Language of document : ECLI:EU:T:1999:103

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

19 mai 1999 (1)

«Fonctionnaires — Article 90, paragraphe 1, du statut — Recours en indemnité — Procédure précontentieuse non conforme au statut — Irrecevabilité»

Dans l'affaire T-214/96,

Bernard Connolly, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Everberg (Belgique), représenté par Mes Jacques Sambon et Pierre-Paul Van Gehuchten, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Louis Schiltz, 2, rue du Fort Rheinsheim,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique principal, et Julian Currall, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en réparation du préjudice matériel et moral que le requérant estime avoir subi à la suite de la publication, dans la presse, de plusieurs informations et déclarations le concernant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, J. Pirrung et M. Vilaras, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 10 février 1999,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    A la date des faits, le requérant, M. Connolly, était fonctionnaire, de grade A 4, échelon 4, de la Commission, et chef de l'unité 3 «SME, politiques monétaires nationales et communautaire» au sein de la direction D «affaires monétaires» de la direction générale des affaires économiques et financières.

2.
    Le 24 avril 1995, M. Connolly a présenté, en application de l'article 40 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), une demande de congé de convenance personnelle, pour une période de trois mois, à compter du 3 juillet 1995. La Commission lui a accordé ce congé par décision du 2 juin 1995.

3.
    Par décision du 27 septembre 1995, la Commission a réintégré M. Connolly dans son emploi, à partir du 4 octobre 1995, conformément à sa demande.

4.
    Pendant son congé de convenance personnelle, M. Connolly a publié un livre intitulé: The rotten heart of Europe. The dirty war for Europe's money, sans demander l'autorisation préalable prévue par l'article 17, second alinéa, du statut.

5.
    Au début du mois de septembre, notamment du 4 au 10 septembre 1995, une série d'articles concernant ce livre a été publiée dans la presse européenne et surtout britannique.

6.
    Par lettre du 6 septembre 1995, le directeur général du personnel et de l'administration, en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN»), a notifié au requérant sa décision d'ouvrir une procédure disciplinaire contre lui pour violation des articles 11, 12 et 17 du statut, et l'a convoqué à une

audition préalable, en application de l'article 87 du statut. Le requérant a été entendu les 12 et 26 septembre 1995.

7.
    Par décision du 27 septembre 1995, prise en vertu de l'article 88 du statut, l'AIPN a suspendu le requérant de ses fonctions à compter du 3 octobre 1995.

8.
    Le 4 octobre 1995, l'AIPN a décidé de saisir le conseil de discipline, en application de l'article 1er de l'annexe IX du statut.

9.
    Par lettre du 18 octobre 1995, enregistrée au secrétariat général de la Commission le 27 octobre suivant (ci-après «réclamation du 27 octobre 1995»), le requérant a saisi l'AIPN d'une réclamation, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, contre les décisions d'engager une procédure disciplinaire et de saisir le conseil de discipline, ainsi que contre la décision du 27 septembre 1995 de le suspendre de ses fonctions. Dénonçant, par ailleurs, le fait que des déclarations publiées dans la presse portaient atteinte à son honorabilité, à sa santé et à sa réputation professionnelle, le requérant faisait valoir, dans cette lettre, que la procédure disciplinaire engagée contre lui «était mue dans [un] climat que précisément l'article 24 du statut fait devoir à la Commission d'éviter», et demandait, par conséquent, à cette institution de l'«assister dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, d'outrages, d'injures, de diffamations, de comportements incompatibles avec toute initiative d'une administration active raisonnable». Le requérant indiquait également: «[Ces déclarations] me sont gravement dommageables et je dois bien entendu réserver tous mes droits de ce fait.»

10.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 octobre 1995, le requérant a introduit un recours, en vertu de l'article 91, paragraphe 4, du statut, ayant pour objet, d'une part, l'annulation des décisions de l'AIPN de le suspendre de ses fonctions, d'engager une procédure disciplinaire contre lui et de saisir le conseil de discipline, et, d'autre part, la condamnation de la Commission au paiement de 750 000 BFR en réparation du préjudice subi à raison des déclarations à la presse dont il a fait l'objet (affaire T-203/95).

11.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une demande de mesures provisoires visant à ce qu'il soit interdit à la Commission de communiquer aux organes de presse des informations concernant la procédure disciplinaire ainsi que des informations relatives à sa carrière, à sa personnalité, à ses opinions ou à sa santé et qu'il soit ordonné à la Commission de prendre toutes les mesures nécessaires pour qu'aucune de ces informations ne soit rendue publique. Le requérant demandait, en outre, que la Commission soit condamnée à lui payer une astreinte de 100 000 BFR pour chaque infraction constatée dès la date de l'ordonnance.

12.
    Par ordonnance du président du Tribunal du 12 décembre 1995, Connolly/Commission (T-203/95 R, RecFP p. II-847), la Commission a été invitée

à prendre toutes les mesures nécessaires pour qu'aucune information relative à la carrière de M. Connolly, à sa personnalité, à ses opinions ou à sa santé, qui soit de nature à porter atteinte, directement ou indirectement, à sa réputation personnelle et professionnelle, ne soit divulguée par son personnel, dans le cadre de contacts avec la presse ou de toute autre manière. La demande de mesures provisoires a été rejetée pour le surplus.

13.
    Par décision en date du 16 janvier 1996, l'AIPN, suivant l'avis du conseil de discipline, a infligé au requérant la sanction visée à l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut, à savoir la révocation sans suppression ni réduction des droits à la pension d'ancienneté.

14.
    Par lettre du 27 février 1996, la Commission a informé le requérant que sa réclamation du 27 octobre 1995 avait fait l'objet d'un rejet implicite.

15.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mars 1996, le requérant a introduit un recours en annulation de l'avis du conseil de discipline (affaire T-34/96).

16.
    Le 23 mai 1996, le requérant a adressé à l'AIPN une lettre intitulée «recours article 90.2».

17.
    Cette lettre était rédigée comme suit:

«Par votre courrier du 27 février 1996 [...], vous m'avez avisé de ce qu'un rejet implicite était intervenu le 27 février 1996 suite à ma réclamation du 27 octobre 1995.

Il résulte de cette réclamation que je poursuivais dans ce cadre un double objet lié, d'une part (article 90.2), à la révision et/ou l'annulation des mesures initiales constituant la procédure disciplinaire mue par la Commission à mon encontre et, d'autre part (article 90.1), une mise en demeure et une demande concernant la réparation du préjudice dont j'avais été victime à la suite des déclarations intempestives faites par la Commission.

Cette deuxième demande a elle aussi été implicitement rejetée. Cependant, je puise notamment dans le dispositif de l'ordonnance de référé prononcée par le Tribunal de première instance de sérieux arguments à l'appui de cette demande.

J'ai, par voie de conséquence, l'honneur de vous adresser la présente au sens de l'article 90.2 comme valant recours précontentieux à l'encontre de votre décision de rejet implicite dirigé contre ma demande de réparation du préjudice subi.

Je tiens, pour autant que de besoin, ici intégralement reproduit les développements appuyant cette demande de dommages-intérêts et en chiffrant la hauteur dans le

cadre de la procédure au fond et j'annexe à cette fin le mémoire que j'avais pris alors.

[...]»

18.
    A cette lettre était annexée la requête déposée par le requérant dans l'affaire T-203/95.

19.
    La Commission n'a pas adopté de décision explicite en réponse à cette lettre.

20.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 octobre 1996, le requérant a introduit un recours en annulation de l'avis du conseil de discipline et de la décision de révocation, ainsi qu'en dommages et intérêts (affaire T-163/96).

Procédure

21.
    C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 1996, le requérant a introduit le présent recours.

22.
    Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 10 juin 1998, les affaires T-203/95, T-34/96, T-163/96 et T-241/96 ont été jointes aux fins de la procédure orale.

23.
    Par décision du Tribunal du 21 septembre 1998, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle les affaires T-203/95, T-34/96, T-163/96 et T-214/96 ont, par conséquent, été attribuées.

24.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

25.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience publique du 10 février 1999.

26.
    Lors de l'audience, il a été pris acte de ce que le requérant se désistait de ses demandes dans l'affaire T-203/95, à l'exception de celle en annulation de la décision de suspension, et qu'il maintenait intégralement son recours dans l'affaire T-214/96.

Conclusions des parties

27.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    condamner la Commission à payer la somme de 750 000 BFR à titre de réparation du dommage subi à la suite des faits non décisionnels fautifs visés à l'appui du présent recours;

—    condamner la Commission aux dépens.

28.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    déclarer le recours irrecevable;

—    à titre subsidiaire, le rejeter comme non fondé;

—    condamner le requérant aux dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

29.
    La Commission, sans soulever d'exception formelle d'irrecevabilité, estime que le recours est irrecevable pour plusieurs motifs. En premier lieu, les conclusions du requérant seraient identiques, tant dans leur contenu que dans le montant y indiqué, aux conclusions en indemnité dans l'affaire T-203/95, de sorte que le recours serait irrecevable pour cause de litispendance. En deuxième lieu, le recours n'aurait pas été précédé d'une procédure précontentieuse régulière, le requérant n'ayant pas introduit de demande préalable, au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut, invitant la Commission à l'indemniser pour le préjudice allégué. En tout état de cause, la réclamation datée du 23 mai 1996 serait tardive, n'ayant été enregistrée que le 6 juin 1996, soit au-delà du délai statutaire de trois mois qui commençait à courir le 27 février 1996, date du rejet implicite de sa prétendue demande.

30.
    Le requérant fait valoir, tout d'abord, que les fautes sur lesquelles il fonde sa demande ne sont pas seulement celles visées dans le cadre du recours T-203/95, mais correspondent aussi à d'autres faits dommageables intervenus postérieurement. A cet égard, le requérant invoque une dépêche d'agence de presse du 18 janvier 1996, faisant état d'une déclaration du porte-parole de la Commission annonçant sa révocation. En conséquence, le présent recours ne serait pas irrecevable pour cause de litispendance.

31.
    Le requérant estime, par ailleurs, que la procédure précontentieuse a été respectée.

32.
    D'une part, sa réclamation du 23 mai 1996 aurait été précédée d'une demande d'indemnisation préalable, cette dernière ayant été formulée dans le cadre de sa précédente réclamation du 27 octobre 1995. A cet égard, le requérant fait valoir que, lors de l'examen de celle-ci par le groupe interservices de la Commission, le 30 novembre 1995, il a précisé, dans une déclaration écrite, que cette réclamation comportait également une demande de réparation du préjudice, au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut. Or, à l'époque, ni ces précisions ni celles

apportées par la suite dans le cadre de sa réclamation du 23 mai 1996 n'auraient été contredites par la Commission.

33.
    D'autre part, s'agissant du dépôt prétendument tardif de sa réclamation du 23 mai 1996, le requérant rétorque qu'elle a été enregistrée le lendemain, comme l'attesteraient les accusés de réception qu'il produit.

Appréciation du Tribunal

34.
    Selon une jurisprudence constante, un recours en indemnité qui tend à la réparation d'un préjudice causé non pas par un acte faisant grief dont l'annulation est demandée, mais par diverses fautes prétendument commises par l'administration, doit, sous peine d'irrecevabilité, être précédé d'une procédure administrative en deux étapes. Celle-ci doit impérativement débuter par la présentation d'une demande, au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut, invitant l'AIPN à réparer le préjudice allégué et se poursuivre, le cas échéant, par l'introduction d'une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, dirigée contre la décision de rejet de la demande (arrêts du Tribunal du 13 juillet 1993, Moat/Commission, T-20/92, Rec. p. II-799, point 47, et du 16 juillet 1998, Y/Parlement, T-219/96, RecFP p. II-1235, point 56).

35.
    En l'espèce, le recours en indemnité présenté par le requérant tend à la réparation du préjudice matériel et moral prétendument causé par la Commission, à la suite de la parution, dans la presse, de diverses déclarations le concernant, émanant de sources autorisées et non autorisées de cette institution. Le recours ne se fonde donc pas sur le préjudice qui résulterait d'un acte dont l'annulation serait demandée, mais sur plusieurs fautes et omissions prétendument commises par l'administration. Par conséquent, il incombait au requérant de respecter la procédure précontentieuse susvisée (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 15 juillet 1993, Camara Alloisio e.a./Commission, T-17/90, T-28/91 et T-17/92, Rec. p. II-841, point 47, et ordonnance du Tribunal du 25 octobre 1996, Lopes/Cour de justice, T-26/96, RecFP p. II-1357, point 47).

36.
    Or, il y a lieu de constater que le requérant a directement introduit sa réclamation du 23 mai 1996 sans la faire précéder d'une demande préalable régulière au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut.

37.
    L'argument du requérant, selon lequel sa réclamation du 27 octobre 1995 dirigée contre les décisions de l'AIPN de le suspendre de ses fonctions, d'engager une procédure disciplinaire et de saisir le conseil de discipline aurait également comporté une demande d'indemnisation pour le préjudice qu'il estimait avoir subi du fait des déclarations susmentionnées, ne saurait être accueilli. En effet, dans cette lettre, ainsi qu'il a déjà été constaté au point 22 de l'ordonnance Connolly/Commission, précitée, le requérant a uniquement demandé à la Commission de l'assister, en application de l'article 24 du statut, dans toute

poursuite contre les auteurs ou responsables de comportements incompatibles notamment avec le principe de bonne administration. S'agissant de la question de l'indemnisation, le requérant se limitait à faire état du caractère «gravement dommageable» de tels agissements et à «réserver» ses droits en vue d'une action en indemnisation ultérieure. Ladite lettre ne saurait, dès lors, être qualifiée de demande préalable au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut.

38.
    Cette interprétation n'est pas contredite par l'argument tiré de ce que, dans une note déposée au groupe interservices, le 30 novembre 1995, le requérant aurait précisé que sa réclamation du 27 octobre 1995 comportait également une demande, au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut, visant à l'indemnisation du préjudice allégué. A cet égard, il y a lieu, tout d'abord, de rappeler que la qualification d'une lettre ou d'une note par son auteur n'est en rien décisive au regard des règles du statut en matière de procédure précontentieuse, cette qualification relevant de la seule appréciation du Tribunal (arrêt du Tribunal du 20 mars 1991, Pérez-Minguez Casariego/Commission, T-1/90, Rec. p. II-143, et ordonnances du Tribunal du 15 juillet 1993, Hogan/Parlement, T-115/92, Rec. p. II-895, et Lopes/Cour de justice, précitée, point 43). Par ailleurs, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient le requérant, celui-ci indiquait, dans ladite note, que l'objectif de cette réclamation était d'obtenir les mesures d'assistance sollicitées mais «pas de poursuivre l'octroi de dommages et intérêts en tant que tels». Dans ces conditions, le requérant ne saurait, à plus forte raison, prétendre que sa réclamation du 27 octobre 1995 comportait, en outre, une demande en indemnisation, présentée conformément à l'article 90, paragraphe 1, du statut.

39.
    Il découle de l'ensemble de ces éléments que le recours doit être rejeté comme irrecevable, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens d'irrecevabilité présentés par la Commission.

Sur les dépens

40.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)    Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Vesterdorf
Pirrung
Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 mai 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.