Language of document : ECLI:EU:T:2022:713

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

29 juillet 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Remise des personnes recherchées aux autorités judiciaires d’émission – Respect des droits fondamentaux – Défaillances systémiques ou généralisées concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission – Défaillances portant sur l’absence de preuve de la prestation de serment des juges – Interdiction des traitements inhumains ou dégradants – Conditions de détention dans l’État membre d’émission – Appréciation par l’autorité judiciaire d’exécution – Refus d’exécution du mandat d’arrêt européen par l’autorité judiciaire d’exécution – Effets de ce refus pour l’autorité judiciaire d’exécution d’un autre État membre »

Dans l’affaire C‑318/24 PPU [Breian] (i),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Braşov (cour d’appel de Braşov, Roumanie), par décision du 30 avril 2024, parvenue à la Cour le 30 avril 2024, dans la procédure relative à l’exécution du mandat d’arrêt européen émis contre

P.P.R.,

en présence de :

Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie – Serviciul Teritorial Braşov,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la cinquième chambre, MM. Z. Csehi, I. Jarukaitis et D. Gratsias (rapporteur), juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 juin 2024,

considérant les observations présentées :

–        pour P.P.R., par Me J. Azzopardi, avukat, et Me M. Laïchi, avocate,

–        pour le Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie – Serviciul Teritorial Braşov, par M. M. Voineag, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement roumain, par Mmes M. Chicu, E. Gane et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par Mme G. Mullan, BL,

–        pour le gouvernement français, par M. R. Bénard et Mme B. Dourthe, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement maltais, par Mme A. Buhagiar, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. A. Biolan, H. Leupold et Mme J. Vondung, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 11 juillet 2024,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, et de l’article 17, paragraphe 1, TUE, de l’article 4 et de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, et des articles 15 et 19 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).

2        Cette demande a été présentée dans la procédure relative à l’exécution du mandat d’arrêt européen émis contre P.P.R. par la Curtea de Apel Braşov – Biroul executări penale (cour d’appel de Braşov – bureau d’exécution pénale, Roumanie).

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’article 2, sous a), du statut de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol), adopté à Vienne (Autriche) par l’Assemblée générale d’Interpol le 13 juin 1956 lors de sa 25e session et modifié en dernier lieu lors de sa 91e session en 2023 (ci-après le « statut d’Interpol »), prévoit qu’Interpol a pour but, notamment, « d’assurer et de développer l’assistance réciproque la plus large de toutes les autorités de police criminelle, dans le cadre des lois existant dans les différents pays et dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme ».

4        L’article 5 du statut d’Interpol mentionne la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol (CCF) comme faisant partie d’Interpol.

5        Conformément à l’article 36, paragraphes 1 et 3, du statut d’Interpol, la CCF est un organe indépendant chargé de veiller à ce que le traitement des données à caractère personnel par Interpol respecte les règles applicables et doit notamment statuer sur les plaintes en la matière.

6        La CCF dispose de son propre statut, lequel définit plus précisément les tâches et les compétences de celle-ci. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de ce statut, elle peut notamment ordonner la suppression de données à caractère personnel du système d’information d’Interpol.

 La décision-cadre 2002/584

7        L’article 1er de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », prévoit :

« 1.      Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.      Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.      La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [UE]. »

8        L’article 3 de cette décision-cadre, intitulé « Motifs de non-exécution obligatoire du mandat d’arrêt européen », dispose :

« L’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution (ci-après dénommée “autorité judiciaire d’exécution”) refuse l’exécution du mandat d’arrêt européen dans les cas suivants :

1)      si l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt est couverte par l’amnistie dans l’État membre d’exécution lorsque celui-ci avait compétence pour poursuivre cette infraction selon sa propre loi pénale ;

2)      s’il résulte des informations à la disposition de l’autorité judiciaire d’exécution que la personne recherchée a fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits par un État membre, à condition que, en cas de condamnation, celle-ci ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l’État membre de condamnation ;

3)      si la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen ne peut, en raison de son âge, être tenue pénalement responsable des faits à l’origine de ce mandat selon le droit de l’État membre d’exécution. »

9        L’article 8 de ladite décision-cadre, intitulé « Contenu et forme du mandat d’arrêt européen », prévoit :

« 1.      Le mandat d’arrêt européen contient les informations suivantes, présentées conformément au formulaire figurant en annexe :

a)       l’identité et la nationalité de la personne recherchée ;

b)       le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et de télécopieur et l’adresse électronique de l’autorité judiciaire d’émission ;

c)       l’indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 1er et 2 ;

d)       la nature et la qualification légale de l’infraction, notamment au regard de l’article 2 ;

e)       la description des circonstances de la commission de l’infraction, y compris le moment, le lieu et le degré de participation de la personne recherchée à l’infraction ;

f)       la peine prononcée, s’il s’agit d’un jugement définitif, ou l’échelle de peines prévue pour l’infraction par la loi de l’État membre d’émission ;

g)       dans la mesure du possible, les autres conséquences de l’infraction.

2.       Le mandat d’arrêt européen doit être traduit dans la langue officielle ou dans une des langues officielles de l’État membre d’exécution. Tout État membre peut, au moment de l’adoption de la présente décision-cadre ou ultérieurement, indiquer, dans une déclaration auprès du secrétariat général du Conseil [de l’Union européenne], qu’il acceptera une traduction dans une ou plusieurs autres langues officielles des institutions [de l’Union européenne]. »

10      Aux termes de l’article 15 de la même décision-cadre, intitulé « Décision sur la remise » :

«1.      L’autorité judiciaire d’exécution décide, dans les délais et aux conditions définis dans la présente décision-cadre, la remise de la personne.

2.      Si l’autorité judiciaire d’exécution estime que les informations communiquées par l’État membre d’émission sont insuffisantes pour lui permettre de décider la remise, elle demande la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires [...]

3.      L’autorité judiciaire d’émission peut, à tout moment, transmettre toutes les informations additionnelles utiles à l’autorité judiciaire d’exécution. »

11      L’article 19 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Audition de la personne dans l’attente de la décision », prévoit :

« 1.      Il est procédé à l’audition de la personne recherchée par une autorité judiciaire, assistée d’une autre personne désignée selon le droit de l’État membre dont relève la juridiction requérante.

2.      L’audition de la personne recherchée est exécutée conformément au droit de l’État membre d’exécution et dans les conditions arrêtées d’un commun accord par l’autorité judiciaire d’émission et l’autorité judiciaire d’exécution.

3.      L’autorité judiciaire d’exécution compétente peut charger une autre autorité judiciaire de l’État membre dont elle relève de prendre part à l’audition de la personne recherchée, afin de garantir l’application correcte du présent article et des conditions fixées. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      Le 17 décembre 2020, la Curtea de Apel Braşov (cour d’appel de Braşov, Roumanie) a émis un mandat d’arrêt européen contre P.P.R., en vue de l’exécution d’une peine d’emprisonnement infligée à celui-ci par un arrêt de sa chambre pénale, du 27 juin 2019, devenu définitif à la suite du prononcé d’un arrêt de la chambre pénale de l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), du 17 décembre 2020.

13      À la suite de la décision de condamnation définitive du 17 décembre 2020, le bureau d’exécution des peines de la Curtea de Apel Brașov (cour d’appel de Brașov) a émis, le même jour, un mandat d’arrêt européen contre P.P.R. aux fins de l’exécution de la peine qui lui avait été infligée.

14      Il ressort des indications de la juridiction de renvoi que, le 28 juin 2022, P.P.R. a été arrêté à Paris (France) et qu’une procédure de remise a été ouverte à son égard. Cette procédure a été close par un arrêt de la cour d’appel de Paris (France), du 29 novembre 2023, devenu définitif, cette dernière ayant refusé l’exécution du mandat d’arrêt européen émis par les autorités roumaines contre P.P.R.

15      Selon la juridiction de renvoi, la cour d’appel de Paris a fondé cette décision de refus sur l’existence d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. Cette cour aurait considéré, d’une part, qu’il existait des défaillances systémiques et généralisées affectant le pouvoir judiciaire en Roumanie, dans la mesure où le lieu de conservation des procès-verbaux de prestation de serment des juges serait incertain, ce qui ferait naître un doute quant à la composition régulière des juridictions de cet État membre. D’autre part, cette défaillance systémique aurait eu une incidence sur la procédure pénale contre P.P.R. devant l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), dès lors que le procès-verbal de prestation de serment de l’un des trois juges de la formation de jugement ayant eu à connaître de l’affaire concernée n’aurait pas pu être retrouvé et une autre juge de cette formation de jugement aurait seulement prêté serment en tant que procureure, alors qu’il ne ressortirait pas clairement des dispositions applicables du droit roumain qu’aucune nouvelle prestation de serment n’était exigée lors de sa nomination en tant que juge.

16      Par ailleurs, la cour d’appel de Paris aurait également pris en considération la décision de la chambre des requêtes de la CCF, adoptée lors de sa 123e session, qui s’est tenue du 30 janvier au 3 février 2023 (CCF/123/R1358.21), par laquelle celle-ci a ordonné la suppression de la base de données d’Interpol de l’avis de recherche international visant P.P.R. au motif que les données le concernant n’étaient pas conformes aux règles d’Interpol relatives au traitement des données à caractère personnel. La cour d’appel de Paris aurait considéré que cette décision mettait en évidence l’existence de sérieuses préoccupations quant à l’existence d’éléments politiques dans le contexte général et quant au respect des principes des droits fondamentaux lors de la procédure dont P.P.R. a fait l’objet en Roumanie.

17      La juridiction de renvoi relève également que, le 29 avril 2024, P.P.R. a été arrêté à Malte en vertu du mandat d’arrêt européen émis contre lui. Le même jour, l’autorité judiciaire d’exécution maltaise a demandé à la juridiction de renvoi des informations complémentaires, précisant que P.P.R. avait invoqué l’arrêt de la cour d’appel de Paris mentionné au point 14 du présent arrêt.

18      C’est dans ces conditions que la Curtea de Apel Braşov (cour d’appel de Braşov) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 15, paragraphe 1, de la [décision-cadre 2002/584] peut-il être interprété en ce sens que la décision de justice définitive par laquelle une autorité judiciaire d’exécution refuse la remise de la personne réclamée est revêtue de l’autorité de la chose jugée à l’égard d’une autre autorité judiciaire d’exécution d’un autre État membre ou doit-il être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réitération de la demande de remise au titre du même mandat d’arrêt européen, lorsque les éléments ayant fait obstacle à l’exécution d’un précédent mandat d’arrêt européen ont été écartés ou que la décision de refus d’exécution de ce mandat d’arrêt européen n’était pas conforme au droit de l’Union, pour autant que l’exécution d’un nouveau mandat d’arrêt européen n’aboutirait pas à une violation de l’article 1er, paragraphe 3, de la [décision-cadre 2002/584] et que la réitération de la demande de remise revêt un caractère proportionné, conformément à l’interprétation de la [décision-cadre 2002/584] par [l’arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a. (C‑158/21, EU:C:2023:57, point 141 et point 5 du dispositif)] ?

2)      L’article 1er, paragraphe 3, de la [décision-cadre 2002/584], lu à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte], peut-il être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas refuser d’exécuter un mandat européen émis aux fins d’exécution d’une peine lorsque, dans le cadre de l’appréciation du point de savoir si les droits de l’homme ont été respectés dans la procédure d’exécution d’un mandat d’arrêt européen, en ce qui concerne le droit à un procès équitable, s’agissant de l’exigence d’un tribunal établi par la loi, prévu à l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte], des irrégularités relatives à la prestation de serment de membres de la formation de jugement de la juridiction ayant prononcé la condamnation ont été constatées, sans qu’elles aient trait à l’immixtion d’autres pouvoirs publics dans le processus de nomination des juges ?

3)      L’article 1er, paragraphe 3, de la [décision-cadre 2002/584], lu à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte], peut-il être interprété en ce sens que, dans une situation où une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen allègue que sa remise à l’État membre d’émission entraînerait la méconnaissance de son droit à un procès équitable, l’existence d’une décision de la [CCF] portant directement sur la situation de cette personne ne peut pas justifier, à elle seule, que l’autorité judiciaire d’exécution refuse d’exécuter ce mandat d’arrêt européen, mais qu’une telle décision peut, en revanche, être prise en compte par cette autorité judiciaire, parmi d’autres éléments, en vue d’apprécier l’existence de défaillances systémiques ou généralisées du fonctionnement du système juridictionnel de cet État membre ou de défaillances affectant la protection juridictionnelle d’un groupe objectivement identifiable de personnes auquel appartiendrait ladite personne ?

4)      La [décision-cadre 2002/584] peut-elle être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à la réitération de la demande de remise de la personne réclamée, au titre du même mandat d’arrêt européen dont l’exécution a initialement été refusée par une juridiction d’exécution d’un État membre, devant une autre juridiction d’exécution d’un autre État membre, lorsque l’autorité judiciaire d’émission constate elle–même que la décision antérieure de refus d’exécution du mandat d’arrêt européen n’était pas conforme au droit de l’Union au regard de la pratique juridictionnelle déjà existante de la Cour ou uniquement à la suite de la saisine de la Cour d’une question préjudicielle d’interprétation du droit de l’Union applicable dans ladite affaire ?

5)      Le principe de reconnaissance mutuelle prévu à l’article 1er, paragraphe 2, de la [décision-cadre 2002/584] ainsi que les principes de confiance mutuelle et de coopération loyale prévus à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, lus à la lumière de la nécessité de garantir une protection juridictionnelle effective des droits des personnes impliquées dans la procédure, le tout au regard des articles 15 et 19 de la [décision-cadre 2002/584], permettent-ils aux autorités judiciaires de l’État membre d’émission (la juridiction d’émission étant représentée par un représentant direct ou, sur invitation de celle-ci, par d’autres organes judiciaires, tels qu’un magistrat de liaison, le membre national pour [l’Agence européenne pour le renforcement de la coopération judiciaire (Eurojust)] ou le procureur de l’État membre d’émission) de participer directement, en formulant des demandes, en présentant des offres de preuve et en prenant part aux débats judiciaires, aux procédures judiciaires d’exécution du mandat d’arrêt européen menées par l’autorité judiciaire d’exécution ainsi que de former un recours contre la décision de refus de remise, dans la mesure où un tel recours est prévu par le droit de l’État membre d’exécution et, si tel est le cas, conformément aux conditions fixées à cet effet, sur le fondement et dans le respect du principe d’équivalence ?

6)      L’article 17, paragraphe 1, TUE, relatif aux attributions de la Commission [européenne], lu à la lumière de la [décision-cadre 2002/584], peut-il être interprété en ce sens que les attributions de la Commission visant à promouvoir l’intérêt général de l’Union en prenant les initiatives appropriées à cette fin et à garantir la surveillance de l’application du droit de l’Union peuvent être exercées en matière de mandat d’arrêt européen, sur saisine de l’autorité judiciaire d’émission du mandat d’arrêt européen, si cette dernière considère que le refus de l’autorité judiciaire d’exécution d’exécuter le mandat d’arrêt européen porte gravement atteinte aux principes de confiance mutuelle et de coopération loyale, afin que la Commission prenne les mesures qu’elle estime nécessaires conformément à ces attributions et en toute indépendance ? »

19      Le 16 mai 2024, la Cour a adressé à la juridiction de renvoi une demande d’éclaircissements portant sur la nature de la procédure dans le cadre de laquelle celle-ci lui a soumis la demande de décision préjudicielle, sur l’objet de cette procédure et sur la teneur des décisions qu’elle pourrait être amenée à prendre à l’issue de ladite procédure. Cette juridiction a répondu à cette demande le 22 mai 2024. Dans sa réponse, elle a, notamment, indiqué que, le 20 mai 2024, la juridiction maltaise compétente, en sa qualité d’autorité judiciaire d’exécution du mandat d’arrêt européen émis contre P.P.R., avait décidé de ne pas remettre P.P.R. aux autorités roumaines, estimant que les informations relatives aux conditions de détention en Roumanie dont elle disposait ne lui permettaient pas de conclure que l’interdiction de peines ou de traitements inhumains et dégradants, prévue à l’article 4 de la Charte, serait respectée en ce qui concerne P.P.R., en cas de sa remise aux autorités roumaines.

20      Selon la juridiction de renvoi, pour parvenir à cette conclusion, l’autorité judiciaire d’exécution maltaise, d’une part, s’est fondée sur des informations accessibles, notamment, sur le site Internet de l’administration pénitentiaire roumaine et, d’autre part, a pris en considération le fait que l’approbation, par la juridiction de renvoi, des assurances des autorités compétentes roumaines, selon lesquelles P.P.R. ne subirait pas de traitement inhumain ou dégradant du fait de ses conditions de détention, était indiquée, dans la traduction en langue anglaise de la communication de la juridiction de renvoi à l’autorité judiciaire d’exécution maltaise, par le terme « approved » et non pas par le terme « endorsed », ce dernier terme étant celui utilisé au point 68 de la version en langue anglaise de l’arrêt du 15 octobre 2019, Dorobantu (C‑128/18, EU:C:2019:857).

21      Dans ces conditions, la Curtea de Apel Braşov (cour d’appel de Braşov) a adressé à la Cour la septième question préjudicielle suivante :

« L’article 1er , paragraphe 3, de la [décision-cadre 2002/584], lu en combinaison avec l’article 4 de la [Charte], relatif à l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, doit-il être interprété en ce sens que, lors de l’examen des conditions de détention dans l’État membre d’émission, d’une part, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen sur la base d’informations qui n’ont pas été portées à la connaissance de l’autorité judiciaire d’émission et pour lesquelles cette dernière n’a pas eu l’occasion de fournir des informations complémentaires, au sens de l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la [décision-cadre 2002/584], et, d’autre part, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut appliquer un standard plus élevé que celui prévu par la Charte et sans préciser avec exactitude les règles auxquelles elle se réfère, notamment en ce qui concerne les exigences en matière de détention telles que l’établissement d’un “plan précis d’exécution de la peine”, de “critères précis pour établir un régime d’exécution déterminé” et de garanties en matière de non-discrimination en raison d’une “situation particulièrement unique et délicate” ? »

 Sur la demande d’application de la procédure préjudicielle d’urgence

22      La juridiction de renvoi a demandé que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

23      À l’appui de sa demande, elle a, en substance, indiqué que P.P.R. se trouve actuellement privé de liberté à Malte dans le cadre de la procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen émis par les autorités roumaines et que son maintien en détention dépend de l’issue de la procédure au principal, étant entendu que celui-ci s’est prévalu, devant l’autorité judiciaire d’exécution maltaise, du refus, opposé par la cour d’appel de Paris, d’exécuter le mandat d’arrêt européen émis par les autorités roumaines.

24      Aux termes de l’article 107, paragraphe 1, du règlement de procédure, un renvoi préjudiciel qui soulève une ou plusieurs questions concernant les domaines visés au titre V, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, de la troisième partie, du traité FUE peut, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence, au sens du chapitre troisième du titre troisième de ce règlement de procédure, lequel comprend les articles 107 à 114 dudit règlement de procédure.

25      Il convient de relever, en premier lieu, que le renvoi préjudiciel porte notamment sur l’interprétation de la décision-cadre 2002/584, qui relève des domaines visés au titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Il est, par conséquent, susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence conformément à l’article 107 du règlement de procédure.

26      S’agissant, en second lieu, de la condition relative à l’urgence, cette condition est, notamment, remplie lorsque la personne concernée dans l’affaire au principal est actuellement privée de sa liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal, étant précisé que la situation de cette personne est à apprécier telle qu’elle se présente à la date de l’examen de la demande tendant à obtenir que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence (arrêt du 14 mai 2024, Stachev, C‑15/24 PPU, EU:C:2024:399, point 42 et jurisprudence citée).

27      En l’occurrence, certes, le renvoi préjudiciel émane non pas de la juridiction qui, en tant qu’autorité judiciaire d’exécution du mandat d’arrêt européen en cause au principal, est, en définitive, appelée à décider de la remise de la personne visée par ce mandat d’arrêt, mais de l’autorité judiciaire d’émission de celui–ci.

28      Il n’en demeure pas moins que, comme la juridiction de renvoi l’a confirmé en réponse à la demande d’éclaircissements mentionnée au point 19 du présent arrêt, celle-ci pourrait être amenée, en fonction des réponses aux questions posées, à retirer le mandat d’arrêt européen émis contre P.P.R. Ce dernier n’étant placé en détention qu’en vertu de ce mandat d’arrêt, un éventuel retrait dudit mandat d’arrêt aurait comme conséquence immédiate la libération de P.P.R.

29      Dans ces conditions, la cinquième chambre de la Cour a, sur proposition du juge rapporteur, l’avocate générale entendue, décidé, le 15 mai 2024, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

30      Ainsi qu’il est relevé au point 27 du présent arrêt, le renvoi préjudiciel émane de l’autorité judiciaire d’émission du mandat d’arrêt européen en vertu duquel P.P.R. a été placé en détention à Malte. Il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que la demande de décision préjudicielle vise notamment à lui permettre de déterminer si elle peut émettre un nouveau mandat d’arrêt européen contre P.P.R. ou si elle est tenue de retirer le mandat d’arrêt européen déjà émis contre celui-ci, dans le cas où il résulterait de la réponse de la Cour que le refus d’exécuter le précédent mandat n’était pas conforme au droit de l’Union.

31      De telles considérations sont de nature à justifier que cette juridiction puisse, en tant qu’autorité judiciaire d’émission, interroger la Cour sur les conditions d’exécution d’un mandat d’arrêt européen (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 53).

32      En effet, la garantie des droits fondamentaux dans le cadre d’une procédure relative à un mandat d’arrêt européen relève, au premier chef, de la responsabilité de l’État membre d’émission. Dès lors, et étant donné que l’émission d’un tel mandat peut avoir pour conséquence l’arrestation de la personne faisant l’objet de celui-ci, une autorité judiciaire d’émission doit, aux fins d’assurer la garantie de ces droits, disposer de la faculté de saisir la Cour à titre préjudiciel pour déterminer si elle doit maintenir ou retirer un mandat d’arrêt européen ou si elle peut émettre un tel mandat (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

33      Il s’ensuit que, comme Mme l’avocate générale l’a, en substance, relevé aux points 24 à 26 de ses conclusions, le renvoi préjudiciel est recevable dans son ensemble, sans préjudice de la possibilité d’apprécier la recevabilité de chacune des questions posées.

 Sur la première question

34      Par la première partie de sa première question, la juridiction demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 3, et l’article 15, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens que l’autorité d’exécution d’un État membre est tenue de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen lorsque l’autorité d’exécution d’un autre État membre a préalablement refusé d’exécuter ce mandat au motif que la remise de la personne concernée risquerait de porter atteinte au droit fondamental à un procès équitable consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.

35      Par la seconde partie de sa première question, cette juridiction demande si, dans les mêmes circonstances, ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que l’autorité judiciaire d’émission maintienne le mandat d’arrêt européen en question.

36      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que, tant le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose lui-même sur la confiance réciproque entre ces derniers, ont, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. Plus spécifiquement, le principe de confiance mutuelle impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 93 ainsi que jurisprudence citée).

37      Selon une jurisprudence bien établie, l’existence d’un risque de violation des droits fondamentaux reconnus par le droit de l’Union est susceptible de permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de s’abstenir, à titre exceptionnel et au terme d’un examen approprié, de donner suite à un mandat d’arrêt européen, sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584 (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 72).

38      À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, lorsque l’autorité judiciaire d’exécution appelée à statuer sur la remise d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen dispose d’éléments tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable garanti à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, en raison de défaillances systémiques ou généralisées du fonctionnement du système juridictionnel de l’État membre d’émission, cette autorité doit vérifier, de manière concrète et précise, si, eu égard à la situation personnelle de cette personne, à la nature de l’infraction pour laquelle cette dernière est poursuivie et au contexte factuel dans lequel l’émission du mandat d’arrêt européen s’inscrit, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que ladite personne courra un tel risque en cas de remise à cet État membre (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 97).

39      Cela étant précisé, aucune disposition de la décision-cadre 2002/584 ne prévoit la possibilité ou l’obligation, pour une autorité d’exécution d’ un État membre de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen au seul motif que son exécution a été refusée par l’autorité d’exécution d’un autre État membre, sans procéder elle-même à la vérification de l’existence d’un motif justifiant sa non-exécution [voir, par analogie, arrêt du 14 septembre 2023, Sofiyska gradska prokuratura (Mandats d’arrêt successifs), C‑71/21, EU:C:2023:668, point 51].

40      En particulier, la décision d’une autorité judiciaire d’exécution d’un État membre de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, quand bien même elle serait revêtue de l’autorité de la chose jugée conformément au droit national, ne saurait être assimilée à un « jugement définitif », au sens de l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584, seul susceptible de faire obstacle à ce que des poursuites pénales soient exercées, pour les mêmes faits et contre la même personne, dans l’État d’émission ou qu’elles soient entamées dans tout autre État membre [voir, par analogie, arrêt du 14 septembre 2023, Sofiyska gradska prokuratura (Mandats d’arrêt successifs), C‑71/21, EU:C:2023:668, point 52].

41      En effet, une personne recherchée est considérée comme ayant fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits, au sens de l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584, lorsque, à la suite d’une procédure pénale, l’action publique est définitivement éteinte ou encore lorsque les autorités judiciaires d’un État membre ont adopté une décision par laquelle le prévenu est définitivement acquitté pour les faits reprochés (arrêt du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, point 45).

42      Or, l’examen d’une demande de remise n’implique pas l’engagement de poursuites pénales par l’État d’exécution contre la personne dont la remise est demandée et ne comporte pas d’appréciation sur le fond de l’affaire [arrêt du 14 septembre 2023, Sofiyska gradska prokuratura (Mandats d’arrêt successifs), C‑71/21, EU:C:2023:668, point 54].

43      Il s’ensuit que l’autorité d’exécution d’un État membre ne peut pas refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen au seul motif que son exécution a été refusée par l’autorité d’exécution d’un autre État membre, sans procéder elle-même à la vérification de l’existence d’un motif de non-exécution [voir, par analogie, arrêt du 14 septembre 2023, Sofiyska gradska prokuratura (Mandats d’arrêt successifs), C‑71/21, EU:C:2023:668, point 61].

44      S’il résulte de ce qui précède que le principe de reconnaissance mutuelle, tel que mis en œuvre par la décision-cadre 2002/584, ne s’étend pas aux décisions de non-exécution des mandats d’arrêt européens, il reste néanmoins nécessaire de préciser les effets que peut produire, sur l’autorité d’exécution d’un État membre, la circonstance qu’une autorité d’exécution d’un autre État membre a préalablement refusé d’exécuter un tel mandat d’arrêt en raison de l’existence d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi par la loi, tel que consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.

45      Conformément à la jurisprudence rappelée au point 34 du présent arrêt, le principe de confiance mutuelle impose à chaque État membre de considérer, sauf circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit.

46      En l’occurrence, comme l’a exposé en substance Mme l’avocate générale aux points 37 à 44 de ses conclusions, le principe de confiance mutuelle exige, en présence d’une décision de non-exécution adoptée dans un autre État membre en raison de l’existence d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, que l’autorité d’exécution d’un État membre saisie d’une nouvelle demande de remise de la personne concernée tienne dûment compte des motifs qui sous-tendent cette décision, dans le cadre de son propre examen de l’existence d’un motif de non-exécution [voir, par analogie, arrêt du 18 juin 2024, Bundesrepublik Deutschland (Effet d’une décision d’octroi du statut de réfugié), C‑753/22, EU:C:2024:524, point 80].

47      Les considérations qui précèdent valent, mutatis mutandis, pour ce qui concerne l’autorité judiciaire d’émission dont le mandat d’arrêt européen n’a pas été exécuté en raison de l’existence d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.

48      Aucune disposition de la décision-cadre 2002/584 n’exclut la possibilité, pour l’autorité d’émission, de maintenir la demande de remise au titre d’un mandat d’arrêt européen lorsque l’autorité d’exécution d’un État membre a refusé d’exécuter ce mandat d’arrêt.

49      Ainsi, si l’existence, à elle seule, d’une décision de l’autorité judiciaire d’exécution d’un État membre de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen n’implique pas l’obligation, pour l’autorité judiciaire d’émission de ce mandat d’arrêt, de retirer celui-ci, elle doit, tout de même, inciter cette dernière autorité à la vigilance [voir, par analogie, arrêt du 14 septembre 2023, Sofiyska gradska prokuratura (Mandats d’arrêt successifs), C‑71/21, EU:C:2023:668, point 55].

50      Dans l’arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., (C‑158/21, EU:C:2023:57), la Cour a été interrogée sur la possibilité d’émettre plusieurs mandats d’arrêt européens successifs dans des circonstances analogues à celles de l’affaire au principal. Les principes exposés par la Cour aux points 139 à 143 de cet arrêt sont transposables, par analogie, dans la présente affaire.

51      En particulier, le maintien, par l’autorité judiciaire d’émission, d’un mandat d’arrêt européen peut s’avérer nécessaire, notamment après que les éléments ayant conduit au refus de la précédente demande de remise ont été écartés ou lorsque la décision de refus n’était pas conforme au droit de l’Union, en vue de conduire la procédure de remise d’une personne recherchée à son terme et ainsi de favoriser la réalisation de l’objectif de lutte contre l’impunité poursuivi par cette décision-cadre (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 141).

52      Cela étant, comme il est rappelé au point 32 du présent arrêt, la garantie des droits fondamentaux dans le cadre d’une procédure relative à un mandat d’arrêt européen relève, au premier chef, de la responsabilité de l’État membre d’émission.

53      Partant, une autorité judiciaire d’émission ne saurait, en l’absence d’un changement de circonstances, maintenir un mandat d’arrêt européen lorsqu’une autorité judiciaire d’exécution a légitimement refusé, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584, de donner suite à ce mandat d’arrêt en raison d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 143). En revanche, en l’absence d’un tel risque, à la suite notamment d’un changement de circonstances, la seule circonstance que l’autorité d’exécution ait refusé d’exécuter ledit mandat d’arrêt ne saurait faire obstacle, en tant que telle, à ce que l’autorité judiciaire d’émission maintienne le même mandat d’arrêt.

54      Par ailleurs, dès lors que le maintien d’un mandat d’arrêt européen, dont l’exécution a été refusée dans un État membre, peut avoir pour conséquence l’arrestation de la personne faisant l’objet de celui-ci dans un autre État membre et, partant, est susceptible de porter atteinte à la liberté individuelle de cette dernière, il appartient à l’autorité judiciaire d’émission d’examiner si, au regard des spécificités de l’espèce, ce maintien revêt un caractère proportionné. Dans le cadre d’un tel examen, il incombe notamment à cette autorité de tenir compte de la nature et de la gravité de l’infraction pour laquelle la personne recherchée est poursuivie, des conséquences sur cette personne du maintien du mandat d’arrêt européen émis contre elle ainsi que des perspectives d’exécution dudit mandat d’arrêt (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, points 144 et 145).

55      Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 3, et l’article 15, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens que l’autorité d’exécution d’un État membre n’est pas tenue de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen lorsque l’autorité d’exécution d’un autre État membre a préalablement refusé d’exécuter ce mandat d’arrêt au motif que la remise de la personne concernée risquerait de porter atteinte au droit fondamental à un procès équitable consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. Néanmoins, dans le cadre de son propre examen de l’existence d’un motif de non-exécution, cette autorité doit tenir compte des motifs qui sous-tendent la décision de refus adoptée par la première autorité d’exécution. Ces dispositions ne s’opposent pas à ce que, dans les mêmes circonstances, l’autorité judiciaire d’émission maintienne le mandat d’arrêt européen, pour autant que, selon sa propre appréciation, l’exécution de ce mandat d’arrêt ne doit pas être refusée en raison d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte et que le maintien dudit mandat d’arrêt revêt un caractère proportionné.

 Sur la troisième question

56      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, lu en combinaison avec l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, doit être interprété en ce sens que, dans une situation où une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen allègue que sa remise à l’État membre d’émission entraînerait la méconnaissance de son droit à un procès équitable, l’existence d’une décision de la CCF portant sur la situation de cette personne peut justifier, à elle seule, que l’autorité judiciaire d’exécution refuse d’exécuter ce mandat d’arrêt ou, à défaut, peut être prise en compte par cette autorité judiciaire en vue de décider s’il y a lieu de refuser d’exécuter ledit mandat d’arrêt pour le motif allégué par cette personne.

57      Selon les explications de la juridiction de renvoi, la chambre des requêtes de la CCF a décidé de supprimer de la base de données d’Interpol l’avis de recherche international visant P.P.R. au motif que les données le concernant n’étaient pas conformes aux règles d’Interpol relatives au traitement des données à caractère personnel. Cette décision de la CCF aurait été prise en compte par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 29 novembre 2023 par lequel celle-ci a refusé d’exécuter le mandat d’arrêt européen émis par les autorités roumaines contre P.P.R.

58      Dans l’arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., (C‑158/21, EU:C:2023:57), la Cour a été saisie d’une question similaire portant sur la prise en compte, par l’autorité d’exécution, d’un rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire, organisme qui est sous la tutelle du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Les principes exposés par la Cour aux points 121 à 126 de cet arrêt sont transposables, mutatis mutandis, à la prise en compte, par l’autorité d’exécution, d’une décision de la CCF portant sur la situation d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen.

59      Dès lors que l’examen en deux étapes visé au point 38 du présent arrêt doit reposer à la fois sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés relatifs au fonctionnement du système juridictionnel de l’État membre d’émission ainsi que sur une analyse concrète et précise de la situation individuelle de la personne recherchée, une décision de la CCF ordonnant la suppression de l’avis de recherche international visant la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, en raison d’une violation des règles d’Interpol relatives au traitement des données à caractère personnel, ne saurait suffire à justifier le refus de l’exécution de ce mandat d’arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 123).

60      Pour autant que l’autorité d’exécution ait pu établir l’existence de telles défaillances systémiques ou généralisées (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 135), celle-ci doit, dans le cadre de la seconde étape, apprécier, de manière concrète et précise, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne recherchée courra, une fois remise à l’État membre d’émission, un risque réel de violation de son droit fondamental à un procès équitable [voir, en ce sens, arrêts du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 92, et du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission), C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, point 61]. Une décision de la CCF est susceptible de faire partie des éléments pouvant être pris en compte au titre de cette seconde étape, sans pour autant que l’autorité judiciaire d’exécution soit liée par celle-ci.

61      En conséquence, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, lu en combinaison avec l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, doit être interprété en ce sens que, dans une situation où une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen allègue que sa remise à l’État membre d’émission entraînerait la méconnaissance de son droit à un procès équitable, l’existence d’une décision de la CCF portant sur la situation de cette personne ne peut pas justifier, à elle seule, que l’autorité judiciaire d’exécution refuse d’exécuter ce mandat d’arrêt. En revanche, une telle décision peut être prise en compte par cette autorité judiciaire en vue de décider s’il y a lieu de refuser d’exécuter ledit mandat d’arrêt.

 Sur la quatrième question

62      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen est tenue de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle avant de décider, au regard des motifs ayant conduit l’autorité judiciaire d’exécution de ce mandat d’arrêt à refuser l’exécution de celui-ci, de retirer ou de maintenir ledit mandat d’arrêt.

63      Aux termes de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE, lorsqu’une question portant sur l’interprétation des traités ou sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

64      Conformément au troisième alinéa de cet article, lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

65      Il s’ensuit que l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen n’est pas tenue de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle avant de décider, à la lumière des motifs ayant conduit l’autorité judiciaire d’exécution de ce mandat d’arrêt à refuser l’exécution de celui-ci, de retirer ledit mandat d’arrêt, conformément au droit de l’Union, ou de le maintenir, à moins que sa décision ne soit pas susceptible d’un recours juridictionnel de droit interne.

66      Dans cette dernière hypothèse, l’autorité judiciaire d’émission est, en principe, tenue de saisir la Cour, au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, lorsqu’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union est soulevée devant elle. Selon une jurisprudence constante, elle ne saurait être libérée de cette obligation que lorsqu’elle a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, points 32 et 33 ainsi que jurisprudence citée).

67      L’existence d’une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

68      Par ailleurs, lorsqu’une autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, considère, au motif qu’elle se trouve en présence de l’une des trois situations mentionnées au point 67 du présent arrêt, qu’elle est libérée de l’obligation de saisir la Cour à titre préjudiciel, prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, les motifs de sa décision doivent faire apparaître soit que la question de droit de l’Union soulevée n’est pas pertinente pour la solution du litige, soit que l’interprétation de la disposition concernée du droit de l’Union est fondée sur la jurisprudence, soit, à défaut d’une telle jurisprudence, que l’interprétation du droit de l’Union s’est imposée à la juridiction nationale statuant en dernier ressort avec une évidence ne laissant place à aucun doute raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 51).

69      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen n’est pas tenue de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle avant de décider, au regard des motifs ayant conduit l’autorité judiciaire d’exécution de ce mandat d’arrêt à refuser l’exécution de celui-ci, de retirer ledit mandat d’arrêt ou de le maintenir, à moins que la décision qu’elle sera amenée à prendre ne soit pas susceptible d’un recours juridictionnel de droit interne, auquel cas elle est, en principe, tenue de saisir la Cour.

 Sur la deuxième question

70      À titre liminaire, si la juridiction de renvoi se réfère, dans le libellé de la deuxième question, à des « irrégularités relatives à la prestation de serment », il ressort de la demande de décision préjudicielle que, en l’occurrence, ces « irrégularités » consistent, plus particulièrement, dans une incertitude concernant le lieu de conservation du procès-verbal de prestation de serment des juges en Roumanie, ce qui aurait pour conséquence que, pour l’un des trois juges de la formation de jugement de l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) ayant eu à connaître de l’affaire de P.P.R., aucun procès-verbal de prestation de serment n’a pu être retrouvé et, pour une autre juge de cette formation de jugement, seul un procès-verbal de prestation de serment en tant que procureure a pu être retrouvé.

71      Dans ces conditions, il convient de considérer que, par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis en vue de l’exécution d’une peine peut refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt, en se fondant sur une incertitude quant au lieu de conservation des procès-verbaux de prestation de serment des juges de l’État membre d’émission, sur le fait que le procès-verbal d’un juge de la formation de jugement ayant infligé cette peine n’aurait pas été retrouvé ou sur la circonstance qu’un autre juge de cette formation de jugement aurait seulement prêté serment lors de sa nomination en tant que procureur.

72      À cet égard, il convient de rappeler que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, tandis que le refus d’exécution est conçu comme une exception devant faire l’objet d’une interprétation stricte [arrêt du 21 décembre 2023, GN (Motif de refus fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant), C‑261/22, EU:C:2023:1017, point 37].

73      En outre, en vertu du principe de confiance mutuelle, il incombe aux États membres de présumer que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, points 93 et 94).

74      En particulier, le degré de confiance élevé entre les États membres sur lequel repose le mécanisme du mandat d’arrêt européen se fonde sur la prémisse selon laquelle les juridictions pénales de l’État membre d’émission qui, à la suite de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, devront mener la procédure pénale de poursuites ou d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté ainsi que la procédure pénale au fond répondent aux exigences inhérentes au droit fondamental à un procès équitable, garanti à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 95).

75      Eu égard aux considérations exposées aux points 73 à 75 du présent arrêt, seules des circonstances exceptionnelles sont susceptibles de justifier le refus, par l’autorité d’exécution, d’exécuter un mandat d’arrêt européen en raison de l’existence d’un risque de violation de ce droit fondamental.

76      Selon la jurisprudence de la Cour, s’il appartient au premier chef à chaque État membre, aux fins de garantir la pleine application des principes de confiance et de reconnaissance mutuelles qui sous-tendent le fonctionnement du mécanisme du mandat d’arrêt européen, d’assurer, sous le contrôle ultime de la Cour, la préservation des exigences inhérentes au droit fondamental à un procès équitable, garanti à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, en s’abstenant de toute mesure susceptible d’y porter atteinte, l’existence d’un risque réel que la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen subisse, en cas de remise à l’autorité judiciaire d’émission, une violation de ce droit fondamental, voire la réalisation d’un tel risque, est susceptible de permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de s’abstenir, à titre exceptionnel, de donner suite à ce mandat d’arrêt européen, sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de cette décision-cadre [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 46 ainsi que jurisprudence citée].

77      Dans ce contexte, avant de refuser, sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584, la remise d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis en vue de l’exécution d’une peine, l’autorité judiciaire d’exécution d’un État membre doit procéder en un examen en deux étapes.

78      Dans une première étape, il appartient à cette autorité de déterminer s’il existe des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation, dans l’État membre d’émission, du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, en raison de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire dans cet État membre [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, points 52 et 66 ainsi que jurisprudence citée].

79      Si tel est le cas, l’autorité compétente de l’État membre d’exécution doit, dans une seconde étape, vérifier, de manière concrète et précise, dans quelle mesure les défaillances constatées lors de la première étape ont pu avoir une incidence sur le fonctionnement des juridictions de l’État membre d’émission compétentes pour connaître des procédures dont la personne concernée a fait l’objet et si, eu égard à la situation personnelle de cette dernière, à la nature de l’infraction pour laquelle elle a été jugée et au contexte factuel dans lequel s’inscrit la condamnation dont la reconnaissance et l’exécution sont demandées, ainsi que, le cas échéant, des informations complémentaires fournies par cet État membre en application de cette décision-cadre, il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un tel risque s’est effectivement réalisé en l’espèce [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 53 ainsi que jurisprudence citée].

80      Parmi les exigences inhérentes au droit fondamental à un procès équitable, garanti à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, figure le droit, pour toute personne, à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Ces dernières exigences englobent, par leur nature même, non seulement le processus de nomination des juges, mais également les conditions d’entrée en fonction de ces derniers.

81      Par conséquent, il est nécessaire que les conditions de fond et les modalités procédurales relatives à la nomination des juges et à leur entrée en fonction soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, de doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges nommés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson /Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, point 71).

82      Toutefois, toute irrégularité intervenant au cours de la procédure de nomination d’un juge, ou à l’occasion de son entrée en fonction, n’est pas de nature à jeter un doute sur l’indépendance et l’impartialité de ce juge et, partant, sur la qualité de « tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi », au sens du droit de l’Union, d’une formation de jugement dans laquelle il siège (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 123).

83      En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH, laquelle est pertinente dès lors que, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, première phrase, de la Charte, cette dernière contient des droits correspondant à des droits garantis par la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, que seules les atteintes touchant les règles fondamentales de la procédure de nomination et d’entrée en fonction des juges sont de nature à emporter une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH [voir, en ce sens, Cour EDH, 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson/Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 246 et 247].

84      Ainsi, ne saurait constituer une défaillance systémique ou généralisée en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire, au sens de la jurisprudence rappelée au point 79 du présent arrêt, la circonstance que le droit interne d’un État membre prévoit, éventuellement, qu’un procureur, qui a prêté serment lors de son entrée en fonction, ne doit pas, lors de sa nomination ultérieure aux fonctions de juge, prêter serment une nouvelle fois.

85      En effet, une telle disposition du droit interne, justifiée par le fait que, dans cet État membre, le statut des procureurs est assimilé à celui des juges et que les deux catégories de magistrats sont tenues de prêter le même serment lors de leur prise de fonctions, n’est pas de nature à faire naître un doute quant au caractère régulier de la nomination des juges et, par voie de conséquence, quant à leur indépendance et à leur impartialité.

86      En outre, une incertitude quant au lieu de conservation des procès-verbaux de prestation de serment des juges d’un État membre ou l’impossibilité de localiser ces procès-verbaux, notamment si plusieurs années se sont écoulées depuis la prestation de serment du juge concerné, ne sont pas, en elles-mêmes et à défaut d’autres indices pertinents, susceptibles de démontrer que les juges concernés ont exercé leurs fonctions sans jamais avoir prêté le serment exigé.

87      En tout état de cause, une incertitude quant à la question de savoir si les juges d’un État membre ont, avant leur entrée en fonction, prêté le serment prévu par le droit interne ne saurait être considérée comme étant constitutive d’une défaillance systémique ou généralisée en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire dans cet État membre, si le droit interne prévoit des voies de droit efficaces qui permettent d’invoquer une éventuelle omission de prestation de serment par les juges ayant prononcé un jugement déterminé et d’obtenir ainsi l’annulation de ce jugement. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si de telles voies de droit existent dans le droit roumain.

88      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis en vue de l’exécution d’une peine ne peut pas refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt en se fondant sur le motif que le procès-verbal de prestation de serment d’un juge ayant infligé cette peine est introuvable ou sur la circonstance qu’un autre juge de la même formation aurait seulement prêté serment lors de sa nomination en tant que procureur.

 Sur la cinquième question

89      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la décision-cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens que l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen dispose du droit de participer, en tant que partie, à la procédure relative à l’exécution de ce mandat d’arrêt devant l’autorité judiciaire d’exécution.

90      À cet égard, il convient de constater que ni l’article 15 ni l’article 19 de la décision-cadre 2002/584, mentionnés par la juridiction de renvoi, ni une autre disposition de cette décision-cadre ne prévoient la participation obligatoire directe de l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen dans la procédure devant l’autorité judiciaire exécution, concernant l’exécution de ce mandat d’arrêt. Une obligation de prévoir une telle participation ne saurait non plus être déduite des principes de reconnaissance mutuelle et de coopération loyale.

91      En effet, si, certes, la décision-cadre 2002/584 ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une telle participation, éventuellement prévue par les règles procédurales du droit interne de l’État membre d’exécution, il n’en demeure pas moins que cette décision-cadre prévoit d’autres moyens pour faciliter la coopération et l’échange des informations nécessaires entre l’autorité judiciaire d’émission et l’autorité judiciaire d’exécution.

92      Ainsi, l’article 8, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 énumère une série d’informations pertinentes qui doivent obligatoirement figurer dans un mandat d’arrêt européen. En outre, aux termes de l’article 15, paragraphe 2, de cette décision-cadre, si l’autorité judiciaire d’exécution estime que les informations communiquées par l’État membre d’émission sont insuffisantes pour lui permettre de décider la remise, elle demande la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires. Par ailleurs, conformément à l’article 15, paragraphe 3, de ladite décision-cadre, l’autorité judiciaire d’émission peut, à tout moment, transmettre toutes les informations additionnelles utiles à l’autorité judiciaire d’exécution.

93      Il ressort, à cet égard, de la jurisprudence que, afin notamment d’assurer que le fonctionnement du mandat d’arrêt européen ne soit pas paralysé, l’obligation de coopération loyale doit présider au dialogue entre les autorités judiciaires d’exécution et celles d’émission. Il découle du principe de coopération loyale, notamment, que les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions qui découlent des traités (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 131 ainsi que jurisprudence citée).

94      Dans cette perspective, les autorités judiciaires d’émission et d’exécution doivent, afin d’assurer une coopération efficace en matière pénale, faire pleinement usage des instruments prévus notamment à l’article 8, paragraphe 1, et à l’article 15 de la décision-cadre 2002/584 de façon à favoriser la confiance mutuelle sur laquelle cette coopération est fondée (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 132 ainsi que jurisprudence citée).

95      Partant, il ne saurait être considéré que la participation de l’autorité judiciaire d’émission en tant que partie à la procédure devant l’autorité judiciaire d’exécution est indispensable pour assurer le respect des principes de reconnaissance mutuelle et de coopération loyale qui sous-tendent le fonctionnement du mécanisme du mandat d’arrêt européen.

96      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la cinquième question que la décision-cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens que l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen ne dispose pas du droit de participer, en tant que partie, à la procédure relative à l’exécution de ce mandat d’arrêt devant l’autorité judiciaire d’exécution.

 Sur la sixième question

97      La sixième question concerne la possibilité, pour la Commission, de prendre, sur la saisine de l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen, les mesures qu’elle estime nécessaires à la suite du refus de l’autorité judiciaire d’exécution d’exécuter ce mandat d’arrêt.

98      Or, une telle question n’a manifestement aucun rapport avec l’objet du litige devant la juridiction de renvoi lequel, ainsi qu’il est relevé au point 28 du présent arrêt, vise à déterminer s’il y a lieu de retirer le mandat d’arrêt européen émis contre P.P.R. ou, en revanche, de le maintenir.

99      Il s’ensuit que la sixième question est irrecevable.

 Sur la septième question

100    Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 3, et l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la décision-cadre 2002/584, lus à la lumière de l’article 4 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que, lors de l’examen des conditions de détention dans l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, d’une part, en se fondant sur des éléments concernant les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires de l’État membre d’émission sans avoir préalablement demandé à l’autorité judiciaire d’émission des informations complémentaires et, d’autre part, en appliquant un standard plus élevé en matière de conditions de détention que celui garanti audit article 4.

101    À cet égard, il importe de rappeler que la Cour a consacré, sous certaines conditions, l’obligation pour l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen de mettre fin à la procédure de remise instituée par la décision-cadre 2002/584, lorsqu’une telle remise risque de conduire à un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, de la personne recherchée (arrêt du 15 octobre 2019, Dorobantu, C‑128/18, EU:C:2019:857, point 50 et jurisprudence citée).

102    Ainsi, lorsque l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution dispose d’éléments attestant de l’existence d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant des personnes détenues dans l’État membre d’émission, au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union et, en particulier, de l’article 4 de la Charte, elle est tenue d’apprécier l’existence de ce risque lorsqu’elle doit décider de la remise aux autorités de l’État membre d’émission de la personne concernée par un mandat d’arrêt européen. En effet, l’exécution d’un tel mandat ne saurait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de cette personne (arrêt du 15 octobre 2019, Dorobantu, C‑128/18, EU:C:2019:857, point 51 et jurisprudence citée).

103    À cette fin, l’autorité judiciaire d’exécution doit, tout d’abord, se fonder sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés portant sur les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires de l’État membre d’émission qui démontreraient la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention. Ces éléments peuvent résulter, notamment, de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, de décisions judiciaires de l’État membre d’émission ainsi que de décisions, de rapports et d’autres documents établis par les organes du Conseil de l’Europe ou relevant du système des Nations unies [arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 60 et jurisprudence citée].

104    Toutefois, le constat de l’existence d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant en raison des conditions générales de détention dans l’État membre d’émission ne saurait conduire, comme tel, au refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen. En effet, la seule existence d’éléments témoignant de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention en ce qui concerne les conditions de détention dans l’État membre d’émission n’implique pas nécessairement que, dans un cas concret, la personne concernée serait soumise à un traitement inhumain ou dégradant en cas de remise aux autorités de cet État membre [arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 61 et jurisprudence citée].

105    Aussi, afin d’assurer le respect de l’article 4 de la Charte dans le cas particulier d’une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution qui est confrontée à des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés témoignant de l’existence de telles défaillances est-elle tenue, ensuite, d’apprécier de manière concrète et précise si, dans les circonstances de l’espèce, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que, à la suite de sa remise à cet État membre, cette personne courra un risque réel d’être soumise dans celui-ci à un traitement inhumain ou dégradant, au sens de cet article, en raison des conditions dans lesquelles elle sera détenue dans l’État membre d’émission [arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 62 et jurisprudence citée].

106    À cette fin, cette autorité doit, en application de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, demander à l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission la fourniture en urgence de toute information complémentaire nécessaire en ce qui concerne les conditions dans lesquelles il est envisagé de détenir la personne concernée dans cet État membre. Cette demande peut également porter sur l’existence, dans l’État membre d’émission, d’éventuels procédures et mécanismes nationaux ou internationaux de contrôle des conditions de détention liés, par exemple, à des visites dans les établissements pénitentiaires, qui permettent d’apprécier l’état actuel des conditions de détention dans ces établissements [arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 63 et jurisprudence citée].

107    L’autorité judiciaire d’émission est tenue de fournir ces informations à l’autorité judiciaire d’exécution [arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 64 et jurisprudence citée].

108    Ce n’est que si, au regard des informations fournies en application de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, ainsi que de toutes autres informations dont l’autorité judiciaire d’exécution dispose, cette autorité constate qu’il existe, à l’égard de la personne faisant l’objet du mandat d’arrêt européen, un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, que l’exécution de ce mandat d’arrêt doit être reportée, sans toutefois être abandonnée. En revanche, dans l’hypothèse où les informations reçues par l’autorité judiciaire d’exécution de l’autorité judiciaire d’émission conduisent à écarter l’existence d’un risque réel que la personne concernée fasse l’objet d’un traitement inhumain ou dégradant dans l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution doit adopter, dans les délais impartis par la décision-cadre 2002/584, sa décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen [arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, points 65 et 66 ainsi que jurisprudence citée].

109    À cet égard, ainsi qu’il est rappelé au point 93 du présent arrêt, l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre autorise explicitement l’autorité judiciaire d’exécution, lorsqu’elle estime que les informations communiquées par l’État membre d’émission sont insuffisantes pour lui permettre de décider la remise, à demander la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires. En outre, conformément à l’article 15, paragraphe 3, de cette décision-cadre, l’autorité judiciaire d’émission peut, à tout moment, transmettre toutes les informations additionnelles utiles à l’autorité judiciaire d’exécution.

110    Par ailleurs, il est rappelé au point 94 du présent arrêt que, en vertu du principe de coopération loyale, les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions qui découlent des traités [arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 109 et jurisprudence citée].

111    Conformément à ces dispositions, l’autorité judiciaire d’exécution et l’autorité judiciaire d’émission peuvent, respectivement, demander des informations ou fournir des assurances concernant les conditions concrètes et précises dans lesquelles la personne concernée sera détenue dans l’État membre d’émission [arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 110].

112    Il ressort des considérations exposées aux points 107 à 112 du présent arrêt que l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait conclure à l’existence de motifs sérieux et avérés de croire que, à la suite de sa remise à l’État membre d’émission, la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen courra un risque réel d’être soumise à un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, sans au préalable avoir saisi l’autorité judiciaire d’émission, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, d’une demande d’informations.

113    En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique qu’elle a fourni des informations sur les conditions de détention de P.P.R. en cas de remise aux autorités roumaines, mais que l’autorité judiciaire d’exécution maltaise a refusé la remise de celui-ci en se fondant sur des informations qu’elle a pu consulter sur Internet.

114    Il convient de rappeler, à cet égard, que l’assurance fournie par les autorités compétentes de l’État membre d’émission que la personne concernée ne subira pas un traitement inhumain ou dégradant du fait de ses conditions concrètes et précises de détention quel que soit l’établissement pénitentiaire dans lequel elle sera incarcérée dans l’État membre d’émission est un élément que l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait ignorer. En effet, la violation d’une telle assurance, en ce qu’elle est susceptible de lier son auteur, pourrait être invoquée à l’encontre de ce dernier devant les juridictions de l’État membre d’émission [arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 111].

115    La Cour a, ainsi, jugé que, lorsque cette assurance a été apportée ou, à tout le moins, approuvée par l’autorité judiciaire d’émission, au besoin, après avoir requis l’assistance de l’autorité centrale ou de l’une des autorités centrales de l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution, eu égard à la confiance réciproque qui doit exister entre les autorités judiciaires des États membres, et sur laquelle est fondé le système du mandat d’arrêt européen, doit se fier à celle-ci, du moins en l’absence de tout élément précis permettant de penser que les conditions de détention existant au sein d’un centre de détention déterminé sont contraires à l’article 4 de la Charte [arrêts du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 112, et du 15 octobre 2019, Dorobantu, C‑128/18, EU:C:2019:857, point 68].

116    Or, il découle des considérations qui précèdent que l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait écarter les informations fournies par l’autorité judiciaire d’émission sur la seule base d’informations que la première aurait elle-même tirées de sources publiquement accessibles, sans demander à la seconde, en application de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, des informations et des explications complémentaires.

117    En outre, dès lors que la juridiction de renvoi indique que l’autorité judiciaire d’exécution maltaise a pris en considération, pour refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen en cause au principal, le fait que l’approbation, par la juridiction de renvoi, d’une assurance telle que celle envisagée au point 115 du présent arrêt était indiquée par un terme différent de celui utilisé dans la version en langue anglaise de la jurisprudence en la matière, il y a lieu de relever qu’une telle approbation ne nécessite pas l’utilisation d’un terme ou d’une formule déterminés. Il suffit qu’il ressorte avec suffisamment de clarté de la communication adressée par l’autorité judiciaire d’émission à l’autorité judiciaire d’exécution que la première a approuvé cette assurance, quels que soient les termes précis utilisés.

118    Enfin, il importe de souligner que la seule absence d’établissement d’un « plan précis d’exécution de la peine » ou de « critères précis pour établir un régime d’exécution déterminé », évoquée par la juridiction de renvoi dans le libellé de sa septième question, ne relève pas de la notion de « traitement inhumain ou dégradant », au sens de l’article 4 de la Charte.

119    À supposer que l’établissement d’un tel plan ou de tels critères soit exigé dans l’État membre d’exécution, il y a lieu de rappeler que, en se référant au principe de confiance mutuelle, dont l’importance fondamentale dans le droit de l’Union ressort de la jurisprudence citée au point 36 du présent arrêt, la Cour a itérativement jugé que les États membres peuvent être tenus de présumer le respect des droits fondamentaux par les autres États membres, de telle sorte qu’il ne leur est pas possible, notamment, d’exiger d’un autre État membre un niveau de protection national des droits fondamentaux plus élevé que celui assuré par le droit de l’Union (arrêt du 15 octobre 2019, Dorobantu, C‑128/18, EU:C:2019:857, point 47 et jurisprudence citée).

120    Partant, l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait refuser la remise de la personne recherchée au seul motif que l’autorité judiciaire d’émission ne lui a pas communiqué un « plan précis de l’exécution de la peine » ou des « critères précis pour établir un régime d’exécution déterminé ».

121    Quant à la référence de la juridiction de renvoi à une « situation particulièrement unique et délicate » de la personne recherchée, laquelle exigerait des « garanties en matière de non-discrimination », il y a lieu de relever que le respect de l’article 4 de la Charte dans le cas d’une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen exige, conformément à la jurisprudence citée au point 106 du présent arrêt, une appréciation concrète et précise des circonstances de l’espèce.

122    Par conséquent, il y a lieu de répondre à la septième question que l’article 1er, paragraphe 3, et l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la décision-cadre 2002/584, lus à la lumière de l’article 4 de la Charte et du principe de confiance mutuelle, doivent être interprétés en ce sens que, lors de l’examen des conditions de détention dans l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen en se fondant sur des éléments concernant les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires de l’État membre d’émission qu’elle a elle-même recueillis et à l’égard desquels elle n’a pas sollicité de l’autorité judiciaire d’émission des informations complémentaires. L’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas appliquer un standard plus élevé en matière de conditions de détention que celui garanti à cet article 4.

 Sur les dépens

123    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 1er, paragraphe 3, et l’article 15, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009,

doivent être interprétés en ce sens que :

l’autorité d’exécution d’un État membre n’est pas tenue de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen lorsque l’autorité d’exécution d’un autre État membre a préalablement refusé d’exécuter ce mandat d’arrêt au motif que la remise de la personne concernée risquerait de porter atteinte au droit fondamental à un procès équitable consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Néanmoins, dans le cadre de son propre examen de l’existence d’un motif de non-exécution, cette autorité doit tenir compte des motifs qui sous-tendent la décision de refus adoptée par la première autorité d’exécution. Ces dispositions ne s’opposent pas à ce que, dans les mêmes circonstances, l’autorité judiciaire d’émission maintienne le mandat d’arrêt européen, pour autant que, selon sa propre appréciation, l’exécution de ce mandat d’arrêt ne doit pas être refusée en raison d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux et que le maintien dudit mandat revêt un caractère proportionné.

2)      L’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, lu en combinaison avec l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux,

doit être interprété en ce sens que :

dans une situation où une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen allègue que sa remise à l’État membre d’émission entraînerait la méconnaissance de son droit à un procès équitable, l’existence d’une décision de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol (CCF) portant sur la situation de cette personne ne peut pas justifier, à elle seule, que l’autorité judiciaire d’exécution refuse d’exécuter ce mandat d’arrêt. En revanche, une telle décision peut être prise en compte par cette autorité judiciaire en vue de décider s’il y a lieu de refuser d’exécuter ledit mandat d’arrêt.

3)      L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que :

l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen n’est pas tenue de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle avant de décider, au regard des motifs ayant conduit l’autorité judiciaire d’exécution de ce mandat d’arrêt à refuser l’exécution de celui-ci, de retirer ledit mandat d’arrêt ou de le maintenir, à moins que la décision qu’elle sera amenée à prendre ne soit pas susceptible d’un recours juridictionnel de droit interne, auquel cas elle est, en principe, tenue de saisir la Cour.

4)      L’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299,

doit être interprété en ce sens que :

l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis en vue de l’exécution d’une peine ne peut pas refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt en se fondant sur le motif que le procès-verbal de prestation de serment d’un juge ayant infligé cette peine est introuvable ou sur la circonstance qu’un autre juge de la même formation aurait seulement prêté serment lors de sa nomination en tant que procureur.

5)      La décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299,

doit être interprétée en ce sens que :

l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen ne dispose pas du droit de participer, en tant que partie, à la procédure relative à l’exécution de ce mandat d’arrêt devant l’autorité judiciaire d’exécution.

6)      L’article 1er, paragraphe 3, et l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, lus à la lumière de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux et du principe de confiance mutuelle,

doivent être interprétés en ce sens que :

lors de l’examen des conditions de détention dans l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen en se fondant sur des éléments concernant les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires de l’État membre d’émission qu’elle a elle-même recueillis et à l’égard desquels elle n’a pas sollicité de l’autorité judiciaire d’émission des informations complémentaires. L’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas appliquer un standard plus élevé en matière de conditions de détention que celui garanti à cet article 4.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.


i      Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.