Language of document : ECLI:EU:T:2005:10

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
18 janvier 2005 (1)

« FEOGA – Participation financière à un projet de démonstration concernant l'introduction de nouvelles techniques de culture dans la production du sumac – Suppression du concours financier du fonds »

Dans l'affaire T-141/01,

Entorn, Societat Limitada Enginyeria i Serveis, établie à Barcelone (Espagne), représentée par Mes M. Belard-Kopke Marques-Pinto et C. Viñas Llebot, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme S. Pardo et M. L. Visaggio, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision C (1999) 534 de la Commission, du 4 mars 1999, portant suppression du concours financier du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Orientation », initialement accordé à la requérante par décision C (93) 3394, du 26 novembre 1993, conformément au règlement (CEE) n° 4256/88 du Conseil, du 19 décembre 1988, portant dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2052/88 en ce qui concerne le FEOGA, section « Orientation » (JO L 374, p. 25), pour le financement d'un projet de démonstration concernant l'introduction de nouvelles techniques de culture pour la production du sumac (projet n° 93.ES.06.030),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),



composé de MM. N. J. Forwood, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 14 janvier 2004,

rend le présent



Arrêt




Cadre réglementaire

1
Afin de renforcer la cohésion économique et sociale au sens de l’article 158 CE, le règlement (CEE) n° 2052/88 du Conseil, du 24 juin 1988, concernant les missions des fonds à finalité structurelle, leur efficacité ainsi que la coordination de leurs interventions entre elles et celles de la Banque européenne d’investissement et des autres instruments financiers existants (JO L 185, p. 9), a confié pour missions aux fonds structurels, notamment, la promotion du développement et l’ajustement structurel des régions en retard de développement, ainsi que l’accélération de l’adaptation des structures agricoles et la promotion du développement des zones rurales dans la perspective de la réforme de la politique agricole commune [article 1er, paragraphe 1, et paragraphe 5, sous a) et b)]. Ce règlement a été modifié par le règlement n° 2081/93 du Conseil, du 20 juillet 1993 (JO L 193, p. 5).

2
L’article 5, paragraphe 2, sous e), du règlement n° 2052/88, tel que modifié par le règlement n° 2081/93, dispose que l’intervention financière des fonds structurels peut être acquise sous la forme, notamment, d’un soutien à l’assistance technique, y compris aux mesures de préparation, d’appréciation, de suivi et d’évaluation des actions et aux projets pilotes et de démonstration.

3
Le 19 décembre 1988, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 4256/88 portant dispositions d’application du règlement n° 2052/88 en ce qui concerne le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Orientation » (JO L 374, p. 25). Ce règlement a été modifié par le règlement (CEE) n° 2085/93 du Conseil, du 20 juillet 1993 (JO L 193, p. 44).

4
L’article 8 du règlement n° 4256/88, tel que modifié par le règlement n° 2085/93, dispose que, dans l’accomplissement de ses missions, le FEOGA peut financer, dans la limite de 1 % de sa dotation annuelle, notamment, « la réalisation de projets pilotes concernant l’adaptation des structures agricoles et sylvicoles et la promotion du développement rural » (deuxième tiret) et « la réalisation de projets de démonstration, y compris les projets concernant le développement et la valorisation des forêts ainsi que ceux concernant la transformation et la commercialisation de produits agricoles, destinés à démontrer les possibilités réelles des systèmes, méthodes et techniques de production et de gestion correspondant aux objectifs de la politique agricole commune » (troisième tiret).

5
Le 19 décembre 1988, le Conseil a également adopté le règlement (CEE) n° 4253/88 portant dispositions d’application du règlement n° 2052/88 en ce qui concerne la coordination entre les interventions des différents fonds structurels, d’une part, et entre celles-ci et celles de la Banque européenne d’investissement et des autres instruments financiers existants, d’autre part (JO L 374, p. 1). Ce règlement a été modifié par le règlement (CEE) n° 2082/93 du Conseil, du 20 juillet 1993 (JO L 193, p. 20).

6
L’article 24 du règlement n° 4253/88, tel que modifié par le règlement n° 2082/93, prévoit, en ce qui concerne la réduction, la suspension et la suppression du concours :

« 1.  Si la réalisation d’une action ou d’une mesure semble ne justifier ni une partie ni la totalité du concours financier qui lui a été alloué, la Commission procède à un examen approprié du cas dans le cadre du partenariat, en demandant notamment à l’État membre ou aux autres autorités désignées par celui-ci pour la mise en œuvre de l’action de présenter leurs observations dans un délai déterminé.

2.      Suite à cet examen, la Commission peut réduire ou suspendre le concours pour l’action ou la mesure concernée si l’examen confirme l’existence d’une irrégularité ou d’une modification importante qui affecte la nature ou les conditions de mise en œuvre de l’action ou de la mesure et pour laquelle l’approbation de la Commission n’a pas été demandée.

3.      Toute somme donnant lieu à répétition de l’indu doit être reversée à la Commission. Les sommes non reversées sont majorées d’intérêts de retard en conformité avec les dispositions du règlement financier et selon les modalités à arrêter par la Commission, suivant les procédures visées au titre VIII. »


Contexte factuel

Société requérante

7
La société requérante, Entorn, Societat Limitada Enginyeria i Serveis, a été constituée, le 4 juin 1993, à Barcelone.

8
Parmi ses associés figuraient la société Compañia de Estudios y Servicios para el Medio Ambiente Codema, SA, M. A et deux autres personnes physiques. Les parts sociales de ces dernières ont été reprises, postérieurement, par la société Codema. Lors de la constitution de la société, M. A a été nommé président et conseiller délégué, tous les pouvoirs du conseil d’administration susceptibles d’être légalement délégués lui ayant été confiés, pour une période de cinq années. Le 29 mai 1998, M. A a été réélu président du conseil d’administration pour une nouvelle période de cinq années. Il a cessé ses fonctions le 31 juillet 2001.

9
Le siège de la requérante a été initialement fixé Calle Juan Güell n° 152, entresol, à Barcelone. En 1996, le siège a été transféré Calle Galileu n° 303, 1er étage-A, et en 1999 Calle Guitard n° 45, 5e étage, toujours à Barcelone. Le siège actuel de la requérante se trouve à cette dernière adresse.

Autres entités Entorn

10
Le 22 décembre 1993, la société offshore Entorn Trading Ltd a été constituée par M. B sur l’île de Guernesey. Cette société a son siège à Dublin.

11
Entorn Trading a donné procuration à M. C. Sur la base de celle-ci, ce dernier a créé le 5 juillet 1994 une succursale espagnole, baptisée Entorn SL-Sucursal en España (ci-après « Entorn Sucursal »). Entorn Sucursal était représentée, à titre permanent, par M. C. Entorn Sucursal avait son siège auprès de l’entreprise MB Consultores y Auditores, Plaza Ruiz de Alda, 4, 7e étage A, à Séville. En 1996, le siège d’Entorn Sucursal a été transféré, sur ordre de M. B, à Ténérife, où cette entité semble avoir été dissoute par la suite.

Demande et octroi du concours communautaire

12
Le concours communautaire visé par la décision attaquée a été octroyé pour un projet intitulé « projet de démonstration de la production de sumac en utilisant de nouvelles techniques de culture » (ci-après le « projet Sumac »). Le sumac est une plante typique de la flore méditerranéenne, dont les feuilles, après dessiccation et pulvérisation, permettent d’en extraire le tanin, une substance utilisée pour la tannerie des peaux. Ce projet de démonstration a été conçu par M. B, qui, à la fin de l’année 1992, avait pris contact avec M. A pour lui exposer son intention de réaliser ce projet en Espagne. À la demande de M. B, celui-ci a pu prendre contact, par l’intermédiaire de M. A, avec M. C, résidant à Séville, chef de la section de planification du service de la recherche de la Junta d’Andalousie, qui s’est chargé ultérieurement de l’exécution technique du projet et qui est intervenu dans la création d’Entorn Sucursal.

13
Le 12 juillet 1993, une lettre, à l’en-tête d’« Entorn SL » et mentionnant l’adresse de la requérante, a été envoyée à la direction générale « Agriculture » de la Commission à l’attention d’un fonctionnaire de celle-ci, M. D. Cette lettre exprime l’intérêt de la requérante à présenter le projet Sumac dans le cadre de l’article 8 du règlement n° 4256/88 et demande la transmission du schéma de présentation pour la rédaction d’une demande. Elle porte la signature « A. López Gargallo », personne qui, selon les déclarations de M. A, lui est inconnue et dont l’existence n’a pas pu être établie.

14
Le 14 septembre 1993, une demande de concours communautaire a été présentée à la Commission. Elle était accompagnée d’une lettre qui porte le même en-tête que celle du 12 juillet 1993 et une signature non identifiable. Le 22 septembre 1993, une nouvelle version de la demande de concours a été transmise à la Commission, au motif que, le 14 septembre, un projet non définitif avait été envoyé par erreur. La lettre d’accompagnement portait à nouveau le même en-tête et la signature « A. López Gargallo ». Par télécopie en date du 25 octobre 1993, signée par M. A, les coordonnées bancaires de la requérante ont été communiquées à la Commission.

15
Par sa décision C (93) 3394, du 26 novembre 1993 (ci-après la « décision d’octroi »), prise au titre de l’article 8 du règlement n° 4256/88 du Conseil, la Commission a octroyé à la requérante un concours financier relatif au projet n° 93.ES.06.030. Le coût total du projet était de 1 381 132 écus et le concours financier communautaire était fixé à un montant maximal de 1 035 849 écus.

Déroulement du projet

16
Par lettre du 30 novembre 1993, une nouvelle adresse d’« Entorn SL » (à Albacete, Espagne) et de nouvelles coordonnées bancaires (un compte auprès de la Banca nazionale del lavoro à Madrid) ont été communiquées à la Commission. L’en-tête de cette lettre indiquait le nom « Entorn SL » et la nouvelle adresse. La lettre portait à nouveau la signature « A. López Gargallo ».

17
Par lettre du 29 mars 1994, signée au nom de M. A par une personne dont la signature n’est pas lisible, la Commission a été informée de ce que, dans le cadre du projet Sumac, « Entorn SL » avait ouvert « un bureau spécialement à cet effet, qui en deviendrait le siège opérationnel », auprès de l’entreprise MB Consultores y Auditores, à Séville. Dans cette lettre, MM. C et A étaient présentés, respectivement, comme responsable technique et responsable du projet.

18
La requérante conteste que M. A ait participé au projet Sumac en tant que responsable du projet et en sa qualité d’administrateur de la requérante. Elle reconnaît, en revanche, qu’il a participé au projet en tant que conseiller technique pour le compte de la société Codema et que cette dernière a facturé à Entorn Sucursal environ 2,25 millions de pesetas espagnoles (ESP) pour les services de M. A et les frais de voyage y relatifs.

19
M. A n’a entrepris aucune démarche d’ordre juridique en ce qui concerne la similitude de la raison sociale d’Entorn Sucursal et de la requérante.

20
Conformément aux dispositions de l’annexe 2 de la décision d’octroi, deux avances d’un montant total de 725 094 écus ont été versées. La première de ces avances, d’un montant de 414 340 écus, a été versée, le 20 janvier 1994, sur le compte bancaire mentionné dans la lettre du 30 novembre 1993. Le versement de la deuxième avance a été annoncé, par télécopie du 25 août 1995, adressée à « Entorn SL » à l’adresse d’Albacete. Cette avance, d’un montant de 310 755 écus, a été versée sur un compte auprès de la Banque Caixa à Madrid, dont le titulaire était « Entorn Trading Ltd Entorn SL ». Ce numéro de compte avait été communiqué à la Commission par une télécopie envoyée, le 14 juillet 1995, au nom de la société MB Consultores y Auditores, mais portant une signature ne correspondant à aucune des signatures des employés de cette société.

Procédure administrative et décision attaquée

21
Le 10 juillet 1997, la Commission a adressé une lettre à « Entorn SL » à Séville, l’informant que ses services avaient engagé une opération de vérification technique et comptable des concours financiers déjà octroyés par la Commission au titre de l’article 8 du règlement n° 4256/88. Les contrôles ont été effectués au lieu d’exécution du projet à Séville, les 24 et 25 juillet 1997, en la présence de MM. A et C.

22
À la suite des contrôles réalisés en juillet 1997, la Commission a adressé à « Entorn (Sumac) » une lettre datée du 3 avril 1998, qui a été notifiée à l’adresse de MB Consultores y Auditores à Séville. Dans cette lettre, la Commission a relevé l’existence de faits qui pouvaient constituer des irrégularités et a indiqué qu’elle avait décidé d’entamer la procédure prévue à l’annexe 2, paragraphe 10, de la décision d’octroi et à l’article 24 du règlement n° 4253/88. « Entorn (Sumac) » a également été informée que le recouvrement des montants accordés jusqu’alors pourrait être demandé. Elle a enfin été invitée à fournir, dans un délai de six semaines, la preuve que les obligations découlant de la décision d’octroi avaient été exécutées. La Commission a reçu une réponse par lettre du 24 mai 1998, envoyée de Séville et signée par M. C.

23
Le 4 mars 1999, la Commission a adopté une décision (ci-après la « décision attaquée »), par laquelle elle ordonne la suppression du concours financier en cause et le remboursement, par la requérante et, le cas échéant, par les personnes juridiquement responsables de ses dettes, des avances déjà versées, dans un délai de 60 jours suivant la notification de la décision. La décision attaquée contient le texte suivant :

« 1)  La demande de concours a été présentée par la société Entorn SL dont le siège est à Barcelone. C’est à cette société que le concours communautaire a été octroyé. Entre-temps, une société dénommée Entorn Trading Ltd était constituée à Dublin et une succursale de celle-ci, à la demande de [M. B], était ouverte à Séville sous le nom de Entorn SL. C’est à cette dernière société que tous les paiements réalisés par la Commission, dans le cadre du projet, ont été envoyés. Ce processus a été communiqué à la Commission comme un simple changement d’adresse du bénéficiaire, alors qu’il s’agit en fait d’un changement du bénéficiaire du projet sans accord de la Commission.

2)      Lors de la visite de contrôle susmentionnée au domicile communiqué par le bénéficiaire, il a été constaté que ce domicile appartient à la société MB Consultores y Auditores. Les contrôleurs n’ont pu consulter aucun document justificatif ni administratif ni comptable relatif au projet, alors que la [d]écision d’octroi du concours prévoit dans son annexe [2, paragraphes] 5 et 6, que toute la documentation du projet doit être au domicile de la société à disposition des services de la Commission ; à la même occasion, il a par ailleurs été constaté que sur divers documents présentés à la Commission dans le cadre du projet les signatures ont été contrefaites et qu’aucun des équipements, dont la photo figure dans l’annexe technique du rapport final, n’a été utilisé dans le cadre du projet.

3)      Finalement, il est apparu à la lecture d’une copie du bilan, présenté au ministère des Finances espagnol lors de la déclaration d’impôt de la société Entorn SL, que le coût du projet s’élève à plus ou moins 23 000 000 [ESP], alors que le coût total déclaré est de 233 623 004 [ESP] ;

considérant qu’il y a lieu dans ces conditions de supprimer le concours et de procéder, en vertu de l’article 24, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 4253/88 du Conseil, au recouvrement des montants accordés pour le projet jusqu’à présent ;

considérant que, conformément au droit national applicable aux sociétés, les associés sont dans certaines sociétés responsables des dettes de celles-ci ;

[…]

a arrêté la présente décision :

Article premier

Le concours du FEOGA, section « Orientation », d’un maximum de 1 035 849 [écus], octroyé par décision C (93) 3394 de la Commission à la société Entorn SL relative au projet nº 93.ES.06.030, intitulé ‘Projet de démonstration de la culture du sumac avec de nouvelles techniques culturales’ est supprimé.

Article 2

La société Entorn SL et, le cas échéant, les personnes juridiquement responsables de ses dettes sont tenues de rembourser la somme de 725 094 [euros] […] »

24
Cette décision, qui a été adressée également au Royaume d’Espagne, a été notifiée à la requérante, à son adresse à Barcelone, le 10 avril 2001, après que la tentative de la notifier à l’adresse de Séville n’avait pas abouti.

25
La Commission a en outre transmis au ministère public espagnol le dossier concernant le projet Sumac, ainsi que les dossiers concernant deux autres projets dans lesquels avaient été impliqués, notamment, MM. A et C. Le ministère public a introduit des plaintes devant les Juzgados de Instrucción compétents pour faux en écriture et escroquerie continue. MM. A, B, C et D figurent parmi les personnes poursuivies en ce qui concerne le projet Sumac.


Procédure et conclusions des parties

26
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 juin 2001, la requérante a introduit le présent recours. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 25 juin 2001, elle a également introduit une demande visant à ce que soit ordonné le sursis à l’exécution de la décision attaquée. Par ordonnance du 22 octobre 2001, Entorn/Commission (T‑141/01 R, Rec. p. II‑3123), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé en réservant les dépens.

27
À titre de mesure d’organisation de la procédure, le Tribunal a posé des questions et a demandé aux parties la production de documents. Celles-ci ont répondu à ces questions et à cette demande dans le délai imparti. En juillet 2003, la partie requérante a eu la possibilité de consulter, au greffe du Tribunal, un dossier administratif déposé par la Commission, à l’exception de certains documents dont le traitement confidentiel avait été décidé par le Tribunal. Elle n’a pas sollicité la possibilité de déposer des observations écrites sur ce dossier.

28
Le 13 octobre 2003, la requérante a présenté un mémoire détaillé, intitulé « Observations sur le rapport d’audience ». En annexe à ce mémoire, elle a produit un document établi par l’unité de coordination de la lutte antifraude (UCLAF) le 29 septembre 1997, contenant un compte rendu de certaines déclarations que M. B avait faites devant des fonctionnaires de cette unité à laquelle il s’était présenté spontanément en septembre 1997. Ces déclarations concernent, notamment, le rôle joué par M. B dans le cadre du projet Sumac. La requérante a affirmé avoir eu connaissance de ce document dans le cadre des procédures pénales engagées en Espagne, relatives aux faits à l’origine du présent litige. De plus, elle a demandé que les procès-verbaux de l’instruction pénale soient versés au dossier. Le 4 novembre 2003, la requérante a déposé un mémoire par lequel elle a demandé une série de mesures d’organisation de la procédure et d’instruction.

29
Le Tribunal a posé des questions supplémentaires aux parties et a demandé à la Commission de produire les annexes du compte rendu de l’UCLAF, susmentionné. Les parties ont répondu aux questions dans le délai imparti. La Commission a produit les documents demandés, en s’opposant toutefois à leur communication à la partie requérante. Après la vérification de leur caractère confidentiel et la suppression de certaines données ne concernant pas le projet Sumac, une partie de ces documents a été versée au dossier et communiquée à la requérante.

30
Une réunion informelle des parties a eu lieu le 14 janvier 2004 devant la deuxième chambre du Tribunal. Un délai a été imparti aux parties pour se prononcer sur la possibilité d’un règlement à l’amiable du litige.

31
À la suite de cette réunion informelle, il a été tenu le même jour une audience, lors de laquelle les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal.

32
Par mémoires enregistrés au greffe du Tribunal les 26 février et 4 mars 2004, les parties ont déclaré ne pas pouvoir envisager un règlement à l’amiable du litige.

33
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

demander à la Commission, par voie de mesures d’organisation de la procédure, la production de toute la documentation relative à la procédure administrative qui a précédé l’adoption de la décision attaquée, ainsi que toute la documentation produite par la Commission pouvant contribuer à la détermination de l’exactitude des faits ;

condamner la Commission aux dépens.

34
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

A – Sur la prise en considération du compte rendu des déclarations de M. B et des annexes de ce document

Arguments des parties

35
La Commission s’est opposée à ce que le compte rendu des déclarations de M. B soit versé au dossier au motif que ce document n’avait pas pu être obtenu légalement par la requérante. Elle conteste l’affirmation de cette dernière selon laquelle elle a été admise à participer, en tant que partie civile, à la procédure pénale devant les juridictions espagnoles et fait valoir que la requérante n’a pu obtenir ce document qu’en violation du secret de l’instruction. Elle souligne en outre le caractère confidentiel du document qui s’oppose, selon elle, à ce qu’il soit versé au dossier.

36
La requérante affirme que la manière dont elle a obtenu le document en cause n’est pas illégale. Après avoir soutenu, dans un premier temps, qu’elle avait obtenu le document en tant que partie civile à la procédure pénale, la requérante a indiqué, en réponse à une question du Tribunal, que le document lui avait été remis par M. A, prévenu dans le cadre de la procédure pénale en Espagne.

Appréciation du Tribunal

37
Pour regrettable qu’il soit que la requérante se soit livrée, lors de la production du document en cause, à des affirmations inexactes quant aux circonstances dans lesquelles elle l’avait obtenu, ce fait ne suffit pas, en soi, pour exclure la prise en considération de ce document par le Tribunal. En effet, en réponse à la question du Tribunal, la requérante a fourni une explication plausible du fait qu’elle a pu obtenir ce document sans commettre des actes illégaux susceptibles de faire obstacle à ce qu’elle puisse s’en prévaloir dans le cadre de la procédure devant le Tribunal.

38
À cet égard, il convient de relever que le document en cause fait partie du dossier que la Commission a transmis aux autorités espagnoles en vue de l’engagement éventuel de poursuites pénales contre les responsables des agissements frauduleux liés au projet Sumac. Or, il est conforme aux principes généraux du droit régissant les procédures pénales et notamment au respect des droits de la défense que ce document ait été communiqué, dans le cadre de la procédure pénale, à des personnes susceptibles d’être inculpées, parmi lesquelles comptait M. A, administrateur de la requérante au moment des faits à l’origine du litige. Ensuite, il n’apparaît pas que M. A, en transmettant à son tour le document en cause à la requérante, ait pu commettre une violation de règles de droit devant conduire à exclure la prise en considération, par le Tribunal, d’un document susceptible de fournir des précisions quant aux faits à l’origine du présent litige.

39
Par conséquent, le compte rendu des déclarations de M. B devant les fonctionnaires de l’UCLAF et celles des annexes de ce compte rendu que le Tribunal a décidé de verser au dossier peuvent être pris en considération dans le cadre de l’examen des moyens de la requérante.

B – Sur le fond

40
La requérante invoque trois moyens à l’appui de son recours. Les deux premiers moyens, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, sont tirés, respectivement, d’une violation de l’article 24 du règlement n° 4253/88 et d’une violation de l’obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré d’une violation des droits de la défense.

Sur les premier et deuxième moyens, tirés de la violation de l’article 24 du règlement n° 4253/88 et d’une violation de l’obligation de motivation

Arguments des parties

41
Par ses deux premiers moyens, la requérante fait, en substance, valoir, d’une part, qu’elle ne peut pas être considérée comme bénéficiaire du financement communautaire, de sorte qu’elle n’est pas le destinataire approprié de la décision de suppression du concours et, d’autre part, qu’elle n’a pas perçu les versements correspondant aux deux premières tranches du concours, de sorte que le remboursement de ces sommes ne saurait lui être demandé.

42
La requérante reconnaît que, aux termes de la décision d’octroi, elle est le bénéficiaire du concours et responsable de l’exécution du projet. Elle affirme cependant que sa participation à l’élaboration du projet s’est limitée à la communication, à M. B, des données juridiques de la société et à l’indication de la zone et du réalisateur technique éventuel de ce projet en Espagne. La responsabilité de l’élaboration du projet et de son traitement ultérieur devant les services compétents de la Commission aurait incombé uniquement et exclusivement à M. B. La requérante affirme à ce sujet que tous les documents relatifs au projet Sumac rédigés en son nom, à l’exception de la télécopie datée du 25 octobre 1993, signée par M. A, par laquelle ses coordonnées bancaires ont été communiquées à la Commission, sont des faux et que le papier à lettres utilisé ne correspond pas à celui officiellement utilisé par elle.

43
La requérante critique le manque de diligence de la Commission, et plus particulièrement du fonctionnaire responsable de la gestion des projets au titre de l’article 8 du règlement n° 4256/88, lors de l’octroi du concours pour le projet Sumac et relève une série de circonstances à propos desquelles la Commission aurait dû lui demander des éclaircissements supplémentaires avant de procéder au versement du concours.

44
S’agissant du sort du projet après la décision d’octroi, la requérante indique que son administrateur, M. A, a considéré, en recevant la notification de ladite décision, qu’il était impossible pour la requérante de mener à bien le projet. M. A en aurait informé M. B et l’aurait prié de faire savoir cela à M. D, avec lequel M. B entretenait, selon la requérante, des relations très étroites.

45
La requérante fait observer qu’il résulte de la décision attaquée que cette information ainsi que l’information relative à un nouveau compte bancaire sur lequel la Commission devait verser les montants correspondant à l’exécution du projet ont effectivement été communiquées à la Commission. Elle signale à ce sujet que les documents relatifs à la modification du compte bancaire bénéficiaire ont été signés par une personne dénommée A. López Gallardo, qui n’était pas habilitée à la représenter.

46
La requérante soutient que la Commission a accepté le changement de bénéficiaire du concours communautaire. Dans la requête, elle affirme que la Commission a reconnu tacitement qu’elle avait cessé d’être le bénéficiaire du financement prévu dans la décision d’octroi. Dans la réplique, elle fait valoir que le fonctionnaire de la Commission responsable du projet, M. D, a accepté verbalement son désengagement.

47
Selon la requérante, le fait que l’institution défenderesse ne lui ait pas donné l’occasion de présenter ses observations avant d’adopter la décision attaquée démontre que la Commission ne l’a pas considérée comme bénéficiaire du concours communautaire. Elle estime que cela est corroboré par le fait que, entre la date de la décision attaquée (le 4 mars 1999) et sa notification (le 10 avril 2001), deux années se sont écoulées sans qu’aucune communication relative au projet ou au déroulement de la procédure administrative ne lui soit adressée à son domicile légal. Elle estime qu’il aurait été facile de se mettre en relation avec elle, une fois que la tentative de notification de la décision à Entorn Sucursal avait échoué.

48
La requérante est d’avis que la Commission méconnaît délibérément le fait que la société Entorn Sucursal et elle-même sont deux entités distinctes et qu’il n’y a pas de lien entre elles, les actionnaires, les mandataires et les administrateurs des deux sociétés étant différents. Selon elle, la similitude apparente entre sa raison sociale et celle d’Entorn Sucursal ne suffit pas pour établir l’existence d’un lien entre les deux sociétés.

49
La requérante affirme que ni elle-même ni son administrateur de l’époque, M. A, n’étaient impliqués dans un réseau organisé afin d’obtenir de manière frauduleuse des subventions communautaires, comme l’allègue la Commission. Selon la requérante, les auteurs des manœuvres dont il s’agit en l’espèce sont les citoyens italiens M. E et M. B ainsi que le fonctionnaire M. D. Elle reproche à la Commission d’avoir omis de mentionner le rôle joué par ce dernier et de ne pas avoir examiné l’implication de celui-ci dans ledit réseau. La requérante soutient que c’est après avoir appris qu’elle n’avait plus l’intention de réaliser le projet que M. B a constitué une entreprise portant un nom très proche du sien. Selon elle, il n’a pu agir en ce sens sans le consentement de M. D qui, avec MM. B et E, a pu, en outre, avoir l’idée d’utiliser cette dénomination.

50
La requérante reconnaît que le comportement de M. A n’est pas exempt de fautes, puisqu’il pouvait et devait réagir devant la création d’une société ayant une dénomination ressemblant à la sienne. Elle soutient cependant que ce comportement s’explique par le fait que cette idée était cautionnée par le fonctionnaire de la Commission responsable de la gestion du projet. La requérante se demande si M. A était en droit de douter de la compétence et de l’honnêteté de ce fonctionnaire. Elle estime qu’il n’est pas juste d’exiger du premier un comportement plus strict que celui du fonctionnaire chargé de la gestion du projet.

51
Au regard des déclarations faites par M. B devant les fonctionnaires de l’UCLAF, la requérante ajoute que ces déclarations établissent que M. B était le bénéficiaire réel du concours et l’auteur matériel de son détournement. Selon elle, M. B a admis non seulement sa responsabilité dans le détournement du concours, mais également son propre refus de participer à ce détournement.

52
S’agissant du remboursement du concours, la requérante est d’avis qu’il serait nécessaire de prouver qu’elle a effectivement perçu les montants dont le remboursement lui est réclamé. Elle souligne que la Commission reconnaît avoir versé le concours à une nouvelle entité bénéficiaire alors que, selon la décision d’octroi, ces montants auraient dû lui être versés. Elle reproche à la Commission de ne pas avoir fourni de justification pour le versement à cette autre entité et de ne lui avoir jamais demandé d’explications en ce qui concerne cette modification.

53
La requérante soutient qu’elle n’a été considérée, par la Commission, comme seule responsable du remboursement que lorsque cette dernière a constaté l’impossibilité de recouvrer la créance en cause auprès de la société qui avait réellement perçu le concours, c’est-à-dire Entorn Sucursal.

54
La requérante soutient enfin que la Commission a violé l’obligation de motivation résultant de l’article 253 CE, faisant valoir que la décision attaquée n’indique pas avec clarté et cohérence les raisons justifiant son assimilation au destinataire véritable de l’octroi du concours et ne démontre pas de manière claire et cohérente qu’elle a effectivement perçu les montants dont le remboursement lui est réclamé.

55
La Commission indique, à titre liminaire, que la décision attaquée en l’espèce fait partie d’une série de décisions de suppression de concours accordés au titre de la section « Orientation » du FEOGA, adoptées par elle en raison des graves irrégularités constatées dans la mise en œuvre des projets concernés. Selon la Commission, il existait un lien entre ces projets du fait que les mêmes sociétés et les mêmes personnes physiques semblaient chaque fois liées, dans une mesure ou une autre, aux projets en cause. La Commission indique notamment que MM. A et C ont été impliqués dans plusieurs autres projets pour lesquels les concours communautaires ont été supprimés.

56
La Commission est d’avis que la décision attaquée a été adressée, à juste titre, à la requérante, qui était le destinataire de la décision d’octroi.

57
La Commission affirme qu’elle a seulement été informée d’un changement d’adresse et de numéro de compte bancaire du bénéficiaire, mais qu’elle n’a jamais été informée qu’un changement de bénéficiaire du concours était intervenu et que son accord sur ce changement n’a jamais été demandé. Elle souligne que M. A n’a pas seulement omis d’informer les services de la Commission du fait que la requérante renonçait au concours octroyé, mais qu’il est en outre resté étroitement lié au projet Sumac pendant toute la durée de son exécution. La Commission est d’avis que les contacts permanents entre M. A, administrateur de la requérante, et M. B, qui est lié à la société Entorn Sucursal, ainsi que la participation de M. A à l’exécution du projet Sumac suffisent pour constater l’existence de liens notoires entre la requérante et la société Entorn Sucursal.

58
En ce qui concerne les reproches de la requérante selon lesquels les services de la Commission n’auraient pas agi, lors de l’octroi du concours, avec la diligence et la prudence nécessaires, la Commission expose que ces éléments ne modifient en rien la responsabilité de la requérante pour ce qui est de l’utilisation des fonds communautaires qui lui ont été octroyés en vue de la réalisation du projet Sumac.

59
La Commission est d’avis que la motivation de la décision litigieuse permet suffisamment à la requérante de connaître les justifications de la mesure adoptée. Selon elle, la requérante ne saurait exiger que la Commission justifie et prouve dans sa décision que la requérante est effectivement la société qui a perçu les versements effectués par les services de la Commission.

Appréciation du Tribunal

60
Il convient d’examiner, en premier lieu, si la Commission a adressé, à juste titre, la décision de suppression du concours au titre de l’article 24, paragraphe 2, du règlement nº 4253/88, tel que modifié, à la requérante. En second lieu, il y a lieu de vérifier si la Commission était en droit d’exiger de la requérante le remboursement, au titre de l’article 24, paragraphe 3, du règlement nº 4253/88, tel que modifié, du concours communautaire versé.

–     Sur la suppression du concours

61
L’article 24 du règlement nº 4253/88 n’indique pas explicitement qui doit être le destinataire d’une décision de suppression d’un concours communautaire. Cela s’explique par l’économie du régime des interventions des fonds structurels résultant du règlement nº 2052/88 tel que modifié, dont le règlement nº 4253/88, tel que modifié, contient les dispositions d’application. Il résulte des dispositions de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 5, paragraphe 2, du règlement nº 2052/88, tel que modifié, que l’action communautaire est conçue comme un complément des actions nationales correspondantes ou une contribution à celles-ci et qu’elle ne prend qu’exceptionnellement la forme du financement direct, par la Commission, de projets pilotes et de démonstration. Conformément à ce régime, les décisions prises au titre du règlement nº 4253/88, tel que modifié, sont adressées, selon le cas, aux États membres ou aux autorités compétentes ou autres organismes désignés par ceux-ci, ou bien, dans le cas des interventions directes de la Commission, aux bénéficiaires individuels des concours communautaires. Il s’ensuit que, dans le cas d’une action financée directement par la Commission au titre de l’article 8 du règlement n° 4256/88, la décision de suppression doit être adressée au bénéficiaire du concours communautaire.

62
Il convient donc de vérifier si la requérante pouvait être considérée comme bénéficiaire du concours octroyé pour le projet Sumac.

63
À ce sujet, il y a lieu, tout d’abord, de relever que la demande de concours a été présentée au nom de la requérante. S’il est vrai que la désignation « Entorn SL » utilisée dans la demande et la correspondance qui y est relative n’est pas la dénomination complète de la requérante (Entorn, Societat Limitada Enginyeria i Serveis), il s’agit d’une abréviation de cette dénomination venant naturellement à l’esprit dont l’utilisation, conjointement avec l’adresse de la requérante, peut uniquement être comprise en ce sens que la demande a été présentée au nom de la requérante. Cependant, ni la lettre du 12 juillet 1993, exprimant un intérêt à présenter une demande de concours, ni les lettres des 14 et 22 septembre 1993, accompagnant les deux versions de la demande de concours, ne portent la signature de l’administrateur de la requérante. De plus, la requérante affirme que le papier à lettres utilisé n’est pas celui qu’elle utilise habituellement.

64
Dans ses déclarations faites en septembre 1997 devant les fonctionnaires de l’UCLAF, M. B a reconnu avoir signé la lettre du 14 septembre 1993. Il a en outre admis avoir utilisé la signature « A. López Gargallo », qui figure sur les lettres des 12 juillet et 22 septembre 1993.

65
La requérante a exposé, dans sa demande de mesures provisoires adressée au Tribunal dans le cadre du présent litige, que son administrateur avait consenti à ce que la requérante soumette le projet Sumac à la Commission, les contacts directs avec la Commission devant toutefois être établis par M. B. De plus, par une télécopie datée du 25 octobre 1993, dont l’authenticité n’est pas contestée par la requérante, l’administrateur de celle-ci a communiqué à la Commission les coordonnées bancaires de la requérante, avec la mention « complément à notre proposition 93.ES.06.030 » (como complemento a nuestra propuesta 93.ES.06.030). Ce document, qui fait référence au numéro sous lequel la demande de concours pour le projet Sumac a été traitée par la Commission, démontre non seulement que l’administrateur de la requérante avait connaissance du fait que cette demande de concours avait été présentée au nom de la société, mais également qu’il acceptait, au nom de la société, la responsabilité de cette demande de concours. Ce document démontre donc que l’administrateur de la requérante a ratifié les déclarations faites au nom de la requérante dans les lettres du 12 juillet 2003 et des 14 et 22 septembre 2003.

66
Il s’ensuit que la demande de concours est imputable à la requérante. Il est sans incidence à cet égard de savoir si les trois lettres susmentionnées ont été signées par M. B, comme il semble résulter de ses déclarations devant l’UCLAF, ou par des personnes inconnues.

67
La décision d’octroi, adoptée le 26 novembre 1993, est adressée, sous couvert d’une lettre de notification en date du 29 novembre 1993, à « Entorn SL » à l’adresse qui était, à l’époque, celle de la requérante à Barcelone. Elle indique que « [l]a mise en œuvre de l’action relève de la responsabilité de la société Entorn SL » et que [l]a société Entorn SL (bénéficiaire) est destinataire de la présente décision ». La requérante n’a pas contesté, pendant la procédure écrite et lors de l’audience, qu’elle avait effectivement eu connaissance de cette décision, qu’elle a, en outre, annexée à sa requête. Ce n’est que dans un mémoire du 4 mars 2004, par lequel elle a pris position sur la possibilité d’un éventuel règlement à l’amiable du litige, que la requérante a indiqué qu’il n’y avait aucune preuve d’un envoi de cette décision par courrier recommandé et que ses archives ne faisaient pas état de la réception de cette décision. Ces affirmations sont non seulement tardives, mais elles sont également en contradiction avec la présentation des faits figurant dans les mémoires de la requérante. En effet, dans la partie de sa requête intitulée « Éléments de fait relatifs à l’exécution ultérieure du projet », la requérante indique, au point 25, que M. A a été « informé du contenu et de la portée de la décision de la Commission du 29 novembre 1993 », et, au point 12 de la réplique, elle indique que M. A a reçu « la notification de la décision de novembre 1993 qui concédait à [la requérante] un concours communautaire ».

68
Le fait que la décision d’octroi n’indique pas la dénomination complète de la requérante ne s’oppose pas à ce que la requérante soit considérée comme destinataire de cette décision. En effet, la dénomination figurant dans la décision d’octroi correspond à celle figurant dans les lettres envoyées à la Commission antérieurement à l’octroi du concours et ratifiées par l’administrateur de la requérante.

69
Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la requérante était le destinataire de la décision d’octroi du 26 novembre 1993 et le bénéficiaire du concours communautaire.

70
S’agissant de la thèse de la requérante selon laquelle elle avait perdu la qualité de bénéficiaire du fait d’avoir renoncé au concours, force est de constater qu’aucune preuve de ses allégations à ce sujet n’a été rapportée. À cet égard, l’affirmation figurant dans la requête, selon laquelle son administrateur a demandé à M. B d’informer le fonctionnaire responsable de la Commission du renoncement de la requérante à l’exécution du projet, à supposer qu’elle soit exacte, ne suffit pas pour considérer que la requérante a valablement renoncé au concours. En effet, aucun élément du dossier ne confirme que M. B ait effectivement informé la Commission de l’intention de la requérante d’abandonner le projet. Or, le bénéficiaire d’un concours communautaire ne saurait se décharger de l’obligation d’information et de loyauté qui lui incombe envers la Commission en ayant recours aux services d’un tiers plutôt qu’à ses propres moyens. Dès lors, le manquement éventuel de M. B dans la mise en œuvre des instructions de l’administrateur de la requérante est imputable à cette dernière.

71
De même, les allégations de la requérante selon lesquelles la Commission aurait accepté son désengagement ne sont corroborées par aucun élément du dossier. On ne peut pas déduire de la prise en considération, par la Commission, des nouvelles coordonnées bancaires qui lui ont été fournies que cette institution aurait accepté un changement du bénéficiaire du concours, étant donné que les communications qui lui ont été adressées à cet effet le 30 novembre 1993 et le 14 juillet 1995 ne font aucune référence à un changement de l’entreprise bénéficiaire. Il convient d’ajouter qu’il n’est pas plausible que la Commission ait accepté une modification aussi importante du projet que le renoncement du bénéficiaire responsable de son exécution ou la substitution d’une autre entreprise à celui-ci sans en donner une confirmation écrite à la requérante. Le Tribunal relève dans ce contexte que la requérante fait valoir, dans la requête, que la Commission aurait consenti tacitement au changement de bénéficiaire, alors qu’elle indique, dans la réplique, que le fonctionnaire responsable l’aurait accepté « verbalement ». Cette contradiction est de nature à faire naître des doutes quant à la fiabilité des allégations de la requérante concernant ces faits.

72
Dans ces conditions, il n’existe aucun indice permettant de conclure que la requérante ait perdu, postérieurement à l’octroi du concours communautaire, la qualité de bénéficiaire de celui-ci.

73
La requérante fait en outre valoir que la décision attaquée n’aurait pas dû lui être adressée parce que la responsabilité des irrégularités constatées incombe, en premier lieu, à d’autres personnes, notamment à MM. B et E et au fonctionnaire de la Commission, M. D.

74
À cet égard, il convient de constater que l’administrateur de la requérante, M. A, dont les actes accomplis au nom de la requérante sont imputables à celle-ci, a violé, gravement, l’obligation d’information et de loyauté qui pèse sur les demandeurs et bénéficiaires de concours financiers.

75
En premier lieu, l’administrateur de la requérante a donné son accord à ce que la demande de concours soit introduite, par M. B, au nom de la requérante. Il a ensuite ratifié, notamment, les déclarations faites au nom de la requérante dans le cadre de la demande de concours par une personne utilisant la signature « A. López Gargallo ». Il a ainsi créé l’apparence, auprès des services de la Commission, qu’une personne utilisant cette signature était habilitée à représenter la requérante.

76
En deuxième lieu, M. A a omis de veiller à ce que la Commission fût correctement informée de l’abandon du projet Sumac par la requérante. Il a ainsi maintenu l’apparence que le projet était exécuté par la requérante.

77
En troisième lieu, M. A était informé de la création de la société Entorn Sucursal, mais il n’a rien fait pour s’y opposer, alors qu’il ne pouvait ignorer le risque important que les deux sociétés puissent être confondues par les services de la Commission.

78
En quatrième lieu, M. A savait que le projet Sumac était mené par Entorn Sucursal, puisqu’il a travaillé comme consultant dans le cadre de ce projet. En cette qualité, il ne pouvait pas lui échapper que le coût du projet tel qu’il a été exécuté était de loin inférieur au montant du concours communautaire octroyé. M. A a ainsi toléré que le projet, pour lequel un concours avait été attribué à la requérante, fût exécuté par une autre société dont le nom était presque identique à celui de la requérante, dans des conditions qui pouvaient laisser sérieusement soupçonner des irrégularités, sans s’assurer que la Commission fût correctement informée de ces faits.

79
La seule explication plausible de ce comportement est que M. A a participé sciemment à des manœuvres visant à détourner les versements au titre du concours communautaire octroyé à la requérante des fins auxquelles ils étaient destinés. M. A a donc commis des irrégularités graves imputables à la requérante, justifiant la suppression du concours.

80
La participation d’autres personnes à ces irrégularités n’est pas susceptible d’exonérer la requérante, en tant que bénéficiaire du concours, de sa responsabilité à raison des actes accomplis en son nom par son administrateur.

81
S’agissant, plus particulièrement, des allégations de la requérante concernant le rôle joué par un fonctionnaire de la Commission dans le cadre des manœuvres susmentionnées, il convient de relever que la participation d’un fonctionnaire ou agent de l’institution aux irrégularités en question, à la supposer établie, n’est pas susceptible d’exclure la suppression du concours.

82
En effet, le fait qu’un fonctionnaire ait manqué à ses obligations – que ce soit par négligence ou par un comportement délibérément fautif – ne protège pas le bénéficiaire du concours des conséquences du non-respect de ses propres obligations.

83
Dans ce contexte, il convient d’écarter la thèse selon laquelle les déclarations de M. B devant les fonctionnaires de l’UCLAF démontrent le refus de la requérante de participer aux agissements visant à obtenir illégalement le versement de la subvention pour le projet Sumac, ce refus ayant amené M. B à la constitution d’une autre société ayant un nom très similaire. En effet, M. B a déclaré qu’il avait eu l’intention d’acquérir la requérante mais que, cela s’étant avéré impossible, il avait créé Entorn Trading (Dublin) afin de l’acquérir par l’entremise de celle-ci. En revanche, il ne mentionne ni la raison pour laquelle l’acquisition de la requérante n’était pas possible ni un éventuel refus de celle-ci de participer à ses manœuvres.

84
S’agissant, enfin, de la prétendue violation de l’obligation de motivation, il suffit de relever que la Commission a clairement exposé, dans la décision attaquée, que la décision octroyant le concours avait été adressée à la requérante et qu’aucun changement de bénéficiaire n’avait été autorisé. Partant, la décision attaquée est suffisamment motivée en ce qui concerne la qualité de la requérante en tant que bénéficiaire du concours.

85
Il s’ensuit que la décision de suppression du concours a été adressée, à juste titre, à la requérante.

86
Il résulte de tout ce qui précède que les deux premiers moyens ne sont pas fondés en ce qui concerne la suppression du concours prononcée à l’article 1er de la décision attaquée.

–     Sur le remboursement des sommes versées au titre des deux premières tranches du concours communautaire

87
L’article 24, paragraphe 3, du règlement nº 4253/88, tel que modifié, dispose que « [t]oute somme donnant lieu à répétition de l’indu doit être reversée à la Commission ».

88
Cette disposition ne précise pas à qui incombe l’obligation de restituer à la Commission les sommes indûment versées. Il résulte cependant de l’économie des règlements nº 2052/88 et nº 4253/88, tels que modifiés, exposée au point 61 ci-dessus, que, dans le cas des financements directs par la Commission, cette obligation incombe au bénéficiaire du concours. Cela est confirmé par le paragraphe 10 des conditions financières fixées à l’annexe 2 de la décision d’octroi, selon lequel le bénéficiaire est habilité à envoyer ses commentaires avant la mise en œuvre d’éventuelles demandes de remboursement.

89
Pour que le remboursement des sommes versées puisse être exigé du bénéficiaire, d’une part, il est nécessaire, que la réduction, la suspension ou la suppression du concours ait été valablement décidée. Or, sous réserve de l’examen des griefs concernant la violation des droits procéduraux de la requérante, avancés dans le cadre du troisième moyen, il résulte des développements qui précèdent que les conditions d’une suppression du concours étaient remplies en l’espèce.

90
D’autre part, l’utilisation du verbe « reverser » implique, en principe, que l’obligation de remboursement ne vise que les sommes que le bénéficiaire a effectivement perçues. Cette interprétation est corroborée par l’utilisation, dans une partie des différentes versions linguistiques de l’article 24, paragraphe 3, du règlement nº 4253/88, tel que modifié, des termes « répétition de l’indu » ou de termes équivalents (voir notamment les versions espagnole, française, italienne et néerlandaise). À cet égard, il y a lieu d’assimiler aux sommes versées directement au bénéficiaire par la Commission les sommes qu’elle a versées à des tiers sur ordre du bénéficiaire. En effet, dans ce cas, la Commission se borne à exécuter les dispositions prises par le bénéficiaire, en tant que créancier de la somme versée, concernant les modalités du paiement.

91
En revanche, le bénéficiaire du concours ne saurait être tenu de rembourser à la Commission des sommes que celle-ci a versées à des tiers en l’absence d’un ordre qui émane de lui ou qui lui soit imputable.

92
Il est donc nécessaire de vérifier si les deux premières tranches du concours ont été versées à la requérante ou si ces versements ont été effectués sur ordre de celle-ci.

93
La décision attaquée contient des constatations contradictoires à cet égard. D’une part, elle indique « que le bénéficiaire a reçu jusqu’à présent dans le cadre de ce concours de la Communauté un montant total de 725 094 [écus] », d’autre part, elle relève qu’une succursale d’Entorn Trading a été ouverte à Séville, que « [c]’est à cette dernière société que tous les paiements réalisés par la Commission, dans le cadre du projet, ont été envoyés [et que ce] processus a été communiqué à la Commission comme un simple changement d’adresse du bénéficiaire, alors qu’il s’agi[ssait] en fait d’un changement du bénéficiaire du projet sans accord de la Commission ».

94
Il résulte des pièces du dossier que la première tranche du concours a été versée sur un compte ouvert auprès de la Banca nazionale del lavoro à Madrid. Selon un extrait des mouvements de ce compte, établi le 19 juillet 1995 et figurant parmi les annexes des déclarations de M. B aux fonctionnaires de l’UCLAF, la première tranche du concours a été créditée sur ce compte le 20 janvier 1994. Le titulaire du compte figurant sur cet extrait est « Entorn Lda – en constitución ». Un extrait du même compte, daté du 15 juin 1995, indique comme titulaire « Entorn Trading Ltd ». Il apparaît donc que l’un des titulaires du compte est l’une des entités créées par M. B, mentionnées aux points 10 et 11 ci-dessus, à savoir « Entorn Trading Ltd », alors que la désignation « Entorn Lda – en constitución » ne correspond exactement ni à la désignation de la requérante ni à celle de la succursale créée par M. C en Espagne. En tout état de cause, il apparaît de ces documents que le titulaire du compte n’était pas la requérante, « Entorn, Societat Limitada Enginyeria i Serveis ».

95
Il s’ensuit que la requérante n’a pas perçu le versement de la première tranche du concours.

96
Pour ce qui est de la deuxième tranche du concours, il résulte du dossier qu’elle a été versée sur un compte ouvert auprès de la banque Caixa à Madrid, dont le titulaire était « Entorn Trading Ltd (Entorn SL) ». La requérante n’a donc pas plus reçu la deuxième tranche du concours.

97
S’agissant du point de savoir si ces versements ont été effectués sur ordre de la requérante de sorte qu’ils peuvent être assimilés à des versements qu’elle a elle-même perçus, il convient de rappeler que le numéro du compte, sur lequel la première tranche du concours a été versée, avait été communiqué à la Commission par la lettre du 30 novembre 1993, mentionnée point au 16 ci‑dessus. Dans ses déclarations devant les fonctionnaires de l’UCLAF, M. B a reconnu avoir signé cette lettre.

98
Le compte sur lequel le deuxième versement a été effectué a été communiqué à la Commission par une télécopie envoyée le 14 juillet 1995 en utilisant un formulaire de « MB Consultores y Auditores, SL » à Séville, c’est-à-dire l’entreprise auprès de laquelle Entorn Sucursal avait son siège. Il ne résulte du dossier aucune indication de la personne qui a envoyé cette télécopie.

99
Ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, au point 79, le comportement de M. A ne peut pas être expliqué autrement que par sa participation intentionnelle aux manœuvres visant à détourner les versements du concours pour le projet Sumac de leur destination.

100
L’envoi de messages indiquant à la Commission, pour le versement des tranches du concours, des numéros de compte autres que celui de la requérante, tout en donnant l’impression qu’il s’agissait de comptes de la requérante, est un élément essentiel de ces manœuvres. Il s’ensuit que M. A a consenti à l’envoi de ces messages dont le contenu peut, par conséquent, lui être imputé.

101
Or, en tant que président et conseiller délégué, M. A était habilité à lier la requérante par les actes accomplis par lui-même ou avec son consentement au nom de la société.

102
La lettre du 30 novembre 1993 a été rédigée au nom de la requérante et porte la signature de « A. López Gargallo » qui avait été utilisée, selon ses déclarations devant l’UCLAF, par M. B dans les lettres du 12 juillet et du 22 septembre 1993 (voir point 64 ci-dessus). L’apparence donnée à la Commission que cette signature engageait la requérante résultant des agissements de M. A (voir point 75 ci‑dessus), il doit être considéré que cette lettre a été envoyée avec le consentement de ce dernier. Il s’ensuit qu’elle est imputable à la requérante, indépendamment de l’identité de la personne qui l’a concrètement signée. Partant, le versement de la première tranche du concours peut être considéré comme ayant été effectué sur ordre de la requérante. Il peut donc être assimilé à un versement que la requérante a elle-même reçu.

103
La télécopie du 14 juillet 1995, par laquelle des nouvelles coordonnées bancaires pour le versement de la deuxième tranche ont été communiquées à la Commission, a été rédigée en utilisant un formulaire portant le nom et l’adresse de la société « MB Consultores y Auditores, SL » à Séville. Dans la rubrique « expéditeur » (remite) du formulaire figure la mention dactylographiée « Entorn Trading, SL ». Cette désignation n’est pas identique à celle utilisée jusqu’alors dans la correspondance relative au projet Sumac adressée à la Commission (soit « Entorn SL »), mais elle est néanmoins similaire.

104
Or, la lettre du 29 mars 1994, mentionnée au point 17 ci-dessus, avait indiqué à la Commission que « Entorn SL » avait ouvert un bureau à Séville, aux fins du projet Sumac, dont l’adresse était celle de l’entreprise « MB Consultores y Auditores, SL ». Cette lettre porte la signature dactylographiée de M. A et une signature manuscrite illisible qui, selon les déclarations faites par M. B devant les fonctionnaires de l’UCLAF, a été apposée par ce dernier. Cette lettre a créé l’apparence, d’une part, que l’adresse de Séville était une adresse à laquelle du courrier destiné à la requérante en relation avec le projet Sumac pouvait être envoyé et, d’autre part, que des messages expédiés de cette adresse en relation avec ledit projet émanaient de la requérante. Elle s’inscrit pleinement dans les manœuvres entreprises en l’espèce. À ce titre, la lettre du 29 mars 1994 a été envoyée avec le consentement de M. A et, ayant été envoyée au nom de la requérante, est imputable à cette dernière sans qu’il importe de savoir qui l’a effectivement signée.

105
Conformément à l’apparence créée par cette lettre, la télécopie envoyée de la part d’« Entorn Trading, SL » à partir de l’adresse de Séville le 14 juillet 1995, qui, elle aussi, fait partie intégrante des manœuvres auxquelles M. A a sciemment participé, est également imputable à la requérante.

106
Il s’ensuit que le versement de la deuxième tranche du concours sur le compte communiqué par cette télécopie à la Commission doit être considéré comme ayant été effectué sur ordre de la requérante et qu’il y a lieu de l’assimiler à un versement que la requérante a elle-même reçu.

107
Par conséquent, le moyen tiré d’une violation de l’article 24 du règlement nº 4253/88, tel que modifié, n’est pas fondé.

108
S’agissant de la prétendue violation de l’obligation de motivation, il résulte clairement de la décision attaquée que la Commission a estimé que la requérante, en tant que bénéficiaire du concours, était obligée de rembourser les deux tranches du concours versées, étant donné qu’aucun changement du bénéficiaire n’avait été approuvé. Cette motivation était suffisante pour permettre à la requérante de connaître les motifs de la décision attaquée et au Tribunal d’exercer son contrôle. Par conséquent, le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation au regard du remboursement des deux tranches du concours doit être écarté.

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

Arguments des parties

109
La requérante reproche à la Commission le fait que celle-ci ne lui a pas donné la possibilité de présenter par écrit ses observations à la suite des contrôles effectués auprès du siège d’Entorn Sucursal à Séville. Elle reconnaît que M. A, son administrateur, était présent lors du contrôle. Elle fait cependant valoir qu’elle n’a pas eu la possibilité de présenter un mémoire.

110
La requérante déclare ne pas comprendre que la Commission, après avoir pris connaissance des allégations écrites de M. C, figurant à l’annexe 18 du mémoire en défense, ne se soit pas mise en relation avec ses représentants. Elle estime que cela constitue une violation grave des droits de la défense.

111
La Commission affirme qu’elle a respecté les droits de la défense de la requérante en l’espèce. Elle estime qu’elle a donné à la requérante la possibilité de faire valoir ses observations sur la suppression du concours en envoyant la lettre du 3 avril 1998, qui énonçait clairement les griefs formulés à l’encontre de la requérante et qui lui accordait un délai raisonnable pour faire parvenir ses observations.

112
Selon la Commission, la requérante ne saurait invoquer le fait que cette lettre a été envoyée à l’adresse de Séville pour soutenir qu’elle a été privée de son droit de présenter des observations. Elle estime que ses services avaient de bonnes raisons d’utiliser l’adresse de Séville non seulement parce qu’elle était la dernière adresse de la requérante qui lui avait été communiquée, mais encore parce que c’était à partir de cette adresse que le projet Sumac avait été géré et que c’était là que s’était déroulé le contrôle dudit projet et que les contrôleurs de la Commission avaient rencontré M. A.

Appréciation du Tribunal

113
Le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief constitue un principe fondamental de droit communautaire qui doit être assuré, même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure. Ce principe exige que les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts soient mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue (arrêts de la Cour du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C‑32/95 P, Rec. p. I‑5373, point 21, et du Tribunal du 26 septembre 2002, Sgaravatti Mediterranea/Commission, T‑199/99, Rec. p. II‑3731, point 55).

114
Si l’article 24 du règlement nº 4253/88, tel que modifié, ne contient pas de dispositions expresses régissant les droits de la défense du bénéficiaire d’un concours dont la suppression est envisagée, des précisions concernant ces droits figurent, en revanche, au paragraphe 10 de l’annexe 2 à la décision d’octroi, relatif aux conditions financières. Selon ce texte, le bénéficiaire d’un concours a la possibilité de présenter ses observations, dans un délai fixé par la Commission, avant que celle‑ci ne procède à la suspension, à la réduction ou à la suppression du concours ou à la répétition de l’indu.

115
En l’espèce, la lettre du 3 avril 1998, visant à garantir au bénéficiaire du concours son droit d’être entendu, conformément au paragraphe 10 des conditions financières, n’a pas été adressée à la requérante, dont le siège se trouvait, pendant toute la période pertinente, à Barcelone, mais à « Entorn (Sumac) » à l’adresse de Séville auprès de MB Consultores y Auditores, qui était celle utilisée par Entorn Sucursal.

116
Cependant, par la lettre du 29 mars 1994, mentionnée aux points 17 et 104 ci-dessus, la Commission avait été délibérément induite en erreur et amenée à croire que l’adresse de Séville était l’adresse d’un bureau ouvert par la requérante aux fins du projet Sumac. Ainsi qu’il a été constaté au point 104 ci-dessus, cette lettre est imputable à la requérante.

117
Dès lors, la Commission pouvait valablement utiliser cette adresse pour envoyer à la requérante toute correspondance concernant le projet Sumac, y compris la lettre du 3 avril 1998, destinée à lui donner l’occasion de faire des observations sur les irrégularités qui lui étaient reprochées.

118
Certes, il peut paraître étonnant que la Commission ait utilisé cette adresse dès lors qu’elle disposait, au moment de l’envoi de la lettre du 3 avril 1998, du rapport de contrôle établi par l’UCLAF, dont il résulte que l’adresse de Séville avait été celle de la société Entorn Sucursal, que le siège de cette dernière avait été transféré, en février 1996, à Ténérife et qu’il existait deux sociétés distinctes dont la raison sociale était très similaire.

119
La requérante ne saurait cependant invoquer ce fait pour faire valoir qu’elle n’a pas été valablement mise en mesure de présenter ses observations.

120
En effet, la requérante reconnaît elle-même que son administrateur, M. A, avait connaissance de l’existence de la lettre du 3 avril 1998. Certes, elle prétend que M. A a déduit du fait que cette lettre avait été envoyée à l’adresse de Séville que la Commission ne le considérait pas comme responsable des irrégularités constatées. Cependant, M. A ne pouvait pas ignorer que l’envoi de cette lettre à l’adresse de Séville résultait de la confusion quant à l’adresse exacte de la requérante, créée et entretenue délibérément par les personnes participant aux manœuvres relatives au projet Sumac, dont il faisait partie. Il savait en outre que le concours avait été octroyé à la requérante et qu’il n’avait pas veillé lui-même à ce que la Commission fût informée du prétendu renoncement à celui-ci. Dans ces conditions, il devait être évident pour lui que la requérante avait intérêt à prendre connaissance du contenu de la lettre du 3 avril 1998 et à présenter ses observations sur les irrégularités dont elle faisait état. La requérante aurait donc pu présenter ses observations sur cette lettre si elle l’avait souhaité.

121
Il convient d’ajouter qu’une partie ne saurait invoquer sa propre turpitude (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 7 février 1973, Commission/Italie, 39/72, Rec. p. 101, point 10, et conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt de la Cour du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, Rec. p. I-6297, I‑6300, point 39). De même, une partie ne saurait invoquer des comportements illicites d’une personne habilitée à agir en son nom afin de se soustraire à sa propre responsabilité du fait des actes accomplis par cette personne. Partant, la requérante ne saurait se prévaloir de l’erreur de la Commission à la création de laquelle son administrateur a sciemment contribué.

122
Il s’ensuit que l’envoi de la lettre du 3 avril 1998 à l’adresse de Séville était suffisant pour sauvegarder les droits de la défense de la requérante.

123
Par conséquent, le troisième moyen de la requérante, tiré d’une violation des droits de la défense, n’est pas fondé.

C – Sur les demandes de mesures d’organisation de la procédure et d’instruction formulées par la requérante

Arguments des parties

124
Dans la requête et la réplique, la requérante a demandé que le Tribunal ordonne la production, par la Commission, de « toute la documentation relative à la procédure administrative qui a précédé l’adoption de la décision [attaquée] ».

125
Dans ses observations sur le rapport d’audience du 13 octobre 2003, la requérante a demandé que le Tribunal « accepte que les procès-verbaux établis dans le cadre de l’instruction pénale soient versés au dossier, [estimant] que leur contenu [pouvait] se révéler important pour la découverte de la vérité ».

126
Ensuite, dans le mémoire qu’elle a présenté le 4 novembre 2003, la requérante demande au Tribunal, d’une part, d’ordonner que la Commission révèle tous les éléments se rapportant à l’affaire Sumac, tant antérieurs que postérieurs à l’octroi de la subvention, qu’elle verse au dossier de la présente affaire tous les documents – confidentiels ou non – qu’elle a en sa possession à propos de cette affaire et, d’autre part, que le Tribunal entende comme témoins « les fonctionnaires de la Commission qui ont pu intervenir directement ou indirectement dans la procédure administrative antérieure et postérieure à l’octroi de la subvention au projet Sumac, ainsi que ceux qui ont mené l’enquête interne engagée par les services compétents de la Commission » et M. B.

127
La requérante indique qu’elle souhaite ainsi avoir la confirmation des faits évoqués dans le compte rendu de l’UCLAF sur les déclarations de M. B et, le cas échéant, des précisions concernant ces faits. Elle estime en outre que ces témoignages pourraient démontrer que la décision attaquée a été adoptée sur la base de faits manifestement erronés.

128
La Commission estime que la requérante a eu connaissance, au cours de la procédure administrative, de tous les faits et circonstances nécessaires à sa défense. Elle fait valoir qu’elle ne peut pas se prononcer sur la demande tendant à l’audition de fonctionnaires comme témoins parce qu’elle est trop imprécise et que les auditions de témoins demandées seraient sans pertinence dans le cadre de la présente affaire.

Appréciation du Tribunal

129
Selon l’article 64, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement de procédure du Tribunal, les mesures d’organisation de la procédure ont, en particulier, pour objet d’assurer le bon déroulement de la procédure écrite ou orale et de faciliter l’administration des preuves, ainsi que de déterminer les points sur lesquels les parties doivent compléter leur argumentation ou qui nécessitent une instruction. Aux termes de l’article 64, paragraphe 3, sous d), et de l’article 64, paragraphe 4, du même règlement, ces mesures peuvent être proposées par les parties à tout stade de la procédure et peuvent consister à demander la production de documents ou de toute pièce relative à l’affaire (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 92).

130
En revanche, les mesures d’instruction au titre des articles 65 à 67 du même règlement visent à permettre de prouver la véracité des allégations factuelles faites par une partie à l’appui de ses moyens (arrêt du Tribunal du 8 novembre 2000, Bareyt e.a./Commission, T‑175/97, RecFP p. I‑A‑229 et II‑1053, point 90). À cet égard, conformément à l’article 44, paragraphe 1, sous e), du même règlement, la requête contient les offres de preuve de la partie requérante. L’article 48, paragraphe 1, dudit règlement permet, en outre, aux parties de faire des offres de preuve dans la réplique et la duplique, mais exige que les parties motivent ce retard. Toutefois, aux termes de l’article 66 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal ordonne des mesures d’instruction, la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées.

131
C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner s’il y a lieu d’accueillir les demandes de mesures d’organisation de la procédure et d’instruction formulées par la requérante.

132
En ce qui concerne, en premier lieu, la demande tendant à ce que les procès-verbaux de l’instruction pénale soient versés au dossier, formulée dans les observations sur le rapport d’audience, il convient de relever que la requérante n’a pas produit devant le Tribunal les procès-verbaux dont il s’agit. Il y a donc lieu de comprendre cette demande de la requérante en ce sens qu’elle sollicite que le Tribunal demande aux autorités judiciaires espagnoles la production de ces documents. Si une telle demande de mesure d’organisation de la procédure peut être formulée par la requérante à tout stade de la procédure, il appartient néanmoins au Tribunal de déterminer si la mesure demandée est utile au bon déroulement de la procédure. Afin de permettre au Tribunal de porter cette appréciation, la partie qui en fait la demande doit identifier les documents sollicités et fournir au Tribunal au moins un minimum d’éléments accréditant l’utilité de ces documents pour les besoins de l’instance (arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité, point 93). À cet égard, si une demande de mesures d’organisation de la procédure vise, comme en l’espèce, à obtenir de nouveaux éléments factuels et intervient à un stade de la procédure auquel la production de nouvelles offres de preuve est, en principe, interdite, il est notamment nécessaire que la partie qui demande l’adoption de ces mesures expose les raisons pour lesquelles cette demande n’a pas pu être faite antérieurement.

133
En l’espèce, la requérante s’est déjà référée à la procédure pénale engagée en Espagne dans sa requête. La pertinence éventuelle des procès-verbaux établis dans ce cadre pouvait, en principe, être appréciée dès ce stade. De plus, deux procès‑verbaux contenant des déclarations faites par MM. A et C dans le cadre de l’instruction pénale ont été versés au dossier par la Commission en annexe au mémoire en défense. Or, la demande de la requérante ne contient aucune indication concrète permettant d’évaluer l’utilité de la production d’autres procès-verbaux établis dans le cadre de cette enquête pour les besoins du présent litige, à l’exception de l’affirmation générale selon laquelle elle estime que « leur contenu peut se révéler important pour la découverte de la vérité », ni d’explication des raisons pour lesquelles elle n’a pas demandé la production de ces documents auparavant. Dans ces conditions, le Tribunal estime que l’adoption de cette mesure ne serait pas de nature à assurer le bon déroulement de la procédure écrite ou orale ni à faciliter l’administration des preuves.

134
S’agissant, en deuxième lieu, de la demande faite dans le mémoire du 4 novembre 2003 et visant à ce que le Tribunal ordonne à la Commission de « révéler une fois pour toutes et sans réserve tous les éléments se rapportant à l’affaire Sumac qui sont antérieurs et postérieurs à l’octroi de la subvention, même s’ils peuvent entraîner l’implication de fonctionnaires de son institution dans un complot international destiné à frauder le budget de la Communauté et les ressources des citoyens européens » et de « verser au dossier de la présente affaire tous les documents – confidentiels ou non – qu’elle a en sa possession à ce propos », force est de constater, tout d’abord, qu’on ne saurait reprocher à la requérante de ne pas l’avoir présentée antérieurement. En effet, la requérante a demandé, dès la requête, la production de l’intégralité de la documentation relative à la procédure administrative qui avait précédé l’adoption de la décision attaquée, le Tribunal a ordonné la production du dossier administratif et la Commission a produit un dossier qui, selon elle, était le dossier administratif pertinent. Ce n’est que lorsque M. A lui a transmis le compte rendu des déclarations de M. B devant l’UCLAF que la requérante a pu se rendre compte que le dossier administratif produit par la Commission ne contenait pas tous les documents relatifs à l’enquête de l’UCLAF et qu’il pouvait exister d’autres documents concernant cette enquête.

135
Cependant, la requérante n’indique pas quelle serait l’utilité de ces documents pour les besoins de l’instance, sauf qu’elle est d’avis que ces documents pourraient faire apparaître la participation de certains fonctionnaires de la Commission aux manœuvres frauduleuses dans le cadre du projet Sumac. Or, ainsi qu’il a été constaté aux points 81 et 82 ci-dessus, à la supposer établie, une telle participation de fonctionnaires de la Commission, pour condamnable qu’elle serait, n’est pas susceptible, en tant que telle, d’affecter la légalité de la décision attaquée. À cet égard, la mesure demandée par la requérante n’est donc pas pertinente pour la solution du litige.

136
Pour ce qui est, en troisième lieu, de la demande visant à l’audition de témoins dont les noms figurent dans le mémoire du 4 novembre 2003, la requérante se borne à déclarer, à titre d’indication des faits sur lesquels elle souhaite que ces témoins soient entendus, que leur audition a pour but « que les témoins ratifient et, le cas échéant, précisent devant le Tribunal les faits et éléments évoqués dans [le compte rendu des déclarations de M. B devant les fonctionnaires de l’UCLAF] et qu’ils certifient que la [décision attaquée] est illégale dans la mesure où elle a été adoptée sur la base de faits manifestement erronés ».

137
En ce qui concerne les déclarations de M. B, force est de constater que leur contenu correspond, dans une très grande mesure, aux indications figurant déjà dans les mémoires des parties et leurs annexes. Si M. B a fourni certaines précisions par rapport aux faits résultant du dossier, notamment en reconnaissant certaines signatures qui n’avaient pas pu être identifiées auparavant, il ne les a pas contredits. Or, ainsi qu’il résulte des développements figurant aux points 66, 102 et 104 ci-dessus, le résultat du présent litige ne dépend pas de la véracité des éléments nouveaux que contiennent les déclarations de M. B et qui ne sont pas corroborés par d’autres pièces du dossier. S’agissant, en revanche, du souhait très général de la requérante de démontrer l’inexactitude des faits à l’origine de la décision attaquée, force est de constater que la requérante ne précise pas les faits dont il s’agit et qu’elle n’invoque aucune raison pour expliquer le fait qu’elle n’a pas fait une telle offre de preuve dans la requête.

138
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de faire droit aux demandes de mesures d’organisation de la procédure et d’instruction formulées par la requérante dans les observations sur le rapport d’audience et dans le mémoire du 4 novembre 2003.

139
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté.


Sur les dépens

140
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux exposés lors de la procédure de référé, conformément aux conclusions de la défenderesse.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)
Le recours est rejeté.

2)
La requérante supportera ses propres dépens et ceux exposés par la Commission, y compris ceux exposés lors de la procédure de référé.

Forwood

Pirrung

Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 janvier 2005.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Pirrung

Table des matières

Cadre réglementaire

Contexte factuel

    Société requérante

    Autres entités Entorn

    Demande et octroi du concours communautaire

    Déroulement du projet

    Procédure administrative et décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

    A –  Sur la prise en considération du compte rendu des déclarations de M. B et des annexes de ce document

        Arguments des parties

        Appréciation du Tribunal

    B –  Sur le fond

        Sur les premier et deuxième moyens, tirés de la violation de l’article 24 du règlement n° 4253/88 et d’une violation de l’obligation de motivation

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

                –  Sur la suppression du concours

                –  Sur le remboursement des sommes versées au titre des deux premières tranches du concours communautaire

        Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

    C –  Sur les demandes de mesures d’organisation de la procédure et d’instruction formulées par la requérante

        Arguments des parties

        Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



1
Langue de procédure : l'espagnol.