Language of document : ECLI:EU:T:1999:144

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

8 juillet 1999 (1)

«Article 90, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 3, CE) - Droit d'être entendu - Article 90, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 1, CE) lu en combinaison avec l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) - Droit exclusif d'émettre de la publicité télévisée en Flandre»

Dans l'affaire T-266/97,

Vlaamse Televisie Maatschappij NV, société de droit belge, établie à Vilvoorde (Belgique), représentée par Mes Francis Herbert et Dirk Arts, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Carlos Zeyen, 56-58, rue Charles Martel,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Wouter Wils, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 97/606/CE de la Commission, du 26 juin 1997, au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité CE concernant le droit exclusif d'émettre de la publicité télévisée en Flandre (JO L 244, p. 18),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. W. Bellamy, J. Pirrung, A. W. H. Meij et M. Vilaras, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 20 novembre 1998,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    L'article 127 de la Constitution belge attribue aux conseils de la Communauté française et de la Communauté flamande compétence pour régler, chacun pour ce qui le concerne, les matières culturelles.

2.
    La législation flamande sur les médias a été coordonnée par un arrêté du gouvernement flamand, du 25 janvier 1995, portant coordination des décrets relatifs à la radiodiffusion et à la télévision (Moniteur belge du 30 mai 1995, p. 15058; rectification au Moniteur belge du 31 octobre 1995, p. 30555), ratifié par le décret du conseil de la Communauté flamande du 23 février 1995 (ci-après «Codex»).

3.
    Le Codex coordonne, notamment, les dispositions du décret du 28 janvier 1987, relatif à la transmission de programmes sonores et télévisés sur les réseaux de radiodistribution et de télédistribution et relatif à l'agrément des sociétés de télévision non publiques (ci-après «décret de 1987», Moniteur belge du 19 mars 1987, p. 4196), le décret du 12 juin 1991, portant réglementation de la publicité et du sponsoring à la radio et à la télévision (Moniteur belge du 14 août 1991, p. 17730) et le décret du 4 mai 1994, relatif aux réseaux de radio et de télédistribution et à l'autorisation requise pour l'établissement et l'exploitation de ces réseaux et relatif à la promotion de la diffusion et la production des programmes de télévision (Moniteur belge du 4 juin 1994, p. 15434).

4.
    Les articles 39 à 41 du Codex prévoient:

«Art. 39. Sur avis du conseil des médias, le gouvernement flamand peut agréer des organismes privés de télédiffusion aux conditions fixées dans le présent chapitre.

Pour être agréés ces organismes doivent être constitués sous la forme de personnes morales de droit privé et leur siège sera établi dans la région néerlandophone ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale.

Art. 40. Les organismes privés de télédiffusion ont pour objet la prise en charge de programmes. Ils peuvent accomplir tous les actes qui contribuent directement ou indirectement à la réalisation de cet objectif.

Art. 41. Les organismes suivants peuvent être agréés:

1) un organisme privé de télédiffusion s'adressant à l'ensemble de la Communauté flamande;

[...]»

5.
    Les articles 44 à 50 du Codex contiennent les dispositions relatives à l'organisme privé de télédiffusion s'adressant à l'ensemble de la Communauté flamande. L'article 44, paragraphe 1, premier alinéa, relatif aux conditions d'agrément est libellé comme suit:

«L'organisme privé de télédiffusion qui s'adresse à l'ensemble de la Communauté flamande aura le statut d'une société de droit privé. Son capital social est représenté exclusivement par des actions nominatives. Ce capital sera souscrit à concurrence de 51 % au minimum par des éditeurs de quotidiens et d'hebdomadaires de langue néerlandaise.»

6.
    L'article 46, premier alinéa, prévoit que «la durée de l'agrément de l'organisme privé de télédiffusion qui s'adresse à l'ensemble de la Communauté flamande est de dix-huit ans».

7.
    L'article 80, premier et deuxième alinéas, du Codex dispose:

«Les organismes de radio- et de télédiffusion de ou agréés par la Communauté flamande ne peuvent émettre de la publicité que s'ils ont été autorisés par le gouvernement flamand [...]

Parmi les organismes de radio- et de télédiffusion de ou agréés par la Communauté flamande et qui s'adressent à l'ensemble de la Communauté flamande, un seul est autorisé à diffuser de la publicité. Cette exclusivité vaut également pour la publicité non commerciale.»

8.
    Conformément aux dispositions applicables, Vlaamse Televisie Maatschappij (ci-après «VTM» ou «requérante»), une société privée de télévision d'expression néerlandaise établie en Flandre, a obtenu, par décision du gouvernement flamand du 19 novembre 1987, l'unique agrément d'organisme privé de télédiffusion s'adressant à l'ensemble de la Communauté flamande pour une durée de 18 ans.

9.
    Par arrêté royal du 3 décembre 1987, confirmé par une décision du gouvernement flamand du 11 décembre 1991, VTM s'est également vu accorder l'autorisation de diffuser de la publicité, prévue par l'article 80 du Codex, pour une durée de dix-huit ans.

10.
    L'autre organisme de télédiffusion s'adressant à l'ensemble de la Communauté flamande, la société publique de radio et de télévision Belgische Radio en Televisie Nederlands (ci-après «BRTN»), contrôlée par la Communauté flamande, n'est pas autorisée à émettre de la publicité télévisée.

11.
    VTM a été constituée en 1987 par neuf associés disposant tous d'intérêts dans la presse écrite flamande et souscrivant chacun à son capital à hauteur de 11,1 %.

12.
    Au moment de l'introduction du présent recours, le capital de VTM n'était plus détenu que par quatre actionnaires. Trois de ceux-ci sont des filiales du groupe néerlandais Verenigde Nederlandse Uitgeverijen (ci-après «VNU»). Le quatrième actionnaire, la société Vlaamse Media Holding (ci-après «VMH»), détient 55,55 % des actions de la requérante. Les premier et troisième plus importants groupes de presse flamands, à savoir Vlaamse Uitgevers Maatschappij NV et Concentra Holding NV, ne sont pas actionnaires de VTM.

13.
    Selon la version initiale du décret de 1987, la majorité des actions de l'organisme privé de télédiffusion s'adressant à l'ensemble de la Communauté flamande devait être réservée à des éditeurs de quotidiens et d'hebdomadaires de langue néerlandaise ayant leur siège social dans la région flamande ou dans la région de Bruxelles-Capitale. La condition de la localisation du siège des associés en Flandre ou à Bruxelles a été supprimée après que la Cour de justice l'eut déclarée incompatible avec le traité (arrêt du 16 décembre 1992, Commission/Belgique, C-211/91, Rec. p. I-6757).

14.
    Le 16 décembre 1994, VT4 Ltd (ci-après «VT4»), une société de droit anglais ayant son siège social à Londres qui diffuse des programmes destinés au public flamand par l'intermédiaire d'un satellite, a déposé une plainte auprès de la Commission dénonçant l'avantage que le droit exclusif d'émettre de la publicité télévisée en Flandre conférait à VTM.

15.
    Le 13 juillet 1995, la Commission a invité le gouvernement belge à exposer son point de vue sur la compatibilité de la législation flamande conférant à VTM le droit exclusif d'émettre de la publicité télévisée en Flandre avec les dispositions combinées des articles 90 du traité CE (devenu article 86 CE) et 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE). Elle a, finalement, considéré que cette législation n'était pas contraire aux règles communautaires relatives à la libre prestation des services, dans la mesure où elle n'interdisait pas aux chaînes de télévision établies dans d'autres États membres d'émettre des messages publicitaires destinés au public flamand.

16.
    Le 10 janvier 1997, la Commission a communiqué au gouvernement belge les motifs pour lesquels le droit exclusif accordé à VTM lui paraissait incompatible avec l'article 90, paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), l'invitant à présenter ses observations à cet égard.

17.
    Les autorités flamandes ont répondu à cette lettre de la Commission le 11 février 1997.

18.
    Parallèlement à la procédure mentionnée au point 16 ci-dessus, la Commission a notifié aux autorités belges, le 15 mai 1997, un avis motivé concernant la condition relative à la détention de 51 % du capital social de l'organisme privé de télédiffusion s'adressant à l'ensemble de la Communauté flamande par les éditeurs de quotidiens et d'hebdomadaires de langue néerlandaise.

19.
    Le 26 juin 1997, la Commission a adopté la décision 97/606/CE au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité CE concernant le droit exclusif d'émettre de la publicité télévisée en Flandre (JO L 244, p. 18, ci-après «décision attaquée»), dont l'article 1er dispose:

«L'article 80, deuxième alinéa, et l'article 41 1) du Codex des règles flamandes relatives à la radio et télédiffusion, à la publicité, au sponsoring et au câble, qui prévoient que le gouvernement flamand ne peut autoriser qu'un seul organisme privé de télédiffusion à émettre à destination de l'ensemble de la Communauté flamande et à diffuser à destination de cette Communauté de la publicité commerciale et non commerciale - en l'occurrence, la société de télévision privée la [VTM] -, ainsi que la décision de l'exécutif flamand du 19 novembre 1987 et l'arrêté royal du 3 décembre 1987 (confirmé par une décision de l'exécutif flamand du 11 décembre 1991) - par lesquels VTM fut agréée unique société de télévision privée s'adressant à l'ensemble de la Communauté flamande et reçut l'autorisation d'insérer de la publicité commerciale dans ses programmes - sont incompatibles avec l'article 90, paragraphe 1, du traité CE en liaison avec l'article 52 dudit traité.»

Procédure et conclusions des parties

20.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 octobre 1997, la requérante a introduit le présent recours.

21.
    En application de l'article 14 du règlement de procédure du Tribunal et sur proposition de la première chambre, le Tribunal a décidé, les parties entendues conformément à l'article 51 dudit règlement, de renvoyer l'affaire devant une formation de jugement élargie.

22.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d'organisation de la procédure, a demandé aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

23.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 20 novembre 1998.

24.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    condamner la Commission aux dépens.

25.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur le fond

26.
    A l'appui de son recours, la requérante invoque cinq moyens tirés, premièrement, d'une violation des droits de la défense, deuxièmement, d'une violation du principe de protection de la confiance légitime et du principe de sécurité juridique ainsi que des devoirs de prévoyance et de circonspection, troisièmement, d'une violation des dispositions combinées des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité, quatrièmement, d'un détournement de pouvoir et, cinquièmement, d'une violation de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE).

Sur le premier moyen, tiré d'une violation des droits de la défense

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

27.
         Dans le cadre de ce moyen, pris en sa première branche, la requérante soutient, en substance, que l'entreprise bénéficiaire d'une mesure étatique au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité n'est pas un tiers dans le cadre de la procédure d'adoption d'une décision au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité. Partant, une telle entreprise devrait se voir reconnaître les mêmes droits de la défense que ceux reconnus à l'État membre concerné. Elle devrait donc se voir communiquer, avant l'adoption d'une décision sur le fondement de cette disposition, non seulement un exposé précis et complet des griefs adressés à l'État membre concerné, mais aussi toutes observations présentées par des tiers intéressés (arrêt de la Cour du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C-48/90 et C-66/90, Rec. p. I-565, points 45 et 46). Tel n'aurait pas été le cas en l'espèce, puisque ni une copie de la plainte déposée par VT4 ni les observations du gouvernement flamand sur les griefs notifiés par la Commission ne lui ont été communiquées. En outre, la Commission se serait fondée sur ces observations (point 13 des considérants de la décision) pour contester toute justification au droit exclusif.

28.
    Dans sa réplique, la requérante soutient que les droits de la défense de l'État membre concerné par une décision adoptée au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité et ceux des entreprises bénéficiaires de la mesure étatique contestée ne sauraient être distingués. La Cour, dans l'arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité, n'aurait pas exclu qu'une entreprise bénéficiaire d'une mesure étatique contestée puisse disposer des mêmes droits de la défense qu'une entreprise destinataire d'une décision adoptée au titre de l'article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) ou 86 du traité CE (devenu article 82 CE).

29.
    En outre, la Commission reconnaîtrait que la requérante se trouve matériellement dans une situation comparable à celle de l'État membre destinataire de la décision attaquée. En effet, premièrement, le préambule de la décision ferait apparaître que les autorités belges et la requérante ont été considérées de la même manière en termes de droits de la défense. Deuxièmement, la Commission aurait notifié la décision aux autorités belges et à la requérante. Troisièmement, l'absence de contestation relative à la recevabilité du recours signifierait que la Commission reconnaît qu'elle est, conformément à l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, quatrième alinéa, CE), directement et individuellement affectée par la décision et que celle-ci affecte donc directement sa situation juridique comme si elle en était le destinataire.

30.
    Enfin, la requérante fait valoir que la Commission, dans le cadre d'une procédure concernant le monopole radiophonique de la chaîne publique en Flandre, a invité les entreprises bénéficiaires de la mesure étatique à formuler, avant l'engagement d'une procédure formelle, leurs observations sur le contenu de la plainte dirigée contre ce monopole.

31.
    La Commission conteste qu'elle ait violé les droits de la défense de la requérante. Elle estime que l'argumentation de cette dernière méconnaît la portée de l'arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité, ainsi que la nature particulière de la procédure fondée sur l'article 90, paragraphe 3, du traité. En effet, la Cour aurait clairement distingué, d'une part, les droits de la défense de l'État membre concerné par une décision adoptée en vertu de cette disposition et, d'autre part, les droits de la défense des entreprises qui bénéficient directement de la mesure étatique contestée.

- Appréciation du Tribunal

32.
    L'article 90, paragraphe 1, du traité impose aux États membres l'obligation, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, de n'édicter et de ne maintenir aucune mesure contraire aux règles du traité, et notamment à celles prévues aux articles 6 du traité CE (devenu, après modification, article 12 CE) et 85 du traité à 94 du traité CE (devenu article 89 CE) inclus.

33.
    Le paragraphe 3 de l'article 90 du traité charge la Commission de la mission de veiller au respect, par les États membres, des obligations qui s'imposent à eux, en ce qui concerne les entreprises visées au paragraphe 1, et l'investit expressément de la compétence pour intervenir à cet effet par la voie de directives ou de décisions. Les actes juridiques adoptés par la Commission sur son fondement, qu'il s'agisse de directives ou de décisions, ont pour destinataires les États membres concernés.

34.
    Ainsi que la Cour l'a jugé, l'article 90, paragraphe 3, du traité confère, dès lors, à la Commission le pouvoir de constater par une décision qu'une mesure étatique déterminée est incompatible avec les règles du traité et d'indiquer les mesures que l'État destinataire doit adopter pour se conformer aux obligations découlant du droit communautaire (arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité, point 28). Il s'ensuit qu'une procédure conduisant à l'adoption d'une décision au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité est une procédure ouverte à l'encontre de l'État membre concerné et que, par conséquent, toute entreprise visée par l'article 90, paragraphe 1, du traité est une partie tierce à cette procédure. De ce seul fait, et contrairement à ce que soutient la requérante, l'entreprise bénéficiaire de la mesure étatique contestée ne se trouve pas placée, dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité, dans une position analogue à celle d'une entreprise faisant l'objet d'une procédure de constatation d'infraction à l'article 85 ou 86 du traité.

35.
    Selon une jurisprudence bien établie, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure en cause (voir, notamment, arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité, point 44). Ce principe requiert que l'État membre concerné se voie communiquer, avant l'adoption de la décision au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité qui lui sera notifiée, un exposé précis et complet des griefs que la Commission entend retenir contre lui, et qu'il soit mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur les observations présentées par des tiers intéressés (arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité, points 45 et 46).

36.
    Il ressort de l'arrêt Pays-Bas e.a./Commission (points 50 et 51) qu'une entreprise visée par l'article 90, paragraphe 1, du traité, qui est le bénéficiaire direct de la mesure étatique contestée et qui est nommément désignée dans la loi applicable, qui est explicitement visée par la décision litigieuse et supporte directement les conséquences économiques de cette décision, dispose du droit d'être entendue par la Commission durant la procédure.

37.
    Le respect d'un tel droit d'être entendu exige que la Commission communique formellement à l'entreprise bénéficiaire de la mesure étatique contestée les objections concrètes qu'elle soulève à l'encontre de cette mesure, telles qu'elle les a exposées dans la lettre de mise en demeure adressée à l'État membre et, le cas échéant, dans toute correspondance ultérieure, et lui donne l'occasion de faire connaître utilement son point de vue sur ces griefs. Il ne commande cependant pas que la Commission offre à l'entreprise bénéficiaire de la mesure étatique la possibilité de faire connaître son point de vue sur les observations émises par l'État membre, à l'encontre duquel la procédure est ouverte, en réponse aux griefs qui lui ont été adressés ou en réponse aux observations présentées par des tiers intéressés, ni de lui communiquer formellement une copie de la plainte éventuellement à l'origine de la procédure.

38.
    En l'espèce, il est constant que VTM est l'entreprise bénéficiant du droit exclusif d'émettre de la publicité télévisée à destination de la Communauté flamande et qu'elle est nommément désignée dans la législation flamande, qu'elle est explicitement visée par la décision attaquée et qu'elle supporte directement les conséquences économiques de cette décision.

39.
    Il ressort également du dossier que, par lettre du 10 janvier 1997, la Commission a mis en demeure le gouvernement belge de présenter ses observations sur les griefs, annexés à cette lettre, tirés de l'incompatibilité de l'exclusivité concédée à VTM avec l'article 90, paragraphe 1, du traité lu en combinaison avec l'article 52 du même traité. Le gouvernement flamand a fait part de ses observations sur ces griefs par lettre du 11 février 1997.

    

40.
    Une copie de cette lettre de mise en demeure et de cet exposé des griefs a été transmise à la requérante. Celle-ci l'a reçue au plus tard le 20 mars 1997. Par lettre du 16 mai 1997, cette dernière a présenté ses observations à la Commission, dans le délai de deux mois qui lui avait été imparti.

41.
    Dans la mesure où la requérante ne conteste pas que la Commission a adopté la décision attaquée après lui avoir donné l'occasion de faire connaître son point de vue sur les griefs formulés «au sujet du monopole en matière de publicité télévisée en Flandre» (préambule de la décision attaquée) ni que ces griefs correspondent à ceux qui ont été retenus dans la décision attaquée, il y a lieu de conclure qu'elle a été dûment entendue. La circonstance que les autorités belges ont également pu faire valoir leur point de vue sur les griefs formulés par la Commission ne saurait signifier, contrairement à ce que soutient VTM, que l'État membre concerné et l'entreprise bénéficiaire de la mesure étatique sont placés dans la même position procédurale, ni qu'ils disposent des mêmes droits dans le cadre de la procédure au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité.

42.
    Par ailleurs, la requérante ne saurait valablement soutenir que la Commission s'est fondée, notamment, sur les observations du gouvernement flamand pour contester toute justification au droit exclusif de la requérante. En effet, une lecture d'ensemble du point 13 des considérants de la décision attaquée fait apparaître que la Commission a, tout d'abord, relaté le point de vue des autorités belges sur la question de savoir si des raisons de politique culturelle justifiaient «l'octroi à VTM d'un monopole d'émettre de la publicité télévisée» (point 13, premier alinéa), puis celui de la requérante (point 13, deuxième alinéa) et a, enfin, exprimé sa propre position sur cette question (point 13, troisième à septième alinéas).

43.
    L'argument de la requérante, selon lequel la recevabilité de son recours implique qu'elle est placée dans une situation analogue à celle du destinataire de l'acte attaqué, doit également être écarté. En effet, il ne saurait être déduit du respect des conditions de recevabilité du recours en annulation formé par une personne morale non destinataire d'une décision que cette dernière bénéficie des mêmes droits de la défense que la personne, destinataire de la décision, à l'encontre de laquelle la procédure aboutissant à un acte faisant grief a été ouverte.

44.
    Enfin, la circonstance que, dans le cadre d'une procédure concernant le monopole radiophonique de la chaîne publique en Flandre, la Commission ait invité les entreprises bénéficiaires de la mesure étatique à formuler, avant l'engagement d'une procédure formelle, leurs observations sur le contenu de la plainte dirigée contre ce monopole n'est pas susceptible d'affecter la légalité de la décision attaquée. Partant, l'argument doit être rejeté comme inopérant.

45.
    Au vu de ce qui précède, le présent moyen, pris en sa première branche, doit être rejeté.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

46.
    La requérante soutient que la Commission a décidé à l'avance de ne pas tenir compte de ses observations sur la communication des griefs, ainsi que le démontreraient deux déclarations consacrées à la compatibilité des mesures étatiques litigieuses avec le droit communautaire respectivement prononcées, par le membre de la Commission en charge des questions de concurrence, le 2 mai 1996 et le 5 février 1997.

47.
    La Commission conteste cette allégation et affirme qu'aucun grief susceptible d'affecter la légalité de la décision attaquée ne saurait être déduit des déclarations publiques invoquées. En outre, une décision adoptée au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité serait adoptée par le collège des membres de la Commission.

- Appréciation du Tribunal

48.
    Le Tribunal estime que l'argumentation de la requérante ne peut pas être accueillie.

49.
    D'une part, sans préjudice du respect du secret professionnel auquel tout membre de la Commission est tenu en vertu de l'article 214 du traité CE (devenu article 287 CE), l'expression d'une opinion du membre de la Commission en charge des questions de concurrence sur une procédure en cours au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité, pour autant qu'elle est strictement personnelle et réservée, n'est imputable qu'à ce membre et ne préjuge pas la position que le collège des membres de la Commission arrêtera au terme de la procédure. En effet, en vertu de l'article 163 du traité CE (devenu, après modification, article 219 CE), le fonctionnement de la Commission est régi par le principe de collégialité. Ce principe repose sur l'égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision et implique notamment que les décisions soient délibérées en commun (arrêts de la Cour du 23 septembre 1986, AKZO Chemie/Commission, 5/85, Rec. p. 2585, point 30, et du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C-137/92 P, Rec. p. I-2555, point 63).

50.
    En l'espèce, le premier document invoqué par la requérante est un rapport établi par M. Van Rompaey au nom de la commission des médias du parlement flamand, relatif à l'audition du membre de la Commission en charge des questions de concurrence qui s'est tenue le 2 mai 1996. Ce document indique principalement:

«En ce qui concerne le monopole de VTM, le commissaire européen maintient son point de vue, à savoir que le monopole n'est pas conforme à la réglementation européenne. Une procédure est actuellement en cours devant la Commission européenne à ce sujet, après la plainte déposée par VT4 au titre de l'article 90 du traité CE».

51.
    Il ressort de ce document, même lu à la lumière des propos de l'orateur intervenu devant le parlement flamand avant que ledit membre de la Commission prenne la parole, que ce dernier s'est limité à exprimer «son point de vue» et à indiquer qu'une procédure concernant la compatibilité du droit exclusif octroyé à VTM avec le droit communautaire était en cours d'instruction devant la Commission.

52.
    Le second document, un article de presse en date du 14 mai 1997, relate les propos tenus le 5 février 1997 par M. Van Rompuy, ministre des Médias flamand, à savoir:

«Dans le courant du mois de février, le commissaire européen chargé de la politique de concurrence, Karel Van Miert, a promis de nous faire parvenir la mise en demeure officielle au début du mois de mai.»

53.
    Outre le fait que cet article ne rapporte des propos du membre de la Commission que de manière indirecte et le fait que la mise en demeure qu'il mentionne ne peut être comprise que comme étant, en réalité, la décision de la Commission adoptée au terme de la procédure qui était engagée, les propos en cause ne sauraient être considérés comme imputables à la Commission et la «promesse» faite au ministre des Médias flamand par le membre de la Commission ne pouvait, par conséquent, être interprétée autrement que comme la possibilité qu'une décision, déclarant certaines dispositions de la réglementation flamande en matière audiovisuelle incompatibles avec l'article 90, paragraphe 1, en liaison avec l'article 52 du traité, serait finalement adoptée durant le mois de mai 1997.

54.
    Par ailleurs, il n'est pas contesté que la lettre de mise en demeure qui a été adressée au gouvernement belge au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité et la décision finale fondée sur cette même disposition sont des décisions qui ont été effectivement délibérées en commun.

55.
    D'autre part, il convient de constater que le point 13, deuxième alinéa, des considérants de la décision attaquée expose certains arguments de VTM, alors que le point correspondant de l'annexe de la lettre de mise en demeure, à savoir le point 12, n'en faisait aucunement mention. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission a effectivement tenu compte des observations qu'elle avait formulées.

56.
    Au vu de ce qui précède, le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble.

Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation du principe de protection de la confiance légitime, du principe de sécurité juridique, ainsi que des devoirs de prévoyance et de circonspection

Arguments des parties

57.
    La requérante rappelle, tout d'abord, que la Commission a engagé, à l'encontre du royaume de Belgique, plusieurs procédures dirigées contre la législation applicable dans la Communauté flamande en matière audiovisuelle.

58.
    Ainsi, une procédure engagée, dès mars 1990, sur la base de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE) a abouti à l'arrêt Commission/Belgique, précité. Par cet arrêt, la Cour a constaté que le royaume de Belgique avait manqué aux obligations lui incombant en vertu des articles 52 du traité et 221 du traité CE (devenu, après modification, article 294 CE) en réservant 51 % du capital de la société de télévision non publique qui s'adresse à l'ensemble de la Communauté flamande aux éditeurs de quotidiens et d'hebdomadaires de langue néerlandaise dont le siège social est établi dans la région de langue néerlandaise ou dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Aucune autre disposition du décret de 1987 que celle-ci n'aurait donc été considérée comme contraire à l'article 52 du traité.

59.
    En outre, en juillet 1995, la Commission a mis en demeure les autorités belges, dans le cadre d'une procédure fondée sur l'article 90, paragraphe 3, du traité, de présenter leurs observations sur la compatibilité du droit exclusif accordé à la requérante avec les dispositions combinées des articles 90, paragraphe 1, et 59 du traité. Cette procédure a finalement été clôturée.

60.
    Dans la mesure où ces procédures auraient permis à la Commission d'examiner la légalité de l'entièreté du décret de 1987 au regard du droit communautaire, la requérante soutient que les dispositions de ce décret qui n'avaient pas été visées par ces procédures pouvaient être considérées comme conformes au traité.

61.
    Cette situation aurait fait naître dans le chef de la requérante l'espérance fondée que la Commission ne contesterait plus la légalité de la réglementation flamande en matière audiovisuelle au regard du droit communautaire.

62.
    Il s'ensuivrait que la Commission, en déclarant illégal le droit exclusif accordé à VTM au regard de l'article 90, paragraphe 1, du traité en liaison avec l'article 52 dudit traité, a méconnu le principe communautaire de protection de la confiance légitime (arrêts de la Cour du 3 mai 1978, Töpfer/Commission, 112/77, Rec. p. 1019, point 19, et du 17 avril 1997, de Compte/Parlement, C-90/95 P, Rec. p. I-1999, points 39 et 40), selon lequel tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître dans son chef des espérances fondées, a le droit de réclamer la protection de la confiance légitime (arrêt du Tribunal du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T-336/94, Rec. p. II-1343, point 31).

63.
    Par cette attitude, la Commission aurait également méconnu les devoirs de prévoyance et de circonspection ainsi que le principe de sécurité juridique. La requérante souligne que ce principe empêchait la Commission d'entamer une nouvelle procédure à l'encontre de la législation litigieuse, puisque la compatibilité de cette législation avec le droit communautaire avait antérieurement fait l'objet d'un examen approfondi. Cette situation serait comparable à celle du juge national qui se trouve empêché, en vertu du principe de sécurité juridique, de poser une question à titre préjudiciel sur la validité d'un acte communautaire lorsque cet acte n'a pas été attaqué dans le délai de recours prévu par le traité (arrêt de la Cour du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf, C-188/92, Rec. p. I-833, points 24 à 26).

64.
    Dans sa réplique, la requérante rétorque à la Commission qu'elle ne nie pas l'effet direct des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité et, par conséquent, la possibilité pour un juge national de contrôler la légalité des dispositions de la législation nationale déjà analysées par la Commission et, le cas échéant, de les déclarer incompatibles avec lesdites dispositions. En revanche, le devoir de diligence et le principe de sécurité juridique empêcheraient la Commission - et elle seule - de remettre en cause la compatibilité du droit exclusif accordé à VTM avec le droit communautaire. En effet, en l'absence d'une modification substantielle des modalités du décret réglant le droit exclusif de nature à justifier une nouvelle enquête de la Commission, ledit droit exclusif aurait acquis, après l'enquête ponctuée par l'arrêt Commission/Belgique, précité, un caractère définitif pour la Commission.

65.
    L'argumentation subsidiaire de la Commission, selon laquelle il n'est guère possible d'espérer que, chaque fois qu'un État membre arrête une mesure susceptible de violer une ou plusieurs dispositions du droit communautaire, elle dispose immédiatement de toutes les informations nécessaires pour procéder à une analyse factuelle et juridique complète et ouvrir aussitôt toutes les procédures possibles, reposerait sur une interprétation erronée du devoir de diligence. En effet, le devoir de diligence, contenu dans l'article 155 du traité CE (devenu article 211 CE), exigerait de la Commission que, à la suite d'une plainte, elle ne limite pas son enquête aux seuls éléments de la mesure nationale mentionnés dans la plainte, ou aux seules dispositions de droit communautaire invoquées dans ladite plainte, mais qu'elle examine l'intégralité de la mesure nationale au regard du droit communautaire dans son ensemble.

66.
    La requérante estime qu'une lecture normalement attentive de la réglementation flamande en matière audiovisuelle devait permettre à la Commission, dans le cadre de la procédure au titre de l'article 169 du traité clôturée par l'arrêt Commission/Belgique, précité, de constater que le décret de 1987 instaurait un droit exclusif en faveur de VTM, sauf à avoir manqué à son devoir de diligence, de sorte que l'adoption de la décision attaquée constituerait, à l'égard de la requérante, une violation du principe de protection de la confiance légitime. Alternativement, la requérante n'exclut pas que la Commission ait, au cours de cette même procédure, constaté l'existence du droit exclusif et examiné sa conformité avec le traité. Dans ce dernier cas, l'appréciation par la Commission, dans le cadre de la procédure ouverte en l'espèce, de la compatibilité de ce droit exclusif avec le traité constituerait, à l'égard de la requérante, une violation du principe de protection de la confiance légitime, de sorte que celle-ci pourrait légitimement invoquer le principe de sécurité juridique pour obtenir l'annulation de la décision attaquée.

67.
    Au soutien du second terme de cette alternative, la requérante invoque l'avis motivé, transmis par la Commission au gouvernement belge le 13 février 1991, concernant la condition d'établissement imposée aux fins de l'agrément de l'organisme privé de télédiffusion, selon lequel:

«Le moyen choisi par la Communauté flamande pour atteindre cet objectif n'est toutefois pas compatible avec le droit communautaire. Il est vrai que l'article 90 du traité autorise les États membres à octroyer des droits particuliers à des organismes de diffusion, comme cela ressort de l'arrêt de la Cour du 30 avril 1974, Sacchi (155/73, Rec. p. 409); cet article prévoit cependant que les États membres ne peuvent maintenir en vigueur aucune mesure contraire aux règles du traité. Si un État membre choisit d'accorder des droits spéciaux à une société de droit privé, il ne peut plus intervenir dans la structure du capital de cette entreprise par une mesure contraire aux articles [52 et 221 du traité] et qui ne peut pas non plus être justifiée sur la base de l'ordre public en invoquant l'article 56 du traité.»

68.
    La Commission conteste l'argumentation de la requérante, selon laquelle elle n'aurait pas dû engager la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée, sauf à admettre un droit acquis à la violation des dispositions du traité ayant un effet direct.

69.
    Les dispositions de l'article 90, paragraphe 1, du traité lu en combinaison avec l'article 52 du même traité ayant un effet direct, leur applicabilité ne dépendrait en aucune façon d'une initiative éventuelle de la Commission au titre de l'article 90, paragraphe 3, dudit traité. L'incompatibilité du droit exclusif de la requérante avec le droit communautaire aurait donc pu être constatée à tout moment par le juge national. Il ne saurait, dès lors, être question d'une confiance légitime impliquant qu'une incompatibilité pourrait ne jamais être constatée.

70.
    A titre subsidiaire, la Commission souligne qu'il n'est guère possible d'espérer que, chaque fois qu'un État membre arrête une mesure susceptible de violer une ou plusieurs dispositions du droit communautaire, elle dispose immédiatement de toutes les informations nécessaires pour procéder à une analyse factuelle et juridique complète et ouvrir aussitôt toutes les procédures possibles.

Appréciation du Tribunal

71.
    Selon une jurisprudence constante, le principe de protection de la confiance légitime fait partie de l'ordre juridique communautaire (arrêt Töpfer/Commission, précité, point 19). Le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire, notamment en lui fournissant des assurances précises, a fait naître dans son chef des espérances fondées (arrêt du Tribunal du 14 septembre 1995, Lefebvre e.a./Commission, T-571/93, Rec. p. II-2379, point 72).

72.
    En l'espèce, bien que, aux fins de l'examen de la compatibilité de la réglementation flamande en matière audiovisuelle avec les règles du traité, la Commission ait successivement engagé et instruit durant plusieurs années des procédures à l'encontre d'une même réglementation pourtant non modifiée, il y a, néanmoins, lieu de constater, d'une part, qu'aucune assurance précise n'a été fournie à la requérante, ainsi que cette dernière l'a reconnu lors de l'audience, quant à la légalité, au regard des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité, des dispositions de la réglementation flamande conférant à VTM le droit exclusif de transmettre de la publicité télévisée à destination de l'ensemble de la Communauté flamande et, d'autre part, que la manière dont la Commission a mené son examen de la compatibilité avec les règles du traité de cette réglementation n'est pas de nature à avoir fait naître dans le chef de la requérante une espérance fondée.

73.
    En effet, l'extrait de l'avis motivé notifié par la Commission au gouvernement belge le 13 février 1991 dont se prévaut la requérante (point 67 ci-dessus) ne contient aucun élément indiquant que la Commission avait analysé, dès cette époque, la conformité à l'ensemble des règles du traité des dispositions de la réglementation concernée prévoyant ledit droit exclusif. Cet extrait confirme simplement la règle générale selon laquelle l'octroi de droits spéciaux ou exclusifs n'est pas interdit dès lors qu'aucune disposition du traité n'est enfreinte et le fait qu'un État membre «ne peut plus intervenir dans la structure du capital» d'une entreprise dotée de tels droits «par une mesure contraire aux articles 52 et 221 du traité». Partant, la position exprimée dans l'avis motivé ne constitue pas une assurance fournie par la Commission et n'a donc pas pu faire naître, dans le chef de la requérante, l'espérance fondée que la compatibilité du droit exclusif prévu par la réglementation flamande ne serait plus mise en cause au regard des règles du traité.

74.
    De même, ne saurait être assimilée à une assurance précise l'absence de mise en cause, par la Commission, dans les procédures qu'elle avait ouvertes avant celle ayant abouti à la décision attaquée, de la compatibilité du droit exclusif au regard de l'article 90, paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec l'article 52 du même traité. Il importe de préciser que cette situation n'est pas comparable à celle d'une personne nourrissant des espérances fondées dans la légalité d'un acte administratif qui lui est favorable (arrêt de Compte/Parlement, précité). Dès lors, la constatation de l'incompatibilité d'une réglementation nationale avec le droit communautaire ne saurait être comparée au retrait d'un acte administratif favorable dans la légalité duquel une personne avait placé sa confiance.

75.
    Quant à l'argument de la requérante selon lequel la Commission aurait méconnu les devoirs de prévoyance et de circonspection, il convient de rappeler que, aux termes de l'article 90, paragraphe 3, du traité, «la Commission veille à l'application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres». Par ailleurs, conformément aux articles 155 et 169 du traité, la Commission est la gardienne de la légalité communautaire. En cette qualité, elle a pour mission de veiller, dans l'intérêt général communautaire, à la bonne application du traité par les États membres et de faire constater, en vue de leur cessation, l'existence de manquements éventuels aux obligations qui en dérivent (arrêt de la Cour du 4 avril 1974, Commission/France, 167/73, Rec. p. 359, point 15). C'est donc à la Commission qu'il incombe d'apprécier l'opportunité d'agir contre un État membre sur le fondement de l'article 169 ou de l'article 90, paragraphe 3, du traité, de déterminer les dispositions qu'il aurait violées et de choisir le moment où elle initiera la procédure choisie contre lui (voir, en ce qui concerne l'article 169 du traité uniquement, arrêt de la Cour du 18 juin 1998, Commission/Italie, C-35/96, Rec. p. I-3851, point 27). Dans ce contexte, il y a lieu d'indiquer qu'il découle du libellé de l'article 90, paragraphe 3, du traité et de l'économie de l'ensemble des dispositions de cet article que la Commission jouit d'un large pouvoir d'appréciation dans le domaine visé par ses paragraphes 1 et 3, concernant tant l'action qu'elle considère nécessaire d'entreprendre que les moyens appropriés à cette fin (arrêt de la Cour du 20 février 1997, Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission, C-107/95 P, Rec. p. I-947, point 27).

76.
    Il en découle que, lorsque la Commission considère que des dispositions nationales sont contraires à des règles de droit communautaire autres que celles dont la violation avait justifié l'engagement de procédures antérieures, elle peut, afin de s'acquitter pleinement des missions qui lui sont assignées par les articles 155 et 169 du traité, diligenter une nouvelle procédure en manquement en vue de faire constater ces nouvelles violations (en ce sens, arrêt Commission/Italie, précité, point 28). De même, si elle constate une violation de l'article 90 du traité par un État membre, elle a la possibilité, alors même que l'incompatibilité présumée de la réglementation nationale avec le droit communautaire a déjà justifié l'engagement de plusieurs procédures, d'adresser une décision appropriée audit État membre afin de veiller à l'application des dispositions de cet article.

77.
    Dès lors que la Commission n'est pas tenue de procéder en une seule fois à l'examen de la légalité d'une réglementation nationale au regard de l'ensemble des règles du traité, l'argument que la requérante tire des devoirs de diligence et de circonspection qui incombent à la Commission en vertu de l'article 155 du traité lorsqu'elle instruit une procédure doit être écarté.

78.
    Enfin, faute pour la requérante d'avoir démontré que la Commission lui avait fourni l'assurance que les dispositions de la réglementation flamande régissant l'octroi du droit exclusif étaient compatibles avec l'article 90, paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec l'article 52 du même traité, et en l'absence d'éléments particuliers sur lesquels elle aurait pu fonder l'espérance que cette réglementation serait tolérée par la Commission, elle ne saurait valablement soutenir que cette dernière a méconnu le principe de sécurité juridique en engageant la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée.

79.
    Au vu de l'ensemble de ce qui précède, le deuxième moyen doit être rejeté.

Sur le troisième moyen, tiré de la violation des dispositions combinées des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité

Arguments des parties

80.
    La requérante conteste que tant les dispositions du Codex que leurs mesures d'exécution constituent des infractions à l'article 90, paragraphe 1, du traité, combiné avec l'article 52 dudit traité, parce qu'elles auraient «une finalité et un effet protectionniste incontestables» (point 12 des considérants de la décision attaquée).

81.
    Dans le cadre de la première branche du moyen, elle met en cause l'appréciation par la Commission de la justification du droit exclusif temporairement accordé.

82.
    Elle estime que la question de la nécessité et, partant, de la justification du droit exclusif est une question préalable. En effet, dès lors qu'il est démontré qu'il existe des raisons acceptables pour un État membre d'accorder un droit exclusif, toute objection fondée sur le droit à la liberté d'établissement et visant, en fait, uniquement l'effet d'exclusion inhérent au droit exclusif se révélerait non pertinente.

83.
    La Cour aurait, en outre, reconnu que les objectifs de politique culturelle constituent des objectifs d'intérêt général qu'un État membre peut légitimement poursuivre en élaborant le statut de ses propres organismes de radiodiffusion de manière appropriée (arrêts de la Cour du 5 octobre 1994, TV10, C-23/93, Rec. p. I-4795, point 19, et du 26 juin 1997, Familiapress, C-368/95, Rec. p. I-3689, point 18).

84.
    Or, en l'espèce, les autorités publiques auraient prévu, à l'occasion de la libéralisation du paysage audiovisuel flamand, l'octroi d'un droit exclusif temporaire à un seul organisme privé de télédiffusion pour des raisons de politique culturelle et, en particulier, de maintien du pluralisme et de l'indépendance de la presse écrite.

85.
    En effet, il aurait été inévitable que le lancement d'une chaîne commerciale en Flandre entraînât un transfert des investissements publicitaires du secteur de la presse écrite vers celui de la télévision commerciale.

86.
    L'effet de substitution entre les vecteurs traditionnels de la publicité de marque et la télévision commerciale, qui aurait été plus important que prévu, aurait entraîné un manque à gagner pour le secteur de la presse écrite. Entre 1988 et 1990, la part du marché de la publicité commerciale détenue par les journaux serait passée de 25 à 17 %, et celle des magazines de 43 à 24 %. Ce glissement aurait profité à la télévision commerciale dont la part de marché était de 34 % en 1990. Un tel manque à gagner n'aurait été que très partiellement compensé par les dividendes versés par la requérante aux groupes de presse écrite qui détiennent son capital social. En conséquence, la presse écrite flamande se serait adaptée aux nouvelles conditions de la concurrence sur le marché de la publicité. Ainsi, la politique flamande en matière de médias aurait permis que cet assainissement, rendu inévitable par la libéralisation du marché flamand de l'audiovisuel, puisse s'opérer en préservant l'existence d'une presse écrite indépendante et pluraliste en Flandre, et cela sans que les pouvoirs publics aient à verser une quelconque subvention susceptible d'entraîner des distorsions de concurrence.

87.
    La requérante réfute, ensuite, les raisons pour lesquelles la Commission estime qu'il n'existe pas de relation nécessaire entre, d'une part, la politique culturelle visant à préserver le pluralisme de la presse écrite flamande et, d'autre part, la concession à la requérante d'un droit exclusif temporaire d'exploiter une chaîne commerciale en Flandre.

88.
    En premier lieu, il ressort de la décision attaquée que «le Codex ne garantit pas que tout éditeur de presse néerlandophone, sans distinction aucune, aura le droit de devenir actionnaire de VTM ou de bénéficier d'une ristourne sur ses profits» (point 13, quatrième alinéa, des considérants). A cet égard, la requérante souligne, tout d'abord, que tous les éditeurs de quotidiens et d'hebdomadaires de langue néerlandaise ont eu la possibilité de prendre une participation dans son capital lors de sa constitution. Le désavantage concurrentiel dont certains pâtiraient aujourd'hui ne serait donc pas la conséquence directe du droit exclusif accordé à la requérante, mais celle de leur propre attitude. La Commission aurait, ensuite, omis d'indiquer quels sont les éditeurs qui, n'existant pas lors de sa constitution, sont entrés sur le marché de la presse flamande depuis 1987. En tout état de cause, ces éventuels nouveaux éditeurs ne subiraient pas les effets négatifs engendrés, sur le marché de la publicité, par le lancement d'une télévision commerciale qu'ont pu subir les éditeurs existant lors de sa constitution, parce qu'ils pourraient établir, dès le début de leurs activités, une structure de coûts tenant compte de la diminution de la part du marché de la publicité détenue par la presse écrite.

89.
    En deuxième lieu, la requérante conteste l'argument selon lequel «il n'est aucunement garanti que les recettes publicitaires de VTM, qui sont réparties entre les actionnaires en fonction du pourcentage qu'ils détiennent dans le capital de celle-ci, soient affectées par ces derniers au soutien de leurs journaux en proie à d'éventuelles difficultés financières» (point 13, quatrième alinéa, des considérants de la décision attaquée). A ce propos, elle souligne qu'elle verse des dividendes à ses actionnaires, et non des recettes publicitaires, et que la Commission n'a pas indiqué à quelles autres fins pourraient être utilisées lesdites recettes. En outre, pour que le pluralisme de la presse écrite soit garanti, il faudrait que les finances des maisons d'édition soient saines. La question qui se poserait n'est donc pas de savoir si les recettes financières que perçoivent les éditeurs au titre de leur participation vont directement aux publications, mais si ces recettes contribuent à renforcer, voire éventuellement à rétablir la santé financière de ces éditeurs. La requérante invoque l'évolution de la situation économique du journal De Morgen pour démontrer l'efficacité de la politique flamande des médias.

90.
    En troisième lieu, la requérante n'accepte pas l'argument selon lequel «les conditions édictées par le Codex relatives à la structure de la seule société de télévision privée en Flandre qui a été agréée par l'exécutif flamand, à savoir la réservation de 51 % du capital de VTM aux éditeurs de la presse néerlandophone, constituent un moyen inefficace pour la réalisation de la finalité culturelle déclarée, puisqu'il n'est pas exclu que le capital de VTM, et notamment la part réservée de 51 %, puisse être concentré dans les mains d'un seul actionnaire au détriment de la préservation du pluralisme dans le secteur des médias» (point 13, cinquième alinéa, des considérants de la décision attaquée). Le législateur flamand aurait laissé les éditeurs libres de décider s'il y avait lieu ou non de souscrire au capital de la requérante. Par ailleurs, la réservation de 51 % du capital de la requérante offrirait aux éditeurs souhaitant y participer suffisamment de certitude que le transfert des recettes publicitaires de la presse écrite au profit de la télévision n'affectera pas trop leur situation financière.

91.
    La possibilité qu'une maison d'édition acquière une participation majoritaire dans le capital de la requérante ne mettrait pas en échec le lien nécessaire entre, d'une part, le droit exclusif accordé et, d'autre part, le maintien du pluralisme de la presse flamande. En effet, d'une part, l'exclusivité concédée à la requérante ne serait que temporaire et, d'autre part, les dividendes qui reviendraient à la maison de presse devenue majoritaire ne seraient rien d'autre que la contre-valeur de son investissement dans sa participation complémentaire, qu'elle paierait aux éditeurs vendant la leur, ce qui permettrait à ces derniers d'investir pour assurer l'avenir de leurs journaux.

92.
    En quatrième lieu, la requérante conteste l'allégation de la Commission, selon laquelle «il n'y a pas de motifs de croire que dans la Communauté flamande une station de télévision privée ne peut survivre que si elle dispose d'un monopole de publicité télévisée», ce qui serait démontré par le lancement par la requérante d'une seconde chaîne de télévision (point 13, sixième alinéa, des considérants de la décision attaquée). En effet, une telle affirmation démontrerait une méconnaissance de la réalité économique du paysage audiovisuel flamand, qui se caractériserait par l'étroitesse du marché. Les conséquences de l'entrée de la chaîne VT4 sur le marché télévisuel flamand par le biais de la libre prestation des services prouveraient qu'une télévision commerciale établie en Flandre et répondant à toutes les conditions fixées par le législateur ne peut être rentable que si elle possède l'exclusivité de diffuser. Or, après l'arrivée de VT4, le chiffre d'affaires de la requérante dans le domaine de la publicité réalisé en 1996 aurait baissé de 21,6 % par rapport à 1994 et l'état de ses liquidités se serait largement dégradé.

93.
    Par ailleurs, la requérante ne bénéficierait pas d'un monopole, notamment parce que le marché de la publicité télévisée n'existerait pas en tant que tel. Deux éléments importants influenceraient fortement la viabilité d'une télévision commerciale sur le marché flamand. D'abord, la requérante serait confrontée, depuis sa constitution, à une concurrence sévère de la chaîne publique sur le marché des téléspectateurs. Cette dernière bénéficierait du monopole des subventions publiques ainsi que du monopole d'exploitation des fréquences radio nationales, couplé à une exclusivité de durée illimitée dans le domaine de la publicité. Ensuite, la requérante serait soumise à des exigences strictes de programmation et aux limitations commerciales imposées par les autorités flamandes. Dans ces conditions, le droit exclusif temporaire serait indispensable à la rentabilité de la requérante, sans laquelle les éditeurs n'auraient aucune perspective de recettes financières de nature à compenser la baisse de leurs recettes publicitaires.

94.
    Le fait que la requérante lance elle-même une seconde chaîne de télévision, Kanaal 2, n'affecterait pas la justification de l'exclusivité temporaire. En effet, la chaîne VTM réaliserait des pertes explicables par le fait que, à titre de contre-prestation pour l'exclusivité qui lui a été concédée pour 18 ans, la requérante a entièrement axé son offre en matière de programmes sur les exigences qualitatives des autorités flamandes.

95.
    En cinquième lieu, la requérante conteste que le droit exclusif ne se justifie pas en tant que garantie du pluralisme de la presse écrite flamande parce que «le gouvernement flamand pourrait avoir recours à d'autres mesures appropriées faisant moins obstacle à l'intégration économique» (point 13, septième alinéa, des considérants de la décision attaquée). Outre que la Commission n'indiquerait pas quelles pourraient être ces autres mesures appropriées, l'exclusivité accordée à la requérante créerait nettement moins de distorsions de concurrence que le versement d'aides directes et indirectes à la presse écrite. Elle invoque plusieurs exemples au soutien de son allégation.

96.
    Dans le cadre de la seconde branche du moyen, la requérante conteste que tant les dispositions du Codex que les mesures d'habilitation soient contraires, ainsi qu'il ressortirait du dispositif de la décision attaquée, à l'article 90, paragraphe 1, du traité, en liaison avec l'article 52 du même traité, parce qu'elles constituent une «forme dissimulée de discrimination» et que leurs «effets sont protectionnistes».

97.
    L'article 41 1) du Codex (voir ci-dessus point 4) ne constituerait pas une discrimination dissimulée du seul fait qu'une seule chaîne de télévision privée s'adressant à la Communauté flamande peut être agréée. Les conditions d'agrément de cet organisme privé, prévues à l'article 44 du Codex (voir ci-dessus point 5), ne permettraient pas non plus de conclure à l'existence d'une discrimination dissimulée au profit d'entreprises «flamandes» ou «belges». Le fait que deux groupes de médias étrangers ont souscrit, par l'intermédiaire de leurs filiales, à 22,22 % du capital social de la requérante lors de sa constitution et qu'un groupe néerlandais de médias, VNU, contrôle actuellement 45 % de son capital démontrerait que les conditions d'agrément ne constituent pas un obstacle empêchant les entreprises étrangères de participer au capital de la chaîne de télévision non publique. En outre, la condition que 51 % des parts du capital social de la requérante soient détenues par des éditeurs de quotidiens et d'hebdomadaires de langue néerlandaise n'exclut pas que des éditeurs étrangers de publications de cette nature participent audit capital.

98.
    L'article 80, deuxième alinéa, du Codex (voir ci-dessus point 7) ne constituerait pas non plus une discrimination dissimulée. Cette disposition n'exclurait nullement que les autorités flamandes puissent autoriser une chaîne de télévision privée, dont le capital social est entièrement entre les mains d'actionnaires étrangers qui seraient pour 51 % au moins éditeurs de quotidiens et d'hebdomadaires de langue néerlandaise, à diffuser des messages publicitaires destinés à l'ensemble de la Communauté flamande. Par ailleurs, le décret ne contiendrait aucune disposition prévoyant la caducité de ce droit exclusif dans le cas où son titulaire tomberait sous le contrôle, en tout ou en partie, d'une entreprise étrangère.

99.
    S'agissant des mesures d'habilitation, à savoir la décision du gouvernement flamand du 19 novembre 1987, agréant la requérante comme seule chaîne commerciale s'adressant à l'ensemble de la Communauté flamande, et l'arrêté royal du 3 décembre 1987 (confirmé par une décision du gouvernement flamand du 11 décembre 1991), l'autorisant à diffuser de la publicité, elle fait valoir que l'obstacle à l'établissement, lequel procéderait nécessairement de la concession du droit exclusif, frappe identiquement les entreprises belges et les entreprises étrangères, si bien que, en principe, la décision d'agréer la requérante comme seule chaîne commerciale s'adressant à l'ensemble de la Communauté flamande ne met pas en cause la liberté d'établissement.

100.
    La Commission, en réponse à la première branche du moyen, reconnaît qu'une politique culturelle et le maintien du pluralisme de la presse écrite peuvent constituer des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la liberté d'établissement. Toutefois, il n'y aurait pas de relation nécessaire entre, d'une part, une telle politique culturelle visant à préserver le pluralisme de la presse flamande, et, d'autre part, le droit exclusif accordé à la requérante. Elle critique l'argumentation de la requérante sur chacun des motifs exposés dans la décision.

101.
    En guise de réponse à la seconde branche du moyen, la Commission estime que la requérante fonde sa critique sur le fait que deux discriminations distinctes auraient été constatées dans la décision. Or, elle n'aurait constaté qu'une seule infraction à l'article 90, paragraphe 1, du traité lu en combinaison avec l'article 52 du même traité, à savoir celle constituée par le jeu combiné des dispositions par lesquelles le droit exclusif a été institué.

Appréciation du Tribunal

102.
    Aux termes de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

103.
    Il convient donc d'examiner préliminairement si l'argumentation que la requérante a développée lors de la procédure orale, selon laquelle l'application conjointe des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité serait «contradictoire», constitue, ainsi que le soutient la Commission, un moyen invoqué pour la première fois en cours d'instance.

104.
    A cet égard, il convient de constater que le grief développé par la requérante lors de la procédure orale n'est qu'une ampliation des arguments qu'elle a avancés, dans son mémoire introductif d'instance, dans le cadre du présent moyen (voir ci-dessus point 82). Dès lors qu'il ne peut pas être considéré comme un nouveau moyen ayant été invoqué pour la première fois lors de la procédure orale, ledit grief est recevable.

105.
    Par la décision attaquée, la Commission constate que les dispositions de la réglementation flamande qui confèrent à VTM le droit exclusif d'émettre de la publicité télévisée à destination de l'ensemble de la Communauté flamande sont incompatibles avec l'article 90, paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec l'article 52 du même traité. Elle relève, en effet, que les mesures étatiques qui fondent juridiquement ce droit sont incompatibles avec l'article 52 du traité (point 12, deuxième à cinquième alinéa, des considérants) et ne sont pas justifiées par des «raisons impérieuses d'intérêt général» (point 13, septième alinéa, des considérants). A ce propos, elle indique que, si une politique culturelle et le maintien du pluralisme de la presse, qui est lié à la liberté d'expression, peuvent constituer des raisons impérieuses d'intérêt général justifiant une restriction à la liberté d'établissement (point 13, troisième alinéa, des considérants), la réglementation flamande n'est pas propre à garantir la réalisation de ces objectifs et va au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (point 13, troisième à septième alinéa, des considérants). La Commission conclut en effet qu'«[elle] n'estime pas que la monopolisation des recettes publicitaires de VTM est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général» (point 13, septième alinéa, des considérants).

106.
    Aux termes de l'article 90, paragraphe 1, du traité: «Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 6 et 85 à 94 inclus.» Même si cette disposition présuppose l'existence d'entreprises titulaires de certains droits spéciaux ou exclusifs, il ne s'ensuit pas pour autant que tous les droits spéciaux et exclusifs sont nécessairement compatibles avec le traité. Cela dépend des différentes règles auxquelles l'article 90, paragraphe 1, du traité renvoie (arrêts de la Cour du 19 mars 1991, France/Commission, C-202/88, Rec. p. I-1223, point 22, et du 25 juillet 1991, Commission/Pays-Bas, C-353/89, Rec. p. I-4069, point 34).

107.
    Il en découle que les mesures prises par les États membres concernant les entreprises visées à l'article 90, paragraphe 1, du traité doivent, sans préjudice de l'application du paragraphe 2 de cet article, être conformes aux règles du traité, et notamment à l'article 52, premier alinéa, dudit traité, qui prévoit que «les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont progressivement supprimées au cours de la période de transition [...]»

108.
    La combinaison des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité trouve à s'appliquer lorsqu'une mesure adoptée par un État membre constitue une restriction au libre établissement des ressortissants d'un autre État membre dans son territoire et procure, en même temps, des avantages à une entreprise en la dotant du droit exclusif, à moins que cette mesure étatique ne poursuive un objectif légitime compatible avec le traité et ne se justifie en permanence par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que la politique culturelle et le maintien du pluralisme de la presse (arrêts de la Cour du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda, C-288/89, Rec. p. I-4007, point 23, et Familiapress, précité, point 18). En pareil cas, il faut encore que la mesure étatique en cause soit propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Kraus, C-19/92, Rec. p. I-1663, point 32).

109.
    A la lumière de ces considérations, l'argumentation de la requérante selon laquelle il suffirait que des raisons acceptables aient conduit à l'octroi du droit exclusif pour que celui-ci soit toujours justifié (point 82 ci-dessus) est fondée sur une prémisse erronée et doit donc être écartée. En outre, accueillir la thèse de la requérante reviendrait à rendre impossible toute contestation d'une mesure étatique conférant un droit exclusif à une entreprise, dès lors que l'octroi de ce droit est initialement justifié, selon l'expression qu'elle emploie, par des «raisons acceptables». Il deviendrait également impossible d'appliquer les règles du traité régissant les libertés fondamentales à une mesure étatique conférant un droit exclusif à une entreprise, alors même que les entraves causées par ce droit ne seraient plus justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général.

110.
    Le rejet de cette argumentation de la requérante rend également dénuée de pertinence son argumentation consacrée aux raisons pour lesquelles le droit exclusif a été concédé en 1987 (voir points 84 à 86 ci-dessus). En effet, la question posée est celle de savoir si la raison impérieuse d'intérêt général qui avait pu justifier la restriction au libre établissement occasionnée par l'entrée en vigueur de la mesure nationale conférant le droit exclusif en 1987 justifie encore cette restriction.

111.
    Par ailleurs, selon l'article 1er de la décision attaquée, lu à la lumière de ses motifs, c'est l'ensemble des mesures étatiques qu'il vise, à savoir les articles 80, deuxième alinéa, et 41 1), du Codex ainsi que les mesures d'exécution, qui est déclaré incompatible avec l'article 90, paragraphe 1, du traité en liaison avec l'article 52 du même traité. L'approche de la requérante consistant à examiner isolément chacune des dispositions en cause ne saurait donc être retenue.

112.
    La Commission n'a, en outre, commis aucune erreur d'appréciation en constatant que «le monopole de VTM d'émettre de la publicité télévisée destinée au public flamand équivaut à exclure tout opérateur d'un autre État membre, qui voudrait s'installer ou créer un établissement secondaire en Flandre afin de transmettre, sur le réseau de télédistribution belge, des messages de publicité télévisée destinés au public flamand» (point 12, deuxième alinéa, des considérants de la décision attaquée) et en considérant, par voie de conséquence, que la réglementation flamande violait l'article 52 du traité.

113.
    En effet, le droit d'établissement, prévu à l'article 52 du traité , comporte, sous réserve des exceptions et conditions prévues, l'accès sur le territoire de tout État membre à toutes sortes d'activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, la création d'agences, de succursales ou de filiales (arrêt de la Cour du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, Rec. p. I-4165, point 23). La notion d'établissement au sens du traité est donc une notion très large, impliquant la possibilité pour un ressortissant communautaire de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un État membre autre que son État d'origine, et d'en tirer profit, favorisant ainsi l'interpénétration économique et sociale à l'intérieur de la Communauté dans le domaine des activités non salariées (même arrêt, point 25). Enfin, il ressort de l'arrêt Kraus, précité, que l'article 52 du traité s'oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice par les ressortissants communautaires des libertés fondamentales garanties par le traité (en ce sens, point 32 de l'arrêt).

114.
    En l'espèce, la réglementation flamande qui octroie le droit exclusif à VTM rend impossible l'établissement en Belgique d'une société concurrente d'un autre État membre désireuse d'émettre depuis la Belgique de la publicité télévisée destinée à l'ensemble de la Communauté flamande. Cette seule constatation étant suffisante pour caractériser l'entrave au libre établissement, il n'y a pas lieu d'examiner la question de savoir si cette réglementation constitue une «forme dissimulée de discrimination dont les effets sont protectionnistes» (point 12, sixième alinéa, des considérants de la décision attaquée), ce que la requérante conteste dans le cadre du moyen pris en sa seconde branche. Il convient, en revanche, d'examiner si la Commission a établi que cette entrave au libre établissement n'était pas susceptible d'être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général. En effet, la requérante réfute les raisons invoquées par la Commission, dans la décision attaquée, pour démontrer qu'il n'existe pas de relation nécessaire entre, d'une part, la politique culturelle visant à préserver le pluralisme de la presse écrite flamande et, d'autre part, la concession à la requérante du droit exclusif temporaire d'exploiter une chaîne commerciale en Flandre.

115.
    Or, les arguments avancés par la requérante (points 88 à 95 ci-dessus) ne permettent pas de conclure que l'appréciation de la Commission, telle qu'elle est exposée au point 13, deuxième à quatrième alinéa, des considérants de la décision attaquée, est erronée.

116.
    En premier lieu, comme le souligne à bon droit la Commission au point 13, quatrième alinéa, des considérants de la décision attaquée, même si tous les éditeurs avaient la possibilité d'entrer dans le capital de la société requérante au moment de sa constitution, certains n'ont pas saisi cette opportunité et ne peuvent donc pas bénéficier des gains réservés aux éditeurs ayant pris part à l'opération. En outre, les nouveaux entrants sur le marché de l'édition de la presse néerlandophone ne peuvent pas non plus bénéficier des avantages que confère la souscription au capital de VTM. Par conséquent, un éditeur qui ne participe pas au capital de VTM ne peut pas bénéficier des dividendes versés par celle-ci et résultant, au moins partiellement, des recettes générées par la publicité télévisée. Ainsi que le fait valoir la Commission dans la décision attaquée, «l'exclusivité conférée à VTM ne favorise ainsi qu'un seul groupe d'éditeurs au détriment des autres» (point 13, quatrième alinéa, des considérants).

117.
    En deuxième lieu, les actionnaires de la requérante qui sont actifs dans le secteur de la presse écrite flamande peuvent affecter le produit des dividendes versés par VTM comme ils l'entendent. Ils ne sont donc pas empêchés de redistribuer ces gains sous forme de dividendes à leurs propres actionnaires ou de les utiliser pour des activités ne présentant aucun lien avec la presse flamande. Il s'ensuit que la Commission a considéré à bon droit, au point 13, quatrième alinéa, des considérants de la décision attaquée, que les mesures étatiques incriminées ne contribuaient pas nécessairement à la réalisation des objectifs poursuivis.

118.
    En troisième lieu, la requérante ne conteste pas que la réglementation flamande n'empêche pas que 51 % des parts du capital de VTM puissent être détenues par un seul éditeur de presse néerlandophone. Dès lors, la condition de la réservation de la majorité du capital de la requérante ne permet pas de garantir que les gains de la publicité télévisée seront répartis, par l'intermédiaire du versement des dividendes, entre au moins deux éditeurs de presse néerlandophone, de sorte que cette condition ne garantit pas par elle-même le pluralisme de la presse écrite flamande.

119.
    En quatrième lieu, la requérante conteste qu'il n'y ait pas de motifs de croire qu'une chaîne de télévision privée ne peut survivre en Flandre que si elle dispose d'un droit exclusif d'émettre de la publicité, ce qui serait démontré par le lancement par la requérante d'une seconde chaîne de télévision (point 13, sixième alinéa, des considérants de la décision attaquée). La requérante indique à cet égard que les gains que génère la publicité télévisée ont régressé au cours des derniers exercices, notamment en raison de la concurrence de VT4. Cependant, la seule dégradation des résultats financiers n'est pas, en soi et sans autres éléments de preuve fournis à cet égard, de nature à démontrer que l'affirmation de la Commission est erronée en fait.

120.
    Par ailleurs, l'argument que la requérante tire de la subvention publique accordée à la chaîne publique BRTN, laquelle justifierait son droit exclusif, ne saurait être accueilli. En effet, ainsi que le fait valoir la Commission, BRTN est placée dans une situation particulière en ce qu'elle est chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité (point 14, deuxième alinéa, des considérants de la décision attaquée). A cela s'ajoute que le fait pour une chaîne publique de bénéficier de subventions publiques ne saurait avoir pour corollaire nécessaire qu'une chaîne privée doive se voir octroyer l'exclusivité de diffuser de la publicité sur l'ensemble du territoire concerné.

121.
    De même, la requérante n'ayant apporté aucun élément qui permette de conclure que les exigences réglementaires de programmation dont elle se prévaut ne pourraient pas être respectées par plusieurs chaînes concurrentes, l'argument qu'elle tire desdites exigences doit être rejeté.

122.
    En cinquième lieu, la requérante souligne que, selon les dires de la Commission, le droit exclusif ne se justifierait pas en tant que mesure pour garantir le pluralisme de la presse écrite flamande parce que «le gouvernement flamand pourrait avoir recours à d'autres mesures appropriées faisant moins obstacle à l'intégration économique» (point 13, septième alinéa, des considérants de la décision attaquée). Cependant, il y a lieu de relever que la Commission n'a pas invoqué cette considération dans sa décision en tant que motif supplémentaire visant à démontrer l'absence de relation nécessaire entre l'objectif poursuivi et la mesure étatique conférant le droit exclusif à VTM. En effet, cette considération est exprimée comme une conséquence nécessaire que le gouvernement flamand doit tirer s'il entend continuer de garantir le pluralisme après l'adoption de la décision attaquée sans méconnaître les articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité. Au surplus, la Commission a indiqué dans ses écritures que les objectifs de politique culturelle et de soutien du pluralisme de la presse pourraient être atteints en octroyant des subventions à la presse écrite. Elle a indiqué sur ce point que, ce faisant, tous les éditeurs pourraient bénéficier de subventions sur la base de critères liés à l'objectif poursuivi et que les subventions à la presse écrite n'entraîneraient pas de restrictions du droit d'établissement sur un autre marché, à savoir celui de la télévision commerciale.

123.
    Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le quatrième moyen, tiré d'un détournement de pouvoir

Arguments des parties

124.
    La requérante soutient qu'il existe des indices graves et concordants de ce que la décision attaquée résulte d'un détournement de pouvoir. Elle rappelle que les dispositions du décret de 1987 ont fait l'objet de procédures successivement engagées, en 1990, au titre de l'article 169 du traité, en 1995, au titre de l'article 90, paragraphe 1, du traité lu en combinaison avec l'article 59 du même traité et, en 1996, au titre de l'article 90, paragraphe 1, lu en combinaison avec l'article 52 du traité. En outre, un avis motivé concernant la condition relative à la réservation de la majorité du capital social de la requérante aux éditeurs de quotidiens et d'hebdomadaires de langue néerlandaise a été notifié aux autorités belges le 15 mai 1997.

125.
    La procédure actuelle s'inscrirait dans cette série de procédures engagées par la Commission contre le décret de 1987. Dans ce contexte, elle souligne que l'article 90, paragraphe 3, du traité n'impose à la Commission aucune obligation de «poursuivre» les droits exclusifs, mais lui laisse au contraire une large marge d'appréciation (voir, entre autres, arrêt du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T-575/93, Rec. p. II-1).

126.
    La circonstance qu'un acte communautaire fasse apparaître l'existence d'un manque de prévoyance ou de circonspection grave de l'institution qui l'a adopté équivaudrait à une méconnaissance du but légal en vue duquel le pouvoir d'adopter cet acte lui a été attribué (arrêt de la Cour du 21 juin 1958, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie e.a./Haute Autorité, 13/57, Rec. p. 261, 294). Or, toutes les procédures susmentionnées démontreraient le manque de prévoyance et de circonspection évident et grave dont aurait fait preuve la Commission, ce qui suffirait à établir l'existence d'un détournement de pouvoir.

127.
    L'engagement par la Commission de nouvelles procédures au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité postérieurement au prononcé de l'arrêt Commission/Belgique, précité, montrerait que celles-ci procèdent d'autres préoccupations que le souci de l'institution d'accomplir sa mission de gardienne du traité. La même appréciation vaudrait pour ces mêmes procédures considérées individuellement. A cet égard, la requérante souligne qu'un revirement a été opéré par la Commission lorsqu'elle a soudainement constaté l'incompatibilité des dispositions du Codex avec les articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité , alors qu'elle avait constaté leur compatibilité avec les dispositions combinées des articles 90, paragraphe 1, et 59 du traité. L'unique objectif de la Commission serait donc de battre en brèche le droit exclusif accordé à la requérante.

128.
    Au soutien de ces allégations, la requérante fait valoir que le parti socialiste flamand, qui était dans l'opposition lors des travaux préparatoires ayant abouti à l'adoption du décret de 1987, s'était farouchement opposé à la libéralisation du paysage audiovisuel en Flandre par la constitution d'une chaîne commerciale jouissant d'un droit exclusif à titre temporaire. Elle présume que le parti socialiste flamand a déposé plainte et a donc été à l'origine de la procédure close avec l'arrêt Commission/Belgique, précité. Or, le parti socialiste flamand était présidé de 1978 à 1988 par l'actuel membre de la Commission en charge des questions de concurrence.

129.
    L'impression de la requérante serait confortée par le fait que la décision récemment intervenue dans ce dossier se fonde sur une parfaite symbiose entre le ministre flamand compétent en matière audiovisuelle et le membre de la Commission en charge des questions de concurrence. Leurs déclarations publiques s'accorderaient parfaitement; le ministre souhaiterait mettre fin au droit exclusif de la requérante, mais, afin d'éviter tout recours éventuel en indemnisation de la part de la requérante, souhaiterait obtenir une décision de la Commission déclarant ce droit incompatible avec le droit communautaire.

130.
    La Commission estime que les conditions requises pour qu'un acte soit entaché d'un détournement de pouvoir ne sont manifestement pas remplies dans le cas d'espèce.

Appréciation du Tribunal

131.
    Une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise dans le but exclusif ou, tout au moins, déterminant d'atteindre des fins autres que celles excipées ou d'éluder une procédure spécifiquement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l'espèce (arrêts de la Cour du 14 mai 1998, Windpark Groothusen/Commission, C-48/96 P, Rec. p. I-2873, point 52, et du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T-143/89, Rec. p. II-917, point 68).

132.
    Dans la mesure où la Commission dispose d'une marge d'appréciation dans la mise en oeuvre de la compétence qu'elle détient en vertu de l'article 90, paragraphe 3, du traité (voir ci-dessus, point 75), il ne saurait lui être fait grief d'avoir exercé cette compétence au moment qu'elle a estimé opportun. Dès lors, il ne saurait être déduit du seul fait que la Commission a entamé la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée, après que deux autres procédures diligentées à l'encontre des autorités belges furent déjà engagées, que cette procédure a été engagée dans un but autre que celui de mettre fin à une violation effective du droit communautaire.

133.
    En outre, le détournement de pouvoir allégué met en cause la Commission dans l'exercice de ses compétences. Or, l'envoi d'une mise en demeure à un État membre et l'adoption d'une décision au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité incombent au collège des membres de la Commission et non à un seul de ses membres. Partant, les allégations de la requérante visant à mettre en cause l'attitude du membre de la Commission en charge des questions de concurrence à l'égard de la réglementation flamande en matière audiovisuelle par référence à son attitude politique passée, à la supposer établie, sont dénuées de pertinence.

134.
    Par ailleurs, l'arrêt Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie e.a./Haute Autorité, précité, ne saurait être utilement invoqué par la requérante. Dans cette affaire, l'un des requérants faisait grief à la Haute Autorité, dans le cadre d'un moyen tiré d'un détournement de pouvoir, d'avoir gravement méconnu certains des objectifs visés par le traité CECA en «freinant le développement de certains moyens de production par la voie des dispositions attaquées». C'est dans ce contexte que la Cour a estimé qu'il y avait lieu d'examiner «si ces dispositions révèlent, à cet égard, un mobile illicite ou un manque de circonspection grave équivalant à une méconnaissance du but légal et si elles n'ont pas, sur ce point, donné la prééminence à certains des buts légaux aux dépens de certains autres dans une mesure non justifiée par les circonstances». Or, dans la présente affaire, la requérante se borne à invoquer cette jurisprudence sans indiquer quel objectif visé par le traité, autre que celui de la légalité communautaire, aurait été méconnu par la Commission lorsqu'elle a adopté la décision attaquée.

135.
    Il s'ensuit que les affirmations de la requérante ne sont pas de nature à constituer des indices permettant de conclure que la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée a été engagée dans un but autre que celui de mettre fin à une violation effective du droit communautaire.

136.
    Par conséquent, le quatrième moyen n'est pas fondé et doit être rejeté.

Sur le cinquième moyen, tiré d'une violation de l'article 190 du traité

Arguments des parties

137.
    La requérante relève, en premier lieu, que, lorsque la Commission s'engage sur une voie nouvelle et adopte une décision allant plus loin que la pratique décisionnelle antérieure, son obligation de motivation est plus étendue et il lui incombe de développer son raisonnement d'une manière explicite (arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Papiers peints/Commission, 73/74, Rec. p. 1491, point 31).

138.
    Dès lors, la décision attaquée aurait dû être motivée d'une manière particulière, car elle serait le premier cas de censure d'un droit exclusif en application des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité. La décision 85/276/CEE de la Commission, du 24 avril 1985, relative à l'assurance en Grèce des biens publics et des crédits accordés par les banques publiques helléniques (JO L 152, p. 25), invoquée par la partie défenderesse, ne serait pas un cas d'application pure et simple des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité , mais reposerait également sur les articles 3, sous f), 85 et 86 du traité CEE.

139.
    En second lieu, la décision attaquée aurait dû être d'autant plus motivée que l'application combinée des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité paraît contradictoire. En effet, d'une part, l'article 90, paragraphe 1, du traité admettrait par principe l'octroi et l'existence d'un droit exclusif impliquant un effet d'exclusion pour les particuliers ou les entreprises qui n'en sont pas titulaires. D'autre part, l'article 52 du traité prohiberait toute mesure d'un État membre susceptible de gêner l'établissement sur son territoire d'un ressortissant d'un autre État membre ou de le rendre moins attrayant, même si elle est applicable sans discrimination tenant à la nationalité (arrêt Kraus, précité, point 32). Dès lors, le caractère incompatible de ces deux dispositions découlerait du fait que l'existence d'un droit exclusif autorisé par l'article 90, paragraphe 1, du traité gêne, dans l'exercice de leur droit d'établissement, les entreprises étrangères qui n'en sont pas titulaires, mais souhaitent exercer une activité dans le domaine couvert par ledit droit exclusif. En raison de cette apparente contradiction, la Commission aurait dû expliquer pourquoi le droit exclusif, dont l'existence serait considérée comme conforme à l'article 90, paragraphe 1, du traité, deviendrait subitement une entrave interdite à la liberté d'établissement.

140.
    A la lumière de ces considérations, la requérante estime que l'effet d'exclusion (point 12 des considérants de la décision attaquée) est inhérent au droit exclusif et ne peut donc pas constituer une raison suffisante pour déclarer le droit exclusif de diffuser de la publicité à partir et à destination de l'ensemble de la Communauté flamande incompatible avec l'article 52 du traité.

141.
    La décision attaquée serait également insuffisamment motivée en ce qu'elle ne ferait pas clairement apparaître quelle partie du dispositif la considération selon laquelle «la totalité ou tout au moins une part prépondérante du marché de la publicité télévisée bénéficie à l'économie nationale» (point 12, quatrième alinéa, des considérants de la décision attaquée) vise à étayer. Dans ce contexte, il ressortirait du dispositif de la décision attaquée que tant les dispositions du Codex ayant trait au droit exclusif de diffuser de la publicité commerciale que les mesures d'exécution concédant l'exclusivité constituent une violation de l'article 90, paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec l'article 52 du même traité.

142.
    La Commission souligne que la décision attaquée ne constitue pas le premier cas d'application de l'article 90, paragraphe 1, lu en combinaison avec l'article 52 du traité et soutient, en substance, que la décision attaquée est suffisamment motivée.

Appréciation du Tribunal

143.
    Il convient de rappeler que la motivation exigée par l'article 190 du traité doit faire apparaître d'une façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution auteur de l'acte, de manière à permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle et aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T-84/96, Rec. p. II-2081, point 46).

144.
    Il s'ensuit que le défaut ou l'insuffisance de motivation constitue un moyen tiré de la violation des formes substantielles, distinct, en tant que tel, du moyen pris de l'inexactitude des motifs de la décision, dont le contrôle relève de l'examen du bien-fondé de cette décision (arrêts du Tribunal Cipeke/Commission, précité, point 47, et du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T-295/94, Rec. p. II-813, point 45, et Gruber + Weber/Commission, T-310/94, Rec. p. II-1043, point 41). Dès lors, dans la mesure où l'argument de la requérante, selon lequel elle aurait à tort été qualifiée d'«entreprise nationale», vise à contester l'exactitude des motifs de la décision attaquée, il est, dans le présent contexte, dénué de pertinence.

145.
    La requérante soutient que la décision attaquée est insuffisamment motivée en ce qui concerne la censure du droit exclusif concédé par les autorités flamandes en vertu de l'application combinée des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité.

146.
    Tel n'est cependant pas le cas. En effet, les points 11 à 14 des considérants de la décision attaquée exposent l'appréciation juridique de la Commission. En particulier, les points 11 et 12 contiennent les indications permettant de comprendre le raisonnement suivi par la Commission pour conclure à l'application combinée des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité.

147.
    Il ressort, ainsi, du point 11, premier alinéa, des considérants que, «si l'article 90 du traité présuppose l'existence d'entreprises titulaires de certains droits spéciaux ou exclusifs, il ne s'ensuit pas pour autant que tous les droits spéciaux ou exclusifs sont nécessairement compatibles avec le traité» et que «cette compatibilité doit être appréciée au regard des différentes règles auxquelles l'article 90, paragraphe 1, renvoie». La Commission expose, à ce propos, que VTM est une entreprise privée à laquelle la Communauté flamande a accordé le droit exclusif d'émettre de la publicité télévisée destinée à l'ensemble du public flamand et précise que «ce droit découle d'une mesure étatique» (point 11, deuxième alinéa, des considérants).

148.
    Ensuite, après avoir rappelé le contenu de l'article 52 du traité , la Commission indique: «Le monopole de VTM d'émettre de la publicité télévisée destinée au public flamand équivaut à exclure tout opérateur d'un autre État membre, qui voudrait s'installer ou créer un établissement secondaire en Flandre afin de transmettre, sur le réseau de télédistribution belge, des messages de publicité télévisée destinés au public flamand.» (Point 12, deuxième alinéa, des considérants.) Elle précise, à cet égard: «Le fait que les dispositions en cause s'appliquent indistinctement tant à l'égard des entreprises autres que VTM, établies en Belgique, qu'à l'égard des entreprises originaires d'autres États membres n'est pas de nature à exclure le régime préférentiel dont bénéficie VTM du champ d'application de l'article 52 du traité.» (Point 12, troisième alinéa, des considérants.)

149.
    Il s'ensuit que la Commission a clairement exposé que la combinaison des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité trouvait à s'appliquer en l'espèce parce que les mesures étatiques litigieuses, d'une part, confèrent un droit exclusif à la requérante et, d'autre part, sont incompatibles avec l'article 52 du traité.

150.
    Le raisonnement de la Commission ayant été développé de manière détaillée dans la décision attaquée, la requérante n'est pas fondée à invoquer la jurisprudence selon laquelle, si une décision qui se place dans la ligne d'une pratique décisionnelle constante peut être motivée d'une manière sommaire, notamment par référence à cette pratique, il incombe à la Commission de développer son raisonnement d'une manière explicite lorsqu'une décision va sensiblement plus loin que les décisions précédentes (arrêt Papiers peints e.a/Commission, précité, point 31, et arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission, T-34/92, Rec. p. II-905, point 35). En tout état de cause, la Commission ne s'est pas écartée de sa décision antérieure de manière telle qu'elle aurait dû motiver de manière encore plus explicite son appréciation de la violation des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité. En effet, la Commission, ainsi qu'elle le fait valoir, avait déjà fait application de la combinaison des articles 90 et 52 du traité dans la décision 85/276, du 24 avril 1985, précitée. Le fait que la Commission se soit référée, dans cette décision, non seulement à l'application combinée des articles 90 et 52 du traité , mais aussi à d'autres dispositions du traité pour conclure à l'incompatibilité de la réglementation nationale incriminée au regard du droit communautaire ne change rien au fait qu'elle a estimé que l'application combinée des articles 90, paragraphe 1, et 52 du traité était possible.

151.
    Enfin, il y a lieu de rappeler que le dispositif de la décision attaquée doit être compris à la lumière de l'exposé de ses motifs (voir, notamment, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73, 55/73, 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 122 à 124). L'article 1er de la décision attaquée déclare les mesures étatiques qu'il énonce «incompatibles avec l'article 90, paragraphe 1, du traité en liaison avec l'article 52 dudit traité». A cet égard, il ressort des motifs de la décision attaquée que l'incompatibilité constatée ne vise pas chacune des dispositions de la réglementation flamande prise isolément mais le «jeu combiné» de ces dispositions (point 2, premier alinéa, et point 11, deuxième alinéa, des considérants). Il s'ensuit que la question de savoir quelle partie du dispositif l'allégation selon laquelle «la totalité ou tout au moins une part prépondérante du marché de la publicité télévisée bénéficie à l'économie nationale» (point 12, quatrième alinéa, des considérants) vise à étayer est dénuée de pertinence.

152.
    Il résulte de ce qui précède que le cinquième moyen doit être rejeté.

153.
    Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

154.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante est condamnée aux dépens.

Vesterdorf                    Bellamy                    Pirrung

            Meij                            Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juillet 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le néerlandais.