Language of document : ECLI:EU:F:2007:29

Affaire T260/21

E. Breuninger GmbH & Co.

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (deuxième chambre élargie) du 21 décembre 2022

« Aides d’État – Régime-cadre visant à accorder un soutien aux coûts fixes non couverts dans le contexte de la pandémie de COVID-19 en Allemagne – Décision de ne pas soulever d’objections – Encadrement temporaire des aides d’État – Examen individuel du régime d’aides notifié – Mesure destinée à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre – Proportionnalité »

1.      Aides accordées par les États – Interdiction – Dérogations – Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché intérieur – Aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre – Respect du principe de proportionnalité – Régime d’aides visant à accorder un soutien aux entreprises pour leurs coûts fixes non couverts dans le contexte de la pandémie de COVID-19 – Caractère approprié, nécessaire et non démesuré du critère d’éligibilité au régime d’aides

[Art. 107, § 3, b), TFUE]

(voir points 24, 42, 43, 50-75)

2.      Aides accordées par les États – Interdiction – Dérogations – Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché intérieur – Aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre – Respect du principe d’égalité de traitement – Régime d’aides visant à accorder un soutien aux entreprises pour leurs coûts fixes non couverts dans le contexte de la pandémie de COVID-19 – Régime d’aides impliquant une différence de traitement entre certaines entreprises – Justification – Caractère approprié, nécessaire et non démesuré du critère d’éligibilité au régime d’aides

[Art. 107, § 3, b), TFUE]

(voir points 24, 44-75)

3.      Exception d’illégalité – Caractère incident – Formulation implicite mais claire dans la requête – Recevabilité

(Art. 277 TFUE)

(voir points 30-33)

4.      Actes des institutions – Présomption de légalité – Champ d’application – Règles de conduite adoptées par la Commission aux fins de limiter l’exercice de son pouvoir d’appréciation – Exclusion

(Communication de la Commission 2020/C 91 I/01)

(voir points 34-38)

5.      Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Communications adoptées par la Commission – Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte de la pandémie de COVID-19 – Nature juridique – Règles de conduite indicatives impliquant une autolimitation du pouvoir d’appréciation de la Commission – Obligation de la Commission de procéder à un examen individuel des aides concernées au regard de l’encadrement temporaire – Portée

[Art. 107, § 3, b), TFUE ; communication de la Commission 2020/C 91 I/01]

(voir points 36, 37, 78-86)

Résumé

Le Tribunal rejette les recours des entreprises Breuninger et Falke contre la décision de la Commission approuvant les aides de l’Allemagne aux entreprises ayant subi, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, une perte de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 %.

La décision de la Commission ne méconnaît ni le principe de proportionnalité ni celui d’égalité de traitement

Le 17 novembre 2020, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission européenne un régime d’aides visant à accorder un soutien aux entreprises pour leurs coûts fixes non couverts dans le contexte de la pandémie de COVID-19 sur son territoire. En application de ce régime, des aides allant jusqu’à 3 millions d’euros pouvaient être accordées aux entreprises qui avaient subi une perte de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 % pendant la période de référence.

En se référant à sa communication sur l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (1), la Commission a déclaré le régime notifié compatible avec le marché intérieur en application de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (2). En vertu de cette disposition, les aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre peuvent, sous certaines conditions, être considérées comme compatibles avec le marché intérieur.

Le 2 février 2021, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission une modification de son régime d’aides, consistant en un relèvement du plafond des aides à 10 millions d’euros par entreprise et en sa prolongation jusqu’au 31 décembre 2021. Cette modification, qui reflétait différents amendements apportés par la Commission à l’encadrement temporaire, a été approuvée par celle-ci le 12 février 2021 (3).

Les sociétés allemandes E. Breuninger GmbH & Co. et Falke KGaA ont introduit des recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission, telle que modifiée, de déclarer le régime d’aides allemand compatible avec le marché intérieur (ci-après la « décision attaquée »). En rejetant ces recours, le Tribunal précise, notamment, l’étendue du contrôle de proportionnalité des décisions adoptées par la Commission au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal procède, en premier lieu, à l’analyse de la légalité de la décision attaquée au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

À cet égard, les requérantes faisaient valoir que la Commission avait méconnu les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en approuvant le critère d’éligibilité prévu par le régime d’aides allemand. Conformément audit critère, l’accès au régime d’aides était réservé aux entreprises ayant subi une baisse de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 % au cours de la période de référence par rapport à la même période en 2019.

À titre liminaire, le Tribunal rejette la fin de non-recevoir présentée par la Commission, tirée du fait que la décision attaquée a procédé à une application correcte du critère d’éligibilité énoncé au paragraphe 87 de l’encadrement temporaire, dont la validité n’aurait pas été contestée par les requérantes. Sur ce point, il résulte, certes, de la jurisprudence que le respect de la présomption de légalité des actes juridiques de l’Union peut empêcher que soit examiné le bien-fondé d’une décision qui constitue la simple application d’un acte définitif de portée générale produisant des effets juridiques obligatoires à l’égard des tiers lorsque la validité de cet acte de portée générale n’a pas été contestée. Toutefois, tel n’est pas le cas quand, comme en l’espèce, la Commission fait application de règles de conduite qu’elle a adoptées aux fins de limiter l’exercice de son propre pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE et qui ne produisent pas, en elles-mêmes, d’effets juridiques obligatoires.

En ce qui concerne la conformité au principe de proportionnalité du critère d’éligibilité prévu par le régime d’aides allemand et approuvé par la décision attaquée, le Tribunal rappelle que le respect dudit principe par une mesure inclut trois composantes. La première composante porte sur son caractère approprié, à savoir son aptitude à réaliser l’objectif légitime poursuivi. La deuxième composante concerne sa nécessité et implique que ledit objectif légitime ne puisse être atteint par des moyens moins contraignants, mais tout aussi appropriés. Enfin, la troisième composante porte sur son caractère proportionné, à savoir l’absence d’inconvénients démesurés par rapport aux buts visés.

Pour ce qui est du grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, le Tribunal relève, en outre, que la circonstance que le critère d’éligibilité au régime d’aides allemand, qui est basé sur la perte du chiffre d’affaires appréciée au niveau des entreprises concernées, aboutisse à une différence de traitement entre les entreprises selon que l’ensemble ou seulement une partie de leurs activités a été affecté par la pandémie de COVID-19 n’implique pas, en elle-même, son illégalité. En revanche, il y a lieu de vérifier si cette différence de traitement est justifiée au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, ce qui suppose que ledit critère soit approprié, nécessaire et proportionné pour remédier à une perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné. Ainsi, le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement se confond, en substance, avec les griefs tirés d’une violation du principe de proportionnalité dans ses différentes composantes.

Ces précisions étant apportées, le Tribunal rejette les différents griefs contestant le caractère approprié, nécessaire et proportionné du critère d’éligibilité au régime d’aides approuvé par la décision attaquée.

Dans ce cadre, le Tribunal souligne notamment que, s’il est loisible aux requérantes de contester le caractère nécessaire dudit critère d’éligibilité, qui trouve son origine dans l’encadrement temporaire, en proposant un critère alternatif qui a été appliqué par la Commission dans d’autres décisions, ce n’est que dans l’éventualité où ce critère alternatif démontrerait de manière manifeste l’absence de nécessité du critère d’éligibilité contesté qu’il pourrait être fait droit à un tel grief. Qui plus est, la proposition des requérantes de retenir, en tant que critère d’éligibilité alternatif, les pertes réalisées dans les domaines d’activités touchés par la pandémie de COVID-19, sans prise en compte de la situation de l’entreprise concernée dans sa globalité, aurait des incidences budgétaires plus importantes pour l’Allemagne que celles découlant du critère d’éligibilité retenu par la Commission. Force est ainsi de constater que le critère alternatif proposé par les requérantes ne constitue pas une mesure « tout aussi appropriée » de nature à démontrer que le critère d’éligibilité retenu par la Commission ne revêtait pas un caractère nécessaire.

S’agissant des effets restrictifs de concurrence que le critère d’éligibilité au régime d’aides approuvé occasionnerait, selon les requérantes, pour les entreprises dont seules certaines activités ont été affectées par la pandémie de COVID-19 et qui auraient, par conséquent, été amenées à consacrer certaines de leurs ressources provenant d’activités non affectées par la pandémie au financement des activités affectées, le Tribunal constate que ce critère n’est, en toute hypothèse, pas à l’origine d’effets restrictifs de concurrence revêtant un caractère manifestement démesuré par rapport à l’objectif, poursuivi par le régime d’aides allemand, d’assurer la viabilité des entreprises affectées par la pandémie de COVID-19.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutenaient les requérantes, il ne saurait pas non plus être retenu que la Commission a méconnu son obligation d’examen individuel du régime d’aides notifié. À cet égard, les requérantes sont restées en défaut de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles propres au régime d’aides approuvé qui auraient justifié que la Commission ne fasse pas application, dans la décision attaquée, du critère d’éligibilité énoncé par l’encadrement temporaire.

En second lieu, le Tribunal écarte également le moyen des requérantes tiré de la violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Celles-ci faisaient, en substance, valoir que, en ayant validé le régime d’aides notifié sans avoir ouvert la procédure formelle d’examen, la Commission avait violé les droits procéduraux que les requérantes tirent de cette disposition.

Sur ce point, le Tribunal relève que ce moyen présente, en réalité, un caractère subsidiaire, pour le cas où le Tribunal n’aurait pas examiné les griefs se rapportant au bien-fondé de l’appréciation du régime d’aides notifié. Or, dans la mesure où ces griefs ont été examinés, ce moyen est privé de sa finalité affichée. Au surplus, en ce que ce moyen reprend de façon condensée les arguments soulevés dans le cadre des griefs se rapportant au bien-fondé de l’appréciation de l’aide, il est dépourvu de contenu autonome.

Au regard de ces considérations, le Tribunal rejette les recours des requérantes.


1      Communication de la Commission, du 19 mars 2020, sur l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (JO 2020, C 91 I, p. 1, ci-après l’« encadrement temporaire »), laquelle a été modifiée, une première fois, le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1), une deuxième fois, le 8 mai 2020 (JO 2020, C 164, p. 3), une troisième fois, le 29 juin 2020 (JO 2020, C 218, p. 3), une quatrième fois, le 13 octobre 2020 (JO 2020, C 340 I, p. 1), et une cinquième fois, le 28 janvier 2021 (JO 2021, C 34, p. 6).


2      Décision C(2020) 8318 final de la Commission, du 20 novembre 2020, relative à l’aide d’État SA.59289 (2020/N) - Allemagne COVID-19 - Soutien en faveur des coûts fixes non couverts (JO 2022, C 124, p. 1).


3      Décision C(2021) 1066 final de la Commission, du 12 février 2021, relative à l’aide d’État SA.61744 (2021/N) - Notification collective de modification portant adaptation des régimes d’aides autorisés en vertu de l’encadrement temporaire, notamment à la suite de la cinquième modification de l’encadrement temporaire (JO 2021, C 77, p. 18).