Language of document : ECLI:EU:C:1999:467

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TRADUCTION PROVISOIRE DU

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO SAGGIO

présentées le 30 septembre 1999 (1)

Affaire C-98/98

Commissioners of Customs and Excise

contre

Midland Bank plc

(demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice)

«Première et sixième directives TVA - Déduction de la taxe payée en amont - TVA acquittée sur des services d'assistance juridique afférents à la fois à des opérations ouvrant droit à déduction et à des opérations n'ouvrant pas droit à déduction - Imputabilité des services d'assistance juridique aux opérations ouvrant droit à déduction - nécessité d'un lien direct et immédiat»

1.
    Par la présente demande préjudicielle, la High Court of Justice anglaise vous demande de préciser les critères nécessaires à la reconnaissance du droit à déduction de la TVA grevant un service en amont, fourni à un assujetti à titre de conséquence d'une opération ouvrant droit à déduction en aval. Le litige pendant devant la juridiction de renvoi porte, en effet, sur la question de savoir si une banque d'affaires qui effectue à la fois des opérations exonérées et des opérations taxées est en droit de déduire la TVA en amont qu'elle a acquittée pour des services d'assistance juridique dont elle a bénéficié aussi bien pour une opération ouvrant droit à déduction que pour la défense en justice de ses intérêts dans le cadre d'une action en responsabilité civile dirigée contre elle du fait de déclarations mensongères qu'aurait effectuées un de ses dirigeants à l'occasion de ladite opération.

La réglementation communautaire

2.
    L'article 2, deuxième alinéa, de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'«harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (ci-après la «première directive TVA») (2), dispose que «à chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigibledéduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix».

3.
    Les paragraphes 1, 2, sous a), 3, sous c), et 5 de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'«harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme» (ci-après la «sixième directive») (3), prévoient ce qui suit:

«1.    Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2.    Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)    la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l'intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti (4).

(...)

3.    Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visé au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:

(...)

c)    de ses opérations exonérées conformément à l'article 13 B, points a) et d), 1 à 5, lorsque le preneur est établi en dehors de la Communauté ou lorsque ces opérations sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés vers un pays en dehors de la Communauté.

[...]

5.    En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois les opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations».

Par ailleurs, le paragraphe 5 de l'article 17 définit plusieurs méthodes de calcul du «prorata» de la déduction, dont le choix est par conséquent laissé aux États membres.

L'article 13, partie B) sous d), de la sixième directive, auquel renvoit l'article 17, paragraphe 3, sous c), déclare exonérées certaines opérations effectuées à titre habituel par les banques (telles que l'octroi et la négociation de crédits, ainsi que la gestion de crédits, les sûretés et garanties, les opérations portant sur des fonds, des actions, des parts de société et autres titres similaires).

La réglementation nationale

4.
    Le Royaume-Uni a transposé l'article 17, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive par l'application d'un «taux zéro» aux opérations qui y sont prévues, en les considérant en principe comme des opérations théoriquement taxées de telle sorte que le droit à déduction existe, mais en prévoyant dans le même temps qu'aucune taxe n'est perçue en pratique.

Il existe au Royaume-uni diverses méthodes permettant de calculer le montant de la TVA acquittée en amont susceptible d'être déduit dans le cas où l'assujetti utilise des biens ou services pour effectuer à la fois des opérations taxées et des opérations exonérées.

Les faits et les questions préjudicielles

5.
    Le présent renvoi préjudiciel a pour origine un litige opposant les Commissioners of Customs and Excise (Services de contrôle des douaneset des accises; ci-après les «Commissioners») à une banque d'affaires londonienne dénommée Samuel Montagu & Co Ltd (faisant partie du groupe Midland Bank, ci-après la «Midland») qui fournit à la fois des services taxés et des services exonérés. Le litige porte sur la déductibilité de la TVA acquittée sur des services rendus à cette société par un cabinet d'avocats anglais (ci-après «Clifford Chance»).

En effet, le cabinet Clifford Chance avait exercé en faveur de la Midland des activités de consultation juridique afférentes à une opération d'acquisition d'une société cotée en bourse dénommée Mercantile House Holding (ci-après «Mercantile»), opération que la Midland s'était engagée à réaliser pour le compte de la société Quadrex Holdings Inc. (ci-après «Quadrex») dont le siège social se trouve dans l'État du Delaware, aux États-Unis.

La société British and Commonwealth Holding plc (ci-après «B & C») était elle aussi intéressée par l'opération en question. En août 1987, les sociétés B & C et Quadrex ont conclu entre elles un accord aux termes duquel B & C devait acheter la société Mercantile, puis en revendre à Quadrex la «Division des grosses opérations de courtage» («Wholesale Broking Division»).

L'accord n'a cependant pas abouti au résultat escompté puisque Quadrex n'a pas pu racheter à B & C la division précitée, faute de liquidités suffisantes. Celle-ci a donc assigné Quadrex en justice, pourinexécution contractuelle, au début de l'année 1988. De son côté, Quadrex a appelé en garantie la Midland. Puis B & C a intenté, en mars 1988, une action en dommages et intérêts contre la Midland en raison de déclarations mensongères qui auraient été faites à B & C par son directeur à propos des capacités financières de Quadrex. Pour se défendre en justice, la Midland s'est à nouveau adressée au cabinet d'avocats Clifford Chance. Le litige s'est clos par une transaction intervenue entre les parties concernées à la fin de l'année 1994.

Pour ses prestations de défense en justice, le cabinet Clifford Chance a facturé des honoraires de 1988 à 1995(5).

6.
    Les Commissioners ont estimé que les services litigieux d'assistance juridique, fournis à la Midland entre 1987 et 1995, n'étaient constitués que pour partie de prestations ouvrant droit à déduction de la TVA, avec pour conséquence qu'il n'était pas possible de déduire l'intégralité de la taxe en amont acquittée sur ces services ; la taxe devait faire l'objet d'une ventilation entre les opérations taxées et les opérations exonérées et la Midland n'était en droit de déduire que la part de la taxe afférente aux opérations taxées.

La Midland a contesté cette décision des Commissioners devant le «Value Added Tax and Duties Tribunal», faisant valoir que l'ensembledes services d'assistance juridique, y compris ceux ayant trait à sa défense devant les juridictions, étaient imputables à la prestation taxée fournie par la Midland à Quadrex (assistance à la réalisation de l'opération financière précitée d'acquisition d'une branche d'activité par Quadrex).

Par décision du 15 mai 1996, la juridiction précitée a accueilli le recours, jugeant intégralement déductible la taxe en amont acquittée sur les sommes versées au cabinet Clifford Chance en contrepartie de ses services d'assistance juridique.

Les Commissioners se sont pourvus en appel contre cette décision devant la High Court of Justice, Queen's Bench Division, faisant valoir que même si les services d'assistance juridique avaient été fournis à la Midland en sa qualité d'assujettie, ils étaient en grande partie liés à la défense de ses intérêts face aux actions en réparation introduites contre elle du fait d'actes susceptibles de lui être imputés, accomplis en même temps que la prestation fournie à Quadrex [cette dernière prestation fait partie des opérations ouvrant droit à déduction de la TVA puisqu'il s'agit, selon la réglementation britannique, d'une opération assortie d'une taxe «au taux zéro», c'est à dire par conséquent d'un service théoriquement taxé, et ce service relève de l'article 17, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive, précité, dès lors que la Midland a fourniun service à une société, Quadrex, qui a son siège statutaire en dehors de la Communauté européenne] (6).

En définitive, les Commissioners persistent à affirmer qu'ici, puisque la défenderesse a fourni à la fois des services taxés et des services exonérés à un assujetti qui effectue aussi bien des opérations exonérées que des opérations taxées, la taxe en amont doit être fractionnée, et que seule la part de cette taxe afférente aux prestations taxées peut être déduite, par application de ce que prévoit l'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive.

7.
    C'est dans ces conditions que la High Court a décidé de saisir, par voie préjudicielle, la Cour de justice des questions suivantes:

«Selon l'exacte interprétation de la directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en particulier de son article 2, et de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en particulier de son article 17, paragraphes 2, 3 et 5, et au vu des faits de la présente affaire:

1)    Est-il nécessaire d'établir un lien direct et immédiat entre une opération en amont particulière, concernant des biens ou services pouvant être acquis par un assujetti agissant en tant que tel, et une ou plusieurs opérations particulières, effectuées par ce dernier, pour:

a)    établir l'existence d'un droit à déduction de la taxe perçue sur l'opération en amont; et

b)    déterminer l'étendue de ce droit?

2)    Si la réponse à la question 1), sous a) ou sous b), est affirmative, quelle est la nature du lien direct et immédiat? En particulier, lorsqu'il s'agit d'un assujetti qui effectue à la fois des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'y ouvrant pas droit:

a)    le critère à appliquer pour déterminer le montant des taxes payées en amont qui est déductible, diffère-t-il selon qu'il s'agit de l'article 17, paragraphe 2, 3 ou 5 (et, dans ce cas, en quoi diffère-t-il?); et

b)    un tel assujetti est-il autorisé à déduire la totalité des taxes ayant grevé une opération en amont au motif qu'il a utilisé les biens ou services en amont en raison de l'accomplissement d'une opération relevant de l'article 17, paragraphe 2 ou paragraphe 3, et en particulier de l'article 17, paragraphe 3, sous c)?

3)    Si la réponse à la question 1, sous a) ou sous b), est négative:

a)    quel est le lien à établir? et

b)    lorsqu'il s'agit d'un assujetti qui effectue à la fois des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'y ouvrant pas droit:

    i)    le critère à appliquer pour déterminer le montant des taxes payées en amont qui est déductible diffère-t-il selon qu'il s'agit de l'article 17, paragraphe 2, 3 ou 5 (et, dans ce cas, en quoi diffère-t-il? et

    ii)    un tel assujetti est-il autorisé à déduire la totalité des taxes ayant grevé une opération en amont au motif qu'il a utilisé les biens ou services en amont en raison de l'accomplissement d'une opération relevant de l'article 17, paragraphe 3, sous c)?»

Les arguments des parties intervenues

8.
    Les parties sont d'accord pour affirmer que le droit à déduction existe à condition qu'il y ait un lien direct et immédiat entre les opérations en amont et les opérations en aval, conformément à ce qu'a jugé la Cour de justice dans l'arrêt BLP du 6 avril 1995 (7).

9.
    La Midland fait observer que l'on pourrait trouver un autre critère de déductibilité au sens des directives successives dans l'article 2,deuxième alinéa, de la première directive qui précise que seul est déductible le montant de la «taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement les coûts des divers éléments constitutifs du prix» de l'opération.

La Midland estime que constituent des éléments du coût toutes les charges que l'opérateur doit supporter en raison de la fourniture de la prestation (qui peut avoir déjà eu lieu ou être en cours, ou les deux). Ainsi, conformément au sens économique général que revêt la notion de «chiffre d'affaires», si, dans le cadre de la fourniture d'une prestation surgit un litige qui impose de faire face à des frais juridiques, il est justifié de considérer ces frais comme un élément du coût de la prestation.

10.
    Le gouvernement anglais ne conteste pas le droit pour la Midland de déduire la TVA, mais uniquement la proportion déductible de la taxe. Ce gouvernement affirme, en effet, que, dans le cas d'espèce, les services d'assistance juridique fournis par le cabinet Clifford Chance à la Midland se rattachent aux activités générales de cette société et que, puisque ces activités se composent à la fois d'opérations ouvrant droit à déduction et d'opérations n'y ouvrant pas droit, l'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive ne permet de déduire que partiellement la TVA acquittée en amont, et plus précisément de la déduire uniquement dans la mesure où la prestation professionnelle se rapporte à des activités ouvrant droit à déduction. Le gouvernementanglais exclut que ces services d'assistance juridique puissent être considérés, conformément à l'article 2 de la première directive, comme un élément constitutif du coût de l'opération financière réalisée par la Midland ou comme un élément constitutif d'une opération ou d'une catégorie générale d'opérations taxées.

11.
    La Commission, tout comme la Midland, soutient que l'existence du lien immédiat et direct entre l'activité de la société et le service professionnel, lien qui constitue la condition pour qu'il y ait droit à déduction de la TVA, ne dépend pas du point de savoir si l'opération an aval a déjà été effectuée ou doit l'être à une date ultérieure. L'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive prévoit en effet que ce droit prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible, et non pas au moment où la taxe en aval est due. Selon la Commission, cette lecture de la réglementation se trouve confirmée par l'arrêt Ghent Coal Terminal rendu par votre Cour en 1998 (8).

12.
    A propos de la deuxième question du juge anglais qui vise à définir la nature du «lien immédiat et direct» dont nous venons de parler, la Midland comme la Commission soutiennent, principalement, que c'est au juge national qu'il appartient d'en vérifier l'existence, au cas par cas. Ces deux parties estiment en tout cas qu'il y existe bien, en l'occurrence, un lien direct et immédiat entre les services d'assistancejuridique obtenus du cabinet Clifford Chance et l'opération financière effectuée par la Midland et que, dans ces conditions, les taxes afférentes aux honoraires du cabinet d'avocats sont déductibles en totalité.

La Midland fait observer que, pour définir les critères et méthodes permettant d'apprécier s'il existe un lien direct et immédiat, il faut partir de ce qui, dans la jurisprudence de la Cour, a été considéré comme ayant une incidence sur la reconnaissance du lien en question. Selon les énonciations des arrêts Rompelman, rendu en 1985 (9), et BLP (10) précité, peu importent, dans cette optique, les objectifs ou résultats de l'opération en aval et le but ultime poursuivi par l'assujetti. Selon cette jurisprudence, le critère pertinent a par conséquent une nature objective. En revanche, constituerait un facteur important pour la reconnaissance du lien immédiat et direct la nature des biens qu'un assujetti a acquis pour les besoins de ses activités, ainsi que la Cour l'a affirmé dans l'arrêt Enkler, rendu en 1996 (11). En résumé, la Midland estime que le lien en question existe chaque fois que l'on constate un rapport objectif entre l'opération en amont et l'opération en aval tel que la première peut être considérée comme faisant partie du coût que supporte l'opérateur pour réaliser la seconde, ou comme un acte préparatoire ou encore une conséquence de celle-ci.

La Midland énumère, pour finir, une série de circonstances tenant au cas d'espèce qui démontreraient l'existence d'un lien direct et immédiat entre les opérations litigieuses. Au nombre de ces circonstances figurerait par exemple le fait que les déclarations du directeur de la Midland, qui sont à l'origine de l'action en réparation, ont été effectuées dans le cadre d'activités professionnelles exercées par cette société et exclusivement en relation avec l'opération financière en cause; la Midland mentionne également le fait que Quadrex avait donné mandat au directeur de la Midland pour négocier avec B & C le rachat de la société Mercantile et le fait que ces négociations se sont concentrées, en particulier, sur la vérification des capacités financières de Quadrex (d'où l'importance des déclarations effectuées à ce propos par le directeur). Enfin, les déclarations en question auraient conduit à la conclusion du contrat entre Quadrex et B & C. La Midland en conclut que les services d'assistance juridique fournis par Clifford Chance se rattachent étroitement à l'opération financière en question.

13.
    La Commission fournit, pour sa part, quelques exemples concrets destinés à illustrer les hypothèses dans lesquelles on peut constater l'existence du lien direct et immédiat précité. Elle cite le cas d'un assujetti effectuant des livraisons «mixtes» de biens qui se voit assigné en justice pour inexécution contractuelle (en raison de vices des marchandises) au titre de la livraison d'un bien taxé et qui doit, de ce fait, verser des honoraires pour sa défense. La Commission estime que, dans ce cas, il existe un lien direct et immédiat entre les servicesd'assistance juridique obtenus et la livraison du bien taxé, mais que ce lien n'existe pas, en revanche, entre ces mêmes services et l'activité générale de l'entreprise considérée dans son ensemble; ce qui a pour conséquence que l'assujetti est en droit de déduire intégralement la TVA acquittée sur les honoraires, conformément à l'article 17, paragraphe 2. Si, au contraire, un fabricant exerçant une activité qui comporte à la fois des livraisons de biens taxées et des livraisons exonérées rémunère un comptable chargé d'établir les comptes annuels de la société, il n'y a pas de lien direct et immédiat entre le travail du comptable et une livraison de biens déterminée. Dans ce cas, le lien immédiat et direct n'existera qu'avec l'activité de l'entreprise dans son ensemble, ce qui a pour conséquence que, puisque l'activité de l'entreprise comporte à la fois des livraisons taxées et des livraisons exonérées, la TVA est déductible «au prorata», conformément à l'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive.

La Commission considère, enfin, comme trop réductrice l'interprétation proposée par le juge national dans le cadre de la deuxième question, selon laquelle le «lien direct et immédiat» existerait lorsque les biens ou services en amont ont été fournis en raison de l'accomplissement d'une opération relevant de l'article 17, paragraphes 2 et 3, de la sixième directive. La Commission est d'avis que le principe du lien direct et immédiat recouvre ce cas de figure.

14.
    Le gouvernement anglais soutient, au contraire, qu'il n'existe pas, dans le cas d'espèce, de «lien direct et immédiat» entre l'opération financière et l'activité de défense en justice déployée par Clifford Chance.

En effet, on ne pourrait pas considérer l'action en responsabilité intentée par B & C contre la Midland comme faisant partie de l'opération taxée, faute de connexion quelconque avec celle-ci; il s'agirait, selon le gouvernement anglais, d'un rapport purement casuel. Au surplus, l'action en justice précitée ne concernerait pas exclusivement l'opération financière ouvrant droit à déduction et aurait, en tout état de cause, été introduite par B & C, qui a la qualité de tiers par rapport à la prestation que la Midland a fourni à Quadrex.

15.
    Toutes les parties intervenantes sont d'accord, cependant, pour considérer que c'est en vertu d'un critère unique que doivent s'interpréter les dispositions des paragraphes 2, 3 et 5 de l'article 17 de la sixième directive (le gouvernement anglais souligne toutefois que les critères pourraient différer en fonction de la méthode utilisée par les États membres pour calculer le «prorata» au sens de l'article 17, paragraphe 5), et pour conclure qu'il n'y a pas lieu d'examiner la troisième question de la juridiction anglaise, compte tenu des réponses qu'elles suggèrent d'apporter respectivement aux deux premières questions.

Observations préliminaires

16.
    Ainsi qu'il ressort de ce qui vient d'être exposé, l'analyse du mécanisme des déductions autorisées dans le système de la TVA se trouve au coeur du problème soulevé par le juge a quo. Le principe de la déduction de la taxe en amont est un élément fondamental du système commun de la TVA: en effet, à chaque phase du circuit de production et de commercialisation, l'assujetti verse au fisc la taxe due sur les ventes après déduction de la taxe acquittée au cours de la phase précédente par ses fournisseurs. Si l'on se souvient que le mécanisme des déductions fonctionne de cette façon, on comprend pourquoi l'article 2 de la première directive définit la taxe sur la valeur ajoutée comme «un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition».

Le régime des déductions «vise à soulager entièrement l'entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques» (12). Il «garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA» (13).

17.
    Le droit à déduction prend naissance, par conséquent, lorsque l'opération en amont est liée à une opération taxée en aval. Cela résulte, notamment, de l'article 17, paragraphe 2, précité de la sixième directive qui prévoit que la TVA ne peut être déduite que «dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins d'(...) opérations taxées». Si cette condition générale est remplie, la TVA acquittée en amont doit être déduite en totalité.

18.
    Le législateur communautaire a cependant prévu certains cas dans lesquels la règle générale ne peut trouver application. Il est possible de les regrouper de la manière suivante:

-    les cas dans lesquels un assujetti fournit des biens ou services à un autre assujetti qui les utilise pour effectuer une opération exonérée (voir l'article 13 de la sixième directive); dans ce cas, ce dernier n'est pas en droit de déduire la TVA acquittée en amont, puisque l'assujetti, à défaut de transmission de la TVA à des tiers, apparaît comme étant le consommateur final (14) (et ce même si le but ultime de l'opération exonérée est la réalisation d'une opération taxée). Cette règle connaît cependant des exceptions, telles que le cas prévu à l'article précité 17,paragraphe 3, sous c), de la sixième directive où l'on revient au principe général de la déduction intégrale de la TVA;

-    les cas dans lesquels les biens ou services sont utilisés par un assujetti à la fois pour des opérations ouvrant droit à déduction et pour des opérations qui n'y ouvrant pas droit (telles que les opérations exonérées) (15) (article 17, paragraphe 5, de la sixième directive); dans ces cas, la déduction n'est admise que pour la part de la TVA afférente à la première catégorie d'opérations;

-    le cas des dépenses qui, même si elles sont effectuées dans le cadre du fonctionnement normal de l'entreprise, sont destinées à satisfaire des besoins privés (voir l'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive); pour ces dépenses, la déduction n'est pas autorisée.

19.
    Ainsi l'affaire pendante devant la juridiction nationale intéresse-t-elle essentiellement les questions suivantes:

a)    la prestation de services fournie par Clifford Chance pour assurer la défense en justice de la Midland (prestation sur laquelle cette dernière a acquitté la TVA) peut-elle êtredirectement liée à l'opération effectuée par cette société pour le compte de Quadrex et, par voie de conséquence, ouvrir droit à la déduction intégrale de la TVA (conformément à l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive)? Il faut en effet rappeler que, pour une opération de ce type, même si elle relève des opérations visées à l'article 13, partie B, sous d), de la sixième directive, les États membres peuvent accorder le droit à déduction de la TVA (le Royaume-Uni a appliqué un «taux zéro» aux opérations précitées);

b)    et, lorsqu'il n'est pas possible de constater l'existence d'un tel lien, la prestation litigieuse relève-t-elle des activités (professionnelles) générales de la Midland ou des prestations à finalité mixte (c'est-à-dire celles qui sont utilisées à la fois pour des opérations ouvrant droit à déduction et pour des opérations n'y ouvrant pas droit)? Dans ce cas, la déduction devra être opérée conformément aux article 17, paragraphe 5, précité, et 19 de la sixième directive (et en application du système adopté par le Royaume-Uni (16)), ou dans les proportions définies par voie d'accord entre la Midland et les Commissioners. On rappelle, eneffet, que la Midland est une société qui effectue en principe à la fois des opérations taxées et des opérations exonérées.

20.
    L'hypothèse envisagée au point a) est soutenue par la Midland et de la Commission, tandis que celle qui est visée au point b) reçoit l'appui du Royaume-Uni. En effet, comme on l'a vu, ce gouvernement ne conteste pas le droit pour la Midland d'obtenir une déduction de la TVA acquittée sur les honoraires d'avocats, mais uniquement le montant susceptible d'être déduit (c'est-à-dire la déductibilité intégrale de la TVA acquittée sur les honoraires de Clifford Chance).

21.
    La question du «lien direct et immédiat» se pose donc principalement dans la situation envisagée point a) et, seulement de façon indirecte, dans le cadre du point b) (17).

Sur le fond

Sur la première question

22.
    Cela étant exposé, passons à l'analyse de la première question. La juridiction anglaise vous demande, par cette question, d'indiquer si,pour que la TVA puisse être intégralement déduite dans une situation telle que celle dans laquelle se trouve la Midland (c'est-à-dire d'une entreprise qui effectue à la fois des opérations taxées et des opérations exonérées), il faut qu'il existe un «lien direct et immédiat» entre l'opération en amont (les services d'assistance juridique fournis par Clifford Chance à la Midland pour la défense de ses intérêts devant les juridictions) et l'opération en aval (c'est-à-dire l'acquisition de la société Mercantile).

23.
    Il faut souligner que l'expression «lien direct et immédiat» ne figure pas dans la réglementation communautaire, mais résulte d'une construction jurisprudentielle. Il y a donc lieu de préciser à titre préliminaire dans quel contexte de fait et de droit la Cour a utilisé cette expression.

Ce contexte est celui de l'arrêt BLP, précité à plusieurs reprises, dans lequel la Cour était appelée à se prononcer sur la déductibilité de la TVA acquittée sur certains services (de consultation financière et juridiques) fournis à une société et utilisés par celle-ci pour réaliser une opération exonérée. Dans cette hypothèse, la juridiction nationale avait demandé à la Cour si la société BLP pouvait déduire intégralement la taxe payée en amont, étant donné que la réalisation de l'opération exonérée visait et aboutissait à compenser intégralement une opération taxée et, plus précisément, à apurer les dettes de la société.

La Cour a répondu par la négative et jugé que, pour ouvrir le droit à déduction prévu par l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, «les services en cause doivent présenter un lien direct et immédiat avec les opérations taxées et (...) à cet égard, le but ultime poursuivi par l'assujetti est indifférent» (18).

La Cour a estimé que cette interprétation trouvait confirmation d'une part dans l'article 2, paragraphe 2, de la première directive qui prévoit que, pour être déductible, la taxe acquittée en amont doit avoir «grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix d'une opération taxée», et d'autre part dans l'article 17, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive (19).

24.
    Il est vrai que, comme le fait observer la Commission, le contexte de l'arrêt BLP diffère de celui du présent cas, puisque ce qui est ici contesté, ce n'est pas le droit pour la Midland d'obtenir la déduction de la TVA, mais uniquement le montant de la déduction susceptible d'être pratiquée. Cependant, même dans cette perspective différente, il est indispensable de déterminer s'il existe un «lien direct et immédiat» entre l'opération en amont et l'opération en aval, puisque c'est de cetélément que dépend en tout état de cause la déductibilité même partielle de la TVA.

A ce propos, il faut tout d'abord préciser que l'intensité de ce lien peut être différente selon la qualité de l'assujetti et la nature des opérations effectuées en aval, et que ces variables peuvent aussi avoir une incidence sur la charge de la preuve de l'existence du lien qui incombe à l'opérateur intéressé par la déduction.(20). Ainsi, selon la jurisprudence (voir l'arrêt Enkler, précité), lorsqu'un assujetti exerce des activités économiques visant à ne réaliser que des opérations taxées, il n'a pas besoin, pour pouvoir déduire intégralement la taxe, d'établir, pour chaque opération en amont, l'existence d'un lien direct et immédiat avec une opération spécifique taxée. En effet, le législateur communautaire exige seulement que les biens et services soient utilisés ou susceptibles de l'être «pour les besoins d'opérations taxées» (article 17, paragraphes 2 et 3, de la sixième directive). L'emploi des termes «besoins» et «opérations» au pluriel montre que, dans certains cas, il n'est pasnécessaire qu'il existe un lien avec une opération spécifique taxée, mais qu'il suffit d'un lien avec l'activité de la société.

Cette interprétation est cohérente avec les principes sur lesquels repose le régime général des déductions et en particulier avec le principe de la «parfaite neutralité de la charge fiscale pour toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou résultats de ces activités, à condition [toutefois] qu'elles soient elles mêmes soumises à la TVA» (21). Elle est en outre conforme à la finalité du mécanisme de déduction de la TVA, qui doit être appliqué, selon la Cour, «de manière telle que son champ d'application corresponde, dans la mesure du possible, à la sphère des activités professionnelles du contribuable» (22).

25.
    En revanche, ce lien direct et immédiat revêt une importance particulière, ainsi que l'observe le Royaume-Uni, lorsqu'on veut appliquer le principe général de la déductibilité intégrale de la TVA à des situations telles que celle décrite par la juridiction de renvoi, où l'assujetti effectue des opérations taxées et/ou exonérées et/ou bénéficie de biens ou de services pouvant être utilisés à la fois pour des opérations exonérées et pour des opérations taxées. Dans ces cas de figure, en effet, à défaut de lien immédiat et direct entre les biens ou les services et l'opération taxée, le droit à déduction est limité parl'application d'un «prorata» ou est refusé lorsque l'opération en aval est une opération exonérée.

26.
    Nous suggérons donc de répondre par l'affirmative à la première question, et plus précisément en ce sens que, dans une situation telle que celle qui est ici décrite, l'ouverture d'un droit à déduction intégrale de la TVA suppose que soit démontrée l'existence d'un «lien direct et immédiat» entre un élément particulier soumis à la taxe, dont peut disposer un assujetti agissant en tant que tel, et une opération particulière ou des opérations particulières taxées, réalisées par cette personne. Si un tel lien est établi, l'assujetti sera en droit de déduire intégralement la TVA acquittée sur l'opération en amont.

Sur la deuxième question

27.
    Par sa deuxième question, la juridiction anglaise demande quelle est la nature du «lien direct et immédiat» mentionné plus haut, et en particulier si une personne (dans notre cas la Midland), qui effectue des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'y ouvrant pas droit, peut déduire l'intégralité des taxes acquittées en amont (en l'occurrence, les taxes acquittées sur les honoraires du cabinet d'avocats Clifford Chance) qui grèvent un élément soumis à la taxe (la prestation fournie par ce cabinet au titre d'activités de défense en justice) au motif que cet élément est utilisé en tant que conséquence d'une opération relevant de l'article 17, paragraphes 2 et 3, sous c)).

28.
    La réponse à cette question n'est pas aisée car il n'est pas simple de définir un paramètre abstrait qui permette de déterminer, au cas par cas, s'il existe entre des opérations le lien direct et immédiat mentionné plus haut.

Nous ne pensons pas que la réponse à cette question puisse, en tout cas, se ramener à la répétition du principe selon lequel le lien doit être direct et immédiat; cela équivaudrait en effet à laisser à la juridiction nationale non seulement le soin de vérifier in concreto l'existence de ce lien (ce qui relève certainement de sa compétence), mais également la charge de définir les critères selon lesquels elle doit procéder à cette vérification.

C'est précisément pour tenir compte de cette nécessité que la juridiction nationale a demandé ici à la Cour non pas de lui fournir une définition pure et simple mais de lui donner des indications sur la nature du lien litigieux. Ces indications lui permettront de déterminer l'attitude à adopter face à un assujetti qui, comme en l'espèce, prétend déduire intégralement la TVA acquittée des services d'assistance juridique qu'il a utilisés à la fois pour réaliser une opération ouvrant droit à déduction et pour se défendre en justice dans le cadre d'un litige survenu à la suite de cette opération.

29.
    Les parties ne semblent pas défendre des points de vue très éloignés sur cette question même si elles aboutissent, dans le cas d'espèce, à des conclusions opposées, comme nous l'avons vu.

    Le sens de l'expression, de création prétorienne, «lien direct et immédiat» doit être recherché à la fois dans les termes qui la composent et dans les principes énoncés par la Cour au sujet des modes de fonctionnement de la déduction de la TVA.

Du point de vue littéral, rappelons tout d'abord que l'expression «lien direct et immédiat» (23) a été choisie par la Cour, dans l'arrêt maintes fois précité BLP, comme offrant une clef de lecture des termes utilisés à l'article 17 de la sixième directive (24). L'emploi des deux adjectifs «direct» et «immédiat» ne peut qu'évoquer un rapport particulièrement étroit entre les opérations taxées (en l'espèce, l'opération financière) effectuées par un assujetti (ici, la Midland) et les biens ou servicesfournis ou rendus par un autre assujetti (en l'occurrence, le cabinet d'avocats Clifford Chance).

En particulier, l'adjectif «direct» conduit à exclure l'existence d'un lien décisif entre deux opérations lorsque s'y insère une troisième qui vient interrompre la série causale, ou lorsque le rapport entre les deux opérations est très dilué dans le temps. L'exemple que le Royaume-Uni a cité à l'audience nous semble approprié: A fournit un bien à B, lors de la livraison à B, un employé de A fait tomber le bien en question sur le pied d'un passant C et le blesse. Ce dernier assigne A en justice. On peut se demander à cet égard si les frais de justice exposés par A pour se défendre contre C peuvent représenter un élément constitutif du coût de la prestation de B, ou s'il existe un autre lien avec cette prestation. Nous sommes d'avis, comme le Royaume-Uni, que, dans cette hypothèse, le rapport est trop éloigné pour être considéré comme direct.

Quant à l'adjectif «immédiat», il dénote une continuité temporelle particulière entre les deux opérations. Cela ne signifie pas toutefois, comme l'a fait observer à juste titre le défenseur de la Midland, que la taxe sur l'opération en amont doit devenir exigible avant que l'opérationen aval ne soit réalisée (25); il suffit qu'il ne s'écoule pas entre les deux opérations un laps de temps particulièrement long.

30.
    Selon votre jurisprudence, la reconnaissance de ce «lien direct et immédiat», qui incombe in concreto à la juridiction nationale, devra s'effectuer sur la base d'un critère objectif (26), sans qu'il y ait lieu, par conséquent, de tenir compte du but ultime et des résultats des activités économiques de l'assujetti qui entend déduire la TVA, à condition toutefois, bien entendu, que ces activités soient elles mêmes soumises à la TVA (27).

Prenons encore un exemple concret. La société A, qui fournit des services à la fois pour des opérations ouvrant droit à déduction ou pour des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, sera autorisée à déduire intégralement la TVA acquittée sur les services qu'elle a reçus à son tour d'une société B, s'il est établi que ces derniers se rattachent objectivement à des opérations ouvrant droit à déduction. A cet effet, il suffit qu'il soit démontré que les services reçus de la société B peuventêtre utilisés pour réaliser une opération ouvrant droit à déduction ou pour préparer une telle opération (28) ou encore qu'ils sont susceptibles de l'être (29). Ce lien n'est en effet pas exclu dans l'hypothèse où les services ne sont, en réalité, pas utilisés pour une opération ouvrant droit à déduction du fait de circonstances étrangères à la volonté de la société A, pour autant qu'il ne s'agisse pas de situations frauduleuses ou abusives, telle celle où la société A feindrait de vouloir exercer une activité économique spécifique (30).

Cette approche garantit non seulement «la parfaite neutralité de la charge fiscale pour toutes les activités économiques» (31), mais aussi le respect du principe de la sécurité juridique. En effet, ce principe «s'oppose à ce que les droits et obligations des assujettis dépendent de faits, de circonstances ou d'événements qui se sont produits postérieurement à leur constatation par l'administration fiscale» (32).

Une telle interprétation a pour corollaire qu'il faut exclure l'existence du lien et, par conséquent, la possibilité de déduire la TVA dans son intégralité, lorsque, au moment où un assujetti B fournit un bien ou un service à un assujetti A, la réalisation de l'opération en aval taxée apparaît objectivement impossible.

31.
    Cela étant dit, nous estimons que, dans une situation du type de celle envisagée par le juge a quo, le «lien direct et immédiat» entre, d'une part, une opération taxée et, d'autre part, la fourniture de biens ou services déterminés, existe chaque fois qu'il ressort d'un examen objectif (auquel il appartient à la juridiction nationale de procéder) que ces biens ou services sont utilisés par l'assujetti pour réaliser une ou plusieurs opérations taxées. En particulier, conformément à l'article 2, deuxième alinéa, de la première directive, ce lien existe s'il apparaît que le montant de la taxe acquittée pour la fourniture d'un bien ou la prestation d'un service a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix de l'opération taxée. En revanche, pour que puisse être intégralement déduite la TVA acquittée par un assujetti (comme la Midland) pour la fourniture d'un service (comme la défense d'intérêts en justice), le simple fait que ce service soit fourni en tant que conséquence d'une opération ouvrant droit à déduction est insuffisant. Il faut aussi que le lien se caractérise par des critères objectifs: cela signifie qu'il correspond, en règle générale, au rapport normal existant entre les deux prestations, en ce sens que la seconde suit la premièrenon pas de façon mécanique, mais selon l'ordre normal et régulier de la série causale.

32.
    Nous suggérons donc à la Cour de répondre par la négative à la question posée au point 2, sous b), c'est-à-dire en ce sens que, pour ouvrir droit à la déduction intégrale de la TVA acquittée pour un service par un assujetti effectuant des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'y ouvrant pas droit, il ne suffit pas que ce service soit fourni à titre de conséquence d'une opération ouvrant droit à déduction.

33.
    Enfin, pour ce qui est de la question du point 2, sous a), par laquelle la juridiction nationale demande si le critère permettant de déterminer le montant déductible de la taxe en amont diffère dans les paragraphes 2, 3 ou 5 de l'article 17 de la sixième directive, la réponse dépend de la méthode retenue par l'État membre en cause pour calculer la quote-part de la taxe déductible, conformément au paragraphe 5 de l'article 17. Dans le cas du Royaume-Uni, ainsi qu'il ressort des mémoires en défense qu'il a présentés, la méthode retenue correspond à celle des paragraphes 2 et 3 de cet article. Dans cette hypothèse, par conséquent, le critère à adopter sera uniforme.

Sur la troisième question

34.
    Compte tenu des réponses apportées aux questions précédentes, la troisième question n'a plus d'objet. Nous n'y répondrons donc qu'à titre subsidiaire.

Si la Cour devait estimer que, dans une situation telle que celle envisagée par la juridiction nationale, il n'est pas nécessaire qu'il existe un lien direct et immédiat entre un élément particulier taxé dont peut disposer un assujetti agissant en tant que tel, et une opération particulière ou des opérations particulières réalisées par cet assujetti, nous suggérons que soit choisi un critère qui puisse en tout cas garantir l'application du mécanisme des déductions, conformément aux principes jurisprudentiels précédemment rappelés.

Sur le point 3, sous b), nous renvoyons à ce qui a été dit en réponse à la deuxième question.

Conclusion

35.
    Pour les motifs développés plus haut, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions de la High Court of Justice:

«1)    L'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive doit se comprendre en ce sens que pour décider si la TVA estintégralement déductible, dans une situation telle que celle soumise au juge de renvoi, il est nécessaire de vérifier s'il existe un lien direct et immédiat entre un élément particulier taxé, dont peut disposer un assujetti agissant en tant que tel, et une opération ou des opérations particulières en aval taxées, réalisées par ce même assujetti. Si l'existence d'un tel lien est établie, l'assujetti sera en droit de déduire intégralement la TVA acquittée sur l'opération en amont.

2)    L'article 17, paragraphes 2 et 3, de la sixième directive doit se comprendre en ce sens que, pour ouvrir droit à la déduction intégrale de la TVA acquittée pour un service par un assujetti effectuant à la fois des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'y ouvrant pas droit, il ne suffit pas que ce service ait été utilisé également à titre de conséquence d'une opération relevant de l'article 17, paragraphe 2, ou de l'article 17, paragraphe 3, et en particulier de l'article 17, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive.

    Le droit à déduction de la TVA existe, en revanche, chaque fois qu'il ressort d'un examen objectif - qui incombe à la juridiction nationale - qu'un service est utilisé par l'assujetti, selon l'ordre normal et régulier de la série causale, pour réaliser une ou plusieurs opérations taxées relevant des articles précités. En particulier, ce droit existe, conformément à l'article 2, deuxièmealinéa, de la sixième directive, s'il apparaît que le montant de la taxe acquittée pour la fourniture d'un service a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix de l'opération taxée.

    Pour apprécier si le critère qui permet de déterminer le montant déductible de la taxe en amont diffère dans les paragraphes 2, 3 et 5 de l'article 17 de la sixième directive, il faut tout d'abord rechercher quelle est la méthode qui a été adoptée par l'État membre concerné pour calculer le «prorata» de la TVA au sens de l'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive.


1: Langue originale: l'italien.


2: -     JO L 1967, n° 71, p. 1301.


3: -     JO L 145, p. 1.


4: -     Ainsi que modifié par l'article 1er, point 22 (voir article 28 septies) de la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991 (JO L 376, p. 1).


5: -     La Midland a versé aux débats les factures reçues de Clifford Chance durant cette période.


6: -     Cet aspect n'a jamais été contesté.


7: -     Affaire C-4/94 (Rec. p. I-983, point 19).


8: -     Arrêt du 15 janvier 1998, Ghent Coal Terminal (C-37/95, Rec. p. I-1).


9: -     Arrêt du 14 février 1985, Rompelman, 268/83 (Rec. p. 655, point 19).


10: -     Voir point 24.


11: -     Arrêt du 26 septembre 1996, ¹-230/94 (Rec. p. I-4517, point 26).


12: -     Arrêt Ghent Coal Terminal, précité, point 15.


13: -     Arrêt Rompelman, précité, point 19.


14: -     Arrêt du 19 janvier 1982, Becker, 8/81 (Rec. p. 53, point 44); voir également les conclusions de l'avocat général M. Lenz sous l'arrêt BLP, précité, présentées le 26 janvier 1995, point 32.


15: -     Par exemple, peuvent appartenir à cette catégorie la location d'un immeuble par une société qui effectue à la fois des opérations exonérées et des opérations taxées. Dans un tel cas, le loyer versé ne pourra être exclusivement relié à l'une des deux opérations.


16: -    Rappelons, en effet, que le législateur communautaire a laissé à chaque État membre la faculté d'autoriser et d'obliger les assujettis à calculer le prorata selon différentes méthodes. Voir l'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive.


17: -     Selon le gouvernement anglais, dans cette hypothèse, les frais relatifs aux services rendus par le cabinet d'avocats Clifford Chance pour l'activité de défense en justice pourront être considérés comme des frais généraux; il suffit pour cela de démontrer qu'ils sont supportés par la Midland en sa qualité d'entrepreneur effectuant des opérations taxées ou exonérées et non, en revanche, à titre personnel.


18: -     Point 19.


19: -     Points 20, 21 et 22. Il résulte de ce dernier article «que ce n'est qu'à titre exceptionnel que la directive prévoit le droit à déduction de la TVA relative à des biens ou à des services utilisés pour des opérations exonérées» (point 23).


20: -     La Cour a, par exemple, affirmé dans l'arrêt Enkler, précité (point 26), que le critère de la nature des biens peut être adopté en tant que critère propre à déterminer si un assujetti a acquis les biens pour les besoins de son activité économique. Par exemple, le «fait qu'un bien se prête à une exploitation exclusivement économique suffit, en règle générale, à faire admettre que le propriétaire l'utilise pour exercer son activité économique et, par conséquent, pour réaliser des recettes à caractère stable. En revanche, si, par nature, un bien peut être utilisé soit à des fins économiques, soit à des fins privées, il faut examiner l'ensemble des circonstances de son exploitation pour déterminer s'il est utilisé pour en tirer des recettes ayant effectivement un caractère stable» (point 27).


21: -     Arrêt Rompelman, précité, point 19.


22: -     Arrêt du 8 mars 1988, Intiem, 165/86 (Rec. p. 1471, point 14).


23: -     Dans la version anglaise de l'arrêt BLP précité, «direct and immediate link».


24: -     La Cour a, plus précisément, affirmé (aux points 18 et 19 de l'arrêt) que «le paragraphe 2 de l'article 17 de la sixième directive doit être interprété à la lumière du paragraphe 5 du même article. Le paragraphe 5, précité, établit le régime applicable au droit à déduction de la TVA, lorsque celle-ci se rapporte à des biens ou à des services utilisés par l'assujetti pour effectuer «à la fois des opérations ouvrant droit à déduction, visées aux paragraphes 2 et 3, et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction». Dans cette disposition, l'utilisation des termes »pour effectuer» montre que, pour ouvrir le droit à déduction prévu par le paragraphe 2, les biens ou services en cause doivent présenter un lien direct et immédiat avec les opérations taxées et que, à cet égard, le but ultime poursuivi par l'assujetti est indifférent.»


25: -     Une autre solution pourrait apparaître contraire aux principes développés par la Cour, en particulier dans l'arrêt Ghent Coal Terminal, précité. Dans cet arrêt, la Cour a affirmé que le droit à la déduction devient intégral lorsque, pour des motifs étrangers à la volonté de l'assujetti, ce dernier n'a jamais fait usage des biens ou services précités pour réaliser des opérations taxables.


26: -     Voir les arrêts BLP, précité, points 24 et 26, et Rompelman, précité, point 19.


27: -     Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour. Voir, en dernier lieu, l'arrêt précité Ghent Coal Terminal, point 15.


28: -     Dans l'arrêt Rompelman, précité, la Cour a déclaré que les activités économiques, visées à l'article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, peuvent consister en divers actes consécutifs et préparatoires, tels que le fait de se procurer les moyens d'exercer ladite activité et que, par conséquent, l'acquisition d'un immeuble doit également être considérée comme faisant partie intégrante de l'activité économique (point 22).


29: -     La Cour a, par exemple, affirmé, dans l'arrêt Enkler, précité, que parmi les critères «sur la base desquels les autorités fiscales doivent décider si un assujetti a acheté un bien pour les besoins de son activité économique figure la nature des biens en question» (point 26). Voir également l'arrêt INZO précité.


30: -     Voir, en ce sens, l'arrêt Ghent Coal Terminal, précité, points 20, 21 et 22.


31: -     Arrêt Ghent Coal Terminal, précité, point 15.


32: -     Arrêt du 29 février 1996, INZO, précité, point 21 (Rec. p. I-857).