Language of document : ECLI:EU:T:2023:104

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

8 mars 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’Ukraine – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inclusion du nom du requérant dans la liste – Famille d’une personne responsable d’actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine – Notion d’“association” – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑212/22,

Violetta Prigozhina, demeurant à Saint-Pétersbourg (Russie), représentée par Me M. Cessieux, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme M.-C. Cadilhac et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, V. Valančius et R. Mastroianni, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mme Violetta Prigozhina, mère de M. Yevgeniy Viktorovich Prigozhin, demande l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2022/265 du Conseil, du 23 février 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 42 I, p. 98, ci-après la « décision attaquée »), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2022/260 du Conseil, du 23 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 42 I, p. 3, ci-après le « règlement attaqué ») (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), en tant que son nom a été inscrit sur les listes des personnes et entités figurant à l’annexe de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), et à l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6) (ci-après les « listes litigieuses »).

 Antécédents du litige

2        En mars 2014, la Fédération de Russie a illégalement annexé la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol et mène depuis lors des actions de déstabilisation continues dans l’est de l’Ukraine. En réaction, l’Union européenne a instauré des mesures restrictives eu égard aux actions de la Fédération de Russie déstabilisant la situation en Ukraine, des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et des mesures restrictives en réaction à l’annexion illégale de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol par la Fédération de Russie.

3        À partir du printemps 2021, la situation à la frontière russo-ukrainienne s’est tendue, avec le déploiement d’importantes forces armées par la Fédération de Russie à sa frontière avec l’Ukraine.

4        Dans ses conclusions des 24 et 25 juin 2021, le Conseil européen a invité la Fédération de Russie à assumer pleinement sa responsabilité pour ce qui était d’assurer la mise en œuvre intégrale des « accords de Minsk », condition essentielle à toute modification substantielle de la position de l’Union. Il a souligné qu’il était nécessaire que l’Union et ses États membres « réagissent fermement et de manière coordonnée à toute nouvelle activité malveillante, illégale et déstabilisatrice de la Fédération de Russie, en utilisant sans réserve tous les instruments dont l’U[nion européenne] dispos[ait] et en assurant la coordination avec les partenaires ». À cette fin, le Conseil européen a également invité la Commission européenne et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après le « haut représentant ») à présenter des options en vue d’imposer des mesures restrictives supplémentaires, y compris des sanctions économiques.

5        Dans ses conclusions adoptées lors de la réunion du 16 décembre 2021, le Conseil européen a souligné qu’il était urgent que la Fédération de Russie apaisât les tensions causées par le renforcement de la présence militaire le long de sa frontière avec l’Ukraine et par son discours agressif. Il a réaffirmé qu’il soutenait sans réserve la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Tout en encourageant les efforts diplomatiques, le Conseil européen a indiqué que toute nouvelle agression militaire de l’Ukraine aurait des conséquences massives et un coût sévère en réponse à celle-ci, y compris des mesures restrictives coordonnées avec des partenaires.

6        Le 24 janvier 2022, le Conseil de l’Union européenne a approuvé des conclusions dans lesquelles il avait condamné les actions agressives et les menaces répétées de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et a invité la Fédération de Russie à apaiser la situation, à respecter le droit international et à participer de manière constructive au dialogue dans le cadre des mécanismes internationaux établis. Rappelant les conclusions du Conseil européen du 16 décembre 2021, le Conseil a réaffirmé que toute nouvelle agression militaire aurait des conséquences massives et un coût sévère, y compris par l’intermédiaire d’un large éventail de mesures restrictives sectorielles et individuelles qui seraient adoptées en coordination avec les partenaires. Par déclaration du 19 février 2022, le haut représentant a exprimé la préoccupation suscitée par le renforcement massif des forces armées russes en Ukraine et à ses portes et a notamment indiqué que toute nouvelle agression militaire de la Fédération de Russie contre l’Ukraine aurait des conséquences massives et un coût sévère en réponse, y compris des mesures restrictives coordonnées avec des partenaires.

7        Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Louhansk », autoproclamées, et a ordonné le déploiement des forces armées russes dans ces zones.

8        Le 22 février 2022, le haut représentant a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant ces actions, dès lors qu’elles constituaient une violation grave du droit international. Il a annoncé que l’Union réagirait à ces dernières violations par la Fédération de Russie en adoptant de toute urgence des mesures restrictives supplémentaires.

9        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives. Celles-ci concernaient, premièrement, des restrictions applicables aux relations économiques avec les régions de Donetsk et de Lougansk non contrôlées par le gouvernement, deuxièmement, des restrictions à l’accès au marché des capitaux, notamment en interdisant le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale, et, troisièmement, l’ajout de membres du gouvernement, de banques, d’hommes d’affaires, de généraux ainsi que de 336 membres de la Gosudarstvennaya Duma Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie) sur la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives.

10      Dans ce contexte, le 23 février 2022 également, compte tenu de la gravité de la situation, par les actes attaqués, le Conseil a ajouté le nom de la requérante sur les listes litigieuses.

11      L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145, adoptée sur le fondement de l’article 29 TUE, telle que modifiée par la décision attaquée, prévoit que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, des personnes physiques qui soutiennent activement ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques, et des personnes physiques qui leur sont associées ».

12      L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision attaquée, se lit comme suit :

« Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent activement ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques, et à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui leur sont associés. »

13      L’article 2 du règlement 269/2014, adopté notamment sur le fondement de l’article 215 TFUE, prévoit ce qui suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes physiques ou morales, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2. Aucuns fonds ni aucune ressource économique ne sont mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, ni dégagés à leur profit. »

14      Les motifs de la désignation de la requérante résultant des actes attaqués sont les suivants :

« Violetta Prigozhina est la mère de [M.] Prigozhin et la propriétaire de Concord Management and Consulting LLC, qui appartient au groupe Concord, fondé et détenu jusqu’en 2019 par son fils. Elle est propriétaire d’autres entreprises liées à son fils. Elle est associée à [cette personne], qui est responsable du déploiement des mercenaires du groupe Wagner en Ukraine et qui a tiré avantage d’importants contrats publics avec le ministère de la Défense russe à la suite de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et de l’occupation de l’est de l’Ukraine par des séparatistes soutenus par la Russie.

Elle a donc soutenu des actions et des politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. »

15      Le 24 février 2022, un avis à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues notamment par les actes attaqués a été publié au Journal officiel de l’Union européenne et précisait notamment que les personnes et entités concernées pouvaient adresser au Conseil, avant le 1er juin 2022, une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes litigieuses, en y joignant des pièces justificatives.

 Conclusions des parties

16      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils la visent ;

–        en tout état de cause, « dire et juger » que son nom devra être retiré sans délai des listes litigieuses ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

17      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ; 

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

18      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, par son deuxième chef de conclusions, la requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal d’ordonner au Conseil de retirer son nom des listes litigieuses. Ce chef de conclusions doit être interprété comme étant une demande tendant à ce que le Tribunal adresse une injonction au Conseil.

19      À cet égard, il suffit de rappeler que, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal n’a pas compétence pour prononcer des injonctions à l’encontre des institutions, des organes et des organismes de l’Union [voir ordonnance du 26 octobre 1995, Pevasa et Inpesca/Commission, C‑199/94 P et C‑200/94 P, EU:C:1995:360, point 24 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêts du 25 septembre 2018, Suède/Commission, T‑260/16, EU:T:2018:597, point 104, et du 9 juin 2021, Borborudi/Conseil, T‑580/19, EU:T:2021:330, point 34 (non publié) et jurisprudence citée]. Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le troisième chef de conclusions pour cause d’incompétence.

20      À l’appui du recours, la requérante invoque cinq moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation, le deuxième, de l’absence de base factuelle suffisante et d’erreurs d’appréciation, le troisième, de l’existence d’un détournement de pouvoir, le quatrième, de la violation des droits fondamentaux et, le cinquième, de l’atteinte manifeste portée au droit de propriété.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

21      La requérante soutient que la motivation des actes attaqués est insuffisante. Elle souligne notamment qu’il n’est pas expliqué en quoi elle exercerait une influence sur la décision du président de la Fédération de Russie de porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ni quelles sont les entreprises dont elle serait propriétaire et qui seraient liées à son fils ainsi que la nature de ce lien. Elle ajoute ne pas comprendre en quoi le fait d’être l’associée de son fils dans des sociétés ferait d’elle un soutien des actions attribuées, à tort, à celui-ci.

22      Le Conseil conteste cette argumentation.

23      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises aux fins d’en apprécier le bien-fondé et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 50 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 47 et jurisprudence citée).

24      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 53 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).

25      En l’espèce, il convient de relever que, ainsi que le souligne le Conseil, le contexte général l’ayant conduit à adopter les mesures restrictives en cause est exposé dans les considérants des actes attaqués. De même, desdits actes résulte l’indication de la base juridique des mesures adoptées par le Conseil, respectivement l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE.

26      En outre, les actes attaqués contiennent l’énoncé suffisamment précis des circonstances factuelles qui justifient l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses, rappelé au point 14 ci-dessus. Il en résulte également, de manière suffisamment claire, que la requérante a été désignée en vertu du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), et à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145, ainsi qu’à l’article 2 du règlement 269/2014, rappelés aux points 11 à 13 ci-dessus, dont il ressort, en substance, que les mesures restrictives en cause sont appliquées notamment aux personnes physiques responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine « et des personnes physiques qui leur sont associées ».

27      Le nom de la requérante a été inscrit sur les listes litigieuses au motif qu’elle était associée à M. Prigozhin (voir point 14 ci-dessus), lui-même responsable d’actions ayant compromis et menacé l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, en particulier à travers le déploiement des mercenaires du groupe Wagner en Ukraine.

28      Il en découle suffisamment clairement que c’est en raison de cette « association » de la requérante avec M. Prigozhin que le Conseil a conclu qu’elle avait soutenu des actions et des politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

29      Contrairement à ce que soutient la requérante, le Conseil ne s’est aucunement fondé sur le fait qu’elle exercerait une influence sur la décision du président de la Fédération de Russie de porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Comme le soutient le Conseil, le critère de désignation appliqué ne l’obligeait aucunement à expliquer en quoi la requérante exerçait une influence sur ladite décision. Cet argument doit donc être écarté.

30      Par ailleurs, au vu de la motivation des actes attaqués, le fait qu’elle ait été considérée comme associée à M. Prigozhin résulte suffisamment clairement du fait qu’elle est sa mère et la propriétaire de Concord Management and Consulting, qui appartient au groupe Concord, fondé et détenu jusqu’en 2019 par son fils, ainsi que du fait qu’elle est propriétaire d’autres entreprises liées à celui-ci.

31      L’argument évoqué à titre subsidiaire par la requérante, selon lequel elle conteste que le fait d’être l’associée de son fils dans des sociétés ferait d’elle un soutien des actions attribuées, à tort, à celui-ci, doit être écarté à ce stade, dès lors qu’il relève du bien-fondé de la décision attaquée.

32      Enfin, comme le soutient la requérante, les actes attaqués n’indiquent pas les entreprises dont elle serait propriétaire et qui seraient liées à son fils ainsi que la nature de ce lien.

33      Toutefois, ainsi qu’il a été précisé au point 24 ci-dessus, il n’est notamment pas exigé, selon la jurisprudence, que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte. En l’espèce, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée, il y a lieu de constater que cet argument doit être écarté.

34      Il s’ensuit que la motivation des actes attaqués permet d’identifier les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que la requérante doit faire l’objet des mesures restrictives en cause, de sorte qu’elle doit être regardée comme suffisante pour permettre à la requérante de connaître les justifications des mesures prises aux fins d’en apprécier le bien-fondé et de se défendre devant le Tribunal ainsi qu’à ce dernier d’exercer son contrôle.

35      Il convient, dès lors, de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’absence de base factuelle suffisante et d’une erreur « manifeste » d’appréciation

36      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119 et jurisprudence citée).

37      Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée).

38      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

39      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122).

40      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou de ces éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

41      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le présent moyen, dans le cadre duquel la requérante soulève, d’une part, l’absence de base factuelle suffisante et, d’autre part, l’erreur manifeste d’appréciation.

 Sur la première branche, tirée de l’absence de base factuelle suffisante

42      La requérante soutient qu’elle n’a été propriétaire de Concord Management and Consulting que de façon temporaire, entre le 20 octobre 2008 et le 28 février 2017, pour assurer la continuité de l’entreprise pour des raisons liées à la santé de son fils et qu’elle n’a joué aucun rôle direct dans son exploitation. La société en question n’appartiendrait à aucun groupe et n’aurait pas eu de contrats avec le ministère de la Défense russe depuis 2014. Elle affirme, en outre, n’être propriétaire d’aucune part sociale, dans aucune entité juridique, et ce depuis au moins cinq ans, et relève qu’elle ne peut pas rapporter la preuve d’un tel fait négatif. Elle conteste également l’affirmation selon laquelle son fils serait « responsable du déploiement des mercenaires du [g]roupe Wagner en Ukraine ». Concernant les deux autres sociétés, Etalon LLC et Credo LLC évoquées par le Conseil, elle soutient que les pièces produites par ce dernier ne démontrent aucunement qu’elle détiendrait des parts dans des entreprises liées à son fils et donc qu’elle lui serait associée. De même, elle soutient ne plus détenir de parts dans une autre société, à savoir OOO Lakhta, depuis neuf ans. Elle relève que le Conseil n’a pas produit d’extraits du registre du commerce et des sociétés.

43      Le Conseil conteste cette argumentation. Premièrement, il souligne que, même si, depuis le 28 février 2017, l’ensemble du capital de Concord Management and Consulting appartient à M. Prigozhin, la requérante ne conteste pas en avoir été propriétaire pendant près de dix ans. Il ajoute, dans la duplique, que, pendant ces dix années, la requérante n’a pas eu des fonctions « restreintes », dès lors qu’elle a assuré la continuité et le maintien de l’activité de l’entreprise et avait été chargée, par son fils, d’avoir un rôle actif dans cette gestion. Deuxièmement, il indique qu’il ressort de certains éléments produits dans le dossier de preuves qu’il existe un groupe de sociétés liées entre elles et à son fils comportant une référence au groupe Concord, même si la propriété en aurait été cédée en 2019. Troisièmement, il maintient qu’il peut être considéré que la requérante détient ou a détenu des parts dans les entreprises liées à son fils, comme en attestent des pièces produites. Il ajoute, dans la duplique, que la requérante ne conteste pas avoir eu des parts dans les sociétés de son fils et qu’elle n’a pas démontré les avoir vendues. Quatrièmement, il rappelle que les liens étroits entre M. Prigozhin et le groupe Wagner ont été admis par le Tribunal dans l’arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil (T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317), et sont confirmés par des éléments produits en l’espèce, qui constituent un faisceau d’indices suffisant permettant de conclure que, compte tenu de ses relations étroites, y compris financières, avec ce groupe, M. Prigozhin peut être tenu pour responsable du déploiement des mercenaires dudit groupe en Ukraine. Cinquièmement, il se réfère à plusieurs documents produits, qui constitueraient une base factuelle suffisante pour considérer que M. Prigozhin a tiré avantage d’importants contrats publics avec le ministère de la Défense russe. Sixièmement, il indique ne pas avoir accès aux registres du commerce et des sociétés, évoqués par la requérante.

44      Le Tribunal relève que la requérante remet en cause l’exactitude factuelle concernant, en substance, quatre éléments de la motivation des actes attaqués.

45      Premièrement, la requérante soutient qu’elle n’est plus propriétaire de Concord Management and Consulting depuis le 28 février 2017 et que, de 2008 à 2017, elle n’a fait qu’assurer la continuité de l’entreprise sans jouer aucun rôle direct dans l’exploitation.

46      Il ressort du registre des actionnaires de Concord Management and Consulting produit en annexe à la requête, à jour au 18 août 2021, que la requérante en a été propriétaire entre le 17 août 2011 et le 28 février 2017 et que, à cette date, 100 % du capital de cette société appartenait à M. Prigozhin. De plus, les lettres produites par la requérante, échangées entre elle et ce dernier les 29 septembre et 20 octobre 2008, tendent à étayer l’affirmation selon laquelle cette situation avait été prévue temporairement en raison des problèmes de santé de celui-ci.

47      Il convient donc de constater, comme le Conseil l’admet, que la requérante n’est plus propriétaire de Concord Management and Consulting depuis le 28 février 2017, même si elle en a détenu des parts.

48      L’affirmation présente dans la motivation concernant la requérante est donc erronée en ce qu’elle indique que, lors de l’adoption des actes attaqués, cette dernière était encore propriétaire de Concord Management and Consulting.

49      La portée plus ou moins restreinte du rôle de la requérante dans la gestion de cette société lorsqu’elle en était propriétaire ne modifie pas ce constat.

50      Deuxièmement, la requérante conteste l’affirmation selon laquelle Concord Management and Consulting appartenait à un groupe de sociétés dénommé Concord.

51      Pour démontrer que Concord Management and Consulting fait partie du groupe de sociétés liées entre elles et à M. Prigozhin, le Conseil se réfère à plusieurs documents produits dans ses écritures.

52      Il se réfère tout d’abord au document no 2 du dossier de preuves WK 2593/2022 produit dans la présente affaire (ci-après le « dossier de preuves »), qui contient un article du site Internet Wikipedia tel qu’imprimé à la date du 2 février 2022, consacré à Concord Management and Consulting qui précise que cette entreprise fait partie du « groupe de sociétés Concord ».

53      Il se réfère ensuite à l’article du 16 novembre 2017, intitulé « Media : Wagner Group commander becomes CEO of Putin’s friend’s catering business » (Media : le commandant de Wagner Group devient PDG de la société de restauration de l’ami de Poutine), publié sur « UAWire.org », du 16 novembre 2017, qui cite le site officiel de Concord Management and Consulting, selon lequel cette société appartiendrait au groupe Concord détenu notamment par M. Prigozhin.

54      Le Conseil se réfère en outre au document no 3 du dossier de preuves, qui contient un article de Daniel T. du 10 avril 2019 intitulé « The Curious Case of Concord Management and Consulting : The Inception » (Le curieux dossier Concord Management and Consulting : les origines), dans lequel il est indiqué notamment que Concord Management and Consulting, créée par M. Prigozhin dans les années 90 et dont la requérante était propriétaire en 2011, avait acquis d’autres sociétés, était active dans de nombreux projets immobiliers controversés, avait obtenu des marchés lucratifs avec le gouvernement russe et avait été ajoutée à la liste des entités sanctionnées en raison de l’intervention russe en Ukraine.

55      Le Conseil renvoie par ailleurs au graphique figurant dans le document no 4 du dossier de preuves, à savoir l’article du Scanner project du 10 mai 2019 intitulé « Part 3. Not ‘Wagner Group’ but Prigozhin’s army » (3e partie. Pas le « groupe Wagner » mais l’armée de Prigozhin). Il y a lieu de constater que ce graphique identifie trois sociétés, à savoir OOO Combinat Pitanyia : Concord, OOO Concord M et Concord Management and Consulting comme liées entre elles et liées à M. Prigozhin. Selon ce document, Concord M et Concord Management and Consulting détiennent chacune 50 % du capital de Combinat Pitanyia : Concord depuis 2011 et Concord Management and Consulting détient 10 % du capital de Concord M depuis 2011 également. L’entité « Kombinat Pitaniya Concord » est également identifiée dans le document no 3 bis, contenu dans ce dossier de preuves, comme faisant partie des « affaires de Prigozhin », qui contient l’article de Daniel T. intitulé « The Curious Case of Concord Management and Consulting : The Inception » (Le curieux dossier Concord Management and Consulting : les origines). Le Conseil se réfère également à l’article de The Bell intitulé « A Private Army for the President : The Tale of Evgeny Prigozhin’s Most Delicate Mission » (Une armée privée pour le Président : le récit de la mission la plus délicate d’Evgeny Prigozhin), qui fait référence au groupe Concord de M. Prigozhin, ainsi qu’à l’article intitulé « Putin’s chef’ no longer owns catering company that was the largest business officially held in his name » (Le chef de Poutine ne détient plus l’entreprise de restauration qui était l’affaire la plus importante officiellement détenue en son nom) (Meduza, 12 novembre 2019), qui explique que M. Prigozhin a cédé la propriété de Concord à la fin du mois d’octobre 2019. Selon lui, ce dernier article fait très vraisemblablement référence à « Combinat Pitanyia : Concord », l’usage du double point entre Combinat Pitanyia et Concord laissant entendre que la dénomination de cette société dans sa forme abrégée est Concord.

56      Il ressort de ces constatations que, comme le Conseil le soutient, il existe un groupe de sociétés liées entre elles et liées à M. Prigozhin, qui comportent une référence à « Concord » dans leur nom.

57      C’est donc sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a constaté que Concord Management and Consulting faisait partie d’un « groupe de sociétés Concord » liées entre elles et liées à M. Prigozhin.

58      Les motifs de la désignation de la requérante indiquant que Concord Management and Consulting appartient au groupe Concord, fondé et détenu jusqu’en 2019 par son fils, ne sont donc pas erronés en fait.

59      La requérante soutient par ailleurs que Concord Management and Consulting n’a pas conclu de contrats avec le ministère de la Défense russe depuis 2014.

60      Il y a lieu de relever à cet égard que les motifs de la désignation de la requérante n’indiquent pas que Concord Management and Consulting a conclu des contrats avec le ministère de la Défense russe, mais que « [M.] Prigozhin a tiré avantages d’importants contrats publics avec [ledit ministère] ». L’argument de la requérante est donc inopérant.

61      Au demeurant, l’affirmation selon laquelle « [M.] Prigozhin a tiré avantages d’importants contrats publics avec le ministère [de la Défense russe] » n’est pas erronée en fait.

62      En effet, le Conseil se réfère à cet égard à des documents évoqués par le Tribunal dans l’arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil (T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317), à savoir l’article de The Bell intitulé « A Private Army for the President : The Tale of Evgeny Prigozhin’s Most Delicate Mission » (Une armée privée pour le Président : le récit de la mission la plus délicate d’Evgeny Prigozhin), ainsi que l’article du Foreign Policy Institute intitulé « Diplomacy and Dividends : Who Really Controls the Wagner Group ? » (Diplomatie et dividendes : qui contrôle vraiment le groupe Wagner ?), qui suffisent à constituer un faisceau d’indices précis et concordants de nature à établir les liens étroits, y compris financiers, entre M. Prigozhin et le groupe Wagner et dont il ressort que cette personne est liée au président russe et au ministère de la Défense russe.

63      Le Conseil se réfère également à l’article intitulé « Putin’s Not-So-Secret Mercenaries : Patronage, Geopolitics, and the Wagner Group » (Les mercenaires pas si secrets de Poutine : patronage, géopolitique et le groupe Wagner) (N. Reynolds, Carnegie Endowment for International Peace, 8 juillet 2019), indiquant que « [l]’état-major russe a également recruté [M.] Prigozhin pour être le patron du groupe [c’est-à-dire le groupe Wagner] et vendre l’idée à Poutine, selon un compte presse » et que, « [e]n contrepartie, [M.] Prigozhin a obtenu des contrats de défense lucratifs valant des centaines de millions de dollars pour fournir des services de nettoyage, de restauration, de construction et autres à des installations militaires ; une partie de cet argent aurait servi à financer l’expansion de Wagner ».

64      Le Conseil se réfère en outre à l’article intitulé « Navalny Unmasks a Cartel Allegedly Earning Billions in Russian Defense Deals » (Navalny démasque un cartel qui gagne prétendument des milliards dans le cadre de contrats avec la défense russe) (The Moscow Times, 19 mai 2017), selon lequel « [l]a Fondation anticorruption (ACF) d’Alexei Navalny a publié vendredi son dernier travail d’enquête, révélant ce qu’elle considère comme un cartel d’entreprises appartenant à [M.]Prigozhin et contractées par le ministère de la Défense [russe] », « [s]elon ACF, son cartel a remporté plus de 23 milliards de roubles (405 millions de dollars) de contrats de défense », « ACF affirme que son rapport ne concerne qu’un seul des cartels de Prigozhin » et « [s]elon [un leader de l’opposition russe], le milliardaire exploite plusieurs systèmes similaires qui ont permis de remporter un total de 180 milliards de roubles (3,2 milliards de dollars) de contrats de défense russes, y compris de multiples marchés sans appel d’offres ».

65      Dès lors, l’argument de la requérante selon lequel « M. Prigozhin a tiré avantages d’importants contrats publics avec le ministère [de la Défense russe] » est erroné doit être écarté comme étant inopérant et, en tout état de cause, comme étant non fondé.

66      Troisièmement, la requérante conteste l’affirmation selon laquelle elle est « propriétaire d’autres entreprises liées à son fils ». Elle soutient n’être propriétaire d’aucune part sociale, dans aucune entité juridique, depuis au moins cinq ans, et fait valoir qu’elle ne peut pas rapporter la preuve d’un tel fait négatif. Elle relève que le Conseil n’a pas produit d’extraits du registre du commerce et des sociétés. Concernant Etalon et Lakhta, elle soutient que les pièces produites par le Conseil ne démontrent aucunement qu’elle détient des parts dans des entreprises liées à son fils et donc qu’elle lui serait associée. Elle indique notamment que les documents mentionnant Etalon se contentent d’indiquer que la société a été créée par elle en 2011 et que Credo, créée par son fils, a le même numéro de téléphone que celui enregistré pour Etalon, ce qui ne prouverait pas qu’elle est associée à son fils par le biais de cette dernière société.

67      Pour étayer l’affirmation figurant à cet égard dans les motifs de la désignation de la requérante, le Conseil se réfère au graphique qui figure dans le document no 4 du dossier de preuves contenant l’article du Scanner project du 10 mai 2019, dont il résulte que la requérante a détenu des parts à hauteur de 16,6 % dans Lakhta, entre le 21 octobre 2009 et le 3 septembre 2013. Selon ce document, M. Prigozhin détenait, dans cette même société et sur la même période, des parts à hauteur de 80 %. Il en résulte également que la requérante a détenu 100 % de Concord Management and Consulting jusqu’au 28 février 2017, date à laquelle cette société a été détenue à 100 % par son fils.

68      Le Conseil renvoie également à l’article du 18 janvier 2018 mentionné en note en bas de page du document no 1 du dossier de preuves et intitulé « Media : Billionaire Yevgeniy Prigozhin, at the suggestion of Dmitry Medvedev, is going to wash the island from Lakhta » (Media : Le milliardaire Yevgeniy Prigozhin va assainir l’île de Lakhta à la demande de Dmitry Medvedev), selon lequel la requérante a fondé Etalon en 2010, « enregistrée dans la même maison » que Credo, elle-même fondée par M. Prigozhin. Cette information est en outre reprise dans un autre article du même jour disponible en source ouverte, publié sur le site Internet « Fontanka.ru » et intitulé « And the whole city is not enough. Prigozhin wants to increase St. Petersburg with islands » (Et la ville entière ne suffit pas. Prigozhin veut agrandir Saint-Pétersbourg avec des îles).

69      Le Conseil soutient qu’il peut donc être considéré que la requérante détient, ou a détenu, des parts dans des sociétés liées à son fils, en particulier Concord Management and Consulting, Etalon et Lakhta. Elle ne contesterait pas le lien entre Etalon et Credo, ni le lien, par ce biais, avec son fils, quand bien même ce lien serait passé.

70      Il résulte de ce qui précède que, s’il peut être constaté que la requérante a détenu des parts dans des sociétés liées à son fils, en particulier Concord Management and Consulting et Etalon, le Conseil n’a pas établi que la requérante possédait encore des parts dans celles-ci à la date d’adoption des actes attaqués.

71      Quatrièmement, la requérante conteste l’affirmation selon laquelle son fils serait « responsable du déploiement des mercenaires du groupe Wagner en Ukraine ».

72      À cet égard, comme l’indique le Conseil, il y a lieu de se référer, tout d’abord, aux sources déjà produites dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil (T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317), et produites par le Conseil en annexe B 13 au mémoire en défense. Il en résulte que les mercenaires du groupe Wagner ont été déployés en Ukraine, en particulier dès 2014 en soutien de l’annexion illégale de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol par la Fédération de Russie. Il en résulte également l’existence de liens étroits, y compris financiers, entre M. Prigozhin et le groupe Wagner, et ce dès les origines de ce groupe en 2013 ou 2014. Le Conseil renvoie en particulier aux études de Bellingcat, du Foreign Policy Institute et de The Bell, produites en l’espèce. Il en résulte ainsi l’implication du groupe Wagner en Ukraine, et spécialement le déploiement des mercenaires en Crimée et dans le Donbass en 2014 en soutien des forces séparatistes prorusses.

73      Il y a lieu de considérer ensuite le document no 1 du dossier de preuves, auquel le Conseil renvoie, contenant un extrait du site Internet Wikipedia du 25 janvier 2022, qui précise que M. Prigozhin a été lié à un groupe de mercenaires connu sous le nom de « groupe Wagner », qui a également été signalé comme combattant dans l’est de l’Ukraine avec les forces prorusses. De même, l’article de Uawire du 16 novembre 2017, intitulé « Media : Wagner Group commander becomes CEO of Putin’s friend’s catering business » (Media : le commandant du Groupe Wagner devient le PDG de la société de restauration de l’ami de Poutine), indique que « Fontanka et le Wall Street Journal ont affirmé que les combattants du groupe avaient également pris part à des combats dans le sud-est de l’Ukraine aux côtés des républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Louhansk ».

74      Enfin, il convient de relever que le document no 1 du dossier WK 2591/2022 concernant l’inscription du nom de M. Prigozhin sur les listes en cause, notamment en le désignant comme étant responsable du déploiement des mercenaires du groupe Wagner en Ukraine, qui est produit en l’espèce et auquel le Conseil renvoie, contient un article de Carnegie Endowment for international peace, intitulé « One of the newest instruments in that toolbox is the Wagner Group – a shadowy band of mercenaries loyal to the Kremlin and controlled by Yevgeniy Prigozhin, a member of President Vladimir Putin’s coterie » (Un des nouveaux instruments de cette boîte à outils est le groupe Wagner – des mercenaires de l’ombre, loyaux au Kremlin et contrôlés par [M.] Prigozhin, membre de la coterie du président Vladimir Poutine), qui évoque le fait que ledit groupe, un des instruments du pouvoir russe, est contrôlé par M. Prigozhin en indiquant notamment :

« Moscou a d’abord déployé Wagner en Ukraine à un moment où le Kremlin avait besoin de mener une guerre secrète, de cacher les pertes à la population russe et d’atténuer les répercussions internationales d’une violation flagrante de la souveraineté d’un voisin [...] Le recrutement de ces groupes s’est fait rapidement en 2014, et le Kremlin s’est tourné vers des acteurs privés et étatiques pour financer et organiser l’effort.

L’un des premiers groupes d’irréguliers que Moscou a mobilisés comprenait les hommes qui ont ensuite formé Wagner […] Le groupe d’Utkin, qui a alors commencé à se faire appeler Wagner, était basé à Louhansk et a participé aux principales batailles contre les forces ukrainiennes. »

75      Il s’ensuit que c’est à juste titre que le Conseil a considéré que, au moment de l’adoption des actes attaqués, il disposait d’un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants permettant de conclure que M. Prigozhin, du fait de ses liens étroits avec le groupe Wagner, ce dès les origines dudit groupe, et des activités de ce groupe en Ukraine, pouvait être considéré comme responsable du déploiement des mercenaires dudit groupe en Ukraine.

76      Il résulte de tout ce qui précède que les arguments de la requérante concernant les erreurs de fait doivent être accueillis en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle elle « est » propriétaire de Concord Management and Consulting et « propriétaire d’autres entreprises liées à son fils » à la date de l’adoption des actes attaqués (voir points 47, 48 et 70 ci-dessus) et rejetés pour le surplus.

 Sur la seconde branche, tirée de l’erreur manifeste d’appréciation 

77      La requérante soutient que son fils a toujours contesté avoir des relations avec le groupe Wagner, dont l’existence n’aurait pas été établie par le Conseil. Elle fait valoir que c’est au Conseil d’établir la preuve des faits et le bien-fondé des motifs invoqués et conteste avoir soutenu des actions compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Dans la réplique, elle souligne que les sanctions n’ont pas vocation à être punitives. Elle indique ne plus être associée en aucune manière aux entreprises liées à son fils depuis plus de cinq ans et souligne qu’elle n’a eu à l’époque qu’une implication limitée et provisoire dans la gestion de Concord Management and Consulting. La seule implication de sa belle-fille et de son petit-fils dans la gestion des sociétés de son fils ne suffirait pas à démontrer son implication personnelle. Le simple lien familial ne saurait suffire et la jurisprudence citée par le Conseil, concernant les membres de la famille des dirigeants des pays tiers concernés, ne saurait s’appliquer à la famille de dirigeants d’entreprises. Les actes attaqués ne viseraient que les personnes « associées » et non « liées » aux personnes responsables d’actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, et la jurisprudence, en matière de mesures restrictives, sur les liens familiaux ne serait donc pas applicable.

78      Le Conseil fait valoir que l’existence du groupe Wagner a été suffisamment identifiée et que cet argument de la requérante est inopérant. Il soutient avoir démontré que M. Prigozhin était responsable du déploiement des mercenaires dudit groupe en Ukraine et avait tiré avantage d’importants contrats publics avec le ministère de la Défense russe. M. Prigozhin répondrait ainsi à la première partie du critère de désignation visant les personnes « responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ». Le Conseil soutient en outre que la requérante est « associée » à M. Prigozhin en raison d’une combinaison d’éléments, tenant à la fois à un lien familial et à un lien par le biais de sociétés et du schéma toujours appliqué de « gestion familiale », même si la requérante ne détient plus de parts dans les entreprises liées à M. Prigozhin. Selon lui, les termes « associées » et « liées » sont interchangeables, et d’ailleurs traduits par le terme anglais « associated » dans la décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), et dans la décision 2014/145. Il mentionne également le fait que la désignation de personnes associées à des personnes ou entités faisant elles-mêmes l’objet de mesures restrictives permet de contrer le risque de pression sur des personnes qui leur sont liées pour contourner l’effet des mesures qui les visent. Enfin, il fait valoir que le motif fondé sur le fait que la requérante a soutenu des actions et des politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine est une conséquence de l’association de celle-ci avec son fils et est donc également bien fondé, sans qu’il soit tenu d’établir une implication personnelle de la requérante dans les actions dont son fils est responsable.

79      Il convient de rappeler tout d’abord que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Cela étant, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).

80      Il convient également de rappeler que la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (voir arrêts du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22 et jurisprudence citée, et du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 112 et jurisprudence citée). Par conséquent, il incombe au Tribunal de ne tenir compte que des éléments de fait qui existaient au moment de l’adoption des actes attaqués et sur lesquels le Conseil s’est fondé à cette date (voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 127, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 102 à 104).

81      En outre, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121 ; du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66, et du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, point 49).

82      En l’espèce, il résulte de la motivation de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses qu’elle est visée par les mesures restrictives en cause en tant que personne physique « associée » à une personne physique elle-même responsable d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine.

83      Selon le Conseil, l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses résulte ainsi de son association avec M. Prigozhin, lequel est responsable d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

84      Comme cela est indiqué au point 30 ci-dessus, le Conseil a en effet considéré que la requérante était « associée » à M. Prigozhin du fait qu’elle est sa mère et la propriétaire de Concord Management and Consulting, qui appartient au groupe Concord, fondé et détenu jusqu’en 2019 par son fils, ainsi que du fait qu’elle est propriétaire d’autres entreprises liées à ce dernier. Il en a ensuite déduit dans les actes attaqués que la requérante avait soutenu des actions et des politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. La requérante fait donc l’objet des mesures restrictives en cause par application de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), et de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145, ainsi que de l’article 2 du règlement 269/2014.

85      La requérante conteste cette appréciation en substance à trois égards. Elle soutient, premièrement, que son fils a toujours contesté avoir des relations avec le groupe Wagner, dont l’existence n’aurait pas été établie par le Conseil, deuxièmement, qu’elle ne lui est pas « associée » au sens des actes attaqués et, troisièmement, qu’elle n’a pas soutenu des actions compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

86      Il convient d’examiner d’emblée l’argumentation de la requérante selon laquelle elle n’est pas « associée » à son fils au sens des actes attaqués.

87      Premièrement, concernant l’argument de la requérante selon lequel les sanctions n’ont pas vocation à être punitives, il convient de rappeler que les mesures restrictives en cause ont un caractère conservatoire, qu’elles ne constituent pas une sanction pénale et qu’elles n’impliquent, par ailleurs, aucune accusation de cette nature (voir, par analogie, arrêt du 2 décembre 2020, Kalai/Conseil, T‑178/19, non publié, EU:T:2020:580, point 70 et jurisprudence citée). Cet argument doit donc être écarté.

88      Deuxièmement, concernant l’argument de la requérante relatif à la distinction entre personnes « liées » et personnes « associées », à supposer qu’il faille distinguer ces deux termes dans la mesure où le « lien » s’appliquerait plutôt à la relation familiale et le critère d’« association » à la relation de nature économique par le biais notamment de sociétés, une telle distinction est, en l’espèce, inopérante. En effet, c’est le critère d’association qui a été appliqué en l’espèce et qui est employé dans le cadre de la motivation des actes attaqués. En outre, comme le Conseil le souligne, la relation entre la requérante et son fils, et donc leur lien familial, n’a pas été le seul élément de la motivation en l’espèce, laquelle est fondée sur une combinaison d’éléments ayant fondé l’existence d’une association de la requérante avec M. Prigozhin. Il s’ensuit que l’argument de celle-ci, fondé sur la distinction entre ces deux termes, doit être écarté.

89      Troisièmement, concernant l’argument de la requérante selon lequel, n’étant plus associée en aucune manière aux entreprises liées à son fils depuis plus de cinq ans et n’ayant eu à l’époque qu’une implication limitée et provisoire dans la gestion de Concord Management and Consulting, le simple lien familial ne saurait suffire à justifier les actes attaqués, il convient d’examiner les éléments de fait qui existaient au moment de l’adoption des actes attaqués et sur lesquels le Conseil s’est fondé à cette date.

90      Le Conseil soutient que la requérante a été impliquée jusqu’en 2017 au moins dans les entreprises liées à son fils, que le schéma de gestion familiale perdure et que le risque que M. Prigozhin contourne les mesures restrictives en cause par l’intermédiaire de la requérante est établi au regard de la jurisprudence.

91      À cet égard, il y a lieu de constater que, comme l’indique le Conseil, la motivation retenue en l’espèce pour appliquer les mesures restrictives en cause à la requérante ne tient pas uniquement au fait qu’elle est la mère de M. Prigozhin, mais résulte d’une « combinaison d’éléments qui ont permis de constater l’association de la requérante à [M.] Prigozhin » et, en particulier, au fait qu’elle lui est associée par le biais de sociétés. Ainsi, au-delà du lien familial, la motivation se fonde surtout sur le fait qu’elle est « propriétaire de Concord Management and Consulting […], qui appartient au groupe Concord, fondé et détenu jusqu’en 2019 par son fils et qu’elle est propriétaire d’autres entreprises liées à son fils ».

92      Toutefois, ainsi qu’il a été relevé aux points 45 à 48 et 66 à 70 ci-dessus, il n’est pas établi que la requérante possédait encore des parts dans les sociétés concernées à la date d’adoption des actes attaqués. Or, le critère d’inscription relatif aux personnes « associées » aux personnes responsables d’actions compromettant la situation en Ukraine est clairement libellé au présent. De même, les motifs plus spécifiquement exposés concernant la requérante indiquent qu’elle « est » propriétaire de Concord Management and Consulting et qu’elle « est » propriétaire d’entreprises liées à son fils, ce qui implique que l’association doit être établie au moment de l’adoption des actes attaqués.

93      Si le critère d’« associé » est souvent employé dans les actes du Conseil, il n’est pas, en tant que tel, défini et sa signification dépend des contextes et des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 28 juillet 2016, Tomana e.a./Conseil et Commission, C‑330/15 P, non publié, EU:C:2016:601, point 48 ; du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 114, et du 21 juillet 2016, Bredenkamp e.a./Conseil et Commission, T‑66/14, EU:T:2016:430, points 35 à 37). Toutefois, il peut être admis qu’il s’agit de personnes qui sont de façon générale liées par des intérêts communs.

94      En l’espèce, dès lors que l’association entre la requérante et son fils n’est pas établie par le biais de liens économiques ou capitalistiques ou par l’existence d’intérêts communs les liant au moment de l’adoption des actes attaqués, force est de constater que l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses ne repose de facto que sur le lien familial entre la requérante et son fils.

95      Or, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence, l’application de mesures restrictives à des personnes physiques indépendamment de leur comportement personnel et pour la seule raison de leur lien familial avec des personnes associées aux dirigeants du pays tiers concerné doit être considérée comme se heurtant à la jurisprudence de la Cour. Cette exigence assure l’existence d’un lien suffisant entre les personnes concernées et le pays tiers qui est la cible des mesures restrictives adoptées par l’Union (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil, C‑376/10 P, EU:C:2012:138, points 63 à 66).

96      Certes, comme le Conseil l’affirme, le régime des mesures restrictives en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil (C‑376/10 P, EU:C:2012:138), était différent de celui en cause en l’espèce. Toutefois, rien ne s’oppose à l’application de cette jurisprudence, mutatis mutandis, à la situation de la requérante.

97      De plus, la pertinence de l’arrêt du 16 décembre 2020, Haikal/Conseil (T‑189/19, non publié, EU:T:2020:607, points 148 et 149), évoqué par le Conseil, n’est pas établie, dès lors que cet arrêt concernait le régime syrien et l’existence, dans le critère d’inscription applicable, d’une présomption réfragable de lien avec ce régime pour les « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, Haikal/Conseil, T‑189/19, non publié, EU:T:2020:607, point 151), présomption qui n’a pas lieu d’être en l’espèce au vu du critère d’inscription en cause.

98      Il s’ensuit que, au vu de tout ce qui précède, le lien d’association de la requérante avec M. Prigozhin établi au moment de l’adoption des actes attaqués et sur lesquels le Conseil s’est fondé à cette date ne repose que sur leur lien de parenté, ce qui, au vu de la jurisprudence citée au point 95 ci-dessus, ne saurait suffire à justifier l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

99      Les autres arguments du Conseil ne viennent pas infirmer ce constat.

100    En effet, même si, compte tenu du contexte, il peut être admis que, comme le Conseil le souligne, il n’a pas eu et n’a toujours pas accès aux registres du commerce et des sociétés, il reste que la preuve de ses affirmations lui incombait (voir point 81 ci-dessus) et qu’une telle preuve n’est pas, en tant que telle, rapportée en l’espèce. Si la requérante a bel et bien détenu des parts dans des entreprises liées à son fils, en particulier Concord Management and Consulting, Etalon et Lakhta, il ne peut être affirmé, au vu des pièces du dossier, qu’elle en détenait encore à la date d’adoption des actes attaqués (voir point 70 ci-dessus).

101    Certes, comme l’indique le Conseil, il ressort des éléments du dossier que le schéma de gestion des sociétés appartenant à M. Prigozhin inclut des membres de sa famille. Toutefois, à la date d’adoption des actes attaqués, rien ne démontre que la requérante en faisait encore partie. Il ressort en particulier du graphique produit par le Conseil que la détention de parts sociales par la requérante dans les sociétés liées à M. Prigozhin s’est arrêtée, en 2013, pour Lakhta et, en 2017, pour Concord Management and Consulting.

102    En outre, la motivation des actes attaqués ne mentionne explicitement que Concord Management and Consulting, pour laquelle la requérante produit un document démontrant qu’elle ne détient plus de parts dans cette société depuis 2017, ce qui est d’ailleurs admis par le Conseil. Le reste de la motivation indique qu’elle est propriétaire d’autres entreprises liées à son fils sans toutefois préciser lesquelles.

103    Enfin, l’argument fondé sur le risque de contournement, soulevé par le Conseil, doit être écarté en l’espèce. En effet, comme il résulte de la jurisprudence, le critère d’association vise toute entité qui présente un lien, quelle qu’en soit la nature, avec une entité fournissant un appui au gouvernement en cause, dès lors qu’il existe un risque non négligeable que ledit lien puisse être exploité par cette dernière pour contourner les sanctions la visant (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, EU:T:2015:596, point 114). Ainsi, lorsque les fonds d’une entité sont gelés, il existe un risque non négligeable que celle‑ci exerce une pression sur les entités qu’elle détient ou contrôle, pour contourner l’effet des mesures qui la visent, de sorte que le gel des fonds de ces entités est nécessaire et approprié pour assurer l’efficacité des mesures adoptées et garantir que ces mesures ne seront pas contournées (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 58, et du 22 septembre 2016, NIOC e.a./Conseil, C‑595/15 P, non publié, EU:C:2016:721, point 89).

104    Or, en l’espèce, le lien d’association par le biais de sociétés n’est pas établi et repose donc exclusivement sur le lien familial.

105    De plus, concernant le lien avec des membres de la famille de personnes sanctionnées, s’il a été jugé que, lorsque les fonds de ces derniers sont gelés, il existe un risque non négligeable qu’ils exercent des pressions sur les personnes qui leur sont liées pour contourner l’effet des mesures qui les visent (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 159), force est de constater que le critère d’inscription était différent de celui applicable en l’espèce. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la législation prévoyait explicitement des restrictions et le gel des fonds, notamment, des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » et des « membres des familles Assad ou Makhlouf » ainsi que des « personnes qui leur sont liées ». Dans ce cadre juridique, le lien familial avec ces familles peut suffire pour inscrire le nom des personnes sur les listes en cause sur la base du « critère du lien avec des membres de ces familles ». Tel n’est pas le cas lorsque, comme en l’espèce, la législation ne fait pas référence aux membres de certaines familles parmi les critères d’inscription.

106    Dès lors, compte tenu des circonstances de l’espèce, il y a lieu de constater que le Conseil n’a pas établi le risque de contournement invoqué.

107    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen et d’annuler, par conséquent, les actes attaqués, en ce qu’ils visent la requérante, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres arguments et sur les autres moyens invoqués par cette dernière.

 Sur les dépens

108    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2022/265 du Conseil, du 23 février 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 42 I, p. 98), et le règlement d’exécution (UE) 2022/260 du Conseil, du 23 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 42 I, p. 3), sont annulés, dans la mesure où le nom de Violetta Prigozhina a été inscrit sur les listes des personnes et entités figurant à l’annexe de la décision 2014/145/PESC et à l’annexe I dudit règlement.

2)      Le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Mme Violetta Prigozhina.

Spielmann

Valančius

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2023.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.