Language of document : ECLI:EU:T:2013:93

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

26 février 2013 (*)

« FEDER – Réduction d’un concours financier – Programmes opérationnels relevant de l’objectif n° 1 (1994-1999), ‘Andalousie’ et ‘Communauté de Valence’ – Programme opérationnel relevant de l’objectif n° 2 (1997-1999), ‘Pays basque’ – Extrapolation »

Dans les affaires jointes T‑65/10, T‑113/10 et T‑138/10,

Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. J. Rodríguez Cárcamo, puis par M. A. Rubio González, abogados del Estado,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme A. Steiblytė et M. J. Baquero Cruz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation formée contre les décisions de la Commission C (2009) 9270, du 30 novembre 2009, C (2009) 10678, du 23 décembre 2009, et C (2010) 337, du 28 janvier 2010, réduisant le concours du Fonds européen de développement régional (FEDER) octroyé au titre, respectivement, du programme opérationnel « Andalousie » relevant de l’objectif n° 1 (1994-1999) en application de la décision C (94) 3456 de la Commission, du 9 décembre 1994, du programme opérationnel « Pays basque » relevant de l’objectif n° 2 (1997-1999) en application de la décision C (1998) 121 de la Commission, du 5 février 1998, et du programme opérationnel « Communauté de Valence » relevant de l’objectif n° 1 (1994‑1999) en application de la décision C (1994) 3043/6 de la Commission, du 25 novembre 1994,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, F. Dehousse et J. Schwarcz (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 juin 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par ses décisions C (94) 3456, du 9 décembre 1994, C (98) 121, du 5 février 1998 et C (1994) 3043/6, du 25 novembre 1994, la Commission des Communautés européennes a approuvé, respectivement, les programmes opérationnels « Andalousie », relevant de l’objectif n° 1 (1994-1999), « Pays basque », relevant de l’objectif n° 2 (1997-1999), et « Communauté de Valence », relevant de l’objectif n° 1 (1994‑1999). L’objectif n° 1 correspond à l’ajustement structurel des régions en retard de développement et l’objectif n° 2 à la reconversion économique des zones industrielles en déclin.

2        Lors des audits de clôture de ces programmes, la Commission a sélectionné certains projets aux fins de contrôle. L’examen de ces échantillons aurait laissé apparaître de nombreuses irrégularités, dont certaines récurrentes. Ces erreurs seraient principalement des violations des normes de l’Union européenne en matière de marchés publics, telles que la modification de marchés initiaux, l’attribution directe de travaux complémentaires, l’attribution de marchés sur la base du critère du prix moyen et d’autres critères prétendument irréguliers comme l’implantation locale et l’expérience, l’absence de publication d’avis d’adjudication au Journal officiel de l’Union européenne ainsi que des violations des normes applicables dans le cadre des fonds structurels, telles que l’exécution d’engagements après le 31 décembre 1999, le paiement des dépenses après le délai d’éligibilité du 31 décembre 2001, ou bien l’absence de pistes d’audit et de preuves de paiement dans le cadre de projets d’aides d’État. Ces irrégularités étaient qualifiées par la Commission de systémiques.

3        Après différents échanges avec les autorités espagnoles, la Commission a décidé de réduire le concours du Fonds européen de développement régional (FEDER) accordé à chacun des programmes opérationnels en extrapolant à l’ensemble de ces derniers les erreurs systémiques qu’elle estimait avoir découvertes, lors de l’examen des échantillons.

4        Plus particulièrement, dans le cadre de l’audit de clôture concernant le programme opérationnel « Andalousie » (affaire T‑65/10), la Commission a sélectionné un échantillon aléatoire de 37 projets sur 5 319 pour un montant de 870 341 396 euros, soit 16,69 % du montant final des dépenses déclarées, sur la base du sondage en unités monétaires et à l’aide du logiciel d’audit ACL (Audit Command Language), outil d’audit assisté par ordinateur. Les conclusions de l’audit ont été communiquées aux autorités espagnoles dans les rapports des 19 octobre 2004 et 10 avril 2006. Après plusieurs échanges d’observations et d’informations avec les autorités espagnoles, une réunion s’est tenue à Bruxelles (Belgique) les 2 et 3 juillet 2008. Cette réunion a débouché sur l’engagement des autorités espagnoles à présenter des informations complémentaires relatives à l’admissibilité des opérations dans un délai de trois semaines. Les informations complémentaires ont été présentées par lettres des 22 juillet et 5 août 2008. La Commission a adressé ses conclusions finales aux autorités espagnoles par lettre du 19 mars 2009. Celles-ci ont répondu par lettre datée du 21 avril 2009.

5        Par sa décision C (2009) 9270, du 30 novembre 2009, la Commission a réduit de 219 334 437,31 euros le concours du FEDER octroyé, pour un montant de 3 323 249 050,16 euros, au titre du programme opérationnel « Andalousie ». Cette réduction correspond à l’extrapolation des irrégularités qualifiées par la Commission de systémiques et décrites au point 2 ci-dessus à l’ensemble du programme opérationnel.

6        Dans le cadre de l’audit de clôture concernant le programme opérationnel « Pays basque » (affaire T‑113/10), la Commission a sélectionné un échantillon aléatoire de 37 projets sur 3 348 pour un montant de 266 765 981 euros, ce qui correspondait à 36,98 % des dépenses finales déclarées, en appliquant la même méthode que celle qu’elle avait utilisée pour le programme opérationnel « Andalousie ». Les résultats et les conclusions de l’audit ont été communiqués aux autorités espagnoles dans les rapports du 17 août 2005 et du 24 septembre 2007. Après plusieurs échanges d’observations et d’informations, une audience s’est tenue les 22 et 23 janvier 2009, à Bruxelles. Celle-ci a débouché sur un engagement des autorités espagnoles à présenter des informations relatives à l’admissibilité des opérations en question dans un délai de trois semaines. Les informations complémentaires ont été envoyées par lettre datée du 16 février 2009 et par courriers électroniques des 10, 23 et 24 février 2009. La Commission a adressé ses conclusions finales aux autorités espagnoles par lettre du 29 juillet 2009. Celles-ci ont répondu par lettre du 15 septembre 2009.

7        Par sa décision C (2009) 10678, du 23 décembre 2009, la Commission a réduit de 27 884 692,27 euros le concours du FEDER octroyé, pour un montant de 301 152 434 euros, au titre du programme opérationnel « Pays basque ». Cette réduction correspond à l’extrapolation des irrégularités qualifiées par la Commission de systémiques et décrites au point 2 ci-dessus à l’ensemble du programme opérationnel.

8        Dans le cadre de l’audit de clôture concernant le programme opérationnel « Communauté de Valence » (affaire T‑138/10), la Commission a choisi un échantillon aléatoire de 38 projets sur 7 862 pour un montant de 607 075 404,63 euros, ce qui correspondait à 28,72 % des dépenses finales déclarées, en appliquant la même méthode que celle qu’elle avait utilisée pour les deux autres programmes opérationnels. Les résultats et les conclusions de l’audit ont été communiqués aux autorités espagnoles dans les rapports du 10 juin 2004 et du 10 avril 2006. Après plusieurs échanges d’observations et d’informations avec les autorités espagnoles, une audience s’est tenue à Bruxelles les 4 et 5 novembre 2008. Cette réunion a débouché sur un engagement des autorités espagnoles à présenter des informations complémentaires relatives à l’admissibilité des opérations en cause dans un délai de trois semaines. Ces informations ont été communiquées par lettre du 24 novembre 2008. La Commission a adressé ses conclusions finales aux autorités espagnoles par lettre du 29 mai 2009. Celles-ci ont répondu par lettre du 3 juillet 2009 et par courrier électronique daté du 7 juillet 2009.

9        Par sa décision C (2010) 337, du 28 janvier 2010, la Commission a réduit de 115 612 377,25 euros le concours du FEDER octroyé, pour un montant de 1 298 056 426,49 euros, au titre du programme opérationnel « Communauté de Valence ». Cette réduction correspond à l’extrapolation des irrégularités qualifiées par la Commission de systémiques et décrites au point 2 ci-dessus à l’ensemble du programme opérationnel.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement le 11 février 2010 (affaire T‑65/10), le 8 mars 2010 (affaire T‑113/10) et le 24 mars 2010 (affaire T‑138/10), le Royaume d’Espagne a introduit les présents recours.

11      Par lettres des 8 et 24 mars 2010, le Royaume d’Espagne a demandé la jonction de ces trois affaires. La Commission a marqué son accord par lettres des 17 mars et 8 avril 2010.

12      Par ordonnance du président de la septième chambre du Tribunal du 26 avril 2010, les trois affaires ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de la décision mettant fin à l’instance, conformément à l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

13      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

14      Dans le cadre des mesures d’organisation de procédure, le Tribunal (deuxième chambre) a invité les parties à produire certains documents et à répondre à certaines questions. Les parties ont répondu à cette demande dans le délai imparti.

15      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

16      Les parties n’ont exprimé aucune observation sur le rapport d’audience.

17      Elles ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 19 juin 2012.

18      Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

–        annuler la décision C (2009) 9270, la décision C (2009) 10678 et la décision C (2010) 337 (ci‑après les « décisions attaquées ») ;

–        condamner la Commission aux dépens.

19      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

 En droit

20      À l’appui des recours, le Royaume d’Espagne invoque quatre moyens, tirés :

–        de la violation de l’article 24 du règlement (CEE) n° 4253/88 du Conseil, du 19 décembre 1988, portant dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2052/88 en ce qui concerne la coordination entre les interventions des différents fonds structurels, d’une part, et entre celles-ci et celles de la Banque européenne d’investissement et des autres instruments financiers existants, d’autre part (JO L 374, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 2082/93 du Conseil, du 20 juillet 1993 (JO L 193, p. 20), en ce que la Commission ne saurait procéder par extrapolation aux corrections financières qu’il prévoit ;

–        à titre subsidiaire, de la violation de l’article 24 du règlement n° 4253/88 et de l’article 4, paragraphe 3, TUE, en ce qu’aucune insuffisance du système de gestion, de contrôle ou d’audit n’a été constatée pour les marchés modifiés ;

–        à titre encore plus subsidiaire, de la violation de l’article 24 du règlement n° 4253/88, en ce que l’échantillon de projets utilisé par la Commission pour procéder à des corrections financières par extrapolation ne serait pas représentatif des programmes opérationnels en cause ;

–        de la violation de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO L 312, p. 1), et du principe d’un délai raisonnable en ce que la Commission aurait dépassé le délai de prescription de quatre ans pour effectuer les corrections financières.

 Observations générales

21      L’article 174 TFUE et l’article 158 CE prévoient que l’Union développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique et sociale et qu’elle vise en particulier à réduire l’écart de développement entre ses différentes régions et le retard de celles qui sont les moins favorisées (arrêt de la Cour du 13 novembre 1991, France/Commission, C‑303/90, Rec. p. I‑5315, point 2).

22      À cet effet ont été adoptés le règlement (CEE) n° 2052/88 du Conseil, du 24 juin 1988, concernant les missions des fonds à finalité structurelle, leur efficacité ainsi que la coordination de leurs interventions entre elles et celles de la Banque européenne d’investissement et des autres instruments financiers existants (JO L 185, p. 9), modifié par le règlement (CEE) nº 2081/93 du Conseil, du 20 juillet 1993 (JO L 193, p. 5), et le règlement n° 4253/88 (arrêt France/Commission, point 21 supra, point 3).

23      Il importe de rappeler que, en matière de fonds structurels, l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2052/88 précise que l’action communautaire s’établit par une concertation étroite entre la Commission, les États membres ainsi que les autorités et les organismes compétents de l’État membre concerné. Cette concertation se traduit en outre par un système de responsabilité résiduelle des États membres envers l’Union en cas de perte de sommes provenant de fonds structurels à la suite d’abus ou de négligences. Les modalités de mise en œuvre de ce système de responsabilité figurent aux articles 23 et 24 du règlement n° 4253/88 (arrêt de la Cour du 13 mars 2008, Vereniging Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening e.a., C‑383/06 à C‑385/06, Rec. p. I‑1561, point 54).

24      L’article 23 du règlement n° 4253/88, intitulé « Contrôle financier », dispose :

« 1.      Afin de garantir le succès des actions menées par des promoteurs publics ou privés, les États membres prennent les mesures nécessaires pour :

–        vérifier régulièrement que les actions financées par la Communauté ont été menées correctement,

–        prévenir et poursuivre les irrégularités,

–        récupérer les fonds perdus à la suite d’un abus ou d’une négligence. Sauf si l’État membre et/ou l’intermédiaire et/ou le promoteur apportent la preuve que l’abus ou la négligence ne leur est pas imputable, l’État membre est subsidiairement responsable du remboursement des sommes indûment versées. Pour les subventions globales, l’intermédiaire peut avec l’accord de l’État membre et de la Commission, recourir à une garantie bancaire ou toute autre assurance couvrant ce risque.

Les États membres informent la Commission des mesures prises à cet effet et, en particulier, ils communiquent à la Commission la description des systèmes de contrôle et de gestion établis pour assurer la mise en œuvre efficace des actions. Ils informent la Commission régulièrement de l’évolution des poursuites administratives et judiciaires.

[…]

2.      Sans préjudice des contrôles effectués par les États membres conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, et sans préjudice des dispositions de l’article 206 du traité et de toute inspection menée au titre de l’article 209 point c) du traité, des fonctionnaires ou agents de la Commission peuvent contrôler sur place, notamment par sondage, les actions financées par les Fonds structurels et les systèmes de gestion et de contrôle.

Avant d’effectuer un contrôle sur place, la Commission en informe l’État membre concerné, de manière à obtenir toute l’aide nécessaire. Le recours de la Commission à d’éventuels contrôles sur place sans préavis est régi par des accords passés en conformité avec les dispositions du règlement financier dans le cadre du partenariat. Des fonctionnaires ou agents de l’État membre peuvent participer aux contrôles.

La Commission peut demander à l’État membre concerné d’effectuer un contrôle sur place pour vérifier la régularité de la demande de paiement. Des fonctionnaires ou agents de la Commission peuvent participer à ces contrôles et doivent le faire si l’État membre concerné le demande.

La Commission veille à ce que les contrôles qu’elle effectue soient réalisés de façon coordonnée de manière à éviter la répétition des contrôles pour le même sujet et dans la même période. L’État membre concerné et la Commission se transmettent, sans délai, toutes informations appropriées concernant les résultats des contrôles effectués.

3.      Au cours des trois années suivant le dernier paiement relatif à une action, l’organisme et les autorités responsables laissent toutes les pièces justificatives relatives aux dépenses afférentes à l’action à la disposition de la Commission. »

25      L’article 24 du règlement n° 4253/88, intitulé « Réduction, suspension et suppression du concours », prévoit que :

« 1.      Si la réalisation d’une action ou d’une mesure ne semble justifier qu’une partie du concours financier qui lui a été alloué, la Commission procède à un examen approprié du cas dans le cadre du partenariat, en demandant notamment à l’État membre ou aux autres autorités désignées par celui-ci pour la mise en œuvre de l’action de présenter leurs observations dans un délai déterminé.

2.      Suite à cet examen, la Commission peut réduire ou suspendre le concours pour l’action ou la mesure concernée si l’examen confirme l’existence d’une irrégularité, et notamment d’une modification importante qui affecte la nature ou les conditions de mise en œuvre de l’action ou de la mesure et pour laquelle l’approbation de la Commission n’a pas été demandée.

3.      Toute somme donnant lieu à répétition de l’indu doit être réservée à la Commission. Les sommes non reversées sont majorées d’intérêts de retard en conformité avec les dispositions de règlement financier et selon les modalités à arrêter par la Commission suivant les procédures visées au titre VIII. »

26      Après avoir consulté le comité consultatif pour le développement et la conversion des régions et le comité prévu à l’article 147 du traité CE et en renvoyant à l’article 23 du règlement n° 4253/88, la Commission a adopté plusieurs règlements d’application, dont le règlement (CE) n° 2064/97, du 15 octobre 1997, arrêtant les modalités détaillées d’application du règlement nº 4253/88 en ce qui concerne le contrôle financier effectué par les États membres sur les opérations cofinancées par les fonds structurels (JO L 290, p. 1).

27      Le même jour, la Commission a adopté des orientations internes relatives aux corrections financières nettes dans le cadre de l’application de l’article 24 du règlement n° 4253/88 (ci-après les « orientations internes »). Aux points 5 et 6 desdites orientations internes, la Commission précise que, par dérogation à la règle selon laquelle toute correction financière nette porte uniquement sur la ou les irrégularités décelées, une correction financière plus importante est toutefois prévue au cas où la Commission aurait de bonnes raisons de penser que l’irrégularité était systémique, reflétant, par conséquent, une insuffisance systémique de gestion, de contrôle ou d’audit qui pourrait se retrouver dans toute une série de cas similaires. Pour effectuer une telle correction financière, la Commission procède par extrapolation, c’est-à-dire qu’elle tient compte du niveau et de la spécificité de la structure administrative impliquée dans cette défaillance ainsi que de l’étendue probable de l’abus.

 Sur le quatrième moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa du règlement n° 2988/95 et du principe de délai raisonnable

28      Dans la mesure où le quatrième moyen porte sur la prescription de la possibilité pour la Commission d’apporter des corrections aux concours en question, et sur le délai raisonnable des procédures menées par la Commission, il convient de l’examiner en premier lieu.

 Arguments des parties

29      Le Royaume d’Espagne estime que l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 2988/95 qui prévoit un délai de prescription de quatre ans pour les poursuites de la Commission contre les irrégularités susceptibles d’affecter ses intérêts financiers entache la validité des décisions attaquées.

30      Elle explique, dans un premier temps, les raisons pour lesquelles le règlement n° 2988/95 serait applicable en l’espèce. Tout d’abord, les orientations internes auraient repris la définition de l’« irrégularité » figurant à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 2988/95. Par conséquent, si la Commission considère que le règlement n° 2988/95 serait applicable pour ce qui est de la définition de la notion d’« irrégularité », il devrait l’être également concernant le délai de prescription. Ensuite, le Royaume d’Espagne estime que, si ledit règlement n’était pas applicable à l’égard des États membres, la Commission ne disposerait d’aucune base juridique pour effectuer les corrections et en déduit par conséquent que « soit les organismes des [programmes opérationnels] sont des opérateurs économiques et leur intervention peut être considérée comme une irrégularité aux fins de l’application des règles en matière de corrections financières et, en définitive, en matière de prescription également, soit la Commission ne dispose tout simplement pas d’une base juridique pour imposer les sanctions financières qu’elle prévoit ». Le Royaume d’Espagne considère, enfin, que le concept d’opérateur économique mentionné dans le règlement n° 2988/95 « exige uniquement que l’auteur de l’irrégularité dispose d’une capacité juridique reconnue en droit national », capacité dont disposent les organismes gestionnaires des programmes opérationnels.

31      Le Royaume d’Espagne examine, dans un deuxième temps, la date de chacune des irrégularités constatées par la Commission ainsi que l’acte interruptif du délai de prescription relatif à chacune d’elles. À cette fin, il considère comme acte susceptible d’interrompre la prescription dans l’affaire T‑65/10 le rapport d’audit qui lui a été communiqué le 19 octobre 2004, concernant les seize projets sur lesquels il porte, et le rapport qui a été communiqué au Royaume d’Espagne, le 10 avril 2008, pour les 21 projets qui y sont examinés. Selon le Royaume d’Espagne, si ces dates sont prises comme références, la possibilité pour la Commission d’imposer des corrections financières à la majorité des irrégularités relatives aux questions de marchés publics serait prescrite, étant donné que les irrégularités constatées par cette dernière ont été commises pour la plupart avant le 19 octobre 2000. Il arrive également à cette même conclusion pour les projets Pays basque et Communauté de Valence.

32      Le Royaume d’Espagne fait ensuite valoir que la Commission aurait tardé huit ans, avant d’examiner et d’auditer les programmes en question, ce qui serait contraire aux principes de sécurité juridique, de bonne administration et de proportionnalité.

33      Enfin, même le délai de trois ans pendant lequel les autorités nationales sont tenues de conserver toutes les pièces justificatives relatives aux dépenses afférentes à l’action et les tenir à la disposition de la Commission aux fins de contrôle serait largement dépassé.

34      La Commission considère en revanche que la seule base juridique des décisions attaquées est l’article 24 du règlement n° 4253/88 et non le règlement n° 2988/95. Elle admet que, dans certains cas, les États membres et leurs émanations peuvent intervenir en qualité d’opérateurs économiques, mais ils doivent pour ce faire exercer une activité économique consistant à offrir des biens ou des services sur un marché déterminé. Dans les présentes affaires, les autorités espagnoles ne seraient intervenues qu’en qualité d’autorité publique intermédiaire entre l’Union et les bénéficiaires finaux de l’aide. Le règlement n° 2988/95 ne serait ainsi pas applicable. En tout état de cause, l’interprétation par la Commission du règlement n° 4253/88 dans ses orientations internes ne saurait lier le Tribunal, dans la mesure où ces orientations internes ne sont pas destinées à produire des effets de droit (arrêt de la Cour du 6 avril 2000, Espagne/Commission, C‑443/97, Rec. p. I‑2415, point 34).

35      Selon la Commission, cette conclusion se trouve confirmée par l’arrêt du 6 mai 2010, Comune di Napoli/Commission (T‑388/07, non publié au Recueil, point 43), par lequel le Tribunal aurait exclu l’application du règlement n° 2988/95 dans le cadre des décisions prises sur le fondement du règlement n° 4253/88, en tant qu’il énonce les règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l’Union (arrêt Vereniging Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening e.a., point 23 supra, point 39). En conséquence, c’est en principe le règlement n° 4253/88 qui s’appliquerait en matière de FEDER. Dès lors, le Royaume d’Espagne ne saurait, selon la Commission, exciper de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa du règlement n° 2988/95.

 Appréciation du Tribunal

36      Il ressort, tout d’abord, d’une jurisprudence bien établie que les contrôles, les mesures et les sanctions administratives prévus par le règlement n° 2988/95 sont applicables aux irrégularités commises par des opérateurs économiques, et non aux relations entre l’Union et les autorités publiques des États membres (arrêts du Tribunal du 22 novembre 2006, Italie/Commission, T‑282/04, non publié au Recueil, point 83 ; du 10 septembre 2008, Italie/Commission, T‑381/04, non publié au Recueil, points 83 et 84, et du 11 juin 2009, Grèce/Commission, T‑33/07, non publié au Recueil, point 243).

37      Par conséquent, dès lors que les décisions attaquées visent à écarter du financement communautaire un ensemble de dépenses effectuées par un État membre ou à réduire des concours reçus par un tel État, le règlement n° 2988/95 n’est pas applicable.

38      Ensuite, en ce qui concerne l’argument tiré de la violation des principes de bonne administration, de la proportionnalité et de la sécurité juridique, il convient de rappeler que le premier d’entre eux est énoncé à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 399). Il résulte de cette disposition que sous le droit à une bonne administration, les rédacteurs de la charte n’ont pas compris un droit autonome, mais plutôt des droits spécifiques comme, pour toute personne, celui de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable, celui d’être entendu avant la prise d’une décision individuelle défavorable, le droit d’accès à son dossier, comme l’obligation de motivation des décisions édictées par les institutions et les organes de l’Union, comme la protection des personnes au moyen de la responsabilité extracontractuelle de l’Union et comme le droit de toute personne de s’adresser aux institutions de l’Union dans une des langues des traités ainsi que de recevoir une réponse dans la même langue. La jurisprudence confirme également que le droit à une bonne administration ne constitue pas, en lui-même, une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Area Cova e.a./Conseil et Commission, T‑196/99, Rec. p. II‑3597, point 43), sauf lorsqu’il constitue l’expression de droits spécifiques dont le droit de voir ses affaires traitées dans un délai raisonnable (ordonnance de la Cour du 22 mars 2010, SPM/Conseil et Commission, C‑39/09 P, non publiée au Recueil, points 65 à 67, et arrêt du Tribunal du 13 novembre 2008, SPM/Conseil et Commission, T‑128/05, non publié au Recueil, point 127). Or, en excipant de la date tardive de l’ouverture des procédures de contrôle et de leur lenteur, le Tribunal estime que le Royaume d’Espagne fait, en substance, valoir que c’est son droit de voir ses affaires traitées dans un délai raisonnable, qui n’aurait pas été respecté.

39      Le principe de la proportionnalité exige, quant à lui, que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché (voir arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Conserve Italia/Commission, T‑305/00, Rec. p. II‑5659, point 111, et la jurisprudence citée). Toutefois, il ressort des écritures déposées par le Royaume d’Espagne, que en invoquant ledit principe de proportionnalité, celui-ci a en substance contesté le caractère raisonnable du délai d’ouverture des procédures de contrôle financier, ainsi que leur durée.

40      C’est également sous l’angle du droit de voir ses affaires traitées dans un délai raisonnable que doit être compris et appréhendé l’argument tiré de la violation de la sécurité juridique. Le Royaume d’Espagne soutient en substance que le délai raisonnable pour traiter ses affaires a été dépassé. Il relève à cet égard que les projets opérationnels ont été approuvés en 1994 et en 1998 et que les irrégularités relevées ne concerneraient pas les années postérieures à l’année 2000. Or, les différents rapports d’audit ne lui ont été présentés qu’entre 2004 et 2008 et les décisions finales ne lui ont été notifiées qu’à la fin de 2009 et au début de 2010.

41      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que le principe du caractère raisonnable de la durée des procédures est une expression particulière du principe de la sécurité juridique (arrêt de la Cour du 7 avril 2011, Grèce/Commission, C‑321/09 P, non publié au Recueil, point 41).

42      Bien que les règlements n°s 2052/88 et 4253/88 ne prévoient aucun délai spécifique au cours duquel la Commission doit débuter ou clore ses contrôles financiers des programmes opérationnels, il convient de rappeler que, en vertu d’un principe général du droit de l’Union, la Commission est tenue de respecter, dans le cadre de ses procédures administratives, un délai raisonnable (arrêt du 7 avril 2011, Grèce/Commission, point 41 supra, points 74 et 75, et arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01, Rec. p. II‑3987, point 229).

43      Cependant, le caractère raisonnable d’un délai ne saurait être examiné par référence à une limite maximale précise, déterminée de manière abstraite (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 192).

44      Il est, en effet, de jurisprudence constante que le caractère raisonnable de la durée de la procédure s’apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire ainsi que du comportement du requérant et de celui des autorités compétentes (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 43 supra, point 187, et du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, Rec. p. I‑6513, point 212). À cette fin, il importe également de prendre en considération le contexte dans lequel la procédure administrative en question s’inscrit (arrêts du Tribunal du 16 septembre 1999, Partex/Commission, T‑182/96, Rec. p. II‑2673, point 177, et Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, point 42 supra, point 230).

45      En premier lieu, en ce qui concerne les enjeux des litiges pour les parties, ceux-ci portent sur des corrections financières des concours communautaires s’élevant à plusieurs centaines de millions d’euros pour l’ensemble des trois projets. Les enjeux étaient donc particulièrement importants, ce qui méritait une préparation et des examens minutieux.

46      En deuxième lieu, la complexité des affaires était également considérable, dans la mesure où la Commission a contrôlé dans chacun des programmes opérationnels 37 à 38 projets, dont les résultats devaient être extrapolés à l’ensemble des projets, lesquels étaient supérieurs à seize mille. De surcroît, lesdits contrôles ne pouvaient pas se limiter à l’aspect purement comptable ou financier des dépenses, mais devaient également analyser leur régularité au regard de l’ensemble de la réglementation de l’Union, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 2052/88.

47      En troisième lieu, quant au comportement du Royaume d’Espagne et de celui des autorités compétentes, il y a lieu de relever que le Royaume d’Espagne n’a formulé ses demandes de paiement du solde qu’en 2003 (affaire T‑138/10) et en 2004 (affaires T‑65/10 et T-113/10).

48      Or, en vertu de l’article 21, paragraphe 4, du règlement n° 4253/88 :

« Le paiement du solde de chaque engagement est effectué si :

–        l’autorité ou l’organisme désigné, visé au paragraphe 1, soumet à la Commission une demande de paiement dans les six mois suivant la fin de l’année concernée ou l’achèvement matériel de l’action,

–        les rapports visés à l’article 25, paragraphe 4, sont soumis à la Commission,

–        l’État membre envoie à la Commission une attestation confirmant les informations fournies dans la demande de paiement et les rapports. »

49      Partant, tant que ces demandes de paiement accompagnées de documents nécessaires ne sont pas parvenues à la Commission, celle-ci ne saurait être tenue de procéder à l’examen des projets en question. Il ne peut pas être reproché à la Commission de s’être abstenue du contrôle d’un projet quelconque avant la perception desdits documents, et donc d’effectuer un contrôle sur un projet dont il n’est pas certain qu’il ait été achevé et pour lequel l’État membre n’a pas encore effectué toutes les formalités nécessaires.

50      De plus, le Royaume d’Espagne admet que diverses opérations préparatoires de contrôle des trois programmes opérationnels ont déjà eu lieu en 2003.

51      Pour ce qui est de la procédure de contrôle elle-même, si elle s’est étalée dans le temps, sa durée est justifiée par le caractère complexe des vérifications auxquelles les programmes opérationnels du FEDER donnent lieu. En l’espèce, le processus de vérification ne s’est pas interrompu. Entre la demande de paiement du solde du programme opérationnel présenté à la Commission en 2003 (affaire T‑138/10) et en 2004 (affaires T‑65/10 et T-113/10) et les décisions attaquées, prises en 2009 (affaires T-65/10 et T‑113/10) et en 2010 (affaire T‑138/10), le Royaume d’Espagne et la Commission ont été en contact sur une base régulière.

52      En quatrième lieu, la jurisprudence impose de vérifier le caractère raisonnable de la durée d’une procédure au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit. Or, il n’est pas contesté par le Royaume d’Espagne que la Commission a, en 2002, entamé une étude sur les audits de clôture couvrant la totalité des États membres et concernant les programmes cofinancés par le FEDER pendant la période de programmation 1994‑1999. Les trois programmes opérationnels en faisaient partie. Si un tel contrôle, dans lequel la Commission est amenée à apprécier la légalité de l’utilisation du concours financier de l’Union dans tous les États membres qui en ont bénéficié est dans l’intérêt de l’Union et de ses contribuables, il est également très complexe et peut justifier des délais plus longs que ceux qui sont considérés comme raisonnables pour des contrôles limités à un seul programme opérationnel, voire à quelques projets qui en font partie.

53      Il s’ensuit que la Commission n’a pas dépassé un délai raisonnable dans le contrôle des programmes opérationnels en question.

54      En tout état de cause, il importe de rappeler que le dépassement d’un délai raisonnable, à le supposer établi, ne justifierait pas, en l’espèce, l’annulation des décisions attaquées. En effet, pendant la procédure contradictoire, l’État membre doit, selon la jurisprudence de la Cour, disposer de toutes les garanties requises pour présenter son point de vue. Le dépassement du délai raisonnable ne peut constituer un motif d’annulation d’une décision de correction financière d’un concours FEDER que dès lors qu’il a été établi qu’il a porté atteinte auxdites garanties. En dehors de cette hypothèse spécifique, le non-respect de l’obligation de prendre une décision dans un délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure contradictoire. Or, le Royaume d’Espagne n’a pas soutenu qu’il avait été empêché, en raison de la tardiveté alléguée du début des contrôles financiers, voire de la durée de la procédure contradictoire elle-même, de faire valoir son point de vue (voir, en ce sens, arrêt Grèce/Commission, point 36 supra, point 240, et la jurisprudence citée).

55      Enfin, quant à l’argument tiré de l’écoulement du délai prévu à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 4253/88, il suffit de constater que ce délai n’est pas un délai de prescription relatif à la possibilité pour la Commission d’effectuer des corrections financières sur le fondement de l’article 24, paragraphe 2, du même règlement. Il ne fait qu’imposer aux États membres un délai minimal pendant lequel ils doivent conserver toutes les pièces justificatives relatives aux dépenses afférentes à l’action et les laisser à la disposition de la Commission. Or, le Royaume d’Espagne n’a pas soutenu que, du fait de l’écoulement de ce délai, elle fût dans l’impossibilité d’apporter des preuves relatives à l’emploi régulier des fonds provenant du concours financier communautaire.

56      Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 24 du règlement n° 4253/88 en ce que la Commission ne saurait procéder par extrapolation aux corrections financières qu’il prévoit

57      Par ce moyen, le Royaume d’Espagne prétend que l’utilisation de l’extrapolation n’entre pas dans les attributions de la Commission au titre de l’article 24 du règlement n° 4253/88.

 Sur la recevabilité

–       Arguments des parties

58      La Commission soutient que ce moyen est irrecevable en ce que la Cour aurait déjà tranché la question de droit qu’il pose dans son arrêt du 6 avril 2000, Espagne/Commission, point 34 supra, où elle a notamment dit pour droit que les orientations internes ne produisaient pas d’effets juridiques et que le recours était en conséquence irrecevable (arrêt du 6 avril 2000, Espagne/Commission, point 34 supra, points 34 et 36). D’après la Commission, cela signifie que la Cour a implicitement, mais nécessairement, considéré que les orientations internes prévoyant la possibilité de l’extrapolation n’avaient pas excédé les pouvoirs dont la Commission bénéficiait en vertu de cette disposition.

59      Selon le Royaume d’Espagne, le présent moyen n’est pas couvert par l’autorité de la chose jugée s’attachant à l’arrêt du 6 avril 2000, Espagne/Commission, point 34 supra, comme la Cour n’y aurait pas examiné le fond du litige, c’est-à-dire la question de savoir si l’article 24 du règlement n° 4253/88 permet à la Commission de procéder aux corrections financières prévues au moyen de l’extrapolation.

–       Appréciation du Tribunal

60      Il ressort d’une jurisprudence bien établie que l’autorité de la chose jugée s’attachant à un arrêt est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours, ou d’un de ses arguments, si celui ayant donné lieu à l’arrêt en cause a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑66/01, Rec. p. II-2631, point 197, et la jurisprudence citée).

61      L’autorité de la chose jugée ne s’attache toutefois qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision judiciaire en cause (arrêt de la Cour du 19 février 1991, Italie/Commission, C‑281/89, Rec. p. I‑347, point 14, et ordonnance de la Cour du 28 novembre 1996, Lenz/Commission, C‑277/95 P, Rec. p. I‑6109, point 50).

62      À cet égard, la Cour n’a, dans son arrêt du 6 avril 2000, Espagne/Commission, point 34 supra, à aucun moment examiné le fond des moyens invoqués par le Royaume d’Espagne dans la présente affaire, étant donné que ce recours a été rejeté comme irrecevable. Il ne peut être déduit de la rédaction de cet arrêt que la Cour ait du moins implicitement entendu lier la recevabilité du recours aux questions de fond, comme elle a pu le faire de manière explicite dans d’autres affaires (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 9 octobre 1990, France/Commission, C‑366/88, Rec. p. I‑3571, et du 13 novembre 1991, France/Commission, point 21 supra).

63      Cette interprétation est corroborée par le fait que la Cour se réfère explicitement à la possibilité d’introduire un recours en annulation contre des décisions individuelles prises en application des orientations internes (Espagne/Commission, point 34 supra, point 33), ce que fait le Royaume d’Espagne par le présent recours.

64      Il en résulte que l’autorité de la chose jugée s’attachant à l’arrêt du 6 avril 2000, Espagne/Commission, point 34 supra, ne fait pas obstacle à la recevabilité du premier moyen.

 Sur le fond

–       Arguments des parties

65      Le Royaume d’Espagne considère que l’article 24 du règlement n° 4253/88, base juridique des corrections effectuées par la Commission, exclut l’utilisation de l’extrapolation, entendue comme une technique consistant en fait à réduire d’une manière proportionnelle le concours financier à un programme opérationnel au motif que plusieurs de ses projets présenteraient des irrégularités récurrentes. Au soutien de ce moyen, elle développe des arguments d’ordre littéral, téléologique, historique et systématique.

66      Concernant l’interprétation littérale de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88, le texte prévoit que la Commission peut réduire le concours financier « pour l’action ou la mesure concernée si l’examen confirme l’existence d’irrégularité ». En se référant aux conclusions de l’avocat général La Pergola sous l’arrêt du 6 avril 2000, Espagne/Commission, point 34 supra, le Royaume d’Espagne déduit de la circonstance que les notions d’« action » ou de « mesure » sont au singulier, que cette disposition ne vise que des projets individuels et non des programmes opérationnels entiers. Partant, cette disposition ne permettrait de sanctionner que des irrégularités que la Commission constate au cas par cas. Ce libellé exclurait, dès lors, l’utilisation de l’extrapolation qui aurait pour effet de réduire le concours financier même aux projets où il n’y aurait pas d’irrégularité avérée. Or en l’espèce, la Commission n’aurait contrôlé qu’un nombre limité de projets des programmes opérationnels et aurait réduit le concours financier consenti à tous les projets des trois programmes opérationnels, alors que des irrégularités n’ont été constatées que dans certains d’entre eux.

67      Selon la Commission, les notions d’« action » et de « mesure » peuvent couvrir l’ensemble d’un programme opérationnel. Quant à la notion d’« irrégularité », celle-ci devrait être entendue au sens large, d’autant plus que, d’après la jurisprudence, seules les dépenses effectuées en conformité avec le droit de l’Union sont à la charge de celle-ci (arrêt de la Cour du 15 septembre 2005, Irlande/Commission, C‑199/03, Rec. p. I‑8027, point 26) et que l’article 24 serait le seul instrument permettant à la Commission de réduire le montant du concours financier en cas d’irrégularité. D’après la jurisprudence, même les irrégularités qui n’ont pas d’impact financier précis peuvent donner lieu à des corrections financières (voir, en ce sens, arrêt Irlande/Commission, précité, points 30 et 31). En conséquence, l’article 24 du règlement n° 4253/88 ne couvrirait pas uniquement les irrégularités ponctuelles et permettrait donc des corrections par extrapolation. En outre, la Commission estime que au vu de leur nature et de leur fréquence, il serait raisonnable de considérer les irrégularités, détectées par l’examen d’un échantillonnage par audit, comme systémiques. D’ailleurs, si les autorités espagnoles avaient pu démontrer que les irrégularités n’étaient pas systémiques, l’extrapolation n’aurait pas eu lieu. Enfin, la Commission rappelle que, dans ses conclusions, l’avocat général M. La Pergola n’a pas été suivi par la Cour et que l’interprétation du Royaume d’Espagne aurait l’effet paradoxal de permettre les corrections d’irrégularités ponctuelles, mais pas d’irrégularités systémiques et récurrentes, qui seraient plus graves.

68      Concernant l’interprétation téléologique, dans la mesure où le but de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 aurait, selon le Royaume d’Espagne, pour seul objectif de permettre à la Commission de vérifier que les concours financiers sont bien utilisés aux fins pour lesquelles ils ont été octroyés, il ne permet pas à la Commission d’utiliser cette disposition pour poursuivre les objectifs de l’article 23 du même règlement. En effet, cette disposition imposerait certaines obligations aux seuls États membres, et non à la Commission. En outre, l’utilisation de la technique de l’extrapolation, qui impliquerait une réduction du concours consenti à un projet sur le fondement d’une présomption et non d’une vérification, aboutirait, selon le Royaume d’Espagne à dépasser les limites de la marge d’appréciation octroyée à la Commission par la jurisprudence en ce qui concerne l’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 (arrêt du Tribunal du 28 janvier 2009, Allemagne/Commission, T‑74/07, Rec. p. II‑107, point 47). Enfin, le Royaume d’Espagne avance que le principe de bonne gestion financière inscrit à l’article 317 TFUE, invoqué par la Commission afin de justifier l’extrapolation, doit se comprendre comme une coopération avec les États membres, qui sont les principaux responsables de la mise en œuvre de l’intervention FEDER. En procédant par extrapolation, la Commission serait allée au‑delà des pouvoirs qui lui auraient été attribués par la législation.

69      La Commission considère que l’objectif que le législateur a poursuivi par cette disposition serait le principe de bonne gestion financière et que la finalité des fonds structurels serait mise en danger si la Commission ne pouvait opérer de corrections par extrapolation. Elle soutient que, en l’absence de possibilité de recourir à cette technique, c’est-à-dire si elle était obligée de procéder au contrôle de chacun des projets individuels, l’efficacité globale du contrôle serait fortement réduite. De surcroît, les coûts de ces contrôles individuels seraient tels que les fonds alloués aux projets en seraient diminués.

70      Concernant l’interprétation historique, le Royaume d’Espagne estime que la meilleure preuve de ce que le pouvoir de procéder par extrapolation n’était pas visé à l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 est le fait que celui-ci ait été expressément prévu par le règlement (CE) n° 1260/1999 du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les Fonds structurels (JO L 161, p.1). Ce règlement serait le premier à avoir donné à la Commission, en son article 39, le pouvoir de procéder aux extrapolations en vue de combler une lacune du système antérieur. L’extrapolation n’aurait donc pas été permise auparavant. Par ailleurs, le Royaume d’Espagne rappelle qu’il a, ainsi que d’autres États membres, déjà exprimé lors du Conseil ECOFIN, du 17 novembre 1997, un avis contraire aux orientations internes en ce qu’elles autoriseraient l’extrapolation. Or, dans ses orientations internes, la Commission s’attribuerait à elle-même le pouvoir d’utiliser l’extrapolation, alors que celles-ci ne produisant pas d’effet de droit ne pourraient donner à la Commission ce pouvoir. La Commission ne saurait donc s’appuyer sur ses orientations internes pour fonder son action.

71      La Commission estime que les orientations internes ne sauraient être considérées comme la base juridique des décisions attaquées. Cependant, le fait que le règlement n° 1260/1999 ait autorisé explicitement l’extrapolation peut également signifier que le législateur entendait uniquement confirmer et expliciter la législation et la pratique administrative antérieures.

72      Concernant l’interprétation systématique, le Royaume d’Espagne soutient que l’article 23 du règlement n° 4253/88 impose aux États membres de maintenir des systèmes de contrôle et de gestion dont ils communiquent la description à la Commission. Toutefois, cette disposition ne l’autoriserait pas à effectuer des corrections financières. La Commission pourrait engager un recours en manquement pour violation de cette disposition, si l’État membre refuse de corriger les lacunes de son système de financement. Par dérogation, l’article 24 du même règlement permettrait à la Commission d’imposer des corrections financières en cas d’irrégularité, mais ne permettrait pas à la Commission de le faire sur la base de sondages ou, a fortiori, de procéder par extrapolation. Même si, ainsi que l’affirme la Commission, un contrôle sur la base de l’article 23 du règlement n° 4253/88 pourrait donner lieu à une correction de l’article 24 de ce règlement, ce que le texte ne prévoirait pas expressément, cela ne pourrait porter que sur des actions ou projets concrets, et non sur des systèmes. L’extrapolation ne serait pas implicite dans l’idée de sondage. Le sondage ne pourrait que permettre de déceler une défaillance dans le système afin de l’améliorer.

73      Quant à la question de l’applicabilité, par analogie, de la jurisprudence en matière de Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) qui accepte les corrections par l’extrapolation, bien que la réglementation applicable ne l’ait pas prévue, le Royaume d’Espagne considère que cette jurisprudence n’est pas pertinente en matière de FEDER, car la réglementation FEOGA de l’époque ne prévoyait pas d’équivalent à l’article 24 du règlement n° 4253/88. L’obligation pour la Commission de constater l’irrégularité, qui ressortirait clairement de cette dernière disposition n’apparaîtrait pas dans le règlement (CEE) n° 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune (JO L 94, p. 13).

74      Selon la Commission, les articles 23 et 24 du règlement n° 4253/88 seraient étroitement liés. Tout d’abord, les deux dispositions se trouveraient sous le même titre dans le règlement et, selon la jurisprudence, leur interprétation serait indissociable (arrêt Vereniging Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening e.a., point 23 supra, point 54). En deuxième lieu, ces deux dispositions définiraient un système en vertu duquel le contrôle de la gestion des fonds s’effectuerait principalement au niveau des États membres, en collaboration avec la Commission et sous son contrôle. En troisième lieu, l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 ferait référence aux contrôles réalisés sur place par la Commission, c’est-à-dire aux contrôles qui pourraient donner lieu, après un examen approprié, aux corrections visées à l’article 24 du même règlement. Enfin, la dernière phrase de l’article 23, paragraphe 2, du règlement en question prévoit que les contrôles de la Commission peuvent être effectués « par sondage », c’est-à-dire en procédant à l’audit de certains projets sans contrôler l’intégralité des dépenses. Une des finalités des sondages consisterait à découvrir des irrégularités systémiques qui ont très probablement eu lieu dans d’autres projets dans le cadre du même programme opérationnel. Cela étant, pour des programmes opérationnels qui englobent des milliers de projets, les sondages n’auraient de sens que si les irrégularités systémiques pouvaient être extrapolées à l’ensemble du programme. La Commission défend ainsi l’idée selon laquelle l’extrapolation est implicite dans l’idée de sondage ou d’échantillonnage.

75      Quant à la jurisprudence FEOGA, la Commission la considère comme pertinente en matière de FEDER. La Cour aurait estimé que, dans le cadre du FEOGA, la Commission n’était pas tenue d’établir de manière exhaustive les irrégularités, mais qu’une preuve de doute sérieux et raisonnable à cet égard était suffisante (arrêts de la Cour du 28 octobre 1999, Italie/Commission, C‑253/97, Rec. p. I‑7529, point 7 ; du 6 mars 2001, Pays-Bas/Commission, C‑278/98, Rec. p. I‑1501, points 39 à 41 ; du 8 mai 2003, Espagne/Commission, C‑349/97, Rec. p. I‑3851, points 146 et 147, et du 7 octobre 2004, Espagne/Commission, C‑153/01, Rec. p. I‑9009, points 66 et 67).

76      L’extrapolation à l’ensemble du territoire d’un État membre serait admise expressément pour les résultats obtenus sur une partie du territoire si l’État membre ne démontre pas que ces irrégularités n’existent pas sur le reste de son territoire. Or, en l’espèce, les autorités espagnoles n’auraient pas démontré que les problèmes récurrents rencontrés dans les projets contrôlés ne s’étendaient pas aux autres projets (arrêts de la Cour du 11 janvier 2001, Grèce/Commission, C‑247/98, Rec. p. I‑1, point 52 ; du 4 mars 2004, Allemagne/Commission, C‑344/01, Rec. p. I‑2081, point 61, et du 14 avril 2005, Portugal/Commission, C‑335/03, Rec. p. I‑2955, point 79 ; arrêt du Tribunal du 1er juillet 2009, Espagne/Commission, T‑259/05, non publié au Recueil, points 162 et 209).

–       Appréciation du Tribunal

77      Il convient tout d’abord de remarquer que l’article 24 du règlement n° 4253/88 ne mentionne pas la possibilité de l’extrapolation. Le pouvoir d’utiliser cette technique n’est donc pas expressément attribué à la Commission. Il s’agit dès lors d’examiner si ce règlement, en particulier son article 24, paragraphe 2, confère implicitement à la Commission un tel pouvoir.

78      Il ressort du libellé de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 que la réduction ou la suspension du concours financier du FEDER vise une « action » ou une « mesure ». Toutefois, ces termes, qui sont très généraux, ne sont pas définis dans ledit règlement et il n’est pas possible de parvenir à leur interprétation univoque à partir de leur emploi dans le reste du règlement en question.

79      En effet, à la lecture de l’article 8, paragraphe 3, deuxième tiret, de l’article 14, paragraphe 3, deuxième tiret, et de l’article 17, paragraphe 4, du règlement n° 4253/88, un programme opérationnel est constitué de « mesures » (« medidas » dans la version espagnole).

80      En ce qui concerne le terme « action » (« acción » dans la version espagnole), il ressort de l’article 17, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88, que ledit terme désigne une forme d’intervention incluant le programme opérationnel. Toutefois, à l’article 13, paragraphes 1 et 2, du même règlement, les « action[s] » sont mises en œuvre sur la base d’une action intégrée qui, elle-même, met en œuvre un programme opérationnel dont elles font donc partie. En se limitant aux versions espagnole et française, il est possible de constater que le terme « action » peut soit inclure un programme opérationnel, soit y être englobé. Pour ce qui est de la version anglaise, si elle utilise le mot « operation » pour traduire le terme « action » dans l’article 24 du règlement n° 4253/88, elle emploie à d’autres endroits celui de « measure ». Tel est le cas à l’article 17, paragraphe 2, et à l’article 13, paragraphe 2, dudit règlement.

81      Il est donc impossible de dégager une signification univoque de ces termes génériques à partir du règlement n° 4253/88. Dès lors, il n’est pas possible d’affirmer sur cette seule base que les termes « medidas » ou « mesures » et « acción » ou « action » peuvent couvrir seulement les différents projets qui composent un programme opérationnel, comme le prétend le Royaume d’Espagne ou qu’ils puissent viser, comme le fait valoir la Commission, un programme opérationnel entier, si bien qu’il n’est pas possible de déterminer sur cette même base si les pouvoirs de contrôle de la Commission aux fins de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 s’étendent à l’ensemble d’un programme opérationnel ou seulement à des projets particuliers qui le composent.

82      L’interprétation historique du règlement n° 4253/88 ne peut pas non plus répondre à la question de savoir si la Commission peut, dans le cadre de l’article 24, paragraphe 2, dudit règlement, procéder par extrapolation. En effet, il est certes exact que c’est l’article 39 du règlement n° 1260/1999 qui autorise la Commission pour la première fois, d’une manière explicite, à utiliser cette technique. Toutefois, cette circonstance pourrait être interprétée de plusieurs manières. D’une part, il serait possible de l’interpréter comme une démonstration que la Commission ne pouvait pas recourir à l’extrapolation sous l’empire du règlement n° 4253/88. D’autre part, il pourrait être tout autant considéré que, en adoptant l’article 39 du règlement n° 1260/1999, le législateur entendait uniquement expliciter la législation antérieure et confirmer la pratique décisionnelle de la Commission, qui a eu recours à l’extrapolation avant même l’adoption de cette dernière disposition.

83      Cependant, en ce qui concerne les interprétations téléologique et systématique, la jurisprudence donne des éléments de réponse dont il découle que la Commission n’a pas outrepassé ses pouvoirs en ayant eu en application de l’article 24 du règlement n° 4253/88 recours à la technique de l’extrapolation.

84      En premier lieu, comme au point 30 de l’arrêt Irlande/Commission, point 67 supra, il doit être souligné que l’article 24 du règlement nº 4253/88 n’opère aucune distinction d’ordre quantitatif ou qualitatif en ce qui concerne les irrégularités pouvant donner lieu à la réduction d’un concours. Il est possible d’en déduire que cette disposition ne s’oppose pas à ce que la Commission opère une correction non seulement pour des irrégularités ponctuelles dans des projets individuels, mais également pour des irrégularités systémiques, qui sont récurrentes dans un programme opérationnel.

85      L’article 24 du règlement nº 4253/88 ne mentionne pas non plus de limites quant aux choix des méthodes que la Commission peut utiliser afin de déterminer le montant de la réduction. Cette disposition confère donc à la Commission une large marge de manœuvre dans la détermination de l’ampleur des irrégularités et de la réduction à opérer.

86      En deuxième lieu, dans l’exercice du pouvoir d’imposer des corrections financières, la méthode utilisée par la Commission pour déterminer le montant à restituer doit être conforme à l’objectif poursuivi par l’article 24, paragraphe 2, du règlement nº 4253/88. Cet objectif vise à permettre une correction financière lorsque les dépenses dont le financement a été demandé n’ont pas été effectuées conformément aux règles du droit de l’Union. Eu égard à cet objectif, l’article 24, paragraphe 2, du règlement nº 4253/88 doit être interprété de manière à permettre à la Commission de réduire le concours de façon adéquate.

87      Ainsi, la Commission doit pouvoir réduire le concours dans une mesure qui reflète la dimension de l’irrégularité qu’elle a établie dans le cadre de la procédure contradictoire au titre de l’article 24, paragraphe 1, du règlement nº 4253/88.

88      En troisième lieu, selon la jurisprudence, l’interprétation de l’article 23 et de l’article 24 du règlement n° 4253/88 est indissociable (voir, en ce sens, arrêts Vereniging Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening e.a., point 23 supra, point 54, et Pays-Bas/Commission, point 75 supra, points 47 et 55).

89      En application de l’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 4253/88, les États membres ont une obligation de contrôle des actions financées par l’Union. Quant à la Commission, outre ses obligations générales de veiller à l’application des traités et des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci, d’exécuter le budget ainsi que de gérer les programmes conformément aux principes de la bonne gestion financière, en vertu, initialement, de l’article 211 CE et de l’article 274 CE, puis de l’article 17 TUE et de l’article 317 TFUE, l’article 23, paragraphe 2, et l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 lui donnent le pouvoir de « contrôler sur place, notamment par sondage, les actions financées par les fonds structurels » et de réduire un concours financier en cas d’irrégularité.

90      À ce titre, il convient de rappeler qu’il a été jugé que le système de subventions élaboré par la réglementation de l’Union repose notamment sur l’exécution par le bénéficiaire d’une série d’obligations lui donnant droit à la perception du concours financier prévu. Si le bénéficiaire n’accomplit pas toutes ces obligations, il résulte de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 que la Commission est autorisée à reconsidérer l’étendue de ses obligations (voir arrêt Pays‑Bas/Commission, point 75 supra, point 56, et la jurisprudence citée). Il ressort d’ailleurs de l’arrêt Irlande/Commission, point 67 supra (point 26), que le financement par le FEDER des dépenses effectuées par les autorités nationales est régi par la règle selon laquelle seules les dépenses effectuées en conformité avec les règles de l’Union sont à la charge du budget de l’Union.

91      Dans cet ordre d’idées, d’une part, la jurisprudence a déjà admis que la Commission était compétente pour constater, sur la base des articles 23 et 24 du règlement n° 4253/88, des vices fondamentaux dans le système de gestion et de contrôle des autorités nationales (arrêt du Tribunal du 14 avril 2011, Pays-Bas/Commission, T-70/09, non publié au Recueil, points 54 à 56). Ainsi ce ne sont pas les seules irrégularités relevées dans la mise en œuvre d’un projet individuel bénéficiant du concours financier qui ouvriraient la possibilité pour la Commission de réduire ledit concours. Des erreurs systémiques communes à plusieurs projets d’un même programme opérationnel peuvent également justifier une correction financière applicable à l’ensemble de ce dernier. Ainsi, il en découle nécessairement que la réduction du concours de l’Union peut être mise en œuvre après l’extrapolation des erreurs constatées à l’ensemble du programme opérationnel.

92      D’autre part, l’avocat général M. Ruiz-Jarabo Colomer avait défini dans ses conclusions sous l’arrêt de la Cour du 5 octobre 2006, Commission/Portugal (C‑84/04, Rec. p. I‑9843), le terme « sondage » aux fins de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 comme une opération consistant « à recueillir l’opinion d’une collectivité sur une question par des enquêtes portant sur des échantillons réduits de personnes, considérées comme représentatives de l’ensemble auquel elles appartiennent ». Il reconnaît, par conséquent, qu’un sondage permet à la Commission d’établir un fait à partir d’un échantillon. Le terme « sondage » invite donc la Commission à constituer un échantillon dont l’utilité est logiquement de permettre une extrapolation de ses résultats. Dans le cas contraire, le sondage n’aurait aucune utilité. L’interprétation indissociable des articles 23 et 24 du règlement n° 4253/88 habilite donc la Commission, qui veille à l’application des dispositions du traité et à celle des dispositions prises par les institutions en vertu de celles-ci, à réduire un concours financier sur le fondement de l’article 24, paragraphe 2, de ce même règlement, si une irrégularité est ainsi détectée sur la base de son article 23. Contrairement à ce que soutient le Royaume d’Espagne, une interprétation opposée ôterait à l’article 23 du règlement n° 4253/88 une partie de son effet utile, d’autant plus que ce règlement ne limite nullement l’emploi des résultats auxquels la Commission parvient à la suite d’un contrôle par sondage en vertu de cette disposition.

93      En quatrième lieu, ainsi que le soutient à bon droit la Commission, la conclusion selon laquelle cette dernière pouvait recourir dans le cadre de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 à la technique de l’extrapolation est corroborée par la jurisprudence en matière de FEOGA qui a, même en l’absence d’une disposition spécifique en ce sens, autorisé la Commission à utiliser cette technique.

94      Il ressort, tout d’abord, de l’arrêt Pays‑Bas/Commission, point 75 supra (points 39 à 41, et la jurisprudence citée), qu’il appartient à la Commission de prouver l’existence d’une violation des règles de l’organisation commune des marchés agricoles. Par conséquent, la Commission est obligée de justifier sa décision constatant l’absence ou les défaillances des contrôles mis en œuvre par l’État membre concerné. Toutefois, la Commission n’est pas tenue de démontrer d’une façon exhaustive l’insuffisance des contrôles effectués par les administrations nationales ou l’irrégularité des chiffres transmis par elles. En revanche, elle doit présenter un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable qu’elle éprouve à l’égard de ces contrôles ou de ces chiffres. Cette règle relative à la charge de la preuve s’explique par le fait que c’est l’État membre qui est le mieux placé pour recueillir et vérifier les données nécessaires à l’apurement des comptes du FEOGA, auquel il incombe, en conséquence, de présenter la preuve la plus détaillée et complète de la réalité de ses contrôles ou de ses chiffres et, le cas échéant, de l’inexactitude des affirmations de la Commission. Si l’État membre ne présente pas de tels éléments, la Commission a établi que les irrégularités n’étaient pas limitées aux cas concrets qu’elle a examinés.

95      Ensuite, la Cour a précisé dans l’arrêt du 7 octobre 2004, Espagne/Commission, point 75 supra (points 66 et 67, et la jurisprudence citée), que la Commission n’est même pas tenue d’établir l’existence d’un préjudice réel, mais peut se contenter de présenter des indices sérieux en ce sens. En ce qui concerne les cas difficiles dans lesquels le montant du préjudice subi ne peut être connu avec précision, la perte pour les fonds communautaires doit être déterminée par une évaluation du risque auquel ils sont exposés en raison de la carence du contrôle. S’il appartient à la Commission de démontrer l’existence d’une violation des règles de l’organisation commune des marchés agricoles, une fois cette violation établie, il revient à l’État membre de démontrer, le cas échéant, que la Commission a commis une erreur quant aux conséquences financières à en tirer. Il lui incombe alors de présenter la preuve la plus détaillée et complète possible de la réalité des chiffres et, le cas échéant, de l’inexactitude des calculs de la Commission.

96      Ladite obligation pesant sur les États membres en question est d’autant plus justifiée que la décision finale et définitive relative à l’apurement des comptes doit être prise à l’issue d’une procédure contradictoire spécifique au cours de laquelle les États membres concernés doivent disposer de toutes les garanties requises pour présenter leur point de vue (voir arrêt Espagne/Commission, point 76 supra, point 81, et la jurisprudence citée).

97      Dans ces circonstances, tant la Cour que le Tribunal ont constaté qu’une extrapolation de données d’une région à une autre d’un État membre n’était pas, par principe, interdite, mais qu’elle devait cependant toujours être justifiée par les faits (voir, en ce sens, arrêts du 4 mars 2004, Allemagne/Commission, point 76 supra, point 61 ; Portugal/Commission, point 76 supra, point 79, et Espagne/Commission, point 76 supra, point 162). De même, s’il appartient à la Commission de prouver l’existence d’une violation des règles de l’organisation commune des marchés agricoles, la Commission n’est toutefois pas tenue de démontrer d’une façon exhaustive l’insuffisance des contrôles effectués par les administrations nationales ou l’irrégularité des chiffres transmis par elles, mais de présenter un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable qu’elle éprouve à l’égard de ces contrôles ou de ces chiffres (arrêt de la Cour du 13 septembre 2001, Espagne/Commission, C‑374/99, Rec. p. I‑5943, point 15). Cette preuve peut être fondée sur une extrapolation des résultats tirés de l’étude d’un échantillon représentatif d’organisations de producteurs ou d’entreprises (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 11 janvier 2001, Grèce/Commission, point 76 supra, point 52 ; Pays‑Bas/Commission, point 75 supra, point 95, et du 6 décembre 2001, Grèce/Commission, C‑373/99, Rec. p. I‑9619, point 58).

98      Les juridictions de l’Union acceptent donc que, si la charge de la preuve appartient normalement à la Commission, qui est chargée du contrôle de l’emploi du concours financier FEOGA, les éléments de preuve qu’elle fournit au soutien de ses prétentions ne doivent pas forcément être exhaustifs. En effet, les particularités pratiques de l’exercice de son contrôle justifient que la présentation par la Commission d’un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable suffit pour engendrer un allégement de la charge de la preuve en ce sens qu’il appartient alors à l’État membre concerné, dans l’esprit du partenariat caractérisant les projets bénéficiant du concours financier de l’Union, et de la coopération loyale découlant de l’article 10 CE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de démontrer d’une manière détaillée que les conclusions auxquelles la Commission est parvenue ne sont pas correctes.

99      Si donc l’État membre concerné avait fourni à la Commission, pendant cette procédure, des preuves détaillées et circonstanciées de ce que les irrégularités relevées par la Commission n’existaient pas en réalité, voire qu’elles ne se présentaient pas d’une manière répétitive, la Commission n’aurait pas pu extrapoler les résultats auxquelles elle était parvenue. En revanche, en l’absence d’une telle démonstration contraire de la part de l’État membre en question, l’extrapolation des résultats recueillis à l’aide d’un échantillon représentatif est justifiée.

100    Or, des considérations identiques sont valables en matière de contrôle de l’utilisation du financement du FEDER. Tout d’abord, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2052/88, l’action communautaire est conçue comme un complément des actions nationales correspondantes ou comme une contribution à celles-ci. Elle s’établit par une concertation étroite entre la Commission, l’État membre concerné et les autorités compétentes désignées par celui-ci au niveau national, régional, local ou autre, toutes les parties étant des partenaires poursuivant un but commun. Cette concertation est dénommée « partenariat ». Ensuite, ce sont les États membres qui sont les mieux placés pour connaître tous les détails de chaque projet individuel, de sorte que lorsqu’un doute surgit quant à la régularité d’un financement, il leur appartient de fournir à la Commission toutes les informations nécessaires pour effacer ce doute. Enfin, si des informations susceptibles de dissiper les doutes raisonnables et sérieux de la Commission quant au caractère répétitif, récurrent, voire systémique des irrégularités qu’elle a relevées ne sont pas fournies par l’État membre concerné, il n’est pas déraisonnable de considérer que ledit État membre n’était pas en mesure de justifier l’emploi régulier des fonds qui lui ont été alloués, ce qui justifie également le recours à la technique de l’extrapolation, telle que décrite ci-dessus.

101    De surcroît, ainsi que le souligne à bon droit la Commission, il est impossible dans la pratique que les services de celle-ci soient en mesure de procéder à un contrôle détaillé de tout projet individuel, dont le nombre peut atteindre plusieurs milliers dans chaque État membre, ainsi qu’en témoignent les présentes affaires. Interpréter l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 comme s’opposant à ce que la Commission extrapole à l’ensemble d’un programme opérationnel les conclusions auxquelles elle est parvenue à la suite de l’examen d’un échantillon représentatif de ses projets comporterait donc un risque que le budget de l’Union supporte également des dépenses qui ne sont pas effectuées en conformité avec les règles de l’Union. Contrairement à ce que défend le Royaume d’Espagne, ces considérations ne sont pas remises en cause par le fait que le règlement n° 729/70 ne comporte pas de disposition analogue à l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88. Ainsi qu’il ressort clairement de la jurisprudence pertinente, la constatation d’une irrégularité était même dans l’application de ce dernier règlement une condition nécessaire pour appliquer une correction financière.

102    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission peut opérer en vertu de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 des corrections financières fondées sur l’extrapolation à l’ensemble d’un programme opérationnel des résultats obtenus sur la base d’un échantillon représentatif de projets qui le composent.

103    Le premier moyen doit donc être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 24 du règlement nº 4253/88 et de l’article 4, paragraphe 3, TUE en ce qu’aucune insuffisance du système de gestion, de contrôle ou d’audit n’a été constatée pour les marchés modifiés

 Arguments des parties

104    Par ce moyen subsidiaire, le Royaume d’Espagne soutient en substance que, même si le recours à la technique de l’extrapolation était en principe autorisé en vertu de l’article 24 du règlement n° 4253/88, ce ne sont que les irrégularités relatives aux marchés modifiés qui auraient pu engendrer une correction par extrapolation. Or, les irrégularités relevées par la Commission quant à la gestion par les organes espagnols des marchés modifiés, conformément à la législation espagnole, ne témoigneraient d’aucune insuffisance du système de gestion, de contrôle ou d’audit, de sorte que lesdites irrégularités ne sauraient être qualifiées de systémiques et ne pourraient donc pas mener la Commission à procéder par extrapolation au seul motif qu’elles auraient pour source la législation nationale. Cela serait d’autant plus vrai que lesdites irrégularités n’auraient eu aucun effet financier. Si le Royaume d’Espagne accepte l’existence des irrégularités, au regard du droit de l’Union, relevées par la Commission dans les décisions attaquées, lorsqu’elles violent également la législation espagnole, censée la transposer en droit national, elle rejette cependant leur existence si la législation nationale a été respectée et que la Commission estime que cette dernière législation est contraire au droit de l’Union. Toutefois, le Royaume d’Espagne renonce explicitement à discuter dans le cadre de ce moyen la question de savoir si sa législation nationale en matière de marchés modifiés est conforme au droit de l’Union. Il soutient pourtant que la Commission ne saurait constater dans les décisions attaquées une non-conformité de la législation espagnole au droit de l’Union, sans qu’un arrêt en manquement de la Cour le déclare au préalable. Une procédure en manquement aurait en outre offert au Royaume d’Espagne de meilleures garanties procédurales.

105    La Commission répond tout d’abord que, contrairement à ce qu’affirme le Royaume d’Espagne, elle n’aurait pas procédé par extrapolation uniquement en raison des irrégularités récurrentes en matière de marchés modifiés. D’autres types d’irrégularités auraient été décelées, qui par leur fréquence et leur nature devraient également être considérées comme systémiques, en ce qu’elles révèlent une inefficacité des systèmes de gestion et de contrôles qui auraient dû être mis en place par le Royaume d’Espagne, conformément à l’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 4253/88. Si les irrégularités relatives aux marchés modifiés n’étaient pas de nature systémique, l’extrapolation aurait été, tout simplement, d’une ampleur moindre. Ensuite, dans la mesure où, d’une part, la procédure en manquement et celle de correction financière selon l’article 24 du règlement n° 4253/88 poursuivent des objectifs différents, obéissent à des règles distinctes et sont autonomes l’une à l’égard de l’autre, et, d’autre part, que tant l’article 7 du règlement n° 2052/88 que l’article 8 de chacune des décisions approuvant les trois programmes opérationnels imposeraient que les actions financées respectent le droit de l’Union, dont celui des marchés publics, la déclaration par la Cour d’un manquement d’un État membre à ses obligations découlant du droit de l’Union ne saurait être un préalable nécessaire pour effectuer une correction financière. Enfin, l’appréciation des irrégularités serait fondée sur des projets concrets, dans le cadre desquels il aurait fallu procéder à l’interprétation du droit de l’Union. L’analyse desdits projets aurait révélé une série de problèmes, dont la fréquence et la nature les auraient rendus systémiques. Si le Royaume d’Espagne avait voulu contester le caractère systémique des irrégularités décelées, il aurait, selon la Commission, dû les contester toutes, ou au moins certaines d’entre elles, ce qu’il n’aurait pas fait . Par ailleurs, la défenderesse rappelle que en vertu d’une jurisprudence constante, l’éventuelle absence de conséquences financières d’une irrégularité affectant un projet bénéficiant d’un concours financier de l’Union est sans aucune conséquence sur la possibilité d’opérer des corrections financières, dans la mesure où ce sont uniquement les dépenses régulières qui sont à la charge du budget de l’Union.

 Appréciation du Tribunal

106    Comme le Royaume d’Espagne a expressément exclu vouloir contester, dans le cadre de ce moyen, l’analyse de la Commission relative à la compatibilité de la réglementation espagnole avec le droit de l’Union, et comme il ne conteste pas l’existence de ces irrégularités dans les différents projets concrets faisant partie de l’échantillon, voire qu’il ne présente aucun argument en ce sens, il appartient au Tribunal de ne répondre qu’aux questions de savoir si la Commission pouvait, dans l’examen des projets individuels, constater que ces derniers ne répondaient pas aux exigences découlant du droit de l’Union sans qu’un arrêt de la Cour se prononçât auparavant sur la conformité de la réglementation de l’État membre en question avec ledit droit, et si les irrégularités constatées dans les décisions attaquées en matière de marchés modifiés pouvaient être qualifiées de systémiques, de sorte qu’il était justifié qu’elles fussent corrigées au moyen de la technique de l’extrapolation. En ce qui concerne la question de l’absence d’incidence financière des irrégularités constatées, il suffit, d’ores et déjà, de rappeler que même des irrégularités qui n’ont pas d’impact financier précis peuvent sérieusement affecter les intérêts financiers de l’Union ainsi que le respect de son droit et justifier, dès lors, l’application de corrections financières par la Commission (arrêt Irlande/Commission, point 67 supra, point 31).

107    Quant à la première série d’arguments développée par le Royaume d’Espagne, l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 2052/88 prévoit que « [l]es actions faisant l’objet d’un financement par les fonds structurels ou d’un financement de la BEI ou d’un autre instrument financier existant doivent être conformes aux dispositions des traités et des actes arrêtés en vertu de ceux-ci, ainsi que des politiques communautaires, y compris celles concernant les règles de concurrence, la passation des marchés publics et la protection de l’environnement ».

108    Ensuite, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, dans son rôle de gardienne des traités, la Commission est seule compétente pour décider s’il est opportun d’engager une procédure en constatation de manquement, et en raison de quel agissement ou omission imputable à l’État membre concerné cette procédure doit être introduite (arrêts de la Cour du 5 novembre 2002, Commission/Luxembourg, C‑472/98, Rec. p. I‑9741, point 37, et du 7 avril 2011, Commission/Luxembourg, C‑305/10, non publié au Recueil, point 9).

109    Il est également de jurisprudence constante que la procédure de suspension ou de réduction du concours financier de l’Union à des actions nationales est indépendante de celle visant à faire constater et à faire cesser le comportement d’un État membre en violation de ce droit. En effet, ni l’engagement d’une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE ou de l’article 258 TFUE, ni même d’ailleurs la constatation d’un tel manquement par la Cour ne sauraient impliquer automatiquement la suspension ou la réduction du concours financier de l’Union. Pour cela, il faut que la Commission adopte une décision de suspension ou de réduction du financement de l’Union sur la base de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88. Une telle décision de suspension ou de réduction du financement de l’Union constitue, en effet, à la différence de l’engagement d’une procédure en manquement, un acte faisant grief à son destinataire, susceptible d’un recours juridictionnel devant le juge de l’Union. De même, le fait que la Commission décide de ne pas engager une procédure en constatation de manquement ou de renoncer à la poursuite d’une telle procédure déjà entamée ne saurait impliquer qu’elle se trouve empêchée de suspendre ou de réduire le concours communautaire à une action nationale, notamment lorsqu’une ou plusieurs conditions auxquelles le financement communautaire a été subordonné n’ont pas été respectées (arrêt du Tribunal du 23 septembre 1994, An Taisce et WWF UK/Commission, T‑461/93, Rec. p. II‑733, points 35 et 36).

110    Enfin, il y a lieu d’écarter l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel sa situation procédurale dans le cadre d’une correction financière opérée en vertu de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88 est moins avantageuse que celle qu’il aurait eu dans une procédure en manquement. En effet, tant cette dernière procédure que celle de correction financière, suivie le cas échéant de celle en annulation, sont régies par le principe du contradictoire et du respect des droits de la défense des États membres mis en cause (voir, en ce sens, arrêt Espagne/Commission, point 76 supra, point 81 ; voir également, par analogie, en matière de FEOGA « garantie », arrêt du 11 janvier 2001, Grèce/Commission, point 76 supra, point 13).

111    En l’espèce, il n’est pas contesté que la Commission a analysé chacun des projets sélectionnés dans l’échantillon. Elle a expliqué, dans chaque cas, sa position quant à la compatibilité avec le droit de l’Union des marchés modifiés après leur attribution. Lors de chacune des procédures qui ont mené aux décisions attaquées, le Royaume d’Espagne a pu faire valoir sa position auprès de la Commission par le biais d’échange d’informations, d’observations ou de lettres. Chacune de ces procédures a aussi donné lieu à une audience avec la Commission.

112    Partant, il n’y a aucune raison pour que la Commission ne puisse apprécier dans le cadre de l’examen, en vertu de l’article 24 du règlement n° 4253/88, si le droit national, tel qu’appliqué dans les projets contrôlés dans l’échantillon, respecte les obligations imposées par le droit de l’Union, sans que la Cour ait au préalable reconnu l’existence d’un manquement portant sur la même question de droit. Une interprétation contraire rendrait en outre excessivement difficile tout contrôle de la compatibilité au droit de l’Union des dépenses du FEDER.

113    Quant à la seconde série d’arguments développée par le Royaume d’Espagne, il suffit de constater que en raison de leur fréquence dans les échantillons contrôlés, du pourcentage des dépenses irrégulières relevées qu’elles représentent ainsi que de leur origine dans la législation espagnole, les irrégularités découlant de la gestion de marchés modifiés peuvent à bon droit être considérées comme systémiques et révélatrices d’une insuffisance systémique de gestion, de contrôle ou d’audit. En effet, ces irrégularités sont présentes dans 8 projets parmi 37 contrôlés dans le cadre du programme opérationnel « Andalousie », dans 6 parmi 37 contrôlés dans le cadre du programme opérationnel « Pays basque » et dans 10 projets parmi 38 contrôlés dans le cadre du programme opérationnel « Communauté de Valence ». Elles représentent respectivement 64,83 %, 26 % et 20,46 % de l’ensemble des dépenses irrégulières relevées, ce qui doit être considéré comme une proportion importante. De plus, le fait que l’origine d’une partie de ces irrégularités se trouve dans la réglementation nationale espagnole indique fortement que ces irrégularités ne se limitent pas uniquement aux projets qui étaient contrôlés dans le cadre de l’échantillon, mais qu’elles sont généralisées. Ainsi que le soutient la Commission, un système de gestion et de contrôle efficace aurait dû permettre de déceler de telles irrégularités.

114    Partant, le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 24 du règlement n° 4253/88, en ce que l’échantillon de projets utilisé par la Commission pour procéder à des corrections financières par extrapolation ne serait pas représentatif des programmes opérationnels en cause

 Arguments des parties

115    Par son troisième moyen, le Royaume d’Espagne soutient que la Commission a violé l’article 24 du règlement n° 4253/88, au motif que cette dernière n’aurait pas fondé ses corrections par extrapolation sur un échantillon représentatif de l’ensemble des projets contenus dans chaque programme opérationnel. Elle souligne également que l’exigence de représentativité des échantillons découle notamment de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 2064/97.

116    Le Royaume d’Espagne estime, en premier lieu, qu’une erreur a été commise en ce qui concerne la population de base de l’échantillon, étant donné que ce sont les dépenses déclarées qui ont été prises en considération et non l’aide finalement octroyée.

117    En deuxième lieu, cette erreur aurait induit la Commission à une autre erreur consistant en la prise en compte, aux fins de la constitution des échantillons, également des dépenses n’ayant pas fait l’objet du cofinancement ainsi que des projets retirés par le Royaume d’Espagne, et cela malgré le fait que la Commission ait été, ou au moins pouvait être au courant de ces modifications.

118    En troisième lieu, l’échantillon ne prendrait en considération qu’une seule population de base, bien que celle-ci ne soit pas homogène au motif que les taux de financement varient selon l’axe. Selon le Royaume d’Espagne, la Commission aurait dû prélever autant d’échantillons qu’il y avait de sous-populations. Ce point serait spécialement important pour garantir la représentativité de l’échantillon, étant donné qu’il ressortirait de l’analyse des résultats obtenus par la Commission que les prétendues erreurs se concentrent exclusivement dans deux des sept axes approuvés.

119    En quatrième et dernier lieu, le Royaume d’Espagne estime que les échantillons n’offrent pas un niveau de confiance suffisant. En l’occurrence, le Royaume d’Espagne considère que le niveau de confiance pour déterminer la taille de l’échantillon de 85 % est trop faible et qu’un niveau d’au moins 95 % devrait être requis, comme cela serait le cas dans d’autres domaines où la Commission utilise la technique d’échantillonnage.

120    La Commission considère à titre liminaire que, lors de la procédure administrative, le Royaume d’Espagne n’a pas attiré l’attention de la Commission sur l’éventuelle non-représentativité des échantillons. Il ne saurait donc plus s’en prévaloir devant le Tribunal. Cette institution soutient encore qu’elle devrait bénéficier d’une large marge d’appréciation dans l’évaluation de situations factuelles et comptables complexes, telles que l’établissement d’un échantillon de contrôle de projets bénéficiant du concours FEDER, ce à quoi le Royaume d’Espagne s’oppose.

121    Concernant les arguments du Royaume d’Espagne, la Commission rappelle, en premier lieu, qu’elle demandait au cours de la procédure administrative à ce que les autorités espagnoles lui adressent une liste complète des projets de chaque programme opérationnel. Elle aurait également demandé que des distinctions soient opérées, d’une part, entre le montant des dépenses déclarées, les dépenses admissibles déclarées et le cofinancement du FEDER et, d’autre part, entre un total de contrôle du montant cofinancé par le FEDER et un total de contrôle du montant total des dépenses admissibles déclarées. Or, la liste fournie par le Royaume d’Espagne contiendrait les informations sur les dépenses déclarées, mais non sur le cofinancement du FEDER.

122    C’est également pourquoi la Commission fait valoir, en deuxième lieu, qu’elle n’était pas en mesure de vérifier si la liste des dépenses qui lui avait été transmise par le Royaume d’Espagne incluait uniquement les projets qui avaient été cofinancés par le FEDER ou si l’un d’entre eux avait été annulé ou remplacé par cet État membre après la transmission de la liste. En tout état de cause, ce qui importerait, à des fins statistiques, ce ne serait pas le nombre de projets contrôlés, mais le taux de dépenses contrôlées. Ce taux serait conséquent pour les trois décisions attaquées, à savoir 16,69 % pour la décision relative à l’Andalousie, 36,98 % pour la décision relative au Pays basque et 28,72 % pour la décision relative à la Communauté de Valence.

123    En troisième lieu, contrairement à ce qu’allègue le Royaume d’Espagne, les projets d’un programme opérationnel constitueraient une population homogène au motif que chacun des programmes opérationnels en cause dépendrait d’un système de gestion et de contrôle unique et serait doté d’une autorité de gestion, de paiement et de contrôle unique. D’ailleurs, ce seraient les dépenses et non les projets qui feraient l’objet du contrôle de la Commission. Ensuite, les corrections financières porteraient sur l’aide effectivement versée, ce qui rendrait le taux de cofinancement de chaque projet sans intérêt. Finalement, comme l’objectif des contrôles serait la régularité des dépenses ainsi que le bon fonctionnement des systèmes de contrôles et de gestion mis en place, la différenciation des dépenses par axe proposée par le Royaume d’Espagne ne présenterait aucun intérêt statistique dans la mesure où l’homogénéité de la population serait sans incidence sur le type de projet ou sur la participation du FEDER, mais concernerait l’identité des organismes de gestion, de paiement et de contrôle.

124    En quatrième lieu, quant au taux de confiance, les lignes directrices dont se prévaut le Royaume d’Espagne ne seraient pas pertinentes en l’espèce comme elles concerneraient non seulement une autre période de financement, mais également un autre fonds de financement. Il n’existerait d’ailleurs pas de taux de confiance minimal en matière d’audit. Enfin, pour définir les paramètres de l’échantillonnage, la Commission aurait tenu compte du fait que les dépenses déclarées, visées par l’audit, avaient déjà fait l’objet de contrôles nationaux à tous les niveaux et qu’elles avaient été analysées dans le cadre de la clôture par l’organisme indépendant responsable des déclarations comme prévu à l’article 8 du règlement n° 2064/97, qui reconnaissait la régularité et la validité de la demande de paiement final, ainsi que des opérations mentionnées dans ladite déclaration. Cela signifierait que la Commission doit partir de l’hypothèse que le risque n’est pas maximal et que c’est la raison pour laquelle elle estime qu’elle ne doit pas contrôler un pourcentage plus important des dépenses. Un niveau de confiance plus élevé signifierait que la Commission n’avait que très peu confiance dans les systèmes de gestion et de contrôle établis par le Royaume d’Espagne, ce qui aurait été incompatible avec le principe de concertation et avec la nature du contrôle qu’elle devait effectuer, à savoir un contrôle de clôture, qui aurait vocation à être complémentaire au contrôle effectué par les autorités nationales. La Commission conclut que le fait que le niveau de confiance de 85 % soit acceptable résulte également des dispositions techniques adoptées pour la période de programmation 2007-2013. L’annexe IV du règlement (CE) n° 1828/2006 de la Commission, du 8 décembre 2006, établissant les modalités d’exécution du règlement (CE) n° 1083/2006 du Conseil portant dispositions générales sur le FEDER, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et du règlement (CE) n° 1080/2006 du Parlement européen et du Conseil relatif au FEDER (JO L 371, p. 1), indiquerait à cet égard que « [l]e niveau de confiance utilisé pour les opérations d’échantillonnage ne doit pas être inférieur à 60 % avec un seuil d’erreur significative de 2 % au maximum ».

 Appréciation du Tribunal

125    Le présent moyen, articulé en quatre branches, impose au Tribunal d’apprécier si les échantillons de projets à contrôler ont été établis d’une manière qui assure leur représentativité pour les projets opérationnels correspondants. En excipant de l’absence de représentativité des échantillons sur lesquels portait le contrôle de la Commission, le Royaume d’Espagne souhaite en substance contester les modalités pratiques de l’établissement de ceux-ci.

126    À titre préliminaire, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel le Royaume d’Espagne n’a pas soulevé la question de l’absence de représentativité des échantillons au cours de la procédure administrative. En effet, il ressort des documents fournis par le Royaume d’Espagne que celui-ci a attiré, à plusieurs reprises, et d’une manière suffisante, l’attention de la Commission sur ce problème.

127    Quant au fond, il importe de remarquer que, dans le cadre de l’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 4253/88, la Commission est amenée à procéder à une évaluation de situations factuelles et comptables complexes. Dans le contexte d’une telle évaluation, la Commission doit dès lors, pouvoir disposer d’un large pouvoir d’appréciation. Ce large pouvoir d’appréciation s’étend non seulement au calcul de la marge d’erreur, mais nécessairement également au processus de sélection des échantillons de contrôle. Par conséquent, le Tribunal doit notamment vérifier le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec p. I‑987, point 39, et arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, Mediocurso/Commission, T‑180/96 et T‑181/96, Rec. p. II‑3477, point 120, et du 14 mai 2002, Associação Comercial de Aveiro/Commission, T‑80/00, Rec. p. II‑2465, point 51, ainsi qu’en matière d’antidumping, du 17 juillet 1998, Thai Bicycle/Conseil, T‑118/96, Rec. p. II‑2991, point 33, et la jurisprudence citée).

128    En ce qui concerne la première branche de ce moyen, la Commission n’a commis aucune erreur de droit ni aucune erreur manifeste d’appréciation en sélectionnant les projets à inclure dans les échantillons de contrôle en fonction des dépenses déclarées et non en fonction du financement du FEDER octroyé, dans la mesure où, tout d’abord, ce financement n’est définitivement acquis qu’à la clôture du contrôle financier opéré par la Commission en vertu des articles 23 et 24 du règlement n° 4253/88, qui n’est pas encore intervenue au moment de la sélection desdits échantillons de contrôle.

129    Il convient d’ailleurs de remarquer, à cet égard, que, lorsque l’article 3 du règlement nº 2064/97 impose aux États membres d’organiser, sur la base d’un échantillon approprié, des contrôles des projets ou des actions, en vue de vérifier notamment l’efficience des systèmes de gestion et de contrôle mis en place, l’ampleur du contrôle est exprimée en pourcentage de la dépense totale éligible. Il ne saurait donc être reproché à la Commission d’avoir commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d’appréciation du fait qu’elle a sélectionné les échantillons de contrôle sur la base de la dépense déclarée.

130    Ensuite, la Commission pouvait légitimement, en poursuivant l’objectif d’une bonne administration, concentrer ses contrôles sur les projets individuels en fonction de la charge financière globale qu’ils représentaient, puisqu’il est raisonnable de présumer que les projets particulièrement coûteux présentent un degré de complexité plus élevé que les autres. Ce critère étant neutre, il n’est pas de nature à entacher la représentativité des échantillons.

131    Enfin, contrairement à ce que semble faire valoir le Royaume d’Espagne dans la réplique et lors de l’audience, les différents niveaux de cofinancement n’altèrent pas le calcul des marges d’erreur pour les programmes opérationnels. Celles-ci sont calculées en fonction des dépenses des différents projets et le pourcentage ainsi dégagé est ensuite appliqué au concours octroyé. Les niveaux de cofinancement n’ont pas non plus d’influence sur la probabilité pour un projet d’être sélectionné dans l’échantillon, cette probabilité dépend uniquement des coûts que ce dernier engendre.

132    La première branche du troisième moyen doit donc être rejetée.

133    En ce qui concerne la deuxième branche de ce même moyen, le Royaume d’Espagne soutient que les échantillons de contrôle ont été choisis à partir d’un ensemble de projets dont certains n’auraient en fin de compte pas bénéficié du cofinancement, voire à partir d’un ensemble de projets qui n’incluaient pas tous les projets ayant été cofinancés dans le cadre d’un programme opérationnel.

134    La Commission admet dans la duplique qu’une partie des dépenses dont a été soustrait l’échantillon n’a finalement pas bénéficié du concours de l’Union.

135    À cet égard, il ressort tant du dossier que des déclarations des parties faites lors de l’audience que la Commission a commencé les audits financiers en question le 27 janvier 2003, c’est-à-dire, avant même la clôture des programmes opérationnels. Ces audits n’ont pas été conduits au moyen d’un contrôle systématique de tous les projets, ce qui serait d’ailleurs pratiquement impossible, étant donné le nombre élevé de ces derniers et les capacités de la Commission en termes de ressources humaines, mais au moyen de contrôles effectués sur des échantillons. Ces échantillons ont été choisis de manière aléatoire sur la base du total des dépenses déclarées par le Royaume d’Espagne au moment où il a demandé la clôture des programmes et le paiement du solde. Les erreurs décelées dans lesdits échantillons ont ensuite été extrapolées aux projets opérationnels respectifs.

136    Toutefois, les parties admettent qu’à la suite de la sélection des échantillons de contrôle, voire même à la suite de l’achèvement des audits financiers, c’est-à-dire des contrôles des projets faisant partie des échantillons, mais avant les clôtures des programmes opérationnels, certains projets ou dépenses ont été exclus pour différentes raisons tenant notamment aux limites de financement par axe et par mesure, à une « surexécution » ou à l’incompatibilité avec différentes dispositions du droit de l’Union. Il s’en est suivi qu’une partie des dépenses initialement certifiées n’a, en fin de compte, pas été cofinancée et que le concours financier du FEDER portait sur une dépense différente par rapport à celle déclarée initialement par le Royaume d’Espagne.

137    En dépit de cette différence entre l’ensemble des dépenses initialement déclarées et les dépenses déclarées ayant été cofinancées, la Commission n’a pas procédé à une nouvelle définition des échantillons. C’est la raison pour laquelle il pourrait subsister un doute quant au caractère représentatif des échantillons au regard des projets qui ont bénéficié du cofinancement FEDER.

138    Toutefois, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 127 ci-dessus, s’étend également à la constitution des échantillons de contrôle, la Commission pouvait valablement estimer, comme elle l’a allégué à juste titre, que toutes les dépenses initialement certifiées par le Royaume d’Espagne constituaient un ensemble homogène, car les projets auxquels elles se rapportaient étaient tous approuvés par les organismes nationaux compétents comme remplissant les conditions nécessaires afin de bénéficier du cofinancement du FEDER. De surcroît, ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission, le caractère homogène des dépenses initialement certifiées par le Royaume d’Espagne, dont ont été extraits les projets pour les échantillons de contrôle, est renforcé par le fait, non contesté par le Royaume d’Espagne, que, pour chaque programme opérationnel, un seul organisme était compétent pour certifier les projets qui en relevaient. Partant, la circonstance que certaines de ces dépenses ne bénéficient pas en fin de compte de cofinancement, voire qu’un échantillon n’a été extrait que d’une liste incomplète des projets certifiés, ne change rien en ce qui concerne le caractère représentatif dudit échantillon.

139    La pratique en question est également justifiée par l’intérêt d’effectuer les contrôles financiers dans les meilleurs délais. Ainsi que la Commission l’a précisé lors de l’audience, dans la mesure où les échantillons ont été sélectionnés d’une manière aléatoire par un logiciel informatique, une nouvelle sélection, à la suite d’une modification partielle de l’ensemble des projets éligibles pour le cofinancement du FEDER avant la clôture des programmes opérationnels, conduirait forcément à des échantillons très différents de ceux qui avaient déjà été contrôlés. Cela aurait pour conséquence une charge de travail supplémentaire et une perte de temps considérable sans que la représentativité des échantillons initialement définis soit améliorée.

140    Il s’ensuit que cette branche doit être rejetée comme non fondée.

141    Dans la troisième branche de ce moyen, le Royaume d’Espagne fait en substance valoir qu’un échantillon qui ne prend pas dûment et proportionnellement en compte tous les axes d’un programme opérationnel n’est pas représentatif.

142    Dans la mesure où le Royaume d’Espagne allègue plus spécifiquement que des axes, voire leurs opérations, bénéficieraient d’un taux de cofinancement différent, ses arguments ne sont pas fondés. En effet, ainsi qu’il a été jugé précédemment, l’erreur décelée dans l’échantillon, qui est exprimée en pourcentage de dépenses, conduit à une correction proportionnelle du cofinancement reçu en application de différents taux de cofinancement.

143    Quant au grief du Royaume d’Espagne selon lequel la représentativité des échantillons serait viciée par une surreprésentation indue des projets relevant de certains axes par rapport à d’autres, il ne saurait prospérer que s’il apparaissait d’une manière univoque, sur la base de documents fournis et spécialement identifiés par le Royaume d’Espagne, que le taux d’erreur dans les projets échantillonnés provenant des axes surreprésentés dépasse substantiellement le taux d’erreur des projets sélectionnés à partir des axes sous‑représentés.

144    Or, bien que le Royaume d’Espagne ait été invité, au moyen des mesures d’organisation de la procédure, à présenter des documents en ce sens, force est de constater qu’il n’a pas satisfait à cette demande. De surcroît, le Royaume d’Espagne a indiqué dans sa réponse auxdites mesures ce qui suit :

« […] compte tenu du fait que les taux d’erreur que la Commission a communiqués à l’État membre, des premiers rapports de contrôle jusqu’à ceux qui figuraient dans les décisions attaquées, ont varié de manière substantielle : de 30,95 % à 9,23 % pour le programme opérationnel du Pays basque, de 23,25 % à 8,91 % pour le programme opérationnel de Valence et de 14,06 % à 6,60 % pour le programme opérationnel d’Andalousie, il n’y avait pas lieu d’effectuer d’analyse détaillée de la distribution du taux d’erreur jusqu’à l’émission des données définitives dans les décision attaquées. »

145    Il en découle que la troisième branche du troisième moyen doit être rejetée.

146    En ce qui concerne la quatrième branche du troisième moyen, le Tribunal estime que, dans des circonstances où la Commission est appelée à contrôler plusieurs milliers de projets individuels au sein d’un programme opérationnel, le niveau cible de confiance de 85 % afin de déterminer la taille de l’échantillon n’est entaché d’aucune erreur de droit ni d’aucune erreur manifeste d’appréciation.

147    En premier lieu, il ressort du point 1 de la ligne directrice n° 3, dénommée « Stratégie d’audit », faisant partie des lignes directrices pour l’audit de certification [AGRI/RC D(2007)], à laquelle se réfère le Royaume d’Espagne dans la requête, que l’objectif de 95 % du niveau de confiance pour l’audit, indiqué au point 5.1 de la ligne directrice n° 3, s’applique, de même que l’ensemble de ladite ligne directrice, aux organismes nationaux de certification qui assurent le premier niveau de contrôle, et non à la Commission lorsque celle-ci est appelée à vérifier des projets et des dépenses qui ont déjà fait l’objet d’une vérification au niveau national. La Commission ayant, en l’espèce, exercé un contrôle en aval de ceux opérés par les organismes de certification espagnols, elle était fondée à ne pas retenir un niveau de confiance pour les opérations d’échantillonnage aussi élevé que le pourcentage indiqué au point 5.1 de la ligne directrice n° 3.

148    En second lieu, le Tribunal relève que l’interaction entre le degré de fiabilité d’un système de contrôle et le niveau de confiance utilisé pour les opérations d’échantillonnage dans le cadre d’un contrôle en aval trouve une illustration dans le règlement n° 1828/2006. Ainsi, bien que ce règlement n’était pas d’application rationæ temporis en l’espèce et qu’il impose des obligations aux autorités de contrôle nationales, le point 2 de son annexe IV dispose ce qui suit :

« L’assurance donnée sur le fonctionnement des systèmes est déterminée par le niveau de confiance résultant des conclusions des audits des systèmes et des contrôles des opérations de l’échantillon sélectionné par une méthode d’échantillonnage statistique aléatoire. Pour obtenir une assurance élevée, c’est-à-dire un risque d’audit réduit, l’autorité d’audit doit combiner les résultats des audits des systèmes à ceux des contrôles des opérations. L’autorité d’audit évalue d’abord la fiabilité des systèmes (élevée, modérée ou faible) en tenant compte des résultats des audits des systèmes, afin de déterminer les paramètres techniques de l’échantillonnage, en particulier le taux de confiance et le taux d’erreur prévu. Les États membres peuvent également utiliser les résultats du rapport sur l’évaluation de la conformité des systèmes prévu à l’article 71, paragraphe 2, du règlement n° 1083/2006. Le niveau d’assurance combiné résultant des audits des systèmes et des contrôles des opérations doit être élevé. Le niveau de confiance utilisé pour l’échantillonnage des opérations ne doit pas être inférieur à 60 % avec un seuil d’erreur significative de 2 % au maximum. En cas de système estimé peu fiable, le niveau de confiance utilisé pour les opérations d’échantillonnage ne doit pas être inférieur à 90 %. L’autorité d’audit décrit, dans le rapport annuel de contrôle, la façon dont l’assurance a été obtenue. » 

149    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que, en poursuivant l’objectif d’atteindre un niveau de confiance de 85 % dans un contexte où le Royaume d’Espagne s’était lui-même prévalu de la fiabilité de ses systèmes de contrôle, la Commission n’a commis aucune erreur de droit ni aucune erreur manifeste d’appréciation.

150    Cette branche doit donc être rejetée comme non fondée, si bien qu’il convient de rejeter le troisième moyen dans son ensemble.

151    Il découle de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

152    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume d’Espagne ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

Forwood

Dehousse

Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 février 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.