Language of document : ECLI:EU:T:2008:621



DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

23 décembre 2008 (*)

« Référé – Aides d’État – Décision de la Commission déclarant incompatibles avec le marché commun les aides que la République de Hongrie aurait accordées en faveur de certains producteurs d’électricité au moyen d’accords d’achat d’électricité – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑468/08 R,

AES-Tisza Erőmű kft (AES-Tisza kft), établie à Tiszaújváros (Hongrie), représentée par Mes T. Ottervanger et E. Henny, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. L. Flynn, N. Khan et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de l’article 1er de la décision C (2008) 2223 final de la Commission, du 4 juin 2008, relative à l’aide d’État accordée par la République de Hongrie au moyen d’accords d’achat d’électricité,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Au milieu des années 90, le principal objectif de la République de Hongrie dans le secteur de l’énergie était de moderniser les infrastructures de la production d’électricité pour garantir la sécurité de l’approvisionnement. Afin d’atteindre un tel objectif, nécessitant de gros investissements en capital, l’État a instauré un système d’accords d’achat d’électricité (ci-après les « AAE ») à long terme dans le but d’inciter les producteurs d’électricité à investir en Hongrie. Dans le cadre de ces AAE, qui ont été conclus entre 1995 et 2001, l’entreprise publique Magyar Villamos Művek (MVM) Rt, s’est engagée, en tant que « acheteur unique », à acheter une quantité déterminée d’électricité à un prix fixe. Ces AAE à long terme ont ainsi permis d’assurer aux producteurs une rentabilisation de leurs investissements.

2        Le marché de l’électricité hongrois a été régi par trois régimes consécutifs. Le premier prévoyait l’obligation pour MVM de veiller à la sécurité des approvisionnements à moindre coût (1992-2002). Le deuxième, entré en vigueur en 2003, a instauré un modèle double, en divisant le marché en deux secteurs, un secteur libéralisé représentant environ 30 % de la production et un secteur de service public approvisionné par MVM et représentant environ 70 % de la production. En vertu de ce régime, les producteurs d’énergie étaient légalement tenus d’offrir la capacité requise à MVM à des prix règlementés pour le secteur de service public. Après la mise en œuvre du troisième régime en 2004, les producteurs d’énergie sont toujours tenus d’approvisionner MVM, mais la réglementation des prix a été supprimée, les prix de l’électricité étant dorénavant déterminés sur la base du calcul des prix prévu dans chaque AAE.

3        La requérante, l’AES-Tisza Erőmű kft, est une filiale hongroise à 100 % du groupe AES, dont la société mère, l’AES Corporation, est établie aux États-Unis. Elle produit de l’électricité en Hongrie dans sa centrale Tisza II depuis 1996, date à laquelle elle a racheté l’ancienne entreprise d’État Tisza dans le cadre du programme de privatisation du gouvernement hongrois. Dans ce contexte, la requérante a aussi repris l’AAE à long terme qui avait été préalablement conclu entre Tisza et MVM. La centrale Tisza II, qui avait été construite entre 1972 et 1978, fonctionne essentiellement au gaz naturel, avec un soutien assuré au fioul. Elle est le fournisseur principal de courant électrique d’ajustement et d’électricité destinée aux heures de pointe pour le système hongrois. Le groupe AES exploite en Hongrie deux autres centrales, à Borsod et à Tiszapalkonya, qui sont actives dans le secteur libéralisé du marché et qui ne bénéficient donc pas d’AAE à long terme.

4        En novembre 2005, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE au regard des AAE à long terme susmentionnés. En effet, elle avait des doutes sur la compatibilité de ces AAE avec le régime communautaire des aides d’État, étant donné qu’ils excluraient tout risque commercial pour les producteurs concernés et placeraient ceux-ci en meilleure position que les autres sur le marché.

5        Le 4 juin 2008, la Commission a adopté la décision C (2008) 2223 final relative à l’aide d’État accordée par la République de Hongrie au moyen d’AAE (ci-après la « décision attaquée »), dont le dispositif se lit comme suit :

« Article 1er

1.      Les obligations d’achat telles qu’elles sont définies dans les [AAE] conclus entre [MVM], d’une part, et [la requérante ainsi que six autres producteurs d’électricité], d’autre part, comportent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE] en faveur des producteurs d’électricité.

2.      Les aides d’État visées au paragraphe 1 sont incompatibles avec le marché commun.

3.      La [République de] Hongrie s’abstiendra d’accorder les aides d’État visées au paragraphe 1 dans un délai de six mois à compter de la date de notification de la présente décision.

Article 2

1.      Les aides d’État visées à l’article 1er seront récupérées par la [République de] Hongrie auprès des bénéficiaires.

[…]

Article 3

1.      Dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, la [République de] Hongrie informera la Commission sur les mesures d’exécution qui auront déjà été prises et envisagées, notamment les actes visant à réaliser une simulation appropriée des conditions sur le marché de gros destinée à permettre la détermination des montants à récupérer, des détails de la méthodologie applicable et une description détaillée des données qui seront utilisées à cette fin.

[…]

Article 4

1.      Le montant exact des aides d’État à récupérer sera calculé par la [République de] Hongrie sur la base d’une simulation appropriée des conditions du marché de l’électricité de gros qui auraient prévalu si aucun des [AAE] visés à l’article 1er, paragraphe 1, n’avait été en vigueur à partir du 1er mai 2004.

2.      Dans un délai de six mois à compter de la date de notification de la présente décision, la [République de] Hongrie calculera les montants à récupérer sur la base de la méthodologie mentionnée au paragraphe 1 et transmettra à la Commission toutes les informations pertinentes relatives à ladite simulation, notamment ses résultats, une description détaillée de la méthodologie appliquée et les données utilisées aux fins de la simulation.

Article 5

La [République de] Hongrie fera en sorte que les aides d’État visées à l’article 1er soient récupérées dans un délai de dix mois à compter de la date de notification de la présente décision.

Article 6

La présente décision est adressée à la République de Hongrie. »

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 octobre 2008, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de l’article 1er de la décision attaquée, en vertu de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, dans l’attente de l’adoption d’une ordonnance qui mettra fin à la présente procédure de référé, et, en tout état de cause, jusqu’à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours au principal ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 14 novembre 2008, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

9        Après le dépôt par la Commission de ses observations, la requérante a été autorisée à présenter une réplique, ce qu’elle a fait par mémoire du 12 décembre 2008. Dans ce mémoire, elle a indiqué, notamment, que sa demande de sursis à exécution ne visait l’article 1er de la décision attaquée que dans la mesure où elle était elle-même concernée par cette disposition. La Commission a pris position sur cette réplique par mémoire du 18 décembre 2008.

 En droit

10      En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

11      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient édictés et sortent leurs effets dès avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes en référé doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73, et la jurisprudence citée).

12      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

13      Enfin, il importe de souligner que l’article 242 CE pose le principe du caractère non suspensif des recours (ordonnance du président de la Cour du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C‑377/98 R, Rec. p. I‑6229, point 44, et ordonnance du président du Tribunal du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T‑191/98 R II, Rec. p. II‑2551, point 42). Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrit des mesures provisoires.

14      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

15      Dans les circonstances du cas d’espèce, il y a lieu d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Arguments des parties

16      Confirmant que les articles 3 et 4 de la décision attaquée ne font pas l’objet de la présente demande en référé, la requérante fait valoir que l’exécution immédiate de son article 1er, paragraphes 1 à 3, lui causera un préjudice grave et irréparable, en ce que, dans cette disposition, la Commission impose à la République de Hongrie d’adopter des mesures législatives et réglementaires ordonnant la suppression des obligations d’achat stipulées par les AAE. Entre-temps, une loi adoptée par le parlement hongrois le 15 novembre 2008 en exécution de la décision attaquée aurait prévu, avec effet au 31 décembre 2008, la résiliation de l’AAE conclu entre MVM et la requérante. Or, une telle annulation de son AAE mettrait gravement en cause la position actuelle et future de la requérante sur le marché hongrois de l’électricité et lui causerait des pertes considérables, qui ne seraient pas chiffrables.

17      La décision attaquée engendrerait une insécurité juridique considérable pour les relations contractuelles présentes et futures de la requérante avec MVM, qui les empêcherait de négocier un nouvel AAE commercialement viable. De plus, la requérante serait dans l’impossibilité de récupérer de quelque façon que ce soit les investissements qu’elle avait effectués de bonne foi et à des conditions commerciales normales avec MVM.

18      À cet égard, premièrement, la requérante précise que l’exécution immédiate de l’article 1er de la décision attaquée la priverait du droit de négocier des modifications « justes et équitables » de l’AAE qui la lie actuellement à MVM. En effet, si elle veut subsister sur le marché hongrois, la requérante serait contrainte d’accepter des modifications substantielles, et imposées unilatéralement, à l’AAE existant, ou de conclure un nouvel accord avec MVM aux seules conditions de cette dernière, ce qui lui causerait un préjudice grave et irréparable.

19      Deuxièmement, la requérante rappelle avoir procédé à des investissements considérables pour moderniser les équipements de la centrale Tisza II. Ces investissements d’un coût de 98 millions d’euros, outre la somme de 133 millions de dollars des États-Unis (USD) payée pour le rachat de Tisza II, auraient été financés par des crédits bancaires. La centrale modernisée serait entrée en service au maximum de ses capacités dans le courant de l’année 2005, de sorte que ce serait seulement à compter de cette date que les coûts d’investissement pouvaient être répercutés dans l’indemnité de capacité payable par MVM à la requérante dans le cadre de leur AAE. Une résiliation dudit AAE en décembre 2008 priverait donc la requérante de son droit contractuel de percevoir un retour sur l’investissement considérable au cours de la période restante de l’AAE (huit années). La requérante pourrait alors au mieux s’attendre à pouvoir vendre son électricité comme électricité destinée à couvrir la charge de base à un prix inférieur aux coûts variables, ce qui ne lui permettrait pas de couvrir ses frais fixes. Ce préjudice ne pourrait pas être réparé si le Tribunal devait faire droit au recours en annulation dans le cadre de la procédure au principal, dès lors que l’article 1er de la décision attaquée priverait la requérante des paramètres contractuels qu’elle avait négociés avec MVM pour répartir d’une manière équitable et équilibrée l’investissement, les coûts d’exploitation et les bénéfices entre les parties.

20      Or, si elle n’était pas capable de vendre des quantités suffisantes d’électricité à des prix permettant de rembourser les emprunts contractés pour financer les investissements susmentionnés, il serait alors très probable que ses créanciers considéreraient qu’elle a fait défaut, de sorte que la totalité du prêt deviendrait immédiatement exigible. Dans les conditions actuelles du secteur financier, il serait impossible pour la requérante d’obtenir un crédit pour faire face à une demande de remboursement anticipé ; en tout état de cause, même si elle le pouvait, le coût aurait inévitablement un effet négatif sur la centrale Tisza II. Le résultat inéluctable serait la faillite et la saisie des actifs de la requérante en Hongrie.

21      Troisièmement, la requérante reproche à la Commission de l’avoir mise dans l’impossibilité de conclure des accords bilatéraux valables. En effet, si elle devait renégocier l’AAE existant ou le remplacer par un nouvel accord, elle serait confrontée à une insécurité juridique considérable en ce qui concerne les paramètres de l’accord qu’elle pourrait valablement conclure avec MVM. Cette insécurité juridique serait directement attribuable à l’erreur de la Commission consistant à qualifier l’AAE d’« avantage au bénéfice de la requérante ». L’absence de définition précise, par la Commission, de la portée de cet avantage aurait placé la requérante dans une « situation commerciale intenable ». L’élément constitutif d’une aide d’État dans un accord du même type que les AAE résiderait, selon la Commission, dans l’effet conjugué de plusieurs éléments interconnectés : le prix, la durée de validité de l’accord et l’impact de certaines conditions contractuelles relatives à une quantité d’achat minimale. La Commission n’indiquerait cependant pas si le soi-disant « avantage » découlant de l’AAE pourrait être lié à un prix avantageux pour la requérante.

22      Il serait donc impossible pour la requérante d’établir si une mesure d’ajustement d’un quelconque de ces composants suffirait à supprimer, dans un futur AAE, les éléments constitutifs d’une aide d’État. La Commission ne donnerait pas non plus d’indications en ce qui concerne la durée de validité de l’AAE qu’elle considérerait comme acceptable. Cette situation serait encore aggravée par le fait que la valeur exacte des « obligations d’achat » n’est pas définie dans la décision attaquée.

23      En admettant que la « valeur globale de toutes les conditions des obligations d’achat à long terme de MVM pour la période allant du 1er mai 2004 à la résiliation des AAE ne peut pas être calculée avec précision » (considérant 443 de la décision attaquée), la Commission serait elle-même dans l’incertitude totale en ce qui concerne le point de savoir quelle « valeur », s’il en existe une, est la bonne pour l’application de la décision attaquée.

24      Dans d’autres parties de la décision attaquée, la Commission semblerait fonder le soi-disant « avantage » sur le risque que MVM puisse être contractuellement tenue d’acheter plus d’électricité qu’elle n’en a besoin. Or, ce serait également une méconnaissance fondamentale de la fonction de l’AAE de la requérante, qui viserait à fournir un service particulier à MVM, à savoir la flexibilité. La centrale de la requérante jouerait un rôle crucial dans l’équilibre du système hongrois et devrait, dès lors, toujours être disponible. Une indemnité de disponibilité ou de capacité serait une méthode normale de compensation de la fourniture de ce type de service. Les accords bilatéraux conclus entre des entreprises d’électricité et leurs clients comportant de telles indemnités seraient ainsi un élément caractéristique des marchés de l’électricité libéralisés et arrivés à maturité, dans l’Union européenne comme ailleurs.

25      L’approche suivie par la Commission semblerait impliquer que le seul type d’arrangement contractuel acceptable pour le marché hongrois futur serait un accord de livraison d’électricité à court terme et que tout type de formule de prix qui inclurait aussi un élément d’indemnité de capacité serait inacceptable, même si cela était absolument vital pour garantir la flexibilité que la centrale Tisza II confère au système hongrois.

26      S’agissant de la balance des intérêts, la requérante estime que le préjudice grave et irréparable qu’elle subirait à défaut de sursis à l’exécution de l’article 1er de la décision attaquée dépasse largement l’intérêt de la Commission au rétablissement d’une concurrence effective, les éventuels intérêts de tiers et l’intérêt public. Dans ce contexte, après avoir rappelé les principaux éléments du préjudice allégué, la requérante conclut que le sursis à exécution sollicité n’affecterait pas l’exercice légitime par la Commission de ses pouvoirs d’ordonner la récupération de toute aide d’État illégale si la légalité de la décision attaquée était confirmée dans le cadre de la procédure au principal.

27      Selon la Commission, l’ensemble du préjudice invoqué par la requérante est de nature financière. Or, la requérante n’aurait fourni aucune information sur sa propre situation financière ni sur celle du groupe AES auquel elle appartient. Cette omission justifierait déjà, à elle seule, le rejet de la demande en référé. Par ailleurs, il ressortirait du site Internet du groupe AES que ce dernier est d’envergure mondiale et qu’il a enregistré en 2007 des recettes tellement élevées que le préjudice allégué par la requérante ne saurait être qualifié de grave. Enfin, les prévisions négatives concernant la situation contractuelle dans laquelle serait placée la requérante à la suite de la résiliation de l’AAE qu’elle avait conclu avec MVM ne seraient étayées par aucun élément de preuve.

 Appréciation du juge des référés

28      Il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé, énoncé à l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie requérante. Il n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences de cette disposition d’alléguer seulement que l’exécution de l’acte dont le sursis est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende la partie requérante présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes permettant d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (ordonnance du président de la Cour du 22 janvier 1988, Top Hit Holzvertrieb/Commission, 378/87 R, Rec. p. 161, point 18 ; ordonnances du président du Tribunal du 18 octobre 2001, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01 R, Rec. p. II‑3107, point 32, et du 3 juillet 2000, Carotti/Cour des comptes, T‑163/00 R, RecFP p. I‑A‑133 et II‑607, point 8 ; ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 16 juillet 1999, Hortiplant/Commission, T‑143/99 R, Rec. p. II‑2451, point 18).

29      En outre, le préjudice allégué doit être certain ou, à tout le moins, établi avec une probabilité suffisante, étant précisé que la partie requérante demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective de ce préjudice. Un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est basé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission, T‑241/00 R, Rec. p. II‑37, point 37, et du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 101].

30      Il importe d’ajouter qu’une demande en référé doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T‑236/00 R, Rec. p. II‑15, point 34 ; du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 52, et du 23 mai 2005, Dimos Ano Liosion e.a./Commission, T‑85/05 R, Rec. p. II‑1721, point 37). En effet, une telle demande doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de comprendre les prétentions de la requérante et au juge de se prononcer sur son bien-fondé.

31      Il s’ensuit qu’une demande en référé ne saurait être utilement complétée, en vue de remédier à des déficiences, par un mémoire postérieur, déposé par la partie requérante, le cas échéant, en réponse aux observations de la partie adverse. L’ouverture d’une telle possibilité de « rattrapage » serait incompatible non seulement avec la célérité requise en matière de référé, mais aussi, et surtout, avec l’esprit de l’article 109 du règlement de procédure en vertu duquel, en cas de rejet d’une demande en référé, la partie requérante ne peut présenter une autre demande que si cette dernière est « fondée sur des faits nouveaux ».

32      En l’espèce, il y a donc lieu de rejeter d’emblée tous les éléments – à l’exception des éléments notoires – que la requérante a invoqués pour la première fois dans son mémoire du 12 décembre 2008, afin d’établir l’urgence, dans la mesure où elle aurait déjà pu les présenter dans la demande en référé.

33      Cela étant constaté, il convient d’examiner, d’abord, l’argumentation de la requérante selon laquelle une résiliation en décembre 2008 de l’AAE qu’elle a conclu avec MVM lui causerait un préjudice grave et irréparable du fait qu’elle ne pourrait plus rembourser le crédit qu’elle a contracté afin de financer le rachat de la centrale Tisza II (133 millions de USD) et la modernisation de cette centrale (98 millions d’euros), ce qui entraînerait, en définitive, sa faillite et la saisie de ses actifs en Hongrie.

34      À cet égard, force est de constater que la requérante chiffre ainsi un préjudice financier, dont la survenance provoquerait sa disparition du marché hongrois de l’énergie.

35      Or, il est de jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre purement financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut normalement faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), Rec. p. I‑2865, point 113 ; ordonnance du président du Tribunal du 15 juin 2001, Bactria/Commission, T‑339/00 R, Rec. p. II‑1721, point 94].

36      En présence d’un risque de préjudice purement financier, la mesure provisoire sollicitée ne se justifie que s’il apparaît que, en l’absence d’une telle mesure, le requérant se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure au principal (ordonnance du président du Tribunal du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 84).

37      Il a cependant été jugé que même l’insolvabilité éventuelle d’une entreprise n’impliquait pas nécessairement que la condition relative à l’urgence soit remplie. En effet, l’appréciation de la situation matérielle d’une entreprise doit prendre en considération, notamment, les caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat (ordonnance du président du Tribunal du 2 mai 2007, IPK International – World Tourism Marketing Consultants/Commission, T‑297/05 R, non publiée au Recueil, point 59 ; voir également, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 7 mars 1995, Transacciones Marítimas e.a./Commission, C‑12/95 P, Rec. p. I‑467, point 12), ce qui peut amener le juge des référés à estimer que la condition de l’urgence n’est pas remplie malgré l’état d’insolvabilité prévisible de l’entreprise [voir ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2002, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑232/02 P(R), Rec. p. I‑8977, point 56, et la jurisprudence citée].

38      Dans ce contexte, il s’agit d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de l’entreprise requérante ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient [voir ordonnances du président de la Cour du 23 mai 1990, Comos-Tank e.a./Commission, C‑51/90 R et C‑ 59/90 R, Rec. p. I‑2167, point 26, et du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C‑43/98 P(R), Rec. p. I‑1815, point 36, et la jurisprudence citée ; voir également ordonnances Transacciones Marítimas e.a./Commission, point 37 supra, point 12, et IPK International – World Tourism Marketing Consultants/Commission, point 37 supra, point 59].

39      Cette approche repose sur l’idée que les intérêts objectifs de l’entreprise concernée ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes qui la contrôlent. Le caractère grave du dommage allégué doit donc être apprécié également par rapport à la situation financière des personnes qui contrôlent l’entreprise. Cette coïncidence des intérêts justifie en particulier que l’intérêt de l’entreprise concernée à survivre ne soit pas apprécié indépendamment de l’intérêt que ceux qui la contrôlent portent à sa pérennité (ordonnance HFB e.a./Commission, point 29 supra, point 62 ; ordonnances du président du Tribunal Le Canne/Commission, point 29 supra, point 40, et du 7 décembre 2001, Lior/Commission, T‑192/01 R, Rec. p. II‑3657, point 55).

40      Eu égard à cette jurisprudence, il importe de vérifier si le préjudice financier allégué peut être qualifié de grave au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de la requérante ainsi que du groupe auquel elle appartient.

41      À cet égard, la requérante s’est contentée d’indiquer, dans la présente demande en référé, qu’elle était une filiale du groupe AES en renvoyant, pour plus d’informations, au formulaire « 10-K » qui serait accessible via le site Internet du groupe (www.aes.com). En revanche, elle n’a fourni aucun élément permettant d’apprécier les caractéristiques financières du groupe auquel elle appartient, ni d’ailleurs aucun élément fiable – tel qu’une déclaration d’un dirigeant dûment habilité de l’AES Corporation – de nature à démontrer l’absence d’intérêt de sa société mère à son soutien financier. En outre, la requérante n’a pas prétendu, et encore moins établi, que sa société mère ou d’autres sociétés appartenant au groupe AES étaient empêchées de lui apporter leur soutien financier (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C‑364/99 P(R), Rec. p. I‑8733, point 52), au moins jusqu’à la fin du litige au principal, pour éviter que ses créanciers considèrent qu’elle a fait défaut et que la totalité de ses crédits bancaires devienne immédiatement exigible. Enfin, elle s’est abstenue à la fois de produire les stipulations des contrats de financement qui prévoiraient l’exigibilité immédiate de l’obligation de remboursement de ses crédits bancaires et de préciser dans quelle mesure les crédits utilisés avaient déjà été remboursés.

42      La requérante n’ayant nullement étayé ses affirmations quant à la gravité du préjudice financier qui découlerait de l’exécution de la décision attaquée, la condition relative à l’urgence n’est pas satisfaite. À cet égard, il y a lieu de souligner qu’il n’incombe pas au juge des référés de pallier d’office un tel défaut de preuve (ordonnance du président du Tribunal du 2 août 2001, Saxonia Edelmetalle/Commission, T‑111/01 R, Rec. p. II‑2335, point 28).

43      Pour ces raisons, le préjudice financier allégué par la requérante ne saurait justifier l’octroi du sursis à exécution demandé.

44      Par ailleurs, il ressort de données publiquement accessibles (voir le site Internet du groupe et, en particulier, le formulaire « 10-K »), telles qu’elles sont mentionnées par la requérante, que le groupe AES est un groupe dont l’activité s’étend à l’échelle mondiale et qui est présent dans 29 pays avec 124 centrales électriques, que les recettes annuelles du groupe se sont élevées à 13,6 milliards de USD en 2007, avec un taux d’accroissement de 17,4 % par rapport à 2006, et que les actifs totaux du groupe se sont chiffrés à 34,4 milliards de USD en 2007. Eu égard à ces chiffres, d’une part, il ne paraît guère probable que le préjudice financier invoqué par la requérante, filiale à 100 % de la société mère du groupe AES, puisse être qualifié de grave. D’autre part, rien ne permet d’estimer que ce groupe, actif au niveau mondial, ne soit pas disposé, le cas échéant, à accorder son soutien financier – en ayant éventuellement recours à des marchés financiers autres que le marché hongrois – pour assurer la survie de la requérante sur le marché hongrois, ne serait-ce qu’en se portant garant vis-à-vis des banques qui demanderaient le remboursement anticipé des crédits susmentionnés. Cette appréciation n’est pas infirmée par les affirmations en sens contraire faites dans le mémoire du 12 décembre 2008, qui ne sont étayées par aucun élément de preuve émanant du groupe AES et, notamment, de l’AES Corporation.

45      Au demeurant, même un refus unilatéral d’assistance de la part du groupe AES ne suffirait, en principe, pas à exclure la prise en compte de la situation financière de ce groupe. L’étendue du dommage allégué ne saurait en effet dépendre de la volonté unilatérale de la société mère ou de celle des autres filiales du groupe auquel appartient une société qui sollicite le sursis à exécution, dans une situation – telle que celle de la requérante, filiale à 100 % de l’AES Corporation – où les intérêts desdites sociétés appartenant à un même groupe se confondent objectivement [voir, en ce sens et par analogie, ordonnances du président de la Cour DSR-Senator Lines/Commission, point 41 supra, points 50 et 54, et du 23 mars 2001, FEG/Commission, C‑7/01 P(R), Rec. p. I‑2559, point 46].

46      En tout état de cause, le dommage allégué ne saurait être regardé comme irréparable, ni même comme difficilement réparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure de la part de la Commission en cas d’annulation de la décision attaquée. La requérante n’a, notamment, pas établi qu’elle serait empêchée d’obtenir une telle compensation par voie d’un éventuel recours en indemnité en vertu de l’article 288 CE (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 10 novembre 2004, European Dynamics/Commission, T‑303/04 R, Rec. p. II‑3889, point 72, et la jurisprudence citée).

47      À cet égard, il convient de rappeler que l’incertitude liée à la réparation d’un préjudice pécuniaire dans le cadre d’un éventuel recours en indemnité ne saurait être considérée, en elle-même, comme une circonstance de nature à établir le caractère irréparable d’un tel préjudice. En effet, au stade du référé, la possibilité d’obtenir ultérieurement réparation d’un préjudice pécuniaire dans le cadre d’un recours en dommages et intérêts qui pourrait être intenté à la suite d’une éventuelle annulation de l’acte attaqué est nécessairement incertaine. Or, la procédure en référé n’a pas pour objet de se substituer à un tel recours en dommages et intérêts pour éliminer cette incertitude [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a., C‑404/01 P(R), Rec. p. I‑10367, points 71 à 73].

48      La requérante affirme, ensuite, qu’elle doit craindre une mise en danger de sa position actuelle et future sur le marché hongrois de l’électricité, en ce que la suppression de son AAE imposée à l’article 1er de la décision attaquée la placerait dans une position de renégociation extrêmement faible vis-à-vis de son cocontractant MVM, ce dernier pouvant la forcer à accepter les conditions contractuelles les plus défavorables. En outre, l’insécurité juridique causée par l’incapacité avérée de la Commission à déterminer l’élément constitutif d’une aide d’État dans l’actuel AAE de la requérante empêcherait cette dernière de conclure un nouvel accord juridiquement et économiquement valable.

49      Force est de constater que la requérante se limite ainsi à décrire les conséquences les plus défavorables possibles d’une exécution immédiate de l’article 1er de la décision attaquée, c’est-à-dire à avancer de simples suppositions, sans établir pour autant le caractère certain ou, à tout le moins, probable de la survenance du préjudice grave et irréparable allégué. Il existe, cependant, une série d’éléments qui semblent plutôt contredire ces prévisions catastrophistes.

50      En effet, la requérante a elle-même souligné l’importance capitale de la centrale Tisza II pour le système d’approvisionnement en électricité hongrois. Dans ce contexte, elle a relevé que cette centrale était l’« un des principaux fournisseurs d’énergie d’équilibrage et de pointe dans le système hongrois » et jouait un « rôle crucial dans l’équilibre [dudit] système », que MVM avait un « intérêt à disposer d’une source fiable d’énergie d’équilibrage et de pointe provenant d’une centrale à gaz moderne et propre », tout en rappelant la « flexibilité que la centrale Tisza II [conférait] au système hongrois » (points 7, 83, 95 et 97 de la demande en référé).

51      Par conséquent, il n’apparaît pas probable que les futures conditions de vente d’électricité de la centrale Tisza II soient aussi désastreuses que celles qui sont annoncées par la requérante, et ce même si cette centrale devait, à défaut de nouvel AAE, passer du secteur de service public au secteur libéralisé du marché de l’électricité hongrois. Cela semble être d’autant moins probable que la requérante s’est abstenue d’invoquer l’existence de surcapacités de production d’électricité sur ce dernier marché. Par ailleurs, il ne saurait être négligé que les concurrents de la requérante sur le marché hongrois sont également visés à l’article 1er de la décision attaquée et que certains d’entre eux au moins, dont les AAE n’étaient pas encore arrivés à leur terme, devraient perdre, tout comme la requérante, le bénéfice de leurs AAE actuels. Il ne saurait donc être prétendu que cette décision placerait la seule requérante dans des conditions de concurrence défavorables par rapport à d’autres producteurs d’électricité sur le marché en cause. Le juge des référés ne peut donc qu’admettre que la requérante devrait pouvoir continuer à vendre des quantités satisfaisantes d’électricité produites dans la centrale Tisza II.

52      Dans ce contexte, il convient d’ajouter qu’il ressort du considérant 29 de la décision attaquée que d’autres producteurs d’électricité ayant, comme la requérante, bénéficié d’obligations d’achat stipulées dans leurs AAE ont, entre-temps, contractuellement résilié ces accords. La requérante ne s’est pas prononcée sur ce considérant dans la demande en référé ; elle n’a notamment pas prétendu que la disparition desdites obligations d’achat aurait eu pour effet de réduire les activités des opérateurs en cause. Par ailleurs, le groupe AES exploite, lui-même, deux centrales hongroises (à Borsod et à Tiszapalkonya) en dehors de tout AAE, sans que la requérante ait allégué que l’appartenance de ces centrales au secteur libéralisé du marché avait pour conséquence des conditions d’exploitation économiquement et financièrement inacceptables pour le groupe AES.

53      Il convient d’admettre, certes, que les futures conditions de vente pour l’électricité produite dans la centrale Tisza II seront probablement moins avantageuses que celles découlant de l’actuel AAE, ce qui est susceptible de réduire les recettes de la requérante et d’allonger l’amortissement des dettes qu’elle avait contractées pour financer cette centrale. Toutefois, eu égard à l’appartenance de la requérante au groupe AES (voir point 44 ci-dessus), cette éventuelle détérioration de sa situation économique ne saurait guère être qualifiée de préjudice grave. En tout état de cause, la probabilité d’un tel préjudice n’a pas été établie par la requérante.

54      Au demeurant, il ne semble pas du tout exclu, en l’état actuel, que le préjudice financier susceptible d’être causé à la requérante en termes de détérioration de sa situation économique puisse faire l’objet d’une réparation partielle ou entière ultérieure, de sorte qu’il ne saurait être qualifié d’irréparable.

55      En effet, d’une part, la loi hongroise du 15 novembre 2008 prévoit non seulement la résiliation des AAE encore en vigueur pour le 31 décembre 2008 (articles 1er et 3), mais aussi le remboursement des aides d’État non autorisées, dans le délai prévu par la Commission, tout en autorisant les centrales à déduire les coûts échoués du montant de l’aide qu’elles doivent rembourser (articles 5 et 11). Or, la requérante n’a pas établi que le mécanisme de compensation envisagé n’était d’aucune pertinence pour les coûts qu’elle avait exposés en vue de racheter et de moderniser la centrale Tisza II. La Commission a, en revanche, expressément indiqué qu’elle pourrait approuver un tel mécanisme de compensation des coûts échoués, si tous les critères prévus dans sa communication sur la méthodologie des coûts échoués étaient respectés, et qu’il était très probable que la requérante puisse figurer au nombre des bénéficiaires dudit régime.

56      D’autre part, contrairement aux affirmations de la requérante, il ne paraît pas exclu que le préjudice résultant de la résiliation, imposée par la décision attaquée, de l’AAE conclu entre elle et MVM puisse être calculé et chiffré en cas d’annulation de cette décision. La requérante n’a, notamment, pas exposé les raisons pour lesquelles il lui serait impossible, dans le cadre d’un éventuel litige indemnitaire en vertu de l’article 288 CE (voir points 46 et 47 ci-dessus), de comparer les recettes qu’elle aurait tirées de son AAE si celui-ci n’avait pas été résilié avec celles qu’elle tirera d’un ou de plusieurs contrats de fourniture d’électricité conclus après le 31 décembre 2008, afin de remplacer ledit AAE, et d’obtenir de la Commission la différence à titre de compensation.

57      Enfin, dans la mesure où la requérante fait valoir que l’exécution de l’article 1er de la décision attaquée l’empêcherait de conclure des accords valides avec MVM en raison de la prétendue insécurité juridique en ce qui concerne l’élément constitutif d’aide d’État, il suffit de constater que l’imprécision critiquée ne concerne que la récupération des aides d’État déclarées incompatibles avec le marché commun et, plus particulièrement, la simulation, à réaliser par les autorités hongroises, des paramètres destinés à permettre la détermination des montants devant être récupérés au titre des articles 2 à 4 de la décision attaquée. Quant à l’article 1er de celle-ci, qui fait seul l’objet de la présente demande en référé, la Commission se limite, dans cet article, en substance, à ordonner la suppression des AAE à long terme, sans se prononcer sur le type de relation contractuelle qui devrait être établi sur le marché en cause à la suite de cette suppression.

58      Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, dans la décision attaquée, elle ne vise pas à restreindre la possibilité pour les producteurs d’électricité de conclure des contrats commerciaux avec MVM ou tout autre acheteur hongrois. Par ailleurs, la Commission a expressément invité la requérante, dans l’hypothèse où elle aurait des doutes quant à l’éventuelle existence d’aides d’État dans un nouvel AAE négocié avec MVM, à demander l’inclusion d’une clause subordonnant l’exécution de l’accord à sa notification à la Commission et à son approbation par cette dernière.

59      Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n’est pas parvenue à démontrer qu’elle subirait un préjudice grave et irréparable si le sursis à exécution demandé n’était pas octroyé.

60      Le rejet de la demande en référé inhérent à ce défaut d’urgence est par ailleurs corroboré par la mise en balance des différents intérêts en présence.

61      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE prévoit que, si la Commission constate qu’une aide d’État n’est pas compatible avec le marché commun, elle décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine. Il s’ensuit que l’intérêt général au nom duquel la Commission exerce les fonctions qui lui sont confiées par l’article 88, paragraphe 2, CE et par l’article 7 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] CE (JO L 83, p. 1), afin de garantir que le fonctionnement du marché commun ne soit pas faussé par des aides d’État nuisibles à la concurrence, est d’une importance particulière. En effet, l’obligation pour l’État membre concerné de supprimer une aide incompatible avec le marché commun vise au rétablissement de la situation antérieure (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 4 avril 2002, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑198/01 R, Rec. p. II‑2153, point 113, et la jurisprudence citée).

62      Par conséquent, il a été décidé que, dans le cadre d’une demande de sursis à l’exécution de l’obligation imposée par la Commission de rembourser une aide illégalement versée qu’elle a déclarée incompatible avec le marché commun, l’intérêt communautaire doit normalement, sinon presque toujours, primer celui du bénéficiaire de l’aide d’éviter l’exécution de l’obligation de la rembourser avant le prononcé de l’arrêt devant intervenir au principal (ordonnance Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, point 61 supra, point 114). Il doit en être de même lorsqu’une demande en référé concerne, comme en l’espèce, la seule obligation de suppression d’une telle aide, sans viser l’obligation de remboursement également imposée par la Commission.

63      Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et dans l’hypothèse où la condition relative à l’urgence est remplie que le bénéficiaire d’une telle aide peut obtenir l’octroi de mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, point 61 supra, points 115 et 116).

64      Or, en l’espèce, la requérante ne remplit pas la condition relative à l’urgence et n’établit pas qu’elle serait confrontée à des circonstances exceptionnelles qui pourraient justifier une pondération des intérêts en cause en faveur de l’octroi de mesures provisoires, le seul fait que la prétendue aide d’État ait été versée à la requérante à travers les prix payés dans le cadre d’un accord de fourniture d’électricité à long terme qu’elle avait conclu avec une entreprise d’État ne pouvant être considéré comme exceptionnel.

65      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la condition relative au fumus boni juris est remplie.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 23 décembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


** Langue de procédure : l’anglais.