Language of document : ECLI:EU:T:2003:29

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

11 février 2003(1)

«Fonctionnaires - Notation - Promotion - Modification de la réglementation - Mesures transitoires»»

Dans l'affaire T-30/02,

Wolfgang Leonhardt, fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à La Hulpe (Belgique), représenté par Me H. Tagaras, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. H. von Hertzen et D. Moore, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant à l'annulation de la décision du Parlement du 11 juin 2001 en ce qu'elle porte réinitialisation à zéro du compte de points de promouvabilité du requérant au 1er janvier 2000,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, R. M. Moura Ramos et H. Legal, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 5 décembre 2002,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique du litige

1.
    L’article 45, paragraphe 1, premier alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après, le «statut») dispose:

«La promotion est attribuée par décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination. Elle entraîne pour le fonctionnaire la nomination au grade supérieur de la catégorie ou du cadre auquel il appartient. Elle se fait exclusivement au choix, parmi les fonctionnaires justifiant d’un minimum d’ancienneté dans leur grade, après examen comparatif des mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion ainsi que des rapports dont ils ont fait l’objet.»

2.
    En 1999, le Parlement européen a mis en place un nouveau système pour la promotion de ses fonctionnaires fondé sur le «principe du mérite accumulé». Lebureau du Parlement a adopté, le 8 mars 1999, les «Instructions en matière de promotion et de programmation des carrières» (ci-après les «Instructions»). Le secrétaire général du Parlement a arrêté, le 21 juillet 1999, les «Dispositions pour la mise en oeuvre du nouveau système de promotion» (ci-après les «Dispositions») et, le 1er septembre 1999, les «Instructions relatives à la procédure d’attribution des points de promouvabilité».

3.
    Les Instructions définissent les principes concernant l’appréciation du mérite et la progression de la carrière du fonctionnaire (point 1) et les modalités d’attribution annuelle des points de promouvabilité (point 2). Elles déterminent le nombre annuel de possibilités de promotion pour un grade donné (point 3), le contenu du rapport de notation (point 4) et les étapes de la procédure de promotion (point 5).

4.
    Le mérite d’un fonctionnaire équivaut à la somme des points de promouvabilité obtenus, à raison de zéro à trois points chaque année, au cours de sa carrière dans le grade. Au sein de chaque grade, un nombre minimal de points de promouvabilité est requis pour qu’un fonctionnaire soit d’office pris en considération pour une promotion. Appelé «seuil de référence», ce nombre de points minimal est égal au nombre d’années de la durée normale dans le grade, multiplié par deux (point 1.3 des Instructions). Ce seuil est ainsi fixé à dix points pour le passage du grade A 6 au grade A 5.

5.
    La distribution des points, qui a lieu chaque année, par direction ou unité autonome, s’effectue, grade par grade, sur la base d’un examen comparatif des mérites (point 2 des Instructions).

6.
    Les Instructions prévoient également que, dans le cas de promotion au grade supérieur, le compte des points de promouvabilité du fonctionnaire promu dans le nouveau grade est réinitialisé à zéro. Toutefois, si le fonctionnaire ayant atteint le seuil de référence n’a pas pu être promu, les points de promouvabilité acquis par la suite font l’objet d’un report vers son nouveau grade après sa promotion (point 1.3).

7.
    Les Instructions chargent le secrétaire général du Parlement d’arrêter un dispositif réglementaire pour assurer pendant une période transitoire le passage au nouveau système de promotion. Elles précisent que, pendant cette période, le compte des points de promouvabilité du fonctionnaire promu dans le nouveau grade est systématiquement réinitialisé à zéro (points 6.1 et 6.2).

8.
    Les Dispositions déterminent les modalités d’introduction du nouveau système décrit par les Instructions. Elles prévoient, pour la mise en .uvre du nouveau dispositif, une conversion des notations annuelles obtenues par le fonctionnaire dans son grade avant 1997 en points de promouvabilité et l’attribution, en 1999, des points de promouvabilité au titre de la période de référence 1997-1998.

9.
    Les Dispositions instaurent, en outre, «afin de résorber le poids du passé», une période transitoire de deux années (1999 et 2000) pendant laquelle le compte des points de promouvabilité du fonctionnaire promu dans le nouveau grade est réinitialisé à zéro (point 6).

10.
    Les instructions relatives à la procédure d’attribution des points de promouvabilité arrêtées par le secrétaire général du Parlement le 1er septembre 1999 explicitent de manière détaillée les modalités d’attribution de ces points.

Faits à l’origine du litige

11.
    M. Wolfgang Leonhardt a commencé sa carrière au sein des Communautés européennes le 1er janvier 1983 en tant que juriste linguiste à la Cour de justice. À la suite de sa réussite à un concours d’administrateur en 1985, il a été transféré au Parlement en 1988 et classé au grade A 7.

12.
    Il a ensuite été promu au grade A 6 en 1991, grade auquel il était classé à la Cour de justice comme juriste linguiste.

13.
    À l’entrée en vigueur du nouveau système de promotion, en 1999, M. Leonhardt était classé au grade A 6. La notation qu’il avait obtenue dans ce grade en vertu de l’ancien système a été convertie en points de promouvabilité, conformément à la méthode de conversion des notations, prévue par le point 4.3 des Dispositions. Ainsi, M. Leonhardt a reçu 14 points de promouvabilité au titre de la période 1991-1998.

14.
    Par application de cette méthode, seize fonctionnaires de grade A 6, dont M. Leonhardt, avaient atteint ou dépassé en 1999 le seuil de référence de dix points, susmentionné. Dix d’entre eux, dont ne faisait pas partie M. Leonhardt, ont été promus en 1999 et ont vu leur compte de points de promouvabilité ramené à zéro, conformément aux points 1.3, dernier alinéa, et 6.2 des Instructions et au point 6, deuxième alinéa, des Dispositions.

15.
    Lors de l’exercice de promotion 2000, M. Leonhardt, qui avait bénéficié de deux points supplémentaires au titre de l’exercice 1999, disposait de seize points de promouvabilité. Il a été promu au grade A 5 lors de cet exercice, de même que tous les fonctionnaires de grade A 6 qui avaient atteint le seuil de référence en 2000. Le compte des points de promouvabilité de tous ces fonctionnaires a été réinitialisé à zéro.

16.
    La décision contestée du directeur général du Parlement du 11 juin 2001, portant attribution de points de promouvabilité pour l’année 2000, réinitialise, en premier lieu, le compte des points de promouvabilité de M. Leonhardt en indiquant que, à la date de sa promotion dans le grade A 5, il dispose d’«un total de 0 point» dans ce grade et lui attribue, en second lieu, deux points au titre de l’année 2000.

17.
    M. Leonhardt a introduit, le 19 juin 2001, une réclamation contre cette décision, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

18.
    Cette réclamation a été rejetée par décision du secrétaire général du Parlement du 8 novembre 2001, parvenue à M. Leonhardt le 21 novembre 2001.

Procédure et conclusions des parties

19.
    M. Leonhardt a formé le présent recours, par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 février 2002.

20.
    La procédure écrite a été close le 10 mai 2002, sans deuxième échange de mémoires, conformément à l’article 47, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

21.
    Postérieurement à cette clôture, M. Leonhardt a été admis à verser au dossier des documents que le Parlement lui avait communiqués par courrier du 23 juillet 2002. Le requérant a accompagné ce dépôt de pièces, effectué au greffe du Tribunal le 1er octobre 2002, de commentaires sur lesquels le Parlement a fait des observations le 23 octobre 2002.

22.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 5 décembre 2002.

23.
    Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision du Parlement du 11 juin 2001, en ce qu’elle porte réinitialisation à zéro du compte de points de promouvabilité du requérant au 1er janvier 2000;

—    condamner la défenderesse aux dépens.

24.
    Le Parlement européen conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    statuer sur les dépens comme de droit.

Sur la légalité de la décision attaquée

Arguments des parties

25.
    En premier lieu, M. Leonhardt soutient que la réinitialisation à zéro du compte de ses points de promouvabilité effectuée, à la date de son changement de grade, en application du dispositif transitoire est contraire à l’article 45 du statut, cettedisposition ne permettant pas une telle perte de points, laquelle équivaudrait à une perte de mérites.

26.
    Le requérant fait valoir qu’elle est également incompatible avec le nouveau système de promotion, basé sur le concept de mérite accumulé des fonctionnaires et qui prévoit, en conséquence, que, lorsqu’un fonctionnaire dispose d’un nombre de points supérieur à celui qui lui est nécessaire pour la promotion, le surplus lui reste acquis, ce qui permet d’accélérer sa prochaine promotion.

27.
    M. Leonhardt soutient que le dispositif transitoire n’est pas justifié par des raisons impératives ni des circonstances exceptionnelles. Il expose que la circonstance invoquée par l’administration d’un besoin de résorber le passé ne saurait justifier la perte des mérites accumulés avant l’adoption du nouveau système de promotion.

28.
    M. Leonhardt ajoute que, à supposer même qu’un tel besoin soit justifié, le dispositif transitoire ne satisfait pas au principe de proportionnalité, dans la mesure où tout le mérite accumulé par le fonctionnaire est automatiquement perdu à la suite de sa promotion.

29.
    En second lieu, M. Leonhardt soutient que la réinitialisation à zéro du compte de ses points de promouvabilité est contraire au principe de non-discrimination et qu’il a été l’objet d’un traitement inégal par rapport à ses collègues.

30.
    Premièrement, M. Leonhardt aurait subi une discrimination par rapport à ses collègues promus en 1999, qui ont conservé leurs points acquis en 1999 alors que le requérant les a perdus lors de sa promotion en 2000.

31.
    Deuxièmement, M. Leonhardt serait l’objet d’un traitement inégal par rapport à ses collègues qui possédaient, au début de la période transitoire, un nombre de points inférieur au sien et insuffisant pour être promus au cours de cette période. La réinitialisation à zéro entraînerait une diminution des écarts dont le requérant bénéficiait en comparaison de ses collègues plus jeunes ou moins méritants.

32.
    Le requérant a indiqué, à l’audience, que les situations discriminatoires critiquées se limitent aux deux premiers cas de figure envisagés dans ses écrits et qu’il renonce aux allégations concernant d’autres cas.

33.
    Le requérant soutient que les listes qui lui ont été communiquées par le Parlement illustrent les cas de discrimination évoqués aux points 30 et 31 ci-dessus, en particulier, entre sa situation et celle des fonctionnaires promus au grade A 5 en 2001, celle des fonctionnaires promus à ce grade en 2000 ainsi que celle des fonctionnaires promus au grade A 5 avant la période transitoire qui n’auraient subi aucune perte de points.

34.
    M. Leonhardt fait observer qu’il ressort également des éléments ainsi communiqués que le Parlement a méconnu ses propres directives en s’abstenant d’établir et d’afficher les listes des fonctionnaires promouvables par direction générale comme le prévoit le point 5.3 des Instructions.

35.
    À titre subsidiaire, M. Leonhardt demande au Tribunal d’interpréter les mesures transitoires prévues par le Parlement de manière à ne faire porter la réinitialisation à zéro que sur les points de promouvabilité se rapportant aux années antérieures à l’entrée en vigueur du nouveau système et à la période transitoire.

36.
    Le Parlement européen soutient que les dispositions de l’article 45 du statut n’ont pas été méconnues. Il expose que, dans le nouveau système, le fonctionnaire a vocation à être promu dès qu’il a atteint le seuil de référence et que, après la promotion, la réinitialisation à zéro du compte des points de promouvabilité est la règle. Il ajoute que le report de points vers le nouveau grade n’a lieu qu’exceptionnellement lorsque le fonctionnaire ayant atteint le seuil de référence ne peut être promu.

37.
    Le Parlement justifie le régime transitoire par la nécessité d’éviter que le nouveau système de promotion soit faussé par le report de points reçus car, au moment de l’entrée en vigueur du nouveau système, un nombre important de fonctionnaires (seize) avaient obtenu un total de points de promouvabilité dépassant le seuil de référence, du fait de la conversion en points des notations arrêtées selon l’ancien système.

38.
    Le Parlement soutient que le moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement n’est pas fondé et que les cas de figure envisagés par le requérant ne démontrent pas la discrimination alléguée.

39.
    Le Parlement affirme que M. Leonhardt n’a subi aucune discrimination par rapport à ses collègues de grade A 6 promus au grade A 5 entre 1999 et 2001. En effet, tous ces fonctionnaires, y compris le requérant, qui se trouvaient dans une situation comparable, auraient atteint le seuil de référence pendant la période transitoire par l’effet de la conversion en points de leurs notations antérieures et auraient tous été promus au grade A 5 durant cette période, ce qui aurait entraîné une réinitialisation de leur compte de points de promouvabilité à zéro.

40.
    Le Parlement considère que les mesures transitoires sont objectivement justifiées, afin de permettre, d’une part, la prise en compte équitable des notations effectuées selon l’ancien système, par le biais de la méthode de conversion en points de promouvabilité, et, d’autre part, d’assurer que les points attribués selon cette méthode ne fausseront pas l’accumulation des points de promouvabilité obtenus selon le nouveau système.

41.
    Le Parlement conteste la pertinence des cas de figure envisagés par le requérant. Il considère que M. Leonhardt cherche à conserver le bénéfice des points reçusselon la méthode de conversion des notations antérieures afin de rattraper ses collègues promus au grade A 5 en 1999, de maintenir l’écart entre lui et ses collègues promus au grade A 5 en 2001 et de devancer ses collègues recrutés au grade A 5 en 2000.

42.
    Selon le Parlement, le requérant souhaite faire primer l’ancienneté et l’âge sur le concept de mérite, contrairement à la finalité du nouveau système de promotion.

43.
    Le Parlement soutient que l’interprétation du dispositif transitoire proposée à titre subsidiaire par le requérant serait contraire au libellé et à l’esprit de la réglementation interne en cause qui ne fait pas de distinction entre les points obtenus selon l’ancien et le nouveau système.

44.
    Le Parlement fait également valoir que les commentaires de M. Leonhardt accompagnant les pièces versées au dossier comportent un argument nouveau s’agissant de la discrimination alléguée entre le requérant et les fonctionnaires promus au grade A 5 avant la période transitoire. Le défendeur estime que les nouvelles listes produites n’établissent pas davantage que les précédentes les discriminations alléguées. Le Parlement ajoute que la circonstance qu’il n’a pas établi les listes de l’ensemble des fonctionnaires promouvables par direction générale est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

Appréciation du Tribunal

45.
    À titre liminaire, il convient d’observer que la décision du Parlement du 11 juin 2001 portant «attribution de points de promouvabilité année 2000» déférée au Tribunal contient deux mesures. La première, relative à l’«évolution des points de promouvabilité depuis la nomination dans le grade actuel», procède à la réinitialisation à zéro du compte de points de promouvabilité de M. Leonhardt au jour de sa nomination au grade A 5, le 1er janvier 2000. La seconde, intitulée «points de promouvabilité proposés», accorde deux points à l’intéressé au titre de l’année 2000. M. Leonhardt demande seulement l’annulation de la première des deux mesures que contient la décision du 11 juin 2001.

46.
    Le nouveau système de promotion mis en place au Parlement, dont le principe n’est pas discuté dans la requête, repose sur l’idée selon laquelle le fonctionnaire ayant atteint un seuil de référence calculé en points et résultant de l’évaluation annuelle de ses mérites est d’office pris en considération en vue d’une promotion au grade supérieur.

47.
    Deux règles, exprimées dans le même alinéa du point 1.3 des Instructions, font partie intégrante de ce système: celle en vertu de laquelle le compte de points du fonctionnaire repart à zéro lors de sa promotion dans un nouveau grade et celle, corrigeant la précédente, qui permet au fonctionnaire qui n’a pu être promu dès qu’il a atteint le seuil de référence de retrouver dans son nouveau grade, après sa promotion, les points qu’il a acquis au-delà de ce seuil. Cette seconde règle, de«report de l’excédent», répond au souci, exposé au point 1, deuxième alinéa, des Instructions, d’assurer l’égalité de traitement dans l’évaluation du «mérite accumulé» afin d’offrir «à chaque fonctionnaire méritant une progression régulière vers les grades supérieurs».

48.
    La contestation du requérant porte sur les modalités retenues pour la transition de l’ancien système vers le nouveau en ce qu’elles le priveraient, en violation des principes ci-dessus rappelés, du bénéfice d’une partie de la prise en compte de ses mérites en vue de l’évolution future de sa carrière.

49.
    En premier lieu, la perte lors de sa promotion d’une partie des points résultant de la conversion de ses notations antérieures à l’entrée en vigueur du nouveau système contreviendrait de façon injustifiée à la règle du report qui fait précisément partie de ce nouveau système.

50.
    En second lieu, la réinitialisation à zéro appliquée de façon identique aux fonctionnaires promus pendant les deux années de la période transitoire allant de 1999 à 200, priverait ceux qui ont été, comme lui, promus en 2000, alors qu’ils totalisaient un nombre de points suffisants pour l’être dès l’année précédente, de toute prise en compte de leurs mérites pendant l’année 1999.

51.
    Ces critiques doivent être envisagées en tenant compte de ce que le dispositif contesté par voie d’exception, qui interdit le report des points de promouvabilité obtenus au-delà du seuil de référence, présente le caractère de mesures transitoires. Or, les contraintes inhérentes au passage d’un mode de gestion à un autre, s’agissant de la carrière des fonctionnaires, peuvent imposer à l’administration de s’écarter temporairement, et dans certaines limites, de l’application stricte des règles et principes de valeur permanente s’appliquant ordinairement aux situations en cause. Toutefois, de tels écarts doivent être justifiés par un besoin impératif lié à la transition et ne sauraient aller au-delà, dans leur durée ou dans leur portée, de ce qui est indispensable pour assurer un passage ordonné d’un régime à l’autre.

52.
    À cet égard, les deux aspects de la critique développée par M. Leonhardt appellent des réponses différentes.

53.
    S’agissant de la perte du solde des points accumulés avant 1999, année de mise en .uvre du nouveau système, il convient de constater qu’elle est la conséquence de l’application à l’intéressé de la méthode de conversion décrite aux points 3 et 4 des Dispositions. Cette méthode a pour objet de calculer pour chaque fonctionnaire concerné, en fonction des notations annuelles préalablement obtenues dans son grade, son compte de points à la date d’entrée en vigueur du nouveau système de promotion. Si ce décompte a pour effet de permettre au fonctionnaire d’être pris d’office en considération pour une promotion, il épuise là ses effets et n’ouvre pas de droit à un report du solde de points acquis au-delà du seuil de référence (point 6.2 des Instructions et point 6 des Dispositions).

54.
    Il aurait certes été théoriquement possible d’envisager un système différent, dans lequel les points de promouvabilité arrêtés à la suite de l’application de la méthode de conversion auraient pu faire l’objet d’un report dans le grade supérieur s’ils excédaient le seuil de référence requis pour accéder à ce grade.

55.
    Toutefois il n’existait pas d’obligation pour l’administration concernée d’adopter un tel système. En effet, le changement des méthodes en vigueur pour la promotion des fonctionnaires a, par hypothèse, pour but de remédier à certains inconvénients résultant de l’application des règles anciennes. Il est donc inhérent à un tel processus de réforme, dont l’administration peut apprécier avec une large marge de man.uvre la nécessité (voir en ce sens, arrêt de la Cour du 1er juillet 1976, de Wind/Commission, 62/75, Rec. p. 1167, point 17, et arrêt du Tribunal du 13 juillet 1995, Rasmussen/Commission, T-557/93, Rec. p. I-A-195 et II-603, point 20), de faire partir, à une date donnée, l’évaluation des mérites des fonctionnaires sur de nouvelles bases. Une prise en compte intégrale, et à l’identique, des notations attribuées aux fonctionnaires sous l’empire de l’ancien régime ne saurait être exigée de l’administration dans le cadre du nouveau, car elle aurait pour conséquence quasi inévitable de priver la réforme du mode de promotion de toute portée pratique, et ce alors qu’il n’existe pas de droit pour les agents au maintien de la réglementation en vigueur.

56.
    En l’espèce, il a été décidé que le calcul théorique résultant de la conversion des notations antérieures à 1997 ne permettrait pas aux fonctionnaires concernés d’aller au-delà d’un passage au grade supérieur. Une telle limitation ne peut être regardée comme excédant les pouvoirs dont dispose l’autorité investie du pouvoir de nomination pour aménager, à titre transitoire, le changement des règles relatives à la promotion des fonctionnaires. Elle se borne en effet à fixer un plafond à la prise en compte des mérites antérieurement reconnus.

57.
    Le plafonnement du nombre de points de promouvabilité des fonctionnaires soumis à la conversion au niveau correspondant au seuil de référence du changement de grade et la réinitialisation qui en résulte, dans le grade supérieur, pour les agents ayant atteint ce seuil lors de l’entrée en vigueur du nouveau régime peuvent donc être considérés comme justifiés par les nécessités inhérentes à un changement de réglementation.

58.
    S’agissant en revanche de la seconde branche du moyen, portant sur l’inégalité de traitement infligée aux fonctionnaires promus, selon qu’ils l’ont été en 1999 ou en 2000, elle ne saurait être écartée par le même raisonnement.

59.
    En effet, s’il est propre à la modification d’une réglementation d’instaurer de nouvelles situations à une date donnée en aménageant la prise en compte des situations antérieurement constituées, il est à tout le moins nécessaire de rétablir, à compter de l’entrée en vigueur du nouveau régime, l’égalité de traitement dans la plénitude de ses conséquences. La «résorption du poids du passé» ne saurait justifier des différences de traitement dans l’appréhension, au regard des nouvellesrègles, de situations identiques constituées postérieurement à leur entrée en vigueur.

60.
    L’exception soulevée par M. Leonhardt porte sur la légalité de la disposition, inscrite au point 6 des Dispositions, selon laquelle «pendant [la] période transitoire [de deux années (1999 et 2000)], les points de promouvabilité du fonctionnaire promu dans le nouveau grade sont réinitialisés à zéro».

61.
    Il résulte de cette phrase que, pour deux fonctionnaires qui, par hypothèse, auraient atteint le seuil leur permettant d’être promus en 1999 et qui auraient été promus l’un en 1999 et l’autre en 2000, le premier recevra un certain nombre de points de promouvabilité en 1999, ainsi bien entendu qu’en 2000, alors que le second en recevra en 2000, mais ne recevra aucun point pour l’année 1999. La « neutralisation » de l’année 1999 aura nécessairement un effet négatif pour la carrière de ce second fonctionnaire, par comparaison avec celle du premier, alors que l’un et l’autre étaient, vis-à-vis du seuil de référence, dans une situation identique au départ.

62.
    Une telle différence de traitement présente, en l’espèce, un caractère discriminatoire.

63.
    En effet, si l’identité de leurs situations en termes de points de promouvabilité n’interdisait pas à l’autorité investie du pouvoir de nomination de préférer un fonctionnaire à l’autre, compte tenu notamment de l’appréciation non chiffrée de leurs qualités respectives, en vue d’une promotion en 1999, cette préférence ne saurait avoir pour conséquence de priver le fonctionnaire non promu de toute attribution de points de promouvabilité au titre de l’année 1999, en violation de la règle du «report de l’excédent» énoncée au point 1.3 des Instructions.

64.
    Cette violation ne saurait être justifiée par le caractère transitoire de la mesure en cause. En premier lieu, la réinitialisation ne concerne en principe que les notations et attributions de points antérieures à l’entrée en vigueur du système en 1999. En outre, il apparaît, et il n’a pas été contesté à l’audience, qu’il aurait été possible à l’administration d’éviter une telle discrimination sans porter atteinte au pouvoir de réformer la réglementation en vigueur.

65.
    En effet, il n’est aucunement établi qu’il y aurait eu un inconvénient significatif, du point de vue de la mise en place du nouveau système de promotion, à permettre à tous les fonctionnaires de bénéficier de la règle du report pour tous les points de promouvabilité acquis à partir de 1999 et venant en excédent du seuil de référence.

66.
    Or, une telle mesure, non contraire au principe de la réinitialisation à la date d’entrée en vigueur du nouveau régime, aurait permis d’assurer l’égalité de traitement entre les fonctionnaires promouvables dès 1999 mais dont certains ont été promus dès cette année et d’autres l’année suivante.

67.
    Il en résulte que la mesure inscrite au point 6 des Dispositions et citée au point 60 ci-dessus est constitutive d’une violation du principe de l’égalité de traitement entre les fonctionnaires qui n’est pas justifiée par les nécessités de la transition d’un système de promotion à l’autre. Elle est également contraire au principe de la vocation à la carrière, qui trouve, comme le principe de l’égalité de traitement, son expression dans la procédure d’examen comparatif des mérites des candidats à la promotion, prévue par l’article 45, paragraphe 1, premier alinéa, du statut (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 décembre 1984, Vlachos/Cour de justice, 20/83 et 21/83, Rec. p. 4149, point 19, et arrêt du Tribunal du 29 février 1996, Lopes/Cour de justice, T-280/94, RecFP p. I-A-77 et II-239, point 138).

68.
    La décision du 11 juin 2001 portant réinitialisation à zéro du compte de points de promouvabilité de M. Leonhardt au 1er janvier 2000 doit dès lors être annulée pour autant qu’elle ne comporte pas de report dans son nouveau grade des points de promouvabilité acquis par le requérant en 1999.

Sur les dépens

69.
    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision du Parlement du 11 juin 2001 en ce qu’elle porte réinitialisation à zéro du compte de points de promouvabilité de M. Leonhardt au 1 er janvier 2000 est annulée.

2)     Le Parlement est condamné aux dépens.

Vesterdorf
Moura Ramos

Legal

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 février 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français