Language of document : ECLI:EU:T:1999:101

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

19 mai 1999 (1)

«Fonctionnaires — Article 88 du statut — Suspension — Recevabilité — Motivation — Faute alléguée — Violation des articles 11, 12 et 17 du statut — Égalité de traitement»

Dans l'affaire T-203/95,

Bernard Connolly, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Everberg (Belgique), représenté par Mes Jacques Sambon et Pierre-Paul Van Gehuchten, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Louis Schiltz, 2, rue du Fort Rheinsheim,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique principal, et Julian Currall, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du 27 septembre 1995 par laquelle l'autorité investie du pouvoir de nomination a décidé de suspendre le

requérant de ses fonctions et de retenir la moitié de son traitement de base, à partir du 3 octobre 1995,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, J. Pirrung et M. Vilaras, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 10 février 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique et faits à l'origine du litige

1.
    Aux termes de l'article 88, premier à quatrième alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»):

«En cas de faute grave alléguée à l'encontre d'un fonctionnaire par l'autorité investie du pouvoir de nomination, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, celle-ci peut immédiatement suspendre l'auteur de cette faute.

La décision prononçant la suspension du fonctionnaire doit préciser si l'intéressé conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice de sa rémunération ou déterminer la quotité de la retenue qu'il subit et qui ne peut être supérieure à la moitié de son traitement de base.

La situation du fonctionnaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet. Lorsqu'aucune décision n'est intervenue au bout de quatre mois, l'intéressé reçoit à nouveau l'intégralité de sa rémunération.

Lorsque l'intéressé n'a subi aucune sanction ou n'a été l'objet que d'un avertissement par écrit, d'un blâme, ou d'une suspension temporaire de l'avancement ou si, à l'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent, il n'a pu être statué sur son cas, il a droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération.»

2.
    A la date des faits, le requérant, M. Connolly, était fonctionnaire, de grade A 4, échelon 4, de la Commission et chef de l'unité 3 «SME, politiques monétaires nationales et communautaire» au sein de la direction D «affaires monétaires» de la direction générale des affaires économiques et financières.

3.
    Le 24 avril 1995, M. Connolly a présenté, en application de l'article 40 du statut, une demande de congé de convenance personnelle, pour une période de trois mois à compter du 3 juillet 1995. La Commission lui a accordé ce congé par décision du 2 juin 1995.

4.
    Par lettre du 18 août 1995, M. Connolly a demandé à être réintégré dans les services de la Commission à la fin de son congé de convenance personnelle. La Commission l'a réintégré dans son emploi, à partir du 4 octobre 1995, par décision du 27 septembre 1995.

5.
    Pendant son congé de convenance personnelle, M. Connolly a publié un livre intitulé: The rotten heart of Europe. The dirty war for Europe's money, sans demander l'autorisation préalable visée à l'article 17, second alinéa, du statut.

6.
    Au début du mois de septembre, notamment du 4 au 10 septembre 1995, une série d'articles concernant ce livre a été publiée dans la presse européenne et surtout britannique.

7.
    Par lettre du 6 septembre 1995, le directeur général du personnel et de l'administration, en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN»), a informé le requérant de sa décision d'ouvrir une procédure disciplinaire contre lui pour violation des articles 11, 12 et 17 du statut, et l'a convoqué à une audition préalable, en application de l'article 87 du statut.

8.
    Le 12 septembre 1995 a eu lieu une première audition du requérant au cours de laquelle celui-ci a déposé une déclaration écrite indiquant qu'il ne répondrait à aucune question sans connaître préalablement les manquements spécifiques qui lui étaient reprochés.

9.
    Par lettre du 13 septembre, l'AIPN a de nouveau convoqué le requérant pour qu'il soit entendu, en application de l'article 87 du statut, et lui a indiqué que les manquements allégués faisaient suite à la publication de son livre, et à sa parution par extraits dans le quotidien The Times, ainsi qu'aux propos tenus par lui à cette occasion dans un entretien paru dans le même journal, en l'absence d'autorisation préalable.

10.
    Le 26 septembre 1995, lors de sa seconde audition, le requérant a refusé de répondre aux questions qui lui étaient posées et a présenté une déclaration écrite dans laquelle il faisait valoir qu'il estimait possible de publier un ouvrage sans autorisation préalable dès lors qu'il était en congé de convenance personnelle. Le

requérant ajoutait que la parution des extraits de son ouvrage dans la presse relevait de la responsabilité de son éditeur et que certains des propos relatés dans l'entretien visé lui étaient attribués à tort. Enfin, M. Connolly mettait en cause le caractère objectif de la procédure disciplinaire engagée contre lui, au regard, notamment, de déclarations à la presse le concernant par le président et le porte-parole de la Commission, ainsi que le respect de la confidentialité de ladite procédure.

11.
    Le 27 septembre 1995, l'AIPN a décidé, en application de l'article 88 du statut, de suspendre M. Connolly de ses fonctions à compter du 3 octobre 1995, avec retenue de la moitié de son traitement de base pendant la période de suspension. Cette décision est motivée comme suit:

«Considérant que M. Bernard Connolly, fonctionnaire de la Commission depuis le 14 août 1978, est chef de l'unité II.D.3 (SME, politiques monétaires nationales et communautaire); qu'il est en congé de convenance personnelle depuis le 3 juillet 1995 pour une durée de trois mois;

considérant que M. Connolly a écrit et publié un livre intitulé The rotten heart of Europe, dont des extraits ont été publiés dans le journal The Times, sans avoir préalablement demandé et obtenu l'autorisation de l'AIPN conformément aux dispositions de l'article 17 du statut;

considérant que ce livre constitue l'expression publique non autorisée d'un désaccord fondamental avec la politique même menée par la Commission et d'une opposition à cette politique que M. Connolly avait pour mission de mettre en oeuvre;

considérant que M. Connolly pourrait aussi avoir violé les obligations qui lui incombent en vertu des articles 11 et 12 du statut;

considérant que les allégations susmentionnées portées contre M. Connolly visent une faute grave et justifient l'ouverture d'une procédure disciplinaire;

considérant que, dans une lettre en date du 18 août 1995, M. Connolly a indiqué qu'il souhaitait être réintégré dans les services de la Commission à l'expiration, le 2 octobre 1995, de son congé de convenance personnelle; que la Commission, par décision du 27 septembre 1995, a fait droit à cette demande et a réintégré M. Connolly dans son emploi qui était demeuré vacant;

considérant que l'article 88 du statut prévoit qu'en cas de faute grave alléguée à l'encontre d'un fonctionnaire par l'autorité investie du pouvoir de nomination celle-ci peut immédiatement suspendre l'auteur de cette faute; que la décision prononçant la suspension du fonctionnaire doit préciser si l'intéressé conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice de sa rémunération ou déterminer la quotité de la retenue qu'il subit;

considérant que la gravité et la nature des allégations susmentionnées de faute grave en relation avec ses fonctions officielles rendent la présence de M. Connolly dans les services de la Commission inopportune en attendant l'issue de l'enquête disciplinaire et justifient qu'il soit suspendu, conformément à l'article 88 du statut;

[...]»

[«Whereas Mr. Bernard Connolly has been an official of the Commission since 14 August 1978 and occupies the post of the Head of Unit II.D.3 (EMS, national and Community monetary policies) and whereas, since 3 July 1995, has been on leave on personal grounds for a period of three months;

Whereas Mr. Connolly has written and had published a book entitled ”The Rotten Heart of Europe”, extracts of which have been serialised in The Times newspaper, without having first requested and obtained the permission of the appointing authority as required under Article 17 of the Staff Regulations;

Whereas this book constitutes an unauthorised public expression of fundamental disagreement with and opposition to the very Commission policy which it was Mr Connolly's professional responsibility to implement;

Whereas Mr. Connolly may also be in breach of his obligations arising under Articles 11 and 12 of the Staff Regulations;

Whereas the above allegations against Mr. Connolly are of serious misconduct and justify initiating disciplinary proceedings;

Whereas in a letter dated 18 August 1995, Mr. Connolly stated that he wished to be reintegrated into Commission service following the end, on 2 October 1995, of his leave on personal grounds and whereas the Commission, by decision of 27 September 1995, has granted this request and reinstated Mr. Connolly in his former post which had remained vacant;

Whereas Article 88 of the Staff Regulations provides that where an allegation of serious misconduct is made against an official by the appointing authority, the authority may order that he be suspended forthwith and that the decision that an official be suspended shall specify whether he shall continue to receive his remuneration during the period of suspension or what part thereof is to be witheld;

Whereas the gravity and nature of the above-mentioned allegations of serious misconduct in relation to his official duties render the presence of Mr. Connolly in the Commission's services inappropriate pending the outcome of the disciplinary enquiry and justify suspending him in accordance with Article 88 of the Staff Regulations;»]

12.
    Le 4 octobre 1995, l'AIPN a décidé de saisir le conseil de discipline, en application de l'article 1er de l'annexe IX du statut.

13.
    Par lettre du 18 octobre 1995, enregistrée au secrétariat général de la Commission le 27 octobre suivant, le requérant a saisi l'AIPN d'une réclamation, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, contre les décisions d'engager une procédure disciplinaire et de saisir le conseil de discipline, ainsi que contre la décision de le suspendre de ses fonctions. Dénonçant, par ailleurs, certaines déclarations publiées dans la presse le concernant, le requérant demandait à son institution de l'«assister dans toute poursuite contre les auteurs des menaces, d'outrages, d'injures, de diffamations, de comportements incompatibles avec toute initiative d'une administration active raisonnable».

Procédure

14.
    C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 octobre 1995, le requérant a introduit, en vertu de l'article 91, paragraphe 4, du statut, le présent recours.

15.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant aintroduit une demande de mesures provisoires visant à ce qu'il soit interdit à la Commission de communiquer aux organes de presse des informations concernant la procédure disciplinaire ouverte contre lui, ou des informations relatives à sa carrière, à sa personnalité, à ses opinions ou à sa santé, à ce qu'il soit ordonné à la Commission de prendre toutes les mesures nécessaires pour qu'aucune de ces informations ne soit rendue publique et, enfin, à ce que la Commission soit condamnée à lui payer une astreinte de 100 000 BFR pour chaque infraction constatée dès la date de l'ordonnance.

16.
    Par ordonnance du président du Tribunal du 12 décembre 1995, Connolly/Commission (T-203/95 R, RecFP p. II-847), la Commission a été invitée à prendre toutes les mesures nécessaires pour qu'aucune information relative à la carrière de M. Connolly, à sa personnalité, à ses opinions ou à sa santé, et qui soit de nature à porter atteinte, directement ou indirectement, à sa réputation personnelle et professionnelle, ne soit divulguée par son personnel dans le cadre de contacts avec la presse ou de toute autre manière. La demande de mesures provisoires a été rejetée pour le surplus, et les dépens ont été réservés.

17.
    Le 7 décembre 1995, le conseil de discipline a émis son avis aux termes duquel il recommandait d'infliger au requérant la sanction de la révocation sans perte des droits à la pension d'ancienneté.

18.
    Le 9 janvier 1996, le requérant a été entendu par l'AIPN, en application de l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut.

19.
    Par décision en date du 16 janvier 1996, l'AIPN a infligé au requérant la sanction visée à l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut, recommandée par le conseil de discipline, à savoir la révocation sans suppression ni réduction des droits à la pension d'ancienneté.

20.
    Par lettre du 27 février 1996, la Commission a informé le requérant que sa réclamation du 27 octobre 1995 avait fait l'objet d'un rejet implicite.

21.
    Par lettre du 7 mars 1996, enregistrée au secrétariat général de la Commission le 14 mars suivant, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut contre l'avis du conseil de discipline et contre la décision de l'AIPN de le révoquer.

22.
    Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 13 mars, 18 octobre et 23 décembre 1996, le requérant a introduit des recours ayant, pour objet, respectivement, l'annulation de l'avis du conseil de discipline (affaire T-34/96), l'annulation de cet avis et de la décision de révocation, ainsi que l'octroi de dommages-intérêts (affaire T-163/96), et, enfin, la réparation du préjudice subi à la suite de la publication, dans la presse, de déclarations le concernant, émanant du personnel de la Commission (affaire T-214/96).

23.
    Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 10 juin 1998, les affaires T-203/95, T-34/96, T-163/96 et T-214/96 ont été jointes aux fins de la procédure orale.

24.
    Par décision du Tribunal du 21 septembre 1998, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle les affaires T-203/95, T-34/96, T-163/96 et T-214/96 ont, par conséquent, été attribuées.

25.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

26.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience publique du 10 février 1999.

Conclusions des parties

27.
    Dans sa requête, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—     annuler les décisions du 6 septembre 1995 d'engager une procédure disciplinaire contre lui, du 27 septembre 1995 de le suspendre de ses fonctions et du 4 octobre 1995 de saisir le conseil de discipline;

—     condamner la Commission à lui payer une somme de 750 000 BFR en réparation du préjudice matériel et moral subi à la suite de la campagne de presse et des allégations diffamatoires dont il a fait l'objet;

—    ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir, aux frais de la Commission, dans les organes de presse suivants: The Times, The Daily Telegraph et The Financial Times;

—    condamner la Commission aux entiers dépens.

28.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours comme irrecevable dans son ensemble;

—    subsidiairement, prononcer le non-lieu à statuer en ce qui concerne la conclusion visant à l'annulation de la décision de la Commission du 27 septembre 1995 et rejeter le recours comme irrecevable pour le surplus;

—    plus subsidiairement encore, rejeter ladite conclusion comme non fondée et rejeter le recours comme irrecevable pour le surplus;

—    condamner le requérant aux dépens de l'instance, y compris ceux de la procédure en référé.

Sur l'objet du litige

29.
    Lors de l'audience, le requérant a déclaré que, à l'exception des griefs concernant la validité de la décision de suspension, les conclusions et moyens soulevés dans le recours T-203/95 étaient devenus sans objet après l'adoption de la décision de révocation et l'introduction du recours T-163/96. En conséquence, il a été pris acte de ce que le requérant se désistait de cette partie de son recours.

30.
    Le requérant s'étant désisté de son recours en ce qu'il portait sur les décisions de l'AIPN d'ouvrir une procédure disciplinaire contre lui et de saisir le conseil de discipline, ainsi que de ses demandes en réparation et en publication du jugement, il incombe au Tribunal de statuer uniquement sur la demande en annulation de la décision de suspension et les moyens présentés à l'appui de celle-ci.

Sur la recevabilité

31.
    La Commission estime que la demande en annulation de la décision de suspension est devenue sans objet du fait de la révocation du requérant, ce qui justifierait l'irrecevabilité du recours et, en tout état de cause, un non-lieu à statuer. Le fait que la décision attaquée ait également prévu une retenue sur le traitement du requérant, pendant la période de suspension, serait sans incidence. Bien que le requérant puisse, en principe, avoir intérêt à demander la restitution de cette

somme, sa requête ne contiendrait toutefois aucune argumentation à cet égard, en violation de l'article 44 du règlement de procédure. En outre, dans la mesure où le requérant a été finalement révoqué, il ne remplirait pas la condition posée par l'article 88, quatrième alinéa, du statut, qui subordonne le droit au remboursement des retenues à l'absence de sanctions, ou à l'adoption des sanctions les moins graves.

32.
    Cette argumentation ne saurait être accueillie.

33.
    Il y a lieu de rappeler qu'une décision ordonnant la suspension d'un fonctionnaire constitue un acte faisant grief, susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation dans les conditions prévues par les articles 90 et 91 du statut (arrêt de la Cour du 5 mai 1966, Gutmann/Commission, 18/65 et 35/65, Rec. p. 149, 168; voir, également, l'ordonnance Connolly/Commission, précitée, point 19).

34.
    Il en est d'autant plus ainsi lorsque, comme en l'espèce, l'AIPN a prévu une retenue sur le traitement du fonctionnaire suspendu, en application de l'article 88, deuxième alinéa, du statut. Il convient, en effet, d'observer que, en cas d'annulation de la décision attaquée par le Tribunal, le requérant aurait droit au versement de toutes les sommes qu'il aurait dû percevoir pendant la période de suspension à compter de la prise d'effet de ladite décision.

35.
    A cet égard, l'argument de la Commission, selon lequel il ne saurait être question du remboursement des retenues opérées sur la rémunération lorsque le fonctionnaire est finalement révoqué, doit être rejeté (voir arrêt du Tribunal du 16 juillet 1998, Y/Parlement, T-219/96, RecFP p. II-1235, point 44). Force est de constater que ce droit au remboursement n'est pas limité par l'article 88, quatrième alinéa, du statut à la seule hypothèse selon laquelle l'AIPN n'adopterait finalement aucune sanction ou seulement une sanction mineure. En effet, cette disposition du statut prévoit également que le remboursement des retenues sur la rémunération doit avoir lieu lorsqu'il n'a pas été statué sur le sort du fonctionnaire poursuivi dans le délai de quatre mois, et donc indépendamment de la sanction disciplinaire infligée (arrêt Y/Parlement, précité, point 44). Dès lors, la cause d'un éventuel remboursement n'étant pas liée exclusivement à la gravité de la sanction finalement adoptée, il s'ensuit, à plus forte raison, qu'un droit à remboursement existe en cas d'annulation de la décision de suspension sur laquelle la retenue sur la rémunération est précisément fondée.

36.
    Il importe, par ailleurs, de souligner qu'une telle décision constitue non pas un acte de procédure indispensable, préparatoire de la décision finale prononçant la sanction à infliger, mais une décision autonome, que l'AIPN «peut» adopter en vertu de l'article 88, premier alinéa, du statut, et dont l'application est subordonnée à l'allégation d'une faute grave. Dès lors, la légalité éventuelle de la décision finale ne saurait préjuger de celle de la décision prononçant la suspension (voir, en ce sens, l'arrêt Gutmann/Commission, précité).

37.
    Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, contrairement à ce que soutient la Commission, le recours formé par le requérant à l'encontre de la décision de suspension ne peut être considéré comme étant sans objet du seul fait de l'adoption consécutive par l'AIPN d'une décision de révocation.

38.
    Quant à l'argument tiré d'une violation de l'article 44 du règlement de procédure, il suffit de constater que, conformément à la jurisprudence, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels le recours se fonde ressortent d'une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même (voir, par exemple, l'arrêt Y/Parlement, précité, point 51).

39.
    Dans ces conditions, et compte tenu du fait que le requérant a saisi l'AIPN d'une réclamation, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, visant notamment à l'annulation de la décision de suspension, puis introduit son recours conformément à l'article 91, paragraphe 4, du statut, celui-ci doit être déclaré recevable pour autant qu'il tend à l'annulation de la décision de suspension.

Sur le fond

Observation liminaire

40.
    Dans sa requête, le requérant invoque quatre moyens à l'appui de son recours en annulation, initialement dirigé contre la décision de suspension, mais aussi contre les décisions d'engager une procédure disciplinaire et de saisir le conseil de discipline. Le premier moyen est tiré de la violation du principe d'impartialité de la procédure disciplinaire et de la violation de l'article 87, second alinéa, du statut et de l'article 1er de son annexe IX. Le deuxième est tiré de la violation du principe de confidentialité et du devoir d'assistance ainsi que de l'article 8 de l'annexe IX du statut. Le troisième est tiré de la violation des articles 25 et 88 du statut. Enfin, le quatrième moyen est pris de la violation du principe d'égalité de traitement entre fonctionnaires.

41.
    Seuls les troisième et quatrième moyens visent l'annulation de la décision desuspension en tant que telle. Les premier et deuxième moyens portent sur le déroulement de la procédure disciplinaire ayant abouti à l'adoption subséquente de la décision de révocation, qui fait l'objet d'un recours distinct dans l'affaire T-163/96. Par ailleurs, dans le cadre de l'arrêt rendu ce jour dans les affaires jointes T-34/96 et T-163/96, le Tribunal est appelé à se prononcer sur les moyens visant, notamment, le déroulement de la procédure disciplinaire.

42.
    Par suite, comme il a été indiqué au point 29 ci-dessus, il n'y a lieu de statuer, dans le cadre du présent recours, que sur les moyens tirés, d'une part, de la violation des articles 25 et 88 du statut et, d'autre part, de la violation du principe d'égalité de traitement entre fonctionnaires.

    Sur le moyen tiré de la violation des articles 25 et 88 du statut

Arguments des parties

43.
    Le requérant soutient que la décision de suspension est insuffisamment motivée dans la mesure où elle n'exposerait pas les raisons pour lesquelles les faits allégués contre lui sont constitutifs d'une faute grave au sens de l'article 88 du statut. En effet, l'AIPN se serait limitée, d'une part, à indiquer que l'ouvrage a été publié sans l'autorisation préalable visée à l'article 17 du statut, ce qui, en tout état de cause, ne constituerait pas une faute grave, et, d'autre part, à faire état d'une possible violation des articles 11 et 12 du statut, sans fournir d'élément concret quant aux faits pouvant être constitutifs d'une violation de ces dispositions. A cet égard, l'emploi du mode conditionnel, dans la décision, serait d'ailleurs révélateur de l'absence de toute faute grave.

44.
    En réponse à l'argument de la Commission, selon lequel, au stade de la décision de suspension, elle ne peut pas conclure de manière définitive à l'existence d'un manquement, le requérant rétorque que le motif déterminant de la décision repose toutefois sur une affirmation, à savoir que son livre constitue l'expression publique d'un désaccord fondamental avec la politique de la Commission. Or, ce grief ne lui aurait pas été communiqué par l'AIPN lors des auditions préalables, de sorte que la décision de suspension serait également entachée d'un défaut de motivation sur ce point. En outre, après la suspension, il n'y aurait jamais eu de débat contradictoire sur ce grief devant le conseil de discipline, ce qui rendrait irrégulières la procédure disciplinaire et la décision de suspension elle-même. Le requérant estime que, en tout état de cause, une mesure de suspension doit intervenir avant l'audition préalable prévue à l'article 87 du statut, afin d'empêcher que le fonctionnaire concerné ne répète un comportement dommageable ou ne rende l'examen des faits plus difficile. Ces circonstances n'étant pas réunies en l'espèce, la décision de le suspendre serait donc d'autant moins justifiée.

45.
    La Commission estime que la décision est suffisamment motivée, la gravité de la faute alléguée résultant du simple exposé des faits. Le requérant ne démontrerait d'ailleurs pas que le comportement décrit dans la décision n'est pas grave. De surcroît, l'argumentation du requérant, selon laquelle la décision de suspension ne serait valable que si elle a été soumise à un débat contradictoire pendant la procédure disciplinaire, serait dénuée de fondement, dès lors que l'objet de la suspension est notamment de permettre le bon déroulement de cette procédure qui n'intervient que postérieurement.

Appréciation du Tribunal

46.
    Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, une décision ordonnant la suspension d'un fonctionnaire, par le fait même qu'elle constitue une mesure faisant grief, doit être motivée en application de l'article 25, premier alinéa, du

statut. Cette motivation doit répondre au critère énoncé à l'article 88, premier alinéa, du statut qui ne permet à l'AIPN de suspendre immédiatement un fonctionnaire que si elle invoque une faute grave dudit fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun (arrêt Gutmann/Commission, précité).

47.
    En l'espèce, il ressort de la décision attaquée que la faute grave alléguée à l'encontre du requérant correspondait à des faits qui, à les supposer établis, constituaient, selon l'AIPN, une violation des dispositions de l'article 17 du statut, et pouvaient également constituer un manquement aux obligations prévues aux articles 11 et 12 du statut.

48.
    Toutefois, contrairement à ce que soutient le requérant, la décision ne se limite pas à indiquer que l'ouvrage en question a été écrit et publié sans autorisation préalable, en violation des dispositions de l'article 17 du statut. En effet, celle-ci motive, de façon circonstanciée, la gravité du manquement allégué. D'une part, elle se réfère au grade et aux fonctions du requérant, alors chef de l'unité 3 «SME, politiques monétaires nationales et communautaire» au sein de la direction générale des affaires économiques et financières. D'autre part, elle cite les termes polémiques employés pour le titre du livre et indique qu'il a été publié par extraits dans le quotidien The Times, évoquant ainsi la publicité particulière et la promotion dont il a fait l'objet. Enfin, la décision souligne que ce livre exprime un désaccord fondamental avec la politique de la Commission que le requérant avait pourtant pour fonction de mettre en oeuvre.

49.
    C'est également au regard de ces faits que l'AIPN a considéré que le requérant pouvait aussi avoir enfreint les articles 11 et 12 du statut, en vertu desquels le fonctionnaire doit régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés, et s'abstenir de toute expression publique qui puisse porter atteinte à la dignité de sa fonction. Dès lors, le requérant ne peut valablement prétendre que l'AIPN s'est abstenue de caractériser les éléments de fait qui, selon son appréciation, étaient susceptibles d'être constitutifs d'une violation de ces dispositions. A cet égard, il y a lieu, en outre, de souligner que l'article 88 du statut n'exige pas, de la part de l'AIPN, qu'elle prenne position de manière définitive sur l'existence de manquements aux obligations prévues par le statut, mais seulement qu'elle expose les raisons pour lesquelles une faute grave est alléguée à l'encontre du fonctionnaire poursuivi.

50.
    Il résulte de ces considérations que l'AIPN a motivé à suffisance de droit sa décision de suspendre le requérant de ses fonctions, en attendant l'issue de la procédure disciplinaire ouverte contre lui.

51.
    S'agissant de l'argument selon lequel, en tout état de cause, l'absence d'une autorisation préalable de publication ne pouvait être constitutive d'une faute grave au sens de cette disposition, il convient de constater que, dans sa décision, l'AIPN s'est fondée sur l'ensemble des manquements aux obligations du statut reprochés

au requérant pour conclure qu'une faute grave était alléguée à l'encontre de celui-ci. Par conséquent, l'AIPN n'a pas méconnu l'article 88 du statut en décidant, sur la base d'une évaluation globale et provisoire des circonstances propres au cas d'espèce, que leur degré de gravité justifiait la suspension du requérant avec une retenue sur sa rémunération.

52.
    Enfin, l'argument du requérant, selon lequel certains des faits reprochés ne lui auraient été communiqués ni lors des auditions préalables effectuées par l'AIPN en application de l'article 87 du statut, ni lors de son audition par le conseil de discipline, est dénué de pertinence pour l'appréciation de la légalité de la décision de suspension. En effet, il importe de relever que le requérant soutient lui-même que cette décision aurait dû intervenir avant l'audition préalable prévue par l'article 87 sans, pour autant, justifier en quoi le fait d'avoir été convoqué à l'audition préalable prévue par l'article 87 du statut avant que la décision de suspension n'ait été prise serait susceptible de mettre en cause la régularité de celle-ci. Quant au grief tiré de l'absence de débat contradictoire lors des auditions effectuées par le conseil de discipline, postérieurement à l'adoption de la décision attaquée, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la légalité d'une décision doit s'apprécier au moment de l'adoption de celle-ci (arrêt du Tribunal du 22 janvier 1998, Costacurta/Commission, RecFP p. II-49, point 43), de sorte que l'irrégularité alléguée ne peut être invoquée qu'à l'encontre de la décision adoptée au terme de la procédure disciplinaire par l'AIPN, qui, en l'espèce, inflige au requérant la sanction de la révocation.

53.
    Au vu de l'ensemble de ces éléments, le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation du principe d'égalité de traitement entre fonctionnaires

Arguments des parties

54.
    Le requérant fait valoir, en premier lieu, que la Commission a méconnu le principe d'égalité de traitement entre fonctionnaires en ce qu'elle ne se serait pas conformée à la pratique qui serait généralement la sienne d'autoriser, sans contrôle préalable, la publication d'ouvrages par des fonctionnaires ayant suspendu leurs activités.

55.
    Il soutient, en second lieu, que l'adoption d'une décision de suspension est discriminatoire au motif que d'autres fonctionnaires ayant adopté un comportement d'une gravité incontestable, pendant une période d'activité, ne se sont pas vu infliger une telle mesure. A cet égard, le requérant invoque l'exemple d'un fonctionnaire, qui aurait publié des pamphlets injurieux en période d'activité, et qui n'aurait pas fait l'objet d'une mesure de suspension, mais seulement d'un blâme.

56.
    La Commission rétorque que le requérant ne fournit aucune indication permettant d'identifier les cas auxquels il compare le sien, ou de juger du bien-fondé de la comparaison. En outre, il résulterait d'une jurisprudence constante que les décisions prononçant une sanction disciplinaire s'apprécient individuellement et ne sont pas illégales au seul motif que d'autres cas ont pu être traités autrement, ce qui serait d'autant plus vrai pour une décision de suspension.

Appréciation du Tribunal

57.
    Selon une jurisprudence constante, il y a violation du principe d'égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes, dont les situations factuelles et juridiques ne présentent pas de différences essentielles, se voient appliquer un traitement différent, ou lorsque des situations différentes sont traitées de manière identique (voir l'arrêt du Tribunal du 15 mars 1994, La Pietra/Commission, T-100/92, RecFP p. II-275, point 50, et la jurisprudence citée).

58.
    S'agissant, tout d'abord, de l'argument tiré de l'existence d'une pratique générale de la Commission, au demeurant non établie, consistant à ne pas soumettre à l'autorisation préalable visée à l'article 17, second alinéa, du statut la publication des ouvrages élaborés par des fonctionnaires en congé de convenance personnelle, il ne saurait être de nature à démontrer une violation du principe d'égalité de traitement dès lors qu'il vise une situation différente de celle du requérant. En effet, à supposer même qu'une telle pratique ait existé et concerné des ouvrages ayant trait aux activités des Communautés au sens de l'article 17 susvisé, il suffit de constater que, ainsi qu'il ressort de la décision attaquée, la gravité de la faute alléguée à l'encontre du requérant n'était pas justifiée par la seule absence d'une autorisation préalable de publication, mais par un ensemble de circonstances propres au cas d'espèce, telles que le contenu de l'ouvrage en cause, la publicité l'ayant accompagné et la possibilité d'un manquement aux articles 11 et 12 du statut.

59.
    Quant à l'allégation selon laquelle l'AIPN n'aurait adopté aucune mesure de suspension à l'égard d'un autre fonctionnaire qui aurait publié, durant une période d'activité, des pamphlets injurieux, le Tribunal relève que le requérant n'enrapporte pas la preuve, de sorte que cet argument doit également être rejeté.

60.
    En tout état de cause, l'article 88, premier alinéa, du statut n'impose pas à l'AIPN de suspendre un fonctionnaire à l'encontre duquel une faute grave est alléguée, mais prévoit qu'elle «peut» adopter une telle décision si cette condition est satisfaite. Il en résulte que l'AIPN dispose, dans cette hypothèse, d'un large pouvoir d'appréciation qu'il lui appartient d'exercer en fonction des circonstances propres à chaque cas. .

61.
    Il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli.

62.
    Il découle de l'ensemble de ces éléments que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

63.
         Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à ce que le Tribunal statue sur les dépens comme de droit, chacune des parties supportera ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Chacune des parties supportera ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Vesterdorf
Pirrung
Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 mai 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.