Language of document : ECLI:EU:T:2012:66

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

13 février 2012 (*)

« Référé – Aides d’État – Loi danoise instaurant des taxes moins élevées pour les fournisseurs de jeux de hasard en ligne – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑601/11 R,

Dansk Automat Brancheforening, établie à Fredericia (Danemark), représentée par Mes K. Dyekjær, T. Høg et J. Flodgaard, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes M. Afonso et C. Barslev, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume de Danemark, représenté par M. C. Vang, en qualité d’agent, assisté de Mes K. Lundgaard Hansen et W. Lindsay-Poulsen, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision C (2011) 6499 final de la Commission, du 20 septembre 2011, relative à la mesure C 35/2010 (ex nº 302/2010) que le Royaume de Danemark envisageait de mettre en œuvre sous la forme de taxes frappant les jeux de hasard en ligne, en vertu de la loi danoise relative aux taxes sur les jeux de hasard,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Dans le cadre de l’abolition du monopole d’État qui existait au Danemark pour la fourniture de certaines prestations de jeux de hasard, le parlement danois a adopté, en 2010, plusieurs lois parmi lesquelles figurent la loi relative aux jeux de hasard qui a pour effet de libéraliser et de légaliser les jeux de hasard en ligne, à condition que les fournisseurs de ces jeux demandent une licence à cet effet et se fassent enregistrer au Danemark, ainsi que la loi relative aux taxes sur les jeux de hasard (ci-après la « LTJ »). La LTJ vise à soumettre les jeux de hasard en ligne à une taxe dont le taux est inférieur à celui qui frappe, déjà depuis longtemps, les établissements de jeux et les exploitants d’appareils automatiques de divertissement avec gains (ci-après les « machines à sous »).

2        Ainsi qu’il ressort de l’exposé des motifs de la proposition de loi relative aux jeux de hasard, le processus de libéralisation était une conséquence de l’évolution technologique qui a permis à un nombre sans cesse croissant de joueurs danois d’accéder à une vaste offre de services proposée par des opérateurs étrangers de jeux de hasard en ligne, ces derniers ayant ainsi conquis, en quelques années, une grande part du marché danois des jeux, bien qu’ils n’aient pas été titulaires d’une licence officielle autorisant l’exercice de leurs activités.

3        Par ailleurs, la loi relative aux jeux de hasard vise à maintenir, à un niveau modéré, la consommation de jeux d’argent, à protéger les mineurs ou autres personnes exposées contre l’exploitation par les jeux ou l’assuétude aux jeux, à protéger les joueurs en veillant à ce que les jeux soient exploités de façon raisonnable, responsable et transparente, à maintenir l’ordre public et à éviter que les jeux servent de support à la délinquance.

4        Conformément à la LTJ, les jeux de hasard suivants sont soumis à une taxe : les loteries, les paris, les jeux pratiqués dans des établissements de jeux, les jeux de hasard en ligne (ci-après les « cybercasinos »), les machines à sous installées dans des salles de jeux et des établissements de restauration, ainsi que les jeux sans mises. D’une manière générale, la taxe est fonction du produit brut des jeux (ci-après le « PBJ »), c’est-à-dire de la différence entre les mises des joueurs et les gains versés sur les jeux.

5        S’agissant de la taxation des recettes des jeux de hasard, la LTJ établit des taux d’imposition différenciés : les titulaires d’une licence d’exploitation de jeux de hasard en ligne sont redevables d’une taxe représentant, selon le cas, 20 % du PBJ ou 20 % du montant des commissions perçues par lesdits titulaires, alors que le taux du PBJ frappant les titulaires d’une licence d’exploitation de jeux pratiqués dans des établissements s’inscrit dans une fourchette comprise entre 45 et 75 %, déduction faite de la valeur des jetons dans le tronc, et que les titulaires d’une licence d’exploitation de machines à sous s’acquittent d’une taxe dont le taux varie entre 41 et 71 % du PBJ.

6        En application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le Royaume de Danemark a notifié la LTJ à la Commission européenne. Cette dernière, après avoir ouvert la procédure d’examen formelle de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, a adopté, le 20 septembre 2011, la décision C (2011) 6499 final, relative à la mesure C 35/2010 (ex nº 302/2010) que le Royaume de Danemark envisageait de mettre en œuvre sous la forme de taxes frappant les jeux de hasard en ligne, en vertu de la LTJ (ci-après la « décision attaquée »).

7        Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que la LTJ, tout en comportant une aide d’État en faveur des titulaires d’une licence d’exploitation de jeux de hasard en ligne et constituant donc une mesure qui fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions, pouvait néanmoins être considérée comme compatible avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Elle a donc autorisé la mise en œuvre de la LTJ, en considérant que ses effets positifs l’emportaient sur les effets négatifs.

8        En conséquence, le Royaume de Danemark a prévu l’entrée en vigueur de la LTJ avec effet au 1er janvier 2012. Entre-temps, les autorités danoises ont agréé une quarantaine de demandeurs d’autorisations de jeux de hasard en ligne qui ont obtenu environ 50 licences différentes en vue d’exploiter de tels jeux au Danemark à compter de cette date.

9        La requérante, Dansk Automat Brancheforening, est une association ouverte aux exploitants de machines à sous. Le modèle d’entreprise des membres de la requérante est le suivant : ils acquièrent des machines à sous et les installent dans des salles de jeux et des établissements de restauration avec lesquels des accords à cet effet ont été conclus. Ils encaissent le PBJ et en déduisent les taxes fiscales. Ils reversent ensuite une partie des recettes nettes aux établissements où les machines sont installées. Dans le cadre de la procédure administrative ayant précédé l’adoption de la décision attaquée, la requérante a déposé une plainte devant la Commission pour dénoncer l’inégalité de traitement prévue par la LTJ au détriment de ses membres.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 novembre 2011, la requérante a introduit un recours visant, en substance, à l’annulation de la décision attaquée. À l’appui de ce recours, elle reproche à la Commission, notamment, d’avoir violé l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et d’avoir enfreint le principe d’égalité de traitement.

11      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours principal ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 19 décembre 2011, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

13      Par ordonnance du 22 décembre 2011, le président du Tribunal a admis le Royaume de Danemark à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Dans son mémoire en intervention, déposé au greffe du Tribunal le 9 janvier 2012, le Royaume de Danemark conclut au rejet de la demande en référé, aux motifs que le recours sur lequel elle se greffe doit être déclaré irrecevable pour absence de qualité pour agir de la requérante et que, en tout état de cause, cette demande doit être déclarée non fondée.

14      En date du 20 janvier 2012, le juge des référés a posé certaines questions aux parties, qui y ont répondu par écrit dans le délai imparti.

15      Le 27 janvier 2012, les parties principales ont pris position sur le mémoire en intervention.

 En droit

16      Il ressort d’une lecture combinée de l’article 278 TFUE et de l’article 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un tel acte ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

17      En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et sortent leurs effets dès avant la décision principale [ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 22]. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

18      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances de la Cour Commission/Atlantic Container Line e.a., précitée, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

19      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

20      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur l’urgence

21      La requérante fait valoir, à titre principal, que l’exécution de la décision attaquée aura pour conséquence que ses membres, du moins une partie significative d’entre eux, subiront très probablement un préjudice grave et irréparable, susceptible de menacer leur survie ou, à tout le moins, de porter atteinte à leur position sur le marché et à leur situation concurrentielle. En effet, il existerait une concurrence directe entre les cybercasinos et ses membres exploitants de machines à sous. La LTJ, en conférant un avantage fiscal significatif aux entreprises qui offrent des jeux en ligne, aurait une incidence sur le marché intérieur et risquerait de fausser la concurrence, du fait que les jeux proposés par les cybercasinos et par les établissements de jeux se présentent de la même manière.

22      S’agissant de la gravité du préjudice redouté, la requérante affirme que la mesure d’aide en cause peut être quantifiée à environ 164 millions de couronnes danoises (DKK) par an. Ce montant représenterait la différence entre le prélèvement dont les cybercasinos doivent s’acquitter au taux de 20 % et celui dont ils devraient s’acquitter s’ils étaient soumis à un prélèvement équivalent au taux moyen, à savoir 43,3 %, dont s’acquittent les exploitants de machines à sous. Le chiffre de 164 millions de DKK reposerait sur l’« hypothèse réaliste » selon laquelle le PBJ des cybercasinos serait de l’ordre de 700 millions de DKK par an. Par ailleurs, dans la décision attaquée, la Commission admettrait que le PBJ au Danemark des cybercasinos et du poker en ligne s’élevait en 2008 à environ 670 millions de DKK. Et même si un PBJ de 500 millions de DKK par an était retenu, le montant de l’aide représenterait toujours 116,5 millions de DKK par an.

23      Affirmant que ses membres sont des petites et moyennes entreprises avec des capacités financières limitées, dont les capitaux propres s’élèvent en moyenne à 3 millions de DKK par entreprise, la requérante expose que le montant annuel d’une aide de 164 millions de DKK accordée aux cybercasinos représente environ 27 fois le résultat cumulé des entreprises du secteur des machines à sous. Vu l’importance de ce montant, le préjudice redouté surviendrait très rapidement et, selon toute vraisemblance, bien avant qu’il ne soit statué au fond.

24      À cet égard, force est de constater, d’emblée, que la requérante n’invoque aucun préjudice grave et irréparable qu’elle subirait à titre personnel, en tant qu’association, si le sursis à exécution sollicité n’était pas accordé.

25      Dans la mesure où la requérante dénonce le préjudice grave et irréparable que subiraient « les entreprises du secteur des machines à sous » et « les » exploitants de telles machines, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une entité de droit public telle qu’un État ou une entité territoriale infra-étatique est par nature responsable de la sauvegarde des intérêts économiques, sociaux et culturels considérés comme généraux sur le plan national, régional ou local. Par conséquent, une telle entité de droit public peut, dans le cadre d’une procédure de référé, faire état de préjudices affectant un secteur économique général (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 25 octobre 2010, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, T‑18/10 R II, non publiée au Recueil, point 52, et la jurisprudence citée).

26      Toutefois, en l’espèce, la requérante est une fédération professionnelle de droit civil qui ne saurait être qualifiée d’entité de droit public. Il s’ensuit que la requérante ne peut se prévaloir de la jurisprudence citée au point précédent pour défendre utilement, dans le cadre de la présente procédure de référé, les intérêts généraux économiques du secteur des machines à sous danois tout entier, ni ceux de l’ensemble des entreprises danoises actives dans ce secteur.

27      Dans la mesure où la requérante invoque le préjudice grave et irréparable que subirait le cercle de ses entreprises membres, il y a lieu de souligner que, si elle est autorisée à défendre en justice les intérêts de ses membres, une telle défense ne saurait, en matière de référé, revêtir une forme générale, globale ou forfaitaire. Au contraire, il appartient à la requérante d’indiquer de façon pertinente, au regard de chacun des membres dont elle entend défendre les intérêts, les raisons pour lesquelles la décision attaquée est susceptible de causer à ce membre, à titre personnel et compte tenu des circonstances de fait et de droit qui caractérisent son cas individuel, un préjudice grave et irréparable dans l’hypothèse où aucun sursis à exécution ne serait accordé (voir, en ce sens, ordonnance Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, précitée, point 54, et la jurisprudence citée).

28      Dans ce contexte, il est de jurisprudence que, pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente effectivement un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent, dans l’hypothèse d’une association invoquant les intérêts de ses membres, la situation financière de chaque membre individuel et permettent d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, probablement, de l’absence des mesures provisoires sollicitées. La partie qui demande l’octroi de telles mesures est ainsi tenue de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de ladite situation financière [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, points 32, 57 et 61].

29      En l’espèce, il est évident que, malgré les chiffres présentés en vue d’illustrer l’immensité de l’aide d’État litigieuse, les affirmations de la requérante selon lesquelles « ses membres, du moins une partie significative d’entre eux », risquent de subir un préjudice grave et irréparable en ce qu’il s’agit de « petites et moyennes entreprises avec des capacités financières limitées », dont les capitaux propres s’élèvent à « 3 millions de DKK en moyenne par entreprise », ne sont pas suffisantes pour fournir une image fidèle et globale de la situation financière de chaque membre individuel, telle qu’exigée par la jurisprudence citée au point précédent. Elles ne suffisent notamment pas pour démontrer que, en l’absence du sursis à exécution demandé, la survie financière de chaque membre serait nécessairement mise en péril. Au demeurant, l’élément pertinent à fournir par la requérante aurait été, non la référence aux capitaux propres moyens des entreprises, mais l’indication du chiffre d’affaires de chaque entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient éventuellement (voir ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2007, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑367/07 R, non publiée au Recueil, point 92, et la jurisprudence citée).

30      Il ne reste donc qu’à examiner si la requérante a présenté des éléments concrets et précis de nature à établir l’urgence en ce qui concerne certains de ses membres, pris individuellement.

31      Dans ce contexte, la requérante se réfère aux sociétés JC Sungame ApS, P. Sungame ApS et Sungame ApS qui auraient toutes le même actionnariat (ci-après le « groupe Sungame »). Elle fait valoir que le groupe Sungame réalise son chiffre d’affaires par les recettes tirées des machines à sous qu’il exploite, le PBJ du groupe s’étant élevé à environ [confidentiel] (1) DKK pour la période allant d’octobre 2010 à septembre 2011. Après déduction des prélèvements fiscaux et des rétributions dues aux établissements où les machines sont installées, le chiffre d’affaires net du groupe Sungame se serait élevé, au cours de ladite période, à environ [confidentiel] DKK.

32      La requérante mentionne, en outre, la société JB Service/John Brockstedt (ci-après « JB Service »), une entreprise personnelle, dont le chiffre d’affaires reposerait entièrement sur les machines à sous. Son chiffre d’affaires net se serait élevé en 2010 à [confidentiel] DKK. Ce montant serait le résultat d’un PBJ de l’ordre de [confidentiel] DKK, diminué de prélèvements pour [confidentiel] DKK, la part reversée aux établissements où les machines sont installées représentant environ [confidentiel] DKK.

33      Selon la requérante, le risque de survenance d’un préjudice grave et irréparable est accru par le fait que la mesure projetée va bénéficier à des entreprises qui sont extrêmement compétitives. En effet, les jeux en ligne seraient en plein essor et il faudrait s’attendre à ce que ce développement se poursuive après l’entrée en vigueur de la LTJ. En revanche, le PBJ des machines à sous aurait chuté de 2 390 millions de DKK en 2007 à 2 035 millions en 2009, soit une baisse de 15 %.

34      La requérante estime que l’exécution immédiate de la décision attaquée entraînera très probablement un basculement de parts de marché au profit des cybercasinos et une baisse des chiffres d’affaires du groupe Sungame et de JB Service ainsi qu’un affaiblissement de leurs positions sur le marché. De plus, la survie du groupe Sungame et de JB Service serait menacée, les capitaux propres des trois sociétés membres du groupe Sungame s’étant élevé en septembre 2010, respectivement, à 860 492 DKK, à 451 339 DKK et à [confidentiel] DKK (dont [confidentiel] sous forme de prêt subordonné de ses associés), tandis que JB Service enregistrait, fin 2010, des capitaux propres négatifs à hauteur de [confidentiel] DKK.

35      Enfin, la requérante affirme que, si le groupe Sungame alignait ses taux de redistribution sur ceux pratiqués par les cybercasinos, tout en déduisant les prélèvements fiscaux prévus par la LTJ et en procédant aux reversements aux établissements où les machines sont installées, la conséquence en serait une chute du produit net de [confidentiel] DKK à [confidentiel] DKK. En revanche, le groupe Sungame pourrait faire passer le taux de redistribution de [confidentiel] à environ [confidentiel] %, s’il était soumis au même taux de prélèvement fiscal que les cybercasinos, à savoir au taux de 20 %.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C’est à cette dernière qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure principale, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnance du président du Tribunal du 5 décembre 2008, KODA/Commission, T‑425/08 R, non publiée au Recueil, point 39, et la jurisprudence citée ; voir, également, point 28 ci-dessus). En outre, le préjudice allégué doit être certain ou, à tout le moins, établi avec une probabilité suffisante, étant précisé que la partie qui sollicite la mesure provisoire demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective de ce préjudice. Un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires (voir ordonnance KODA/Commission, précitée, point 40, et la jurisprudence citée).

37      S’agissant en l’occurrence d’un préjudice d’ordre purement financier en ce que la requérante invoque une perte de parts de marché et de clients, il est également de jurisprudence bien établie qu’un tel préjudice ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut, en règle générale, faire l’objet d’une compensation financière ultérieure. Dans un tel cas de figure, la mesure provisoire sollicitée se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, le requérant se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière irrémédiable et importante au regard, notamment, de la taille de son entreprise (voir ordonnance du président du Tribunal du 28 avril 2009, United Phosporus/Commission, T‑95/09 R, non publiée au Recueil, points 33 à 35, 63 et 64, et la jurisprudence citée).

38      En l’espèce, si la requérante a certes produit des chiffres reflétant la situation financière actuelle du groupe Sungame et de JB Service, elle n’a pas établi avec une probabilité suffisante que l’exécution immédiate de la décision attaquée aurait pour conséquence de compromettre leur viabilité financière, de provoquer leur disparition du marché ou de modifier leurs parts de marché de manière irrémédiable et importante avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale.

39      En effet, au lieu de fournir au juge des référés des indications chiffrées et des preuves sérieuses lui permettant de déterminer les conséquences précises que le groupe Sungame et JB Service auraient à subir selon toute probabilité en l’absence du sursis à exécution sollicité, la requérante se borne à avancer de simples suppositions, spéculations et scénarios qui surviendraient en cas de rejet de sa demande en référé.

40      À titre d’exemples, au lieu de démontrer l’imminence probable du préjudice grave que subiraient le groupe Sungame et JB Service, la requérante se limite à prétendre qu’un taux de prélèvement fiscal plus élevé aurait mécaniquement pour conséquence que les entreprises concernées seraient confrontées à des espérances de gains plus faibles pour les joueurs, par rapport à une situation où les taux de prélèvement seraient plus réduits, et que la relative faiblesse des espérances de gains pour les joueurs entraînerait leur désaffection pour les machines à sous en faveur des cybercasinos et que la marge bénéficiaire plus faible affecterait négativement la situation concurrentielle des entreprises concernées.

41      Or, il ressort du dossier que l’entrée en vigueur de la LTJ en date du 1er janvier 2012, si elle introduit une obligation fiscale – trop faible selon la requérante – pour les fournisseurs de jeux de hasard en ligne légaux, laisse essentiellement inchangée la situation d’assujettissement fiscal des membres de la requérante, et notamment celle du groupe Sungame et de JB Service. Par ailleurs, la requérante admet que, avant la légalisation de ces jeux en vertu de la LTJ, les jeux en ligne étaient en plein essor (voir point 33 ci-dessus), étant entendu que les fournisseurs de ces derniers ne s’acquittaient d’aucun impôt. Par conséquent, il paraît peu crédible que le groupe Sungame et JB Service, qui étaient exposés à la concurrence d’entreprises offrant des jeux en ligne que la requérante qualifie elle-même d’« extrêmement compétitives » (voir point 33 ci-dessus), courent le risque de subir un préjudice grave et irréparable du fait que certaines de ces entreprises décident d’abandonner l’illégalité et de se soumettre à une taxe fiscale qu’elles n’avaient auparavant pas versée.

42      Au demeurant, la requérante admet expressément que la décision attaquée n’a qu’une « incidence indirecte sur la situation concurrentielle » du groupe Sungame et de JB Service, du fait que « le préjudice réel ne se produira qu’après le versement de l’aide, en fonction de l’évolution concurrentielle du marché », « une telle évolution ne [pouvant] être qu’éventuelle et ne [pouvant] être déterminée avec certitude, ni même avec une très forte probabilité ». Elle admet, en outre, qu’elle « n’est pas en mesure de déterminer précisément l’importance de la baisse de chiffre d’affaires, ni la perte de parts de marché, qui résulteront de la mise en œuvre de la mesure projetée, car elles seront fonction de la concurrence réelle sur le marché après la mise en œuvre », ajoutant que, « même si, après cette mise en œuvre, les membres de la requérante [seraient] en mesure de quantifier les pertes de chiffre d’affaires et de parts de marché, il ne [serait] pas possible d’établir précisément la part imputable à la mesure d’aide et celle imputable aux nouvelles conditions du marché ».

43      Dans ces circonstances, la requérante ne saurait utilement prétendre que, « même s’il n’est pas possible d’établir précisément l’ampleur de la perte de parts de marché que subiront [le groupe Sungame et JB Service], il est permis d’affirmer que leur position concurrentielle en sera gravement affectée ». En effet, compte tenu du caractère strictement exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires (voir point 16 ci-dessus), le juge des référés ne saurait faire droit à une demande en référé en s’abstenant de vérifier les affirmations relatives à la gravité du préjudice allégué, de telles mesures ne pouvant être accordées que si ces affirmations s’appuient sur des éléments de preuve concluants [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 27 avril 2010, Parlement/U, T‑103/10 P(R), non publiée au Recueil, point 39].

44      Si la requérante invoque dans ce contexte la jurisprudence admettant le caractère irréparable d’un préjudice qui, une fois réalisé, ne pourrait être quantifié (ordonnance du président du Tribunal du 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T‑195/05 R, Rec. p. II‑3485, point 147), il suffit de constater que, ainsi qu’il vient d’être exposé, l’impossibilité de chiffrer le préjudice allégué en l’espèce est, en réalité, une conséquence de son caractère hypothétique et spéculatif, lequel a déjà empêché la requérante de démontrer sa gravité.

45      Il s’ensuit que la requérante n’est pas parvenue à établir que la condition relative à l’imminence d’un préjudice grave et irréparable était remplie, de sorte que le préjudice allégué ne peut justifier l’urgence à ordonner le sursis à exécution demandé.

46      Cette solution est cohérente avec la mise en balance des différents intérêts en présence.

 Sur la mise en balance des intérêts

47      Il est de jurisprudence bien établie que, dans le cadre de la mise en balance des différents intérêts en présence, le juge des référés doit déterminer, notamment, si l’intérêt du requérant à obtenir le sursis à exécution demandé prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte attaqué, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, Rec. p. I‑6887, point 142, et du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 64).

48      En l’espèce, il convient de rappeler que la requérante n’est pas parvenue à établir que les entreprises, dont elle défend les intérêts dans la présente procédure, subiraient un préjudice grave et irréparable en l’absence du sursis à l’exécution de la décision attaquée. Par conséquent, il apparaît prima facie que l’annulation de cette décision à l’issue de la procédure principale permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate, ne serait-ce que par le biais d’un recours indemnitaire introduit par lesdites entreprises à la suite de l’annulation de la décision attaquée. Par ailleurs, la requérante n’a pas démontré qu’il serait impossible d’obtenir une compensation financière ultérieure par la voie d’un recours en indemnité au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE, étant entendu que, selon une jurisprudence bien établie, la seule possibilité de former un tel recours suffit à attester du caractère en principe réparable d’un tel préjudice, et ce malgré l’incertitude liée à l’issue de ce litige indemnitaire [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a. C‑404/01 P(R), Rec. p. I‑10367, points 70 à 75, et du président du Tribunal du 24 avril 2009, Nycomed Danmark/EMEA, T‑52/09 R, non publiée au Recueil, points 72 et 73].

49      En outre, à supposer que l’exécution de la décision attaquée porte préjudice sous certains aspects aux entreprises membres de la requérante, le juge des référés ne saurait reconnaître à ce préjudice – ni grave ni irréparable – un poids prépondérant dans la balance des intérêts, d’autant que la requérante, au lieu d’expliciter son intérêt propre, se limite à indiquer qu’« il est contesté que la Commission (ou le [Royaume de] Danemark) ait des intérêts supérieurs suffisants justifiant le refus d’octroi des mesures provisoires demandées ».

50      S’agissant de l’intérêt poursuivi par l’adoption de la LTJ, le Royaume de Danemark allègue que le législateur danois avait l’intention d’instituer le taux fiscal le plus élevé possible pour maximiser les recettes, tout en incitant les opérateurs internationaux exploitant des jeux de hasard en ligne à proposer, le plus rapidement possible, leurs jeux sur un marché légal, afin que les autorités danoises puissent assurer l’ordre public et procéder aux contrôles nécessaires du secteur en cause. Selon le Royaume de Danemark, si le taux fiscal pour les jeux de hasard en ligne était fixé à un niveau trop élevé, les exploitants de ces jeux continueraient à proposer des jeux illégaux aux consommateurs danois en s’affranchissant de la loi danoise, sans que les autorités danoises ne puissent réellement s’y opposer ou exercer un contrôle quelconque. Par ailleurs, même en cas de sursis à l’exécution de la décision attaquée, les opérateurs exploitant des jeux en ligne continueraient à échapper à l’application de la LTJ et ne s’acquitteraient donc d’aucun impôt.

51      La Commission confirme l’intérêt défendu par le Royaume de Danemark en indiquant que, avant l’approbation de la LTJ par la décision attaquée, les jeux de hasard en ligne étaient proposés illégalement sur le marché danois et exploités sans être soumis au régime danois fiscal. Selon la Commission, il n’y a pas de raison de supposer que, en cas de sursis à l’exécution de la décision attaquée, les consommateurs danois abandonneraient ce type de jeux, de sorte qu’un tel sursis n’aurait pas l’effet recherché par la requérante, en ce qu’il n’empêcherait pas que les jeux en ligne continuent en pratique à être exploités illégalement. Rappelant qu’elle a approuvé les objectifs poursuivis par le législateur danois (voir point 3 ci-dessus), la Commission conclut que les mesures danoises litigieuses sont un moyen proportionné et approprié pour inciter, par une imposition plus faible, les opérateurs étrangers exploitant des jeux de hasard en ligne à se soumettre au nouveau régime fiscal danois.

52      Il s’avère donc que les « protagonistes », auxquels les articles 107 TFUE et 108 TFUE confèrent un rôle crucial dans le processus législatif ou décisionnel en matière de contrôle des aides d’État, à savoir la Commission et l’État membre ayant notifié la mesure d’aide litigieuse, s’accordent pour défendre l’intérêt poursuivi par cette mesure, laquelle a été approuvée par la décision attaquée. Dans ces circonstances, l’intérêt particulier visant à obtenir la suspension de la décision attaquée que poursuit la requérante en l’espèce ne saurait primer sur l’intérêt, diamétralement opposé, consistant à voir exécuter cette décision.

53      En conséquence, il y a lieu de constater que la balance des différents intérêts en présence ne penche pas en faveur de la requérante.

54      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’existence d’un fumus boni juris – notamment sur le point de savoir si la différence de traitement fiscal entre opérateurs de jeux en ligne et opérateurs de jeux hors ligne est effectivement justifiée –, ni sur les questions de recevabilité soulevées par le Royaume de Danemark.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 13 février 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le danois.


1 – Données confidentielles occultées.