Language of document : ECLI:EU:T:2020:60

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

12 février 2020 (*) (1)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en République démocratique du Congo – Gel des fonds – Prorogation de l’inscription du nom du requérant sur la liste des personnes visées – Obligation de motivation – Droits de la défense – Obligation pour le Conseil de communiquer les éléments nouveaux justifiant le renouvellement des mesures restrictives – Erreur de droit – Erreur manifeste d’appréciation – Droit de propriété – Droit au respect de la vie privée et familiale – Proportionnalité – Présomption d’innocence – Exception d’illégalité – Adaptation des conclusions »

Dans l’affaire T‑170/18,

Alex Kande Mupompa, demeurant à Kinshasa (République démocratique du Congo), représenté par Mes T. Bontinck, P. De Wolf, M. Forgeois et A. Guillerme, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J.-P. Hix, Mmes S. Lejeune et H. Marcos Fraile, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2017/2282 du Conseil, du 11 décembre 2017, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2017, L 328, p. 19), de la décision d’exécution (PESC) 2018/569 du Conseil, du 12 avril 2018, mettant en œuvre la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2018, L 95, p. 21), et du règlement d’exécution (UE) 2018/566 du Conseil, du 12 avril 2018, mettant en œuvre l’article 9 du règlement (CE) no 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2018, L 95, p. 9), en ce que ces actes concernent le requérant,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise, R. da Silva Passos (rapporteur), Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. C. Mac Eochaidh, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 4 juillet 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Alex Kande Mupompa, est un ressortissant de la République démocratique du Congo.

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives imposées par le Conseil de l’Union européenne en vue de l’instauration d’une paix durable en République démocratique du Congo et de l’exercice de pressions sur les personnes et entités agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à cet État.

3        Le 18 juillet 2005, le Conseil a adopté, sur le fondement des articles 60, 301 et 308 CE, le règlement (CE) no 1183/2005, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2005, L 193, p. 1).

4        Le 20 décembre 2010, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2010/788/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo et abrogeant la position commune 2008/369/PESC (JO 2010, L 336, p. 30).

5        Le 12 décembre 2016, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2016/2230, modifiant le règlement no 1183/2005 (JO 2016, L 336 I, p. 1).

6        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2016/2231, modifiant la décision 2010/788 (JO 2016, L 336 I, p. 7).

7        Les considérants 2 à 4 de la décision 2016/2231 se lisent comme suit :

« (2)      Le 17 octobre 2016, le Conseil a adopté des conclusions faisant état d’une profonde préoccupation quant à la situation politique en République démocratique du Congo (RDC). En particulier, il y condamnait vivement les actes d’une extrême violence qui ont été commis les 19 et 20 septembre à Kinshasa, indiquant que ces actes ont encore aggravé la situation d’impasse dans laquelle se trouve le pays du fait de la non-convocation des électeurs à l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel fixé au 20 décembre 2016.

(3)      Le Conseil a souligné que, afin d’assurer un climat propice à la tenue d’un dialogue et des élections, le gouvernement de la RDC doit clairement s’engager à veiller au respect des droits de l’homme et de l’État de droit et cesser toute instrumentalisation de la justice. Il a également exhorté tous les acteurs à rejeter l’usage de la violence.

(4)      Le Conseil s’est également déclaré prêt à utiliser tous les moyens à sa disposition, y compris le recours à des mesures restrictives contre ceux qui sont responsables de graves violations des droits de l’homme, incitent à la violence ou qui font obstacle à une sortie de crise consensuelle, pacifique et respectueuse de l’aspiration du peuple de la RDC à élire ses représentants. »

8        L’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :

« Les mesures restrictives prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, sont instituées à l’encontre des personnes et entités :

a)      faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en [République démocratique du Congo], notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’État de droit ;

b)      contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ;

c)      associées à celles visées [sous] a) et b),

dont la liste figure à l’annexe II. »

9        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, « [l]es États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes visées à l’article 3 ». Son article 4, paragraphe 2, prévoit que « [l]e paragraphe 1 n’oblige pas un État membre à refuser à ses propres ressortissants l’entrée sur son territoire ».

10      L’article 5, paragraphes 1, 2 et 5, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques que les personnes ou entités visées à l’article 3 possèdent ou contrôlent directement ou indirectement, ou qui sont détenus par des entités que ces personnes ou entités ou toute personne ou entité agissant pour leur compte ou sur leurs instructions, qui sont visées aux annexes I et II, possèdent ou contrôlent directement ou indirectement.

2. Aucun fonds, autre avoir financier ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes ou entités visées au paragraphe 1 ou utilisé à leur profit.

[...]

5. En ce qui concerne les personnes et entités visées à l’article 3, paragraphe 2, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, ou la mise à disposition de certains fonds ou ressources économiques, dans les conditions qu’elle juge appropriées, après avoir établi que les fonds ou ressources économiques concernés sont :

a)      nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes et entités et des membres de la famille de ces personnes physiques qui sont à leur charge, notamment pour couvrir les dépenses consacrées à l’achat de vivres, au paiement de loyers ou au remboursement de prêts hypothécaires, à l’achat de médicaments et au paiement de frais médicaux, d’impôts, de primes d’assurance et de redevances de services publics ;

b)      exclusivement destinés au règlement d’honoraires d’un montant raisonnable et au remboursement de dépenses engagées dans le cadre de la fourniture de services juridiques ;

[...]

d)      nécessaires pour régler des dépenses extraordinaires, pour autant que l’autorité compétente ait notifié aux autorités compétentes des autres États membres et à la Commission, au moins deux semaines avant l’autorisation, les motifs pour lesquels elle estime qu’une autorisation spéciale devrait être accordée. »

11      L’article 6, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :

« 2. Le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit et modifie la liste qui figure à l’annexe II. »

12      L’article 7, paragraphes 2 et 3, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :

« 2. Le Conseil communique à la personne ou à l’entité concernée la décision visée à l’article 6, paragraphe 2, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en donnant à cette personne ou entité la possibilité de présenter des observations.

3. Si des observations sont formulées ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et informe la personne ou l’entité concernée en conséquence. »

13      Selon l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, « [l]es mesures visées à l’article 3, paragraphe 2, s’appliquent jusqu’au 12 décembre 2017 » et « [e]lles sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints ».

14      Quant au règlement no 1183/2005, l’article 2 ter, paragraphe 1, de ce dernier, tel que modifié par le règlement 2016/2230, prévoit ce qui suit :

« 1. L’annexe I bis comprend les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes désignés par le Conseil pour l’un des motifs suivants :

[...]

b)      préparant, dirigeant ou commettant des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo]. »

15      Le 29 mai 2017, le Conseil a adopté, sur le fondement notamment de l’article 31, paragraphe 2, TUE et de l’article 6, paragraphe 2, de la décision 2010/788, la décision d’exécution (PESC) 2017/905, mettant en œuvre la décision 2010/788  (JO 2017, L 138 I, p. 6). À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2017/904, mettant en œuvre l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1183/2005 (JO 2017, L 138 I, p. 1).

16      Le considérant 2 du règlement d’exécution 2017/904 et de la décision d’exécution 2017/905 se lit comme suit :

« Le 12 décembre 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/2231 en réponse aux entraves au processus électoral et aux violations des droits de l’homme qui y sont liées en République démocratique du Congo (RDC). Le 6 mars 2017, le Conseil a adopté des conclusions dans lesquelles il s’est déclaré gravement préoccupé par la situation politique en RDC provoquée par le blocage dans la mise en œuvre de l’accord politique inclusif du 31 décembre 2016, ainsi que par la situation sécuritaire dans plusieurs régions du pays, où un usage disproportionné de la force a été observé. »

17      Le nom du requérant a été ajouté par la décision d’exécution 2017/905 sur la liste des personnes et entités figurant à l’annexe II de la décision 2010/788 (ci-après la « liste litigieuse ») et par le règlement d’exécution 2017/904 sur la liste des personnes et entités figurant à l’annexe I bis du règlement no 1183/2005.

18      Dans l’annexe II de la décision 2010/788, telle que modifiée par la décision d’exécution 2017/905, et dans l’annexe I bis du règlement no 1183/2005, telle que modifiée par le règlement d’exécution 2017/904, le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant le requérant par les motifs suivants :

« En tant que gouverneur du Kasaï Central, Alex Kande Mupompa est responsable du recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires, qui sont le fait des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central depuis 2016, y compris les assassinats illégaux présumés de miliciens Kamuina Nsapu et de civils à Mwanza Lomba, Kasaï Central, en février 2017.

Alex Kande Mupompa a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC. »

19      Le 30 mai 2017, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2010/788, mise en œuvre par la décision d’exécution 2017/905, et par le règlement no 1183/2005, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2017/904, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2017, C 169, p. 4). Dans cet avis, il était notamment précisé que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil, avant le 1er octobre 2017, une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur la liste litigieuse et sur la liste des personnes et entités figurant à l’annexe I bis du règlement no 1183/2005, en y joignant des pièces justificatives. Ledit avis indiquait également que toute observation reçue serait prise en compte aux fins du réexamen ultérieur effectué par le Conseil, en application de l’article 9 de la décision 2010/788.

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 août 2017, le requérant ainsi que sept autres personnes ont introduit un recours visant, en substance, à l’annulation du règlement d’exécution 2017/904 et de la décision d’exécution 2017/905, pour autant que ces actes les concernaient. Ce recours a été enregistré sous le numéro d’affaire T‑582/17.

21      Le 11 décembre 2017, à l’issue du processus de réexamen des mesures litigieuses, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2017/2282, modifiant la décision 2010/788 (JO 2017, L 328, p. 19). L’article 1er de cette décision a ainsi remplacé le texte de l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788 par le texte suivant :

« Les mesures visées à l’article 3, paragraphe 2, s’appliquent jusqu’au 12 décembre 2018. Elles sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints. »

 Faits postérieurs à l’adoption de la décision 2017/2282

22      Par lettre du 18 décembre 2017, le Conseil a communiqué au requérant la décision 2017/2282. À cette occasion, le Conseil a informé les représentants du requérant de son intention de mettre à jour l’exposé des motifs en ce qui le concernait et lui a conféré la possibilité de présenter des observations à cet égard.

23      Le 12 avril 2018, le Conseil a adopté la décision d’exécution (PESC) 2018/569, mettant en œuvre la décision 2010/788 (JO 2018, L 95, p. 21), et le règlement d’exécution (UE) 2018/566, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2018, L 95, p. 9). Les motifs d’inscription du nom du requérant ont été modifiés de la manière suivante :

« En tant que gouverneur du Kasaï [C]entral jusqu’en octobre 2017, Alex Kande Mupompa a été responsable du recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires qui ont été le fait des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï [C]entral à partir d’août 2016, y compris les assassinats commis dans le territoire de Dibaya, en février 2017.

Alex Kande Mupompa a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en RDC. »

24      Par ailleurs, par arrêt du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil (T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193), le Tribunal a rejeté le recours mentionné au point 20 ci-dessus.

 Procédure et conclusions des parties

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mars 2018, le requérant a introduit le présent recours.

26      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 5 juin 2018, le requérant a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, présenté une demande d’adaptation de la requête tendant à étendre les conclusions de la requête à la décision d’exécution 2018/569 et au règlement d’exécution 2018/566, en tant que ces actes le concernaient. Le Conseil a présenté des observations sur le mémoire en adaptation le 6 juillet 2018.

27      Par décision du 12 octobre 2018, le président de la neuvième chambre du Tribunal a décidé de joindre la présente affaire aux affaires T‑171/18, Boshab/Conseil, T‑172/18, Akili Mundos/Conseil, T‑173/18, Ramazani Shadary/Conseil, T‑174/18, Mutondo/Conseil, T‑175/18, Ruhorimbere/Conseil, T‑176/18, Mende Omalanga/Conseil, et T‑177/18, Kazembe Musonda/Conseil, aux fins de la phase écrite et de l’éventuelle phase orale de la procédure.

28      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure. Le 15 mai 2019, le Tribunal a renvoyé l’affaire devant la neuvième chambre élargie.

29      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 4 juillet 2019.

30      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision 2017/2282, dans la mesure où elle maintient l’inscription de son nom dans l’annexe II de la décision 2010/788 et dans l’annexe I bis du règlement no 1183/2005, telles que modifiées, respectivement, par la décision d’exécution 2018/569 et par le règlement d’exécution 2018/566 ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

31      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, en cas d’annulation de la décision 2017/2282 ou de la décision d’exécution 2018/569, maintenir les effets de la décision annulée à l’égard du requérant jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi contre l’arrêt du Tribunal ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet de celui-ci ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité de l’adaptation des conclusions

32      Ainsi qu’il ressort du point 26 ci-dessus, le requérant a adapté les conclusions de son recours afin que celles-ci visent non seulement la décision 2017/2282, mais également la décision d’exécution 2018/569 et le règlement d’exécution 2018/566.

33      Dans ses observations sur le mémoire en adaptation, le Conseil soulève une fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande en adaptation en tant qu’elle vise à l’annulation du règlement d’exécution 2018/566. En ce sens, le Conseil fait valoir que le règlement d’exécution 2018/566 ne remplace ni ne modifie aucun acte dont le requérant a demandé l’annulation dans son recours initial, qui ne porte que sur la décision 2017/2282.

34      À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que, lorsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.

35      En l’espèce, dans la requête initiale, le requérant conclut à l’annulation de la décision 2017/2282 en ce que cette décision le concerne. À cet égard, il importe de noter que, par la décision 2017/2282, le Conseil a modifié la décision 2010/788 en prolongeant jusqu’au 12 décembre 2018 l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse.

36      Par la décision d’exécution 2018/569, le Conseil a de nouveau modifié la décision 2010/788, en mettant à jour les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse. Dans ces conditions, la décision d’exécution 2018/569, visée dans la demande en adaptation, doit être regardée comme un acte ayant le même objet que la décision 2017/2282, visée dans la requête.

37      En revanche, s’agissant du règlement d’exécution 2018/566, comme le fait valoir à juste titre le Conseil, cet acte n’a aucune incidence sur le seul acte visé par la requête initiale, à savoir la décision 2017/2282. En effet, le règlement d’exécution 2018/566 a pour objet de modifier la liste de l’annexe I bis du règlement no 1183/2005. Or, contrairement à ce qu’indique le requérant dans le premier chef de conclusions de la requête, la décision 2017/2282 n’a pas eu pour objet de modifier le règlement no 1183/2005 et de maintenir l’inscription de son nom sur la liste des personnes et entités figurant à l’annexe I bis de ce règlement. Comme l’a correctement relevé le Conseil lors de l’audience, rien n’empêchait le requérant, afin de contester la légalité du règlement d’exécution 2018/566, d’introduire un recours en annulation contre cet acte en tant qu’il le concernait.

38      Il résulte de ce qui précède que la demande en adaptation est recevable pour autant qu’elle concerne la décision d’exécution 2018/569 et qu’elle est irrecevable pour autant qu’elle concerne le règlement d’exécution 2018/566.

 Sur le fond

39      À l’appui de ses conclusions en annulation de la décision 2017/2282 et de la décision d’exécution 2018/569 (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »), le requérant soulève quatre moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu, le deuxième, d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, du droit de propriété et du principe de proportionnalité et, le quatrième, de l’illégalité de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu

40      Le premier moyen se décompose en deux branches, tirées, respectivement, la première, d’une violation de l’obligation de motivation et, la seconde, d’une violation du droit d’être entendu.

–       Sur la première branche du premier moyen

41      Dans la première branche du premier moyen, le requérant fait valoir que le Conseil a violé l’obligation de motivation d’un acte faisant grief prévue à l’article 296 TFUE. Le requérant soutient que la motivation des décisions attaquées est particulièrement succincte, le Conseil ne formulant aucune accusation précise, ni aucun fait particulier et identifiable qui permettraient sans doute sérieux de lui attribuer les reproches formulés à son égard dans ladite motivation. Selon le requérant, les décisions attaquées sont ainsi fondées sur de simples affirmations présomptives, impossibles à vérifier et qui le placent dans l’obligation d’apporter des preuves négatives de l’inexistence des faits généraux qui lui sont reprochés, entraînant un renversement de la charge de la preuve.

42      Le Conseil conteste ces arguments.

43      À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union européenne et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte. L’obligation de motivation ainsi édictée constitue un principe essentiel du droit de l’Union auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses. Partant, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief, son absence ne pouvant être régularisée par le fait que l’intéressé prend connaissance des motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union (arrêt du 7 décembre 2011, HTTS/Conseil, T‑562/10, EU:T:2011:716, point 32).

44      Ensuite, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 54, et du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 82).

45      L’obligation de motivation à laquelle le Conseil est tenu porte, d’une part, sur l’indication de la base juridique de la mesure adoptée et, d’autre part, sur les circonstances qui permettent de considérer que l’un ou l’autre des critères d’inscription est rempli dans le cas des intéressés (arrêt du 18 septembre 2014, Central Bank of Iran/Conseil, T‑262/12, non publié, EU:T:2014:777, point 86).

46      Par conséquent, il y a lieu d’examiner si la motivation de l’acte attaqué contient des références explicites au critère d’inscription litigieux et si, le cas échéant, cette motivation peut être regardée comme suffisante pour permettre à la partie requérante de vérifier le bien-fondé de l’acte attaqué, de se défendre devant le Tribunal et à ce dernier d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2014, Central Bank of Iran/Conseil, T‑262/12, non publié, EU:T:2014:777, point 88).

47      Enfin, la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne doit pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 52, et du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, point 55).

48      En l’espèce, il convient de souligner que la décision 2017/2282 a pour objet de proroger l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse en maintenant les motifs retenus par le Conseil, lors de l’inscription initiale de son nom, dans la décision d’exécution 2017/905, qui a modifié la décision 2010/788. Par la décision d’exécution 2018/569, le Conseil a procédé à une mise à jour des motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse.

49      Selon le requérant, de tels motifs sont particulièrement succincts, le Conseil ne formulant aucun reproche précis qui permettrait de lui attribuer les accusations formulées à son égard dans lesdits motifs.

50      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788, inséré dans cette dernière par la décision 2016/2231, établit que l’annexe II comprend les personnes et entités qui ont été regardées par le Conseil comme « contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ».

51      Il convient également de rappeler que, d’une part, la motivation retenue par le Conseil dans la décision 2010/788, telle que modifiée par la décision 2017/2282, pour l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse vise sa qualité de gouverneur du Kasaï Central (République démocratique du Congo) et la participation des forces de l’ordre, dans cette province, à un recours disproportionné à la force, à la répression violente et à des exécutions extrajudiciaires depuis 2016. À cet égard, le Conseil fait référence à des assassinats de miliciens et de civils à Mwanza Lomba, en février 2017 (voir point 18 ci-dessus). D’autre part, par la décision d’exécution 2018/569, le Conseil a modifié le motif d’inscription susmentionné, en précisant que le requérant avait été gouverneur du Kasaï Central jusqu’en octobre 2017 et en faisant référence à des assassinats survenus en février 2017, non plus à Mwanza Lomba, mais sur le territoire de Dibaya (voir point 23 ci-dessus).

52      Ainsi, la motivation de l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse identifie les éléments spécifiques et concrets, portant aussi bien sur les fonctions professionnelles exercées par le requérant que sur le type d’acte visé, et fait état de ce que le requérant aurait été impliqué dans de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo. Elle permet, en effet, de comprendre les raisons ayant conduit le Conseil à adopter des mesures restrictives à l’encontre du requérant portant sur sa prétendue responsabilité, au titre de ses fonctions de gouverneur du Kasaï Central jusqu’en octobre 2017, dans le recours disproportionné à la force, dans la répression violente ainsi que dans des exécutions extrajudiciaires impliquant les forces de sécurité et la police nationale congolaise (PNC) au Kasaï Central à partir d’août 2016, y compris des assassinats commis dans cette province en février 2017.

53      Ainsi que le Conseil le fait valoir à juste titre, une telle motivation expose les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles les critères d’inscription étaient applicables au requérant et, notamment, d’une part, mentionne une base juridique clairement identifiée et qui renvoie aux critères d’inscription et, d’autre part, repose sur des motifs se rapportant aux activités du requérant lui permettant de comprendre les raisons ayant justifié l’inscription de son nom sur la liste litigieuse. Par ailleurs, le contexte de l’adoption des décisions attaquées était connu du requérant, étant donné qu’il a contesté, en substance, devant le Tribunal, la légalité de la première inscription de son nom, ainsi que cela a été mentionné aux points 20 et 24 ci-dessus, et que les motifs de cette inscription sont largement similaires dans les décisions attaquées. En outre, sa connaissance de ce contexte est corroborée par la lettre qu’il a envoyée au Conseil le 31 octobre 2017, jointe à la requête en tant qu’annexe A.3.

54      Par conséquent, le requérant ne pouvait raisonnablement ignorer que, lorsque, par les décisions attaquées, le Conseil a, en substance, confirmé les motifs de l’inscription initiale de son nom sur la liste litigieuse, décidée dans la décision d’exécution 2017/905, il s’est référé au fait que, au vu de ses fonctions de gouverneur du Kasaï Central jusqu’en octobre 2017, il disposait du pouvoir de fait d’influencer de façon directe les forces de sécurité et de la PNC dans cette province, lesquelles auraient été impliquées dans les actes de violence susmentionnés.

55      À la lumière des motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse, le requérant était en mesure de contester utilement le bien-fondé des mesures restrictives adoptées à son égard. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait dans le cadre de la seconde branche du deuxième moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation.

56      Il s’ensuit que la motivation des décisions attaquées était suffisante pour permettre au requérant d’en contester la validité et au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité. La première branche du premier moyen doit dès lors être rejetée.

–       Sur la seconde branche du premier moyen

57      Par la seconde branche du premier moyen, le requérant soutient que le Conseil a violé son droit d’être entendu. Il considère que, s’il est vrai que l’effet de surprise nécessaire à une mesure de gel de fonds implique que le Conseil n’est pas tenu de procéder à une audition préalablement à l’inscription initiale du nom d’une personne ou d’une entité sur une liste imposant des mesures restrictives, il n’en demeure pas moins que, dans le cadre, comme en l’espèce, d’un réexamen d’une telle décision d’inscription initiale, ledit effet n’a plus lieu d’être et le principe du contradictoire doit être respecté en ce qui concerne tant la communication des motifs préalablement à la décision de maintien sur la liste litigieuse que le droit à être auditionné. Il ajoute qu’il a sollicité une audition auprès du Conseil, mais que, à la date de dépôt du présent recours, celui-ci ne s’était pas prononcé sur une telle demande.

58      Dans la réplique, d’une part, le requérant fait valoir qu’il n’a jamais été entendu par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH) lors de l’élaboration des différents rapports utilisés par le Conseil pour soutenir les décisions attaquées, ce qui ne respecterait pas les critères établis dans la jurisprudence et démontrerait qu’il aurait dû être entendu préalablement à l’adoption des décisions attaquées, d’autant plus qu’il a fourni au Conseil, le 31 octobre 2017 et le 15 février 2018, des éléments susceptibles de mettre en question le bien-fondé des motifs retenus. D’autre part, le requérant soutient que, par rapport à la décision initiale d’inscription de son nom sur la liste litigieuse, le Conseil a retenu de nouveaux éléments de preuve à son égard en vue de l’adoption des décisions attaquées.

59      Le Conseil conteste ces arguments en soulignant que la décision 2017/2282 repose sur les mêmes motifs que ceux ayant fondé l’inscription initiale du nom du requérant sur la liste litigieuse, en vertu de la décision d’exécution 2017/905. Il s’ensuivrait que le Conseil n’était pas tenu d’entendre le requérant avant d’adopter la décision 2017/2282. En outre, dans ses observations sur le mémoire en adaptation, le Conseil fait valoir que les arguments qui ont été invoqués par le requérant dans la requête ne sont pas transposables à la demande en adaptation, dans la mesure où, au cours de la procédure qui a conduit à l’adoption de la décision d’exécution 2018/569, une correspondance a été échangée entre le Conseil et le représentant du requérant, lui conférant la possibilité d’émettre des observations sur le nouvel exposé des motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse tel que proposé par le Conseil.

60      À titre liminaire, il importe de rappeler que l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») prévoit que toute personne a le droit d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.

61      Selon la jurisprudence, dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste figurant à l’annexe d’un acte portant mesures restrictives, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont elle dispose à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union. En outre, lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue en ce qui concerne les motifs retenus contre elle (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 et 112, et du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, EU:T:2006:384, point 93).

62      S’agissant d’un premier acte par lequel les fonds d’une personne ou d’une entité sont gelés, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels il entend fonder l’inscription initiale de son nom sur la liste des personnes et entités dont les fonds sont gelés. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec l’adoption de la décision de gel des fonds ou immédiatement après celle-ci (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61).

63      En revanche, dans le cas d’une décision subséquente de gel de fonds par laquelle le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà sur la liste des personnes et entités dont les fonds sont gelés est maintenu sur cette liste, cet effet de surprise n’est plus nécessaire afin d’assurer l’efficacité de la mesure, de sorte que l’adoption d’une telle décision doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62).

64      À cet égard, la Cour a souligné que l’élément de protection qu’offraient l’exigence de communication des éléments à charge et le droit de présenter des observations avant l’adoption d’actes qui maintiennent le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives était fondamental et essentiel aux droits de la défense. Cela est d’autant plus vrai que les mesures restrictives en question ont une incidence importante sur les droits et les libertés des personnes et des groupes visés (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 64).

65      Ce droit d’être entendu préalablement à l’adoption de tels actes s’impose lorsque le Conseil a retenu, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur cette liste, de nouveaux éléments contre cette personne, à savoir des éléments qui n’étaient pas pris en compte dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette même liste (voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 26 et jurisprudence citée, et du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 33).

66      En l’espèce, certes, comme le souligne le Conseil, le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse, décidé dans la décision 2017/2282, est fondé, en substance, sur les mêmes motifs que ceux qui ont justifié l’adoption de l’acte initial imposant les mesures restrictives en question.

67      Toutefois, cette circonstance ne saurait à elle seule impliquer que le Conseil n’était pas tenu de respecter les droits de la défense du requérant et, en particulier, de lui donner la possibilité de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments de fait sur la base desquels il a adopté la décision 2017/2282, portant maintien de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse.

68      En effet, l’existence d’une violation des droits de la défense doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102 et jurisprudence citée).

69      À cet égard, il convient de souligner que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption, ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2014, Yusef/Commission, T‑306/10, EU:T:2014:141, points 62 et 63). C’est en ce sens que l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit que les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo s’appliquent jusqu’au 12 décembre 2017 et sont « prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints ».

70      Il s’ensuit que, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, il appartient au Conseil de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités.

71      À cet égard, dans l’arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil (T‑288/15, EU:T:2018:619, point 316 et jurisprudence citée), le Tribunal a jugé que le respect des droits de la défense impliquait que le Conseil communique aux parties requérantes, avant d’adopter une décision portant renouvellement des mesures restrictives à leur égard, les éléments par lesquels il avait procédé, lors du réexamen périodique des mesures en cause, à une réactualisation des informations qui avaient justifié l’inscription initiale de leur nom sur la liste des personnes faisant l’objet de telles mesures restrictives.

72      Ainsi, en l’espèce, au regard de l’objectif initial visé par les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo, à savoir, en substance, assurer un climat propice à la tenue d’élections et faire cesser toute violation des droits de l’homme (voir point 7 ci-dessus), il convient de considérer que le Conseil était tenu, lors du réexamen périodique des mesures restrictives imposées au requérant, de lui communiquer, le cas échéant, les éléments nouveaux par lesquels il avait réactualisé les informations concernant non seulement sa situation personnelle, mais également la situation politique et sécuritaire en République démocratique du Congo.

73      Or, il ressort des pièces du dossier que le Conseil, ainsi que ce dernier l’a confirmé lors de l’audience en réponse à une question posée par le Tribunal, a adopté la décision 2017/2282 en tenant compte, en plus des informations dont il disposait déjà lors de l’inscription initiale du nom du requérant sur la liste litigieuse, de celles contenues dans le document interne du 23 octobre 2017, portant la référence COREU CFSP/1492/17. Premièrement, ce document du 23 octobre 2017 mentionnait l’absence, à cette date, de publication d’un calendrier électoral et l’annonce par la Commission électorale nationale indépendante, le 11 octobre 2017, de la nécessité d’au moins 504 jours pour organiser des élections. Deuxièmement, dans le même document, il était indiqué que la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monusco) avait rapporté, d’une part, une dégradation de la situation sécuritaire dans de nombreuses parties de la République démocratique du Congo et, d’autre part, un accroissement de l’instabilité régionale après le départ de civils fuyant les zones de conflit. Troisièmement, ledit document faisait état de ce que les libertés de réunion, d’opinion et d’expression étaient toujours réprimées, ainsi qu’en témoignaient l’interdiction de manifestations contre l’absence de publication d’un calendrier électoral et, en août 2017, le blocage des médias sociaux après l’annonce d’une grève générale.

74      De même, il ressort des conclusions du Conseil du 11 décembre 2017 que ce dernier avait connaissance, au moment de l’adoption de la décision 2017/2282, d’un autre élément d’actualisation, à savoir l’annonce d’un calendrier électoral ayant fixé, le 5 novembre 2017, les élections présidentielles au 23 décembre 2018. Toutefois, une telle annonce n’a pas empêché le Conseil de considérer que le statu quo persistait en République démocratique du Congo.

75      Partant, bien que, par la décision 2017/2282, le Conseil ait reconduit les mesures restrictives à l’encontre du requérant pour des motifs identiques à ceux retenus, pour l’inscription initiale de son nom sur la liste litigieuse, dans la décision d’exécution 2017/905, les éléments d’actualisation visés aux points 73 et 74 ci-dessus constituent des éléments nouveaux qui ont été pris en compte par le Conseil lors de l’adoption de la décision 2017/2282. En conséquence, le Conseil aurait dû recueillir les observations du requérant sur ces éléments préalablement à l’adoption d’une telle décision, conformément à ce qui a été énoncé au point 72 ci-dessus. Or, il est constant que tel n’a pas été le cas.

76      Est sans incidence à cet égard le fait que, d’une part, l’inscription initiale du nom du requérant sur la liste litigieuse a été suivie de la publication au Journal officiel d’un avis aux personnes concernées par lesdites mesures, aux termes duquel ces personnes étaient invitées à présenter au Conseil, avant le 1er octobre 2017, une demande de réexamen et que, d’autre part, le requérant n’a fait qu’un usage tardif de cette possibilité. En effet, le Conseil ne saurait être déchargé de l’obligation qui pèse sur lui de respecter les droits de la défense au motif qu’une personne faisant l’objet de mesures restrictives a la possibilité de demander que de telles mesures cessent de lui être appliquées.

77      Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant pouvait prévoir que le Conseil conclurait au statu quo concernant la situation en République démocratique du Congo en prenant en compte les éléments décrits aux points 73 et 74 ci-dessus, relatifs à l’absence de publication d’un calendrier électoral, à l’aggravation de la situation sécuritaire et à la perpétuation de la répression de libertés publiques dans de nombreuses régions du pays, éléments sur lesquels le requérant n’a pas été mis en mesure de transmettre ses observations avant l’adoption de la décision 2017/2282. Il convient à cet égard de rappeler que les mesures restrictives ont un caractère provisoire (voir point 69 ci-dessus), lequel est garanti par les dispositions mêmes de la décision 2017/2282 (voir point 21 ci-dessus).

78      Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la décision 2017/2282 est intervenue à l’issue d’une procédure au cours de laquelle les droits de la défense du requérant n’ont pas été respectés.

79      Une telle conclusion vaut également s’agissant de la décision d’exécution 2018/569. S’il est vrai que, préalablement à l’adoption de cette décision, le Conseil a informé le requérant de son intention de mettre à jour les motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse, il ne ressort pas du dossier que, à la date d’adoption de ladite décision, le requérant s’était vu communiquer les éléments nouveaux mentionnés dans le document interne du 23 octobre 2017, portant la référence COREU CFSP/1492/17, et dans les conclusions du Conseil du 11 décembre 2017.

80      Cela étant, il ne saurait être déduit de tout ce qui précède que l’absence de communication par le Conseil au requérant des éléments nouveaux rappelés au point 79 ci-dessus, ainsi que la circonstance que le requérant n’a pas été mis en mesure de transmettre ses observations sur ces éléments avant que le Conseil n’adopte les décisions attaquées emportent l’annulation de ces dernières.

81      En effet, il incombe au juge de l’Union de vérifier, lorsqu’il est en présence d’une irrégularité affectant les droits de la défense, si, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent dans la mesure où le requérant aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de cette irrégularité (voir, en ce sens, arrêts du 1er octobre 2009, Foshan Shunde Yongjian Housewares & Hardware/Conseil, C‑141/08 P, EU:C:2009:598, points 81, 88, 92, 94 et 107, et du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 325 et jurisprudence citée).

82      Or, en l’espèce, aucun élément du dossier ne laisse supposer que, si le requérant s’était vu communiquer les éléments nouveaux par lesquels le Conseil a actualisé son appréciation de la situation politique et sécuritaire en République démocratique du Congo, les mesures restrictives concernées auraient pu ne pas être maintenues à son égard.

83      À cet égard, il convient de relever que le requérant n’a pas fourni d’indice précis indiquant que, s’il avait été mis en mesure, antérieurement à l’adoption des décisions attaquées, de présenter ses observations sur les éléments nouveaux décrits aux points 73 et 74 ci-dessus, il aurait été en mesure de remettre en cause leur contenu ou leur pertinence en vue de la prorogation de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse.

84      D’ailleurs, en réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, le requérant n’a pas contesté, en tant que telle, l’existence d’un statu quo en République démocratique du Congo entre le moment de l’inscription initiale de son nom sur la liste litigieuse, décidée le 29 mai 2017, et l’adoption des décisions attaquées, portant maintien des mesures restrictives en cause.

85      Dans ces conditions, il n’est pas possible de considérer que, même si le requérant s’était vu communiquer les éléments mentionnés aux points 73 et 74 ci-dessus préalablement à l’adoption des décisions attaquées, l’issue de la procédure eût pu être différente. Aussi le fait que le Conseil a retenu certains éléments nouveaux lorsqu’il a renouvelé les mesures restrictives à l’égard du requérant n’est-il pas de nature à entacher d’illégalité ces décisions.

86      Par ailleurs, pour autant que le requérant tire argument, au soutien de la seconde branche du premier moyen, de la circonstance qu’il n’aurait pas été entendu par le BCNUDH dans le cadre de l’élaboration, par ce dernier, de rapports invoqués par le Conseil au soutien des décisions attaquées, il suffit de relever que les juridictions de l’Union sont incompétentes pour contrôler la conformité avec les droits fondamentaux des enquêtes conduites par les organes de l’Organisation des Nations unies (ONU) (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 65).

87      Enfin, l’argument du requérant selon lequel le Conseil aurait dû procéder à son audition doit être écarté, étant donné que ni la réglementation en cause ni le principe général du respect des droits de la défense ne lui confèrent le droit à une audition formelle (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 105 et jurisprudence citée).

88      Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la seconde branche du premier moyen comme non fondée et, dès lors, ce moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation

89      Par le deuxième moyen, le requérant soutient que le Conseil a commis des erreurs lorsqu’il a conclu que celui-ci avait « contribu[é], en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo ».

90      Le présent moyen se décompose en deux branches. Par la première branche, le requérant soutient, en substance, que le Conseil a commis une erreur de droit lorsqu’il a maintenu l’inscription de son nom sur la liste litigieuse en raison de faits qui, au moment de l’adoption des décisions attaquées, avaient cessé. Par la seconde branche, le requérant conteste l’appréciation portée par le Conseil sur ses fonctions et ses missions ainsi que la présence d’éléments factuels suffisamment précis et concrets au soutien du maintien de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse.

–       Sur la première branche du deuxième moyen

91      Par la première branche du deuxième moyen, le requérant soutient que les faits retenus par le Conseil, dans les motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse, relèveraient d’une période temporelle dépassée. En effet, il ressortirait de l’emploi du participe présent à l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, que les faits reprochés aux personnes ou entités qui font l’objet de mesures restrictives devraient perdurer au moment de leur renouvellement. Or, l’absence d’implication actuelle du requérant dans les faits qui lui étaient reprochés, au jour de l’adoption des décisions attaquées, entraînerait l’obsolescence des mesures restrictives en question.

92      Le requérant ajoute que, en maintenant ces mesures pour des faits qui n’étaient plus actuels, le Conseil aurait adopté, en réalité, une sanction pénale déguisée, alors que les mesures restrictives ont uniquement une portée conservatoire, dont l’objectif est d’amener les destinataires de celles-ci à modifier leur comportement.

93      À cet égard, il importe de souligner que, ainsi que cela a été rappelé au point 8 ci-dessus, l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, dispose que les mesures restrictives sont instituées à l’encontre des personnes et des entités « contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ». C’est sur ce fondement que le nom du requérant a été initialement inscrit sur la liste litigieuse, par la décision d’exécution 2017/905, au motif que, en tant que gouverneur du Kasaï Central, il était responsable du recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires, qui ont été le fait des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central en 2016, y compris les assassinats commis dans cette province en février 2017 (voir point 18 ci-dessus). Par la décision 2017/2282, le Conseil a prorogé les mesures restrictives à l’encontre du requérant jusqu’au 12 décembre 2018, en conservant à l’identique les motifs de l’inscription initiale de son nom sur la liste litigieuse (voir point 21 ci-dessus), ces derniers étant largement similaires après l’adoption de la décision d’exécution 2018/569 (voir point 23 ci-dessus).

94      Or, premièrement, il ne saurait être considéré que l’emploi, à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, du participe présent dans la définition des critères d’inscription sur la liste litigieuse implique que les faits à l’origine de l’inscription du nom d’une personne ou d’une entité sur cette liste doivent perdurer au moment où l’inscription ou le maintien de cette inscription sont décidés. En effet, il a déjà été jugé que, en matière d’inscription sur une liste des noms de personnes et entités visées par des mesures restrictives, le participe présent renvoie au sens général propre aux définitions légales, et non à une période temporelle donnée (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 108).

95      Deuxièmement, le fait que les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse font référence à des faits qui se sont produits avant l’adoption des décisions attaquées, et qui étaient terminés à ces dates, n’implique pas nécessairement l’obsolescence des mesures restrictives maintenues à son égard par ces décisions. À l’évidence, dans la mesure où le Conseil a décidé de se référer, dans les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse, à des situations concrètes impliquant les forces de police opérant sur le territoire du Kasaï Central, dont le requérant était le gouverneur, il ne pouvait être question que d’agissements dans le passé. Une telle référence ne saurait donc être considérée comme dépourvue de pertinence au seul motif que les agissements en cause relèvent d’un passé plus ou moins éloigné (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 236).

96      Cette interprétation est corroborée par l’article 9, paragraphe 2, seconde phrase, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2017/2282, aux termes duquel les mesures restrictives en cause sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints. Sous peine de priver cette disposition de son effet utile, il y a lieu de considérer qu’elle permet le maintien sur la liste litigieuse des noms de personnes et d’entités n’ayant commis aucune nouvelle violation des droits de l’homme au cours de la période précédant le réexamen, si ce maintien reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’ont pas été atteints (voir, par analogie, arrêt du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 108).

97      En conséquence, contrairement à ce que fait valoir le requérant, les motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse ne confèrent pas aux mesures restrictives dont il a fait l’objet, et qui ont été prolongées par les décisions attaquées, un caractère pénal.

98      Partant, la première branche du deuxième moyen doit être rejetée.

–       Sur la seconde branche du deuxième moyen

99      Par la seconde branche du deuxième moyen, le requérant soutient que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant sa responsabilité dans le recours disproportionné à la force, la répression violente et les exécutions extrajudiciaires ayant eu lieu au Kasaï Central depuis 2016.

100    Tout d’abord, le requérant soutient que le Conseil s’est, à tort, fondé uniquement sur ses fonctions de gouverneur du Kasaï Central, sans retenir d’éléments factuels suffisamment précis et concrets pour permettre de lui imputer les agissements des forces de sécurité et de la PNC, prétendument responsables d’un recours disproportionné à la force, d’une répression violente et d’exécutions extrajudiciaires.

101    Ensuite, le requérant conteste la valeur probante des différents documents sur lesquels le Conseil se fonde dans le mémoire en défense. En ce sens, le requérant souligne que, d’une part, ces documents relatent des faits qui ne relèvent pas des motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse et qui, dès lors, ne sont pas pertinents. D’autre part, le Conseil ne pourrait valablement prendre appui sur des rapports des Nations unies que pour autant que, dans le cadre de l’élaboration de ces rapports, la personne concernée ait été entendue, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

102    Par ailleurs, premièrement, le requérant soutient que des mesures restrictives ne peuvent lui être appliquées en raison du recours à la force opéré par les forces de sécurité et la PNC, étant donné que la défense nationale et la PNC relèvent de la compétence exclusive du pouvoir central, la responsabilité des services de police et de sécurité se trouvant sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, et le commandement de la PNC étant assuré par le commissariat général. Deuxièmement, le requérant fait valoir qu’il était rappelé à Kinshasa (République démocratique du Congo) depuis le mois de février 2017 et que, pendant son absence, c’est le gouverneur adjoint qui a exercé ses fonctions jusqu’en octobre 2017. Troisièmement, le requérant souligne que le Conseil a commis une erreur géographique et factuelle en mentionnant, dans la décision 2017/2282, des assassinats commis à Mwanza Lomba et en indiquant que cette localité faisait partie du Kasaï Central, alors qu’elle se situe dans la province du Kasaï Oriental et, partant, en dehors des attributions du gouverneur du Kasaï Central, fonction exercée par le requérant. Quatrièmement, le requérant ajoute qu’il n’est plus gouverneur depuis le 4 octobre 2017 et n’exerce dans la pratique plus ces fonctions depuis le mois de janvier 2017. Ainsi, le renouvellement de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse serait fondé sur les liens qu’il aurait conservés avec le gouvernement actuel, ce qui, en substance, démontrerait que le Conseil s’est, en réalité, fondé sur le critère d’inscription prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231.

103    Enfin, en tout état de cause, le requérant fait grief au Conseil de ne pas avoir établi en quoi un quelconque recours à la force n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard du contexte interne et des impératifs de sécurité publique en République démocratique du Congo au moment des faits incriminés. À cet égard, le requérant produit la copie d’un document du 12 juin 2017, intitulé « Livre Blanc Tome I – Éléments d’information liés au phénomène “Kamuina Nsapu” » (ci-après le « livre blanc du 12 juin 2017 ») et qui ferait état, d’une part, de la nécessité de mettre en place des actions militaires en mars 2017 afin de neutraliser le groupe Kamuina Nsapu et, d’autre part, de l’ouverture d’enquêtes judiciaires afin de déterminer les responsabilités dans les événements qui ont eu lieu dans la province.

104    Le Conseil conteste ces arguments.

105    Selon la jurisprudence, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

106    Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

107    Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 224 et jurisprudence citée).

108    En l’espèce, premièrement, le Conseil fait valoir que, le 31 mars 2017, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2348, dans laquelle il s’est déclaré « vivement préoccupé de la recrudescence des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par des membres des [FARDC], de l’Agence nationale de renseignements, de la Garde républicaine et de la [PNC], y compris contre des membres de l’opposition et des représentants de la société civile dans le cadre du processus électoral ». Dans cette résolution, le Conseil de sécurité des Nations unies a notamment souligné « les actes de violence observés dans la région du Kasaï au cours des derniers mois ».

109    Deuxièmement, le Conseil souligne l’existence d’un rapport du BCNUDH contenant une analyse de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo en 2016, dans lequel il est fait mention d’une augmentation de 91 % des cas de violations des droits de l’homme dans tout le pays cette année-là, en partie dans le contexte de la lutte contre la milice Kamuina Nsapu dans différentes provinces du Kasaï. Ce même rapport indique également que des agents de l’État ont été tenus pour responsables d’environ 45 % des violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo en 2016, notamment de la mort d’au moins 291 personnes, y compris 117 dans le Kasaï Central, tuées par des soldats des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) lors d’une opération militaire contre la milice Kamuina Nsapu.

110    Troisièmement, le Conseil prend appui sur un rapport du BCNUDH, datant de février 2017, relatif à des violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo dans le contexte d’événements survenus le 19 décembre 2016. Au paragraphe 31 de ce rapport, il est fait état d’une personne blessée par des agents de l’État à Kananga, dans le Kasaï Central.

111    Quatrièmement, le Conseil se réfère à un article intitulé « La RD Congo enquête sur l’assassinat de deux experts de l’ONU », publié sur le site Internet « la-croix.com » le 29 mars 2017. Cet article mentionne notamment que la MONUSCO a recensé dix fosses communes au Kasaï et que « [l]a rébellion Kam[u]ina Nsapu a été accusée par l’ONU de recruter des enfants et d’avoir commis de nombreuses atrocités », tandis que, « [e]n face, les forces de l’ordre se voient reprocher par l’ONU de faire un usage disproportionné de la force contre des miliciens armés essentiellement de bâtons et de lance-pierres ». Le Conseil produit également un article intitulé « Fosses communes au Kasaï, bastion de l’opposition en République démocratique du Congo » (Mass graves in DR Congo opposition stronghold Kasai) et publié le 21 avril 2017 sur le site Internet « dw.com ». Cet article fait notamment état de 400 personnes tuées au Kasaï depuis août 2016, dont plusieurs centaines parmi la population et dans les rangs de milices, ainsi que de la découverte, par des enquêteurs des Nations unies, de plus de 40 fosses communes dans cette province.

112    En premier lieu, s’agissant de la valeur probante de ces documents, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107).

113    En outre, contrairement à ce que soutient le requérant, l’attribution d’une valeur probante à un document présenté par le Conseil, parmi une pluralité de sources, en tant qu’élément de preuve au soutien de l’imposition de mesures restrictives, tel que les rapports du BCNUDH en l’espèce, n’est nullement conditionnée au fait que la personne visée par ces mesures ait été entendue par l’auteur du document en cause. En effet, ainsi que cela ressort de la jurisprudence citée au point 107 ci-dessus, la valeur probante d’un tel document dépend uniquement d’une appréciation de sa crédibilité. Aussi convient-il, conformément à cette jurisprudence, d’apprécier la valeur probante des documents produits par le Conseil en examinant les circonstances de leur élaboration ainsi que leur destinataire et en se demandant si, d’après leur contenu, ils semblent sensés et fiables.

114    En l’occurrence, s’agissant du rapport du BCNUDH de février 2017, il convient de souligner que, selon ses paragraphes 4 et 5, les informations contenues dans ce rapport ont été recueillies par le BCNUDH par le biais de ses six antennes à l’ouest de la République démocratique du Congo, de ses dix bureaux de terrain à l’est et de son quartier général à Kinshasa. Il y est mentionné que « [l]e BCNUDH a effectué plusieurs visites des lieux où des incidents se sont passés ainsi que de ceux où les victimes ont été transférées, notamment les hôpitaux, les centres de santé et les morgues, ainsi que des centres de détention », et qu’il « a pu recueillir les informations auprès de différentes sources, telles que des victimes et des témoins des violations rapportées, des membres de la société civile, des professionnels de la santé, des autorités congolaises, y compris des représentants des forces de défense et de sécurité et des autorités judiciaires et pénitentiaires ». Selon ce rapport, « [l]es allégations reçues ont été vérifiées et corroborées à travers une méthodologie spécifique et une corroboration stricte des différents témoignages issus de sources indépendantes ». En outre, au paragraphe 8 dudit rapport, il est mentionné que « le BCNUDH a partagé [le] rapport avec le [g]ouvernement avant sa publication » et que « [l]es commentaires reçus par les autorités congolaises sont en annexe [du] rapport ».

115    Le rapport du BCNUDH sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo en 2016, quant à lui, fait mention de ce qu’il « se fonde sur les informations recueillies par le BCNUDH et ne comprend que les violations des droits de l’homme documentées par le BCNUDH au cours de l’année écoulée. » Il est également précisé, dans ce même rapport, que « les informations [qui y sont] contenues […] sont partagées avec les autorités locales, provinciales et nationales [de la République démocratique du Congo] en vue de leur action ».

116    Il s’ensuit que la méthode d’élaboration des rapports du BCNUDH, en particulier le fait que les autorités publiques concernées de la République démocratique du Congo ont été entendues lors de la collecte et de la confirmation de l’information contenue dans ces rapports, qui sont, au demeurant, publics, ainsi que le fait qu’ils proviennent d’une organisation internationale telle que l’ONU, permet au Tribunal de les prendre en compte et de considérer leur valeur probante comme étant suffisante, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 107 ci-dessus, pour venir au soutien des motifs retenus par le Conseil pour maintenir l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse, relatifs à l’existence, au Kasaï Central, depuis 2016, d’un recours disproportionné à la force, d’une répression violente et d’exécutions extrajudiciaires par des forces de sécurité et de la PNC.

117    S’agissant par ailleurs des articles de presse produits par le Conseil, il convient de relever qu’ils proviennent de deux sources différentes, à savoir les sites Internet « dw.com » et « la-croix.com ». En outre, les informations contenues dans ces articles se recoupent, en ce qu’ils relatent tous deux le reproche fait aux forces de l’ordre d’avoir, dans le Kasaï, procédé à un recours disproportionné à la force. De même, chacun de ces deux articles cite les travaux de la Monusco et fait mention de la découverte, par les enquêteurs des Nations unies, de fosses communes au Kasaï. Partant, il y a lieu de considérer que les informations contenues dans ces deux articles sont crédibles.

118    Ainsi, le requérant n’a pas sérieusement mis en cause la force probante des rapports du BCNUDH et des articles de presse utilisés par le Conseil au soutien du bien-fondé des décisions attaquées.

119    En deuxième lieu, s’agissant du caractère légal, nécessaire et proportionné des violences relatées dans les rapports du BCNUDH, le requérant souligne, d’une part, le comportement extrêmement violent des membres de la milice Kamuina Nsapu et, d’autre part, que plusieurs enquêtes judiciaires ont été ouvertes afin de déterminer les responsabilités dans les événements en question. À cet effet, il prend appui sur le livre blanc du 12 juin 2017.

120    À cet égard, il convient de relever que le livre blanc du 12 juin 2017 est un document provenant du gouvernement de la République démocratique du Congo, notamment du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, du ministère de la Justice et garde des Sceaux et du ministère des Droits humains. En outre, il convient de souligner que ce document a été élaboré quelques jours après l’adoption de la décision d’exécution 2017/905, qui a inscrit pour la première fois sur la liste litigieuse non seulement le nom du requérant, mais également celui de plusieurs autres personnalités occupant ou ayant occupé des postes importants au sein du gouvernement, de l’armée, des forces de l’ordre et de services de renseignement de la République démocratique du Congo. En particulier, figurent parmi ces personnes les vice-Premiers ministres et ministres de l’Intérieur et de la Sécurité qui étaient en fonction au moment des faits, à savoir entre mars 2016 et mars 2017, puis au moment de l’élaboration du livre blanc du 12 juin 2017. Or, ces circonstances sont de nature à susciter des doutes quant à la vraisemblance et à la véracité de l’information qui figure dans le document en question, qui n’est corroboré par aucun autre moyen de preuve provenant de sources externes au gouvernement de la République démocratique du Congo.

121    Dès lors, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 106 ci-dessus, la valeur probante du livre blanc du 12 juin 2017 doit être considérée comme étant faible.

122    Par ailleurs, ce document confirme que plusieurs éléments des forces armées ont été poursuivis et condamnés pour leur implication dans les faits concernant la milice Kamuina Nsapu. Il ne saurait donc, en tout état de cause, remettre en question le motif selon lequel les forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central ont, depuis 2016, recouru à la force de façon disproportionnée ainsi qu’à des exécutions extrajudiciaires. En effet, le livre blanc du 12 juin 2017 ne fournit aucune explication concernant le nombre de personnes tuées par les forces de l’ordre et les autres violations des droits de l’homme au Kasaï Central depuis 2016, décrites dans les rapports du BCNUDH pris en compte par le Conseil. Au demeurant, le requérant n’explique pas non plus les raisons pour lesquelles toutes ces violations des droits de l’homme ne devraient pas être considérées comme étant une réaction disproportionnée aux violences dans la province du Kasaï Central.

123    Il résulte de ce qui précède que le requérant n’a pas apporté d’élément de nature à remettre en cause les faits rappelés aux points 108 à 111 ci-dessus et sur lesquels le Conseil s’est fondé pour adopter les décisions attaquées. L’argumentation du requérant rappelée au point 103 ci-dessus doit, pour cette raison, être écartée.

124    En troisième lieu, concernant l’absence de responsabilité du requérant dans le recours disproportionné à la force, dans la répression violente et dans des exécutions extrajudiciaires, premièrement, il convient de constater que, selon l’article 63 de la loi 08/012, le gouverneur représente le gouvernement central en province et veille à la sécurité et à l’ordre public dans la province et que, selon l’article 6 de la loi organique 11/013, la PNC est soumise à l’autorité civile locale et placée sous la responsabilité du ministre ayant les affaires intérieures dans ses attributions. Ainsi, le requérant ne peut valablement soutenir que, en tant que gouverneur du Kasaï Central, il n’avait pas de responsabilités à l’égard des services de police et de sécurité dans cette région.

125    Deuxièmement, il convient de relever que le Conseil a commis une erreur factuelle en prolongeant, par la décision 2017/2282, les mesures restrictives à l’encontre du requérant en raison, notamment, d’assassinats de miliciens et de civils commis à Mwaza Lomba, alors que cette localité se situe au Kasaï Oriental, et non au Kasaï Central. Toutefois, aussi regrettable que soit cette erreur, elle n’est pas, à elle seule, de nature à remettre en cause le bien-fondé du maintien du nom du requérant sur la liste litigieuse résultant de la décision 2017/2282. En effet, les assassinats à Mwaza Lomba susmentionnés ne constituent qu’un des éléments retenus par le Conseil pour maintenir le nom du requérant sur la liste litigieuse. Or, un tel maintien est justifié par les faits exposés aux points 108 à 111 ci-dessus.

126    Il convient d’ajouter que l’erreur constatée au point 124 ci-dessus a été corrigée dans la décision d’exécution 2018/569, au sein de laquelle il n’est plus fait mention d’assassinats commis en février 2017 à Mwanza Lomba, mais d’assassinats commis à la même date sur le territoire de Dibaya. Or, comme le souligne à juste titre le Conseil, le requérant ne conteste pas la matérialité de tels assassinats.

127    Troisièmement, l’allégation du requérant selon laquelle, en février 2017, il était à Kinshasa est sans incidence sur l’appréciation de la validité des motifs retenus contre lui. En effet, d’une part, le requérant n’a jamais cessé d’être le gouverneur du Kasaï Central pendant cette période et, d’autre part, une telle allégation, à la supposer établie, ne remet pas en question les motifs plus larges relevés à l’encontre du requérant, qui se réfèrent à une période qui a commencé en août 2016.

128    En dernier lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel les motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse ne reposent pas sur des éléments factuels suffisamment précis et concrets, mais se fondent uniquement sur les fonctions qu’il a exercées, il y a lieu de rappeler que le Conseil n’est pas tenu de démontrer une implication personnelle du requérant dans les actes de répression visés par les mesures restrictives litigieuses. En effet, il est suffisant, à cet égard, que le Conseil, du fait des responsabilités importantes exercées par le requérant, puisse légitimement considérer que celui-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 141, et du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 80).

129    Or, en l’espèce, ce sont des effectifs appartenant aux forces de sécurité et à la PNC, à l’égard desquelles le requérant, en tant que gouverneur du Kasaï Central au moment des faits en question, avait des responsabilités, qui sont mentionnés, dans les rapports du BCNUDH utilisés par le Conseil, comme ayant fait partie des principaux responsables des actes en question, constitutifs de violations des droits de l’homme.

130    Partant, le présent argument doit être écarté.

131    Quant au fait que le renouvellement de l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse a eu lieu à un moment où il n’exerçait plus les fonctions de gouverneur provincial qu’il exerçait à la date de l’inscription initiale de son nom, il convient de relever qu’aucun changement de régime au pouvoir en République démocratique du Congo n’est intervenu entre le moment où le requérant était gouverneur provincial et celui où il ne l’était plus. Or, il n’apparaît pas que le requérant se soit éloigné dudit régime. Notamment, il ne ressort pas du dossier que la cessation, par le requérant, de ses fonctions de gouverneur provincial serait une décision qu’il aurait prise lui-même en réaction aux violations des droits de l’homme constatées en République démocratique du Congo (voir, par analogie, arrêt du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 152).

132    De même, il ressort du dossier, et plus particulièrement de l’article publié sur le site Internet « la-croix.com » le 29 mars 2017, considéré comme fiable (voir point 117 ci-dessus), que le requérant était membre d’un parti politique qui constituait une fraction de la majorité présidentielle, ce qu’il ne conteste pas. Or, rien n’indique que le requérant ne ferait plus partie d’un tel parti politique.

133    Dans ces conditions, à défaut de preuves et d’indices en sens contraire, il doit être considéré que, lors de la cessation de ses fonctions, le requérant était resté proche du régime de ce pays et que, de ce fait, le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur, continuer de considérer qu’il avait contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

134    Contrairement à ce que soutient le requérant au point 42 de la réplique, le fait qu’il n’ait plus exercé les fonctions de gouverneur du Kasaï Central au moment de l’adoption des décisions attaquées et que le Conseil ait tenu compte du fait qu’il était toujours demeuré proche du régime en place en République démocratique du Congo n’implique pas que le renouvellement des mesures restrictives à son égard aurait été fondé sur le critère établi à l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, relatif aux personnes associées à celles visées par l’article 3, paragraphe 2, sous a) et b), de la même décision (voir point 8 ci-dessus). En effet, le Conseil pouvait considérer que, malgré le changement de fonctions du requérant, les objectifs visés par les mesures restrictives prises contre lui, fondées sur le critère prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, n’avaient pas été atteints, au regard, notamment, du fait qu’il avait maintenu des liens avec le régime en place en République démocratique du Congo. Admettre que, dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, le Conseil ne pourrait proroger les mesures restrictives en cause au seul motif que le requérant a changé de fonctions reviendrait à priver d’effet utile lesdites mesures, étant donné que celles-ci n’ont pas pour objectif ultime de voir les personnes dont les noms sont inscrits sur la liste litigieuse quitter leurs fonctions, mais d’assurer un climat propice à la tenue d’élections et de faire cesser toute violation des droits de l’homme (voir point 7 ci-dessus).

135    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la seconde branche du deuxième moyen comme non fondée et, dès lors, ce moyen dans son ensemble.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, du droit de propriété et du principe de proportionnalité

136    Par le troisième moyen, le requérant reproche au Conseil d’avoir méconnu le principe de proportionnalité en lui ayant imposé des mesures restrictives portant atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale et à son droit de propriété.

137    En ce sens, le requérant souligne, premièrement, que les mesures restrictives en cause emportent des conséquences négatives considérables sur son droit au respect de la vie privée et familiale et, deuxièmement, que lesdites mesures restreignent son droit de propriété. À cet égard, le requérant observe qu’il dispose d’une adresse personnelle en Belgique, État dans lequel réside son épouse. Ainsi, selon le requérant, le principe de proportionnalité n’a pas été respecté et, en tout état de cause, il serait difficile de comprendre comment une mesure d’interdiction d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union permettrait de contribuer à une quelconque prévention d’actes constitutifs de violation des droits de l’homme sur le territoire de la République démocratique du Congo.

138    Dans la réplique, le requérant ajoute que les mesures en cause portent atteinte à sa présomption d’innocence, étant donné que la référence, par le Conseil, à des « indices sérieux et crédibles » concernant sa responsabilité dans les faits qui soutiennent les motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse serait de nature à faire naître, dans l’esprit du public, une présomption de culpabilité, contraire à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte.

139    Le Conseil conteste ces arguments, faisant notamment valoir que, suivant l’exposé des motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse, le requérant dispose de la nationalité belge et que, dès lors, le droit de l’Union n’impose pas une interdiction d’entrée sur le territoire de la Belgique. En outre, le Conseil fait valoir que l’argument tiré d’une violation du principe de présomption d’innocence est irrecevable, au motif qu’il a été avancé pour la première fois au stade de la réplique et constitue dès lors un moyen nouveau au sens de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure.

140    À cet égard, il convient de relever d’emblée que le Conseil n’a pas étayé son affirmation selon laquelle le requérant dispose de la nationalité belge, que ce dernier a contestée lors de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal.

141    En ce qui concerne la violation alléguée du droit de propriété, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, il est prévu ce qui suit :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

142    En l’espèce, par les décisions attaquées, le gel des avoirs détenus par le requérant a été prolongé. Ainsi, en adoptant ces décisions, le Conseil a limité l’exercice du droit visé à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Or, le droit de propriété, tel qu’il est protégé par cet article, ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 195 et jurisprudence citée).

143    À cet égard, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte dispose que « toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et que, « dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui ».

144    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation à l’exercice du droit de propriété doit, en tout état de cause, répondre à une triple condition (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, points 197 à 200 et jurisprudence citée). Premièrement, la limitation doit être « prévue par la loi », c’est-à-dire que la mesure restrictive en cause doit être adoptée sur le fondement d’une disposition des traités ou résultant des traités et conférant à l’institution de l’Union la compétence pour agir de la sorte.

145    Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Au nombre de ces objectifs figurent ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et visés à l’article 3, paragraphe 5, et à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, à savoir le soutien à la démocratie, à l’État de droit et aux droits de l’homme ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale.

146    Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. Ainsi, cette limitation doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. À cet égard, le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Dès lors, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205 et jurisprudence citée). En outre, la limitation d’un droit garanti par la Charte ne doit pas atteindre le « contenu essentiel » du droit ou de la liberté en cause, c’est-à-dire sa substance (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 200 et jurisprudence citée).

147    En l’espèce, les trois conditions visées aux points 144 à 146 ci-dessus sont satisfaites.

148    En effet, en premier lieu, la limitation à l’exercice du droit de propriété dont il s’agit doit être considérée comme étant « prévue par la loi », au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, étant donné que le Conseil avait compétence pour agir sur la base de l’article 29 TUE et de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et qu’il a adopté les décisions attaquées sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, en respectant les critères énoncés dans cette disposition, ainsi que cela ressort de l’examen du deuxième moyen.

149    En deuxième lieu, la décision 2017/2282, qui a prolongé les mesures restrictives imposées au requérant par la décision 2010/788, telle que modifiée par la décision d’exécution 2017/905, poursuit les mêmes objectifs que cette dernière, à savoir le soutien à la démocratie, à l’État de droit et aux droits de l’homme ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale, objectifs mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE. Partant, il convient de considérer que la décision 2017/2282 contribue effectivement à la réalisation d’objectifs d’intérêt général. La même conclusion vaut pour la décision d’exécution 2018/569, également visée par les conclusions en annulation du requérant, par laquelle les motifs d’inscription du nom de ce dernier sur la liste litigieuse ont été modifiés.

150    En troisième lieu, la restriction à l’exercice, par le requérant, du droit de propriété n’apparaît pas disproportionnée, contrairement à ce que celui-ci fait valoir dans le cadre de son troisième moyen. En effet, les mesures prorogées par la décision 2017/2282, que le Conseil a prises sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, sont appropriées pour atteindre les objectifs rappelés au point 149 ci-dessus.

151    À cet égard, tout d’abord, en ce qui concerne le caractère adéquat des mesures en cause au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que la protection des droits de l’homme, le maintien de la paix et la protection de l’État de droit, il apparaît que le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques ainsi que l’interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union concernant des personnes identifiées comme ayant contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo, étant notamment impliquées dans le recours disproportionné à la force et dans une répression violente, ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats (voir, par analogie, arrêts du 30 juillet 1996, Bosphorus, C‑84/95, EU:C:1996:312, point 26, et du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, points 9, 176 et 180 et jurisprudence citée).

152    Ensuite, en ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures en cause, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les responsables du régime congolais ayant contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo, étant notamment impliqués dans le recours disproportionné à la force et dans une répression violente, eu égard en particulier à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, par analogie, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 182 et jurisprudence citée).

153    Enfin, les inconvénients générés par les mesures de gel d’avoirs litigieuses ne sont pas démesurés au regard des objectifs poursuivis. À cet égard, il convient en particulier de noter que ces mesures présentent, par nature, un caractère réversible et ne portent, dès lors, pas atteinte à la substance même du droit de propriété. De plus, conformément à l’article 5, paragraphe 5, sous a), b) et d), de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, qui a institué les mesures en cause, prolongées par la décision 2017/2282, il peut, en particulier, y être dérogé afin de couvrir les « besoins fondamentaux » et les frais de justice ou bien encore les « dépenses extraordinaires » des personnes visées et des membres de la famille de ces personnes.

154    Il s’ensuit que les mesures restrictives frappant concrètement le requérant constituent des restrictions qui n’ont ni violé son droit de propriété ni méconnu, à cet égard, le principe de proportionnalité.

155    S’agissant par ailleurs de la violation alléguée du droit au respect de la vie privée et familiale du requérant, il convient de rappeler que le respect d’un tel droit est garanti par l’article 7 de la Charte. Cela étant, il ressort de la jurisprudence que, à l’instar du droit de propriété, un tel droit n’apparaît pas comme une prérogative absolue, mais doit être pris en considération au regard de sa fonction dans la société. Il peut comporter des restrictions, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et qu’elles ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à sa substance même (voir arrêt du 13 janvier 2017, Deza/ECHA, T‑189/14, EU:T:2017:4, point 162 et jurisprudence citée).

156    En l’espèce, il convient de souligner que les considérations exposées aux points 147 à 153 ci-dessus quant au caractère approprié et nécessaire des mesures portant gel des fonds du requérant sont applicables, par analogie, aux dispositions portant interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 197). Partant, les restrictions au droit au respect de la vie privée et familiale causées par les mesures restrictives imposées au requérant ne sont pas injustifiées et disproportionnées, quand bien même il ne pourrait plus rendre visite, sur le territoire de l’Union, à certains membres de sa famille pendant une durée limitée. À cet égard, le requérant n’a pas étayé son argumentation par des éléments de preuve et n’a pas indiqué que, pendant cette même durée, les membres de sa famille en question auraient été empêchés de lui rendre visite en République démocratique du Congo.

157    En outre, le requérant ne peut davantage soutenir, comme il l’a fait en substance dans la réplique, que la violation du droit au respect de la vie privée et familiale découlerait d’une atteinte à la présomption d’innocence.

158    À cet égard, il doit être rappelé que le principe de présomption d’innocence, énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, constitue un droit fondamental qui confère aux particuliers des droits dont le juge de l’Union garantit le respect [voir arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 73 (non publié) et jurisprudence citée].

159    Ce principe, qui exige que toute personne accusée d’une infraction soit présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, ne s’oppose pas à l’adoption de mesures conservatoires de gel de fonds, dès lors que celles-ci n’ont pas pour objet d’engager une procédure pénale à l’encontre de la personne visée. De telles mesures doivent cependant, compte tenu de leur gravité, satisfaire à trois critères, à savoir, premièrement, être prévues par la loi, deuxièmement, être adoptées par une autorité compétente et, troisièmement, présenter un caractère limité dans le temps [voir arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 74 (non publié) et jurisprudence citée].

160    Or, il résulte du point 148 ci-dessus que les deux premiers critères sont satisfaits. En outre, s’agissant du caractère limité dans le temps, il convient de constater que, aux termes de l’article 9 de la décision 2010/788, tel que modifié par les décisions attaquées, les mesures litigieuses s’appliquent pendant douze mois, font l’objet d’un réexamen et peuvent être prorogées ou modifiées, le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints. Les mesures imposées au requérant ont donc bien un caractère limité dans le temps (voir, par analogie, arrêt du 13 septembre 2013, Anbouba/Conseil, T‑592/11, non publié, EU:T:2013:427, point 41).

161    De plus, il y a lieu de relever que les mesures restrictives litigieuses n’entraînent pas une confiscation des avoirs des intéressés en tant que produits du crime, mais un gel à titre conservatoire. Ces mesures ne constituent donc pas une sanction et n’impliquent par ailleurs aucune accusation de cette nature [voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 77 (non publié) et jurisprudence citée]. En effet, les actes du Conseil en cause ne constituent pas une constatation du fait qu’une infraction pénale a été effectivement commise, mais sont adoptés dans le cadre et aux fins d’une procédure de nature administrative ayant une fonction conservatoire et ayant pour unique but de permettre au Conseil de garantir la protection des populations civiles [voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 78 (non publié)].

162    Dans ces conditions, il ne peut être soutenu que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse viole le principe de présomption d’innocence [voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 79 (non publié)].

163    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter comme non fondé le troisième moyen, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le Conseil.

 Sur le quatrième moyen, tiré de l’illégalité de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005

164    Par le quatrième moyen, le requérant soulève, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité contre, d’une part, l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et, d’autre part, l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005, afin de contester le bien-fondé du critère sur le fondement duquel les mesures restrictives le visant ont été adoptées, défini dans ces dispositions.

165    Dans une première branche, le requérant allègue que, par sa formulation très large, le critère prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005 méconnaît le principe de prévisibilité des actes de l’Union et le principe de sécurité juridique en conférant au Conseil un pouvoir d’appréciation arbitraire et discrétionnaire. Il considère qu’un tel critère ne vise pas, de manière objective, une catégorie circonscrite de personnes et d’entités susceptibles de faire l’objet de mesures de gel de fonds. Dans une seconde branche, le requérant fait valoir qu’un tel critère méconnaît également le principe de proportionnalité, dans la mesure où, eu égard aux objectifs poursuivis dans le cadre de la PESC, les atteintes à son droit au respect de la vie privée et familiale et à son droit de propriété seraient démesurées.

166    Le Conseil conteste ces arguments.

167    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 277 TFUE est l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision individuelle, la validité des actes institutionnels antérieurs, constituant la base juridique de cette décision individuelle (voir arrêt du 19 juin 2015, Italie/Commission, T‑358/11, EU:T:2015:394, point 180 et jurisprudence citée).

168    En l’espèce, le requérant excipe de l’illégalité tant de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 que de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005. Or, bien que ces deux dispositions énoncent, dans des termes quasi identiques, un critère d’inscription sur une liste des noms des personnes et des entités visées par les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (voir points 8 et 14 ci-dessus), les décisions attaquées ont été adoptées uniquement sur le fondement de celui prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788. Partant, l’exception d’illégalité soulevée par le requérant à l’encontre de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005 doit être écartée comme irrecevable, faute de lien entre cette dernière disposition et les décisions attaquées.

169    Il convient, à ce stade, d’examiner la légalité du critère d’inscription défini à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 (ci-après le « critère litigieux »).

170    À cet égard, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).

171    Il n’en demeure pas moins que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions de la décision 2010/788 et du règlement no 1183/2005 prévoyant le critère litigieux visé par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir. Ce contrôle restreint s’applique, en particulier, à l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles les mesures restrictives sont fondées (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45).

172    En premier lieu, s’agissant de la première branche du quatrième moyen, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit de l’Union, exige notamment que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine/Conseil, T‑10/13, EU:T:2015:235, point 77 et jurisprudence citée).

173    Un tel principe est applicable en ce qui concerne les mesures restrictives telles que celles en cause en l’espèce qui affectent lourdement les droits et libertés des personnes concernées (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine/Conseil, T‑10/13, EU:T:2015:235, point 77 et jurisprudence citée).

174    Or, le critère litigieux vise une catégorie bien précise de personnes, à savoir les personnes ayant contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits.

175    Si un tel critère confère une certaine marge au Conseil dans l’appréciation de ce que recouvre la notion de « contribution à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits », il ne peut être considéré, contrairement à ce que soutient le requérant, qu’une telle marge confère au Conseil un pouvoir d’appréciation arbitraire.

176    En effet, le critère litigieux s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant, en général, les mesures restrictives et, en particulier, celles instituées à l’encontre de la République démocratique du Congo.

177    À cet égard, d’une part, les objectifs du traité UE concernant la PESC sont notamment ceux visés à l’article 3, paragraphe 5, et à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, à savoir le soutien à la démocratie, à l’État de droit et aux droits de l’homme ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale.

178    D’autre part, il résulte des considérants 3 et 4 de la décision 2016/2231, reproduits au point 7 ci-dessus, que, en recourant à des mesures restrictives à l’encontre de certaines catégories de personnes, et notamment de celles qui contribuent à de graves violations des droits de l’homme, le Conseil a poursuivi l’objectif consistant à inciter le gouvernement de la République démocratique du Congo à assurer un climat propice à la tenue d’un dialogue et d’élections, à veiller au respect des droits de l’homme et de l’État de droit et à cesser toute instrumentalisation de la justice.

179    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la règle instituée par le critère litigieux est claire, précise et prévisible dans ses effets, et de rejeter la première branche du quatrième moyen.

180    En second lieu, s’agissant de la seconde branche du quatrième moyen, il convient de constater que, par cette branche, le requérant ne fait pas valoir que le critère litigieux serait contraire au principe de proportionnalité, mais conteste la proportionnalité des mesures restrictives dont il a fait l’objet par l’effet des décisions attaquées, en ce que ces mesures porteraient une atteinte démesurée à son droit au respect de la vie privée et familiale ainsi qu’à son droit de propriété. Ce faisant, le requérant réitère l’argumentation qu’il a déjà présentée au soutien du troisième moyen et qui a été écartée par le Tribunal pour les motifs exposés aux points 141 à 163 ci-dessus.

181    Partant, aucune des deux branches du quatrième moyen n’est fondée.

182    Il y a donc lieu de rejeter l’exception d’illégalité soulevée par le requérant dans le quatrième moyen et, dès lors, le présent recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

183    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.


2)      M. Alex Kande Mupompa est condamné aux dépens.

Gervasoni

Madise

Da Silva Passos

Kowalik-Bańczyk

 

Mac Eochaidh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 février 2020.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Gervasoni


Table des matières


Antécédents du litige

Faits postérieurs à l’adoption de la décision 2017/2282

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur la recevabilité de l’adaptation des conclusions

Sur le fond

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu

– Sur la première branche du premier moyen

– Sur la seconde branche du premier moyen

Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation

– Sur la première branche du deuxième moyen

– Sur la seconde branche du deuxième moyen

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, du droit de propriété et du principe de proportionnalité

Sur le quatrième moyen, tiré de l’illégalité de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 1183/2005

Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.