 6 novembre 2000, Viega fait valoir que ni les faits retenus dans l’arrêt attaqué ni le point 41 dudit arrêt ne démontrent qu’elle concernait également les raccords à sertir.

24      En ce qui concerne la réunion du 30 avril 1999, Viega relève une contradiction entre le fait que le Tribunal invoque celle-ci pour démontrer sa participation à une entente portant sur les raccords à sertir et la constatation, au point 83 de l’arrêt attaqué, que les concurrents ont débattu jusqu’au mois de juin 2000 sur la nécessité d’une entente concernant les raccords à sertir.

25      Viega en conclut, d’une part, que, eu égard au caractère incertain des preuves et à son absence d’intérêt à faire porter l’entente sur les raccords à sertir, le Tribunal a appliqué de manière erronée des principes régissant l’appréciation des preuves et commis, partant, une erreur de droit, lorsqu’il a ignoré ses arguments. D’autre part, la condamnation à une amende de plus de 50 millions d’euros, en définitive fondée sur deux réunions dont le rapport avec les raccords à sertir est traité en deux demi-phrases et constaté indépendamment de toute appréciation des preuves, constituerait un défaut de motivation éclatant.

26      Viega ajoute encore que l’application erronée du critère d’appréciation des preuves pour ce qui est de l’objet anticoncurrentiel de la réunion du 30 avril 1999 a des effets tout à fait considérables sur le montant de l’amende infligée et méconnaît ainsi l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003.

27      La Commission considère que ce moyen doit être rejeté comme étant irrecevable ou, en tout état de cause, comme étant non fondé.

 Appréciation de la Cour

28      En premier lieu, il convient, d’emblée, de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il résulte des articles 256 TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C-487/06 P, Rec. p. I-10515, point 96, ainsi que du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher‑Fleisch e.a., C-47/10 P, non encore publié au Recueil, point 57).

29      Toutefois, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêts précités British Aggregates/Commission, point 97, ainsi que Autriche/Scheucher‑Fleisch e.a., point 58).

30      Une dénaturation des faits doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêts du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C-551/03 P, Rec. p. I-3173, point 54, et du 2 septembre 2010, Calvin Klein Trademark Trust/OHMI, C-254/09 P, Rec. p. I‑7989, point 50).

31      En l’espèce, il ressort des arguments présentés dans le pourvoi, mais également de ceux soutenus à l’audience, que, en invoquant la violation des règles d’administration de la preuve, la requérante vise en réalité à obtenir une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve, ce qui échappe à la compétence de la Cour. Tel est le cas, notamment, lorsqu’elle conteste l’appréciation, par le Tribunal, de la note de M. P., de la déclaration d’IMI, de la participation de la requérante aux diverses réunions ou encore de l’absence alléguée d’intérêt à participer à l’entente sur les raccords à sertir.

32      Par conséquent, les moyens et les arguments du pourvoi visant la mise en cause des constatations et des appréciations factuelles effectuées par le Tribunal doivent être écartés comme étant irrecevables.

33      En deuxième lieu, Viega fait valoir que, en écartant, d’une manière non justifiée, ses observations concernant l’absence de valeur probante de certains éléments de preuves, le Tribunal a violé le droit de la requérante à être entendue.

34      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que, selon la jurisprudence de la Cour, le droit d’être entendu n’implique pas, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, que le juge doive incorporer intégralement dans sa décision toutes les allégations de chacune des parties. Le juge, après avoir écouté les allégations des parties et après avoir apprécié les éléments de preuve, doit se prononcer sur les conclusions du recours et motiver sa décision (arrêt du 10 décembre 1998, Schröder e.a./Commission, C-221/97 P, Rec. p. I-8255, point 24; ordonnance du 28 février 2005, Becker/Cour des comptes, C-260/02 P, point 25, ainsi que arrêt du 11 janvier 2007, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, C‑404/04 P, point 125).

35      Il s’ensuit que, lors du contrôle effectué par la Cour dans le cadre d’un pourvoi, il convient de vérifier si les parties ont effectivement été en mesure de présenter, au cours de la procédure écrite, leurs allégations et les fondement invoqués par celles-ci, ainsi que, le cas échéant, au cours de la procédure orale, les détails de leurs allégations et leurs réponses aux allégations des autres parties de la procédure.

36      Toutefois, le Tribunal n’est pas tenu de reproduire, dans sa décision rendue en première instance, toutes les allégations écrites ou orales des parties et n’est pas tenu, non plus, de prendre position à l’égard de chacune d’elles.

37      En l’espèce, force est de constater que les doutes de Viega à l’égard de la valeur probante de certains éléments de preuve, figurant dans la décision litigieuse, ont été présentés en détail au point 38 du rapport d’audience du Tribunal et qu’aucun élément ne laisse supposer que, lors de l’audience devant le Tribunal, le 20 janvier 2010, Viega n’a pas eu l’occasion d’expliquer les détails de ses allégations ou de répondre aux allégations de la Commission.

38      Dès lors, il ne saurait être soutenu par Viega que son droit d’être entendue a été méconnu par le Tribunal. Cette allégation est, partant, non fondée.

39      En troisième lieu, en ce qui concerne les allégations relatives à une omission du Tribunal lors de l’administration des preuves, il convient de rappeler que, au regard de l’article 66, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, celui‑ci est seul compétent, en principe, pour apprécier l’utilité de mesures d’instruction aux fins de la solution du litige (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2001, Ismeri Europa/Cour des comptes, C-315/99 P, Rec. p. I-5281, point 19, ainsi que du 7 novembre 2002, Glencore et Compagnie Continentale/Commission, C-24/01 P et C-25/01 P, Rec. p. I‑10119, point 77).

40      Il incombe, cependant, à la Cour de vérifier si le Tribunal n’a pas commis une erreur de droit, notamment en ayant refusé d’ordonner des mesures demandées (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 1999, ICI/Commission, C‑200/92 P, Rec. p. I‑4399, point 59, et ordonnance du 4 octobre 2007, Olsen/Commission, C‑320/05 P, point 64).

41      Il y a lieu de relever que Viega ne soutient pas avoir demandé, en première instance, des mesures d’instruction en vue de réfuter des constatations de la décision litigieuse.

42      Vu cette circonstance, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en n’ordonnant pas de mesures d’instruction.

43      Par conséquent, Viega n’est pas fondée à soutenir que le Tribunal a commis une erreur lors de l’administration des preuves.

44      En quatrième et dernier lieu, s’agissant de l’allégation de Viega, selon laquelle il ne ressort pas de l’arrêt attaqué la raison pour laquelle ses arguments mettant en cause la valeur probante de certains éléments de preuve ont été écartés, il convient de rappeler que l’obligation de motivation incombant au Tribunal vise à permettre aux intéressés de connaître les raisons qui ont conduit celui-ci à adopter l’arrêt en question et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, Rec. p. I-4429, point 60, ainsi que du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C-3/06 P, Rec. p. I‑1331, point 46).

45      Toutefois, cette obligation n’implique pas que le Tribunal soit tenu de reprendre, dans sa décision, toutes les allégations des parties ni qu’il doive prendre position à l’égard de chacune de ces allégations.

46      En l’espèce, le Tribunal, sur la base des arguments des parties se rapportant à la participation ou non de Viega à l’entente litigieuse, a d’abord examiné, aux points 41 à 52 de l’arrêt attaqué, les différents éléments de preuve invoqués par ces parties en ce qui concerne une série de réunions. Il est parvenu à la conclusion, au point 53 de l’arrêt attaqué, que, même si Viega n’a pas participé à toutes les réunions, il est prouvé à suffisance de droit qu’elle était impliquée dans l’entente. Puis, le Tribunal a examiné, aux points 55 et 58 à 63 de l’arrêt attaqué, les éléments de preuve invoqués par la Commission quant à la durée de cette participation et a conclu, aux points 57 et 64 dudit arrêt, que ceux‑ci, pris ensemble, montrent l’implication de Viega à cette entente dès le 12 décembre 1991.

47      La lecture de ces points permet de constater que ressortent de l’arrêt attaqué, d’une part, les raisons qui ont conduit le Tribunal à conclure à la participation de Viega à l’entente litigieuse et à conclure sur la durée de cette participation, ainsi que, d’autre part, les éléments dont la Cour doit disposer pour l’exercice de son contrôle juridictionnel.

48      Dès lors, Viega n’est pas fondée à soutenir que le Tribunal a enfreint son obligation de motivation.

49      Par conséquent, les premier et deuxième moyens du pourvoi doivent être rejetés comme en partie irrecevables et en partie non fondés.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité par l’application formaliste des lignes directrices pour le calcul des amendes et l’absence d’analyse globale des circonstances concrètes du cas d’espèce

 Argumentation des parties

50      Selon Viega, la violation du principe de proportionnalité découle de l’application formaliste des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3), ainsi que de l’absence d’analyse globale des circonstances concrètes du cas d’espèce.

51      Elle rappelle que ce principe exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la réglementation en cause et que, par conséquent, dans les procédures en matière d’ententes, les amendes ne doivent pas être démesurées par rapport aux buts visés. Ainsi, l’amende infligée doit être calculée de manière à ce que, dans le cadre d’une appréciation globale de l’infraction, elle soit proportionnée par rapport à la durée et aux autres éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de l’infraction, tels que l’influence que l’entreprise a pu exercer sur le marché, le profit qu’elle a pu tirer de ses pratiques, le volume et la valeur des prestations concernées et le risque que l’infraction représente pour les objectifs de l’Union.

52      Viega précise qu’il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées et qu’un moyen visant un réexamen général des amendes est irrecevable. Elle souligne, cependant, qu’elle invite seulement la Cour à constater que le Tribunal a enfreint le principe de proportionnalité lorsqu’il a déterminé la gravité de l’infraction dans le cadre de la fixation de l’amende.

53      Viega rappelle que, selon les constatations du Tribunal, elle n’a participé qu’à très peu de réunions présentant un lien avec l’entente litigieuse et que le Tribunal a mentionné, au point 73 de son arrêt du 24 mars 2011, Kaimer e.a./Commission (T‑379/06, point 73), seulement les entreprises IMI, Delta/IBP et Comap SA au titre de «principaux participants». Elle rappelle également que, au point 53 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a énoncé que la non-participation à plusieurs réunions n’affecte pas sa participation à l’infraction, seul le degré de la participation pourrait être plus faible. Toutefois, cet aspect n’aurait pas été pris en compte dans le cadre du contrôle du montant de l’amende.

54      Viega est d’avis que l’amende infligée par la Commission, approuvée par le Tribunal, a été calculée de manière non conforme aux lignes directrices susmentionnées et au principe de proportionnalité. Viega, en soulignant qu’elle a déjà contesté en première instance le calcul de l’amende, en particulier l’inclusion du chiffre d’affaires relatif aux raccords à sertir, ne comprend pas comment le Tribunal peut déclarer, au point 86 de l’arrêt attaqué, qu’elle n’a pas mis en doute le choix de l’année 2000 comme étant l’année de référence pour le calcul du montant de l’amende. Certes, elle n’a pas contesté le choix de l’année 2000 comme année de référence pour la pondération de la position sur le marché en ce qui concerne les raccords à souder, toutefois, elle s’est opposée, dès le début, à l’inclusion du chiffre d’affaires relatif aux raccords à sertir.

55      Viega estime que, si les premier et deuxième moyens du pourvoi étaient rejetés, il faudrait néanmoins réduire sensiblement l’amende pour la ramener à un niveau correspondant au degré de sa participation à l’entente.

56      La Commission considère que ce moyen doit être rejeté comme étant irrecevable ou, en tout état de cause, comme étant non fondé.

 Appréciation de la Cour

57      Il y a lieu de rappeler, d’emblée, que la Cour a déjà jugé que l’éventuel caractère disproportionné d’une amende infligée par une décision de la Commission, dès lors qu’il n’est pas susceptible de constituer un moyen d’ordre public, ne fait pas l’objet d’un contrôle d’office par le Tribunal et que celui-ci ne statue donc sur un moyen tiré d’un tel caractère de l’amende que si ce moyen lui est soumis par le requérant (voir, en cens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, non encore publié au Recueil, points 64 à 67 et 70).

58      Il ressort de l’article 58 du statut de la Cour que les moyens du pourvoi doivent être fondés sur des arguments tirés de la procédure devant le Tribunal. En outre, selon l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. La compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est donc limitée à l’appréciation de la solution juridique qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc modifier l’objet du litige en soulevant pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle aurait pu soulever devant le Tribunal, mais qu’elle n’a pas soulevé, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (voir, en ce sens, arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521/09 P, non encore publié au Recueil, point 35, et du 3 mai 2012, Legris Industries/Commission, C-289/11 P, non encore publié au Recueil, point 33).

59      Or, force est de constater que Viega n’a pas soulevé la violation du principe de proportionnalité en tant que telle devant le Tribunal, en exigeant une appréciation globale des circonstances concrètes du cas d’espèce.

60      Dans ces conditions, le troisième moyen doit être rejeté comme irrecevable.

61      Aucun des moyens invoqués par Viega au soutien de son pourvoi n’étant accueilli, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble, comme en partie irrecevable et en partie non fondé.

62      En ce qui concerne la demande subsidiaire de Viega visant la réduction de l’amende infligée, il y a lieu de la rejeter comme étant irrecevable, dans la mesure où, à l’exclusion des moyens écartés du pourvoi, Viega n’a soulevé aucun argument à l’appui de cette demande.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Viega ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de condamner Viega aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Viega GmbH & Co. KG est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.