Language of document : ECLI:EU:T:2016:450

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

8 septembre 2016 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché des médicaments antidépresseurs contenant l’ingrédient pharmaceutique actif citalopram – Notion de restriction de la concurrence par objet – Concurrence potentielle – Médicaments génériques – Barrières à l’entrée sur le marché résultant de l’existence de brevets – Accords conclus entre un titulaire de brevets et une entreprise de génériques – Amendes – Sécurité juridique – Principe de légalité des peines – Durée de l’enquête de la Commission – Droits de la défense – Infraction unique et continue »

Dans l’affaire T‑467/13,

Arrow Group ApS, établie à Roskilde (Danemark),

Arrow Generics Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

représentées par MM. S. D. Kon, C. Firth et C. Humpe, solicitors,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme F. Castilla Contreras et M. B. Mongin, en qualité d’agents, assistés de M. G. Peretz, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2013) 3803 final de la Commission, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck), et une demande de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes par cette décision,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 15 octobre 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1.     Sociétés en cause dans la présente affaire

1        H. Lundbeck A/S (ci-après « Lundbeck ») est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.

2        Lundbeck est un laboratoire de princeps, à savoir une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.

3        Arrow Group A/S, rebaptisée Arrow Group ApS au mois d’août 2003 (ci-après, sans distinction, « Arrow Group »), est une société de droit danois à la tête d’un groupe de sociétés, présent dans plusieurs États membres, actif depuis 2001 dans le développement et la vente de médicaments génériques.

4        Arrow Generics Ltd est une société de droit du Royaume-Uni, filiale d’abord à 100 %, puis à 76 %, d’Arrow Group.

5        Resolution Chemicals Ltd est une société de droit du Royaume-Uni spécialisée dans la production d’ingrédients pharmaceutiques actifs (ci-après les « IPA ») pour des médicaments génériques. Jusqu’au mois de septembre 2009, elle était contrôlée par Arrow Group.

2.     Produit concerné et brevets portant sur celui-ci

6        Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant un IPA dénommé citalopram.

7        En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces procédés (ci-après les « brevets originaires ») ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre 1977 et 1985.

8        En ce qui concerne l’Espace économique européen (EEE), la protection découlant des brevets originaires ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), a expiré entre 1994 (pour l’Allemagne) et 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, ces brevets ont expiré en janvier 2002.

9        Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).

10      Premièrement, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram, qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites dans d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation (ci-après les « brevets sur la cristallisation ») dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni et le 11 février 2002 en ce qui concerne le Danemark. L’OEB a délivré un brevet sur la cristallisation le 4 septembre 2002. Par ailleurs, aux Pays-Bas, Lundbeck avait déjà obtenu, le 6 novembre 2000, un modèle d’utilité concernant ce procédé (ci-après le « modèle d’utilité de Lundbeck »), soit un brevet valable six ans, concédé sans examen préalable.

11      Deuxièmement, le 12 mars 2001, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités du Royaume-Uni concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une distillation en film. Les autorités du Royaume-Uni ont concédé à Lundbeck un brevet portant sur ladite méthode de distillation en film le 3 octobre 2001 (ci-après le « brevet sur la distillation en film »). Cependant, ce brevet a été révoqué par défaut de nouveauté par rapport à un autre brevet de Lundbeck le 23 juin 2004. Lundbeck a obtenu un brevet similaire au Danemark le 29 juin 2002.

12      Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur un IPA dénommé escitalopram (ou S-citalopram), pour le milieu de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.

3.     Accords conclus par Lundbeck avec Arrow Group, Arrow Generics ainsi que Resolution Chemicals et autres éléments du contexte

13      Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les « accords en cause ») avec des entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les « entreprises de génériques »), dont Arrow Group, Arrow Generics et Resolution Chemicals (ci-après, prises ensemble, « Arrow »).

14      Aux fins de la présente affaire, deux accords sont pertinents, à savoir :

–        premièrement, l’accord conclu le 24 janvier 2002 entre Lundbeck, d’une part, et Arrow Generics et Resolution Chemicals (ci-après, prises ensembles, « Arrow UK »), d’autre part, concernant le territoire du Royaume-Uni (ci-après l’« accord UK ») ;

–        deuxièmement, l’accord conclu le 3 juin 2002 entre Lundbeck et Arrow Group, concernant le territoire du Danemark (ci-après l’« accord danois »).

15      L’accord UK avait initialement une durée allant jusqu’au 31 décembre 2002 ou, si elle avait été inférieure, jusqu’à la date à laquelle il y aurait eu une décision de justice devenue définitive sur l’action que Lundbeck avait l’intention d’introduire contre Arrow UK devant les juridictions du Royaume-Uni à l’égard de la prétendue contrefaçon commise par cette dernière sur ses brevets (ci-après l’« action en contrefaçon UK ») (point 4.1 de l’accord UK). Ensuite, cet accord a été prorogé, à deux reprises, par la signature d’addenda. La première prorogation a couvert la période comprise entre le 1er janvier et le 31 mars 2003 (point 3.1 du premier addendum à l’accord UK), alors que la seconde a prévu que cet accord prît fin soit le 31 janvier 2004, soit sept jours après la signature de la décision de justice mettant fin au litige qui opposait Lundbeck à Lagap Pharmaceuticals Ltd (ci-après le « litige Lagap »), une autre entreprise active dans la production de citalopram générique (point 4.1 du second addendum à l’accord UK). Ce litige ayant été réglé à l’amiable le 13 octobre 2003, l’accord UK a pris fin le 20 octobre suivant. Il s’ensuit que la durée globale de cet accord s’est étendue du 24 janvier 2002 au 20 octobre 2003 (ci-après la « durée de l’accord UK »).

16      L’accord danois, qui, quant à lui, n’a pas connu de prorogation, a été conclu pour une durée allant de la date de sa signature jusqu’au 1er avril 2003 ou, si elle avait été inférieure, jusqu’à la date à laquelle il y aurait eu une décision de justice devenue définitive sur l’action en contrefaçon UK. Une telle décision n’étant pas intervenue, ledit accord a été en vigueur du 3 juin 2002 au 1er avril 2003 (ci-après la « durée de l’accord danois »).

17      En ce qui concerne le contenu de l’accord UK, il convient de relever que :

–        le premier considérant du préambule de cet accord (ci-après le « préambule UK ») se réfère notamment au fait que Lundbeck est titulaire des brevets sur la cristallisation et sur la distillation en film (ci-après les « nouveaux brevets de Lundbeck ») ;

–        le quatrième considérant du préambule UK précise qu’« Arrow [UK] a obtenu une licence auprès d’une tierce partie afin d’importer au Royaume-Uni du citalopram non fabriqué par Lundbeck ou avec l’autorisation de Lundbeck (‘ledit Citalopram’, une telle définition incluant, pour éviter tout doute, seulement le Citalopram destiné au marketing et à la vente au Royaume-Uni et excluant celui destiné au marketing et à la vente dans d’autres pays) » ;

–        le sixième considérant du préambule UK indique que Lundbeck a soumis « ledit Citalopram » à des tests de laboratoire qui lui ont donné des raisons substantielles de croire que celui-ci contrefaisait notamment les brevets mentionnés au premier tiret ci-dessus ;

–        le septième considérant du préambule UK expose qu’Arrow UK n’admet pas avoir violé ces brevets ni que ceux-ci soient valides, mais accepte que Lundbeck ait de telles convictions, qu’Arrow UK ne peut pas démentir par des preuves irréfutables ;

–        le huitième considérant du préambule UK rappelle que Lundbeck a menacé de demander l’adoption d’une injonction provisoire et qu’elle a l’intention d’introduire l’action en contrefaçon UK ;

–        le point 1.1 de cet accord (ci-après le « point 1.1 UK ») prévoit qu’« Arrow [UK], en son propre nom et au nom de toutes les entités associées et liées, s’engage à ne pas, pendant la [durée de l’accord UK] et sur le territoire du Royaume Uni, fabriquer, céder, proposer de céder, utiliser ou, après la seconde date de livraison, importer ou conserver pour cession ou autre finalité, (1) [‘]ledit Citalopram[’] ou (2) tout autre citalopram qui, selon Lundbeck, enfreint ses droits de propriété [intellectuelle], et, pour permettre à Lundbeck de déterminer l’existence ou non d’une infraction, à fournir à celle-ci pendant la [durée de l’accord UK] suffisamment d’échantillons à des fins d’analyse, au moins un mois avant toute fabrication, importation, vente ou offre de vente qu’Arrow [UK] menacerait d’effectuer dans l’attente d’une décision finale non susceptible de recours dans [le cadre de l’action en contrefaçon UK…] » ;

–        le point 1.2 de cet accord fait état du consentement d’Arrow UK à ce que les engagements de sa part visés au point 1.1 UK soient repris dans une ordonnance dont Lundbeck demandera l’adoption par la juridiction du Royaume-Uni compétente ;

–        le point 2.1 de cet accord rappelle que Lundbeck introduira l’action en contrefaçon UK dès que possible et, en tout cas, pas plus tard que le 31 mars 2002 ;

–        le point 2.2 de cet accord stipule que, compte tenu des engagements visés au point 1.1 UK et du fait qu’Arrow UK ne demandera pas de « cross-undertaking in damages » (montant que, conformément au droit anglais, Lundbeck devrait déposer devant la juridiction à laquelle elle aurait l’intention de demander l’adoption d’une injonction dans le cadre de l’action en contrefaçon UK), Lundbeck verse à Arrow UK 5 millions de livres sterling (GBP), en quatre tranches, cette somme ayant été ensuite augmentée de 450 000 GBP, en vertu du point 2.1 du premier addendum à l’accord UK, et de 1,350 million de GBP, en application des points 2.1 et 3 du second addendum à l’accord UK (voir considérants 446 et 447 de la décision attaquée) ;

–        le point 2.3 de cet accord établit que, dans l’hypothèse où une décision finale dans le cadre de l’action en contrefaçon UK constaterait qu’Arrow UK n’avait pas enfreint les droits de propriété intellectuelle de Lundbeck, le montant prévu au point 2.2 de cet accord constituerait l’indemnisation complète qu’Arrow UK pourrait obtenir de Lundbeck pour les pertes qu’elle aurait subies en raison des obligations découlant du point 1.1 UK ;

–        le point 3.4 de cet accord (ci-après le « point 3.4 UK ») prévoit qu’Arrow UK livre à Lundbeck son stock « dudit Citalopram » en deux étapes, dont la première, portant sur environ 3,975 millions de comprimés en boîte, doit avoir lieu au plus tard le 6 février 2002 et la seconde, portant sur environ 1,1 million de comprimés en vrac, au plus tard le 15 février 2002.

18      Par ailleurs, il convient de préciser que, le 6 février 2002, Lundbeck a obtenu l’ordonnance visée au point 1.2 de l’accord UK (ci-après l’« ordonnance par consentement »).

19      En ce qui concerne le contenu de l’accord danois, il convient de relever que :

–        les premier, troisième et cinquième à neuvième considérants de son préambule (ci-après le « préambule DK ») correspondent, en substance, aux premier, quatrième et sixième à huitième considérants du préambule UK, étant précisé que le neuvième considérant du préambule DK se réfère à l’ordonnance par consentement ;

–        le point 1.1 de cet accord (ci-après le « point 1.1 DK ») prévoit qu’« Arrow [Group] accepte d’annuler et de cesser toute importation, fabrication, production, vente ou autre commercialisation de produits contenant du citalopram enfreignant, selon Lundbeck, les droits de propriété intellectuelle de celle-ci sur le territoire [danois] pendant la durée [de l’accord danois] » ;

–        le point 2.1 de cet accord stipule que, en tant que compensation pour les engagements assumés par Arrow Group, Lundbeck verse à cette dernière la somme de 500 000 dollars des États-Unis (USD) ;

–        le point 2.2 de cet accord établit que, dans l’hypothèse où une décision finale dans le cadre de l’action en contrefaçon UK constaterait qu’Arrow Group n’avait pas enfreint les droits de propriété intellectuelle de Lundbeck, le montant prévu au point 2.1 de cet accord constituerait l’indemnisation complète qu’Arrow Group pourrait obtenir de Lundbeck pour les pertes qu’elle aurait subies en raison des obligations découlant du point 1.1 DK ;

–        le point 3.1 de cet accord ajoute que Lundbeck achète au prix de 147 000 USD le stock de citalopram d’Arrow Group, consistant en environ 1 million de comprimés.

4.     Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

20      Au mois d’octobre 2003, la Commission des Communautés européennes a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.

21      Dès lors que la plupart de ceux-ci concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, des États membres autres que le Royaume du Danemark, il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.

22      Entre 2003 et 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.

23      Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision portant ouverture d’une enquête concernant le secteur pharmaceutique, conformément à l’article 17 du règlement n° 1/2003 (affaire COMP/D2/39514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché des médicaments innovants et génériques à usage humain.

24      Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait la version intégrale dudit rapport d’enquête, en tant qu’« annexe technique », sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en anglais.

25      Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé une procédure à l’égard de Lundbeck.

26      Au cours de l’année 2010 et de la première moitié de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et, notamment, aux autres sociétés qui étaient parties aux accords en cause, dont Arrow Group et Arrow Generics.

27      Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard notamment des entreprises de génériques qui étaient parties aux accords en cause et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.

28      Tous les destinataires de cette communication qui en avaient fait la demande ont été entendus lors des auditions tenues les 14 et 15 mars 2013.

29      Le 12 avril 2013, la Commission a envoyé un exposé des faits aux destinataires de la communication des griefs.

30      Le conseil-auditeur a émis son rapport final le 17 juin 2013.

31      Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision C (2013) 3803 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck) (ci-après la « décision attaquée »).

5.     Décision attaquée      

32      Par la décision attaquée, la Commission a considéré que les accords en cause constituaient des restrictions de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE.

33      En particulier, la Commission a retenu, d’une part, que l’accord UK et l’accord danois (ci-après, pris ensemble, les « accords litigieux ») constituaient une infraction unique et continue commise par Lundbeck et par Arrow Group et, d’autre part, que Arrow Generics et Resolutions Chemicals avaient elles aussi violé l’article 101, paragraphe 1, TFUE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE par leur participation à l’accord UK (article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée).

34      Ainsi que cela résulte des résumés figurant aux considérants 962 et 1013 de la décision attaquée, relatifs, respectivement, à l’accord UK et à l’accord danois, à cette fin, la Commission a fondé son appréciation, notamment, sur les éléments suivants :

–        au moment de la conclusion des accords litigieux, Lundbeck et Arrow étaient des concurrents à tout le moins potentiels au Royaume-Uni et au Danemark ;

–        en vertu de ces accords, Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit d’Arrow ;

–        ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Arrow des limitations apportées à son entrée sur le marché du citalopram au Royaume-Uni et au Danemark contenues dans lesdits accords, en particulier à l’engagement d’Arrow de ne pas vendre de citalopram générique, que Lundbeck considérait comme contrefaisant ses brevets, et ce pendant les durées respectives des accords litigieux ;

–        ce transfert de valeur correspondait, en substance, aux profits qu’Arrow aurait pu obtenir si elle était entrée sur le marché avec succès ;

–        Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations grâce à l’application de ses nouveaux brevets, étant donné que les obligations pesant sur Arrow à la suite des accords litigieux allaient au-delà des droits conférés au titulaire de brevets de procédé ;

–        les accords litigieux ne prévoyaient aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Arrow dans l’hypothèse où cette dernière, après l’expiration de l’un ou de l’autre de ces accords, serait entrée sur le marché du Royaume-Uni ou sur celui du Danemark avec du citalopram générique.

35      La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords en cause. À cette fin, elle a utilisé les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »). Si, à l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans les lignes directrices de 2006, fondée sur la valeur des ventes du produit concerné réalisées par cette entreprise (considérants 1316 à 1358 de la décision attaquée), en revanche, s’agissant des autres parties aux accords en cause, à savoir les entreprises de génériques, elle a eu recours à la possibilité, prévue au paragraphe 37 de celles-ci, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision attaquée).

36      Ainsi, s’agissant desdites parties aux accords en cause autres que Lundbeck, dont Arrow, la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférées en vertu des accords en cause, et ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision attaquée).

37      En ce qui concerne Arrow Group et Arrow UK, la Commission a considéré que les sommes que Lundbeck leur avait payées s’élevaient à 10,4 millions d’euros s’agissant de l’accord UK (considérant 447 de la décision attaquée) et de 684 000 USD (considérant 472 de la décision attaquée) s’agissant de l’accord danois, ce qui donnait lieu à un montant de base total de 11,1 millions d’euros (considérant 1373 de la décision attaquée).

38      Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a réduit de 10 % les montants des amendes imposées à tous les destinataires de la décision attaquée (considérants 1349 et 1380 de la décision attaquée).

39      Enfin, la Commission a appliqué l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003, selon lequel, pour chaque entreprise participant à une infraction, l’amende ne peut pas excéder 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent, de manière séparée à Arrow Group et à Arrow Generics, d’une part, et à Resolution Chemicals, d’autre part, dans la mesure où cette dernière n’était plus contrôlée par Arrow Group (considérant 1383 de la décision attaquée).

40      Sur la base de ces considérations, la Commission a infligé une amende d’un montant de 9 975 000 euros à Arrow Group, conjointement et solidairement avec Arrow Generics pour un montant de 9 360 000 euros et également avec Resolution Chemicals pour un montant de 823 735 euros (considérant 1396 et article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

41      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 août 2013, les requérantes, Arrow Group et Arrow Generics, ont introduit le présent recours.

42      La phase écrite de la procédure a été close le 18 juillet 2014.

43      Le 27 novembre 2014, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, les parties ont été invitées à formuler par écrit leurs observations concernant les éventuelles conséquences sur la présente affaire de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:2204).

44      Les parties ont répondu à cette question dans le délai imparti.

45      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

46      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 15 octobre 2015.

47      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les articles 1er à 3 de la décision attaquée, en ce qu’ils les concernent ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 2 de la décision attaquée, en ce qu’il leur inflige une amende en raison des accords litigieux ;

–        à titre encore plus subsidiaire, annuler l’article 2 de la décision attaquée, en ce qu’il leur inflige une amende au titre de l’accord danois ;

–        à titre infiniment subsidiaire, réduire le montant de l’amende qui leur a été infligée en vertu de l’article 2 de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

48      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

49      À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent six moyens, tirés, en substance, le premier, de la violation des formes substantielles dans le cadre de la procédure d’adoption de la décision attaquée, le deuxième, du fait qu’elles n’étaient pas dans une relation de concurrence potentielle avec Lundbeck, le troisième, du fait que les accords litigieux ne constituent pas des restrictions par objet, le quatrième, d’erreurs de droit concernant l’imposition d’une amende en l’espèce, le cinquième, invoqué à titre subsidiaire, de la qualification erronée d’infraction unique et continue donnée aux accords litigieux et, le sixième, ayant un caractère encore plus subsidiaire, du caractère disproportionné du montant de l’amende qui leur a été infligée.

50      Il convient d’examiner d’abord le deuxième moyen, puis le troisième, ensuite le premier et, enfin, les autres moyens dans l’ordre suivant lequel les requérantes les ont présentés.

1.     Sur le deuxième moyen, tiré du fait que les requérantes n’étaient pas dans une relation de concurrence potentielle avec Lundbeck

51      Les requérantes contestent la thèse, exposée dans la décision attaquée, selon laquelle, lors de la conclusion des accords litigieux, elles étaient dans une relation de concurrence à tout le moins potentielle avec Lundbeck et précisent que la charge de la preuve applicable à cette question incombe à la Commission. Dans ce contexte, elles font observer que l’évaluation de la concurrence potentielle doit se fonder sur une approche réaliste, la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’étant pas suffisante. Les conclusions de la Commission à cet égard ne devraient pas reposer sur de simples hypothèses, mais devraient être étayées par des éléments de fait objectifs ou par une analyse des structures du marché pertinent permettant de démontrer que l’entrée sur le marché d’un concurrent potentiel correspond à une stratégie économique viable pour ce dernier.

52      La Commission conteste les arguments des requérantes.

53      Avant d’examiner en détail les arguments des requérantes, il convient de rappeler brièvement l’analyse de la concurrence potentielle effectuée dans la décision attaquée, en particulier en ce qui concerne les requérantes, et de formuler des observations liminaires concernant la jurisprudence portant sur cette concurrence, sur la charge de la preuve ainsi que sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal.

 Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

54      Aux considérants 615 à 620 de la décision attaquée, la Commission s’est penchée sur les caractéristiques particulières du secteur pharmaceutique et a distingué deux phases au cours desquelles la concurrence potentielle pouvait s’exprimer dans ce secteur.

55      La première phase peut commencer plusieurs années avant l’expiration prochaine du brevet sur un IPA, lorsque les producteurs de génériques qui souhaitent lancer une version générique du médicament concerné commencent à développer des procédés viables débouchant sur un produit qui répond aux exigences réglementaires. Ensuite, dans une seconde phase, afin de préparer son entrée effective sur le marché, il faut qu’une entreprise de génériques obtienne une autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM »), au sens de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), qu’elle se procure des comprimés auprès d’un ou de plusieurs producteurs de génériques ou les produise elle-même, qu’elle trouve des distributeurs ou mette en place son propre réseau de distribution, c’est-à-dire qu’elle fasse une série de démarches préliminaires, sans lesquelles il n’y aurait jamais de concurrence effective sur le marché.

56      L’expiration prochaine du brevet sur un IPA génère donc un processus concurrentiel dynamique, au cours duquel les différentes entreprises de génériques rivalisent pour être les premières à entrer sur le marché. En effet, la première entreprise de génériques qui parvient à entrer sur le marché peut générer des profits importants, avant que la concurrence ne s’intensifie et que les prix ne chutent drastiquement. C’est pourquoi les entreprises de génériques sont prêtes à effectuer des investissements considérables et à prendre des risques importants afin d’être les premières à entrer sur le marché du produit concerné dès que le brevet sur l’IPA concerné arrive à expiration.

57      Dans le cadre de ces phases de la concurrence potentielle, les entreprises de génériques font souvent face à des questions de droit des brevets et de propriété intellectuelle. Néanmoins, elles trouvent en général un moyen pour éviter toute infraction à des brevets existants, tels que des brevets de procédé. Elles disposent en effet de plusieurs options à cet égard, telles que la possibilité de demander une déclaration de non-contrefaçon ou de « lever les obstacles » en informant le laboratoire de princeps de leur intention d’entrer sur le marché. Elles peuvent également lancer leurs produits « à risque », en se défendant contre de potentielles allégations de contrefaçon ou en présentant une demande reconventionnelle afin de mettre en cause la validité des brevets invoqués au soutien d’une action en contrefaçon. Enfin, elles peuvent aussi collaborer avec leur fournisseur d’IPA afin de modifier le procédé de production ou de réduire les risques de contrefaçon ou encore se tourner vers un autre producteur d’IPA afin d’éviter un tel risque.

58      Aux considérants 621 à 623 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que, dans le cas d’espèce, les brevets originaires avaient expiré en janvier 2002 dans la plupart des pays de l’EEE. Cela avait généré un processus concurrentiel dynamique, dans lequel plusieurs entreprises de génériques avaient accompli des démarches afin d’être les premières à entrer sur le marché. Lundbeck a perçu cette menace dès décembre 1999, lorsqu’elle a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2000 que, « d’ici 2002, il [était] probable que les génériques aur[aie]nt capturé une part de marché substantielle des ventes de Cipramil ». De même, en décembre 2001, Lundbeck a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2002 qu’elle s’attendait à ce que le marché du Royaume-Uni en particulier fût sévèrement frappé par la concurrence des génériques. Dès lors, la Commission n’a eu aucun doute sur le fait que les entreprises de génériques exerçaient une pression concurrentielle sur Lundbeck au moment de conclure les accords en cause.

59      En outre, aux considérants 624 à 633 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le fait de contester des brevets était une expression de la concurrence potentielle dans le secteur pharmaceutique. Elle a rappelé, à cet égard, que, dans l’EEE, les entreprises de génériques n’étaient pas tenues de démontrer que leurs produits ne violaient aucun brevet pour pouvoir obtenir une AMM ou pour commencer à commercialiser ceux-ci. C’est au laboratoire de princeps qu’il appartient de prouver que ces produits violent, au moins à première vue, l’un de ses brevets, pour qu’une juridiction puisse enjoindre à l’entreprise de génériques concernée de ne plus vendre ses produits sur le marché.

60      Enfin, la Commission a observé que les brevets de procédé de Lundbeck ne permettaient pas de bloquer toutes les possibilités ouvertes aux entreprises de génériques d’entrer sur le marché. Au considérant 635 de la décision attaquée, elle a identifié, en l’espèce, huit voies d’accès possibles au marché :

–        premièrement, le fait de lancer le produit « à risque » en faisant face à d’éventuelles actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ;

–        deuxièmement, le fait de faire des efforts pour « lever les obstacles » avec le laboratoire de princeps, avant d’entrer sur le marché, en particulier au Royaume-Uni ;

–        troisièmement, le fait de demander une déclaration de non-contrefaçon devant une juridiction nationale, avant d’entrer sur le marché ;

–        quatrièmement, le fait de faire valoir l’invalidité d’un brevet devant une juridiction nationale, dans le cadre d’une demande reconventionnelle faisant suite à une action en contrefaçon de la part du laboratoire de princeps ;

–        cinquièmement, le fait de contester un brevet devant les autorités nationales compétentes ou devant l’OEB, en demandant de révoquer ou de limiter ce brevet ;

–        sixièmement, le fait de collaborer avec le producteur d’IPA actuel ou son intermédiaire, afin de modifier le procédé du producteur d’IPA de façon à éliminer ou à réduire le risque de contrefaçon des brevets de procédé de Lundbeck ;

–        septièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement existant ;

–        huitièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA, en dehors d’un contrat d’approvisionnement existant, soit parce que ledit contrat l’autorisait, soit, potentiellement, parce qu’un contrat d’approvisionnement exclusif pourrait être invalidé si l’IPA était déclaré comme contrefaisant les brevets de procédé de Lundbeck.

61      En ce qui concerne, en particulier, l’examen de la relation de concurrence existant entre Lundbeck et les requérantes, au moment de la conclusion des accords litigieux, la Commission, aux considérants 877 à 899 et 965 à 975 de la décision attaquée, a relevé, notamment, que ces dernières :

–        avaient déjà conclu un accord avec Alfred E. Tiefenbacher GmbH & Co. (ci-après « Tiefenbacher »), qui leur permettait d’acheter du citalopram générique produit par les sociétés indiennes Cipla ou Matrix, sans que cet accord les empêchât d’acheter du citalopram produit par d’autres sociétés, moyennant le paiement d’une redevance à Tiefenbacher ;

–        disposaient d’un stock de citalopram s’élevant à 9 222 000 comprimés, produits selon le procédé que Cipla utilisait à l’époque (ci-après le « procédé Cipla I ») ;

–        avaient reçu, en décembre 2001, un avis favorable de la part de l’autorité du Royaume-Uni compétente en ce qui concerne leur demande d’AMM, fondée, en vertu de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83, sur l’AMM que Tiefenbacher avait déjà obtenue au Pays-Bas ;

–        estimaient, à l’instar de Lundbeck, que ladite autorité concéderait l’AMM en cause dans un futur proche ;

–        tout en étant préoccupées de la possibilité que le procédé Cipla I violât le brevet sur la cristallisation que Lundbeck avait demandé, mais pas encore obtenu, au Royaume-Uni, n’avaient pas de certitudes à cet égard ;

–        comptaient pouvoir rapidement obtenir une AMM au Danemark, sur la base de celle que Tiefenbacher avait obtenue pour une autre entreprise de génériques dans ce même État membre, le 2 mai 2002 ;

–        disposaient de la possibilité de passer au citalopram produit par Matrix, qui, à l’époque de la conclusion des accords litigieux, utilisait un procédé qui n’était pas considéré comme violant les nouveaux brevets de Lundbeck (ci-après le « procédé Matrix I »), de travailler avec Cipla et Matrix pour développer d’autres procédés ainsi que de passer au citalopram produit par l’entreprise de génériques Ranbaxy Laboratories Ltd (ci-après « Ranbaxy »), qui utilisait un procédé différent.

 Principes et jurisprudence applicables

 Concurrence potentielle

62      Il convient de relever que l’article 101, paragraphe 1, TFUE est uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence, eu égard aux conditions énoncées par ce texte relatives à l’affectation des échanges entre les États membres et aux répercussions sur la concurrence (voir arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, Rec, EU:T:2012:332, point 84 et jurisprudence citée).

63      Selon la jurisprudence, l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle, afin de savoir si, compte tenu de la structure du marché et des contextes économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (arrêts du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec, EU:T:1998:198, point 137 ; du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, Rec, EU:T:2011:181, point 68, et E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 62 supra, EU:T:2012:332, point 85).

64      Afin de vérifier si une entreprise constitue un concurrent potentiel sur un marché, la Commission se doit de vérifier si, en l’absence de la conclusion de l’accord qu’elle examine, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intégrât ledit marché et concurrençât les entreprises qui y étaient établies. Une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent. Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 62 supra, EU:T:2012:332, point 86 et jurisprudence citée).

65      Il en découle nécessairement que, si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente aux fins de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 62 supra, EU:T:2012:332, point 87 et jurisprudence citée).

66      Il convient, à cet égard, de rappeler qu’une restriction de la concurrence potentielle, que peut constituer la seule existence d’une entreprise extérieure au marché, ne saurait être conditionnée à la démonstration de l’intention de cette entreprise d’intégrer à brève échéance ledit marché. En effet, de par sa seule existence, celle-ci peut être à l’origine d’une pression concurrentielle sur les entreprises opérant alors sur ce marché, pression constituée par le risque de l’entrée d’un nouveau concurrent en cas d’évolution de l’attractivité du marché (arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 63 supra, EU:T:2011:181, point 169).

67      Par ailleurs, la jurisprudence a également précisé que le fait même qu’une entreprise déjà présente sur un marché cherchât à conclure des accords ou à mettre en place des mécanismes d’échanges d’informations avec d’autres entreprises qui n’étaient pas présentes sur ce marché constituait un indice sérieux du fait que celui-ci n’était pas impénétrable (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, Rec, EU:T:2011:342, point 226, et du 21 mai 2014, Toshiba/Commission, T‑519/09, EU:T:2014:263, point 231).

68      S’il résulte de cette jurisprudence que la Commission peut se fonder notamment sur la perception de l’entreprise présente sur le marché afin d’apprécier si d’autres entreprises sont des concurrents potentiels de celle-ci, il n’en reste pas moins que la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’est pas suffisante pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle. La Commission doit donc démontrer, par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent, que l’entrée sur le marché aurait pu s’effectuer suffisamment rapidement pour que la menace d’une entrée potentielle pesât sur le comportement des participants au marché moyennant des coûts qui auraient été économiquement supportables (voir, en ce sens, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 62 supra, EU:T:2012:332, points 106 et 114).

 Charge de la preuve

69      Il ressort de l’article 2 du règlement n° 1/2003 ainsi que d’une jurisprudence constante que, dans le domaine du droit de la concurrence, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, Rec, EU:T:2013:188, point 91 et jurisprudence citée).

70      Dans ce contexte, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (voir arrêt CISAC/Commission, point 69 supra, EU:T:2013:188, point 92 et jurisprudence citée).

71      En effet, il est nécessaire de tenir compte de la présomption d’innocence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui peuvent s’y rattacher, la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 69 supra, EU:T:2013:188, point 93 et jurisprudence citée).

72      En outre, il convient de tenir compte de l’atteinte non négligeable à la réputation que représente, pour une personne physique ou morale, la constatation qu’elle a été impliquée dans une infraction aux règles de concurrence (voir arrêt CISAC/Commission, point 69 supra, EU:T:2013:188, point 95 et jurisprudence citée).

73      Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt CISAC/Commission, point 69 supra, EU:T:2013:188, point 96 et jurisprudence citée).

74      Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt CISAC/Commission, point 69 supra, EU:T:2013:188, point 97 et jurisprudence citée).

75      Enfin, il y a lieu de relever que, lorsque la Commission établit qu’une entreprise a participé à une mesure anticoncurrentielle, il incombe à cette entreprise de fournir, en recourant non seulement à des documents non divulgués, mais également à tous les moyens dont elle dispose, une explication différente de son comportement (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec, EU:C:2004:6, points 79 et 132).

76      Lorsque la Commission dispose de preuves documentaires d’une pratique anticoncurrentielle, les entreprises concernées ne peuvent pas se limiter à faire valoir des circonstances donnant un éclairage différent aux faits établis par la Commission et permettant ainsi de substituer une autre explication des faits à celle retenue par celle-ci. En effet, en présence de preuves documentaires, il incombe auxdites entreprises non pas simplement de présenter une prétendue autre explication des faits constatés par la Commission, mais bien de contester l’existence de ces faits établis au vu des pièces produites par la Commission (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 69 supra, EU:T:2013:188, point 99 et jurisprudence citée).

 Portée du contrôle exercé par le Tribunal

77      Il y a lieu de rappeler que l’article 263 TFUE implique que le juge de l’Union exerce un contrôle, tant en droit qu’en fait, des arguments invoqués par les requérantes à l’encontre de la décision attaquée et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves et d’annuler ladite décision. Dès lors, si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, Rec, EU:C:2014:2062, points 53 et 54 et jurisprudence citée).

78      C’est à l’aune de ces principes qu’il y a lieu de répondre aux arguments spécifiques des requérantes concernant la concurrence potentielle, qui concernent l’aspect temporel de celle-ci, l’importance de la perception de Lundbeck, l’expiration des brevets originaires, les nouveaux brevets de Lundbeck, des erreurs factuelles concernant les éléments de preuve disponibles, la possibilité de passer au citalopram produit selon d’autres procédés que le procédé Cipla I, l’applicabilité des lignes directrices relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur le transfert de technologie ») et la pertinence de l’arrêt du 23 octobre 2001 rendu par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancellerie, Royaume-Uni] dans l’affaire Smithkline Beecham Plc v. Generics (UK) Ltd (2002) 25(1) I.P.D. 25005 (ci-après l’« arrêt Paroxetine »).

 Sur l’aspect temporel de la concurrence potentielle

79      Les requérantes font valoir qu’une entreprise ne peut être considérée comme étant un concurrent potentiel que si celle-ci peut entrer sur le marché concerné en temps utile, surtout lorsqu’il existe des barrières significatives à cette entrée, tels qu’une panoplie de brevets.

80      La Commission conteste les arguments des requérantes.

81      À cet égard, il y a lieu de constater que les démarches nécessaires pour obtenir les AMM et pour préparer l’entrée sur le marché relèvent de la concurrence potentielle, lorsqu’elles sont accomplies par des entreprises de génériques ayant effectué des investissements importants en termes de ressources humaines et économiques dans le but de lancer leur médicament générique.

82      Cette concurrence potentielle est protégée par l’article 101 TFUE. En effet, dans l’hypothèse où il serait possible, sans violer le droit de la concurrence, de payer les entreprises qui sont en train d’accomplir les démarches indispensables pour préparer le lancement d’un médicament générique, dont l’obtention d’une AMM, et qui ont consenti d’importants investissements à cette fin, pour arrêter ou simplement ralentir ce processus, la concurrence effective n’aurait jamais lieu ou subirait des retards significatifs, et ce aux frais des consommateurs, c’est-à-dire des patients ou des caisses de maladie en l’espèce.

83      Cette approche est conforme à la jurisprudence issue de l’arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, Rec, EU:C:2012:770, point 108). En effet, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, il s’agissait notamment d’un abus de position dominante commis par une entreprise qui avait soumis des déclarations trompeuses afin de se faire octroyer, par les autorités nationales compétentes, des CCP (voir point 8 ci-dessus) lui permettant, même après l’expiration future des brevets protégeant son médicament, de s’opposer à l’entrée sur le marché de versions génériques de ce médicament. Dans ce contexte, la Cour a, en substance, considéré que le caractère anticoncurrentiel desdites déclarations n’était pas remis en cause par le fait que ces CCP avaient été demandés entre cinq et six ans avant leur entrée en vigueur et que, jusqu’à ce moment, les droits des requérantes étaient protégés par des brevets réguliers. Selon la Cour, non seulement de tels CCP irréguliers entraînaient un effet d’exclusion important après l’expiration des brevets de base, mais ils étaient également susceptibles d’altérer la structure du marché en portant atteinte à la concurrence potentielle même avant cette expiration. À cet égard, il convient d’observer que la remarque de la Cour concernant le fait que la concurrence potentielle démarre avant l’expiration des brevets est indépendante du fait que les CCP dont il s’agissait avaient été obtenus de manière frauduleuse ou irrégulière. Dès lors, cette jurisprudence confirme que la concurrence potentielle existe déjà avant l’expiration des brevets protégeant un médicament et que les démarches accomplies avant cette expiration sont pertinentes afin d’apprécier si cette concurrence a été restreinte.

84      Dans la décision attaquée, indépendamment de ses affirmations générales concernant les activités des producteurs d’IPA qui précèdent de plusieurs années l’expiration du brevet protégeant un IPA, la Commission a examiné en détail les démarches que les requérantes avaient effectuées pour préparer leur entrée sur le marché jusqu’à la signature des accords litigieux, tout en les situant dans le contexte qui s’était créé du fait que les brevets originaires avaient expiré ou devaient expirer dans un futur proche dans de nombreux pays de l’EEE (voir point 8 ci-dessus).

85      Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur en ce qui concerne l’aspect temporel de la concurrence potentielle.

 Sur l’importance de la perception de Lundbeck

86      Les requérantes soutiennent que la question de savoir si elles se trouvaient dans une situation de concurrence potentielle avec Lundbeck doit être appréciée de manière objective, et non sur la base de la perception qu’en avait cette dernière. Par ailleurs, le fait que Lundbeck pût avoir considéré les requérantes comme menaçant d’entrer illégalement sur le marché n’en ferait pas des concurrents potentiels.

87      La Commission conteste les arguments des requérantes.

88      Il y a lieu de relever que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 67 ci-dessus, la perception que Lundbeck avait des requérantes est un élément qui peut être pris en considération, bien qu’il ne suffise pas, à lui seul, pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle.

89      En ce qui concerne la possibilité, évoquée par les requérantes, que la perception de Lundbeck ait été affectée par la réussite d’un « coup de bluff » de leur part, il convient de relever, tout d’abord, que Lundbeck était une entreprise expérimentée, qui avait suivi depuis longtemps les démarches des entreprises de génériques concernant le citalopram (voir, notamment, considérants 172 à 183 de la décision attaquée), dont celles des requérantes, de leur fournisseur Tiefenbacher ainsi que de Cipla et de Matrix (voir considérants 374, 380, 384, 388 et 389 de la décision attaquée). Les requérantes ne remettent pas en cause les constatations figurant dans la décision attaquée à cet égard.

90      Ensuite, il résulte de plusieurs éléments de preuve figurant dans la décision attaquée que Lundbeck était consciente du fait que son brevet sur la cristallisation n’était « pas le plus solide des brevets » et admettait que la probabilité que celui-ci fût invalidé était comprise entre 50 et 60 % (voir, notamment, considérants 149, 157, 627, 669, 745 et note en bas de page n° 322 de la décision attaquée).

91      Enfin, ainsi que le fait observer, en substance, la Commission, Lundbeck ne s’est jamais plainte d’avoir été victime d’une ruse, mais, comme cela résulte du considérant 206 de la décision attaquée, s’est réjouie, au mois de décembre 2002, d’avoir obtenu le report du lancement du citalopram générique, attendu pour le premier trimestre de 2002, ce qui créait des conditions positives pour le développement des ventes de son nouveau médicament, le Cipralex (voir point 12 ci-dessus). De plus, elle a poursuivi sa stratégie par la signature de l’accord danois, le 2 juin 2002, et par les prorogations de l’accord UK, au cours de l’année 2003 (voir point 15 ci-dessus). Or, en l’absence de toute preuve produite à cette fin, il n’est pas crédible que les requérantes aient pu leurrer Lundbeck pendant une aussi longue période.

92      Dès lors, les présents arguments des requérantes doivent être rejetés.

 Sur l’expiration des brevets originaires

93      Les requérantes font valoir que la Commission a attaché trop d’importance au fait que les brevets originaires avaient expiré. À cet égard, elles soutiennent qu’il n’était pas possible d’entrer sur le marché avec du citalopram produit selon les procédés couverts par ces brevets, qui ne se prêtaient pas à une utilisation industrielle. Cela serait confirmé par le fait qu’aucune entreprise intéressée par la vente du citalopram générique ne se serait fondée sur ces procédés afin d’introduire une demande d’AMM.

94      La Commission conteste les arguments des requérantes.

95      S’agissant du brevet originaire sur l’IPA, il doit être relevé que, ainsi que la Commission l’a mis en évidence notamment au considérant 127 de la décision attaquée, où elle a cité un extrait du plan d’activité de Lundbeck pour l’année 1999, celle-ci craignait que les entreprises de génériques pussent entrer sur le marché avec du citalopram en concurrençant le Cipramil après l’expiration dudit brevet.

96      De même, ainsi que cela résulte notamment des considérants 150 et 634 de la décision attaquée, en réponse à des questions de la Commission antérieures à l’envoi de la communication des griefs, Lundbeck a reconnu que, après l’expiration des brevets originaires, les entreprises de génériques auraient pu produire du citalopram en suivant les procédés visés par ceux-ci, bien qu’ils ne fussent pas très efficients.

97      Le fait que, dans la réponse à la communication des griefs, Lundbeck soit revenue sur cette position n’est pas susceptible de remettre en cause la force probante de ces éléments, un tel revirement ayant été effectué in tempore suspecto (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, EU:T:2008:255, point 509).

98      En outre, il résulte des documents cités aux considérants 382 et 482 ainsi qu’à la note en bas de page n° 1640 de la décision attaquée que Tiefenbacher estimait qu’il était possible de produire du citalopram selon un procédé correspondant à l’un de ceux visés par les brevets originaires.

99      De même, il ressort du considérant 158 de la décision attaquée que, dans le cadre du litige opposant l’entreprise de génériques Lagap à Lundbeck, un conseiller de cette dernière a reconnu que Matrix utilisait l’un des procédés visés par lesdits brevets « de manière plus efficace que ce qu[’ils avaient pensé qu’[elle] pourrait le faire ». Cela démontre qu’il était possible de produire du citalopram générique en se fondant sur les procédés visés par lesdits brevets, même si celui-ci pouvait éventuellement être de moindre qualité ou être plus difficile à produire à une échelle industrielle qu’en utilisant les procédés couverts par les nouveaux brevets de Lundbeck.

100    En tout état de cause, même s’il n’était pas possible d’utiliser à l’échelle industrielle les procédés visés par les brevets originaires, il restait possible d’adapter ces procédés afin de les rendre plus efficaces. À cet égard, il résulte du considérant 150 de la décision attaquée que Lundbeck a admis que, au cours de la période comprise entre 2002 et 2004, il existait plusieurs procédés pour produire le citalopram qui étaient différents de celui visé par le brevet sur la cristallisation.

101    Au vu de ces évaluations provenant d’entreprises expérimentées dans le secteur économique concerné, la Commission pouvait à juste titre considérer que l’expiration des brevets originaires était un facteur important dans le cadre de l’appréciation de la concurrence potentielle. Le fait, à le supposer avéré, qu’aucune entreprise de génériques n’ait demandé d’AMM concernant du citalopram produit selon les procédés visés par ces brevets ne remet pas en cause ce constat, mais signifie, tout au plus, que ces entreprises préféraient travailler avec du citalopram produit selon des procédés plus rentables.

102    Il s’ensuit que les présents arguments des requérantes doivent être rejetés.

 Sur les nouveaux brevets de Lundbeck et sur la présomption de validité de ceux-ci

103    Les requérantes font remarquer qu’elles avaient entrepris des démarches pour préparer leur entrée sur le marché par la conclusion, en mai 2001, d’un accord avec Tiefenbacher, afin de se procurer du citalopram générique, produit selon le procédé Cipla I, qu’elles considéraient, à l’époque, comme ne contrefaisant aucun brevet détenu par Lundbeck. Cependant, cette dernière aurait par la suite obtenu ses nouveaux brevets, qui auraient empêché les requérantes d’entrer légalement sur le marché avec ce citalopram. Elles auraient ainsi cherché d’autres fournisseurs d’IPA. Le fait d’avoir effectué des démarches préliminaires ne ferait pas des requérantes des concurrents potentiels de Lundbeck.

104    En outre, les requérantes contestent le fait que l’existence d’une concurrence potentielle puisse découler de la possibilité que, dans le cadre d’un contentieux, les nouveaux brevets de Lundbeck soient considérés comme n’ayant pas été enfreints ou comme étant invalides. En effet, ces brevets bénéficieraient d’une présomption de validité.

105    La Commission conteste les arguments des requérantes.

106    Il convient de rappeler que, comme le fait observer à juste titre la Commission, lorsque des entreprises de génériques cherchent à pénétrer le marché sur lequel se trouve un médicament breveté, le risque d’un procès pour atteinte au brevet est parfois inévitable, étant donné que les demandes de brevets de procédé sont souvent déposées à un stade tardif du cycle de vie du produit, peu avant l’expiration du brevet portant sur l’IPA de ce médicament et après que lesdites entreprises ont effectué d’importants préparatifs en vue d’une entrée sur ce marché.

107    Il s’agit d’un risque commercial auquel font face la plupart des entreprises de génériques et qui doit être mis en balance avec les avantages commerciaux non négligeables qu’elles peuvent obtenir par une entrée rapide sur ce marché. En effet, l’existence d’une part de risque et d’incertitude est inhérente au fait que la concurrence en cause soit potentielle. Cependant, la Commission est tenue de démontrer, par des preuves concrètes, qu’il existe une possibilité réelle et concrète que l’entreprise concernée intègre le marché dans un délai raisonnable.

108    Ces considérations ne sont pas remises en cause par le fait que les nouveaux brevets de Lundbeck bénéficient, comme tout brevet, d’une présomption de validité.

109    En effet, il y a lieu de rappeler que la Cour a certes reconnu que l’objet spécifique de la propriété industrielle est notamment d’assurer au titulaire, afin de récompenser l’effort créateur de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, Rec, EU:C:1974:114, point 9). Cependant, elle a également établi que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle ne sont pas affectés dans leur existence par les dispositions de l’article 101 TFUE, les conditions de leur exercice peuvent cependant relever des interdictions édictées par celui-ci. Tel peut être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (voir, en ce sens, arrêt Centrafarm et de Peijper, précité, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

110    De même, la Cour a établi que, s’il n’appartient pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, celle-ci ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, Rec, EU:C:1986:75, point 26). Par la même occasion, la Cour a précisé que l’objet spécifique du brevet ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité de celui-ci (arrêt Windsurfing International/Commission, précité, EU:C:1986:75, point 92).

111    À la lumière des principes découlant de cette jurisprudence, il y a lieu d’observer que la présomption de validité dont bénéficie tout brevet ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité de tous les produits mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci. En effet, en l’espèce, il appartenait à Lundbeck de démontrer, devant les juridictions nationales, en cas d’entrée des médicaments génériques sur le marché, que ceux-ci enfreignaient l’un ou l’autre de ses brevets de procédé, une entrée « à risque » de la part d’une entreprise de génériques n’étant pas illégale en soi. De plus, dans le cadre d’un tel contentieux, il eût été possible au défendeur de contester la validité du brevet dont Lundbeck se serait prévalue, par le biais d’une demande reconventionnelle.

112    Ainsi, il y a lieu d’examiner la question de savoir si la Commission a prouvé que les requérantes, après avoir effectué plusieurs démarches préliminaires afin de préparer leur entrée dans un futur proche sur le marché du citalopram au Royaume-Uni et au Danemark, n’avaient pas exclu, lors de la conclusion des accords litigieux, de courir les risques que cette entrée comportait.

 Sur les erreurs factuelles invoquées par les requérantes

113    Les requérantes font valoir que la Commission a commis plusieurs erreurs factuelles lors de l’appréciation des preuves qu’elle a utilisées pour conclure qu’il existait une concurrence potentielle entre elles et Lundbeck. Il résulterait de plusieurs documents que, même à défaut de conclure les accords litigieux, elles ne seraient pas entrées sur le marché avec le citalopram dont elles disposaient, étant donné que celui-ci avait été produit selon le procédé Cipla I, qui violait le brevet sur la cristallisation. Par ailleurs, elles n’auraient pas pu rapidement obtenir une AMM pour le Royaume-Uni.

114    La Commission conteste les arguments des requérantes.

115    Il y a lieu d’examiner les preuves dont la Commission disposait et de vérifier si les arguments des requérantes permettent de considérer que celles-ci ne suffisent pas pour étayer les conclusions retenues dans la décision attaquée. Cet examen doit être effectué à l’aune, notamment, des principes rappelés aux points 69 à 76 ci-dessus, en ce qui concerne la charge de la preuve.

116    Par ailleurs, il y a lieu de confirmer l’approche de la Commission, telle qu’elle ressort de l’ensemble de la décision attaquée, qui consiste à tenir compte principalement des éléments de preuve antérieurs ou contemporains aux dates auxquelles les accords litigieux ont été conclus (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T‑540/08, Rec, EU:T:2014:630, point 75 et jurisprudence citée). En effet, d’une part, la Commission ne peut pas reconstituer le passé en imaginant les évènements qui se seraient produits et qui ne se sont précisément pas produits en raison de ces accords. D’autre part, les parties à ces accords ont désormais tout intérêt à faire valoir des arguments tendant à démontrer qu’elles n’avaient aucune perspective réaliste d’entrer sur le marché ou qu’elles pensaient que leurs produits violaient l’un ou l’autre brevet de Lundbeck. C’est néanmoins uniquement sur la base des informations dont elles disposaient à l’époque et de leur perception du marché à ce moment-là qu’elles ont décidé d’adopter une ligne de conduite et de conclure les accords litigieux.

117    C’est sans commettre d’erreur, dès lors, que la Commission s’est placée au moment où ces accords ont été conclus pour évaluer la situation concurrentielle entre les requérantes et Lundbeck, étant précisé que des éléments de preuve postérieurs peuvent également être pris en compte pour autant qu’ils permettent de mieux établir quelle était la position de ces entreprises à l’époque, de confirmer ou d’infirmer les thèses de celles-ci à cet égard ainsi que de mieux comprendre le fonctionnement du marché concerné. En tout état de cause, ces éléments ne sauraient être décisifs aux fins de l’examen de l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties aux accords litigieux.

 Sur la possibilité d’entrer sur le marché avec le citalopram produit selon les procédés Cipla I et Matrix I

118    S’agissant de l’accord UK, signé le 24 janvier 2002, il convient de rappeler que, aux considérants 375 et 878 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, le 22 mai 2001, les requérantes avaient conclu un accord avec Tiefenbacher afin d’acheter, d’une part, les AMM que celle-ci avait demandées dans plusieurs pays de l’EEE concernant le citalopram générique ainsi que, d’autre part, des comprimés de ce médicament lui-même, contenant l’IPA produit par Cipla ou par Matrix.

119    Aux considérants 379 et 878 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, le 10 septembre 2001, les requérantes avaient commandé auprès de Tiefenbacher des comprimés de citalopram générique pour une valeur égale à 2,8 millions de marks allemands (DEM), qu’elles avaient reçus en partie au mois de novembre 2001 et en partie pendant la deuxième semaine du mois de janvier 2002. Ces comprimés avaient été réalisés avec l’IPA produit selon le procédé Cipla I.

120    Il résulte du considérant 382 de la décision attaquée que, le 14 décembre 2001, une réunion s’est tenue entre les requérantes et Tiefenbacher. Selon les notes portant sur cette réunion, qui ont été établies par les requérantes au plus tard le 17 décembre 2001 et qu’elles ont produites devant le Tribunal, Tiefenbacher considérait que le citalopram produit selon le procédé Cipla I aurait pu violer le brevet sur la cristallisation, si celui-ci était concédé au Royaume-Uni (voir point 10 ci-dessus), bien que Cipla soutînt que son procédé correspondait à l’un de ceux visés par les brevets originaires. Lesdites notes font également état du fait que les requérantes voulaient préparer une stratégie de défense à l’égard des demandes d’injonction que Lundbeck allait introduire devant les juridictions compétentes afin de s’opposer à leur entrée sur le marché du Royaume-Uni. De plus, le courriel par lequel ces notes ont été transmises mentionne le fait qu’un collaborateur d’Arrow avait examiné les procédés Cipla I et Matrix I et en avait conclu que ceux-ci ne semblaient pas contrefaire le brevet sur la cristallisation.

121    Selon le considérant 383 de la décision attaquée, le 21 décembre 2001, les requérantes ont acheté à Tiefenbacher une demande d’AMM que celle-ci avait précédemment déposée auprès des autorités compétentes du Royaume-Uni. Cette demande, qui était fondée, selon la procédure de reconnaissance mutuelle visée à l’article 18 de la directive 2001/83, sur l’AMM que Tiefenbacher avait obtenue aux Pays-Bas auparavant, a abouti au mois de juillet 2002, après l’échec de l’action que Lundbeck avait introduite aux Pays-Bas contre cette dernière AMM. À cet égard, il convient de noter que, ainsi que l’a mis en avant la Commission au considérant 882 de la décision attaquée, la concurrence potentielle démarre avant la concession d’une AMM (voir points 79 à 83 ci-dessus) et que, en tout état de cause, cette dernière a été concédée pendant la durée de l’accord UK.

122    Au considérant 387 de la décision attaquée, la Commission a mis en avant le fait que, dans un courriel envoyé aux requérantes le 15 janvier 2002, Cipla s’était dite prête à les soutenir dans le cadre d’un éventuel contentieux avec Lundbeck, bien qu’elle voulût fournir les informations nécessaires concernant son procédé directement aux autorités compétentes, et non d’abord aux requérantes ou à Tiefenbacher. Ainsi, il importe peu que, selon un courriel du 11 janvier 2002 invoqué par les requérantes, Cipla n’ait pas voulu donner davantage d’informations sur son procédé.

123    Il résulte du considérant 389 de la décision attaquée que les requérantes, dans un courriel du 22 janvier 2002, en réponse à l’avertissement que Lundbeck leur avait envoyé la veille, ont informé celle-ci du fait qu’elles ne pensaient pas violer ses nouveaux brevets.

124    Dans un courriel du 23 janvier 2002, cité aux considérants 390, 880 et 887 de la décision attaquée et adressé à un producteur de l’IPA du citalopram, Resolution Chemicals, qui était une filiale des requérantes (voir point 5 ci-dessus), a affirmé ce qui suit :

« [O]n lance au Royaume-Uni la semaine prochaine. »

125    Elle a également manifesté un intérêt pour l’IPA dudit producteur, en tant que deuxième source d’IPA.

126    Enfin, il convient de rappeler que, au septième considérant du préambule UK, Arrow UK n’a pas admis avoir violé les nouveaux brevets de Lundbeck, mais s’est limitée à faire observer qu’elle ne pouvait pas démentir cette accusation par des preuves irréfutables.

127    Ces éléments de preuve, auxquels il convient d’ajouter le fait que, ainsi que cela a été relevé au point 90 ci-dessus, Lundbeck était consciente du risque que le brevet sur la cristallisation pût être déclaré invalide, ce qui aurait privé de conséquence la violation de ce brevet par les requérantes, permettent de considérer que, lors de la conclusion de l’accord UK, les requérantes étaient prêtes à prendre le risque d’entrer sur le marché du Royaume-Uni, en raison des démarches qu’elles avaient entreprises, y compris pour préparer leur défense en cas de contentieux avec Lundbeck et pour obtenir une AMM dans un délai raisonnable.

128    Des conclusions analogues peuvent être tirées en ce qui concerne les prorogations de l’accord UK (voir point 15 ci-dessus). En effet, les addenda par lesquels celles-ci ont été décidées contiennent un considérant identique à celui visé au point 126 ci-dessus.

129    Les autres éléments de preuve invoqués par les requérantes ne remettent pas en cause les conclusions auxquelles la Commission est parvenue.

130    À cet égard, il convient d’observer qu’ils sont postérieurs à la date de la conclusion de l’accord UK, si bien que leur force probante est réduite, conformément aux considérations énoncées aux points 116 et 117 ci-dessus.

131    En premier lieu, les requérantes se prévalent d’un échange de courriels entre elles et Tiefenbacher, datant de la période allant du 25 au 29 janvier 2002, qui démontrerait que le fondateur d’Arrow, lorsqu’il a signé l’accord UK, avait été informé, par une directrice de cette dernière entreprise, de l’existence de doutes sérieux quant au caractère non infractionnel du procédé Cipla I.

132    Certes, il résulte de cet échange de courriels que ces entreprises étaient conscientes de la possibilité que le procédé Cipla I violât le brevet sur la cristallisation. Toutefois, il n’en découle pas qu’il existait une certitude sur ce point. De plus, ces courriels confirment que Cipla était prête à coopérer avec Tiefenbacher pour assister les requérantes en cas de contentieux avec Lundbeck. Il s’ensuit que, si cet échange de courriels fait état de difficultés, il ne permet cependant pas de conclure que, avant de signer l’accord UK, les requérantes avaient renoncé à leur plan d’entrer sur le marché du Royaume-Uni, y compris avec le citalopram produit selon le procédé Cipla I.

133    En deuxième lieu, les requérantes invoquent un courriel que Tiefenbacher leur a adressé le 13 février 2002, qui confirmerait que le procédé Cipla I violait le brevet sur la cristallisation.

134    À cet égard, il convient de relever que ledit courriel, outre qu’il ne permet pas d’établir quelle était la position des requérantes avant de conclure l’accord UK, n’exclut aucunement que les requérantes auraient pu invoquer l’invalidité du brevet sur la cristallisation, dans l’hypothèse où Lundbeck aurait introduit une action en contrefaçon contre elles.

135    En troisième lieu, les requérantes s’appuient sur le témoignage du fondateur d’Arrow, du 6 novembre 2012, qui ferait état de la position de cette entreprise à l’époque de la conclusion des accords litigieux.

136    Or, il y a lieu de constater que ce témoignage a manifestement été rédigé aux fins de la procédure et à une date éloignée de l’époque des faits, si bien qu’il ne présente qu’une très faible valeur probante (voir, en ce sens, arrêt Lafarge/Commission, point 97 supra, EU:T:2008:255, point 509).

137    En tout état de cause, ce témoignage ne permet pas d’établir que les requérantes avaient renoncé à leur plan d’entrer sur le marché du citalopram au Royaume-Uni, mais se limite à faire état de difficultés et d’incertitudes en ce qui concerne le procédé Cipla I et d’un prétendu manque de coopération de la part de Cipla. Cependant, il résulte du considérant 387 de la décision attaquée que Cipla était prête à soutenir les requérantes dans un éventuel contentieux avec Lundbeck (voir point 122 ci-dessus).

138    S’agissant de la possibilité, contestée par les requérantes, qu’elles passent au citalopram produit selon le procédé Matrix I, que Tiefenbacher aurait pu leur fournir, il y a lieu de relever que, selon le courriel d’accompagnement des notes sur la réunion du 14 décembre 2001 (voir point 120 ci-dessus), celles-ci estimaient que ledit procédé ne violait probablement pas le brevet sur la cristallisation. Ces notes mentionnent également la possibilité que les requérantes passent au citalopram de Matrix, tout en présumant qu’il ne soit pas possible d’effectuer un tel changement au stade où elles se trouvaient à l’époque.

139    À cet égard, il convient de noter que, comme l’a relevé à juste titre la Commission aux considérants 885, 886, 889, 895 et dans la note en bas de page n° 1636 de la décision attaquée, l’accord des requérantes avec Tiefenbacher permettait un tel passage, si bien que le fait qu’une telle option puisse avoir été une solution moins avantageuse pour les requérantes que celle consistant à conclure des accords avec Lundbeck n’empêche pas de considérer qu’elles disposaient d’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché avec du citalopram produit selon le procédé Matrix I.

140    En effet, la circonstance que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse s’avérer être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, Rec, EU:T:2004:219, point 73, et Dalmine/Commission, T‑50/00, Rec, EU:T:2004:220, point 211).

141    Le fait, invoqué par les requérantes, que, à une date postérieure à celle de la conclusion des accords litigieux, Matrix a développé un nouveau procédé (ci-après le « procédé Matrix II »), ainsi que cela résulte de la note en bas de page n° 155 de la décision attaquée, ne démontre pas que le procédé Matrix I violait le brevet sur la cristallisation, mais témoigne seulement des efforts de Matrix pour se mettre ultérieurement à l’abri de tout risque de contrefaçon.

142    Il résulte de ce qui précède que la Commission a correctement apprécié les preuves et que celles-ci soutiennent les conclusions auxquelles elle est parvenue en ce qui concerne le fait que les requérantes n’avaient pas abandonné leur projet d’entrer sur le marché du Royaume-Uni avec le citalopram produit selon le procédé Cipla I et qu’elles disposaient de la possibilité réelle et concrète de passer au citalopram produit selon le procédé Matrix I.

143    En ce qui concerne l’accord danois, en plus de se référer aux éléments de preuves déjà visés ci-dessus au sujet de l’accord UK, il y a lieu d’observer qu’il résulte des considérants 450, 454, 967 et 968 de la décision attaquée ainsi que du troisième considérant du préambule DK que les requérantes, même après que Lundbeck avait obtenu le brevet sur la cristallisation au Danemark, poursuivaient leurs démarches visant à pouvoir disposer d’une AMM dans un délai raisonnable, pour pouvoir vendre sur le marché danois du citalopram générique fourni par Tiefenbacher et produit selon les procédés Cipla I ou Matrix I.

144    En outre, le septième considérant du préambule DK rappelle qu’Arrow Group n’admet pas violer les nouveaux brevets de Lundbeck.

145    Dès lors, la Commission a démontré à suffisance de droit que, au moment de la conclusion de l’accord danois, les requérantes étaient dans une relation de concurrence potentielle avec Lundbeck.

 Sur la possibilité pour les requérantes de se procurer du citalopram produit selon d’autres procédés

146    Les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas démontré le bien-fondé des affirmations contenues dans la décision attaquée (voir point 61 ci-dessus) selon lesquelles elles auraient pu se procurer du citalopram produit selon d’autres procédés pour éviter tout risque de contrefaire les nouveaux brevets de Lundbeck.

147    La Commission conteste les arguments des requérantes.

148    Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que le fait que les requérantes aient déjà consenti des investissements importants pour acheter du citalopram produit selon le procédé Cipla I ne suffit pas pour établir que, à défaut de conclure les accords litigieux, elles auraient été privées de la possibilité d’entrer sur le marché du Royaume-Uni et du Danemark en utilisant du citalopram produit selon d’autres procédés.

149    Ensuite, premièrement, s’agissant des prétendues difficultés découlant du fait que les requérantes ne disposaient pas d’AMM couvrant les procédés d’autres fournisseurs d’IPA, il convient de rappeler que l’accomplissement de démarches par une entreprise pour obtenir une AMM ou pour en modifier une dont elle dispose déjà fait partie de l’exercice d’une concurrence potentielle (voir points 79 à 83 ci-dessus).

150    Deuxièmement, les requérantes disposaient de la possibilité de passer au citalopram produit selon le procédé Matrix II, que Tiefenbacher aurait pu leur fournir. En effet, ce procédé a été mis au point pendant la durée des accords litigieux, si bien que les requérantes auraient pu l’utiliser si elles n’avaient pas conclu ces accords.

151    À cet égard, il convient de relever que, ainsi que cela résulte du considérant 420 de la décision attaquée, le 22 mai 2002, les requérantes ont modifié la demande d’AMM qu’elles avaient déjà introduite au Royaume-Uni, portant notamment sur le citalopram de Tiefenbacher produit suivant le procédé Matrix I, afin que cette AMM fût étendue au citalopram produit selon le procédé Matrix II. Cela démontre la faisabilité de telles démarches. Cette modification a été accordée le 23 décembre 2002, soit pendant la durée des accords litigieux.

152    Quant à la référence faite par les requérantes au litige Lagap, qui pouvait permettre d’établir si le procédé Matrix II, dont elles admettent avoir eu connaissance dès le mois de mai 2002, violait le brevet sur la cristallisation, il convient d’observer qu’il découle du considérant 63 de la décision attaquée que ce litige existait déjà depuis la fin de 2002, alors qu’il n’a été pris en compte dans les accords litigieux que lors de la deuxième prorogation de l’accord UK. Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu’elles avaient exclu le passage au citalopram produit selon le procédé Matrix II au motif qu’elles attendaient l’issue dudit litige. Ainsi, l’existence du litige Lagap n’est pas un élément déterminant afin d’établir si les requérantes avaient une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché avec du citalopram produit selon le procédé Matrix II.

153    Troisièmement, il convient d’observer que les requérantes avaient la possibilité de continuer à travailler avec Cipla afin d’améliorer son procédé. En effet, la Commission a souligné, notamment au considérant 898 de la décision attaquée, que, pendant la période couverte par les accords litigieux, Cipla avait développé un nouveau procédé (ci-après le « procédé Cipla II »). Ainsi, les requérantes auraient pu chercher à vendre du citalopram produit en utilisant le procédé Cipla II, à l’instar de ce qu’a fait une autre entreprise de génériques, sans que Lundbeck pût utilement s’y opposer, comme la Commission l’a indiqué dans la note de bas de page n° 1671 de la décision attaquée.

154    Quatrièmement, en ce qui concerne la possibilité, contestée par les requérantes, qu’elles passent au citalopram produit selon le procédé utilisé par Ranbaxy, ainsi que le fait remarquer la Commission, il n’y avait, en janvier 2002, aucune raison de penser qu’une entrée sur le marché avec ce citalopram n’aurait pas été réaliste avant la fin de l’année 2002, à savoir avant l’expiration de la durée initiale de l’accord UK. En effet, le 11 janvier 2002, les requérantes ont obtenu un certificat d’analyse du citalopram qui leur avait été proposé par Ranbaxy (voir considérants 386 et 896 de la décision attaquée). En mai 2002, Ranbaxy était en position de soumettre aux requérantes une offre concrète d’approvisionnement en citalopram (voir considérant 419 de la décision attaquée).

155    En outre, il convient de noter que, dans leur réponse du 6 mai 2011 à une demande de renseignements de la Commission, les requérantes n’ont pas fait valoir les raisons qu’elles invoquent à présent pour soutenir que le passage à l’IPA de Ranbaxy n’était pas une possibilité réelle et concrète, mais ont affirmé que leur choix de ne pas suivre cette voie s’expliquait peut-être par le fait que, au vu des prix demandés, l’offre de Ranbaxy n’était pas compétitive.

156    En ce qui concerne le fait, invoqué par les requérantes, que, lors de la conclusion de l’accord UK, Ranbaxy n’avait pas encore entamé la procédure pour obtenir une AMM, il convient de rappeler que l’accomplissement de telles démarches, de la part non seulement d’un producteur d’IPA, mais également des entreprises de génériques intéressées par la vente des médicaments génériques produits à partir de cet IPA, fait partie de la concurrence potentielle (voir points 79 à 83 ci-dessus), au moins lorsque le producteur en cause est en train d’effectuer les démarches nécessaires pour obtenir une AMM couvrant l’IPA produit selon son procédé. De plus, les requérantes auraient pu demander une modification de leur propre demande d’AMM qui était en cours d’examen au Royaume-Uni afin que celle-ci couvrît également le procédé de Ranbaxy, comme elles l’ont fait s’agissant du citalopram produit selon le procédé Matrix II (voir point 151 ci-dessus).

157    S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel Ranbaxy ne proposait que du citalopram sous forme d’IPA, si bien qu’elles auraient dû trouver une manière pour obtenir le produit fini à vendre, il convient de noter que de telles démarches relèvent également de la concurrence potentielle. Cela est d’autant plus le cas à l’égard des requérantes, dont le but ultime était, ainsi que cela résulte de la réponse à la demande de renseignements de la Commission susmentionnée, non seulement de vendre des comprimés de citalopram générique produit par des tiers, mais, à terme, également d’en produire elles-mêmes.

158    Dès lors, les requérantes avaient des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur les marchés visés par les accords litigieux pendant la durée de ceux-ci en changeant de fournisseur ou de producteur d’IPA, ainsi que la Commission l’a retenu à juste titre.

 Sur l’applicabilité des lignes directrices sur le transfert de technologie

159    Les requérantes invoquent le paragraphe 32 des lignes directrices sur le transfert de technologie, en application duquel la Commission aurait dû reconnaître que les nouveaux brevets de Lundbeck créaient une situation de blocage empêchant toute concurrence.

160    La Commission conteste les arguments des requérantes.

161    Il y a lieu de noter, à l’instar de la Commission au considérant 677 de la décision attaquée, que les lignes directrices sur le transfert de technologie ne sont pas applicables en l’espèce, étant donné que Lundbeck n’a transféré aucune technologie aux requérantes au moyen des accords litigieux.

162    En tout état de cause, il ressort du paragraphe 32 des lignes directrices sur le transfert de technologie que celles-ci font référence à la possibilité d’autoriser un accord si une situation de blocage existe effectivement, sur la base d’éléments objectifs que les parties à un accord de transfert de technologie doivent produire, et non sur la base d’une présomption. Or, une telle situation de blocage n’existait pas en l’espèce, les requérantes disposant de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché.

163    Dès lors, ces arguments des requérantes doivent être écartés.

 Sur la pertinence de l’arrêt Paroxetine

164    Les requérantes invoquent l’arrêt Paroxetine, point 78 supra, qui constituerait un élément important altérant fondamentalement le contexte juridique dans lequel les entreprises de génériques opéraient à l’époque de la conclusion des accords litigieux. En effet, cet arrêt aurait significativement modifié le contexte en matière de litiges portant sur des brevets au Royaume-Uni, en fixant une norme très basse pour l’octroi de mesures provisoires en faveur du titulaire d’un brevet.

165    La Commission conteste les arguments des requérantes.

166    En l’espèce, les parties divergent principalement quant à la portée et à l’interprétation à donner à l’arrêt Paroxetine, point 78 supra, dans la mesure où la Commission soutient, contrairement aux requérantes, que celui-ci n’a pas fondamentalement modifié les règles pour les entreprises de génériques et consiste plutôt en un cas bien spécifique, précisant l’obligation pour ces entreprises d’informer les détenteurs de brevets de leur ferme intention d’entrer sur le marché, afin de permettre à ceux-ci de prendre les mesures qui s’imposent. Selon les requérantes, la Commission n’a pas suffisament tenu compte des implications dudit arrêt.

167    À cet égard, il convient de rappeler qu’une question relative à l’interprétation du droit national d’un État membre est une question de fait (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 21 décembre 2011, A2A/Commission, C‑318/09 P, EU:C:2011:856, point 125 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2014, Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission, T‑309/12, EU:T:2014:676, point 222 et jurisprudence citée) sur laquelle le Tribunal est tenu, en principe, d’exercer un contrôle entier (voir point 77 ci-dessus).

168    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 78 supra, la juridiction concernée a appliqué les principes régissant la délivrance d’injonctions provisoires en droit anglais et a estimé que la mise en balance des intérêts penchait en faveur du laboratoire de princeps au vu des circonstances particulières de l’affaire et notamment du fait que l’entreprise de génériques dont il s’agissait n’avait pas « levé les obstacles » en informant ledit laboratoire de sa ferme intention de lancer son produit générique sur le marché, alors qu’elle s’était préparée à une telle entrée pendant quatre ans et en dépit du fait qu’elle savait que celui-ci détenait des brevets lui permettant d’intenter une action en contrefaçon à son égard.

169    Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’interprétation et la portée exacte à donner à l’arrêt Paroxetine, point 78 supra, il convient de relever, à l’instar de la Commission, qu’il existe plusieurs différences entre le cas d’espèce et celui ayant donné lieu audit arrêt.

170    En effet, d’une part, il résulte du considérant 374 de la décision attaquée que, déjà le 15 décembre 2000, Lundbeck et les requérantes ont pris contact afin de discuter de la question du citalopram générique. En outre, au considérant 389 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, au mois de janvier 2002, les requérantes avaient confirmé à Lundbeck qu’elles se préparaient à entrer sur le marché du Royaume-Uni.

171    D’autre part, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 78 supra, le brevet potentiellement violé par l’entreprise de génériques en question existait déjà pendant toute la période au cours de laquelle celle-ci s’était préparée à entrer sur le marché, alors que, en l’espèce, la demande de brevet sur la cristallisation au Royaume-Uni n’a été déposée par Lundbeck que le 12 mars 2001 et n’a été publiée que le 4 juillet 2001, le brevet lui-même n’ayant été octroyé que le 30 janvier 2002, soit après la conclusion de l’accord UK.

172    Par ailleurs, il convient de noter que, ainsi que le fait observer à juste titre la Commission, les requérantes ne tentent même pas d’expliquer pourquoi Lundbeck, entreprise expérimentée et conseillée par des avocats spécialisés, a préféré conclure un accord onéreux tel que l’accord UK, par lequel elle n’a obtenu qu’un report de l’entrée des requérantes sur le marché du Royaume-Uni, au lieu de demander l’adoption d’une mesure provisoire à cette même fin, mesure qui, si l’interprétation de l’arrêt Paroxetine, point 78 supra, était correcte, aurait assurément été octroyée. L’attitude de Lundbeck confirme, dès lors, que cet arrêt n’avait pas créé une situation dans laquelle les requérantes étaient privées de la possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché.

173    Il découle de ce qui précède qu’il convient de rejeter le grief des requérantes selon lequel la Commission n’a pas suffisamment tenu compte des implications de l’arrêt Paroxetine, point 78 supra.

174    Au vu de toutes les considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la Commission a démontré à suffisance de droit que, lors de la conclusion des accords litigieux, les requérantes étaient des concurrents potentiels de Lundbeck, si bien que le présent moyen doit être rejeté dans son ensemble.

2.     Sur le troisième moyen, tiré du fait que les accords litigieux ne constituent pas des restrictions par objet

175    Par leur troisième moyen, les requérantes contestent, sous plusieurs aspects, le fait que, dans la décision attaquée, la Commission a qualifié les accords litigieux de restrictions de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En substance, leurs griefs à cet égard peuvent être regroupés en six branches, qui ont trait :

–        la première, à la portée des obligations découlant de ces accords ;

–        la deuxième, aux conditions nécessaires pour qualifier un accord de restrictif par objet ;

–        la troisième, au rôle des paiements prévus dans les accords litigieux et à l’asymétrie des risques entre les parties à ceux-ci ;

–        la quatrième, aux montants de ces paiements ;

–        la cinquième, à un défaut de motivation ;

–        la sixième, à des erreurs en ce qui concerne le scénario qui se serait produit en l’absence des accords litigieux (ci-après le « scénario contrefactuel »).

 Sur la première branche

176    Par la première branche du présent moyen, les requérantes contestent l’interprétation des accords litigieux retenue dans la décision attaquée.

177    Il y a lieu d’examiner la portée, dans un premier temps, de l’accord UK et, dans un second temps, de l’accord danois.

 Sur l’interprétation de l’accord UK

178    Il convient de rappeler que le point 1.1 UK est libellé comme suit :

« Arrow [UK], en son propre nom et au nom de toutes les entités associées et liées, s’engage à ne pas, pendant la [durée de l’accord UK] et sur le territoire du Royaume-Uni, fabriquer, céder, proposer de céder, utiliser ou, après la seconde date de livraison, importer ou conserver pour cession ou autre finalité, (1) [‘]ledit Citalopram[’] ou (2) tout autre citalopram qui, selon Lundbeck, enfreint ses droits de propriété [intellectuelle], et, pour permettre à Lundbeck de déterminer l’existence ou non d’une infraction, à fournir à celle-ci pendant la [durée de l’accord UK] suffisamment d’échantillons à des fins d’analyse, au moins un mois avant toute fabrication, importation, vente ou offre de vente qu’Arrow [UK] menacerait d’effectuer dans l’attente d’une décision finale non susceptible de recours dans [le cadre de l’action en contrefaçon UK…] »

179    En premier lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a mal apprécié la portée de l’expression « ledit Citalopram », utilisée au point 1.1 UK. En effet, il serait erroné d’affirmer que « ledit Citalopram » ne se limite pas à couvrir le citalopram que les requérantes avaient déjà commandé auprès de Tiefenbacher, et qui aurait été produit en violation des nouveaux brevets de Lundbeck, mais inclurait également celui qu’elles pourraient commander par la suite auprès du même fournisseur et qui pourrait être produit selon des procédés ne contrefaisant pas ces brevets. Selon les requérantes, l’expression « ledit Citalopram » ne viserait que le citalopram produit selon les procédés Cipla I et Matrix I. Lors de l’audience, elles ont précisé que cette expression se référait à tout citalopram produit selon ces derniers procédés, et non seulement aux comprimés qu’elles avaient déjà commandés avant de conclure l’accord UK.

180    Par ailleurs, les requérantes font observer que leur interprétation est confirmée par le fait que l’AMM dont Tiefenbacher disposait aux Pays-Bas (voir point 121 ci-dessus) ne couvrait que ces procédés. En revanche, les requérantes seraient demeurées libres de commander auprès de Tiefenbacher du citalopram produit selon de nouveaux procédés, ce qui s’accorderait avec le fait que, pendant la durée de l’accord UK, elles ont adapté leur demande d’AMM au Royaume-Uni afin que celle-ci pût couvrir d’autres procédés que ceux visés par l’AMM de Tiefenbacher, obtenue aux Pays-Bas.

181    La Commission conteste les arguments des requérantes.

182    Afin d’interpréter la signification de l’expression « ledit citalopram », qui figure au point en cause de l’accord UK, il doit être rappelé que :

–        cette expression est une convention d’écriture prise au quatrième considérant du préambule UK, dans les termes suivants : « Arrow [UK] a obtenu une licence auprès d’une tierce partie d’importer au Royaume-Uni du citalopram non fabriqué par Lundbeck ou avec l’autorisation de Lundbeck (‘ledit Citalopram’, une telle définition incluant, pour éviter tout doute, seulement le Citalopram destiné au marketing et à la vente au Royaume-Uni et excluant celui destiné au marketing et à la vente dans d’autres pays) » ;

–        il résulte du point 3.4 UK que la « seconde date de livraison » mentionnée au point 1.1 UK est la date à laquelle Arrow UK devait livrer à Lundbeck la seconde tranche de son stock « dudit Citalopram » et que cette livraison devait se faire au plus tard le 15 février 2002.

183    Aux considérants 905, 910 à 913 et 916 de la décision attaquée, la Commission a estimé que l’expression « ledit Citalopram » devait être interprétée en ce sens qu’elle visait non seulement le citalopram que les requérantes avaient déjà acheté auprès de Tiefenbacher, mais également tout citalopram que celles-ci pourraient acheter de cette même entreprise par la suite, et ce même si l’IPA utilisé était désormais produit suivant les procédés Cipla II ou Matrix II. À cette fin, la Commission s’est fondée sur la référence, au point 1.1 UK, à la période postérieure à la « seconde date de livraison », telle qu’elle ressort du point 3.4 UK, ce qui empêche, selon elle, de limiter la notion visée par l’expression « ledit Citalopram » à celui que les requérantes avaient déjà en stock, et sur le libellé du quatrième considérant du préambule UK, dont il résulterait que « ledit Citalopram » est tout citalopram produit par Tiefenbacher et couvert par l’AMM de celle-ci.

184    Au vu des éléments qui viennent d’être rappelés, il convient d’observer que l’une des obligations prévues au point 1.1 UK consiste à interdire aux requérantes d’importer ou de conserver « ledit Citalopram » après la seconde date de livraison visée au point 3.4 UK. Or, cette obligation n’a un sens et un effet utile que si cette expression vise également du citalopram provenant, certes, de Tiefenbacher, mais que les requérantes commanderaient après cette livraison. Sur ce point, il doit être noté que rien dans le libellé de cette clause ne permet de considérer que l’obligation susmentionnée ne concerne pas « ledit Citalopram », mais vise seulement « tout autre citalopram qui, selon Lundbeck, enfreint ses droits de propriété [intellectuelle] ».

185    De même, la définition correspondant à l’expression « ledit Citalopram » figurant au quatrième considérant du préambule UK est formulée dans des termes qui ne peuvent pas être interprétés en ce sens qu’ils ne visent que le citalopram que les requérantes avaient déjà acheté auprès de Tiefenbacher. En effet, ce considérant signifie que tout citalopram couvert par l’AMM dont Tiefenbacher disposait était inclus dans la définition correspondant à l’expression « ledit Citalopram ». Or, cette AMM s’appliquait au citalopram produit selon les procédés Cipla I et Matrix I, indépendamment du fait que les comprimés que les requérantes avaient en stock contenaient uniquement du citalopram produit selon le procédé Cipla I.

186    S’il est vrai que le demandeur ou le titulaire d’une AMM peut solliciter auprès de l’administration devant concéder ou ayant concédé celle-ci des modifications afin d’en étendre la portée également à d’autres procédés, les requérantes sont néanmoins fondées à soutenir que rien dans le considérant en cause ne permet d’établir que les parties à l’accord UK, lorsqu’elles ont défini « ledit Citalopram », ont visé également l’IPA produit selon les procédés Cipla II et Matrix II, qui n’auraient pu être couverts par l’AMM de Tiefenbacher qu’à la suite d’une modification de celle-ci.

187    Enfin, l’interprétation de l’expression « ledit Citalopram » proposée par les requérantes (voir point 179 ci-dessus) n’est pas remise en cause par le fait, invoqué par la Commission, que, dans l’ordonnance par consentement (voir point 18 ci-dessus), cette expression ait été remplacée par l’expression « Citalopram non produit par Lundbeck ou avec l’autorisation de celle-ci ». En effet, l’ordonnance par consentement, tout en ayant été adoptée à la suite de la conclusion de l’accord UK, est un instrument juridique distinct de ce dernier. De plus, c’est cette ordonnance qui doit être interprétée à la lumière de l’accord qui en constitue la prémisse, et non l’inverse.

188    Par conséquent, il faut entendre par « ledit Citalopram » tout citalopram produit par Tiefenbacher selon les procédés Cipla I ou Matrix I, que les requérantes avaient déjà acheté à la date de la signature de l’accord UK ou qu’elles pourraient acheter par la suite.

189    En second lieu, les requérantes font valoir que l’expression « tout autre citalopram qui, selon Lundbeck, enfreint ses droits de propriété [intellectuelle] », employée au point 1.1 UK, ne couvre pas n’importe quel citalopram générique. En effet, la portée de cette expression devrait être comprise à la lumière du mécanisme d’échantillonnage également mentionné dans ce point, qui était censé permettre aux requérantes de trouver d’autres sources de citalopram et, en cas de succès dans cette recherche, de soumettre ce citalopram à Lundbeck, selon les enseignements de l’arrêt Paroxetine, point 78 supra (voir point 168 ci-dessus). Tout en admettant que ce mécanisme n’ait pas été utilisé, les requérantes avancent que cela découle du fait qu’elles n’ont pas pu trouver de citalopram qui, à leurs yeux, ne contrefasse pas les nouveaux brevets de Lundbeck et, par la survenance du litige Lagap, qui ait donné l’occasion d’effectuer un test important quant aux procédés couverts par ces brevets. Elles se réfèrent également aux principes de droit anglais concernant l’interprétation des contrats.

190    La Commission conteste les arguments des requérantes.

191    Il convient de rappeler que, notamment aux considérants 917 et 922 à 924 de la décision attaquée, la Commission a retenu que l’expression en cause permettait à Lundbeck d’opposer un véto à l’importation ou à la vente par les requérantes de citalopram produit selon n’importe quel procédé, dans la mesure où celle-ci pouvait se limiter à déclarer qu’elle croyait qu’un procédé donné violait ses droits de propriété intellectuelle. La Commission a également relevé que le mécanisme d’échantillonnage prévu au point 1.1 UK n’avait jamais été utilisé, dès lors que les requérantes n’avaient aucun intérêt à remettre en cause les allégations de Lundbeck concernant le résultat d’éventuels tests ni même à lui soumettre des IPA à examiner aussi longtemps que Lundbeck s’acquittait des paiements prévus.

192    À cet égard, il doit être souligné que, ainsi que le fait remarquer à juste titre la Commission, les requérantes, en réponse à une demande de renseignements de celle-ci du 18 décembre 2008, ont admis ce qui suit :

« Le test prévu [au point 1.1 UK] est un test subjectif relatif à une infraction alléguée, et non à une infraction avérée. Dès lors, des produits contenant du citalopram par rapport auxquels aucune juridiction n’a établi l’absence de violation [des droits de propriété intellectuelle de Lundbeck], mais qui ne sont pas réellement en infraction [de ces droits], auraient pu être inclus dans le champ d’application [dudit point], mais ceci est tout à fait d’usage dans des accords de cette nature. »

193    Cette déclaration confirme la thèse de la Commission selon laquelle Lundbeck disposait, en substance, d’un droit de veto. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, un tel droit ne peut pas être considéré comme étant équivalent à la situation prétendument créée par l’arrêt Paroxetine, point 78 supra. En effet, en plus des considérations exposées aux points 164 à 173 ci-dessus, il doit être observé que le mécanisme prévu au point 1.1 UK n’implique pas l’intervention d’un juge, alors que tel est à l’évidence le cas dans l’hypothèse visée par ledit arrêt, étant précisé qu’il n’est pas envisageable qu’un juge adopte une mesure provisoire sur la base de simples allégations formulées par le titulaire d’un brevet prétendument violé.

194    Par ailleurs, il convient de noter que l’existence de ce droit de veto ne rend pas superflue la partie du point 1.1 UK visant « ledit Citalopram », dès lors que, par rapport à ce dernier, Lundbeck n’avait même pas à exercer son droit de veto, les interdictions imposées aux requérantes concernant ce citalopram étant applicables sans que Lundbeck eût à faire quoi que ce soit, mise à part l’exécution des paiements prévus.

195    Le fait que le « test » prévu au point 1.1 UK, en raison de sa nature subjective, revenait à conférer à Lundbeck un droit de veto, dont les requérantes étaient conscientes, est corroboré par l’absence d’utilisation de ce « test » pendant la durée entière de l’accord UK. En effet, bien que, pendant la durée de cet accord, les requérantes aient continué à chercher de nouvelles sources d’IPA, ainsi qu’elles le soutiennent, elles n’ont jamais soumis d’échantillons à Lundbeck pour que celle-ci les examinât.

196    Sur ce point, premièrement, il convient de relever que les recherches des requérantes à cette fin peuvent s’expliquer par la volonté d’entrer sur des marchés autres que celui du Royaume-Uni. En effet, d’une part, les requérantes préparaient leur entrée sur le marché danois jusqu’au moment de la conclusion de l’accord danois, qui est intervenue plusieurs mois après l’accord UK. D’autre part, ainsi que la Commission l’a indiqué au considérant 931 de la décision attaquée, les requérantes s’intéressaient également au marché suédois. Deuxièmement, ainsi que cela résulte de la réponse des requérantes à une question de la Commission, celles-ci avaient besoin d’une alternative à Tiefenbacher pour mener à bien leur projet consistant à pouvoir, à terme, produire elles-mêmes leurs comprimés de citalopram générique, en achetant directement l’IPA auprès des producteurs, sans passer par un intermédiaire qui transformait cet IPA en comprimés (voir note en bas de page n° 1935 de la décision attaquée).

197    Par ailleurs, de telles recherches pouvaient relever des démarches entreprises pour préparer la période ouverte après l’expiration de l’accord UK, qui avait d’abord été conclu pour une durée inférieure à une année et qui a par la suite été prorogé à deux reprises. Ces considérations sont également valables en ce qui concerne le fait, invoqué par les requérantes, que, pendant la durée de l’accord UK, elles ont demandé une modification de l’AMM visant les procédés Cipla I et Matrix I afin que celle-ci couvrît également les procédés Cipla II et Matrix II.

198    Enfin, il doit être observé que la référence faite par les requérantes aux principes de droit anglais concernant l’interprétation des contrats ne remet pas en cause l’interprétation retenue par la Commission.

199    Certes, ainsi que cela a été rappelé au point 167 ci-dessus, une question relative à l’interprétation du droit national d’un État membre est une question de fait sur laquelle le Tribunal est tenu, en principe, d’exercer un contrôle entier. Cependant, s’il découle de la jurisprudence du Royaume-Uni invoquée par les requérantes que l’interprétation est la détermination du sens que le document aurait pour un observateur raisonnable disposant de toutes les informations nécessaires sur le contexte dont auraient raisonnablement pu disposer les parties dans la situation où elles se trouvaient au moment de la conclusion de l’accord à interpréter, il y a lieu de constater que, comme le soutient à juste titre la Commission, un tel observateur raisonnable et informé n’aurait pas été surpris par le fait que les parties à l’accord UK eussent accepté d’accorder à Lundbeck un droit de veto, opposable également au citalopram produit selon les procédés Cipla II et Matrix II, en contrepartie d’un paiement correspondant à une estimation générale du bénéfice que les requérantes auraient pu tirer de leur entrée sur le marché du Royaume-Uni.

200    En réalité, ledit observateur aurait considéré qu’un tel paiement était difficilement compatible avec le maintien de la possibilité pour les requérantes de la liberté de commencer à vendre du citalopram autre que « ledit citalopram », à savoir, celui produit selon les procédés Cipla I ou Matrix I. En effet, s’il en avait été autrement, les requérantes auraient pu profiter non seulement des paiements effectués par Lundbeck, mais également des bénéfices de l’entrée sur le marché, par exemple avec le citalopram produit selon les procédés Cipla II ou Matrix II, alors que Lundbeck aurait dû assumer tant les paiements que les pertes découlant de ladite entrée.

201    Il s’ensuit que les arguments des requérantes résumés au point 189 ci-dessus doivent être rejetés.

202    Il résulte de tout ce qui précède que le point 1.1 UK doit être interprété en ce sens que Lundbeck avait obtenu la certitude que les requérantes n’entreraient pas sur le marché du Royaume-Uni pendant la durée de l’accord UK avec quelque citalopram générique que ce soit.

 Sur l’interprétation de l’accord danois

203    Il convient de rappeler que le point 1.1 DK est libellé comme suit :

« Arrow [Group] accepte d’annuler et de cesser toute importation, fabrication, production, vente ou autre commercialisation de produits contenant du citalopram enfreignant, selon Lundbeck, les droits de propriété intellectuelle de celle-ci sur le territoire [danois] pendant la durée [de l’accord danois]. »

204    Les requérantes soutiennent que le préambule DK permet de comprendre que ledit point doit être interprété en ce sens qu’il ne vise que le citalopram que les requérantes avaient déjà acheté auprès de Tiefenbacher.

205    La Commission conteste les arguments des requérantes.

206    Il convient de noter que, certes, les troisième et cinquième considérants du préambule DK, lus à la lumière des précisions figurant à leur égard au considérant 986 de la décision attaquée, non remises en cause par les requérantes, se réfèrent au fait que les requérantes étaient sur le point d’acheter une AMM qui leur aurait permis de vendre au Danemark du citalopram qui avait été produit selon les procédés Cipla I ou Matrix I et qui avait fait l’objet de tests de laboratoire de la part de Lundbeck. Le quatrième considérant de ce préambule mentionne aussi l’intention des requérantes d’exporter de l’Allemagne vers le Danemark du citalopram en vrac provenant de Tiefenbacher.

207    Cependant, ces références, si elles expliquent le contexte dans lequel l’accord danois est intervenu, ne suffisent pas pour remettre en cause le fait que le point 1.1 DK présente un libellé clair, dont la portée ne saurait être réduite à celle proposée par les requérantes.

208    En effet, si les parties à cet accord avaient voulu réduire la portée des obligations visées par celui-ci au citalopram que les requérantes avaient en stock, elles auraient pu choisir un libellé adapté à cette fin, au lieu d’en choisir un très large, mais qui devrait voir sa portée limitée par une interprétation à la lumière de considérants du préambule qui, de surcroît, ne sont pas formulés dans des termes laissant clairement apparaître la volonté d’introduire de limitations.

209    Dès lors, il y a lieu de conclure que la Commission n’a commis aucune erreur d’appréciation en considérant que le point 1.1 DK devait être interprété en ce sens que Lundbeck avait obtenu la certitude que les requérantes n’entreraient pas sur le marché danois pendant la durée de celui-ci, avec quelque citalopram générique que ce soit.

210    À la lumière des considérations qui précèdent, la première branche du présent moyen doit être rejetée dans son ensemble.

 Sur la deuxième branche

211    Par la deuxième branche du présent moyen, telle que précisée à la suite de la question du Tribunal concernant les éventuelles conséquences sur la présente affaire de l’arrêt CB/Commission, point 43 supra (EU:C:2014:2204), les requérantes font valoir, en substance, que les accords litigieux ne constituent pas des restrictions de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, tel qu’interprété par la jurisprudence. La Commission aurait commis la même erreur que celle constatée dans ledit arrêt, dans la mesure où elle aurait appliqué la notion de restriction par objet à des accords qui ne s’y prêtaient pas.

212    La Commission conteste les arguments des requérantes.

213    Avant d’examiner plus en détail les arguments des requérantes, il y a lieu de formuler des observations liminaires relatives, notamment, à l’arrêt CB/Commission, point 43 supra (EU:C:2014:2204), et de rappeler brièvement l’analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, effectuée dans la décision attaquée.

 Observations liminaires

214    Il convient de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE prévoit ce qui suit :

« Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées […] qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :

a)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b)      limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c)      répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d)      appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e)      subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. »

215    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (arrêt CB/Commission, point 43 supra, EU:C:2014:2204, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, Rec, EU:C:1966:38, p. 359, 360, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, Rec, EU:C:2013:160, point 34).

216    Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêt CB/Commission, point 43 supra, EU:C:2014:2204, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., point 215 supra, EU:C:2013:160, point 35 et jurisprudence citée).

217    Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels ou consistant à exclure certains concurrents du marché, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré comme inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (arrêt CB/Commission, point 43 supra, EU:C:2014:2204, point 51 ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, Rec, ci-après l’« arrêt BIDS », EU:C:2008:643, points 33 et 34).

218    Dans l’hypothèse où l’analyse d’un type de coordination entre entreprises ne présenterait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait, en revanche, d’en examiner les effets et, pour l’interdire, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 215 supra, EU:C:2013:160, point 34, et CB/Commission, point 43 supra, EU:C:2014:2204, point 52).

219    Pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un accord et apprécier si celui-ci présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 215 supra, EU:C:2013:160, point 36, et CB/Commission, point 43 supra, EU:C:2014:2204, point 53).

220    En outre, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 215 supra, EU:C:2013:160, point 37, et CB/Commission, point 43 supra, EU:C:2014:2204, point 54).

 Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

221    La Commission a considéré, dans la décision attaquée, que les accords en cause constituaient des restrictions de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en se fondant, à cet égard, sur un ensemble de facteurs relatifs au contenu, au contexte et à la finalité desdits accords.

222    Elle a estimé, ainsi, qu’un élément important du contexte économique et juridique dans lequel les accords en cause avaient été conclus résidait dans le fait que les brevets originaires avaient expiré avant la conclusion de ces accords, mais que Lundbeck avait entre-temps obtenu ou demandé plusieurs brevets de procédé, dont ceux sur la cristallisation. La Commission a observé, cependant, qu’un brevet n’octroyait pas le droit de limiter l’autonomie commerciale des parties à un accord en allant au-delà des droits qui étaient conférés par celui-ci à son titulaire (considérant 638 de la décision attaquée).

223    Elle a considéré, dès lors, que, si tous les accords amiables en matière de brevets n’étaient pas nécessairement problématiques au regard du droit de la concurrence, tel était le cas lorsque de tels accords prévoyaient une exclusion du marché d’une des parties, qui était à tout le moins un concurrent potentiel de l’autre partie, pendant une durée déterminée, et lorsqu’ils étaient accompagnés d’un transfert de valeur du titulaire du brevet en faveur de l’entreprise de génériques susceptible de violer ce brevet (ci-après le « paiement inversé ») (considérants 639 et 640 de la décision attaquée).

224    Il ressort également de la décision attaquée que, même si les restrictions prévues par les accords en cause entraient dans le champ d’application des brevets de Lundbeck, c’est-à-dire que ces accords empêchaient uniquement l’entrée sur le marché du citalopram générique produit par un procédé jugé par les parties à ceux-ci comme contrefaisant potentiellement ces brevets, sans viser tout citalopram générique, ces accords seraient malgré tout restrictifs de la concurrence par objet, dans la mesure notamment où ils avaient empêché ou rendu inutile tout type de contestation des brevets de Lundbeck devant les juridictions nationales, alors même que, selon la Commission, ce type de contestation faisait partie du jeu normal de la concurrence en matière de brevets (considérants 603 à 605, 625, 641 et 674 de la décision attaquée).

225    En d’autres termes, selon la Commission, les accords en cause avaient transformé l’incertitude quant à l’issue de telles actions contentieuses en la certitude que les génériques n’entreraient pas sur le marché, ce qui pouvait également constituer une restriction de la concurrence par objet lorsque de telles limitations ne résultaient pas d’une analyse, par les parties à ces accords, des mérites du droit exclusif en cause, mais plutôt de l’importance du paiement inversé prévu qui, dans un tel cas, éclipsait cette évaluation et incitait l’entreprise de génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (considérant 641 de la décision attaquée).

226    Il convient de souligner, à cet égard, que la Commission n’a pas affirmé, dans la décision attaquée, que tous les règlements amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné de tels paiements, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que le fait que les montants de ces paiements semblaient correspondre au moins aux profits escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, l’absence de clauses permettant aux entreprises de génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de Lundbeck, permettait de conclure que les accords en cause avaient pour objet de restreindre la concurrence par objet, au sens de cette disposition, en l’espèce (voir considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

227    En ce qui concerne plus spécifiquement la qualification des accords litigieux, les principaux éléments sur lesquels la Commission s’est fondée sont ceux mentionnés au point 33 ci-dessus.

228    C’est à la lumière des principes et des considérations qui viennent d’être exposés qu’il y a lieu d’examiner si, comme le font valoir les requérantes, la Commission a commis des erreurs en concluant que les accords litigieux donnaient lieu à une restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

 Sur l’existence d’une restriction par objet en l’espèce

229    Il convient de rappeler qu’il résulte de l’examen du deuxième moyen et de la première branche du présent moyen, d’une part, que les requérantes étaient dans une relation de concurrence potentielle avec Lundbeck et, d’autre part, que, par les accords litigieux, celles-ci se sont engagées à ne pas entrer sur le marché du Royaume-Uni et du Danemark pendant les durées respectives de ces accords, et ce en contrepartie des montants que Lundbeck leur avait payés. À cet égard, il convient de noter que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, Lundbeck a ainsi obtenu des restrictions à leur comportement bien plus importantes que celles qu’elle aurait pu obtenir si elle avait choisi la voie contentieuse, en invoquant ses nouveaux brevets et si elle avait toujours obtenu gain de cause (ci-après les « restrictions allant au-delà du champ d’application des nouveaux brevets de Lundbeck »).

230    Or, ainsi que la Commission l’a pertinemment mis en exergue aux considérants 1300, 1331, 1332, 1338, 1361 et 1362 de la décision attaquée, il s’agit là, en substance, d’accords d’exclusion du marché. De tels accords se rapprochent largement de deux exemples d’accords particulièrement restrictifs visés par la liste non exhaustive contenue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, c’est-à-dire ceux y figurant sous b) et c) (voir point 214 ci-dessus), puisqu’une exclusion du marché est une forme extrême de la volonté de se répartir un marché et de limiter la production.

231    Par ailleurs, à supposer même que, comme le prétendent les requérantes, les accords litigieux n’aient visé que le citalopram produit selon les procédés Cipla I et Matrix I, la Commission aurait en tout état de cause été fondée à considérer que ces accords donnaient lieu à une restriction de la concurrence par objet. En effet, cette circonstance n’empêcherait pas de considérer que les requérantes ont renoncé, en contrepartie de paiements inversés, à la possibilité d’intégrer le marché avec le citalopram produit selon le procédé Cipla I, qui était censé contrefaire un brevet à l’égard duquel il existait des chances raisonnables qu’il pût être déclaré invalide. Or, cette possibilité était réelle et concrète pour les requérantes, ainsi que cela résulte de l’examen du deuxième moyen, si bien que le paiement a été déterminant dans leur choix de renoncer à celle-ci. Il en va de même pour ce qui est de la possibilité pour les requérantes de décider de passer au citalopram produit selon le procédé Matrix I, à l’égard duquel, de surcroît, les requérantes estimaient qu’il ne violait aucun brevet de Lundbeck.

232    Dès lors, la Commission, qui supporte la charge de la preuve selon la jurisprudence rappelée aux points 69 à 76 ci-dessus, disposait d’éléments suffisants pour qualifier les accords litigieux de restriction par objet, à moins que d’autres éléments ayant trait à leurs objectifs, pris dans leur contexte économique et juridique, ne lui eussent permis d’exclure que ceux-ci fussent suffisamment nocifs pour la concurrence.

233    Il est certes vrai que, comme l’avancent les requérantes, à cette fin, dans la décision attaquée, la Commission s’est référée à l’arrêt du 29 novembre 2012, CB/Commission (T‑491/07, EU:T:2012:633), qui avait à tort conclu que la notion de restriction par objet ne devait pas être interprétée de manière restrictive.

234    Néanmoins, la Commission s’est également appuyée sur la jurisprudence précédente, que l’arrêt CB/Commission, point 43 supra (EU:C:2014:2204), n’a pas remise en cause.

235    Certes, dans l’arrêt CB/Commission, point 43 supra (EU:C:2014:2204), la Cour a rejeté l’analyse du Tribunal effectuée dans l’arrêt CB/Commission, point 233 supra (EU:T:2012:633), qui avait considéré que la notion de restriction de la concurrence par objet ne devait pas être interprétée de manière restrictive. En effet, elle a rappelé que, sous peine de dispenser la Commission de l’obligation de prouver les effets concrets sur le marché d’accords dont il n’était en rien établi qu’ils étaient, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, la notion de restriction de la concurrence par objet ne pouvait être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il pût être considéré que l’examen de leurs effets n’était pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 43 supra, EU:C:2014:2204, point 58).

236    Cependant, il n’en découle pas que la Commission était obligée d’examiner les effets des accords litigieux si elle était en mesure d’établir, à suffisance de droit, que ceux-ci pouvaient être considérés de par leur contenu, la portée de leurs dispositions et leurs objectifs, pris dans leur contexte économique et juridique, comme suffisamment nocifs pour la concurrence (voir points 217 à 219 ci-dessus).

237    Dans ces circonstances, il y a lieu d’examiner si, comme le soutiennent les requérantes, les conclusions auxquelles la Commission est parvenue en ce qui concerne le contexte dans lequel les accords litigieux étaient intervenus remettent en cause la qualification de ceux-ci telle que retenue dans la décision attaquée.

–       Sur l’objectif de résoudre à l’amiable des litiges en matière de brevets

238    Selon les requérantes, l’objectif des accords litigieux était de résoudre à l’amiable un différend réel en matière de brevets. À cet égard, il importerait peu qu’aucune clause de ces accords n’empêchât Lundbeck d’introduire des actions en contrefaçon si, par la suite, les requérantes entraient sur le marché.

239    La Commission conteste les arguments des requérantes.

240    Premièrement, il convient d’observer qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit également d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 217 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée). De même, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un accord n’est pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, Rec, EU:C:1988:448, point 15).

241    Ensuite, il doit être rappelé que l’examen de la première branche du présent moyen a permis d’établir que les accord litigieux avaient une portée bien plus étendue que celle des éventuelles actions en justice que Lundbeck aurait pu introduire à l’encontre des requérantes.

242    Enfin, et surtout, les accords litigieux ne prévoient aucunement que Lundbeck s’abstienne de poursuivre les requérantes pour contrefaçon de ses nouveaux brevets après les périodes couvertes par ceux-ci. Cela est d’ailleurs confirmé par la déclaration de Lundbeck reprise au considérant 80 de la décision attaquée, dont il résulte que celle-ci ne considérait pas que les accords en cause, dont les accords litigieux, mettaient fin à un litige.

243    Par ailleurs, il convient de rappeler que la Commission n’a pas constaté que l’existence d’un paiement inversé, dont le montant semblait correspondre aux bénéfices escomptés par l’entreprise de génériques, suffisait pour établir une violation des règles du traité sur la libre concurrence en l’espèce. Au contraire, la Commission a estimé que des accords amiables contenant certains paiements, même inversés, n’étaient pas toujours problématiques au regard du droit de la concurrence, tant que de tels paiements étaient liés à la force du brevet concerné, telle que perçue par chacune des parties, et qu’ils n’étaient pas accompagnés de restrictions visant à retarder l’entrée des génériques sur le marché (considérants 638 et 639 de la décision attaquée). Elle a ainsi pris l’exemple de Neolab Ltd, avec laquelle Lundbeck avait conclu un accord amiable, qui n’avait pas été considéré comme problématique, alors même qu’il impliquait un paiement inversé, dès lors que ce paiement au profit de Neolab avait eu lieu en échange d’un engagement de celle-ci à ne pas demander de dommages-intérêts devant les juridictions compétentes et en échange du fait que Lundbeck avait renoncé à faire valoir toute revendication en matière de brevets pendant une certaine période (considérants 164 et 639 de la décision attaquée). Dans un tel cas, le paiement inversé avait effectivement eu pour objet de régler un litige entre les parties, sans pour autant retarder l’entrée des génériques sur le marché.

244    S’il est vrai que, dans le cas de Neolab, il y avait également eu un premier règlement amiable entre les mêmes parties prévoyant de retarder l’entrée de Neolab sur le marché, en attendant l’issue du litige entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals Ltd, une entreprise de génériques, un tel règlement n’était pas lui-même accompagné d’un transfert de valeur et était conditionné à ce que Lundbeck versât des dommages-intérêts à Neolab en cas de jugement défavorable dans le cadre de ce litige. Après que Lundbeck eut finalement décidé de régler son litige avec Lagap à l’amiable, Neolab avait toujours conservé un intérêt à obtenir des dommages-intérêts, ce qui avait nécessité d’obtenir au préalable l’invalidité du brevet de Lundbeck. C’est dans ce contexte que Lundbeck avait préféré régler son litige avec Neolab à l’amiable, en acceptant de lui payer les dommages-intérêts encourus pour l’année où elle s’était retirée du marché et en s’engageant à ne pas faire valoir de revendications en matière de brevets en cas d’entrée sur le marché de celle-ci (considérant 164 de la décision attaquée). Ce dernier engagement est donc crucial, puisque, contrairement aux accords litigieux, le paiement inversé effectué par Lundbeck ne constituait pas la contrepartie d’une exclusion du marché, mais s’accompagnait au contraire d’une acceptation de non-contrefaçon et d’un engagement à ne pas entraver l’entrée sur le marché des génériques.

245    Or, rien de tel ne s’est produit en l’espèce. Partant, la Commission pouvait sanctionner les accords litigieux sans que cela revînt à exclure toute possibilité que des litiges en matière de brevet fussent réglés à l’amiable, de manière compatible avec le droit de la concurrence.

246    Dès lors, les présents arguments des requérantes doivent être rejetés.

–       Sur l’absence de certitude en ce qui concerne l’issue d’un éventuel contentieux en matière de brevets

247    Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir établi avec certitude qu’elles l’auraient emporté dans un éventuel contentieux avec Lundbeck en matière de brevets.

248    La Commission conteste les arguments des requérantes.

249    À cet égard, il suffit d’observer qu’un accord peut avoir un objet restrictif alors même qu’il ne restreint que la concurrence potentielle.

250     Or, il a été retenu dans le cadre du deuxième moyen que les requérantes disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché au lieu de conclure les accords litigieux, si bien qu’elles étaient des concurrents potentiels de Lundbeck. Dès lors, il n’était aucunement nécessaire que la Commission établît avec certitude que les requérantes l’auraient emporté si elles avaient choisi la voie contentieuse.

251    En réalité, cet argument vise à remettre en cause la distinction entre concurrence réelle et concurrence potentielle, dans la mesure où, selon les requérantes, aucune concurrence potentielle ne saurait être restreinte tant qu’il ne serait pas démontré de manière absolument certaine que, en l’absence des accords litigieux, elles seraient effectivement entrées sur le marché du citalopram dans les pays concernés, le cas échéant, après avoir obtenu gain de cause dans le cadre des litiges qui auraient pu survenir entre celles-ci et Lundbeck. Or, le fait que, par la conclusion des accords litigieux, les incertitudes qui existaient quant à l’issue d’un éventuel contentieux aient été échangées contre des certitudes moyennant des paiements versés est un élément important dans la qualification de ces accords de restrictions par objet (voir point 225 ci-dessus).

252    Partant, le présent argument des requérantes est dépourvu de fondement.

–       Sur le contexte économique et juridique

253    Les requérantes avancent que le contexte économique et juridique qui existait au moment de la conclusion des accords litigieux s’oppose à ce que ceux-ci soient qualifiés de restrictions par objet. En effet, il faudrait tenir compte, notamment, de leurs craintes quant à l’infraction qui pourrait être commise à l’égard des nouveaux brevets de Lundbeck, de l’arrêt Paroxetine, point 78 supra, et du fait qu’elles ne disposaient pas encore d’une AMM.

254    La Commission conteste les arguments des requérantes.

255    À cet égard, il suffit d’observer qu’il a déjà été établi, par le rejet du deuxième moyen, que les requérantes étaient dans une situation de concurrence potentielle avec Lundbeck, et ce en dépit des craintes qu’elles pouvaient nourrir quant à la possibilité d’enfreindre les nouveaux brevets de celle-ci.

256    De même, il a été expliqué que l’arrêt Paroxetine, point 78 supra, n’est pas déterminant à cette fin (voir points 164 à 173 et 193 ci-dessus) et que le fait d’avoir mené à bien toutes les démarches, notamment administratives, nécessaires pour entrer sur le marché n’est pas indispensable aux fins de la constatation d’une relation de concurrence potentielle (voir points 79 à 83 ci-dessus).

257    Par conséquent, les présents arguments doivent être rejetés.

–       Sur les analogies avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS

258    Les requérantes soutiennent que les circonstances de l’espèce, étant caractérisées par le fait que Lundbeck disposait de ses nouveaux brevets, ne se prêtent pas à l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt BIDS, point 217 supra (EU:C:2008:643).

259    La Commission conteste les arguments des requérantes.

260    Il convient de rappeler que, aux considérants 657 et 658 de la décision attaquée, la Commission a constaté une analogie entre les accords dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 217 supra (EU:C:2008:643) (ci-après l’« affaire BIDS »), et les accords en cause, dont les accords litigieux.

261    Cette constatation de la Commission doit être approuvée.

262    En effet, ainsi que cela résulte notamment du point 8 de l’arrêt BIDS, point 217 supra (EU:C:2008:643), les entreprises actives sur le marché de la transformation de la viande bovine en Irlande avaient créé un mécanisme en vertu duquel certaines entreprises s’engageaient à rester en dehors dudit marché pendant deux ans en contrepartie de paiements de la part des entreprises qui restaient sur ce marché. Une dynamique analogue s’est produite en l’espèce par la conclusion des accords litigieux, en vertu desquels la principale, voire la seule, entreprise présente sur le marché avec du citalopram générique dans les pays concernés par ces accords a payé les requérantes, qui étaient des concurrents potentiels, afin que celles-ci restassent en dehors du marché pendant une période donnée.

263    Il s’ensuit que, tant dans l’affaire BIDS que dans la présente affaire, il s’agissait d’accords qui avaient limité la faculté d’opérateurs économiques qui se trouvaient dans une situation de concurrence à déterminer de manière autonome la politique qu’ils entendaient poursuivre sur le marché, en empêchant le processus normal de la concurrence de suivre son cours (voir, en ce sens, arrêt BIDS, point 217 supra, EU:C:2008:643, points 33 à 35).

264    Certes, à la différence des circonstances qui prévalaient dans l’affaire BIDS, les accords litigieux ont été conclus dans un contexte où Lundbeck possédait des brevets permettant d’empêcher l’entrée sur le marché des produits les contrefaisant. Il y a lieu de rappeler, néanmoins, que, en l’espèce, l’existence des brevets de Lundbeck, notamment celui sur la cristallisation, ne s’opposait pas à ce que les requérantes pussent être considérées comme des concurrents potentiels de celle-ci, ainsi que cela résulte de l’examen du deuxième moyen. De même, il est vrai que, dans l’affaire BIDS, les entreprises en cause étaient des concurrents actuels, dans la mesure où il s’agissait de faire sortir du marché concerné des entreprises qui y étaient déjà présentes, alors que, en l’espèce, Lundbeck et les requérantes étaient des concurrents potentiels. Toutefois, l’article 101 TFUE protège la concurrence potentielle tout comme la concurrence actuelle.

265    En outre, il convient de rappeler que, aux points 84 et 85 de l’arrêt CB/Commission, point 43 supra (EU:C:2014:2204), la Cour a, en substance, mis en exergue le fait que les accords visés par l’affaire BIDS modifiaient la structure du marché et présentaient un degré de nocivité tel qu’ils pouvaient être qualifiés de restriction par objet, alors que tel n’était pas le cas du comportement dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, qui consistait dans l’obligation faite à des banques de payer une redevance ou de limiter leurs activités d’émission de cartes bancaires.

266    À cet égard, il doit être relevé que, à supposer même que les points 84 et 85 de l’arrêt CB/Commission, point 43 supra (EU:C:2014:2204), puissent être lus en ce sens que la modification de la structure du marché est une condition sine qua non pour constater l’existence d’une restriction par objet, les accords litigieux ont affecté la structure du marché concerné, dès lors qu’ils visaient à retarder l’entrée des requérantes sur celui-ci, en permettant ainsi à Lundbeck de garder des prix élevés pour le Cipramil et de disposer de conditions favorables pour lancer le Cipralex, qui était censé remplacer le Cipramil dans le traitement de nombreux patients (voir points 12 et 91 ci-dessus).

267    Par conséquent, c’est à bon droit que, dans la décision attaquée, la Commission a appliqué par analogie la jurisprudence issue de l’arrêt BIDS, point 217 supra (EU:C:2008:643), si bien que le présent argument des requérantes doit être rejeté.

–       Sur les intentions des parties aux accords litigieux

268    Les requérantes soutiennent ne pas avoir eu l’intention de restreindre la concurrence ni celle d’abandonner tout effort d’entrer sur le marché. Elles auraient simplement cherché à trouver une solution satisfaisante à la situation qui s’était créée après qu’elles avaient découvert que le citalopram qu’elles avaient acheté auprès de Tiefenbacher contrefaisait les nouveaux brevets de Lundbeck.

269    La Commission conteste les arguments des requérantes.

270    Dans ce contexte, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’intention anticoncurrentielle des parties ne constitue pas un élément nécessaire en droit pour déterminer le caractère anticoncurrentiel d’un accord (voir point 220 ci-dessus).

271    Cet argument est donc inopérant, puisque la Commission n’était pas tenue d’examiner les intentions des parties aux accords litigieux afin d’établir une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

272    En tout état de cause, notamment aux considérants 950 à 954 et 1000 à 1005 de la décision attaquée, la Commission a principalement examiné l’intention anticoncurrentielle que Lundbeck avait en concluant les accords litigieux et a, en substance, ajouté que les requérantes en étaient forcément conscientes. En particulier, Lundbeck visait à retarder l’entrée sur le marché du citalopram générique pour éviter des pertes importantes et pour créer les conditions propices au lancement du Cipralex (voir point 91 ci-dessus).

273    Ces éléments révèlent clairement l’intention anticoncurrentielle des parties aux accords litigieux, consistant à se partager les bénéfices que Lundbeck obtenait du fait d’éviter que les requérantes lui fissent concurrence sur les ventes du citalopram. Dès lors, ces éléments ne sont pas susceptibles de remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle les accords litigieux donnent lieu à une restriction de la concurrence par objet, en raison de leurs objectifs, de leurs contenus et du contexte dans lequel ils ont été conclus. À cette fin, ainsi que cela résulte de l’examen du deuxième moyen et de la première branche du présent moyen, la Commission s’est notamment fondée sur des éléments de preuve objectifs, relatifs à des déclarations et à des comportements des parties à ces accords, datant, notamment, d’avant la signature de ceux-ci, et intervenus donc in tempore non suspecto.

274    Le fait que ces accords aient pu poursuivre également d’autres objectifs ne saurait remettre en cause cette appréciation, puisqu’il est de jurisprudence constante qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit également d’autres objectifs légitimes (voir point 239 ci-dessus).

275    En ce qui concerne le fait que la conclusion des accords litigieux était pour les requérantes une solution satisfaisante, il suffit de renvoyer à la jurisprudence rappelée au point 140 ci-dessus.

276    Ces arguments doivent donc être rejetés.

–       Sur le manque de précédents et l’insécurité juridique

277    Les requérantes exposent que, compte tenu notamment de la prétendue absence de précédents relatifs aux accords litigieux, il ne serait pas possible de présumer que ceux-ci concernent une coordination tellement nuisible pour la concurrence qu’il n’était pas nécessaire d’en apprécier les effets.

278    La Commission conteste les arguments des requérantes.

279    Il convient de relever que, bien avant la date de la conclusion des accords litigieux, la jurisprudence s’était prononcée sur l’application du droit de la concurrence dans des domaines caractérisés par la présence de droits de propriété intellectuelle, ainsi que cela résulte notamment des considérations exposées aux points 109, 110 et 240 ci-dessus.

280    Au demeurant, il convient de relever que Lundbeck était consciente du fait que sa conduite était à tout le moins susceptible de poser des problèmes du point de vue du droit de la concurrence. En effet, il découle notamment du courriel cité au considérant 188 de la décision attaquée que la conclusion d’accords avec les entreprises de génériques étaient considérés comme « difficiles » du point de vue du droit de la concurrence. Cette perception était partagée, par exemple, par l’entreprise de génériques mentionnée au considérant 190 de la décision attaquée. Ainsi, il n’est pas crédible que les requérantes n’aient pas compris que leur comportement posait problème au regard dudit droit.

281    Par ailleurs, il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme une restriction de la concurrence par objet. Le rôle de l’expérience, mentionné par la Cour au point 51 de l’arrêt CB/Commission, point 43 supra (EU:C:2014:2204), ne concerne pas la catégorie spécifique d’un accord dans un secteur particulier, mais renvoie au fait qu’il est établi que certaines formes de collusion sont, en général et au vu de l’expérience acquise, tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’elles ont des effets dans le cas particulier en cause. Le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, de par son objet même, restrictif de la concurrence n’est donc pas de nature, en soi, à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 43 supra, EU:C:2014:2204, point 51 ; conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission, C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:1958, point 142, et de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, Rec, EU:C:2015:427, point 74).

282    En ce qui concerne plus spécifiquement le communiqué de presse du KFST, du 28 janvier 2004 (ci-après le « communiqué de presse du KFST »), mentionné par les requérantes, dont il résulterait que la Commission n’envisageait pas d’ouvrir une procédure concernant les accords en cause, ce qui aurait fait naître une confiance légitime auprès d’Arrow, s’il est vrai que ce document fait référence à l’opinion de la Commission quant au caractère anticoncurrentiel des accords en cause, dont les accords litigieux, il convient de constater qu’il ne s’agit pas d’un communiqué émanant directement de la Commission ou de ses services, mais d’un communiqué d’une autorité nationale de la concurrence.

283    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que les autorités nationales de la concurrence ne peuvent pas faire naître auprès des entreprises une confiance légitime en ce que leur comportement n’enfreint pas l’article 101 TFUE, dès lors que celles-ci ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence de violation de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, Rec, EU:C:2013:404, point 42 et jurisprudence citée).

284    En outre, ce document précise clairement que, aux termes d’une appréciation préliminaire, il existait un doute sur la question de savoir si de tels accords étaient anticoncurrentiels ou non, au regard notamment de l’importance du paiement effectué par Lundbeck en faveur des entreprises de génériques, et que la Commission allait dès lors débuter une enquête plus large sur ce type d’accords dans le domaine pharmaceutique.

285    Or, c’est précisément à l’issue de cette enquête, qui lui a permis de se faire une idée plus précise du fonctionnement des accords amiables dans le domaine pharmaceutique, que la Commission a ouvert une procédure sur le fondement de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à l’encontre de Lundbeck et des entreprises de génériques telles que les requérantes.

286    Enfin et en tout état de cause, il ressort également du communiqué de presse du KFST que tous les accords qui ont pour objet d’acheter l’exclusion du marché d’un concurrent sont anticoncurrentiels.

287    Les requérantes ne sauraient donc prétendre que la Commission aurait changé d’avis et que cela l’empêcherait d’appliquer la notion de restriction par objet aux accords litigieux, dans la mesure où c’est précisément à l’issue d’une enquête approfondie du secteur pharmaceutique que la Commission a pu peaufiner son approche et saisir pleinement le caractère anticoncurrentiel de certains accords, notamment lorsque ceux-ci impliquent un paiement inversé important.

288    Il s’ensuit que, déjà à l’époque de la conclusion des accords litigieux, il était établi que le titulaire d’un brevet n’était pas en droit de payer un concurrent potentiel pour que celui-ci renonçât à plusieurs voire à toutes possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché en contrepartie d’un montant payé par ledit titulaire et fixé en tenant compte des profits escomptés par ce concurrent en cas d’entrée sur le marché. A fortiori, au moment de l’édiction de la décision attaquée, la Commission pouvait considérer qu’il résultait de l’expérience que des accords tels que ceux en cause pouvaient être des restrictions par objet, pourvu que l’examen de sa part du contexte juridique et économique dans lesquels ils avaient été conclus ne s’opposât pas à une telle constatation.

289    Les présents arguments des requérantes doivent donc être rejetés.

290    À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter la présente branche dans son ensemble.

 Sur la troisième branche

291    Par la troisième branche, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas établi qu’elles avaient consenti aux limitations à l’entrée sur le marché prévues par les accords litigieux uniquement en raison des sommes que Lundbeck leur avait versées et soutiennent que, dans la décision attaquée, la Commission a admis que ces mêmes limitations ne constitueraient pas des restrictions si elles résultaient de la force des brevets de Lundbeck. Tel serait le cas en l’espèce, dès lors que, au moment de la conclusion des accords litigieux, les requérantes n’auraient pas disposé de citalopram générique ne contrefaisant pas les nouveaux brevets de Lundbeck et que l’accord UK aurait été prorogé en raison du litige Lagap. Ainsi, le paiement desdites sommes serait seulement la conséquence de la réussite d’un « bluff » de leur part et de l’asymétrie des risques entre les parties à ces accords.

292    La Commission conteste les arguments des requérantes.

293    Premièrement, il convient de rappeler qu’il résulte de l’examen de la première branche du présent moyen que, par la conclusion des accords litigieux, les requérantes ont accepté des restrictions allant au-delà du champ d’application des nouveaux brevets de Lundbeck. Dès lors, il est évident que ce n’est pas la force de ces brevets qui a convaincu ces dernières de conclure lesdits accords.

294    Deuxièmement, il découle de l’examen du deuxième moyen que les requérantes étaient des concurrents potentiels de Lundbeck lors de la conclusion des accords litigieux, dans la mesure où elles disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché avec du citalopram générique au Royaume-Uni et au Danemark.

295    À cet égard, il doit être noté que la concurrence dont il s’agit est potentielle, et non effective ou actuelle, précisément au motif qu’une telle entrée n’avait pas encore eu lieu, mais que l’entreprise de génériques concernée préparait cette entrée par l’accomplissement des démarches indispensables à cette fin.

296    Par ailleurs, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen (voir points 89 à 91 ci-dessus), il a été également relevé que la thèse des requérantes selon laquelle elles auraient « bluffé » Lundbeck n’était pas crédible.

297    En ce qui concerne plus spécifiquement l’asymétrie des risques, que les requérantes invoquent dans ce contexte, il convient d’observer, tout d’abord, que, par la conclusion des accords litigieux, les parties à ceux-ci ont toutes les deux pu échanger des incertitudes contre des certitudes. En effet, les requérantes ne savaient pas si leur entrée sur le marché serait couronnée de succès et Lundbeck ne savait pas si elle obtiendrait gain de cause au contentieux ni ce que la présence de génériques sur le marché lui ferait perdre. En revanche, d’une part, les paiements prévus dans lesdits accords constituaient un gain certain pour les requérantes et, d’autre part, Lundbeck obtenait la certitude que celles-ci respecteraient les obligations découlant de ces accords. Il s’ensuit qu’il existait des risques pour les deux parties.

298    Enfin, l’asymétrie des risques peut certes inciter le titulaire d’un brevet à effectuer un paiement inversé, afin d’éviter tout risque, même minime, que les entreprises de génériques puissent entrer sur le marché, surtout lorsque le produit breveté, comme le Cipramil en l’espèce, constitue son produit phare, représentant l’essentiel de son chiffre d’affaires (voir considérants 26 et 120 de la décision attaquée). Cependant, le fait qu’un comportement puisse être rationnel d’un point de vue économique ou commercial n’exclut pas que celui-ci puisse faire l’objet d’une application des dispositions du traité sur la libre concurrence, lorsqu’il vise à limiter l’accès au marché voire à exclure de ce marché des concurrents réels ou potentiels et à partager les bénéfices résultant de cette exclusion ou limitation, au détriment des consommateurs, c’est-à-dire des patients ou des caisses de maladie en l’espèce (voir point 140 ci-dessus). En tout état de cause, il résulte du dossier que les risques n’étaient pas aussi asymétriques que le soutiennent les requérantes. En effet, ainsi que cela a été relevé au point 90 ci-dessus, Lundbeck a admis qu’il existait entre 50 et 60 % de probabilités que le brevet sur la cristallisation pût être déclaré invalide. En outre, si le Cipramil était le produit phare de Lundbeck, les requérantes avaient effectué des investissements importants, à leur échelle, pour préparer leur entrée sur le marché et cherchaient à réaliser un retour sur ces investissements.

299    S’agissant de la référence faite par les requérantes au litige Lagap, il y a lieu de relever que rien dans les accords litigieux ne permet de considérer que les paiements inversés en cause aient été effectués pour éviter de multiplier les frais de contentieux. En effet, si le point 3 du second addendum à l’accord UK prévoit que la remise par les requérantes à Lundbeck de leur stock de citalopram visé par cet addendum devait se faire gratuitement ou contre un paiement de 750 000 GBP, selon que l’issue du litige Lagap fût ou non favorable à Lundbeck, il convient d’observer que cette clause ne permet aucunement de conclure que ce montant ait été établi afin de tenir compte des frais de contentieux. En effet, selon le document cité au considérant 441 de la décision attaquée, il s’agissait du prix d’achat de quelque 5 millions de comprimés dont les requérantes disposaient.

300    Les considérations qui précèdent démontrent que la Commission a replacé les paiements inversés prévus par les accords litigieux dans le contexte spécifique au cas d’espèce, caractérisé notamment par la relation de concurrence potentielle qui existait entre les parties à ces accords et par la portée très large des obligations assumées par les requérantes en contrepartie de ces paiements.

301    Il s’ensuit que les présents arguments des requérantes ne sont pas fondés.

 Sur la quatrième branche

302    Par la quatrième branche du présent moyen, les requérantes contestent la thèse de la Commission selon laquelle les sommes que Lundbeck leur a payées correspondent, en substance, au profit qu’elles auraient pu obtenir si elles étaient entrées sur le marché pendant la durée des accords litigieux. En effet, ces sommes seraient liées au montant que, selon le droit anglais, Lundbeck aurait dû déposer comme garantie pour obtenir des mesures provisoires empêchant les requérantes d’entrer sur le marché.

303    La Commission conteste les arguments des requérantes.

304    Il convient d’observer, à l’instar de la Commission, que, ainsi que cela résulte des considérants 398 et 943 de la décision attaquée, en réponse à une demande de renseignements de la Commission du 18 décembre 2008, les requérantes ont admis que le montant de 5 millions de GBP prévu dans l’accord UK était une estimation du montant qu’elles auraient reçu par Lundbeck, en vertu du mécanisme de droit du Royaume-Uni dit de « cross-undertaking in damages » (contre-engagement de versement de dommages-intérêts), si celle-ci avait obtenu, d’une juridiction du Royaume-Uni, une mesure provisoire empêchant les requérantes de vendre du citalopram générique au Royaume-Uni, mais n’avait finalement pas pu démontrer, au terme de la procédure sur le fond devant ladite juridiction, que le citalopram générique en question enfreignait un brevet valide.

305    Devant le Tribunal, les requérantes, tout en ne contestant pas avoir fait cette déclaration, avancent que le montant ainsi prévu ne correspondait pas aux profits auxquels elles s’attendaient en cas d’entrée sur le marché, mais représentait seulement une manière de « monétiser le bénéfice » qu’elles auraient réalisé grâce au dépôt de garantie que Lundbeck aurait dû verser en contrepartie de l’adoption d’une injonction à leur égard.

306    À cet égard, il convient de relever que, quand bien même le montant de cette garantie ne correspondrait pas exactement auxdits profits, il n’en reste pas moins qu’il a été fixé en tenant compte des dommages-intérêts que Lundbeck aurait dû payer aux requérantes dans l’hypothèse où elle aurait obtenu une injonction les empêchant d’entrer sur le marché, mais aurait succombé ensuite sur le fond de son action en contrefaçon. Ces dommages-intérêts présentent nécessairement un lien important avec les profits que les requérantes auraient réalisés en cas d’entrée sur le marché, dès lors qu’ils visent précisément à compenser ce manque à gagner.

307    Des considérations analogues s’appliquent aux addenda de l’accord UK, qui, dans leurs clauses prévues au point 2.1, relatives à la « compensation » que les requérantes recevraient de Lundbeck, font toujours référence à la garantie que cette dernière aurait dû déposer pour obtenir des mesures provisoires.

308    De plus, il y a lieu de rappeler que le point 2.3 de l’accord UK stipule que, s’il était établi, dans le cadre de l’action en contrefaçon UK, que les requérantes n’avaient pas enfreint les droits de propriété intellectuelle de Lundbeck, le montant du paiement inversé prévu au point 2.2 de cet accord constituerait l’indemnisation complète de celles-ci pour les pertes subies en raison des obligations découlant du point 1.1.

309    Le point 2.2 de l’accord danois correspond, en substance, au point 2.3 de l’accord UK.

310    Or, ainsi que le fait remarquer à juste titre la Commission, ces points permettent de conclure que les parties aux accords litigieux considéraient les paiements effectués par Lundbeck comme des indemnisations que les requérantes recevaient pour la perte des profits qu’elles auraient pu réaliser en intégrant les marchés du Royaume-Uni et du Danemark.

311    En tout état de cause, à supposer que le montant de ces paiements fût inférieur aux profits que les requérantes auraient pu réaliser en entrant sur ces marchés, il y a lieu d’observer qu’il s’agissait pour les requérantes de recevoir un paiement certain de la part de Lundbeck, alors que les profits attendus étaient soumis aux aléas propres à toute opération commerciale, notamment à ceux concernant l’issue d’une action en contrefaçon.

312    Il s’ensuit que la présente branche doit être rejetée.

 Sur la cinquième branche

313    Par la cinquième branche du présent moyen, les requérantes reprochent à la Commission un défaut de motivation en ce qui concerne la thèse, retenue au considérant 698 de la décision attaquée, selon laquelle les accords litigieux comporteraient des restrictions de la concurrence par objet même s’ils étaient interprétés en ce sens que les limitations qu’elles avaient acceptées correspondaient à celles que Lundbeck aurait pu obtenir en application de ses nouveaux brevets.

314    La Commission conteste les arguments des requérantes.

315    À titre principal, il convient de rappeler que l’examen de la première branche du présent moyen a permis d’établir que la portée des accords litigieux était telle que les requérantes étaient empêchées de vendre tout citalopram pendant la durée de ces accords. Dès lors, la présente branche est inopérante. En effet, à supposer que la Commission n’ait pas suffisamment expliqué, au considérant 698 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle aurait pu constater l’existence d’une restriction par objet même dans l’hypothèse où les accords litigieux n’auraient contenu aucune restriction allant au-delà du champ d’application des nouveaux brevets de Lundbeck, ce défaut de motivation ne concernerait que des motifs surabondants de la décision attaquée (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 8 avril 2008, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑503/07 P, Rec, EU:C:2008:207, point 62 et jurisprudence citée).

316    En tout état de cause, selon la jurisprudence, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec, EU:C:2011:620, point 147).

317    Ainsi, dans le cadre des décisions individuelles, il ressort d’une jurisprudence constante que l’obligation de motiver une décision individuelle a pour but, outre de permettre un contrôle juridictionnel, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, point 316 supra, EU:C:2011:620, point 148 et jurisprudence citée).

318    Il est également de jurisprudence constante que l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt Elf Aquitaine/Commission, point 316 supra, EU:C:2011:620, point 150 et jurisprudence citée).

319    Par ailleurs, un éventuel manque de précision affectant un considérant d’un acte ne porte pas atteinte à la légalité de celui-ci lorsque ses autres considérants font apparaître de façon claire et intelligible le raisonnement de l’institution qui a adopté cet acte, de sorte qu’une partie requérante, disposant de l’ensemble des données sur lesquelles cette institution a fondé son raisonnement et ayant participé aux différentes étapes de la procédure administrative, n’a pas pu raisonnablement se méprendre sur le contenu de ce raisonnement (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1995, Koyo Seiko/Conseil, T‑166/94, Rec, EU:T:1995:140, point 105).

320    En l’espèce, il y a lieu de relever que, comme le fait valoir à juste titre la Commission, le considérant 698 de la décision attaquée doit être lu dans le contexte général de celle-ci, et non de manière isolée.

321    À cet égard, il y a lieu de se référer notamment au raisonnement de la Commission qui a été résumé au point 224 ci-dessus.

322    Dès lors, la Commission s’est acquittée de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE.

323    Il s’ensuit que la présente branche doit être rejetée.

 Sur la sixième branche

324    Par la sixième branche du présent moyen, les requérantes soutiennent que la Commission a commis des erreurs en ce qui concerne le scénario contrefactuel. En effet, selon elles, même dans ce scénario, elles ne seraient pas entrées sur le marché, dès lors qu’elles savaient désormais que le procédé Cipla I contrefaisait les nouveaux brevets de Lundbeck et qu’elles ne pouvaient pas prendre le risque financier d’acheter d’autre citalopram, produit selon des procédés différents. Elles ajoutent que, à la suite de la conclusion des accords litigieux, elles ont continué à chercher des sources de citalopram générique ne contrefaisant pas les nouveaux brevets de Lundbeck et qu’elles auraient procédé de la même manière dans le scénario contrefactuel, ce qui empêcherait de qualifier les accords litigieux de restrictions par objet.

325    La Commission conteste les arguments des requérantes.

326    Pour rejeter la présente branche, premièrement, il suffit de rappeler que, dans le cadre du deuxième moyen, il a été établi que les requérantes étaient des concurrents potentiels de Lundbeck, dans la mesure où elles disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur les marchés du Royaume-Uni et danois, lors de la conclusion des accords litigieux. Deuxièmement, il résulte de l’examen des première et deuxième branches du présent moyen que les accords litigieux sont une infraction par objet, notamment au motif qu’ils comportent des restrictions allant au-delà du champ d’application des nouveaux brevets de Lundbeck, obtenues par des paiements inversés dont le montant était lié aux profits escomptés par les requérantes en cas d’entrée sur le marché.

327    Dans ces circonstances, la Commission n’était aucunement tenue de comparer davantage la situation qui s’est produite à la suite de la conclusion des accords litigieux avec celle qui aurait prévalu en l’absence de ceux-ci.

328    La présente branche doit donc être également rejetée

329    À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen dans son ensemble.

3.     Sur le premier moyen, tiré de la violation des formes substantielles dans le cadre de la procédure d’adoption de la décision attaquée

330    Par le premier moyen, composé de trois branches, les requérantes invoquent, en substance, la violation de leurs droits de la défense du fait, premièrement, que la Commission n’a pas agi dans un délai raisonnable, deuxièmement, qu’elle ne leur a pas fourni un accès convenable au dossier en temps utile et, troisièmement, qu’elle n’a pas adopté une communication des griefs supplémentaire.

 Sur la première branche

331    Les requérantes font valoir que plus de six années et demie se sont écoulées entre le moment où la Commission a été informée de l’existence des accords litigieux et celui où elle leur a adressé une demande de renseignements. Il en découlerait que les documents contemporains à la conclusion desdits accords ne seraient plus disponibles, compte tenu notamment des modifications de leurs systèmes informatiques et des restructurations sociétaires intervenues entre-temps. De même, plusieurs personnes ayant travaillé au sein de leur entreprise à l’époque de la conclusion de ces accords auraient ensuite quitté leurs fonctions ou n’auraient plus de souvenirs clairs des événements pertinents.

332    Par ailleurs, les requérantes se réfèrent au communiqué de presse du KFST.

333    La Commission conteste les arguments des requérantes.

334    Il y a lieu de rappeler que l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite de la procédure administrative en matière de politique de la concurrence constitue un principe général du droit de l’Union, dont les juridictions de l’Union assurent le respect (voir arrêt du 19 décembre 2012, Bavaria/Commission, C‑445/11 P, EU:C:2012:828, point 77 et jurisprudence citée).

335    Il est également de jurisprudence constante que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure administrative s’apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du contexte dans lequel elle s’inscrit, des différentes étapes procédurales qui ont été suivies, de la complexité de l’affaire ainsi que de son enjeu pour les différentes parties intéressées (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec, EU:C:2002:582, point 187, et du 30 septembre 2003, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01, Rec, EU:T:2003:249, point 230).

336    En outre, il y a lieu de rappeler que le dépassement d’un délai raisonnable, à le supposer établi, ne justifierait pas nécessairement l’annulation de la décision attaquée. En effet, s’agissant de l’application des règles de concurrence, le dépassement du délai raisonnable ne peut constituer un motif d’annulation que, dans le cas d’une décision constatant des infractions, dès lors qu’il a été établi que la violation de ce principe a porté atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées. En dehors de cette hypothèse spécifique, le non-respect de l’obligation de statuer dans un délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative au titre du règlement n° 1/2003 (voir arrêt du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec, EU:T:2008:211, point 227 et jurisprudence citée).

337    Il convient de relever également que, selon la jurisprudence, aux fins de l’application du principe du délai raisonnable, une distinction doit être opérée entre les deux phases de la procédure administrative, à savoir la phase d’instruction antérieure à la communication des griefs (ci-après la « première phase ») et celle correspondant au reste de la procédure administrative (ci-après la « seconde phase »), chacune de celles-ci répondant à une logique interne propre. La première phase, qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, a pour point de départ la date à laquelle la Commission prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et doit permettre à celle-ci de prendre position sur l’orientation de la procédure. La seconde phase, quant à elle, s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale. Elle doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, Rec, EU:C:2006:593, points 42 et 43).

338    À cet égard, il a été jugé que la durée excessive de la première phase peut avoir une incidence sur les possibilités futures de défense des entreprises concernées, notamment en diminuant l’efficacité des droits de la défense lorsque ceux-ci sont invoqués dans la seconde phase, en raison de l’écoulement du temps et de la difficulté qui en résulte de recueillir des éléments à décharge. Il importe, toutefois, dans un tel cas, que les entreprises concernées démontrent de manière suffisamment précise qu’elles ont éprouvé des difficultés pour se défendre contre les allégations de la Commission en précisant quels sont les documents ou les témoignages qu’elles ne pourraient plus solliciter et les raisons pour lesquelles cela serait de nature à compromettre leur défense (voir, en ce sens, arrêts Technische Unie/Commission, point 337 supra, EU:C:2006:593, points 54 et 60 à 71, et du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec, EU:C:2011:190, point 118).

339    De même, selon la jurisprudence, ces entreprises doivent indiquer de manière circonstanciée, sinon les éléments de preuve spécifiques disparus, à tout le moins les incidents, évènements ou circonstances qui les ont empêchées, pendant la période considérée, de se conformer à leur obligation de diligence et qui ont entraîné la prétendue disparition des éléments de preuve auxquels elles font allusion. En effet, ce n’est qu’en examinant de telles indications spécifiques que le juge de l’Union peut apprécier si une entreprise a démontré à suffisance de droit qu’elle a éprouvé les difficultés invoquées pour se défendre contre les allégations de la Commission en raison d’une durée excessive de la procédure administrative ou si, au contraire, lesdites difficultés résultent d’une méconnaissance de ses obligations de diligence (arrêt ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., point 338 supra, EU:C:2011:190, points 120 à 122).

340    Pour appliquer ces principes au cas d’espèce, il convient de commencer par rappeler ci-après la séquence des principaux évènements ayant mené, le 19 juin 2013, à l’adoption de la décision attaquée, tels qu’ils résultent notamment du point 2.1 de celle-ci :

–        en octobre 2003, la Commission a eu connaissance pour la première fois des accords en cause, par le biais d’informations communiquées par le KFST ;

–        en janvier 2005, la Commission a procédé à des inspections au Danemark, en Italie et en Hongrie, dans les locaux de Lundbeck principalement ;

–        en 2006, des demandes de renseignements ont été adressées aux autorités de la concurrence de l’ensemble des États membres ainsi qu’à Lundbeck et à une entreprise de génériques ;

–        en 2007, la Commission a examiné les réponses à ces demandes et a établi une position préliminaire sur les pratiques de Lundbeck et des autres entreprises impliquées ;

–        en janvier 2008, la Commission a décidé de commencer une enquête sectorielle dans le domaine pharmaceutique, qui s’est close par l’adoption d’un rapport final le 8 juillet 2009 (voir points 23 et 24 ci-dessus) ;

–        en décembre 2009, la Commission a effectué de nouvelles inspections dans les locaux de Lundbeck Italia SpA et d’entreprises italiennes de génériques ;

–        le 7 janvier 2010, la Commission a ouvert une procédure formelle à l’encontre de Lundbeck ;

–        au mois de mars 2010, la Commission a communiqué aux requérantes l’existence de l’enquête ;

–        le 24 juillet 2012, la Commission a ouvert une procédure formelle à l’encontre notamment des requérantes et a envoyé la communication des griefs à celles-ci et à Lundbeck.

341    S’agissant de la seconde phase, il suffit de constater que celle-ci a duré moins d’un an à l’égard des requérantes, ce qui ne saurait être considéré comme excessif.

342    S’agissant de la première phase, il convient d’observer que celle-ci a débuté, à l’égard des requérantes, au mois de mars 2010, lorsque la Commission a pris les premières mesures impliquant le reproche qu’elles aient commis une infraction, et qu’elle s’est clôturée le 24 juillet 2012, date de la communication des griefs. Or, une telle durée n’est pas déraisonnable.

343    Premièrement, dans la mesure où les requérantes fondent leur moyen sur la date à laquelle la Commission a eu connaissance pour la première fois des accords litigieux pour établir que celle-ci a méconnu son obligation d’adopter une décision dans un délai raisonnable et a ainsi violé leurs droits de la défense, il importe de souligner qu’une telle approche n’est nullement suivie par la jurisprudence, qui prend comme point de départ la date des premières mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction (voir, en ce sens, arrêt Technische Unie/Commission, point 337 supra, EU:C:2006:593, point 43).

344    Par ailleurs, il convient de noter que, en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1/2003, le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes est soumis à un délai de prescription de cinq ans. En vertu de l’article 25, paragraphe 2, de ce règlement, la prescription court, pour les infractions continues, comme en l’espèce, à compter du jour où l’infraction a pris fin. En application de l’article 25, paragraphes 3 et 4 dudit règlement, des demandes de renseignements, l’engagement d’une procédure et l’envoi d’une communication des griefs interrompent la prescription, et ce pour tous les participants à une infraction. En vertu de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003, la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption en étant toutefois acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte, de sorte que la Commission ne saurait, sous peine que la prescription ne soit acquise, retarder indéfiniment sa décision quant aux amendes.

345    Or, en présence d’une réglementation complète régissant en détail les délais de prescription dans le respect desquels la Commission est en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles de la concurrence, toute considération liée à l’obligation pour la Commission d’exercer son pouvoir d’infliger des amendes dans un délai raisonnable doit être écartée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec, EU:T:2003:76, point 324 et jurisprudence citée).

346    Deuxièmement, il convient de noter que la durée de la première phase, à supposer qu’elle puisse être calculée à compter de la fin de l’infraction comme le proposent les requérantes, serait de presque sept ans à l’égard de celles-ci. Or, une telle durée peut être justifiée par les circonstances particulières de l’espèce, dont il ressort que, en plus des nombreuses demandes de renseignements qu’elle a adressées aux entreprises concernées, la Commission a estimé nécessaire d’effectuer une enquête sectorielle afin d’analyser l’ensemble des pratiques concernant les règlements amiables dans le domaine pharmaceutique et d’obtenir une vue détaillée du paysage concurrentiel dans ce secteur. Ainsi, l’ensemble de la procédure concernant spécifiquement les accords en cause n’a été caractérisée par aucune période d’inactivité prolongée qui ne trouve sa justification dans les besoins de la Commission d’effectuer une enquête plus générale dans le secteur concerné.

347    Troisièmement, s’agissant du communiqué de presse du KFST, qui aurait laissé penser, selon les requérantes, que la Commission n’entamerait aucune poursuite les concernant, il y a lieu d’observer que, au vu des considérations exposées aux points 282 à 287 ci-dessus à cet égard, les requérantes ne sauraient valablement prétendre qu’un tel communiqué les a incitées à ne pas prendre de mesures pour assurer leur défense, et encore moins qu’une telle incitation, à la supposer établie, serait imputable à la Commission et à la durée excessive de la procédure administrative devant elle.

348    Quatrièmement, à supposer que les allégations des requérantes résumées au point 331 ci-dessus réunissent les conditions de précision et de spécificité requises par la jurisprudence rappelée au point 338 ci-dessus, il y a lieu de constater que, au vu du communiqué de presse du KFST et de l’enquête sectorielle que la Commission avait ouverte, une entreprise diligente aurait dû conserver tout document utile pour assurer sa défense dans le cadre d’une éventuelle procédure pour violation du droit de la concurrence.

349    Or, la diligence relève des conditions requises par la jurisprudence (voir point 339 ci-dessus) afin qu’une partie puisse utilement invoquer la violation de ses droits de la défense en raison de la durée prétendument déraisonnable de la procédure.

350    À défaut d’explications par les requérantes de la survenance d’événements particuliers et autres que le simple écoulement du temps pour justifier l’égarement des documents en question, leur argument ne saurait être accueilli.

351    Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le présent moyen, en ce qu’il vise à l’annulation de la décision attaquée.

352    Par ailleurs, à supposer que la présente branche puisse être interprétée comme visant également à obtenir du Tribunal qu’il réduise le montant de l’amende infligée aux requérantes indépendamment de l’existence d’une illégalité justifiant l’annulation de la décision attaquée, il convient de rappeler que le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction, qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement n° 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, Rec, EU:T:2014:92, point 156).

353    Il appartient dès lors au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier, à la date où il adopte sa décision, si la requérante s’est vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité et la durée de l’infraction en cause (arrêts InnoLux/Commission, point 352 supra, EU:T:2014:92, point 157, et du 10 décembre 2014, ONP e.a./Commission, T‑90/11, Rec, EU:T:2014:1049, point 352).

354    Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office (arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, Rec, EU:C:2011:816, point 131).

355    En l’espèce, quand bien même il serait considéré que la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission C‑414/12 P, EU:C:2014:301, points 106 et 107) puisse être interprétée comme ne s’opposant pas à la possibilité même de réformer à la baisse le montant d’une amende, dans l’exercice de la compétence de pleine juridiction, pour sanctionner uniquement une violation des droits de la défense, il convient de noter que la Commission a déjà tenu compte de la durée de la procédure administrative et a ainsi octroyé une réduction de 10 % des montants des amendes à infliger aux requérantes et aux autres destinataires de la décision attaquée (voir point 38 ci-dessus). Dès lors, le Tribunal estime, en exerçant sa compétence de pleine juridiction, qu’il n’est en tout état de cause pas opportun de réduire ultérieurement le montant de l’amende dont les requérantes sont redevables.

356    À la lumière des considérations qui précèdent, la présente branche doit être rejetée également en ce qui concerne l’exercice de la compétence de pleine juridiction.

 Sur la deuxième branche

357    Les requérantes soutiennent que la Commission leur a initialement donné un accès partiel au dossier, qui n’aurait été étendu que par la suite à d’autres documents concernant le citalopram générique produit par la société indienne Matrix (ci‑après les « documents sur Matrix »). Certains documents ne leur auraient été communiqués qu’après l’expiration du délai pour répondre à la communication des griefs, et ce bien que celui-ci ait été prorogé à plusieurs reprises.

358    La Commission conteste les arguments des requérantes.

359    Il convient de relever, à l’instar de la Commission, que les documents sur Matrix dont celle-ci disposait étaient couverts par des ordonnances de confidentialité émises par des juridictions nationales, si bien qu’elle ne pouvait pas permettre aux requérantes de les consulter avant que les parties concernées n’eussent donné leur accord.

360    Cette circonstance explique pourquoi les requérantes ont eu accès à ces documents de manière échelonnée.

361    S’agissant du fait que les derniers documents sur Matrix ont été transmis aux requérantes après l’expiration du délai ultime pour répondre à la communication des griefs, il y a lieu d’observer que celles-ci n’ont pas utilisé la possibilité de déposer des observations supplémentaires, que la Commission leur avait pourtant offerte, ainsi que cela résulte de la lettre du conseiller-auditeur du 18 décembre 2012, produite par les requérantes devant le Tribunal.

362    Dès lors, la présente branche doit être rejetée.

 Sur la troisième branche

363    Les requérantes font valoir que, dans la communication des griefs, la Commission avait soutenu que Lundbeck et Arrow étaient des concurrents potentiels au motif que cette dernière pouvait entrer sur le marché sans enfreindre aucun brevet, alors que, dans la décision attaquée, elle a considéré que, après l’expiration des brevets originaires, le marché était largement ouvert à la concurrence et que les nouveaux brevets de Lundbeck n’étaient pas pertinents aux fins de l’appréciation de la concurrence potentielle. Selon les requérantes, avant de suivre cette approche prétendument nouvelle, la Commission aurait dû adopter une communication des griefs supplémentaire.

364    La Commission conteste les arguments des requérantes.

365    Il convient de noter que, comme le fait observer à juste titre la Commission, celle-ci a suivi la même approche au sujet de la concurrence potentielle tant dans la communication des griefs que dans la décision attaquée. En effet, la position exposée aux considérants 561 à 563 et 593 à 595 de la communication des griefs correspond largement à celle retenue dans la décision attaquée en ce qui concerne les raisons pour lesquelles les requérantes et Lundbeck étaient des concurrents potentiels lors de la conclusion des accords litigieux.

366    D’ailleurs, il y a lieu de relever que les requérantes n’ont même pas répondu aux remarques en ce sens que la Commission a formulées dans le mémoire en défense.

367    Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter également la présente branche et, dès lors, le premier moyen dans son ensemble.

4.     Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs de droit concernant l’imposition d’une amende en l’espèce

368    Par le quatrième moyen, soulevé au soutien des conclusions tendant à l’annulation de l’amende infligée aux requérantes, celles-ci font valoir qu’il n’est pas établi qu’elles aient commis une infraction à l’article 101 TFUE de propos délibéré ou par négligence, au sens de l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, et que l’imposition d’une amende en l’espèce viole les principes de proportionnalité, de légalité des peines et de sécurité juridique.

369    Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, les principes de légalité des peines et de sécurité juridique ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, mais peuvent s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction. Tel est en particulier le cas s’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (voir arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, point 77 supra, EU:C:2014:2062, points 147 et 148 et jurisprudence citée).

370    À cet égard, il résulte de la jurisprudence que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires et que la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec, EU:C:2005:408, point 219).

371    Par ailleurs, s’agissant de la question de savoir si une infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence et est, de ce fait, susceptible d’être sanctionnée par une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1/2003, il résulte de la jurisprudence que cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir arrêt Schenker & Co. e.a., point 283 supra, EU:C:2013:404, point 37 et jurisprudence citée).

372    En l’espèce, en premier lieu, il résulte notamment des points 109, 110 et 279 à 281 ci-dessus qu’il n’existait pas d’insécurité juridique quant à la possibilité de qualifier de restriction par objet des accords ayant les caractéristiques de ceux dont il s’agit en l’espèce et étant intervenus dans le contexte de ceux-ci.

373    En deuxième lieu, s’agissant plus particulièrement des références que les requérantes font au communiqué de presse du KFST, il suffit de renvoyer aux points 282 à 287 ci-dessus.

374    En troisième lieu, s’agissant de la prétendue absence de restriction de la concurrence, il convient d’observer que l’examen des deuxième et troisième moyens a permis d’établir que les requérantes étaient dans une relation de concurrence potentielle avec Lundbeck et que les accords litigieux, qui comportaient des restrictions allant au-delà du champ d’application des nouveaux brevets de celle-ci, les ont exclues des marchés concernés pendant leurs durées, en contrepartie de paiements inversés dont le montant était lié aux profits escomptés.

375    En quatrième lieu, à l’égard de la prétendue absence d’intention anticoncurrentielle, il suffit de renvoyer à ce qui a été exposé aux points 270 à 275 ci-dessus.

376    Enfin, quant à l’argument des requérantes ayant trait à l’absence de solutions autres que la conclusion des accords litigieux, il ne saurait être considéré que la seule option ouverte aux requérantes était celle de parvenir à des accords qui les excluraient du marché pendant une période donnée, sans garantie de ne pas être poursuivies pour contrefaçon par la suite, et ce en échange de paiements inversés dont le montant tenait compte des profits espérés par les requérantes en cas d’entrée sur le marché. Par ailleurs, s’il s’agit là d’une solution avantageuse tant pour les requérantes que pour Lundbeck, cela ne suffit pas pour rendre inapplicable l’article 101 TFUE, conformément à la jurisprudence rappelée au point 140 ci-dessus.

377    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

5.     Sur le cinquième moyen, tiré de la qualification erronée des accords litigieux d’infraction unique et continue

378    Par le cinquième moyen, invoqué à titre subsidiaire, les requérantes soutiennent que l’accord UK et l’accord danois ne peuvent pas être considérés comme donnant lieu à une infraction unique et continue.

379    Elles contestent le bien-fondé des constatations effectuées dans la décision attaquée à cet égard, en particulier de celle concernant le fait que ces accords portent sur la même période, et font valoir qu’ils ne relèvent pas d’un même plan global ni ne sont complémentaires.

380    Selon les requérantes, la Commission aurait procédé à une telle qualification des accords litigieux afin d’éviter que le délai de prescription décennal découlant de l’article 25, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5, du règlement n° 1/2003 l’empêchât d’infliger une amende à l’égard de l’accord danois, qui avait pris fin plus de dix ans avant l’adoption de la décision attaquée.

381    La Commission conteste les arguments des requérantes.

382    Il convient de rappeler que la notion d’infraction unique vise une situation dans laquelle plusieurs entreprises ont participé à une infraction constituée d’un comportement continu poursuivant un seul but économique visant à fausser la concurrence ou bien encore d’infractions individuelles liées entre elles par une identité d’objet (même finalité de l’ensemble des éléments) et de sujets (identité des entreprises concernées, conscientes de participer à l’objet commun) (voir arrêt du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05, Rec, EU:T:2010:165, point 89 et jurisprudence citée).

383    En outre, il y a lieu de relever qu’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu. Cette interprétation ne saurait être contestée au motif qu’un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition. Lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un plan global, en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché unique, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir arrêt Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, point 382 supra, EU:T:2010:165, point 90 et jurisprudence citée).

384    Il importe également de préciser que l’objectif unique visé par le plan global qui caractérise une infraction unique et continue ne saurait être déterminé par la référence générale à la distorsion de concurrence dans le marché concerné par l’infraction, dès lors que l’atteinte portée à la concurrence constitue, en tant qu’objet ou effet, un élément consubstantiel à tout comportement relevant du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Une telle définition de la notion d’objectif unique risquerait de priver la notion d’infraction unique et continue d’une partie de son sens, dans la mesure où elle aurait comme conséquence que plusieurs comportements, concernant un secteur économique, interdits par l’article 101, paragraphe 1, TFUE devraient systématiquement être qualifiés d’éléments constitutifs d’une infraction unique. Ainsi, aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il y a lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par le biais d’une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de toute circonstance susceptible d’établir ou de remettre en cause ledit lien, telle que la période d’application, le contenu (y compris les méthodes employées) et, corrélativement, l’objectif des divers agissements en question (voir arrêt Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, point 382 supra, EU:T:2010:165, point 92 et jurisprudence citée).

385    C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les arguments des requérantes.

386    En premier lieu, il doit être relevé que les accords litigieux ont été conclus entre les mêmes entreprises, c’est-à-dire Lundbeck et celle constituée par les requérantes.

387    En deuxième lieu, ces accords visaient chacun à éviter l’entrée des requérantes sur le marché avec du citalopram générique, dans les États membres où celles-ci avaient effectué de nombreuses démarches à cette fin, et ce en contrepartie d’un paiement de la part de Lundbeck.

388    En troisième lieu, ainsi que le fait observer à juste titre la Commission, Déf 203 s’il est vrai que la durée de ces accords ne coïncide pas parfaitement, il n’en reste pas moins que celle de l’accord danois est entièrement comprise dans celle de l’accord UK, tel que prorogé.

389    En quatrième lieu, il convient de relever qu’il existe un lien de complémentarité évident entre les accords litigieux, ainsi que le fait également remarquer la Commission.

390    En effet, premièrement, il doit être observé que le neuvième considérant de l’accord danois, tout comme les points 1.1 et 4.1 de celui-ci, renvoie à l’action en contrefaçon UK. En particulier, ce dernier point prévoit que l’accord danois puisse prendre fin au moment où il y aurait une décision de justice définitive sur ladite action, ce qui correspond, en substance, au point 4.1 de l’accord UK.

391    Deuxièmement, les requérantes, dans leurs réponses à une demande de renseignements de la Commission du 6 mai 2011, ont reconnu que l’accord danois avait été conclu compte tenu de l’action en contrefaçon UK.

392    Troisièmement, il résulte du dossier que les requérantes ont admis, dans leur réponse à une demande de renseignements de la Commission du 18 décembre 2008, que l’accord UK avait été suivi par au moins un autre accord, concernant le Danemark, conclu essentiellement pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à l’accord UK.

393    Quatrièmement, comme cela résulte d’un courriel du 23 mai 2002 figurant au dossier de la Commission et produit devant le Tribunal ainsi que, plus généralement, du considérant 455 de la décision attaquée, Arrow Generics, signataire de l’accord UK, a été impliquée également dans les négociations de l’accord danois, signé par Arrow Group.

394    L’ensemble de ces circonstances permet de conclure que les accords litigieux faisaient partie du plan global par lequel Lundbeck et les requérantes avaient décidé qu’il était dans leur intérêt de retarder, en contrepartie de paiements inversés, le moment où ces dernières entreraient sur le marché avec du citalopram générique.

395    Ainsi, la Commission était en droit de considérer que ces accords donnaient lieu à une infraction unique et continue qui avait pris fin le 20 octobre 2003 et qui n’était donc pas frappée par la prescription lors de l’adoption de la décision attaquée.

396    Dès lors, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

6.     Sur le sixième moyen, tiré du caractère disproportionné du montant de l’amende

397    Par le sixième moyen, invoqué à titre infiniment subsidiaire, en premier lieu, les requérantes font valoir que le montant de l’amende est manifestement disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction qui leur est reprochée, si bien que le Tribunal devrait le réduire, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction.

398    Il convient de rappeler que, ainsi que cela a été observé au point 35 ci-dessus, la Commission a utilisé deux méthodes différentes pour calculer, d’une part, le montant de l’amende à infliger à Lundbeck et, d’autre part, le montant des amendes à infliger aux entreprises de génériques, dont les requérantes.

399    En effet, s’agissant de Lundbeck, la Commission a utilisé la méthode générale prévue dans les lignes directrices de 2006 et a ainsi calculé le montant de base à partir d’une proportion de la valeur des ventes de biens ou de services, réalisées par celle-ci, liées directement ou indirectement aux infractions commises, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE (paragraphes 13 et 19 desdites lignes directrices). La proposition retenue a été de 10 ou 11 %, selon la portée géographique des accords en cause.

400    S’agissant des requérantes, comme, du reste, des autres entreprises de génériques concernées, la Commission a relevé que, en raison des accords litigieux, celle-ci n’avait pratiquement pas vendu de citalopram pendant la période pertinente et a donc considéré qu’il était nécessaire d’avoir recours au paragraphe 37 des lignes directrices de 2006, selon lequel les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière peuvent justifier qu’elle s’écarte de la méthodologie générale.

401    La méthode appliquée aux requérantes a donc consisté à utiliser en tant que montant de base la valeur totale des paiements que celles-ci avaient reçus de Lundbeck, soit 11,1 millions d’euros.

402    Il ne peut pas être sérieusement contesté que, eu égard à l’absence de ventes sur le marché par les requérantes, la Commission devait s’écarter de la méthode générale.

403    De même, il doit être observé que la méthode utilisée par la Commission en l’espèce à l’égard des requérantes a permis de leur retirer les bénéfices que la conclusion des accords litigieux avait entraînés.

404    Par ailleurs, à supposer que, par l’application de cette méthode, la Commission ait fixé l’amende infligée aux requérantes à un montant dépassant lesdits bénéfices, il y a lieu de relever que le but d’une amende n’est pas simplement d’éliminer les bénéfices qu’une entreprise a tirés de son comportement anticoncurrentiel, mais également de dissuader cette entreprise et d’autres entreprises de s’adonner à de tels comportements. Ainsi, même dans cette hypothèse, le montant de l’amende retenu par la Commission n’en serait pas pour autant disproportionné.

405    Le premier grief des requérantes doit donc être rejeté.

406    En deuxième lieu, les requérantes avancent que la Commission aurait dû tenir compte de certaines prétendues circonstances atténuantes.

407    À cet égard, premièrement, il convient d’observer, comme le fait remarquer, en substance, la Commission, que la prétendue erreur des requérantes consistant à acheter du citalopram potentiellement contrefaisant ne les autorisait pas à conclure des accords anticoncurrentiels pour obtenir un retour sur l’investissement effectué.

408    Deuxièmement, le fait que les requérantes aient formé une jeune entreprise ne constitue pas non plus une circonstance atténuante. À ce sujet, en plus de renvoyer à ce qui a été exposé aux points 371 et 372 ci-dessus à l’égard de la négligence, il convient de noter que, selon la jurisprudence, le fait qu’une entreprise ait ignoré, pour quelque raison que ce soit, que son comportement enfreignait les règles de concurrence prévues par le droit de l’Union ne constitue pas une circonstance atténuante justifiant une réduction du montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2012, Novácke chemické závody/Commission, T‑352/09, Rec, EU:T:2012:673, points 81, 87 et 89).

409    Troisièmement, si les requérantes soutiennent qu’elles n’auraient pas pu entrer sur le marché pendant la durée des accords litigieux, il résulte de l’examen du deuxième moyen que celles-ci disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché, qui ont été entravées par la conclusion des accords litigieux. Dès lors que l’infraction constatée dans la décision attaquée a trait à une restriction par objet de la concurrence potentielle, il importe peu de savoir à quelle date les requérantes seraient entrées sur le marché à défaut de conclure ces accords.

410    Quatrièmement, s’agissant du prétendu caractère nouveau de l’infraction en cause, il résulte notamment des points 109, 110, 229 à 231, 369 et 370 ci-dessus que celle-ci n’avait pas un tel caractère, si bien qu’aucune réduction du montant de l’amende ne devait être envisagée à ce titre.

411    Cinquièmement, en ce qui concerne la prétendue courte durée de l’infraction en cause, il y a lieu de relever que, ainsi que l’a, en substance, fait la Commission, au considérant 1368 de la décision attaquée, les accords litigieux étant une restriction par objet, la durée de l’infraction commise par les requérantes coïncide avec la durée de ces accords, indépendamment de la période au cours de laquelle ceux-ci ont produit des effets. Dès lors, en se fondant sur les montants des paiements que, en vertu des accords litigieux, Lundbeck avait effectués au profit des requérantes en contrepartie des obligations que celles-ci avaient assumées pendant la durée de ceux-ci, la Commission a dûment tenu compte de la durée de l’infraction reprochée.

412    En troisième lieu, les requérantes font valoir que la Commission a retenu à tort, en tant que circonstance aggravante, la part de marché très importante de Lundbeck.

413    Il y a lieu de relever que, selon le considérant 1361 in fine de la décision attaquée, la nature de l’infraction, la part de marché de Lundbeck, la portée géographique des accords en cause et la mise en œuvre de ceux-ci n’ont été mentionnées que dans un souci d’exhaustivité, mais qu’elles n’ont pas été déterminantes afin de fixer le montant de l’amende à infliger aux entreprises de génériques en application de la méthode choisie par la Commission à leur égard, en vertu de la marge d’appréciation que lui confère le paragraphe 37 des lignes directrices de 2006.

414    Ainsi, aux fins d’établir qu’il s’agissait d’une infraction grave, la Commission pouvait se limiter à constater, comme elle l’a fait notamment au considérant 1362 de la décision attaquée en réponse à une objection des requérantes, qu’il s’agissait d’accords d’exclusion du marché d’un concurrent potentiel, une telle constatation étant correcte, ainsi que cela résulte de l’examen des deuxième et troisième moyens.

415    À la lumière des considérations qui précèdent, le présent moyen doit être rejeté.

416    Aucun des moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur demande d’annulation de la décision attaquée n’étant fondé et l’examen de leurs arguments au soutien de leur demande de réformation de celle-ci n’ayant pas permis de relever d’éléments inappropriés dans le calcul du montant de l’amende effectué par la Commission, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

417    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Arrow Group ApS et Arrow Generics Ltd sont condamnées aux dépens.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 septembre 2016.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

1.  Sociétés en cause dans la présente affaire

2.  Produit concerné et brevets portant sur celui-ci

3.  Accords conclus par Lundbeck avec Arrow Group, Arrow Generics ainsi que Resolution Chemicals et autres éléments du contexte

4.  Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

5.  Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Sur le deuxième moyen, tiré du fait que les requérantes n’étaient pas dans une relation de concurrence potentielle avec Lundbeck

Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

Principes et jurisprudence applicables

Concurrence potentielle

Charge de la preuve

Portée du contrôle exercé par le Tribunal

Sur l’aspect temporel de la concurrence potentielle

Sur l’importance de la perception de Lundbeck

Sur l’expiration des brevets originaires

Sur les nouveaux brevets de Lundbeck et sur la présomption de validité de ceux-ci

Sur les erreurs factuelles invoquées par les requérantes

Sur la possibilité d’entrer sur le marché avec le citalopram produit selon les procédés Cipla I et Matrix I

Sur la possibilité pour les requérantes de se procurer du citalopram produit selon d’autres procédés

Sur l’applicabilité des lignes directrices sur le transfert de technologie

Sur la pertinence de l’arrêt Paroxetine

2.  Sur le troisième moyen, tiré du fait que les accords litigieux ne constituent pas des restrictions par objet

Sur la première branche

Sur l’interprétation de l’accord UK

Sur l’interprétation de l’accord danois

Sur la deuxième branche

Observations liminaires

Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

Sur l’existence d’une restriction par objet en l’espèce

–  Sur l’objectif de résoudre à l’amiable des litiges en matière de brevets

–  Sur l’absence de certitude en ce qui concerne l’issue d’un éventuel contentieux en matière de brevets

–  Sur le contexte économique et juridique

–  Sur les analogies avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS

–  Sur les intentions des parties aux accords litigieux

–  Sur le manque de précédents et l’insécurité juridique

Sur la troisième branche

Sur la quatrième branche

Sur la cinquième branche

Sur la sixième branche

3.  Sur le premier moyen, tiré de la violation des formes substantielles dans le cadre de la procédure d’adoption de la décision attaquée

Sur la première branche

Sur la deuxième branche

Sur la troisième branche

4.  Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs de droit concernant l’imposition d’une amende en l’espèce

5.  Sur le cinquième moyen, tiré de la qualification erronée des accords litigieux d’infraction unique et continue

6.  Sur le sixième moyen, tiré du caractère disproportionné du montant de l’amende

Sur les dépens


** Langue de procédure : l’anglais.