Language of document : ECLI:EU:T:2022:198

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

30 mars 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale COPALLI – Marque nationale verbale antérieure COMPAL – Motif relatif de refus – Atteinte à la renommée – Article 8, paragraphe 5, du règlement (UE) 2017/1001 – Profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure »

Dans l’affaire T‑445/21,

Copal Tree Brands, Inc., établie à Oakland, Californie (États-Unis), représentée par Me B. Niemann Fadani, avocate,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représentée par MM. T. Frydendahl et D. Gája, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Sumol + Compal Marcas SA, établie à Carnaxide (Portugal), représentée par Me A. de Sampaio, avocate,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 25 mai 2021 (affaire R 1581/2020-2), relative à une procédure d’opposition entre Sumol + Compal Marcas et Copal Tree Brands,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, E. Buttigieg et G. Hesse, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 27 juillet 2021,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 13 octobre 2021,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 11 octobre 2021,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 13 septembre 2018, la requérante, Copal Tree Brands, Inc., a, sous son ancienne dénomination sociale, présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal COPALLI.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Boissons alcoolisées (à l’exception des bières) ; spiritueux distillés ; absinthe ; apéritifs alcoolisés ; bitters alcoolisés ; mélanges de cocktails alcoolisés ; cordiaux [boissons alcoolisées] ; boissons énergisantes alcoolisées ; essences alcooliques ; extraits alcooliques ; boissons alcoolisées de fruits ; boissons alcoolisées contenant des fruits ; cocktails de fruits alcoolisés ; gelées alcooliques ; boissons alcoolisées à base de thé ; alcopops ; anisette ; apéritifs ; arak/arac ; amers [liqueurs] ; blended whisky ; bourbon ; brandy ; cidres ; brandy pour la cuisine ; vin de cuisine ; boissons distillées ; spiritueux fermenté ; liqueurs toniques aromatisées ; vins fortifiés ; vins de fruits ; gin ; vins de raisin ; liqueurs ; préparations pour boissons alcoolisées ; boissons alcoolisées pré-mélangées ; saké ; vins mousseux ; digestifs [alcools et liqueurs] ; vodka ; vermouth ; whisky ; vin ».

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 2018/211, du 7 novembre 2018.

5        Le 7 février 2019, l’intervenante, Sumol + Compal Marcas S.A., a formé opposition, au titre de l’article 46 du règlement 2017/1001, à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée notamment sur la marque verbale portugaise COMPAL, déposée le 25 mai 1998 et enregistrée le 17 septembre 1998 sous le no 330 552, désignant les produits relevant de la classe 32 et correspondant à la description suivante : « Bières ; boissons sans alcool ; boissons à base de fruits et jus de fruits ; sirops et autres préparations pour faire des boissons ».

7        Les motifs de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 1, sous b), et à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001. Sur demande de la requérante et afin de prouver l’usage sérieux et la renommée de la marque antérieure, l’intervenante a produit des preuves.

8        Le 29 mai 2020, la division d’opposition, ayant établi la renommée de la marque antérieure sur le territoire du Portugal pour les « boissons à base de fruits et jus de fruits », compris dans la classe 32, a fait droit à l’opposition sur le fondement de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001.

9        Le 29 juillet 2020, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 25 mai 2021 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        annuler la décision de la division d’opposition ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

12      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

13      L’intervenante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

14      La requérante avance, au soutien de son recours, un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001. Ce moyen s’articule en deux branches, relatives, la première, à la similitude des marques en conflit et, la seconde, à l’existence d’un risque que l’usage sans juste motif de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure.

15      Aux termes de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure enregistrée au sens du paragraphe 2 dudit article, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union européenne ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État membre concerné, et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice.

16      Il ressort du libellé de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 que l’application de cette disposition est soumise aux conditions cumulatives tenant, premièrement, à l’identité ou à la similitude des marques en conflit, deuxièmement, à l’existence d’une renommée de la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition et, troisièmement, à l’existence d’un risque de voir l’usage sans juste motif de la marque demandée tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porter préjudice (arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, point 54).

17      En l’espèce, la chambre de recours a relevé que le public pertinent correspondait au grand public du Portugal, ce que la requérante ne conteste pas. Cette dernière ne conteste pas non plus la deuxième condition, rappelée au point 16 ci-dessus, relative à l’existence d’une renommée de la marque antérieure auprès du public pertinent pour les « boissons à base de fruits et jus de fruits », compris dans la classe 32. En revanche, la requérante conteste les appréciations de la chambre de recours quant aux première et troisième conditions, qu’il convient d’examiner consécutivement ci-après.

 Sur la similitude des marques en conflit

18      L’existence d’une similitude entre une marque antérieure et une marque demandée constitue une condition d’application commune à l’article 8, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5, du règlement 2017/1001. Cette condition présuppose, tant dans le cadre du paragraphe 1, sous b), que dans celui du paragraphe 5 dudit article, l’existence, notamment, d’éléments de ressemblance visuelle, phonétique ou conceptuelle [voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 2011, Ferrero/OHMI, C‑552/09 P, EU:C:2011:177, points 51 et 52, et du 4 octobre 2017, Gappol Marzena Porczyńska/EUIPO – Gap (ITM) (GAPPOL), T‑411/15, non publié, EU:T:2017:689, point 148].

19      En l’espèce, la chambre de recours a constaté, aux points 34 à 36 de la décision attaquée, que les marques en conflit présentaient « un certain degré de similitude visuelle, qui n’est pas faible, et certainement pas négligeable ». Selon la chambre de recours, la quasi-totalité de la marque antérieure, à l’exception de la lettre « m », serait reproduite dans la marque demandée, et le début des marques en conflit coïncideraient. Sur le plan phonétique, les marques en conflit seraient similaires à un degré moyen dans la mesure où leurs deux premières syllabes, respectivement « com – pal » et « co – pal », coïncideraient presque, étant donné que la lettre « m » dans la marque antérieure serait prononcée de manière légère avant la lettre « p ». Ainsi, la différence n’apparaitrait que dans la dernière syllabe « li » de la marque demandée, ce qui ne suffirait pas à différencier suffisamment les marques en conflit. Enfin, la comparaison conceptuelle resterait neutre, aucune des marques en conflit n’ayant de signification pour le public pertinent.

20      S’agissant de l’aspect visuel, la requérante fait valoir que la chambre de recours a méconnu le principe jurisprudentiel selon lequel les marques ne devraient pas être décomposées de façon artificielle. Ainsi, le mot « compal » ne serait pas facilement reconnaissable dans le terme « copalli ». Le fait que les deux marques commencent par les lettres « co » serait sans pertinence, car ces deux lettres ne seraient pas perçues de manière indépendante dans l’impression globale desdites marques. De même, le fait que les marques en conflit coïncident dans les lettres « p », « a » et « l », mais placées à des positions différentes dans les marques comparées, ne suffirait pas pour constater une similitude entre les marques en question. Par ailleurs, celles-ci se différencieraient par la lettre « m », placée au milieu de la marque antérieure et absente de la marque demandée, et les lettres « ll » et « i » de la marque demandée, absentes de la marque antérieure.

21      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

22      Force est de constater d’emblée que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, rien dans la décision attaquée ne permet de considérer que la chambre de recours a décomposé de manière arbitraire les marques en conflit. Au contraire, elle a procédé, conformément à la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus, à l’identification des éléments de ressemblance et de dissemblance de celles-ci afin d’évaluer, de manière globale, si elles présentent une similitude sur le plan visuel et, le cas échéant, d’établir le degré d’une telle similitude. Cette approche est, par ailleurs, conforme à la jurisprudence selon laquelle l’appréciation de la similitude visuelle des marques en cause, dans le but d’évaluer l’impression d’ensemble produite par celles-ci, peut tenir compte, notamment, s’agissant de marques verbales, de leur longueur, des lettres dont elles sont formées, ainsi que de l’ordre de ces lettres [voir arrêt du 2 juin 2010, Procaps/OHMI – Biofarma (PROCAPS), T‑35/09, non publié, EU:T:2010:220, point 57 et jurisprudence citée].

23      À cet égard, la chambre de recours a établi correctement les éléments de ressemblance des marques en conflit. D’une part, les mots « copalli » et « compal » coïncident dans la quasi-totalité des lettres qui les composent, à savoir « c », « o », « p », « a », « l ». D’autre part, les lettres qui coïncident apparaissent dans le même ordre dans les deux marques, ce qui revêt une certaine importance dans l’appréciation des similitudes visuelles entre ces signes [voir arrêt du 8 septembre 2021, Cara Therapeutics/EUIPO – Gebro Holding (KORSUVA), T‑584/20, non publié, EU:T:2021:541, point 27 et jurisprudence citée].

24      La chambre de recours a également relevé, à juste titre, que les marques en conflit se différenciaient en ce que la marque demandée se terminait par le groupe de lettres « li » et que la marque antérieure comportait la lettre « m », laquelle ne figurait pas dans la marque demandée. Cependant, la chambre de recours a constaté, sans commettre d’erreur d’appréciation, que ces différences ne suffisaient pas pour contrebalancer les similitudes constatées au point 23 ci-dessus. En effet, lesdites différences ne changent pas le fait que les marques en conflit coïncident dans cinq de leurs, respectivement, six et sept lettres, présentées, de surcroît, dans le même ordre et partageant notamment le même début.

25      En outre, l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours aurait considéré à tort que la marque antérieure serait « facilement reconnaissable » dans la marque demandée ne remet pas en cause cette conclusion. En effet, bien que la chambre de recours ait utilisée cette expression de façon quelque peu imprécise, il ressort de la lecture globale du point 34 de la décision attaquée que la conclusion de cette chambre quant à l’existence d’une similitude visuelle des marques en conflit repose essentiellement sur un examen d’ensemble des éléments de ressemblance et de dissemblance entre celles-ci et non pas sur le fait que la marque antérieure soit facile à reconnaitre dans la marque demandée.

26      Enfin, contrairement à ce que suggère la requérante, la chambre de recours n’a relevé nulle part dans la décision attaquée que les lettres « co », figurant au début des marques en conflit, en constituait l’élément distinctif ou dominant. À cet égard, la chambre de recours s’est bornée à constater, conformément à la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus, dans le cadre de l’identification des éléments de ressemblance des marques en conflit, que celles-ci coïncidaient dans leur début.

27      Partant, la chambre de recours pouvait conclure, en tenant compte des éléments de ressemblance et de dissemblance entre les marques en conflit, et sans commettre d’erreur d’appréciation, que celles-ci présentaient, en substance, un degré moyen de similitude sur le plan visuel.

28      S’agissant de l’aspect phonétique de la comparaison des marques en conflit, selon la requérante, les différences entre elles seraient manifestes et déterminantes. Les deux marques seraient prononcées à un rythme et une intonation différents, à savoir, pour la marque demandée, en prononçant les syllabes « cop » et « alli » ou bien « co », « pa » et « lli » et, pour la marque antérieure, en prononçant les syllabes « com » et « pal ». En outre, les parties « alli » ou « palli » de la marque demandée seraient clairement différentes phonétiquement de la partie « pal » de la marque antérieure. Enfin, la lettre « m » dans la marque antérieure serait une consonne nasale bilabiale qui, de ce fait, serait clairement prononcée dans la marque antérieure, tandis que dans la marque demandée la lettre « p » et le groupe de lettres « lli » seraient accentuées, ce qui créerait une différence phonétique perceptible entre les marques en cause.

29      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

30      Il ressort de la jurisprudence que, lorsque les signes à comparer sont des termes fantaisistes qui ne correspondent à aucun mot existant dans une langue de l’Union, il convient de prendre en compte la prononciation probable par le public pertinent [voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2019, Soundio/EUIPO – Telefónica Germany (Vibble), T‑665/18, non publié, EU:T:2019:825, point 54 et jurisprudence citée]. Tel est le cas en l’espèce, étant donné que les mots « copalli » et « compal » n’ont aucune signification pour le public pertinent, ce que la requérante ne conteste pas.

31      En l’espèce, la chambre de recours a considéré à juste titre qu’une division syllabique probable de la prononciation des marques en conflit consistait dans la suite « co – pal – li » pour la marque demandée et « com – pal » pour la marque antérieure. Dans cette hypothèse, la prononciation des deux premières syllabes des marques en conflit s’avère très similaire, d’autant plus que la lettre « m », placée devant une consonne, sera prononcée en portugais comme un son nasal et, dès lors, contrairement à ce que fait valoir la requérante, sera vocalisée de manière plutôt sourde et, en tout état de cause, moins perceptible que la consonne suivante « p ».

32      Certes, comme le fait valoir la requérante, la marque demandée contient une troisième syllabe. Toutefois, si la prononciation de la syllabe « li » peut atténuer l’impression de similitude phonétique entre les marques en cause, elle n’est pas à même de contrebalancer les similitudes constatées, étant donné qu’elle sera prononcée en dernier lieu et qu’elle partage, en outre, la prononciation du son « l », également présent à la fin de la marque antérieure.

33      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les marques en conflit seraient prononcées selon la structure syllabique décrite au point 28  ci-dessus et non pas selon celle retenue par la chambre de recours, il convient de relever, d’une part, que la requérante n’avance aucun argument susceptible de démontrer que la prononciation retenue par la chambre de recours n’est pas probable pour le public pertinent au sens de la jurisprudence rappelée au point 30 ci-dessus. D’autre part, et en tout état de cause, la variante de prononciation de la marque demandée « co – pa – lli », suggérée par la requérante, est très proche de celle retenue par la chambre de recours, dans la mesure où la marque demandée serait toujours prononcée en trois syllabes et où, à l’instar de la variante retenue par la chambre de recours, les deuxième et troisième syllabes sont liées par la prononciation du son « l », lequel coïncide avec la partie finale de la marque antérieure.

34      Partant, eu égard à leurs éléments de ressemblance et de dissemblance, la chambre de recours a conclu à juste titre  que les marques en conflit étaient phonétiquement similaires à un degré moyen.

35      Quant à la comparaison conceptuelle, la requérante ne conteste pas la conclusion de la chambre de recours selon laquelle celle-ci est neutre, aucune des marques en conflit n’ayant de signification en langue portugaise.

36      Il s’ensuit que la première branche du moyen unique doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur l’existence d’un risque de voir l’usage sans juste motif de la marque demandée tirer indûment profit de la renommée de la marque antérieure

37      Les atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque antérieure et la marque dont l’enregistrement est demandé, en raison duquel le public pertinent effectue un rapprochement entre les deux, c’est-à-dire établit un lien entre celles-ci, alors même qu’il ne les confond pas nécessairement. L’existence d’un lien entre la marque dont l’enregistrement est demandé et la marque renommée antérieure, qui doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, est donc une condition essentielle pour appliquer cette disposition [voir arrêt du 11 décembre 2014, Coca-Cola/OHMI – Mitico (Master), T‑480/12, EU:T:2014:1062, point 26 et jurisprudence citée].

38      Parmi les facteurs devant être pris en compte lors l’appréciation globale d’un tel lien figurent le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public pertinent, l’intensité de la renommée de la marque antérieure ainsi que l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public (voir arrêt du 28 février 2019, Groupe Léa Nature/EUIPO, C‑505/17 P, non publié, EU:C:2019:157, point 83 et jurisprudence citée).

39      En l’espèce, la chambre de recours a considéré, aux points 40 à 43 de la décision attaquée, que, compte tenu de l’ensemble des facteurs pertinents susmentionnés, le public pertinent établira un lien entre les marques en conflit. En particulier, elle a observé qu’un très grand nombre de boissons sans alcool, relevant de la classe 32, et des boissons alcoolisées, relevant de classe 33, sont généralement consommées ou commercialisées ensemble, de sorte qu’il existait une proximité entre ces produits. La chambre de recours a conclu, aux points 50 à 55 de la décision attaquée que, eu égard à la très grande renommée de la marque antérieure pour les « boissons à base de fruits et jus de fruits », la proximité de ces produits avec ceux désignés par la marque demandée, le degré de similitude des marques en conflit et le caractère distinctif intrinsèque de la marque antérieure, il existait une forte probabilité pour que l’usage sans juste motif de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure.

40      La requérante fait valoir que les produits désignés par la marque antérieure, pour lesquels sa renommée au Portugal a été prouvée, à savoir les « boissons à base de fruits et jus de fruits », relevant de la classe 32, sont différents des produits désignés par la marque demandée, relevant de la classe 33, ces derniers étant des boissons alcoolisées. Selon la requérante, les produits en cause auraient une nature et une destination distinctes, du fait de la présence ou de l’absence d’alcool dans leur composition. En outre, ces produits seraient généralement fabriqués par des entreprises différentes, seraient distribués par des canaux distincts, seraient vendus dans des rayons différents dans les magasins et cibleraient des publics différents. Par ailleurs, la vente des boissons alcoolisées serait restreinte à certaines tranches d’âge et, compte tenu des effets que la consommation d’alcool a sur la santé, le public pertinent choisirait ces produits avec un soin particulier. Enfin, les boissons non alcoolisées à base de fruits et les boissons alcoolisées ne seraient ni interchangeables ni complémentaires.

41      En outre, la requérante soutient que, en tout état de cause, les différences entre les produits en cause et entre les marques en conflit ne permettent pas d’établir un lien entre celles-ci dans l’esprit du public pertinent, en dépit de la forte renommée dont jouit la marque antérieure. Partant, il n’existerait aucun risque de « profit indu ».

42      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

43      Afin de mieux cerner le risque visé à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, il convient de relever que, si la fonction première d’une marque consiste, certes, en une « fonction d’origine » (considérant 11 du règlement 2017/1001), il n’en reste pas moins qu’une marque agit également comme moyen de transmission d’autres messages concernant, notamment, les qualités ou caractéristiques particulières des produits ou des services qu’elle désigne, ou les images et sensations qu’elle projette, tels que le luxe, le style de vie, l’exclusivité, l’aventure, la jeunesse. En ce sens, la marque possède une valeur économique intrinsèque autonome et distincte par rapport à celle des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée. Les messages en question que véhicule notamment une marque renommée ou qui lui sont associés confèrent à celle-ci une valeur importante et digne de protection, et ce d’autant plus que, dans la plupart des cas, la renommée d’une marque est le résultat d’efforts et d’investissements considérables de son titulaire. C’est ainsi que l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 assure la protection d’une marque renommée, à l’égard de toute demande de marque identique ou similaire qui pourrait porter atteinte à son image, même si les produits ou les services visés par la marque demandée ne sont pas analogues à ceux pour lesquels la marque antérieure renommée a été enregistrée [voir arrêt du 29 novembre 2018, Louis Vuitton Malletier/EUIPO – Fulia Trading (LV BET ZAKŁADY BUKMACHERSKIE), T‑373/17, non publié, EU:T:2018:850, point 20 et jurisprudence citée].

44      L’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 vise ainsi explicitement le cas où les produits ne sont pas similaires, de sorte que le caractère dissemblable des produits désignés respectivement par les marques en conflit n’est pas un facteur suffisant pour exclure l’existence d’un lien entre lesdites marques [voir arrêt du 26 septembre 2018, Puma/EUIPO – Doosan Machine Tools (PUMA), T‑62/16, EU:T:2018:604, points 99 et 100 et jurisprudence citée].

45      En l’espèce, il importe de relever que la chambre de recours a constaté l’existence d’une « proximité » entre les produits en cause et non d’une similitude entre ceux-ci. En effet, la chambre de recours a explicitement constaté que les boissons à base de fruits et certaines boissons alcoolisées sont des produits différents. Toutefois, elle a également relevé que, malgré leurs différences, ceux-ci pouvaient néanmoins être achetés et consommés ensemble, par les mêmes consommateurs. En particulier, comme l’a observé à juste titre la chambre de recours, une multitude de boissons alcoolisées et sans alcool  sont, en règle générale, mélangées, consommées ou, même commercialisées ensemble, soit dans les mêmes établissements soit en tant que boissons alcoolisées pré-mélangées. En outre, il est fréquent que le consommateur moyen  achète tant des boissons sans alcool que des boissons alcoolisées dans les mêmes points de ventes, ces produits étant exposés souvent sur des rayons voisins. Enfin, il est notoire que les boissons alcoolisées sont consommées fréquemment avec des jus de fruits, en forme de cocktail ou séparément, lors d’un repas ou d’un évènement. Sur cette base, la chambre de recours a conclu à juste titre qu’il existait une « proximité » entre les produits en cause.

46      Quant aux différences entre ceux-ci, mises en exergue par la requérante, si elles peuvent, en effet, être prises en compte afin de démontrer l’absence de similitude entre les produits en cause selon la jurisprudence relative à l’article 8, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, les éléments énumérés au point 45 ci-dessus, sont, en revanche, et en dépit de ces différences, aptes à fonder l’existence d’une simple proximité entre eux aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001.

47      La même conclusion découle mutatis mutandis de l’arrêt du 28 avril 2021, Asolo/EUIPO – Red Bull (FLÜGEL) (T‑509/19, non publié, EU:T:2021:225), dans lequel le Tribunal a jugé, aux points 108 à 115, que, si les boissons énergisantes non alcoolisées, relevant de la classe 32, et les boissons alcooliques, relevant de la classe 33, n’étaient pas des produits similaires aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, il existait néanmoins une proximité entre eux aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 5 dudit règlement, en raison, en substance, des éléments relevés au point 45 ci-dessus.

48      En effet, les notions de « similitude » et de « proximité » entre les produits en cause ne sauraient être confondues. La similitude entre les produits visés par les marques en conflit ne constitue pas une condition d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, alors qu’elle constitue l’une des conditions cumulatives d’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement 2017/1001. En revanche, dans le cadre de l’application de l’article 8, paragraphe 5, dudit règlement, la proximité entre les produits revendiqués n’est que l’un des facteurs devant être pris en considération afin d’établir s’il existe un risque de voir l’usage sans juste motif de la marque demandée tirer profit de la renommée de la marque antérieure. La notion de « proximité » entre les produits, aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 5, dudit règlement, doit être comprise comme l’existence d’un simple lien entre ceux-ci [voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Asolo/EUIPO – Red Bull (FLÜGEL), T‑150/17, EU:T:2018:641, point 79].

49      Enfin, quant aux décisions de l’EUIPO invoquées par la requérante, il suffit de rappeler que, dans le cadre de son contrôle de légalité, le Tribunal n’est pas lié par la pratique décisionnelle de l’EUIPO [arrêts du 26 avril 2007, Alcon/OHMI, C‑412/05 P, EU:C:2007:252, point 65, et du 22 avril 2008, Casa Editorial el Tiempo/OHMI – Instituto Nacional de Meteorología (EL TIEMPO), T‑233/06, non publié, EU:T:2008:121, point 48].

50      Partant, l’existence d’un simple lien et, dès lors, d’une proximité entre les produits en cause, fondée sur l’ensemble des éléments résumés au point 45 ci-dessus, constitue un facteur que la chambre de recours pouvait, à juste titre, prendre en considération aux fins de l’appréciation de la troisième condition prévue à l’article 8, paragraphe 5, à savoir l’existence d’un risque de voir l’usage sans juste motif de la marque demandée tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porter préjudice.

51      Afin de déterminer si l’usage de la marque postérieure tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, au nombre desquels figurent, notamment, l’intensité de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque antérieure, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés. S’agissant de l’intensité de la renommée et du degré de caractère distinctif de la marque antérieure, la Cour a déjà jugé que plus le caractère distinctif et la renommée de cette marque seront importants, plus l’existence d’une atteinte sera aisément admise. Il résulte également de la jurisprudence que plus l’évocation de ladite marque par la marque postérieure est immédiate et forte, plus est important le risque que l’utilisation actuelle ou future de la marque postérieure tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou leur porte préjudice (arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C‑487/07, EU:C:2009:378, point 44).

52      En l’espèce, la chambre de recours a tenu compte de l’ensemble des facteurs pertinents. Tout d’abord, elle a considéré que la marque antérieure jouissait d’une très grande renommée pour les « boissons à base de fruits et jus de fruits » auprès du public pertinent. Ensuite, elle a relevé que, compte tenu de la proximité entre ces boissons et les produits de la requérante, une partie substantielle de ce public pouvait consommer les derniers en pensant qu’ils étaient liés à la marque antérieure, s’appropriant ainsi indûment son pouvoir attractif et sa valeur publicitaire. Enfin, elle a conclu que, compte tenu de l’importance du contact du public pertinent avec la marque antérieure, du degré de caractère distinctif intrinsèque de cette marque et de la similitude des marques en conflit, il existait une forte probabilité pour que l’usage sans juste motif de la marque demandée conduise à une situation de parasitisme.

53      Or, étant donné que l’ensemble des arguments avancés par la requérante en ce qui concerne la similitude des marques en conflit et la proximité entre les produits en cause ont été rejetés, et que celle-ci ne conteste pas l’appréciation de la chambre de recours des autres facteurs pertinents, ni le fait qu’il n’existe pas de « juste motif » pour l’usage de la marque demandée, la conclusion de la chambre de recours, selon laquelle il existe un risque que l’usage sans juste motif de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, n’est entachée d’aucune erreur.

54      Partant, la seconde branche du moyen unique doit être rejetée comme étant non fondée.

55      Dès lors, le moyen unique tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 doit être rejeté et, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité du chef de conclusions de la requérante visant à demander au Tribunal d’annuler la décision de la division d’opposition du 29 mai 2020.

 Sur les dépens

56      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

57      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Copal Tree Brands, Inc. est condamnée aux dépens.

Kornezov

Buttigieg

Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 mars 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.