ARRÊT DE LA COUR
2 avril 1998 (1)
«Directive 92/12/CEE du Conseil relative au régime général, à la détention, à la
circulation et aux contrôles des produits soumis à accise État membre dans
lequel l'accise est due Achat par l'intermédiaire d'un agent»
Dans l'affaire C-296/95,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177
du traité CE, par la Court of Appeal, London, et tendant à obtenir, dans les litiges
pendants devant cette juridiction entre
The Queen
et
Commissioners of Customs and Excise,
ex parte: EMU Tabac SARL,
The Man in Black Ltd,
John Cunningham,
en présence de Imperial Tobacco Ltd,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de la directive 92/12/CEE du
Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la
circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), telle que
modifiée par la directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 390,
p. 124),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, H. Ragnemalm, M.
Wathelet et R. Schintgen, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de
Almeida, J. L. Murray (rapporteur), J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et L.
Sevón, juges,
avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
pour EMU Tabac SARL, The Man in Black Ltd et M. Cunningham, par M.
Robert Venables, QC, ainsi que par M. Timothy Lyons et Mme Amanda
Hardy, barristers,
pour Imperial Tobacco Ltd, par MM. David Vaughan, QC, et Mark
Brealey, barrister,
pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme Lindsey Nicoll, du
Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de MM.
Stephen Richards et Robert Jay, barristers,
pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Röder, Ministerialrat au
ministère fédéral de l'Économie, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat au
même ministère, en qualité d'agents,
pour le gouvernement hellénique, par M. Fokion Georgakopoulos, conseiller
juridique adjoint auprès du Conseil juridique de l'État, et Mme Galateia
Alexaki, conseiller au service spécial du contentieux communautaire du
ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agents,
pour le gouvernement français, par Mme Catherine de Salins, sous-directeur
à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,
et M. Frédéric Pascal, chargé de mission au même ministère, en qualité
d'agents,
pour le gouvernement irlandais, par M. Michael A. Buckley, Chief State
Solicitor, en qualité d'agent, assisté de M. Michael Collins, SC, et Mme
Jennifer Payne, barrister-at-law,
pour le gouvernement italien, par M. le professeur Umberto Leanza, chef
du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères,
en qualité d'agent, assisté de M. Ivo M. Braguglia, avvocato dello Stato, en
qualité d'agent,
pour le gouvernement néerlandais, par M. Adriaan Bos, conseiller juridique
au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
pour le gouvernement autrichien, par M. Franz Cede, ambassadeur, en
qualité d'agent,
pour le gouvernement suédois, par M. Erik Brattgård, departementsråd, au
département du commerce extérieur du ministère des Affaires étrangères,
en qualité d'agent,
pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Enrico
Traversa et Peter Oliver, membres du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de EMU Tabac SARL, de The Man in Black
Ltd et de M. Cunningham, représentés par MM. Robert Venables, Timothy Lyons
et Mme Amanda Hardy, de Imperial Tobacco Ltd, représentée par MM. David
Vaughan et Mark Brealey, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Mme
Lindsey Nicoll, MM. Stephen Richards et Robert Jay, du gouvernement danois,
représenté par M. Peter Biering, conseiller juridique, chef de division au ministère
des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement hellénique, représenté
par M. Fokion Georgakopoulos, du gouvernement français, représenté par M.
Frédéric Pascal, du gouvernement irlandais, représenté par M. Andreas O'Caoimh,
SC, et Mme Niamh Hyland, barrister-at-law, du gouvernement italien, représenté par
M. Ivo M. Braguglia, du gouvernement néerlandais, représenté par M. Marc
Fierstra, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité
d'agent, du gouvernement finlandais, représenté par Mme Tuula Pynnä, conseiller
juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement
suédois, représenté par M. Erik Brattgård, et de la Commission, représentée par
MM. Enrico Traversa et Peter Oliver, à l'audience du 4 mars 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 17 avril 1997,
rend le présent
Arrêt
- 1.
- Par ordonnance du 31 juillet 1995, parvenue à la Cour le 18 septembre suivant, la
Court of Appeal a posé, en application de l'article 177 du traité CE, deux questions
préjudicielles portant sur l'interprétation de la directive 92/12/CEE du Conseil, du
25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux
contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), telle que modifiée par la
directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 390, p. 124, ci-après
la «directive»).
- 2.
- Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant EMU Tabac
SARL (ci-après «EMU»), The Man in Black Ltd (ci-après «MBL») et M.
Cunningham, l'un des directeurs de cette dernière société, aux Commissioners of
Customs and Excise (ci-après les «Commissioners») au sujet de la perception de
droits d'accise sur des cigarettes.
La législation britannique
- 3.
- L'article 2 (1) du Tobacco Products Duty Act 1979 prévoit que «des droits d'accise
seront perçus sur les produits de tabacs importés ... au Royaume-Uni». Les Excise
Goods Regulations 1992 définissent les assujettis ainsi que le moment où la dette
prend naissance. L'Excise Duties (Personal Reliefs) Order 1992 établit certaines
exonérations, qui apparaissent cependant sans pertinence pour la présente affaire.
La réglementation communautaire applicable
- 4.
- La directive devait être transposée par les États membres pour le 31 décembre
1992.
- 5.
- L'article 6 prévoit:
«1. L'accise devient exigible lors de la mise à la consommation ou lors de la
constatation des manquants qui devront être soumis à accise conformément à
l'article 14, paragraphe 3.
Est considérée comme mise à la consommation de produits soumis à accise:
a) toute sortie, y compris irrégulière, d'un régime suspensif;
b) toute fabrication, y compris irrégulière, de ces produits hors d'un régime
suspensif;
c) toute importation, y compris irrégulière, de ces produits lorsque ces produits
ne sont pas mis sous un régime suspensif.
2. Les conditions d'exigibilité et le taux de l'accise à retenir sont ceux en vigueur
à la date de l'exigibilité dans l'État membre où s'effectue la mise à la
consommation ou la constatation des manquants. L'accise est perçue et recouvrée
selon les modalités établies par chaque État membre, étant entendu que les États
membres appliquent les mêmes modalités de perception et de recouvrement aux
produits nationaux et aux produits en provenance des autres États membres.»
- 6.
- Selon l'article 7,
«1. Dans le cas où des produits soumis à accise ayant déjà été mis à la
consommation dans un État membre sont détenus à des fins commerciales dans un
autre État membre, les droits d'accise sont perçus dans l'État membre dans lequel
ces produits sont détenus.
2. A cette fin, sans préjudice de l'article 6, lorsque les produits ayant déjà été mis
à la consommation telle que définie à l'article 6 dans un État membre sont livrés
ou destinés à être livrés à l'intérieur d'un autre État membre ou affectés à
l'intérieur d'un autre État membre aux besoins d'un opérateur accomplissant de
manière indépendante une activité économique ou aux besoins d'un organisme de
droit public, l'accise devient exigible dans cet autre État membre.
3. L'accise est due, selon le cas, auprès de la personne qui effectue la livraison, qui
détient les produits destinés à être livrés ou auprès de la personne où a lieu
l'affectation des produits à l'intérieur d'un autre État membre que celui où les
produits ont déjà été mis à la consommation, ou auprès de l'opérateur
professionnel ou de l'organisme de droit public.
4. Les produits visés au paragraphe 1 circulent entre les territoires des différents
États membres sous le couvert d'un document d'accompagnement qui mentionne
les éléments principaux du document visé à l'article 18, paragraphe 1. La forme et
le contenu de ce document sont définis selon la procédure prévue à l'article 24 de
la présente directive.
5. La personne, l'opérateur ou l'organisme visé au paragraphe 3 doit se conformer
aux prescriptions suivantes:
a) effectuer, préalablement à l'expédition des marchandises, une déclaration
auprès des autorités fiscales de l'État membre de destination et garantir le
paiement des droits d'accise;
b) acquitter les droits d'accise de l'État membre de destination selon les
modalités prévues par cet État membre;
c) se prêter à tout contrôle permettant à l'administration de l'État membre de
destination de s'assurer de la réception effective des marchandises et du
paiement des droits d'accise dont elles sont passibles.
6. Les droits d'accise acquittés dans le premier État membre, visé au paragraphe
1, sont remboursés conformément à l'article 22, paragraphe 3.»
- 7.
- Il ressort de l'article 8 que
«Pour les produits acquis par des particuliers, pour leurs besoins propres et
transportés par eux-mêmes, le principe régissant le marché intérieur dispose que
les droits d'accise sont perçus dans l'État membre où les produits sont acquis.»
- 8.
- Quant à l'article 9, il énonce en ses paragraphes 1 et 2 que
«1. Sans préjudice des articles 6, 7 et 8, l'accise devient exigible lorsque les produits
mis à la consommation dans un État membre sont détenus à des fins commerciales
dans un autre État membre.
Dans ce cas, l'accise est due dans l'État membre sur le territoire duquel les
produits se trouvent et devient exigible auprès du détenteur des produits.
2. Pour établir que les produits visés à l'article 8 sont destinés à des fins
commerciales, les États membres doivent, entre autres, tenir compte des points
suivants:
le statut commercial et les motifs du détenteur des produits,
le lieu où ces produits se trouvent ou, le cas échéant, le mode de transport
utilisé,
tout document relatif à ces produits,
la nature de ces produits,
la quantité de ces produits.
Pour l'application du cinquième tiret, les États membres peuvent, seulement
comme élément de preuve, établir des niveaux indicatifs. Ces niveaux indicatifs ne
peuvent pas être inférieurs à:
a) Produits de tabac
cigarettes 800 pièces
cigarillos (cigares d'un poids maximal 400 pièces
de 3 grammes par pièce)
cigares 200 pièces
tabac à fumer 1,0 kilogramme
b) Boissons alcooliques
boissons spiritueuses 10 litres
produits intermédiaires 20 litres
vins (dont 60 litres au maximum de 90 litres
vin mousseux)
bières 110 litres
L'Irlande est autorisée à appliquer, jusqu'au 30 juin 1997, des niveaux indicatifs qui
ne peuvent pas être inférieurs à 45 litres pour les vins (dont 30 litres au maximum
de vin mousseux) et à 55 litres pour les bières.»
- 9.
- L'article 10 prévoit:
«1. Les produits soumis à accise achetés par des personnes qui n'ont pas la qualité
d'entrepositaire agréé, d'opérateur enregistré ou non enregistré et qui sont expédiés
ou transportés directement ou indirectement par le vendeur ou pour son compte
propre sont soumis à accise dans l'État membre de destination. Aux fins du présent
article, on entend par l'État membre de destination l'État membre d'arrivée de
l'expédition ou du transport.
2. A cette fin, la livraison de produits soumis à accise ayant déjà été mis à la
consommation dans un État membre donnant lieu à l'expédition ou au transport
de ces produits à destination d'une personne visée au paragraphe 1 établie dans un
autre État membre et qui sont expédiés ou transportés directement ou
indirectement par le vendeur ou pour son compte propre donne lieu à l'exigibilité
de l'accise sur ces produits dans l'État membre de destination.
3. L'accise de l'État membre de destination est exigible auprès du vendeur au
moment où la livraison est effectuée. Toutefois, les États membres peuvent prendre
des dispositions prévoyant que l'accise est due par un représentant fiscal, autre que
le destinataire des produits. Ce représentant fiscal doit être établi dans l'État
membre de destination et agréé par les autorités fiscales de cet État membre.
L'État membre dans lequel le vendeur est établi doit s'assurer que celui-ci se
conforme aux prescriptions suivantes:
garantir le paiement des droits d'accise, dans les conditions fixées par l'État
membre de destination, préalablement à l'expédition des produits et assurer
le paiement des droits d'accise après l'arrivée des produits,
tenir une comptabilité des livraisons des produits.
4. Dans le cas visé au paragraphe 2, les droits d'accise acquittés dans le premier
État membre sont remboursés conformément à l'article 22, paragraphe 4.
5. Les États membres peuvent, dans le respect du droit communautaire, fixer des
modalités spécifiques d'application de la présente disposition pour les produits
soumis à accise faisant l'objet d'une réglementation nationale particulière de
distribution compatible avec le traité.»
Le litige au principal
- 10.
- EMU est une société de droit luxembourgeois, filiale de The Enlightened Tobacco
Co. (ci-après «ETC»), qui est spécialisée dans la vente de produits du tabac au
grand-duché de Luxembourg.
- 11.
- MBL est une société de droit britannique, également filiale de ETC qui, depuis
novembre 1994, reçoit de particuliers qu'elle sollicite et qui demeurent au
Royaume-Uni des commandes de cigarettes et de tabac à acheter auprès de EMU.
Ces commandes sont passées par les particuliers pour leurs besoins propres, sur la
base d'un tarif établi en francs luxembourgeois, par l'intermédiaire de MBL qui
achète les marchandises et en organise l'importation au Royaume-Uni par
l'intermédiaire d'un transporteur privé au nom et pour le compte de ces
particuliers, moyennant paiement d'une commission. Aucun client ne peut acheter
plus de 800 cigarettes à la fois.
- 12.
- Les conditions selon lesquelles s'effectuent ces transactions ont été définies dans
un accord conclu entre EMU et MBL le 14 novembre 1994.
- 13.
- Entre autres modalités, il a été prévu que EMU ouvre et maintienne un compte
crédit d'achats au nom de MBL pour tous les achats qu'effectueraient des
particuliers par l'intermédiaire de MBL.
- 14.
- De son côté, MBL s'est engagée à verser directement les sommes reçues des clients
sur des comptes bancaires à Londres ou à Luxembourg. Elle garantit
irrévocablement le paiement à la réception des relevés mensuels du compte crédit
d'achats selon les conditions de paiement habituelles de EMU. MBL s'est en outre
engagée à ce que toutes les variations que le prix des produits en UKL subirait en
raison des fluctuations du taux de change soient compensées par des augmentations
ou des réductions de la commission qu'elle perçoit auprès des particuliers.
- 15.
- Les contrats d'achat/vente des produits sont passés au grand-duché de Luxembourg,
pays dans lequel a également lieu le transfert de propriété. Le droit applicable est
le droit anglais.
- 16.
- Les taux des droits d'accise au Royaume-Uni sont généralement plus élevés qu'au
grand-duché de Luxembourg.
- 17.
- Dans le courant de l'année 1995, les Commissioners ont retenu à Douvres certaines
quantités de produits du tabac en cours d'importation, comme les y autorise la
législation de leur État lorsque des droits d'accise y sont dus.
- 18.
- EMU, MBL et M. Cunningham ont introduit une procédure de contrôle
juridictionnel à l'encontre de cette retenue. Ils ont demandé au juge saisi, d'une
part, de constater que les droits d'accise britanniques n'étaient pas dus et qu'il était
illégal de retenir les produits de tabac en cause et, d'autre part, de délivrer une
injonction interdisant aux Commissioners de retenir les produits importés dans le
cadre de leur système. Ils considèrent en effet que les droits d'accise sont dus au
grand-duché de Luxembourg et que, par conséquent, les produits en cause sont
exonérés de ces droits au Royaume-Uni, ce qui a pour effet de réduire leur prix
dans des proportions considérables, jusqu'à 40 % dans certains cas.
- 19.
- Le recours ayant été rejeté, les demandeurs au principal ont, par requête du 30
mai 1995, interjeté appel devant la Court of Appeal.
- 20.
- Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de la directive et,
en particulier, de son article 8, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer
et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La directive 92/12/CEE, et en particulier son article 8, a-t-elle pour effet
d'exclure la perception de droits d'accise sur des marchandises dans un État
membre A si:
i) ces marchandises ont été acquises pour les besoins d'un particulier
établi dans l'État membre A,
ii) ces marchandises ont été acquises dans l'État membre B par un agent
agissant pour le compte dudit particulier,
iii) le transport de marchandises de l'État membre B à l'État membre A
a été assuré par l'agent et
iv) le particulier n'a pas voyagé lui-même avec les marchandises de l'État
membre B à l'État membre A?
2) Lorsqu'il existe un système, conçu et géré de manière commerciale, dans le
cadre duquel l'achat de produits destinés à l'usage personnel d'un particulier
établi dans l'État membre A est effectué dans l'État membre B par un
agent, pour le compte de ce particulier, et le transport de l'État membre B
à l'État membre A assuré par les soins de cet agent, la directive 92/12/CEE
a-t-elle pour effet d'exclure la perception de droits d'accise sur les achats en
question dans l'État membre A?»
- 21.
- Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, par ses deux questions, la juridiction
nationale cherche en substance à savoir si la directive doit être interprétée en ce
sens qu'elle s'oppose à la perception dans un État membre A de droits d'accise sur
des marchandises mises à la consommation dans un État membre B où elles ont
été acquises auprès d'une société X pour les besoins de particuliers établis dans
l'État membre A par l'intermédiaire d'une société Y intervenant en qualité d'agent
pour ces particuliers et contre rémunération, sachant que le transport des
marchandises de l'État membre B vers l'État membre A a été également organisé
par la société Y pour le compte des particuliers et réalisé par un transporteur
professionnel agissant à titre onéreux.
- 22.
- A titre liminaire, il convient de relever qu'il ressort de la directive que celle-ci vise
à établir un certain nombre de règles en ce qui concerne la détention, la circulation
et les contrôles des produits soumis à accise, et ce notamment afin d'assurer que
l'exigibilité de l'accise soit identique dans tous les États membres.
- 23.
- Ensuite, il importe de souligner que, ainsi qu'il résulte des troisième, cinquième,
sixième et onzième considérants, la directive établit une distinction entre, d'une
part, les marchandises qui sont détenues à des fins commerciales et dont le
transport doit être accompagné de documents et, d'autre part, les marchandises
détenues à des fins personnelles.
- 24.
- S'agissant de ces dernières marchandises, il convient d'observer que, dans la mesure
où l'article 8 prévoit que les droits d'accise sont dus dans l'État membre dans
lequel elles ont été achetées, il ne requiert aucun document en vue de leur
transport vers un autre État membre.
- 25.
- L'application de l'article 8 exige toutefois que plusieurs conditions soient remplies.
Ainsi, les marchandises soumises à accise doivent avoir été acquises par un
particulier, l'avoir été pour ses besoins propres, et leur transport doit avoir été
effectué par ce particulier.
- 26.
- Ces conditions doivent permettre d'établir le caractère strictement personnel de la
détention des marchandises soumises à accise qui sont acquises dans un État, puis
transportées vers un autre.
- 27.
- Les demandeurs au principal soutiennent, en premier lieu, que cette disposition a
vocation à s'appliquer dans une situation telle que celle en cause dans l'affaire au
principal, dans laquelle l'achat des marchandises soumises à accise a été effectué
par l'intermédiaire d'un agent qui a également organisé leur transport.
- 28.
- A l'appui de leur position, les demandeurs au principal font valoir que l'adage issu
du droit romain qui facit per alium facit per se, en vertu duquel la personne qui
agit par l'intermédiaire d'un mandataire doit être traitée de la même façon que si
elle avait agi elle-même, constitue un principe général dans un certain nombre
d'ordres juridiques et, notamment, dans l'ordre juridique anglais, qui s'impose
d'autant plus en l'espèce que ni la version anglaise de la directive ni les versions
française, italienne, espagnole, allemande, néerlandaise ou portugaise n'excluent la
possibilité de recourir à un mandataire.
- 29.
- Ce raisonnement ne saurait être suivi.
- 30.
- Tout d'abord, il résulte de la jurisprudence de la Cour que l'ordre juridique
communautaire n'entend pas en principe définir ses qualifications en s'inspirant
d'un ordre juridique national ou de plusieurs d'entre eux sans précision expresse
(arrêt du 14 janvier 1982, Corman, 64/81, Rec. p. 13, point 8). Or, le texte del'article 8 de la directive ne comporte aucune référence expresse aux ordres
juridiques nationaux.
- 31.
- Ensuite, à supposer même que le principe précité soit commun à tous les États
membres, il convient d'observer, à la suite de M. l'avocat général, qu'il s'agit là d'un
principe relevant du droit civil et, plus particulièrement, du domaine du droit des
obligations, qui n'a pas nécessairement vocation à s'appliquer dans la matière du
droit fiscal, matière qui répond à des objectifs autonomes.
- 32.
- Enfin, il y a lieu de souligner que, lorsque le législateur communautaire a entendu
viser, dans le cadre de la directive, l'hypothèse de l'intervention d'un tiers, il l'a fait
de façon expresse par une formule ad hoc. Ainsi en va-t-il pour l'article 9,
paragraphe 3, et l'article 10, paragraphe 1.
- 33.
- Or, force est de constater que, s'agissant de l'article 8, aucune des versions
linguistiques ne prévoit de façon explicite une telle intervention et que, au
contraire, les versions danoise et grecque font apparaître d'une façon
particulièrement claire que, pour que les droits d'accise soient dus dans le pays
d'achat, le transport doit être réalisé personnellement par l'acquéreur des produits
soumis à accise.
- 34.
- Les demandeurs au principal reconnaissent que ces deux dernières versions
excluent l'intervention d'un tiers mandataire. Ils estiment toutefois que, dès lors
qu'elles sont en contradiction avec les autres versions linguistiques, elles doivent
être écartées au motif que les populations des deux États membres concernés ne
représentaient au total que 5 % de la population des douze États membres au
moment où la directive a été adoptée et que leur langue ne serait pas aisément
comprise par les ressortissants des autres États membres.
- 35.
- A cet égard, il y a lieu de relever qu'il n'existe de contradiction entre les versions
danoise et grecque, d'une part, et les autres versions linguistiques, d'autre part, que
si l'on suit le raisonnement proposé par les demandeurs au principal.
- 36.
- En outre, faire fi de deux des versions linguistiques, comme le proposent les
demandeurs au principal, serait en contradiction avec la jurisprudence constante
de la Cour selon laquelle la nécessité d'une interprétation uniforme des règlements
communautaires exclut que, en cas de doute, le texte d'une disposition soit
considéré isolément, et exige au contraire qu'il soit interprété et appliqué à la
lumière des versions établies dans les autres langues officielles (voir, notamment,
arrêt du 12 juillet 1979, Koschniske, 9/79, Rec. p. 2717, point 6). Enfin, toutes les
versions linguistiques doivent, par principe, se voir reconnaître la même valeur,
laquelle ne saurait varier en fonction de l'importance de la population des États
membres qui pratique la langue en cause.
- 37.
- Il résulte de ce qui précède que l'article 8 de la directive n'a pas vocation à
s'appliquer lorsque l'achat et/ou le transport de marchandises soumises à accise ont
été réalisés par l'intermédiaire d'un agent. Les conditions d'application de l'article
8 ne sont dès lors pas réunies dans la situation envisagée par la juridiction de
renvoi.
- 38.
- Les demandeurs au principal observent encore que le principe de sécurité juridique
tel qu'il a notamment été rappelé dans l'arrêt du 13 mars 1990, Commission/France
(C-30/89, Rec. p. I-691), suppose que la directive soit interprétée de manière à
accorder aux particuliers le bénéfice de toute ambiguïté dans la mesure où elle est
susceptible de comporter des incidences financières.
- 39.
- A cet égard, il convient de relever que l'existence d'une éventuelle ambiguïté dans
une disposition ne peut être établie qu'eu égard à son contexte (voir, notamment,
arrêt du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, Rec. p. 3781, point 12).
- 40.
- Or, ainsi que cela a déjà été démontré dans le présent arrêt, en particulier au point
33, il ressort clairement de la directive que, à aucun moment, le législateur
communautaire n'a entendu viser l'intervention d'un agent dans le cadre de l'article
8. Dès lors, cette disposition ne présente aucune ambiguïté.
- 41.
- Les demandeurs au principal soutiennent en second lieu que, si l'article 8 devait
être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas dans le cas de l'intervention d'un
agent, l'article 6 trouverait à s'appliquer avec pour conséquence que les droits
d'accise seraient, en l'espèce, exigibles exclusivement au grand-duché de
Luxembourg, pays où a eu lieu la mise à la consommation.
- 42.
- A cet égard, il y a lieu d'observer que, si l'article 6 prévoit bien que l'accise devient
exigible lors de la mise à la consommation des produits dans un État membre, cela
n'exclut toutefois pas que, en vertu des articles 7, 9 ou 10, les droits d'accise soient
ensuite perçus dans un autre État membre, les accises éventuellement acquittées
dans le premier État pouvant alors être remboursées en vertu de l'article 7,
paragraphe 6, ou de l'article 10, paragraphe 4.
- 43.
- Or, une situation telle que celle décrite par la juridiction de renvoi apparaît
susceptible d'être visée tant par l'article 7 que par l'article 10 de la directive.
- 44.
- Tout d'abord, l'article 10 énonce en son paragraphe 2 que la livraison de produits
soumis à accise, ayant déjà été mis à la consommation dans un État membre
donnant lieu à l'expédition ou au transport de ces produits à destination d'une
personne établie dans un autre État membre qui n'a pas la qualité d'entrepositaire
agréé, d'opérateur enregistré ou non enregistré, et qui sont expédiés ou transportés
directement ou indirectement par le vendeur ou pour son propre compte, donne
lieu à l'exigibilité de l'accise sur ces produits dans l'État membre de destination.
- 45.
- Cette dernière disposition a été rédigée de façon à couvrir non seulement
l'hypothèse du transport ou de l'expédition par le vendeur lui-même, mais
également et de façon beaucoup plus large toutes les hypothèses d'expédition ou
de transport pour le compte du vendeur.
- 46.
- En outre, la formule utilisée dans cette disposition atteste clairement que le
législateur communautaire est davantage intéressé par la nature objective des
transactions que par la forme juridique qui leur est conférée.
- 47.
- A cet égard, il y a lieu d'observer que, en l'espèce au principal, EMU et MBL sont
des filiales d'une même société et que, à ce titre, elles peuvent être considérées
comme faisant partie de la même entité économique en dépit du fait qu'elles
constituent des personnes morales distinctes (voir arrêt du 12 juillet 1984,
Hydrotherm, 170/83, Rec. p. 2999, point 11).
- 48.
- Il ressort en outre de l'ordonnance de renvoi que MBL n'agit pas à l'initiative des
particuliers qu'elle représente, mais qu'elle sollicite auprès de ceux-ci les
commandes de tabacs et de cigarettes qui sont ensuite placées exclusivement
auprès de EMU, le vendeur. Enfin, MBL et EMU ont défini de façon générale le
cadre de leur coopération dans une convention de 1991 dont il découle notamment
que les risques inhérents à l'évolution des taux de change sont supportés par MBL
et non par les acheteurs eux-mêmes.
- 49.
- Partant, il y a lieu de considérer que, quoique MBL ait agi en qualité d'agent des
acheteurs au regard du droit anglais, les marchandises en cause dans l'affaire au
principal ont été expédiées ou transportées directement ou indirectement par le
vendeur ou pour son propre compte au sens de l'article 10 de la directive et que
les droits d'accise sont exigibles au Royaume-Uni.
- 50.
- S'agissant de la double imposition qui résulterait, selon les demandeurs au
principal, de la perception de droits d'accise au Royaume-Uni, il y a lieu de relever
que l'article 10, paragraphe 4, prévoit explicitement que, dans l'hypothèse où le
paragraphe 2 s'applique, les droits d'accise acquittés dans l'État membre où a eu
lieu la mise à la consommation des marchandises sont remboursés.
- 51.
- Quant à l'article 7, il y a lieu d'observer que, en son paragraphe 1, il prévoit la
perception des droits d'accise dans l'État membre dans lequel sont détenus à des
fins commerciales des produits ayant déjà été mis à la consommation dans un
premier État. L'article 7, paragraphe 2, précise que, à cette fin, lorsque ces
produits sont livrés, ou destinés à être livrés à l'intérieur d'un autre État membre
ou affectés à l'intérieur d'un autre État membre aux besoins d'un opérateur
accomplissant de manière indépendante une activité économique ou aux besoins
d'un organisme de droit public, l'accise devient exigible dans cet autre État
membre.
- 52.
- Dans un cas comme celui de l'espèce au principal où des marchandises provenant
d'un État membre sont acheminées dans un autre État membre sur l'intervention
d'un opérateur agissant à titre onéreux qui a préalablement sollicité les clients dans
ce dernier État et qui a organisé l'importation de ces marchandises, il convient de
considérer que l'accise est exigible dans ce dernier État membre.
- 53.
- Il résulte de ce qui précède que la directive doit être interprétée en ce sens qu'elle
ne s'oppose pas à la perception dans un État membre A de droits d'accise sur des
marchandises mises à la consommation dans un État membre B où elles ont été
acquises auprès d'une société X pour les besoins de particuliers établis dans l'État
membre A par l'intermédiaire d'une société Y intervenant en qualité d'agent pour
ces particuliers et contre rémunération, sachant que le transport des marchandises
de l'État membre B vers l'État membre A a été également organisé par la société
Y pour le compte des particuliers et réalisé par un transporteur agissant à titre
onéreux.
Sur les dépens
- 54.
- Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, danois, allemand,
hellénique, français, irlandais, italien, néerlandais, autrichien, finlandais et suédois,
ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des
observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure
revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé
devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par la Court of Appeal, par ordonnance
du 31 juillet 1995, dit pour droit:
La directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général,
à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, telle
que modifiée par la directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, doit
être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à la perception dans un État
membre A de droits d'accise sur des marchandises mises à la consommation dans
un État membre B où elles ont été acquises auprès d'une société X pour les
besoins de particuliers établis dans l'État membre A par l'intermédiaire d'une
société Y intervenant en qualité d'agent pour ces particuliers et contre
rémunération, sachant que le transport des marchandises de l'État membre B vers
l'État membre A a été également organisé par la société Y pour le compte des
particuliers et réalisé par un transporteur agissant à titre onéreux.
Rodríguez Iglesias Ragnemalm Wathelet
Schintgen Mancini
Moitinho de Almeida Murray Puissochet
Hirsch Jann Sevón
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 avril 1998.
Le greffier
Le président
R. Grass
G. C. Rodríguez Iglesias