Language of document : ECLI:EU:T:2023:113

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

8 mars 2023 (*)

« Fonction publique – Agents temporaires – Recrutement – Programme pilote de la Commission destiné au recrutement d’administrateurs juniors – Rejet de candidature – Conditions d’éligibilité – Critère de trois ans au maximum d’expérience professionnelle – Égalité de traitement – Discrimination fondée sur l’âge »

Dans l’affaire T‑763/21,

SE, représenté par Mes L. Levi et A. Blot, avocates,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Schima, L. Vernier et Mme I. Melo Sampaio, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mmes N. Półtorak (rapporteure) et I. Reine, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, le requérant, SE, demande, d’une part, l’annulation de la décision de la Commission européenne du 23 avril 2021, par laquelle celle-ci a rejeté sa candidature au programme pilote « Juniors professionnels » (ci-après le « JPP ») et, d’autre part, la réparation du préjudice qu’il aurait subi du fait de cette décision.

 Antécédents du litige

2        Le 16 mai 2018, le requérant est entré en fonction à la Commission en tant qu’agent temporaire de grade AST 3 au titre de l’article 2, sous b), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »), pour une période de trois ans. Le 18 janvier 2021, le contrat à durée déterminée du requérant a été prorogé pour une période de deux ans, arrivant à son terme le 15 mai 2023.

3        Au mois de mars 2021, la Commission a lancé un appel à manifestation d’intérêt (ci-après l’« AMI ») en vue de recruter des administrateurs juniors, autrement dénommés « jeunes professionnels », au JPP.

4        Le 23 mars 2021, à la suite de la publication de l’AMI, le requérant a soumis sa candidature aux services compétents de la Commission.

5        Le 23 avril 2021, la Commission a adopté la décision de rejet de candidature, par laquelle elle a rejeté la candidature du requérant au JPP au motif de son inéligibilité.

6        Le 27 avril 2021, le requérant a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») contre la décision de rejet de candidature.

7        Le 27 août 2021, la Commission a adopté la décision de rejet de la réclamation contre la décision de rejet de candidature.

 Conclusions des parties

8        Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de rejet de candidature ;

–        annuler, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner la Commission au paiement, d’une part, de la somme de 42 592 euros, auxquels il convient d’appliquer un coefficient de 50 %, en réparation de la perte de chance d’être reclassé en qualité d’agent temporaire de grade AD 5 à partir du 1er octobre 2021 et, d’autre part, de la somme de 600 000 euros en réparation de la perte de chance de devenir fonctionnaire en participant à des concours internes réservés à des agents temporaires du groupe de fonctions des administrateurs (AD) ;

–        condamner la Commission aux dépens.

9        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du recours

10      Il ressort des conclusions en annulation que le requérant demande au Tribunal d’annuler non seulement la décision de rejet de candidature, mais également, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation.

11      À cet égard, le requérant soutient que la décision de rejet de la réclamation ne peut être considérée comme une simple confirmation de la décision de rejet de candidature dans la mesure où l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC ») y répond, pour la première fois, aux allégations de discrimination fondée sur l’âge présentées dans la réclamation du 27 avril 2021.

12      La Commission soutient que la décision de rejet de la réclamation ne fait que confirmer et compléter la motivation de la décision de rejet de candidature, en répondant aux allégations formulées dans la réclamation du requérant. Or, étant donné qu’elle n’examinerait pas une nouvelle demande pour la première fois, la décision de rejet de la réclamation ne saurait, en tant que telle, faire grief au requérant.

13      Selon une jurisprudence constante, la réclamation administrative, telle que visée à l’article 90, paragraphe 2, du statut, et son rejet, explicite ou implicite, font partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, le recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée, sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation aurait une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée (voir arrêt du 27 octobre 2016, CW/Parlement, T‑309/15 P, non publié, EU:T:2016:632, point 27 et jurisprudence citée).

14      En outre, compte tenu de ce que la procédure précontentieuse présente un caractère évolutif, une décision explicite de rejet de la réclamation qui ne contient que des précisions complémentaires et se borne ainsi à révéler, de manière détaillée, les motifs de la confirmation de l’acte antérieur ne constitue pas un acte faisant grief. Néanmoins, ce même caractère évolutif de la procédure précontentieuse implique que ces précisions complémentaires soient prises en considération pour apprécier la légalité de l’acte attaqué (arrêt du 13 juillet 2022, TL/Commission, T‑677/21, non publié, EU:T:2022:456, point 17).

15      En l’espèce, il convient d’observer que la décision de rejet de la réclamation confirme la décision de rejet de candidature, en précisant les motifs venant au soutien de la position de l’AHCC s’agissant de cette décision. Dès lors, la circonstance selon laquelle l’AHCC a été amenée, en réponse aux arguments avancés par le requérant dans la réclamation, à apporter des précisions concernant les motifs de ladite décision ne saurait justifier que la décision de rejet de la réclamation soit considérée comme un acte autonome faisant grief au requérant.

16      Ainsi, en application de la jurisprudence citée au point 13 ci-dessus, il convient de considérer que l’acte faisant grief au requérant est la décision de rejet de candidature (ci-après la « décision attaquée ») et que les conclusions en annulation doivent être considérées comme étant dirigées contre cette seule décision, dont la légalité doit être examinée en prenant également en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation.

 Sur les conclusions en annulation

17      À l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant soulève trois moyens, tirés, le premier, d’une discrimination fondée sur l’âge en violation de l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 1er quinquies du statut et de l’article 10, paragraphe 1, du RAA, le deuxième, d’un abus de pouvoir et d’une incompétence et, le troisième, de l’illégalité de l’AMI.

18      S’agissant du premier moyen, la Commission soutient qu’il s’agit, en substance, d’une exception d’illégalité du point II.2 de l’AMI, lequel établit que, afin d’être admis au JPP, les candidats doivent avoir une expérience professionnelle maximale de trois ans (ci-après le « critère litigieux »), étant donné que, dans la décision attaquée, l’administration n’a fait qu’appliquer cette disposition de l’AMI. Pour ce motif, la Commission soutient que le troisième moyen, tiré d’une exception d’illégalité de l’AMI, ne se distingue pas de l’argumentation développée par le requérant dans le cadre du premier moyen en ce qui concerne les allégations de violation de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, de l’article 1er quinquies du statut et de l’article 10, paragraphe 1, du RAA. Le requérant admet que le premier moyen implique une exception d’illégalité de l’AMI, qui exige au maximum trois ans d’expérience professionnelle.

19      Sur ce point, il convient d’observer que, dans le cadre du troisième moyen, s’agissant de l’exception d’illégalité de l’AMI, le requérant se contente de renvoyer aux arguments qu’il a présentés dans le cadre du premier moyen de la requête. Dans ces circonstances, et ainsi que le requérant le reconnaît lui-même dans la réplique, ces deux moyens contiennent une exception d’illégalité de l’AMI et reposent sur les mêmes arguments.

20      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument du requérant selon lequel le premier moyen et l’argumentation qui y est présentée visent également l’annulation de la décision attaquée, indépendamment de l’exception d’illégalité de l’AMI. En effet, par ladite décision, l’AHCC s’est contentée de faire application à l’égard du requérant du point II.2 de l’AMI. En outre, dans le cadre du premier moyen, le requérant ne soulève aucun argument qui ne concernerait pas l’application, dans la décision attaquée, de l’AMI.

21      Au vu de ce qui précède, il convient d’examiner, ensemble, les premier et troisième moyens.

 Sur les premier et troisième moyens

22      Le requérant, en soulevant des arguments contre la décision attaquée, excipe, en substance, comme cela est mentionné aux points 19 et 20 ci-dessus, de l’illégalité de l’AMI et soulève deux griefs à cet égard. Par le premier grief, le requérant soutient que la Commission a appliqué un traitement discriminatoire à des personnes se trouvant dans une situation similaire dans le cadre de la procédure de sélection pour le JPP. À cet égard, il soutient que le critère litigieux donne lieu à un traitement discriminatoire fondé sur l’âge, en ce que les jeunes professionnels seraient largement favorisés en matière de recrutement.

23      Par le second grief, le requérant soutient que la Commission a appliqué un traitement discriminatoire à des personnes se trouvant dans une situation similaire pendant le déroulement du JPP en ce qui concerne l’application de certaines dispositions du statut et du RAA aux agents temporaires recrutés sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA. Il explique que les participants au JPP jouissent, en tant qu’agents temporaires, d’un « ensemble de droits » dont lui-même serait privé du fait de son statut d’agent temporaire recruté sur le fondement de l’article 2, sous b), du RAA, à savoir d’une certaine mobilité, de possibilités de réaffectation sans nouveau contrat, d’une augmentation de la rémunération et d’un accès à des concours internes.

–       Sur la recevabilité

24      La Commission soulève l’irrecevabilité du second grief et d’un certain nombre d’arguments soulevés par le requérant dans le cadre des premier et troisième moyens. Selon la Commission, ceux-ci ne concernent pas des dispositions de l’AMI qui constituent la base de la décision attaquée ou qui entretiennent un lien direct avec cette décision.

25      Il convient de rappeler que, en application de l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union européenne, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 66 et jurisprudence citée).

26      Selon une jurisprudence bien établie, la portée de l’exception d’illégalité prévue à l’article 277 TFUE est limitée à ce qui est indispensable à la solution du litige. De même, il a déjà été jugé que, dans le cadre d’une procédure de recrutement, la partie requérante pouvait, à l’occasion d’un recours dirigé contre des actes ultérieurs, faire valoir l’irrégularité des actes antérieurs qui leur étaient étroitement liés (voir arrêt du 23 mars 2004, Theodorakis/Conseil, T‑310/02, EU:T:2004:90, point 48 et jurisprudence citée).

27      C’est ainsi que, à l’occasion des recours en annulation intentés contre des décisions individuelles, peuvent valablement faire l’objet d’une exception d’illégalité les dispositions d’un acte de portée générale qui constituent la base desdites décisions ou qui entretiennent un lien juridique direct avec de telles décisions (arrêts du 17 décembre 2020, BP/FRA, C‑601/19 P, non publié, EU:C:2020:1048, point 29, et du 21 septembre 2022, Casanova/BEI, T‑266/21, non publié, EU:T:2022:566, point 27).

28      En revanche, il ressort de la jurisprudence qu’est irrecevable une exception d’illégalité dirigée contre un acte de portée générale dont la décision individuelle attaquée ne constitue pas une mesure d’application (arrêts du 17 décembre 2020, BP/FRA, C‑601/19 P, non publié, EU:C:2020:1048, point 30, et du 21 septembre 2022, Casanova/BEI, T‑266/21, non publié, EU:T:2022:566, point 28).

29      En premier lieu, en ce qui concerne l’irrecevabilité du second grief, la Commission soutient que celui-ci est dénué de lien avec les motifs de la décision attaquée, dès lors qu’il ne concerne pas le critère litigieux ouvrant l’éligibilité au JPP, mais les modalités de fonctionnement du programme.

30      D’une part, il convient de relever que, dans la décision attaquée, précisée par la décision de rejet de la réclamation, l’AHCC a indiqué au requérant qu’il ne répondait pas au critère litigieux, posé au point II.2 de l’AMI. D’autre part, les allégations du requérant tirées de ce que les candidats recrutés pour le JPP bénéficieraient d’un « ensemble de droits » dont il serait privé visent à critiquer d’autres dispositions de l’AMI que le point II.2 de celui-ci, appliqué dans la décision attaquée.

31      Partant, la décision attaquée étant une décision de rejet de candidature au motif de l’inéligibilité du requérant en application du critère litigieux, l’illégalité éventuelle des règles de déroulement du JPP n’est pas susceptible d’affecter sa validité. Ces règles ne constituent pas, en effet, la base juridique de la décision attaquée et n’entretiennent aucun lien direct ou indirect avec celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2020, BP/FRA, C‑601/19 P, non publié, EU:C:2020:1048, point 40, et du 12 septembre 2018, De Geoffroy e.a./Parlement, T‑788/16, non publié, EU:T:2018:534, point 82). Ainsi, en application de la jurisprudence citée aux points 26 à 28 ci-dessus, et à défaut d’un lien étroit entre l’illégalité invoquée au regard des modalités de déroulement du JPP et les motifs de la décision attaquée, l’exception d’illégalité doit être déclarée irrecevable à cet égard.

32      Par conséquent, il y a lieu de considérer le second grief comme étant irrecevable.

33      En deuxième lieu, la Commission fait valoir que les allégations de violation des articles 2 et 9 du RAA sont irrecevables, pour le même motif que celui exposé au point 29 ci-dessus. Par celles-ci, le requérant soutient, en substance, que la circonstance selon laquelle les participants au JPP obtiennent des contrats d’agents temporaires sur le fondement de l’article 2, sous a) ou b), du RAA, même si leur recrutement ne permet pas de pourvoir un poste vacant, est contraire aux articles 2 et 9 du RAA. Il s’ensuivrait que l’objectif du JPP serait illégal.

34      À cet égard, comme cela est mentionné aux points 26 à 28 ci-dessus, la portée d’une exception d’illégalité doit être limitée à ce qui est indispensable à la solution du litige et, à défaut d’un lien étroit entre l’illégalité de l’acte de portée générale invoquée et les motifs de la décision attaquée, l’exception d’illégalité doit être déclarée irrecevable.

35      En l’espèce, lorsqu’il allègue que la circonstance selon laquelle les participants au JPP obtiennent des contrats d’agents temporaires sur le fondement de l’article 2, sous a) ou b), du RAA est contraire aux articles 2 et 9 du RAA, le requérant conteste en réalité la légalité des modalités d’emploi des participants au JPP, et non le critère litigieux appliqué dans la décision attaquée. Dès lors, ces arguments ne visent pas à remettre en cause les dispositions de l’AMI qui constituent la base juridique de la décision attaquée, ni n’entretiennent un quelconque lien juridique direct avec cette décision.

36      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer comme étant irrecevables les allégations du requérant tirées de l’illégalité de l’AMI en raison de la violation des articles 2 et 9 du RAA.

37      En troisième lieu, la Commission soutient que, en ce qui concerne l’argument tiré d’une violation de l’article 29 du statut, le requérant ne présente dans sa requête aucun élément à ce sujet à l’appui du troisième moyen, de sorte que cet argument est irrecevable pour violation de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal.

38      À cet égard, il y a lieu d’observer que, dans la réplique, le requérant a apporté des précisions quant audit argument en indiquant que la violation de l’article 29 du statut était évidente en ce que la Commission aurait d’abord dû tenter de pourvoir les postes occupés par les participants au JPP sur le fondement de la procédure prévue à l’article 29 du statut. Toutefois, à supposer que cet argument ainsi expliqué ait été compréhensible en ce sens dans la requête et de nature à permettre à la Commission de préparer sa défense, il n’en demeure pas moins qu’il vise également, en substance, à contester la légalité des modalités d’emploi des participants au JPP, et non le critère litigieux appliqué dans la décision attaquée. Par conséquent, ledit argument n’entretient pas un lien juridique direct avec la décision attaquée. Il s’ensuit qu’il est irrecevable pour les mêmes motifs que ceux qui figurent aux points 34 à 36 ci-dessus.

39      En quatrième lieu, le requérant fait valoir que l’exigence d’une expérience professionnelle maximale de trois ans favorise très largement une catégorie de stagiaires de la Commission, à savoir les stagiaires dits « livre bleu » (ci-après les « stagiaires “livre bleu” »), en violation, d’une part, de la décision C(2005) 458 de la Commission, du 2 mars 2005, établissant les dispositions relatives au programme officiel de stages de la Commission et, d’autre part, de l’article 1er du RAA. La Commission soutient que ces arguments sont irrecevables, pour le même motif que celui exposé au point 29 ci-dessus.

40      À cet égard, il convient de relever que, par ces allégations, le requérant ne vise pas, contrairement à ce qu’affirme la Commission, à contester la légalité du JPP en tant que telle, mais à soutenir que l’objectif du JPP, qui, selon la Commission, justifie le critère litigieux, est « illégitime » pour autant qu’il vise à favoriser les stagiaires « livre bleu ». Il y a donc lieu de considérer que ces allégations sont invoquées au soutien de l’illégalité tirée de la discrimination fondée sur l’âge et invoquée par le requérant dans le cadre du premier grief. Il s’ensuit que ces arguments, qui visent à contester les motifs de la décision attaquée et, partant, le critère litigieux prévu par l’AMI dont l’illégalité est invoquée, sont recevables.

–       Sur le fond

41      Le requérant soutient, en substance, que l’application, dans la décision attaquée, du critère litigieux a conduit à un traitement discriminatoire entre des personnes se trouvant dans une situation similaire. En ce sens, le critère litigieux constituerait une limite d’âge déguisée et donc une forme de discrimination directe. Au soutien de son argumentation, le requérant fait valoir que l’âge moyen des candidats sélectionnés était de 26,7 ans. Or, une telle discrimination ne serait ni justifiée par un objectif légitime, ni appropriée et nécessaire.

42      Dans ce contexte, le critère litigieux serait contraire au principe général de non-discrimination fondée sur l’âge tel que consacré à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, à l’article 1er quinquies du statut ainsi qu’à l’article 1er et à l’article 10, paragraphe 1, du RAA.

43      La Commission conteste l’argumentation du requérant et conclut au rejet du présent moyen.

44      À cet égard, il convient de relever que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré à l’article 20 de la Charte, dont le principe de non-discrimination énoncé à l’article 21, paragraphe 1, de cette charte est une expression particulière (arrêt du 7 février 2019, RK/Conseil, T‑11/17, EU:T:2019:65, point 60).

45      Selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe général d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 1er mars 2011, Association belge des Consommateurs Test-Achats e.a., C‑236/09, EU:C:2011:100, point 28 et jurisprudence citée). Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est liée à un but légalement admissible poursuivi par la réglementation en cause et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (voir arrêt du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12, EU:C:2014:350, point 43 et jurisprudence citée).

46      C’est à la personne qui s’estime lésée par le non-respect du principe d’égalité de traitement qu’il incombe, dans un premier temps, d’établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. C’est uniquement si cette personne a établi de tels faits qu’il revient à la partie défenderesse, dans un second temps, de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de non-discrimination (arrêt du 19 avril 2012, Meister, C‑415/10, EU:C:2012:217, point 36).

47      L’article 1er quinquies du statut, applicable à l’époque des faits du litige, prévoit l’interdiction de toute discrimination, notamment de celle fondée sur l’âge, dans l’application du statut.

48      En outre, au soutien de son argument selon lequel la discrimination résultant de l’application du critère litigieux constitue une discrimination directe, le requérant invoque la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

49      À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 288, troisième alinéa, TFUE que les directives lient les États membres qui en sont destinataires quant au résultat à atteindre. Il s’ensuit que la directive 2000/78, ainsi qu’il est précisé d’ailleurs à son article 21, est adressée aux États membres, et non aux institutions. Par conséquent, les dispositions de cette directive ne peuvent être considérées comme imposant, en tant que telles, des obligations aux institutions, dans l’exercice de leurs pouvoirs législatifs ou décisionnels, et ne peuvent pas davantage, en tant que telles, fonder une exception d’illégalité du point II.2 de l’AMI (voir, en ce sens, arrêt du 7 février 2019, RK/Conseil, T‑11/17, EU:T:2019:65, point 67).

50      En revanche, même si la directive 2000/78 ne peut, en tant que telle, être source d’obligations pour les institutions de l’Union, dans l’exercice de leurs pouvoirs législatifs ou décisionnels, en vue de régir les relations de travail entre elles-mêmes et les membres de leur personnel, il n’en reste pas moins que les règles ou les principes édictés ou dégagés dans cette directive peuvent être invoqués à l’encontre de ces institutions lorsqu’ils n’apparaissent, eux-mêmes, que comme étant l’expression spécifique de règles fondamentales des traités et de principes généraux qui s’imposent directement auxdites institutions (arrêt du 7 février 2019, RK/Conseil, T‑11/17, EU:T:2019:65, point 68).

51      Il convient de rappeler que la Cour a déjà reconnu que la directive 2000/78 concrétisait, dans le domaine de l’emploi et du travail, le principe de non-discrimination en fonction de l’âge (arrêt du 19 janvier 2010, Kücükdeveci, C‑555/07, EU:C:2010:21, point 21) et constituait une source d’inspiration admise dans le cadre du contentieux relatif au personnel des institutions de l’Union, s’agissant de déterminer les obligations de l’autorité réglementaire compétente en ce qui concernait le principe de non-discrimination en fonction de l’âge (arrêt du 26 mars 2020, Teeäär/BCE, T‑547/18, EU:T:2020:119, point 69).

52      Il s’ensuit que, si les dispositions de la directive 2000/78 ne peuvent pas fonder, en tant que telles, l’exception d’illégalité du point II.2 de l’AMI, elles peuvent constituer une source d’inspiration pour la détermination des obligations des institutions et des agences de l’Union dans l’édiction des actes relevant du domaine de la fonction publique de l’Union, tout en tenant compte des spécificités de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 7 février 2019, RK/Conseil, T‑11/17, EU:T:2019:65, point 70).

53      Il convient donc d’apprécier la légalité du critère litigieux en tenant compte, dans les limites exposées au point 52 ci-dessus, de la directive 2000/78.

54      En l’espèce, ainsi que cela a été indiqué au point 18 ci-dessus, le critère litigieux prévoit que, pour être éligibles au JPP, les candidats doivent avoir une expérience professionnelle de trois ans au maximum à la date de clôture de l’AMI.

55      Il convient de relever que ce critère accorde un traitement nettement moins favorable à l’ensemble des autres candidats potentiels au JPP ayant une expérience professionnelle supérieure à trois ans. Partant, il établit une différence de traitement entre tous les candidats souhaitant être recrutés au JPP dont le statut au sein de la Commission entre dans l’une des quatre catégories visées au point II.1 de l’AMI et se trouvant ainsi dans une situation comparable.

56      Il y a lieu de constater que cette différence de traitement est fondée, de manière indirecte, sur l’âge. Alors que le critère litigieux ne se réfère pas expressément à l’âge des candidats susceptibles d’être éligibles au JPP, il est de nature à entraîner un désavantage particulier pour des personnes plus âgées au regard d’autres personnes. En effet, en pratique et sauf dans des situations marginales, nonobstant une apparence de neutralité, ledit critère revient à ne permettre qu’à de jeunes professionnels d’intégrer le JPP.

57      Cette conclusion est corroborée par le rapport d’évaluation du JPP portant sur la période allant de 2018 à 2020, dont il ressort que, pour la période prise en compte aux fins de l’évaluation, d’une part, l’âge moyen des candidats sélectionnés pour participer au JPP était de 26,7 ans et, d’autre part, aucun membre du JPP n’était âgé de plus de 33 ans lorsque sa candidature a été retenue (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 1999, Seymour-Smith et Perez, C‑167/97, EU:C:1999:60, point 60). D’ailleurs, la Commission reconnaît elle-même que le critère litigieux implique une différence de traitement fondée sur l’âge.

58      Il ressort de l’ensemble de ces considérations que des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination indirecte fondée sur l’âge sont établis.

59      Au regard de ce qui précède, il convient d’examiner si la discrimination indirecte fondée sur l’âge découlant du critère litigieux peut être justifiée en vertu du l’article 1er quinquies, paragraphe 6, première phrase, du statut qui prévoit que, « [d]ans le respect du principe de non-discrimination et du principe de proportionnalité, toute limitation de ces principes doit être objectivement et raisonnablement justifiée et doit répondre à des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel ».

60      En ce qui concerne la question des objectifs poursuivis par le critère litigieux, la Commission a expliqué, dans l’AMI, que le JPP était un programme de développement professionnel et qu’il visait notamment à mieux retenir et développer de nouvelles ressources en provenance du vivier de talents dont elle avait connaissance. Elle y précisait que cela permettrait de diversifier les sources de recrutement en son sein, en contribuant notamment à garantir une composition plus équilibrée du personnel et en fournissant un outil supplémentaire pour rendre son offre d’emplois plus attrayante pour les citoyens de l’Union. En outre, il était également souligné que ce programme visait surtout à permettre une meilleure intégration du personnel junior au sein de la fonction publique de l’Union, en lui offrant un espace au sein duquel développer un esprit européen et, en particulier, un esprit « Commission », tout en aidant les participants à acquérir des connaissances et des compétences qui s’avéreraient nécessaires à l’institution.

61      Ces considérations sont corroborées par les autres documents relatifs au JPP qui ont été versés au dossier, parmi lesquels figurent notamment la fiche d’information sur ce programme et le rapport d’évaluation de ce dernier pour la période allant de 2018 à 2020. Ainsi, il ressort notamment dudit rapport que le JPP poursuit les cinq objectifs suivants : favoriser la diversification des sources de recrutement ; contribuer à une composition équilibrée du personnel en matière d’âge ; donner la possibilité aux participants d’acquérir une meilleure compréhension du fonctionnement de la Commission ainsi que des connaissances et des compétences nécessaires pour répondre aux besoins de cette dernière ; développer un esprit européen et, en particulier, un esprit « Commission » ; moderniser le recrutement au sein de la Commission en s’efforçant de renforcer la compétitivité de son offre d’emplois à l’égard d’autres employeurs disposant déjà d’un programme similaire.

62      D’une part, parmi les principaux objectifs poursuivis par le JPP figuraient donc notamment expressément celui de garantir une composition mieux équilibrée du personnel de la Commission en permettant à du personnel junior de l’intégrer. À cet égard, dans la décision de rejet de la réclamation, la Commission a indiqué au requérant que les méthodes classiques de recrutement échouaient à atteindre un tel objectif, comme le démontrait selon elle la moyenne d’âge élevée des membres du personnel entrés en fonction en 2021 en tant que fonctionnaires de grade AD sans tâches managériales et en tant qu’agents temporaires.

63      D’autre part, un autre objectif expressément identifié consistait à permettre aux participants au JPP de développer des compétences liées au travail au sein de la fonction publique de l’Union et, plus précisément, de la Commission. À cet égard, il ressort en effet de l’AMI que le JPP est un programme visant à mieux intégrer le personnel junior, notamment grâce à un système de formation professionnelle et à un programme de mobilité. En ce sens, le point VII de l’AMI, intitulé « Recrutement et contenu du programme », précise que les candidats sélectionnés participent à un programme de mentorat et à un programme obligatoire d’apprentissage et de développement. En outre, dans ses écritures, la Commission indique en substance à propos de la « nature » du JPP que ce dernier propose une formation professionnelle à ceux de ses participants qui sont au début de leur carrière et qu’il vise à leur offrir des possibilités d’évolution de carrière intéressantes.

64      Au regard de ce qui précède, il convient de constater que les deux objectifs poursuivis par le JPP, qui sont décrits aux points 62 et 63 ci-dessus, s’apparentent respectivement à un objectif de promotion de l’emploi à destination des candidats éligibles au programme qui sont, par définition, peu expérimentés, ainsi qu’à un objectif de formation professionnelle.

65      Dans ce contexte, il y a lieu d’observer que, dans la décision de rejet de la réclamation, d’une part, la Commission explique notamment que le critère litigieux qui conditionne la participation au JPP a été défini au regard de la nature même de ce programme, lequel est destiné aux personnes qui n’ont pas une expérience professionnelle importante, mais qui possèdent des qualités qu’elle souhaite préserver et développer dans le respect des objectifs prévus par ce dernier. Or, les considérations qui précèdent sont liées à l’objectif de formation professionnelle dont il a été constaté au point 64 ci-dessus qu’il participait à fonder le JPP. D’autre part, la Commission précise que ledit critère se justifie également au regard de la volonté de garantir une composition plus équilibrée de son personnel, y compris au regard de la structure d’âge de ce dernier. Or, de telles considérations sont liées à l’objectif de promotion de l’emploi à destination des membres du personnel de la Commission les moins expérimentés, à propos duquel il a également été établi au point 64 ci-dessus qu’il participait à fonder le JPP.

66      Par conséquent, il convient de déterminer si les objectifs de promotion de l’emploi et de formation professionnelle auxquels répond le critère litigieux peuvent être considérés comme des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel, conformément à l’article 1er quinquies, paragraphe 6, du statut.

67      En premier lieu, en ce qui concerne l’objectif de promotion de l’emploi à destination des membres du personnel de la Commission les moins expérimentés qui a été identifié au point 62 ci-dessus, il convient de constater qu’il ressort de la jurisprudence que, dans le cadre d’une profession donnée, faciliter le renouvellement générationnel ainsi que le rajeunissement de ladite profession peut être considéré comme un objectif d’intérêt général légitime [voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Ministero della Giustizia (Notaires), C‑914/19, EU:C:2021:430, point 36].

68      En outre, la Cour a jugé que la promotion de l’embauche constituait un objectif légitime de politique sociale ou de l’emploi des États membres, notamment lorsqu’il s’agissait de favoriser l’accès des jeunes à l’exercice d’une profession. À cet égard, elle a notamment considéré que la cohabitation de différentes générations de salariés pouvait contribuer à la qualité des activités poursuivies, notamment en favorisant l’échange d’expérience (voir arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler, C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 49 et jurisprudence citée).

69      De même, la Cour a estimé que l’objectif consistant à établir une structure d’âge équilibrée entre jeunes fonctionnaires et fonctionnaires plus âgés afin de favoriser l’embauche et la promotion des jeunes et d’optimiser la gestion du personnel pouvait constituer un objectif légitime de politique de l’emploi et du marché du travail (arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler, C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 50).

70      Par ailleurs, l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78 mentionne, parmi les objectifs légitimes pouvant justifier que des mesures nationales instituent des différences de traitement fondées sur l’âge, celui relatif à « la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, […] en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection ».

71      De telles considérations sont transposables, par analogie, à la composition du personnel d’une institution de l’Union, notamment au regard de sa structure d’âge, conformément à l’article 1er quinquies, paragraphe 6, du statut qui énonce, en vue d’assurer un service public européen, dans « le cadre de la politique du personnel », les objectifs légitimes d’intérêt général devant être poursuivis pour justifier une limitation aux principes énoncés dans les paragraphes précédents dudit article.

72      Il découle donc des points 67 à 71 ci-dessus que, en visant à garantir une composition mieux équilibrée du personnel de la Commission en permettant à son personnel junior de l’intégrer, le critère litigieux répond à un objectif de promotion de l’emploi qui doit être considéré comme étant légitime et d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel de cette institution.

73      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument du requérant selon lequel l’objectif, invoqué par la Commission, d’obtenir une composition plus équilibrée de son personnel ne peut pas être considéré comme étant d’intérêt général, puisqu’il ne concerne que cette dernière en sa qualité d’employeuse. En effet, il ressort de la jurisprudence que l’intérêt du service, qui concerne lui aussi une institution donnée en tant qu’employeuse, peut constituer un objectif légitime pouvant être pris en considération aux fins de l’examen prévu par l’article 1er quinquies, paragraphe 6, du statut (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2021, Italie et Espagne/Commission, T‑695/17, non publié, EU:T:2021:374, point 76).

74      En second lieu, en ce qui concerne l’objectif de formation professionnelle, il convient de constater que l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78, comme cela a été indiqué au point 70 ci-dessus, mentionne, parmi les objectifs légitimes pouvant justifier des différences de traitement fondées sur l’âge instituées par des mesures nationales, celui relatif à la formation professionnelle.

75      Par conséquent, pour les raisons exposées au point 51 ci-dessus, il y a lieu de considérer que, en ce qu’il vise à mieux intégrer le personnel moins expérimenté  de la Commission, le critère litigieux répond à un objectif de formation professionnelle légitime et d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel de la Commission, lequel est susceptible de justifier une différence de traitement fondée sur l’âge.

76      Au regard de ce qui précède, il y a lieu d’observer que, conformément aux prescriptions de l’article 1er quinquies, paragraphe 6, du statut, le critère litigieux répond à des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel.

77      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres allégations du requérant.

78      En premier lieu, le requérant prétend que les objectifs qui sous-tendent le JPP sont illégaux du fait du traitement qu’ils accordent aux stagiaires « livre bleu ». À cet égard, d’une part, le requérant fait valoir que c’est erronément que le collège de la Commission a considéré que les stagiaires « livre bleu » étaient des membres du personnel de la Commission. Toutefois, il convient d’observer à ce sujet que, pendant la durée de leur stage, lesdits stagiaires travaillent effectivement pour la Commission. Comme le souligne cette dernière, ils peuvent donc être considérés comme faisant partie de son personnel, puisqu’ils concluent avec elle un contrat de stage qui s’applique pendant la durée de celui-ci. Par conséquent, c’est à juste titre que, lors d’une réunion, le 28 octobre 2020, le collège de la Commission a, en substance, indiqué que ces derniers pouvaient présenter leur candidature au JPP, car ils étaient issus de l’une des quatre catégories de personnel travaillant pour la Commission.

79      D’autre part, le requérant soutient que le critère litigieux a, en réalité, été défini aux fins de favoriser les stagiaires « livre bleu » actuels de manière illégitime, en leur permettant de devenir fonctionnaires par le biais de concours internes.

80      À cet égard, il fait valoir que les stagiaires « livre bleu » représentent 91 % des candidats admissibles au JPP et 79 % des candidats sélectionnés. Il souligne ensuite que le JPP devait initialement n’être ouvert qu’à des stagiaires « livre bleu ». Enfin, il considère qu’un tel objectif est incompatible avec la décision C(2005) 458 de la Commission, car celle-ci offre à ces stagiaires une priorité pour devenir agents temporaires au détriment des membres de son personnel, des lauréats des concours organisés par l’Office européen de sélection du personnel (EPSO) ou des candidats externes.

81      Cependant, dans la mesure où la possibilité de se porter candidat au JPP n’est pas limitée aux stagiaires « livre bleu » et où l’exigence de satisfaire audit critère n’emporte, en aucun cas, pour conséquence de réserver l’accès à ce programme à ces stagiaires, l’argument du requérant sur ce point manque en fait. Cela est confirmé par le fait que, d’une part, les candidats au JPP issus des stages « livre bleu » de la Commission ne bénéficient d’aucun avantage au regard des autres candidats au cours du processus de sélection et que, d’autre part, il ressort des données fournies par la Commission dans ses écritures que la composition du JPP lors de la 6e session de celui-ci était équilibrée entre les lauréats qui étaient des stagiaires « livre bleu » et les autres. Par conséquent, il ne saurait être considéré que les stagiaires « livre bleu » de la Commission sont privilégiés pour intégrer le JPP.

82      En deuxième lieu, le requérant soutient qu’il existe aujourd’hui une tendance générale au vieillissement de la population en Europe, ce dont il découlerait que le vieillissement du personnel de la Commission est un phénomène naturel et normal. Il convient toutefois d’écarter cet argument, car il ressort du dossier que, malgré ledit contexte de vieillissement de la population, l’âge médian des membres du personnel de la Commission demeure, à l’heure actuelle, supérieur à celui de la population active dans l’Union. Par conséquent, il ne saurait être considéré que cette tendance générale au vieillissement de la population suffise à expliquer que le personnel de la Commission soit, lui aussi, vieillissant. Or, ainsi que la Commission le soutient à juste titre, il est important que les couches les plus jeunes de cette population soient elles aussi représentées au sein de ses services.

83      En troisième lieu, en ce que le requérant soutient, en substance, que l’amélioration de la compétitivité de l’offre d’emplois de la Commission ne saurait être considérée comme un objectif d’intérêt général légitime susceptible de justifier une différence de traitement fondée sur l’âge, il suffit de constater qu’un tel objectif n’est pas le seul poursuivi par le JPP et que l’instauration du critère litigieux ne répond pas non plus seulement à celui-ci, ainsi que cela ressort des points 72 et 75 ci-dessus.

84      Au regard de l’ensemble de ce qui précède, il convient de constater que la différence de traitement fondée sur l’âge, instituée par le critère litigieux, répond à des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel, au sens de l’article 1er quinquies, paragraphe 6, du statut. Partant, il convient d’examiner si cette différence de traitement fondée sur l’âge, instituée par le critère litigieux, est proportionnée, conformément à cette même disposition.

85      Selon la jurisprudence, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés au regard des buts visés (voir arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 116 et jurisprudence citée).

86      En l’espèce, il ressort de l’ensemble de ce qui précède que, afin de garantir une composition mieux équilibrée de son personnel sur le plan de l’âge, la Commission s’est dotée du JPP, qui permet aux candidats dotés d’une expérience professionnelle de moins de trois ans qui l’intègrent de bénéficier de différents avantages tenant notamment à la formation professionnelle tout au long de la durée de ce programme.

87      Or, il y a lieu de constater, en premier lieu, que l’âge moyen des participants au JPP est de 26,7 ans et qu’il est donc sensiblement inférieur à l’âge moyen des lauréats des concours EPSO inscrits sur les listes de réserve des concours pour généralistes de grade AD 5 lors des années 2015, 2017, 2018 et 2019, selon les données fournies par la Commission. En effet, celui-ci était, respectivement, de 33 ans en 2015, de 33,52 ans en 2017, de 33,05 ans en 2018 et de 33,97 ans en 2019, aucun concours généraliste n’ayant été organisé en ce qui concerne ledit grade en 2016.

88      Il y a lieu de constater, en second lieu, que le critère litigieux concerne les années d’expérience professionnelle plutôt que l’âge des candidats potentiels. Ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, cela indique qu’elle a veillé à limiter les inconvénients causés par l’adoption du JPP, pour autant que celui-ci permettait néanmoins d’atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi. Par ailleurs, en ce que le requérant déplore le nombre d’années d’expérience retenu pour établir le critère litigieux, c’est à juste titre que la Commission explique, d’une part, qu’une expérience professionnelle de trois ans permet d’atteindre l’un des objectifs fixés consistant à favoriser une composition équilibrée de son personnel sur le plan de sa structure d’âge et, d’autre part, que c’est la durée d’expérience demandée pour être éligible à un recrutement au grade AD 5, lequel représente précisément le grade auquel les participants au JPP sont admis, tandis que les individus qui peuvent faire valoir une expérience professionnelle plus longue sont déjà éligibles aux concours généraux des grades plus élevés.

89      Au regard de ce qui précède, il convient de considérer que le critère litigieux est objectivement et raisonnablement justifié au regard des objectifs qu’il poursuit, dans le respect du principe de proportionnalité, au sens de l’article 1er quinquies, paragraphe 6, du statut.

90      Partant, les premier et troisième moyens doivent être écartés dans leur ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’un abus de pouvoir et d’une incompétence

91      Le requérant fait valoir que, en établissant le critère litigieux sans que le collège de la Commission l’ait expressément autorisé, la direction générale (DG) « Ressources humaines et sécurité » de la Commission a outrepassé son mandat et abusé de ses pouvoirs. En tout état de cause, tout accord du collège quant à l’établissement dudit critère constituerait un excès de pouvoir, dès lors que ce dernier ne serait pas habilité à prévoir des dérogations au statut ou à la Charte.

92      La Commission conteste cette argumentation.

93      Il y a lieu de relever que l’AMI a été adopté par la DG « Ressources humaines et sécurité » conformément au mandat qui a été confié à cette dernière par la décision PV(2018) 2257 final de la Commission, du 3 juillet 2018, et qui a été confirmé par la décision PV(2020) 2355 final de la Commission, du 28 octobre 2020.

94      Or, s’il est vrai que la décision PV(2018) 2257 final ne mentionne pas expressément une limite particulière du nombre d’années d’expérience professionnelle, celle-ci renvoie à la note d’information PERS(2018) 38/2 de la Commission, du 4 juin 2018, qui prévoit, à son point 6, que, « [p]our le projet pilote JPP, la Commission sélectionnera 40 candidats ayant un maximum de 3 ans d’expérience professionnelle d’ici la clôture de l’appel à manifestation d’intérêt qui lancera la procédure ».

95      Partant, le collège ayant, par le renvoi, dans la décision PV(2018) 2257 final, à la note d’information PERS(2018) 38/2, marqué son accord quant au contenu de ladite note d’information, il convient de considérer que l’établissement du critère litigieux rentrait pleinement dans le cadre du mandat de la DG « Ressources humaines et sécurité », comme le souligne à juste titre la Commission.

96      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument du requérant selon lequel le collège de la Commission n’est pas habilité à prévoir des dérogations au statut ou à la Charte, dès lors que le Tribunal a conclu, dans le cadre du premier moyen, que le critère litigieux ne violait ni la Charte ni le statut quant aux dispositions invoquées.

97      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen.

 Sur les conclusions indemnitaires

98      Par ses conclusions indemnitaires, le requérant indique avoir subi, du fait du rejet de sa candidature, deux préjudices matériels liés, pour le premier, à la perte de chance de bénéficier d’un contrat d’agent temporaire de grade AD 5 pour une période de deux ans et, pour le second, à la perte de chance de devenir fonctionnaire au moyen de concours internes réservés aux agents temporaires de grade AD.

99      Le requérant évalue ces deux préjudices ex æquo et bono à hauteur de 42 592 euros, auxquels il convient d’appliquer un coefficient pour perte de chance de 50 %, pour le premier, et de 600 000 euros, pour le second.

100    La Commission soutient que les deux chefs de préjudice sont étroitement liés aux conclusions en annulation, qui devraient être rejetées. Dans ces circonstances, le rejet des conclusions en annulation entraînerait également le rejet des conclusions indemnitaires. En tout état de cause, la condition d’illégalité ne serait pas remplie en l’espèce.

101    Il convient de rappeler que, lorsque le préjudice dont une partie requérante se prévaut trouve son origine dans l’adoption d’une décision faisant l’objet de conclusions en annulation, le rejet de ces conclusions en annulation entraîne, par principe, le rejet des conclusions indemnitaires, ces dernières leur étant étroitement liées (arrêt du 15 septembre 2017, Commission/FE, T‑734/15 P, EU:T:2017:612, point 120).

102    En l’espèce, il doit être relevé que le préjudice matériel qui résulterait de la perte de chance dont le requérant se prévaut trouve son origine dans la décision attaquée, par laquelle la Commission a considéré que ce dernier n’était pas éligible au JPP. Or, dès lors que les conclusions en annulation de la décision attaquée ont été rejetées, il convient de rejeter les conclusions indemnitaires du requérant et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

103    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      SE est condamné aux dépens.

da Silva Passos

Półtorak

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.