Language of document : ECLI:EU:T:2010:128

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

26 mars 2010 (*)

« Référé – REACH – Identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante – Demande de sursis à exécution et de mesures provisoires – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑1/10 R,

SNF SAS, établie à Andrézieux-Bouthéon (France), représentée par Mes K. Van Maldegem, R. Cana, avocats, et M. P. Sellar, solicitor,

partie requérante,

contre

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme M. Heikkila et M. W. Broere, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision identifiant l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante qui aurait été adoptée par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) le 7 décembre 2009 en application de l’article 59 du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) nº 793/93 du Conseil et le règlement (CE) nº 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        Le 18 décembre 2006, le Parlement européen et le Conseil ont adopté le règlement (CE) n° 1907/2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) nº 793/93 du Conseil et le règlement (CE) nº 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1), modifié par la suite notamment par le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE (JO L 353, p. 1) (ci-après le « règlement n° 1907/2006 »).

2        Ce faisant, le législateur a institué un régime concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (ci-après « REACH ») visant, notamment, à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation, étant précisé que, à l’article 3, point 1, de ce règlement, une « substance » est définie comme « un élément chimique et ses composés à l’état naturel ou obtenus par un processus de fabrication, y compris tout additif nécessaire pour en préserver la stabilité et toute impureté résultant du processus mis en œuvre, mais à l’exclusion de tout solvant qui peut être séparé sans affecter la stabilité de la substance ou modifier sa composition ».

3        En particulier, l’un des objectifs essentiels de REACH, est de garantir que les « substances extrêmement préoccupantes » soient remplacées à terme par des substances ou des technologies moins dangereuses lorsque des solutions de remplacement appropriées économiquement et techniquement viables existent.

4        Le règlement n° 1907/2006 prévoit ainsi, en son titre VII, une procédure d’autorisation, dont le but est d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant que les risques résultant de substances extrêmement préoccupantes seront valablement maîtrisés et que ces substances seront progressivement remplacées par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci sont économiquement et techniquement viables (article 55 de ce règlement n° 1907/2006). Une telle procédure s’applique à toutes les substances remplissant les critères visés à l’article 57 dudit règlement. Conformément à cette disposition, peuvent notamment être incluses dans l’annexe XIV du même règlement les substances répondant aux critères de classification comme substances cancérogènes ou mutagènes, conformément à la directive 67/548/CEE du Conseil, du 27 juin 1967, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses (JO 196, p. 1), telle que modifiée notamment par la directive 2004/73/CE de la Commission (JO L 152, p. 1), et par le règlement nº 1272/2008.

5        La première phase de la procédure d’autorisation consiste en l’identification des substances remplissant les critères visés à l’article 57 du règlement n° 1907/2006 et l’établissement d’une liste de substances identifiées en vue de leur inclusion à terme dans l’annexe XIV de ce règlement (ci-après la « liste des substances candidates »). À cette fin, une procédure en plusieurs étapes est prévue à l’article 59 dudit règlement.

6        La procédure d’identification peut être engagée à l’initiative d’un État membre, lequel peut élaborer un dossier pour les substances qu’il considère comme extrêmement préoccupantes et transmettre ce dossier à l’ECHA (article 59, paragraphe 3, du règlement n° 1907/2006). Ensuite, l’ECHA met ce dossier à disposition de l’ensemble des États membres et publie sur son site Internet un avis invitant toutes les parties intéressées à lui soumettre leurs informations (article 59, paragraphes 2 à 4, de ce règlement). Lorsqu’elle reçoit de telles informations, l’ECHA renvoie le dossier au comité des États membres et, si ce comité parvient à un accord unanime sur l’identification d’une substance, inclut cette substance dans la liste des substances candidates (article 59, paragraphes 7 et 8, dudit règlement). Enfin, dès qu’une décision a été prise concernant l’inclusion d’une substance, l’ECHA publie et met à jour la liste des substances candidates (article 59, paragraphe 10, du même règlement).

7        À la suite de l’inscription d’une substance sur la liste des substances candidates, les opérateurs économiques concernés, notamment les producteurs, importateurs et fournisseurs de la substance, sont soumis à des obligations d’information, conformément à l’article 7, paragraphes 2 et 4, à l’article 31, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 3, sous b), ainsi qu’aux articles 33 et 34 du règlement n° 1907/2006.

8        La deuxième phase de la procédure d’autorisation consiste en l’inclusion par ordre de priorité des substances candidates dans l’annexe XIV du règlement n° 1907/2006, c’est-à-dire dans la liste des substances soumises à autorisation. À cette fin, ainsi qu’il ressort de l’article 58 de ce règlement, la Commission prend sa décision conformément à la procédure visée à l’article 133, paragraphe 4, dudit règlement, sur recommandation de l’ECHA, laquelle tient compte de l’avis du comité des États membres ainsi que des observations déposées par les parties intéressées. L’inclusion dans ladite annexe XIV entraîne l’interdiction de mettre la substance sur le marché après une date fixée à cet effet, sauf si une autorisation a été accordée, étant précisé que certaines utilisations ou catégories d’usages de la substance en cause peuvent être exemptées de l’obligation d’autorisation.

9        La troisième phase de la procédure d’autorisation consiste en l’examen des demandes d’autorisation qui ont été introduites par des fabricants, des importateurs ou des utilisateurs, pour une ou plusieurs utilisations d’une substance incluse dans l’annexe XIV du règlement n° 1907/2006 (articles 60 à 64 de ce règlement). À cette fin, une procédure en plusieurs étapes est prévue à l’article 64 dudit règlement. Une telle procédure prévoit notamment l’obtention d’un avis du comité d’évaluation des risques et d’un avis du comité d’analyse socio-économique de l’ECHA. Enfin, une décision définitive d’octroi ou de refus de l’autorisation est arrêtée conformément à la procédure visée à l’article 133, paragraphe 3, du même règlement.

10      S’agissant du champ d’application de la procédure d’autorisation visée au titre VII du règlement n° 1907/2006, une dérogation est toutefois prévue à l’article 2, paragraphe 8, sous b), de ce règlement. Cette disposition indique expressément que les « intermédiaires isolés restant sur le site et les intermédiaires isolés transportés » sont exemptés dudit titre VII. Par « intermédiaire » est visé, selon l’article 3, point 15, du même règlement, « une substance fabriquée en vue d’une transformation chimique et consommée ou utilisée dans le cadre de cette transformation en vue de faire l’objet d’une opération de transformation en une autre substance » , étant précisé que les lettres a), b) et c) de cette disposition prévoient une définition des termes « intermédiaire non isolé », « intermédiaire isolé restant sur le site » et « intermédiaire isolé transporté ».

11      En vue d’assurer une gestion efficace des aspects techniques, scientifiques et administratifs du règlement n° 1907/2006 au niveau de l’Union européenne, une entité centrale indépendante a été créée, à savoir l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) (articles 75 à 111 et considérant 15 de ce règlement).

 Antécédents du litige

12      La requérante, SNF SAS, a principalement pour activité la fabrication d’acrylamide et de polymères à base d’acrylamide (ci-après les « polyacrylamides »). Elle appartient à un groupe formé par SPCM SA, comptant plus de 30 filiales, actif dans plus de 140 pays à travers le monde. Le groupe dispose de sites de production en France, aux États-Unis, en Chine et en Corée du sud. Il possède la plus grande capacité de production de polyacrylamides avec 40 % de la capacité mondiale, qui est utilisée essentiellement pour le traitement des eaux (potables et usées), la fabrication du papier, l’impression du textile, l’extraction et le traitement de minéraux.

13      Le 25 août 2009, un État membre, à savoir les Pays-Bas, a transmis à l’ECHA un dossier qu’il avait élaboré concernant l’identification de l’acrylamide comme substance remplissant les critères visés à l’article 57, sous a) et b), du règlement n° 1907/2006, en faisant référence au classement de l’acrylamide comme substance cancérogène et mutagène dans, respectivement, l’annexe I de la directive 67/548 et l’annexe VI, partie 3, du règlement n° 1272/2008. Le 31 août 2009, l’ECHA a publié sur son site Internet un avis invitant les parties intéressées à soumettre leurs observations sur le dossier établi pour l’acrylamide. Le même jour, l’ECHA a également invité les autorités compétentes des autres États membres à présenter des observations à ce sujet.

14      Après avoir reçu des observations sur le dossier en cause et les réponses de l’État membre concerné à ces observations, l’ECHA a renvoyé le dossier au comité des États membres, qui est parvenu, le 27 novembre 2009, à un accord unanime sur l’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante, au motif que l’acrylamide remplissait les critères visés à l’article 57, sous a) et b), du règlement n° 1907/2006.

15      Le 7 décembre 2009, l’ECHA a publié un communiqué de presse annonçant, d’une part, que le comité des États membres était parvenu à un accord unanime sur l’identification de l’acrylamide et de 14 autres substances comme des substances extrêmement préoccupantes dans la mesure où ces substances remplissaient les critères visés à l’article 57 du règlement n° 1907/2006 et, d’autre part, que la liste des substances candidates serait formellement mise à jour en janvier 2010. Le 22 décembre 2009, le directeur exécutif de l’ECHA a donné une instruction interne en vue de procéder, le 13 janvier 2010, à la publication et à la mise à jour de la liste des substances candidates, en ce qui concerne ces 15 substances.

 Procédure et conclusions des parties

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 janvier 2010, la requérante et Polyelectrolyte Producers Group GEIE (PPG), une fédération européenne du secteur économique concerné dont la requérante est membre, ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision identifiant l’acrylamide comme substance extrêmement préoccupante, décision qui aurait été adoptée par l’ECHA le 7 décembre 2009 en application de l’article 59 du règlement n° 1907/2006 (ci-après la « décision attaquée »).

17      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 5 janvier 2010, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir, en application de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, à l’exécution de la décision attaquée en attendant l’adoption de la décision sur la demande en référé ;

–        en tout état de cause, surseoir à l’exécution de la décision attaquée à compter de sa date d’adoption ;

–        adopter toute autre mesure provisoire appropriée ;

–        condamner l’ECHA aux dépens de la procédure de référé ;

–        ordonner une audition.

18      Par ordonnance du 11 janvier 2010, adoptée au titre de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure, il a été sursis à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé. À la suite de cette ordonnance, le directeur exécutif de l’ECHA a suspendu l’inscription de l’acrylamide sur la liste des substances candidates. Dans son communiqué de presse du 13 janvier 2010, l’ECHA a fait état de l’inscription de 14 substances sur la liste des substances candidates et inséré une note en bas de page dans laquelle elle a indiqué que l’acrylamide avait également été identifié comme une substance extrêmement préoccupante, mais que l’inscription de cette substance sur la liste des substances candidates avait été suspendue, par l’ordonnance du 11 janvier 2010 susmentionnée, jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé T‑1/10 R.

19      Dans ses observations écrites déposées au greffe du Tribunal le 21 janvier 2010, l’ECHA conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

20      Après le dépôt par l’ECHA de ses observations, la requérante a été autorisée à répliquer sur certains points de ces dernières, ce qu’elle a fait par mémoire le 1er février 2010. Ensuite, l’ECHA a répondu par mémoire le 12 février 2010.

 En droit

21      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

22      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

23      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

24      Enfin, il importe de souligner que l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

25      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales. Par conséquent, il convient de rejeter la demande de la requérante visant à l’organisation d’une audition.

 Arguments des parties

 Sur la recevabilité

26      L’ECHA soutient que la demande en référé doit être déclarée irrecevable dès lors que le recours principal est manifestement irrecevable. Selon elle, la décision attaquée est un acte préparatoire qui ne modifie pas de façon caractérisée la situation juridique de la requérante. En tout état de cause, la décision attaquée ne concernerait pas directement la requérante, puisque ni l’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante, ni son inscription sur la liste des substances candidates ne créeraient d’obligations légales pour la requérante.

27      L’ECHA précise que, si les articles 7 et 33 du règlement n° 1907/2006 énoncent des obligations d’information, celles-ci ne lient pas la requérante en tant que productrice d’acrylamide, mais les clients de cette dernière. Quant à l’obligation d’information, prévue à l’article 34, sous a), de ce règlement, elle ne s’étend pas à la communication des informations « nouvelles » sur des propriétés dangereuses de l’acrylamide. En effet, l’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante ne serait qu’une simple conséquence de la classification, depuis 1993, de l’acrylamide comme une substance cancérogène et mutagène, au sens de la directive 67/548. La requérante et ses clients connaîtraient donc les propriétés dangereuses de l’acrylamide depuis plus de quinze ans.

28      La requérante estime que la décision attaquée est un acte attaquable, en ce qu’elle fixe définitivement la position de l’ECHA au terme de la procédure. Selon elle, la décision attaquée n’est pas susceptible d’être modifiée entre la date à laquelle elle a été prise et la mise à jour de la liste des substances candidates, la publication subséquente de cette liste ne constituant qu’une confirmation de la décision déjà prise. En outre, l’article 7, paragraphe 2, l’article 31, paragraphe 1, sous c), ainsi que les articles 33 et 34 du règlement n° 1907/2006 montreraient que l’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante produit des effets juridiques directs sur la requérante.

29      S’agissant de l’article 34 du règlement n° 1907/2006, la requérante précise que l’inscription sur la liste des substances candidates, loin de n’être que la confirmation d’une classification déjà existante, constitue une nouvelle évolution réglementaire qui emporte un signal clair que l’acrylamide devra faire l’objet d’un remplacement par une autre substance moins dangereuse. La requérante soutient qu’elle est donc tenue, dans une démarche de précaution, de communiquer cette évolution au prochain acteur sur la chaîne d’approvisionnement. Elle ajoute que, du fait de la décision attaquée, l’article 31, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1907/2006 lui impose désormais de fournir à ses clients une fiche de données de sécurité, lorsqu’elle leur vend de « l’acrylamide intégré dans du polyacrylamide ». Enfin, elle admet que les articles 7 et 33 de ce règlement s’adressent principalement à ses clients qui utilisent le polyacrylamide pour fabriquer un article, mais prétend que ceux-ci ignorent le « niveau exact d’acrylamide présent dans [le] polyacrylamide ». Or, pour ne pas enfreindre les obligations d’information qui leur sont imposées, les clients devraient se renseigner sur ce niveau, et la seule façon d’obtenir l’information serait de la lui demander. La décision attaquée lui imposerait donc une obligation d’information à l’égard de ses clients.

 Sur le fumus boni juris

30      Selon la requérante, l’acrylamide étant utilisé dans l’Union uniquement en tant qu’« intermédiaire » au sens du règlement n° 1907/2006, la décision attaquée est contraire à l’article 2, paragraphe 8, du règlement n° 1907/2006, qui exempte les intermédiaires du titre VII de ce règlement, relatif à la procédure d’autorisation. Il serait donc impossible d’identifier l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante. Or, l’État membre ayant transmis le dossier relatif à cette substance à l’ECHA et le comité des États membres auraient admis que, dans plus de 99,9 % des cas, l’acrylamide était utilisée comme un « intermédiaire ». Par ailleurs, dans les 0,1 % de cas restants, cette substance aurait été utilisée soit à des fins d’injection, soit d’électrophorèse. Dans le cadre de telles utilisations, l’acrylamide devrait également être qualifié d’« intermédiaire ». En tout état de cause, le dossier transmis par l’État membre concerné ne contiendrait aucune information sur l’acrylamide en tant que « substance non intermédiaire » et aucun élément prouvant que les injections et l’électrophorèse ne constituent pas des utilisations de l’acrylamide en tant qu’« intermédiaire », ce qui entacherait la décision attaquée d’une erreur manifeste d’appréciation.

31      En outre, la décision attaquée violerait le principe de proportionnalité, en ce que l’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante viserait à éliminer cette substance du marché, alors que la procédure d’autorisation ne concerne pas les intermédiaires, qui sont réputées ne pas présenter de risque, puisque ces dernières sont « consommées » au sein d’une autre substance. L’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante serait également contraire au principe de non-discrimination, dès lors que d’autres substances ayant les mêmes propriétés et présentant les mêmes risques n’ont pas été identifiées comme des substances extrêmement préoccupantes.

32      Selon l’ECHA, il ressort du libellé de l’article 59, paragraphe 1, du règlement n° 1907/2006 que l’objet de la première phase de la procédure d’autorisation est de déterminer si la substance en cause remplit les critères visés à l’article 57 de ce règlement. Cette phase de la procédure impliquerait donc uniquement une appréciation des propriétés intrinsèques de ladite substance, sans prise en compte de ses utilisations concrètes. Par ailleurs, l’utilisation d’une substance en tant qu’« intermédiaire isolé » importerait peu, lorsqu’il s’agit de déterminer ses propriétés intrinsèques.

33      L’ECHA précise que l’utilisation de l’acrylamide ne devient pertinente qu’à la deuxième phase de la procédure d’autorisation, « qui consiste à déterminer si une substance doit être incluse dans l’annexe XIV [du règlement n° 1907/2006] et quelles utilisations doivent être exemptées de l’autorisation conformément à l’article 58, paragraphe 2, [de ce règlement] ». Le simple fait qu’une substance soit utilisée en tant qu’« intermédiaire isolé » ne rendrait donc pas illégale son identification comme une substance extrêmement préoccupante, conformément à l’article 59, paragraphe 1, dudit règlement. Si l’acrylamide était exclusivement utilisé en tant qu’« intermédiaire isolé », cette situation pourrait éventuellement justifier sa non-inclusion ultérieure dans l’annexe XIV du même règlement.

34      Par ailleurs, la décision attaquée ne constituerait pas une mesure disproportionnée. En effet, l’inscription de l’acrylamide sur la liste des substances candidates aurait simplement pour effet d’identifier la substance comme remplissant les critères visés par l’article 57 du règlement n° 1907/2006, sans entraîner de conséquence juridique. Enfin, l’argumentation relative à une violation du principe de non-discrimination serait dénuée de pertinence, l’ECHA n’ayant aucun pouvoir d’appréciation pour déterminer si et quand une procédure d’identification d’une substance chimique doit être engagée. La transmission par l’État membre concerné du dossier relatif à l’acrylamide aurait automatiquement initié la procédure d’identification de cette substance en vertu de l’article 59 de ce règlement.

 Sur l’urgence et la balance des intérêts

35      La requérante fait valoir que, en l’absence du sursis à exécution demandé, elle subirait un préjudice grave et irréparable, la décision attaquée ayant des effets de cette nature sur sa part de marché, sur son chiffre d’affaires et sur son site de production en [confidentiel] (1).

36      Pour démontrer le caractère grave du préjudice allégué, la requérante soutient que la décision attaquée a pour conséquence que ses clients cesseront d’utiliser l’acrylamide, ce qui lui fera perdre ses parts de marché dans l’Union. Elle fait observer qu’elle a déjà reçu des lettres de trois clients comptant parmi les plus importants dans lesquelles ceux-ci affirment que, en raison de la suspicion que provoque l’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante, ils annuleront leurs commandes si la situation n’est pas rapidement clarifiée. Cela serait conforme à la politique des grands distributeurs de produits contenant de l’acrylamide polymérisé et il ne serait pas exclu que d’autres clients agissent de même. La requérante prétend que sa capacité à fabriquer de l’acrylamide et des polyacrylamides serait ainsi mise en péril. La requérante souligne que, vu l’importance de l’acrylamide dans son activité industrielle, son assureur a exprimé de vives inquiétudes à propos de l’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante et a attiré son attention sur les conséquences de cette identification pour ses contrats d’assurance envisageant même l’éventualité qu’elle ne puisse plus être assurée. La requérante craint que ses banques et investisseurs puissent exprimer des inquiétudes semblables.

37      La requérante affirme que ses ventes d’acrylamide et de produits à base d’acrylamide dans l’Union de janvier à novembre 2009 représentaient [confidentiel] euros. Elle soutient qu’elle ne pourra plus réaliser de telles ventes à l’avenir du fait de l’identification de cette substance comme une substance extrêmement préoccupante et que, par conséquent, le chiffre d’affaires total du groupe auquel elle appartient diminuera de [confidentiel] %, ce chiffre d’affaires s’étant élevé à [confidentiel] euros pour l’exercice 2008. Elle précise que les ventes aux trois clients mentionnés au point 36 ci-dessus se sont élevées en 2009 à [confidentiel] euros, ce qui représente environ [confidentiel] % de son chiffre d’affaires réalisé grâce aux ventes d’acrylamide et de produits à base d’acrylamide dans l’Union. Elle craint que le préjudice financier subi conduise à la fermeture de son usine en [confidentiel], ce qui aurait un effet déstabilisateur sur sa société mère. Ainsi, le fait qu’elle fasse partie d’un groupe plus vaste de sociétés ne lui permettrait pas d’amoindrir le préjudice qu’elle subirait.

38      Ce préjudice ne pourrait pas non plus être réduit par la vente de produits de substitution. Il n’existerait que très peu de substituts à l’acrylamide polymérisé et aucun d’eux ne serait équivalent à cette substance en termes d’efficacité. La requérante soutient qu’elle ne dispose pas de produits alternatifs efficaces qu’elle puisse proposer à ses clients. Par ailleurs, ses ventes en dehors de l’Union ne suffiraient pas à compenser les effets négatifs subis dans l’Union. En revanche, il serait possible d’imaginer que des produits ou des procédés moins efficaces puissent être utilisés pour certaines applications.

39      Pour démontrer le caractère irréparable du préjudice allégué, la requérante soutient qu’il existe des obstacles qui rendent impossible une reconquête des parts de marché perdues immédiatement après l’annulation de la décision attaquée, à savoir l’impossibilité pour elle de proposer des produits de substitution et la fermeture probable de son site de production en [confidentiel], celui-ci étant totalement dépendant de la fabrication d’acrylamide. Par conséquent, même l’annulation de la décision attaquée au terme de la procédure au principal ne permettrait pas à la requérante de reprendre la production et les ventes d’acrylamide, à tout le moins à court ou à moyen terme, ce qui l’empêcherait de reconquérir ses parts de marché.

40      Même dans l’hypothèse improbable où elle aurait la possibilité de recommencer à produire et à vendre l’acrylamide immédiatement après l’annulation de la décision attaquée, il serait invraisemblable qu’elle puisse reconquérir ses clients qui seront passés à des produits de remplacement, fabriqués par ses concurrents. Ceux-ci seraient des sociétés très puissantes qui ont des ressources financières considérables leur permettant de mener une politique commerciale agressive afin de retenir les clients qu’elles pourraient avoir gagné du fait de la décision attaquée. De plus, une fois que des clients se seraient mis à traiter avec un autre fournisseur ou produit, il serait souvent très difficile de les persuader de changer de fournisseur ou de produit, et plus longtemps l’acrylamide resterait sur la liste des substances candidates, et plus cela serait sans doute difficile.

41      En ce qui concerne la balance des intérêts, la requérante admet que la protection de la santé publique doit normalement prévaloir sur les considérations économiques, mais estime que, dans les circonstances du cas d’espèce, un sursis à l’exécution de la décision attaquée n’impliquerait aucun risque sérieux pour la santé publique ou pour l’environnement. En effet, au moins 99,9 % de l’acrylamide mis sur le marché dans l’Union serait commercialisé en tant qu’« intermédiaire », lequel ne peut constituer une substance extrêmement préoccupante. En outre, les produits à base d’acrylamide auraient été vendus dans l’Union pendant plus de 50 ans, sans avoir jamais donné lieu à de graves problèmes sanitaires ou environnementaux. La requérante ajoute qu’elle devrait rationaliser son exploitation, en licenciant [confidentiel] employés sur son site de production en [confidentiel], avec la disparition éventuelle de [confidentiel] autres emplois dans l’Union au niveau de la distribution et de la commercialisation.

42      Selon l’ECHA, la demande en référé est caractérisée par une absence de preuves démontrant le caractère grave et irréparable du préjudice allégué. En effet, l’urgence invoquée par la requérante dépendrait du comportement hypothétique de ses clients sur le marché en réaction à l’inscription de l’acrylamide sur la liste des substances candidates, et non d’éventuels effets juridiques produits par la décision attaquée elle-même.

43      Dans la mesure où la requérante affirme que trois de ses clients menaçaient d’annuler leurs commandes d’acrylamide, l’ECHA fait observer que cette perte représente moins de [confidentiel] % du chiffre d’affaires total du groupe auquel appartient la requérante. Or, une telle perte ne saurait être qualifiée de préjudice grave.

44      L’allégation de la requérante selon laquelle ses clients cesseront d’utiliser l’acrylamide reposerait sur de pures spéculations. La politique commerciale de tous les clients de la requérante, au nombre d’environ [confidentiel], ne pourrait être déduite de celle de trois d’entre eux. En outre, en aucun cas, ces clients ne devraient être surpris par les propriétés dangereuses de l’acrylamide, l’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante venant simplement confirmer ce qui était déjà connu des clients de la requérante, à savoir le fait que l’acrylamide est une substance cancérogène et mutagène, classée comme substance dangereuse dans l’annexe I de la directive 67/548, désormais intégrée à l’annexe VI, tableau 3.2, du règlement n° 1272/2008.

45      L’ECHA soutient que l’inscription de l’acrylamide sur la liste des substances candidates n’empêche aucunement la fabrication, la commercialisation ou l’utilisation de cette substance ou de produits à base de ladite substance, cette inscription ayant uniquement pour effet d’imposer certaines obligations d’information. Elle fait observer que, si comme la requérante semble l’indiquer dans ses arguments, celle-ci utilise l’acrylamide en tant qu’ « intermédiaire » au sens de l’article 3, point 15, du règlement n° 1907/2006 ou met cette substance sur le marché en vue d’une telle utilisation, une éventuelle décision de la Commission d’inclure l’acrylamide dans l’annexe XIV de ce règlement n’entraînerait pas l’interdiction de cette utilisation, conformément à l’article 2, paragraphe 8, dudit règlement.

 Appréciation du juge des référés

46      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

47      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. C’est à cette dernière partie qu’il appartient d’établir qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnances du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 187, et du 25 avril 2008, Vakakis/Commission, T‑41/08 R, non publiée au Recueil, point 52, et la jurisprudence citée).

48      L’imminence du préjudice allégué ne doit pas être établie avec une certitude absolue. Il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d’un ensemble de facteurs, qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, étant précisé que la partie qui s’en prévaut demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du président du Tribunal du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée au Recueil, point 32, et la jurisprudence citée). Cependant, un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission, T‑241/00 R, Rec. p. II‑37, point 37, et du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 101].

49      En l’espèce, il y a lieu d’examiner si la requérante a démontré avec un degré de probabilité suffisant que, en cas de rejet de sa demande en référé, elle subirait le préjudice grave et irréparable qu’elle allègue, à savoir la perte de ses parts de marché dans l’Union en ce qui concerne l’acrylamide et les polyacrylamides et la fermeture de son usine de production en [confidentiel].

50      À cet égard, il convient de relever que la requérante admet expressément, au point 60 de ses observations du 1er février 2010, que l’inscription d’une substance sur la liste des substances candidates n’entraîne pas d’interdiction immédiate de cette substance. En outre, dans lesdites observations, elle ne conteste pas l’argumentation de l’ECHA selon laquelle l’inscription d’une substance sur la liste des substances candidates n’entraîne pas d’interdiction ou de limitation de la commercialisation et de l’utilisation de cette substance, le titre VII du règlement n° 1907/2006, relatif à l’autorisation, n’imposant pas d’obligations légales relatives à l’utilisation d’une substance découlant de son identification comme une substance extrêmement préoccupante et de son inscription sur la liste des substances candidates.

51      De même, le règlement n° 1907/2006 ne contient aucune disposition qui aurait pour effet juridique d’interdire ou de restreindre la fabrication, la commercialisation ou l’utilisation d’une substance chimique du seul fait que, dans le cadre de la première phase de la procédure d’autorisation prévue au titre VII de ce règlement, cette substance a été identifiée comme une substance extrêmement préoccupante et inscrite sur la liste des substances candidates, conformément à l’article 59 dudit règlement. Il ne saurait donc être utilement prétendu que le préjudice allégué résulterait du fait que, en adoptant la décision attaquée, l’ECHA aurait interdit ou imposé des restrictions à la fabrication, à la commercialisation ou à l’utilisation de l’acrylamide.

52      Par ailleurs, dans la mesure où les articles 7, 31, 33 et 34 du règlement n° 1907/2006 imposent aux opérateurs économiques concernés certaines obligations d’information résultant de l’inscription d’une substance sur la liste des substances candidates, il suffit de relever que la requérante n’a pas prétendu, et encore moins établi, que ces obligations d’information relatives à l’acrylamide seraient de nature à lui causer un préjudice grave et irréparable, en raison de leurs coûts ou de leur contenu. L’octroi du sursis à exécution demandé ou des mesures provisoires demandées ne saurait donc être justifié en raison des obligations d’information résultant de l’inscription de l’acrylamide sur la liste des substances candidates, sans qu’il soit nécessaire de préciser l’étendue de ces obligations.

53      S’agissant de l’article 55 du règlement n° 1907/2006, duquel il ressort que le titre VII de ce règlement vise à ce que les substances extrêmement préoccupantes soient « progressivement remplacées par d’autres substances ou technologies appropriées », la requérante soutient que l’inscription de l’acrylamide sur la liste des substances candidates conduit nécessairement à son inclusion dans l’annexe XIV de ce règlement et à sa suppression progressive. Elle fait également valoir que, confrontés à l’aléa de la procédure d’autorisation et au refus de leurs clients en aval d’acheter des produits contenant des substances extrêmement préoccupantes, ses clients se tourneront à coup sûr vers d’autres produits. Ainsi, l’industrie prendrait ses distances avec l’utilisation de l’acrylamide, et ce même avant son inclusion dans l’annexe XIV dudit règlement et une éventuelle exigence d’autorisation. La requérante estime qu’une telle conséquence est reconnue par l’ECHA qui a notamment conclu lors de son séminaire des 21 et 22 janvier 2009 sur la liste des substances candidates et la procédure d’autorisation comme instruments de gestion du risque (annexe 1 des observations de la requérante du 1er février 2010), que « l’[inscription] de substances sur la liste des substances candidates constitue une façon de promouvoir leur remplacement par des substances/technologies alternatives (industrie/utilisateurs en aval) ou par des articles alternatifs (consommateurs) ».

54      Force est, cependant, de relever que la thèse de la requérante, selon laquelle, en substance, l’inscription de l’acrylamide sur la liste des substances candidates serait la première étape d’une procédure menant irrémédiablement à la perte de ses parts de marché, procède d’une lecture biaisée des dispositions pertinentes.

55      Il est vrai que le règlement n° 1907/2006 définit, en son article 55, le but de son titre VII comme visant, notamment, à garantir que les substances extrêmement préoccupantes soient progressivement remplacées par d’autres substances ou technologies appropriées. Toutefois, loin d’établir ainsi une finalité de remplacement absolue et inconditionnelle, cette disposition fait explicitement dépendre le remplacement envisagé de la viabilité économique et technique de ces autres substances et technologies, c’est-à-dire de la faisabilité technique et économique d’éventuelles solutions de remplacement (considérant 72 de ce règlement). De plus, l’article 60, paragraphe 4, et le considérant 69 dudit règlement précisent que, même s’il n’est pas prouvé que les risques qu’entraîne l’utilisation d’une substance extrêmement préoccupante pour la santé humaine ou l’environnement sont valablement maîtrisés, cette utilisation peut néanmoins être autorisée « s’il peut être démontré que les avantages socio-économiques qu’offre l’utilisation de la substance en cause l’emportent sur les risques liés à son utilisation et qu’il n’existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées qui soient économiquement et techniquement viables ».

56      En ce qui concerne l’éventualité d’une inclusion de l’acrylamide dans l’annexe XIV du règlement n° 1907/2006 en tant que substance extrêmement préoccupante figurant sur la liste des substances candidates, il ressort de l’article 58 de ce règlement qu’une telle inclusion requiert une décision de la Commission et que cette décision serait adoptée au terme d’une procédure qui requiert notamment que l’ECHA transmette à la Commission une recommandation en ce sens, en tenant compte de l’avis du comité des États membres et des observations des parties intéressées « concernant, notamment, les utilisations qui devraient être exemptées de l’obligation d’autorisation ». En outre, s’il est vrai que l’inclusion de l’acrylamide dans ladite annexe XIV entraînerait l’interdiction de mettre une telle substance extrêmement préoccupante sur le marché, sauf octroi d’une autorisation, ce même article 58 prévoit, en son paragraphe 2, que certaines utilisations de cette substance peuvent être exemptées de l’obligation d’autorisation.

57      À cet égard, l’ECHA a indiqué aux points 87 et 88 de ses observations du 21 janvier 2010 ainsi qu’aux points 22 et 59 de ses observations du 12 février 2010 que, si la requérante « utilise l’acrylamide comme un intermédiaire ou le met sur le marché en vue de son utilisation comme intermédiaire au sens de l’article 3, point 15, du règlement [n° 1907/2006], une éventuelle décision de la Commission d’inclure l’acrylamide dans l’annexe XIV [de ce règlement] n’entraînera pas l’interdiction d’une telle utilisation, conformément à l’article 2, paragraphe 8, [dudit règlement] ». L’ECHA en a conclu que, « compte tenu des informations fournies par la requérante, il n’y [avait] aucun risque que son utilisation de l’acrylamide puisse être interdite en vertu du titre VII du règlement [n° 1907/2006] ».

58      Il s’ensuit que le remplacement progressif de l’acrylamide par d’autres substances ou technologies appropriées ne saurait être considéré comme établi. Dès lors, ce fait n’est pas susceptible de fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable qui lui serait lié (voir point 48 ci-dessus).

59      Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n’a pas établi avec un degré de probabilité suffisant que, en cas de rejet de sa demande en référé, elle perdrait ses parts de marché dans l’Union en ce qui concerne l’acrylamide et les polyacrylamides et devrait fermer son usine de production en [confidentiel].

60      Cette conclusion n’est pas contredite par la référence faite par la requérante aux conclusions de l’ECHA lors de son séminaire des 21 et 22 janvier 2009 sur la liste des substances candidates et la procédure d’autorisation comme instruments de gestion du risque. En effet, d’une part, la valeur juridique à attribuer à ces conclusions est douteuse, étant donné que, comme indiqué dans les actes scientifiques de ce séminaire, « les opinions exprimés dans ce document ne reflètent pas nécessairement une position officielle de [l’ECHA] ou des organisations ayant participé au séminaire » (voir l’avertissement figurant à la page 2 des actes scientifiques de ce séminaire). D’autre part, il suffit de rappeler que le passage allégué, selon lequel l’inscription d’une substance sur la liste des substances candidates constituerait une façon de promouvoir son remplacement, ne fait que citer partiellement l’article 55 du règlement n° 1907/2006. Or, ainsi qu’il a déjà été exposé ci-dessus, cette disposition, replacée dans son contexte réglementaire, n’empêche pas de qualifier le préjudice allégué de purement hypothétique.

61      En tout état de cause, le passage invoqué par la requérante n’est qu’un extrait de la conclusion nº 3, sous b), du séminaire susmentionné. Or, le texte complet de cette conclusion confirme l’absence d’automatisme entre l’inscription d’une substance sur la liste des substances candidates et son remplacement progressif par d’autres substances ou technologies appropriées, en ce qu’il énumère, outre la finalité de remplacement, d’autres buts poursuivis par l’établissement de cette liste, tels que celui de collecter et de fournir des informations sur les utilisations de substances extrêmement préoccupantes.

62      Enfin, la requérante fait valoir que la liste des substances candidates est perçue par l’industrie et par les consommateurs comme une « liste noire » de substances à éviter, puisque ces substances sont appelées à être inclues dans l’annexe XIV du règlement n° 1907/2006 et donc à être interdites sauf en cas d’obtention d’autorisations, société par société et utilisation par utilisation. Elle estime que l’inscription de l’acrylamide sur cette « liste noire » revient à « stigmatiser réglementairement » l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante. La requérante considère sa crainte comme tout à fait réaliste, du fait qu’elle a déjà reçu des lettres de trois clients que la suspicion provoquée par l’identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante amènerait à annuler leurs commandes.

63      À cet égard, il y a lieu de rejeter, d’abord, l’argument tiré du caractère de « liste noire » qu’il conviendrait d’attribuer à la liste des substances candidates. En effet, en l’absence d’automatisme entre l’inscription de substances sur la liste des substances candidates et leur remplacement progressif par d’autres substances ou technologies appropriées, cet argument ne saurait prospérer. En effet, il ne repose sur aucun élément objectif susceptible d’établir son bien-fondé. En tout état de cause, la requérante renvoie trop généralement à « la » liste des substances candidates dans son ensemble, alors que l’inscription de l’acrylamide sur cette liste, faisant seule l’objet de la présente procédure, ne paraît pas empêcher la requérante de continuer à exercer ses activités économiques en matière d’acrylamide et de polyacrylamides, qui semblent consister à 99,9 %, au moins, en des utilisations intermédiaires, de sorte que le remplacement progressif de l’acrylamide par d’autres substances ou technologies appropriées ne saurait être considéré comme établi (voir points 56 à 58 ci-dessus).

64      Ensuite, s’agissant du comportement de certains opérateurs économiques, tels que les clients, banques, investisseurs et assureurs de la requérante et les grands distributeurs de produits contenant de l’acrylamide polymérisé, qui auraient déjà annoncé qu’ils cesseraient d’utiliser l’acrylamide ou qui auraient exprimé, ou risqueraient d’exprimer, leurs inquiétudes au regard du caractère extrêmement préoccupant de cette substance, il est constant que l’ECHA a identifié l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante, au sens de l’article 57 du règlement n° 1907/2006, pour la seule raison que l’acrylamide avait déjà été classé comme cancérogène et mutagène dans la liste des « substances dangereuses », visées à l’annexe I de la directive 67/548 et à l’annexe VI, partie 3, du règlement nº 1272/2008.

65      Or, étant donné, d’une part, qu’il n’existe aucun automatisme entre l’inscription de l’acrylamide sur la liste des substances candidates et son remplacement progressif par d’autres substances ou technologies appropriées et, d’autre part, que rien n’empêche le secteur économique en cause de continuer à utiliser l’acrylamide en tant qu’« intermédiaire », soit pratiquement la totalité de ses utilisations, l’identification de l’acrylamide comme une « substance extrêmement préoccupante », par simple renvoi à son caractère cancérogène et mutagène, ne fait, en substance, que confirmer son caractère potentiellement « dangereux ».

66      Il s’ensuit que les réactions négatives des clients de la requérante, des banques, des investisseurs, des assureurs ou d’autres opérateurs économiques ne peuvent être considérées comme des conséquences qu’un opérateur économique aurait raisonnablement pu tirer de la seule identification de l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante, puisque cette identification ne fournit aucune nouvelle information sur les propriétés intrinsèquement dangereuses de cette substance. À supposer que ces réactions négatives s’expliquent par un changement de politique des opérateurs économiques en cause, qui serait fondé sur une sensibilité accrue vis-à-vis des substances cancérogènes et mutagènes (voir les éco-certifications mentionnées par la requérante) ou encore sur une méconnaissance des objectifs poursuivis par l’ECHA en identifiant l’acrylamide comme une substance extrêmement préoccupante, il s’agirait d’un choix autonome pris par ces opérateurs économiques, qui constituerait la cause déterminante du préjudice allégué.

67      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner, d’une part, si elle est recevable en tant qu’accessoire à un recours en annulation dirigé contre un acte attaquable et, d’autre part, si les autres conditions d’octroi d’un sursis à exécution ou de mesures provisoires sont remplies en l’espèce.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 26 mars 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.


1 – Données confidentielles occultées.