Language of document : ECLI:EU:T:1997:155

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

21 octobre 1997 (1)

«Concurrence — Transports ferroviaires de conteneurs maritimes —

Règlement (CEE) n° 1017/68 — Entente — Position dominante — Abus —

Amende — Critères d'appréciation — Principe de proportionnalité —

Droits de la défense — Accès au dossier — Principe de sécurité juridique»

Dans l'affaire T-229/94,

Deutsche Bahn AG , société de droit allemand, établie à Francfort (Allemagne), représentée par Me Jochim Sedemund, avocat à Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Aloyse May, 31, Grand-rue,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. Norbert Lorenz, membre du service juridique, et Géraud de Bergues, fonctionnaire national détaché auprès de la Commission, puis par M. Klaus Wiedner, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Heinz-Joachim Freund, avocat à Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l'annulation de la décision 94/210/CE de la Commission, du 29 mars 1994, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CE (IV/33.941 — HOV-SVZ/MCN, JO L 104, p. 34), ou, à titre subsidiaire, l'annulation ou la réduction de l'amende infligée par cette décision à la partie requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

composé de M. A. Saggio, président, M. A. Kalogeropoulos, Mme V. Tiili, MM. R. M. Moura Ramos et M. Jaeger, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 28 janvier 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits

1.
    Le 1er avril 1988, les entreprises Deutsche Bundesbahn (ci-après «DB», à laquelle a succédé, en 1994, la Deutsche Bahn, ci-après «requérante»), Société nationale des chemins de fer belges (ci-après «SNCB»), Nederlandse Spoorwegen (ci-après «NS»), Intercontainer et Transfracht ont conclu un accord relatif à la création d'un réseau de coopération dit «Maritime Container Network (MCN)» (ci-après «accord MCN»).

2.
    Le terme «conteneur maritime» («maritime container») désigne un conteneur qui est transporté pour l'essentiel par voie maritime, mais qui exige un préacheminement et un postacheminement par voie terrestre. L'accord MCN concernait les transports ferroviaires de conteneurs maritimes à destination ou en provenance de l'Allemagne qui transitaient, à cette fin, par un port allemand, belge ou néerlandais. Parmi les ports allemands, désignés, dans le contexte de l'accord MCN, comme les «ports du nord», se trouvaient ceux de Hambourg, de Brême et de Bremerhaven. Parmi les ports belges et néerlandais, dits «ports de l'ouest», se trouvaient ceux d'Anvers et de Rotterdam.

3.
    La DB, à présent la requérante, la SNCB et les NS sont les entreprises ferroviaires nationales, respectivement, de l'Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas. Intercontainer et Transfracht sont des entreprises qui opèrent dans le secteur du transport des conteneurs maritimes et qui achètent à cette fin, aux entreprises

ferroviaires, les services ferroviaires indispensables, tels que la traction ferroviaire et l'accès à l'infrastructure ferroviaire. Intercontainer est une société de droit belge, filiale commune de 24 entreprises ferroviaires européennes. Transfracht est une société de droit allemand dont 80 % du capital est détenu par la DB, à présent par la requérante.

4.
    Déjà avant la conclusion de l'accord MCN, l'organisation des transports visés par l'accord était, en fait, répartie entre les cinq entreprises susmentionnées. Selon cette répartition, à laquelle l'accord MCN n'a rien changé, Transfracht assurait les transports de conteneurs maritimes à destination ou en provenance de l'Allemagne et transitant par des ports allemands. Intercontainer, pour sa part, assurait les transports de conteneurs maritimes à destination ou en provenance de l'Allemagne et transitant par les ports belges et néerlandais. Afin de pouvoir fournir un service de transport complet à leurs clients, Transfracht et Intercontainer étaient obligées d'acheter certains services ferroviaires à la DB (Transfracht), ainsi qu'à la SNCB et aux NS (Intercontainer), étant donné le monopole légal que ceux-ci détenaient, chacun sur son propre territoire, pour la prestation de ces services, tels que la mise à disposition de locomotives et de conducteurs et l'accès à l'infrastructure ferroviaire.

5.
    L'accord MCN avait établi deux structures de coordination, sans personnalité juridique, à savoir un comité de gérance et un bureau commun. Les membres et les collaborateurs de ces deux organes étaient désignés par Transfracht et par Intercontainer. Parmi les six membres du comité de gérance devaient nécessairement se trouver trois représentants de la DB et/ou de Transfracht, un représentant de la SNCB et un représentant des NS. Le comité était conçu comme l'organe de décision et de contrôle de l'accord, tandis que le bureau commun fonctionnait comme l'organe de gestion. Concrètement, le comité de gérance était investi du pouvoir de prendre les décisions concernant les services et les prix à offrir pour les transports de conteneurs maritimes, et le bureau commun était chargé de l'élaboration et de la commercialisation des activités d'achat, de vente et de tarification de Transfracht et d'Intercontainer. Quelques autres activités, telles que les facturations auprès des clients, étaient réalisées séparément par Transfracht et Intercontainer.

6.
    Aux termes du paragraphe 9 de l'accord MCN, les décisions au sein du comité de gérance devaient être prises à l'unanimité.

7.
    Par une plainte datée du 16 mai 1991, l'association Havenondernemersvereniging SVZ (ci-après «HOV-SVZ»), qui regroupe des entreprises qui opèrent dans le port de Rotterdam, a signalé à la Commission que la DB pratiquait des tarifs beaucoup plus élevés pour les transports de conteneurs maritimes à destination ou en provenance de l'Allemagne et transitant par les ports belges et néerlandais que pour les transports de conteneurs maritimes transitant par les ports allemands. Selon le HOV-SVZ, la DB visait ainsi à privilégier les transports pour lesquels elle

fournissait la totalité des services ferroviaires. Cette pratique aurait constitué un abus de position dominante contraire aux dispositions de l'article 86 du traité CE. En outre, HOV-SVZ estimait que l'accord MCN était contraire à l'article 85 du traité.

8.
    Le 31 juillet 1992, la Commission a envoyé une communication des griefs aux entreprises liées par l'accord MCN qui, à la suite de la réception de celle-ci, ont résilié ledit accord. Après avoir reçu la communication des griefs, la DB a également reconnu qu'elle imposait pour les transports transitant par les ports du nord des tarifs différents de ceux qu'elle pratiquait pour les transports transitant par les ports de l'ouest, mais elle a contesté le caractère discriminatoire de ces différences. Elle a souligné que les tarifs étaient objectivement fixés en tenant compte de la distance du trajet, des coûts de production et de la situation concurrentielle du marché.

9.
    Le 25 août 1992, le conseil de la DB a eu l'occasion de consulter son dossier auprès de la Commission et a fait des copies de la plupart des pièces de ce dossier.

10.
    Le 15 décembre 1992, une audition a eu lieu à la Commission . A cette audition ont participé des représentants de la Commission, de la DB et de Transfracht, de la SNCB, des NS, d'Intercontainer, et de sept États membres.

11.
    Le 29 mars 1994 , la Commission a adopté la décision 94/210/CE, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CE (IV/33.941 — HOV-SVZ/MCN) (JO L 104, p. 34; ci-après «décision»). La décision est basée sur le traité CE et sur le règlement (CEE) n° 1017/68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1; ci-après «règlement n° 1017/68»).

12.
    Quant à la compatibilité de l'accord MCN avec les règles communautaires de concurrence, la décision considère que l'accord MCN avait, en violation des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, pour objet et pour effet de restreindre la concurrence sur le marché des transports terrestres de conteneurs maritimes entre le territoire allemand et les ports situés entre Hambourg et Anvers, puisqu'il éliminait la concurrence entre Intercontainer et Transfracht pour la vente des services de transport combiné aux chargeurs et aux armements maritimes, la concurrence entre les entreprises ferroviaires pour la vente de services de transport aux chargeurs ou aux armements maritimes, la concurrence entre les entreprises ferroviaires, d'une part, et Intercontainer et Transfracht, d'autre part, pour la vente des services de transport aux chargeurs et aux armements maritimes, et puisqu'il rendait plus difficile l'accès au marché de nouveaux concurrents de Transfracht et Intercontainer (points 76 à 89 de la décision). A cet égard, la décision ajoute que l'accord n'entre pas dans le champ d'application de l'exception légale prévue à l'article 3 du règlement n° 1017/68, puisqu'il ne vise ni à appliquer directement des améliorations techniques, ni à assurer directement une coopération technique

(points 91 à 98 de la décision), et qu'en outre une exemption en vertu de l'article 5 du règlement n° 1017/68 ne pouvait être envisagée, puisque l'accord n'était pas censé améliorer la qualité des services de transports ferroviaires ni promouvoir la productivité des entreprises ou le progrès technique et économique (points 99 à 103 de la décision).

13.
    Quant à la compatibilité des pratiques tarifaires de la DB avec les règles communautaires de concurrence, la décision relève, d'abord, que, eu égard au monopole légal dont elle disposait, la DB détenait une position dominante sur le marché des services ferroviaires en Allemagne, et elle constate, ensuite, que la DB a abusé de cette position dominante, en agissant de sorte que des tarifs de transport sensiblement plus élevés soient pratiqués pour les transports réalisés entre un port belge ou néerlandais et l'Allemagne que pour les transports réalisés entre les localités allemandes et les ports allemands. A cet égard, la décision précise que la DB contrôlait non seulement le niveau des tarifs des transports de conteneurs vers et en provenance des ports du nord, mais également le niveau des tarifs des transports vers et en provenance des ports de l'ouest. En effet, en premier lieu, la DB, en sa qualité de fournisseur obligatoire des services ferroviaires pour la partie du trajet réalisé en Allemagne, avait le pouvoir de contrôler le niveau des tarifs de vente pratiqués par Intercontainer; en deuxième lieu, compte tenu de la composition du comité de gérance et du fait que le bureau commun était installé au sein de la société Transfracht, elle disposait du pouvoir de bloquer toute décision dans le cadre de l'accord MCN; en troisième lieu, elle avait unilatéralement mis en place, en dehors du cadre de l'accord MCN et peu après la conclusion de celui-ci, un nouveau système tarifaire appelé «kombinierter Ladungsverkehr-Neu» (ci-après «système KLV-Neu»), qui prévoyait des réductions de prix sur les trajets vers et en provenance des ports du nord, mais pas sur les trajets vers et en provenance des ports de l'ouest (points 139 à 187 de la décision).

14.
    La décision considère, ensuite, que les différences tarifaires relevées ne pouvaient se justifier ni par le fait que le transport ferroviaire est soumis à une concurrence routière et fluviale plus vive sur les trajets via les ports de l'ouest que sur les trajets via les ports du nord, ni par le fait que les coûts de production sont plus élevés surles trajets via les ports de l'ouest que sur les trajets via les ports du nord. A cet égard, la décision explique que la concurrence plus vive sur les trajets via les ports de l'ouest pourrait uniquement justifier une différence tarifaire en faveur de ces trajets et que la DB n'a pas démontré l'existence d'une relation logique entre les différences de coûts et les différences tarifaires (points 199 à 234 de la décision).

15.
    Enfin, la décision considère que l'existence d'une infraction de la DB à l'article 86 du traité est établie au moins pour la période du 1er octobre 1989 au 31 juillet 1992 et qu'une amende doit être infligée à la DB, en prenant en compte le fait que celle-ci n'a donné aucun engagement d'adapter ses pratiques tarifaires, que l'infraction a été commise de propos délibéré et qu'elle revêt une gravité particulière, entre autres parce qu'elle a entravé le développement du transport

ferroviaire, qui est un objectif important de la politique des transports de la Communauté (points 255 à 263 de la décision).

16.
    Dans son article 1er, la décision constate d'abord que la DB, la SNCB, les NS, Intercontainer et Transfracht ont enfreint l'article 85 du traité en concluant l'accord MCN, prévoyant la commercialisation de tous les transports ferroviaires de conteneurs maritimes en provenance ou à destination d'Allemagne et transitant par un port allemand, belge ou néerlandais, par un bureau commun sur la base de tarifs convenus au sein dudit bureau. Dans son article 2, elle constate ensuite que la DB a enfreint l'article 86 du traité en utilisant sa position dominante sur le marché des transports ferroviaires en Allemagne pour imposer des tarifs discriminatoires sur le marché des transports terrestres de conteneurs maritimes en provenance ou à destination d'Allemagne en transitant par un port allemand, belge ou néerlandais. Enfin, dans son article 4, elle inflige, en vertu de l'article 22 du règlement n° 1017/68, une amende de 11 000 000 écus à la DB, en raison de la violation par celle-ci de l'article 86 du traité (voir également les points 255 et 256 de la décision).

17.
    La décision a été notifiée à la requérante le 8 avril 1994.

18.
    Par lettre du 27 avril 1994, le conseil de la requérante a demandé à la Commission de pouvoir consulter les pièces du dossier sur lequel la décision était fondée, afin de mieux protéger les intérêts de son client. Par lettre du 5 mai 1994, la Commission a rejeté cette demande, au motif que la DB avait déjà été autorisée à consulter les pièces du dossier lors de la procédure précontentieuse.

Procédure et conclusions des parties

19.
    C'est dans ces circonstances que la requérante a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 juin 1994, introduit le présent recours.

20.
    Par lettre du 31 août 1994, la requérante a transmis au Tribunal un rapport d'expertise intitulé «Kosten- und Marktanalyse für Containerverkehre in die West- und Nordhäfen ex BRD für den Zeitraum 1989-1992 im Auftrag der Deutschen Bahn AG» («Analyse des coûts et du marché relatifs au trafic de conteneurs en provenance de la RFA dans les ports de l'ouest et du nord, pour la période 1989-1992, à la demande de la Deutsche Bahn AG»). Le Tribunal a accepté de verser ce rapport au dossier, et, le 15 septembre 1994, une copie du rapport a été transmise à la défenderesse.

21.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, les parties ont toutefois été invitées à répondre par écrit à certaines questions avant l'audience.

22.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique du 28 janvier 1997.

23.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—     annuler la décision;

—    à titre subsidiaire, annuler la décision dans la mesure où celle-ci lui inflige une amende;

—    à titre encore plus subsidiaire, réduire le montant de l'amende;

—     condamner la défenderesse aux dépens.

24.
    La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la requérante aux dépens.

Sur les conclusions en annulation de la décision litigieuse

25.
    Dans sa requête, la requérante a invoqué, en substance, quatre moyens à l'appui de ses conclusions en annulation. Le premier moyen est tiré d'une violation de l'article 85 du traité et des actes adoptés par le Conseil en vue de préciser le champ d'application de l'article 85 du traité dans le domaine des transports. Le deuxième moyen est tiré d'une violation de l'article 86 du traité. Les troisième et quatrième moyens sont tirés, respectivement, d'une violation des droits de la défense et d'une violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration.

Premier moyen, tiré d'une violation de l'article 85 du traité et des actes adoptés par le Conseil en vue de préciser le champ d'application de l'article 85 du traité dans le domaine des transports

Arguments des parties

26.
    La requérante soutient que l'accord MCN était un accord technique au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1017/68, et qu'il ne tombait, par conséquent, pas sous l'interdiction des ententes prévue à l'article 2 du règlement n° 1017/68 et à l'article 85 du traité. Elle rappelle, à cet égard, que l'accord avait pour but d'établir une coopération dans des matières techniques telles que la fixation des horaires, le changement des locomotives et du personnel aux frontières et le choix des terminaux.

27.
    Pour autant que l'accord visait une fixation commune des tarifs, la requérante fait observer que l'article 3 du règlement n° 1017/68, ainsi que l'article 4 de la décision 82/529/CEE du Conseil, du 19 juillet 1982, relative à la formation des prix pour les transports internationaux de marchandises par chemin de fer (JO L 234, p. 5; ci-après «décision 82/529»), et les articles 1er et 4 de la recommandation 84/646/CEE du Conseil, du 19 décembre 1984, adressée aux entreprises de chemins de fer nationales des États membres en ce qui concerne le renforcement de la coopération relative au trafic international de voyageurs et de marchandises (JO L 333, p. 63; ci-après «recommandation 84/646») permettent explicitement la formation de tarifs communs arrêtés entre plusieurs entreprises ferroviaires pour les transports combinés de marchandises.

28.
    A titre subsidiaire, la requérante fait valoir que l'accord MCN aurait dû être exempté de l'interdiction des ententes en vertu de l'article 5 du règlement n° 1017/68 et que la décision ne contient aucune motivation quant à la raison pour laquelle il n'a pas été fait usage de cette disposition.

29.
    A titre encore plus subsidiaire, la requérante observe que la conclusion de la Commission selon laquelle l'accord MCN a éliminé la concurrence est erronée, puisque Intercontainer et Transfracht opèrent sur des trajets différents et ne sont donc pas des concurrents, et puisque les entreprises ferroviaires nationales ne se trouvent pas, elles non plus, dans un rapport de concurrence.

30.
    Selon la défenderesse, l'article 3 du règlement n° 1017/68 permet uniquement la conclusion d'accords qui ont exclusivement pour objet et pour effet d'apporter des améliorations techniques ou d'établir une coopération technique. L'accord MCN aurait dépassé ce cadre technique, puisqu'il visait à établir un système de tarification commune.

31.
    A cet égard, la défenderesse expose que l'autorisation, conférée par l'article 3 du règlement n° 1017/68, en faveur de «l'établissement et l'application de prix et conditions globaux [...], y compris les prix de concurrence» n'équivaut pas à une autorisation de concertations sur les prix ayant pour but d'éliminer la concurrence et de répartir des marchés. Il en serait de même pour l'article 4 de la décision 82/529. Cet article ne permettrait pas aux entreprises ferroviaires d'organiser en commun l'ensemble des transports ferroviaires transfrontaliers de conteneurs, mais autoriserait uniquement des formes de coopération visant à éviter que les monopoles en matière de traction ferroviaire et d'accès au réseau ferroviaire empêchent le bon fonctionnement des transports transfrontaliers. Quant à la recommandation 84/646, la défenderesse observe que l'accord MCN n'entre pas dans son champ d'application, puisque l'accord concernait non seulement trois entreprises de chemins de fer, mais également deux opérateurs de transport, tandis que la recommandation est adressée uniquement aux entreprises de chemins de fer et que, de toute manière, elle a uniquement pour but d'encourager les formes de coopération transfrontalière rendues nécessaires par l'existence des monopoles.

32.
    Quant à l'argument de la requérante selon lequel l'accord MCN aurait dû être exempté en vertu de l'article 5 du règlement n° 1017/68, la défenderesse fait observer que les conditions d'application définies par ladite disposition n'étaient pas remplies à cause des importantes restrictions de concurrence entraînées par l'accord MCN.

33.
    Finalement, la défenderesse observe qu'il existait une vraie concurrence entre la DB, la SNCB et les NS, et entre Intercontainer et Transfracht, notamment en ce que la DB et Transfracht avaient intérêt à réaliser autant d'opérations de transport que possible sur les trajets vers les ports du nord, tandis que la SNCB, les NS et Intercontainer avaient un intérêt commercial à une concentration du trafic vers l'ouest. La défenderesse parle, dans ce contexte, d'une «concurrence sur les axes de transport».

Appréciation du Tribunal

34.
    Il convient de constater, à titre liminaire, que l'accord MCN avait, entre autres, pour objet d'établir une gestion commune de la tarification des transports ferroviaires de conteneurs maritimes à destination ou en provenance de l'Allemagne et transitant par des ports allemands, belges et néerlandais. Il résulte en effet du libellé de l'accord même que celui-ci attribuait comme tâche au comité de gérance «la définition et la modification de la politique commerciale à long, moyen et court termes pour le trafic soumis au présent accord, en particulier la définition et la modification de la politique de vente et de la politique de prix» et au bureau commun celle d'assurer «la fonction ”achats/formation des prix/ventes”».

35.
    Le Tribunal estime que cette initiative commune consistait à «fixer de façon directe ou indirecte les prix» au sens de l'article 85, paragraphe 1, sous a), du traité et de l'article 2, sous a), du règlement n° 1017/68. Il ressort en effet de la jurisprudence qu'un accord établissant un régime commun de fixation de prix relève desdites dispositions [quant à l'article 85, paragraphe 1, sous a), du traité, voir l'arrêt de la Cour du 17 octobre 1972, Cementhandelaren/Commission, 8/72, Rec. p. 977, points 18 et 19, et l'arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6/89, Rec. p. II-1623, point 198; quant à l'article 2, sous a), du règlement n° 1017/68, voir l'arrêt du Tribunal du 6 juin 1995, Union internationale des chemins de fer/Commission, T-14/93, Rec. p. II-1503, point 50], et cela indépendamment de la question de savoir dans quelle mesure les dispositions de l'accord ont en fait été respectées (voir l'arrêt de la Cour du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246/86, Rec. p. 2117, point 15, ainsi que l'arrêt Cementhandelaren/Commission, précité, point 16).

36.
    Il en est ainsi parce que la formation commune de prix restreint le jeu de la concurrence, notamment en permettant à chaque participant de prévoir avec un degré raisonnable de certitude quelle sera la politique de prix poursuivie par ses concurrents coparticipants (arrêt Cementhandelaren/Commission, précité, point 21).

L'accord MCN ne saurait échapper à cette analyse. Étant donné que chacune desentreprises concernées a un intérêt commercial évident à ce qu'autant d'opérations de transport que possible soient effectuées sur les trajets sur lesquels elle est le plus active, il existe une relation concurrentielle entre la DB et les NS, et entre la DB et la SNCB. De la même manière, les NS sont en concurrence avec la SNCB, et Transfracht avec Intercontainer. Dès lors, en établissant un système de formation commune de prix, lesdites entreprises ont sensiblement restreint, voire même éliminé, toute concurrence en matière de prix au sens de la jurisprudence précitée.

37.
    Le Tribunal estime, ensuite, que, contrairement aux allégations de la requérante, l'accord MCN ne relève pas de l'exception légale prévue à l'article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1017/68, qui autorise les «accords, décisions et pratiques concertées qui ont seulement pour objet et pour effet l'application d'améliorations techniques ou la coopération technique par [...] l'organisation et l'exécution de transports [...] combinés ainsi que l'établissement et l'application de prix et conditions globaux pour ces transports, y compris les prix de concurrence». En effet, l'introduction d'une exception légale en faveur d'accords d'ordre purement technique ne saurait équivaloir à une autorisation, de la part du législateur communautaire, permettant la conclusion d'accords qui ont pour objet la formation commune de prix. S'il en était autrement, n'importe quel accord établissant un système de formation commune de prix dans le secteur des transports ferroviaires, routiers ou fluviaux devrait être considéré comme un accord technique au sens de l'article 3 du règlement n° 1017/68, et l'article 2, sous a), du même règlement serait privé de toute utilité.

38.
    Il y a lieu de remarquer, en outre, que la détermination autonome, par chaque opérateur économique, de sa politique commerciale et notamment de sa politique de prix correspond à la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence (arrêt de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26/76, Rec. p. 1875, point 21; arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1/89, Rec. p. II-867, point 121). Il s'ensuit que l'exception prévue à l'article 3 du règlement n° 1017/68, notamment les termes «prix globaux» et «prix de concurrence», doivent être interprétés avec circonspection. Le Tribunal a déjà souligné que, compte tenu du principe général d'interdiction des ententes anticoncurrentielles édicté à l'article 85, paragraphe 1, du traité, les dispositions à caractère dérogatoire insérées dans un règlement doivent faire l'objet d'une interprétation restrictive (arrêts du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T-24/93, T-25/93, T-26/93 et T-28/93, Rec. p. II-1201, point 48, et du 22 avril 1993, Peugeot/Commission, T-9/92, Rec. p. II-493, point 37).

39.
    Au regard des considérations qui précèdent, le Tribunal estime que le terme «prix globaux» doit être compris comme désignant les prix «de bout en bout», englobant les différentes parties nationales d'un trajet transnational, et que le terme «prix de concurrence», qui est rattaché par l'expression «y compris» à la notion de «prix globaux», susvisée, doit être entendu comme permettant aux différentes entreprises

opérant sur un même trajet transnational de fixer des prix globaux non seulement en procédant à l'addition des tarifs de chacune d'entre elles, mais également en apportant à celle-ci des adaptations communes susceptibles de garantir le caractère concurrentiel des transports en cause par rapport à d'autres modes de transports, sans toutefois que soit entièrement éliminée l'autonomie de chaque entreprise quant à la fixation de ses propres tarifs en fonction de ses intérêts concurrentiels. Or, l'accord MCN conduisait à une telle élimination et dépassait le cadre des actions autorisées par les termes susvisés, puisqu'il confiait, sans limitation aucune, la politique et la formation des prix à un organe commun, et puisque, en outre, les prix globaux pour chaque trajet couvert par l'accord MCN étaient cofixés par une entreprise qui n'opérait même pas sur ce trajet.

40.
    Il ressort des points précédents que la Commission a conclu à bon droit que l'accord MCN dépassait le cadre décrit par l'article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1017/68.

41.
    Cette interprétation de l'article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1017/68 n'est pas en contradiction avec l'article 4 de la décision 82/529, mais, bien au contraire, en conformité avec celui-ci. En effet, l'article 4 de la décision 82/529 autorise l'établissement, par les entreprises de chemins de fer, de «tarifs à barèmes communs offrant des prix de bout en bout», ajoutant que «les prix indiqués par ces tarifs peuvent être indépendants de ceux obtenus par la somme des prix des tarifs nationaux», cette indépendance ayant pour but de sauvegarder la position concurrentielle du transport ferroviaire par rapport à d'autres modes de transport ainsi que le précise le quatrième considérant de la décision 82/529. Toutefois, ledit article 4 suppose tout autant que les entreprises ferroviaires tiennent compte de «leurs intérêts propres». Comme le démontre son deuxième considérant, la décision 82/529 attribue une valeur certaine à une «autonomie commerciale suffisante» des entreprises ferroviaires.

42.
    La recommandation 84/646, également invoquée par la requérante, ne saurait mettre en cause cette conclusion. L'article 4 de la recommandation confirme à nouveau la possibilité d'établir des tarifs globaux qui ne soient pas égaux à la somme des tarifs nationaux et encourage l'établissement de bureaux communs en fonction de la vente auprès des commissionnaires de transport, mais ne permet pas d'attribuer à de tels organes un pouvoir illimité en matière de gestion commerciale et de formation des prix, comme l'accord MCN l'a fait.

43.
    Finalement, le Tribunal considère que la Commission n'était aucunement tenue de faire usage vis-à-vis de l'accord MCN de l'article 5 du règlement n° 1017/68, qui prévoit que «[l]'interdiction de l'article 2 peut être déclarée inapplicable [...] à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises [...] qui contribuent à améliorer la qualité des services de transport, ou à promouvoir, sur les marchés qui sont soumis à de fortes fluctuations dans le temps de l'offre et de la demande, une meilleure continuité et stabilité dans la satisfaction des besoins de transport, ou à augmenter

la productivité des entreprises, ou à promouvoir le progrès technique ou économique [...] sans [...] donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle du marché de transport en cause, d'éliminer la concurrence». A cet égard, il convient de constater liminairement que, contrairement aux allégations de la requérante, la Commission a motivé son refus d'exempter l'accord MCN, en indiquant, aux points 99 à 103 de la décision, qu'il n'était pas établi que ledit accord apportait un progrès technique ou économique, une amélioration de la qualité des services ferroviaires ou une augmentation de la productivité, alors qu'il imposait des restrictions de concurrence importantes, de telle sorte que les conditions requises par l'article 5 du règlement n° 1017/68 n'étaient de toute façon pas remplies. Ensuite, force est de constater que, ainsi qu'il ressort des constatations faites ci-dessus (points 34 à 40), en déclarant inapplicable l'article 2 du règlement n° 1017/68 à l'accord MCN, la Commission aurait donné la possibilité aux entreprises concernées d'éliminer la concurrence entre elles.

44.
    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que c'est à bon droit que la Commission a considéré que l'accord MCN était incompatible avec le marché commun. En conséquence, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

Deuxième moyen, tiré d'une violation de l'article 86 du traité

45.
    Ce moyen s'articule en deux branches. La requérante fait valoir, tout d'abord, que la DB n'occupait pas de position dominante sur le marché commun ou sur une partie substantielle de celui-ci. Elle soutient, ensuite, que le comportement incriminé dans la décision ne présentait pas un caractère abusif.

Le moyen pris en sa première branche, relative à l'absence de position dominante

—    Arguments des parties

46.
    La requérante estime que la décision définit erronément le marché pertinent et conclut erronément que la DB possédait une position dominante.

47.
    Le marché pertinent comprend, selon la requérante, le transport ferroviaire ainsi que les transports routier et fluvial de conteneurs maritimes. A cet égard, elle invoque la jurisprudence selon laquelle la définition matérielle du marché doit comprendre tous les services et biens qui sont interchangeables les uns avec les autres. Appliquant cette jurisprudence aux faits de l'espèce, la requérante estime que la délimitation du marché sur lequel la Commission a constaté l'existence d'une position dominante de la DB comporte deux erreurs.

48.
    D'abord, en limitant le marché aux seuls services ferroviaires, la Commission aurait méconnu le fait que Transfracht était une filiale de la DB et que, puisque sociétés mère et filiale constituent une entité économique unique, les activités économiques de la DB incluaient, dans toute l'Allemagne, outre les services ferroviaires de transport tels que l'accès au réseau ferroviaire et la mise à disposition de

locomotives et de conducteurs, les autres composantes du transport ferroviaire de conteneurs maritimes.

49.
    Ensuite, en excluant du marché les transports routier et fluvial, la Commission aurait méconnu le fait que, pour presque tous les commissionnaires de transport de conteneurs, ces modes de transport sont interchangeables avec le transport ferroviaire. Cette interchangeabilité serait notamment illustrée par le fait qu'il existerait entre les transporteurs ferroviaires, routiers et fluviaux une importante concurrence sur les prix.

50.
    Estimant ainsi que le marché pertinent devait comprendre toutes les composantes du transport ferroviaire de conteneurs maritimes ainsi que les transports routier et fluvial, la requérante conclut que le fait que la DB détenait un monopole légal sur le territoire allemand pour la fourniture des services ferroviaires ne suffisait pas pour établir l'existence d'une position dominante. Elle rappelle que la détention d'un monopole légal n'équivaut à une position dominante au sens de l'article 86 du traité que si ce monopole englobe l'ensemble du marché pertinent et que si, sur ce marché pertinent, les prestations concernées ne sont pas soumises à une concurrence effective. Or, à cause de la concurrence des transporteurs routiers et fluviaux, la DB n'aurait détenu, en dépit de son monopole légal, qu'une part de 6 % du marché du transport de conteneurs.

51.
    La défenderesse rappelle que la Cour a constaté à plusieurs reprises qu'une entreprise qui bénéficie d'un monopole légal dans un État membre détient, de ce fait, une position dominante et que le territoire d'un État membre doit être considéré comme une partie substantielle du marché commun au sens de l'article 86 du traité.

52.
    L'argument de la requérante selon lequel la DB ne détenait qu'une part de 6 % du marché du transport de conteneurs reposerait sur une tout autre délimitation du marché qui ne serait pas conforme à la jurisprudence. La défenderesse souligne, à cet égard, que la jurisprudence exige que l'interchangeabilité des prestations de services soit évaluée du point de vue des consommateurs et en fonction des propriétés des prestations en question et de la structure de l'offre et de la demande. Or, sous tous ces aspects, les services ferroviaires fournis par la DB se présenteraient comme n'étant pas interchangeables avec les autres prestations fournies dans le cadre du transport de conteneurs maritimes.

—    Appréciation du Tribunal

53.
    En vue d'établir si la DB disposait, au moment des faits incriminés, d'une position dominante, il est nécessaire d'examiner d'abord la délimitation du marché des prestations en cause. A cette fin, il convient de rappeler que la Commission a délimité le marché sur lequel elle a constaté une position dominante comme étant, du point de vue matériel, celui des services ferroviaires, qui sont vendus par les

entreprises ferroviaires aux entreprises de transport et qui consistent essentiellement en la mise à disposition de locomotives, la fourniture de la traction de celles-ci et l'accès à l'infrastructure ferroviaire, et, du point de vue géographique, comme couvrant le territoire allemand. En dépit de l'utilisation, à l'article 2 de la décision, d'une définition matérielle du marché plus étendue («transports ferroviaires»), la délimitation susvisée correspond à celle qui est employée dans les considérants de la décision et à celle qui a été comprise par la partie requérante. La Commission a, par ailleurs, confirmé cette définition en réponse à une question posée par le Tribunal avant l'audience.

54.
    Quant à la délimitation matérielle du marché, le Tribunal rappelle que, pour être considéré comme constituant l'objet d'un marché suffisamment distinct, le service ou le bien en cause doit pouvoir être individualisé par des caractéristiques particulières le différenciant d'autres services ou biens au point qu'il soit peu interchangeable avec eux et ne subisse leur concurrence que d'une manière peu sensible (voir les arrêts de la Cour du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, Rec. p. 803, points 39 et 40, et du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, points 11 et 12, et l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-1439, point 64). Dans ce cadre, le degré d'interchangeabilité entre produits doit être évalué en fonction des caractéristiques objectives de ceux-ci, ainsi qu'en fonction de la structure de la demande, de l'offre sur le marché et des conditions de concurrence (voir l'arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 37, et l'arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 63).

55.
    Le Tribunal constate que le marché des services ferroviaires constitue un sous-marché distinct du marché des transports ferroviaires en général. Il offre un ensemble spécifique de prestations, notamment la mise à disposition de locomotives, leur traction et l'accès à l'infrastructure ferroviaire, qui est, certes, fourni en fonction des demandes des opérateurs de transport ferroviaire, mais qui n'est aucunement interchangeable ou en concurrence avec les prestations de ces derniers. Le caractère distinct des services ferroviaires ressort, en outre, du fait qu'ils relèvent d'une demande et d'une offre spécifiques. En effet, les opérateurs de transport se trouvent dans l'impossibilité de fournir leurs prestations s'ils ne disposent pas des services ferroviaires. Les entreprises ferroviaires, quant à elles, disposaient, au moment des faits incriminés, d'un monopole légal quant à la fourniture des services ferroviaires sur le territoire de leurs pays respectifs. Ainsi, il n'est pas contesté entre les parties que, jusqu'au 31 décembre 1992, la DB disposait d'un monopole légal quant à la fourniture des services ferroviaires sur le territoire allemand.

56.
    Ainsi qu'il résulte de la jurisprudence, un sous-marché qui a des caractéristiques spécifiques du point de vue de la demande et de l'offre et qui offre des produits occupant une place indispensable et non interchangeable dans le marché plus général duquel il fait partie doit être considéré comme un marché de produit

distinct (voir l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1991, RTE/Commission, T-69/89, Rec. p. II-485, points 61 et 62). A la lumière de cette jurisprudence et au vu des considérations qui précèdent, la Commission était fondée à ne pas prendre en considération, dans la délimitation matérielle du marché, les prestations des opérateurs de transport ferroviaire, ni a fortiori les prestations des opérateurs de transports routier et fluvial.

57.
    Il ressort, ensuite, de la jurisprudence que si, comme en l'espèce, les prestations relevant du sous-marché font l'objet d'une exclusivité légale, qui fait que les demandeurs se trouvent dans une situation de dépendance économique à l'égard du fournisseur, l'existence d'une position dominante sur un marché distinct ne saurait être niée, même si les prestations fournies en exclusivité présentent un lien avec un produit qui est lui-même en concurrence avec d'autres produits (arrêts de la Cour du 13 novembre 1975, General Motors Continental/Commission, 26/75, Rec. p. 1367, points 5 à 10, et du 11 novembre 1986, British Leyland/Commission, 226/84, Rec. p. 3263, points 3 à 10).

58.
    Quant à la délimitation géographique du marché, il suffit de rappeler qu'un État membre peut constituer, à lui seul, une partie substantielle du marché commun sur laquelle une entreprise peut détenir une position dominante, et cela notamment lorsqu'elle est titulaire sur ce territoire d'un monopole légal (arrêt General Motors Continental/Commission, précité, point 9; arrêt de la Cour du 21 mars 1974, BRT/Sabam et Fonior, 127/73, Rec. p. 313, point 5).

59.
    Il ressort de l'ensemble des considérations qui précèdent que la première branche du moyen doit être rejetée.

Le moyen pris en sa seconde branche, relative à l'absence d'exploitation abusive

—    Arguments des parties

60.
    La requérante fait valoir que, à supposer même que le Tribunal retienne l'existence d'une position dominante, il conviendrait toujours de conclure que la DB n'a pas abusé de cette position. En effet, dans la mesure où la décision attaquée se base sur le niveau des tarifs des transports ferroviaires vers et en provenance des ports de l'ouest, affirmant que celui-ci est plus élevé que celui des transports ferroviaires vers et en provenance des ports du nord, elle censurerait, en substance, les pratiques tarifaires d'Intercontainer et non pas celles de la DB. Dans ce contexte, la requérante a souligné, lors de l'audience, que les tarifs facturés par la DB pour ses prestations de services ferroviaires à Intercontainer ont toujours été inférieurs aux tarifs facturés par la DB à Transfracht ainsi qu'aux tarifs pratiqués par les NS à l'égard d'Intercontainer, alors que, dans sa requête, elle avait déclaré ne pas contester que le niveau de ses tarifs pour le trafic transitant par les ports de l'ouest était supérieur au niveau de ceux pratiqués pour le trafic transitant par les ports du nord (requête, page 25). La requérante conclut que le niveau moyen plus élevé

des tarifs appliqués aux transports vers et en provenance des ports de l'ouest, comparés aux tarifs appliqués aux transports vers et en provenance des ports du nord, ne pouvait pas être imputé à la DB. Elle observe, en outre, que, pour un grand nombre de trajets via les ports de l'ouest, une partie majeure du composant tarifaire portant sur les services ferroviaires n'avait rien à voir avec la DB, mais concernait les prestations fournies soit par les NS soit par la SNCB (réplique, pages 31 et 32).

61.
    Dans le même contexte, la requérante conteste que la DB ait bloqué, dans le cadre de l'accord MCN, toute diminution des tarifs d'Intercontainer et qu'elle ait, en fait, imposé le maintien de ces tarifs. Sur ce point, la requérante souligne qu'en vertu de l'accord MCN chaque modification de prix exigeait l'unanimité au sein du comité de gérance, y compris donc l'accord des autres sociétés de chemins de fer et d'Intercontainer, et qu'il n'a pas été démontré que c'est la DB qui a empêché une réduction de l'écart entre les tarifs de transport ferroviaire pratiqués sur les trajets de l'ouest et ceux pratiqués sur les trajets du nord.

62.
    La requérante ajoute que, de toute manière, chacune des parties à l'accord MCN avait le droit, aux termes de l'accord, de résilier celui-ci. Elle en conclut que les parties à l'accord MCN étaient en mesure de se soustraire à l'influence de la DB, si elles le souhaitaient (réplique, page 31).

63.
    La requérante expose, ensuite, que la différence entre les tarifs pratiqués sur les trajets de l'ouest et ceux pratiqués sur les trajets du nord était, en tout état de cause, objectivement justifiée par une différence de situation concurrentielle et de coûts.

64.
    Afin d'illustrer cette différence quant à la situation concurrentielle, la requérante indique que, sur les trajets du nord, la concurrence fluviale est faible et la concurrence routière est limitée aux camions allemands, tandis que, sur les trajets de l'ouest, la navigation fluviale est le mode de transport le meilleur marché et la concurrence routière est également très forte. Notamment, les tarifs pratiqués par les transporteurs routiers et fluviaux sur les trajets de l'ouest seraient inférieurs de 20 à 40 % aux tarifs pratiqués par la DB/Transfracht sur les trajets du nord. La requérante expose qu'il ne lui est pas possible, en tant que petit concurrent sur le marché des transports sur les trajets de l'ouest, de faire face à de tels prix et de couvrir en même temps ses propres coûts. Son solde financier serait déficitaire depuis des années en ce qui concerne les trajets de l'ouest, et ce déficit se serait encore aggravé depuis que la DB a pris l'initiative, en 1989 et 1991, de rapprocher quelque peu les tarifs pratiqués sur les trajets de l'ouest de ceux pratiqués sur les trajets du nord. Une initiative commune temporaire de la DB et des NS, à la fin de 1993, tendant à pratiquer les mêmes prix que les concurrents routiers sur un des trajets de l'ouest, aurait également échoué complètement, en ce qu'elle n'aurait pas permis de gagner de nouveaux clients pour le transport ferroviaire.

65.
    La requérante estime, par ailleurs, que la différence entre la situation concurrentielle existant sur les trajets de l'ouest et celle existant sur les trajets du nord a pour conséquence que la définition, à laquelle la Commission a procédé, du marché sur lequel la DB a prétendument abusé de sa position dominante est entachée d'une erreur fondamentale. Elle fait remarquer, sur ce point, que la Commission a défini un marché couvrant les transports terrestres de conteneurs maritimes tant sur les trajets de l'ouest que sur les trajets du nord, alors que, selon une jurisprudence bien établie, seules les zones territoriales dans lesquelles les conditions objectives de concurrence sont similaires peuvent être considérées comme constituant un marché uniforme. La requérante estime que cette faute dans la délimitation du marché suffit à elle seule à justifier l'annulation de la décision attaquée.

66.
    Pour ce qui est des coûts de transport et notamment des coûts des prestations de services ferroviaires, la requérante souligne que ceux-ci ne sont pas déterminés exclusivement par la distance des trajets, mais qu'ils dépendent également d'autres éléments, tels que le nombre et la durée des opérations de triage, les formalités douanières, le temps de service du personnel et la durée d'utilisation des locomotives et des wagons. Il en résulterait que les coûts de transport peuvent être très différents sur des trajets dont la distance est identique. Dans le cas d'espèce, les différences de coûts proviendraient du fait que le trafic ferroviaire est plus intense sur les trajets du nord et du fait que, sur les trajets de l'ouest, les passages des trains aux frontières belges et néerlandaises engendrent des frais.

67.
    En particulier, l'importance du volume des transports sur les trajets du nord permettrait l'utilisation de trains complets transportant des conteneurs qui ont tous la même destination, et ces trains ne nécessiteraient donc aucun triage. En outre, sur les trajets du nord, les locomotives des trains n'auraient pas besoin d'être changées, puisque la DB est responsable de la traction sur la totalité de ces trajets. Ainsi, les coûts seraient plus bas sur les trajets du nord, ce qui permettrait de pratiquer des tarifs plus bas sur ces trajets.

68.
    Enfin, la circonstance que, avec l'introduction du système KLV-Neu, la DB a encore réduit les coûts et, dès lors, les prix des services ferroviaires sur les trajets du nord ne changerait rien au fait que, dans la décision, la Commission a basé ses conclusions sur une comparaison des tarifs d'Intercontainer avec ceux de Transfracht et, au surplus, la Commission n'aurait pas prouvé que la réduction des prix en Allemagne due au système KLV-Neu n'était pas justifiée d'un point de vue économique.

69.
    La défenderesse rappelle, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, il existe un abus au sens de l'article 86, second alinéa, sous c), du traité lorsqu'une entreprise utilise sa position dominante pour appliquer des conditions inégales à des prestations équivalentes, afin d'avantager ainsi ses propres prestations.

70.
    La défenderesse précise, d'abord, qu'elle a considéré comme «prestations équivalentes» les transports de conteneurs en provenance et à destination des ports de l'ouest réalisés par Intercontainer, d'une part, et les transports de conteneurs en provenance et à destination des ports du nord réalisés par Transfracht, d'autre part.

71.
    La défenderesse expose, ensuite, qu'elle a considéré comme «conditions inégales» les différences entre les prix par kilomètre facturés pour les prestations d'Intercontainer et de Transfracht. Ces différences varieraient entre 2 et 77 % pour le transport de conteneurs vides et entre 4 et 42 % pour le transport de conteneurs chargés, selon les données qui ont été fournies par les entreprises concernées sur la base des tarifs d'Intercontainer pour les transports de conteneurs vers le port de Rotterdam, d'une part, et sur la base des tarifs de Transfracht pour les transports vers le port de Hambourg, d'autre part, données qui figurent dans les annexes 3 à 9 à la décision et qui sont analysées aux points 162 à 171 de celle-ci. La défenderesse indique qu'elle a constaté ces différences sur la base de comparaisons qui avaient comme seule variable la distance des trajets. Elle justifie cette méthode de comparaison par référence à une information fournie par Transfracht lors de l'enquête, selon laquelle la distance des trajets constitue le critère décisif.

72.
    Selon la défenderesse, il n'existe aucune justification objective des différences de prix constatées.

73.
    En ce qui concerne la situation concurrentielle, la défenderesse observe que l'existence d'une concurrence intermodale plus forte sur les trajets de l'ouest pourrait expliquer des tarifs moins élevés d'Intercontainer par rapport à ceux de Transfracht, mais ne peut pas expliquer une différence contraire. La défenderesse rappelle, en outre, que la DB n'était pas en concurrence avec les transporteurs routiers et fluviaux, puisque ses prestations sont par nature ferroviaires et ne sont donc, du point de vue d'Intercontainer et de Transfracht, pas interchangeables avec les prestations offertes par les transporteurs routiers et fluviaux.

74.
    En ce qui concerne les coûts de production, la défenderesse estime que la requérante n'a pas démontré que le trafic via les ports de l'ouest entraîne des coûts plus élevés que le trafic via les ports du nord. Notamment, il ne serait pas établi que les passages aux frontières augmentent de façon significative les coûts de transport, et les données disponibles sur le volume du trafic et les types d'envois ne révéleraient pas de proportion logique avec les coûts et les tarifs de transport. La défenderesse observe, en outre, que le prix moyen par kilomètre facturé par la DB à Intercontainer est inférieur au prix moyen réclamé par la DB à Transfracht et que cela laisse supposer que les coûts des services ferroviaires fournis pour les transports vers et en provenance des ports de l'ouest sont inférieurs aux coûts des services ferroviaires fournis pour les transports vers et en provenance des ports du nord (défense, pages 38 et 39).

75.
    Quant à l'imputabilité à la DB des différences tarifaires susvisées, la défenderesse reprend son analyse déjà exposée aux points 143 à 156 de la décision, selon laquelle la DB disposait d'un pouvoir de blocage au sein des organes mis en place par l'accord MCN et a utilisé celui-ci afin d'empêcher une baisse des tarifs d'Intercontainer, tout en appliquant, sur les trajets du nord, un système tarifaire nouveau créé unilatéralement par elle. La défenderesse rappelle aussi que le mécontentement d'Intercontainer, des NS et de la SNCB devant l'attitude adoptée par la DB au sein de l'accord MCN ressort clairement des procès-verbaux de réunions tenues par Intercontainer ainsi que de réunions tenues dans le cadre de l'accord MCN.

76.
    La défenderesse conclut que la DB a imposé des différences tarifaires et que celles-ci constituent des discriminations. Elle souligne que les effets économiques de ces discriminations ne doivent pas être recherchés dans les rapports entre les transporteurs ferroviaires et les autres transporteurs, mais dans les rapports de la DB vis-à-vis des NS et de la SNCB et dans ceux de Transfracht vis-à-vis d'Intercontainer. Selon la défenderesse, il est clair que, dans ces rapports, la DB et Transfracht ont tiré profit desdites discriminations tarifaires.

—    Appréciation du Tribunal

77.
    Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que l'article 8, premier alinéa, et second alinéa, sous c), du règlement n° 1017/68 reprend le libellé de l'article 86, premier alinéa, et second alinéa, sous c), du traité, en interdisant, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, l'exploitation abusive d'une position dominante sur une partie substantielle du marché commun, par l'application à l'égard de partenaires commerciaux de «conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence». En outre, aucun considérant ni aucune disposition du règlement n° 1017/68 n'attribue à l'article 8 du règlement une finalité qui serait substantiellement différente de celle de l'article 86 du traité. Par conséquent, en constatant une infraction à l'article 86 du traité et non pas à l'article 8 du règlement n° 1017/68, la Commission n'a pas commis une erreur en l'absence de laquelle la décision aurait pu avoir un contenu différent. Le choix de l'article 86 du traité comme article de référence dans la décision n'a, du reste, pas été critiqué par la requérante.

78.
    Il convient de rappeler, ensuite, que la notion d'exploitation abusive de position dominante revient à interdire à une entreprise dominante de renforcer sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites (voir, dans ce sens, l'arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, Rec. p. I-3359, point 70). Ainsi, une entreprise ne saurait pratiquer des différences artificielles de prix de nature à entraîner un désavantage pour ses clients et à fausser la concurrence (arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 160).

79.
    Il y a lieu de rappeler aussi que l'existence d'une exploitation abusive de position dominante ne saurait être exclue du fait que l'entreprise détenant la position dominante a formellement adhéré à un accord qui a pour objet la fixation commune de tarifs et qui relève ainsi de l'interdiction des ententes. En effet, la présence d'un tel accord n'exclut pas l'hypothèse que l'une des entreprises liée par l'accord puisse imposer unilatéralement des tarifs discriminatoires (voir, par analogie, l'arrêt Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, précité, points 34 et 37).

80.
    Dans le cas d'espèce, le Tribunal estime que plusieurs éléments du dossier permettaient à la Commission de conclure que la DB, en dépit de l'accord MCN et de l'objectif prioritaire de celui-ci qui consistait, comme la requérante l'a confirmé lors de l'audience, à faire baisser les tarifs d'Intercontainer et à rétablir ainsi la position concurrentielle des transports ferroviaires sur les trajets de l'ouest, a agi unilatéralement d'une façon qui a contrecarré cet objectif.

81.
    En premier lieu, la Commission disposait d'un ensemble de documents, qu'elle cite aux points 152 à 154 de la décision, dont l'existence n'a pas été contestée par la requérante et dont le contenu tend à confirmer que la DB était, en réalité, responsable de la fixation des tarifs au sein de l'accord MCN et, partant, du maintien des différences tarifaires. Ainsi, le procès-verbal d'une séance plénière du conseil d'administration d'Intercontainer fait état d'une déclaration d'un représentant de la SNCB selon laquelle le comité de gérance «a été court-circuité par la DB». De même, une note interne d'Intercontainer indique que «les trafics des ports du nord se déroulent sous régie directe et exclusive de la Transfracht et de la DB sans participation du [comité de gérance]. Dans la pratique, il s'est en outre avéré que le pouvoir décisionnel en matière tarifaire n'émane pas du [comité de gérance]». Enfin, certaines propositions formulées par la DB, consignées sur le procès-verbal d'une réunion entre les représentants des ports de l'ouest et la DB, la SNCB et les NS, impliquent sans ambiguïté que la DB disposait d'un pouvoir lui permettant de contrôler le niveau des tarifs tant sur les trajets de l'ouest que sur ceux du nord. La DB notamment a proposé, lors de ladite réunion, de «[réexaminer] le niveau des prix [...] compte tenu du contexte politique allemand» en vue d'obtenir ainsi une «réduction de l'écart de 50 % au 1er janvier 1990» et une «nouvelle réduction au 1er juillet 1990».

82.
    Plusieurs indices étayaient donc l'appréciation de la Commission selon laquelle la DB et Transfracht se sont servies de la position de blocage que leur conférait l'exigence d'unanimité applicable au processus décisionnel au sein du comité de gérance (voir point 6 ci-dessus) pour empêcher une baisse des tarifs d'Intercontainer. Contrairement à ce que soutient la requérante, la SNCB, les NS et Intercontainer n'étaient pas en mesure de se soustraire à un tel blocage en résiliant l'accord MCN. D'abord, une résiliation de l'accord MCN n'aurait rien changé au fait que, sur chaque trajet reliant le port d'Anvers ou de Rotterdam avec une ville allemande, les entreprises ferroviaires et de transport opérant sur les territoires belge et néerlandais dépendaient de la coopération de la DB pour la

suite du trajet sur le territoire allemand. Ensuite, une résiliation de l'accord n'aurait rien changé au fait que la DB fixait en toute indépendance le niveau des tarifs des transports sur les trajets du nord et qu'elle influençait ainsi l'écart entre les tarifs sur les trajets de l'ouest et ceux sur les trajets du nord.

83.
    En second lieu, il est constant que la DB a unilatéralement établi au 1er juin 1988, c'est-à-dire trois mois à peine après la mise en vigueur de l'accord MCN, un nouveau système tarifaire, à savoir le système KLV-Neu. Cela a été confirmé par la requérante en réponse à une question posée par le Tribunal avant l'audience. Dans cette réponse, la requérante a également confirmé que le système KLV-Neu n'a mené à une baisse des prix qu'au profit des commissionnaires des transports ferroviaires de conteneurs maritimes transitant par les ports allemands, étant donné que ce système tarifaire était basé sur des mesures de rationalisation qui, dans la pratique, n'ont été appliquées qu'au trafic de conteneurs transitant par les ports du nord.

84.
    Il découle des constatations faites aux points précédents que les comportements de la DB pendant la période d'enquête ont directement contribué au maintien d'un écart entre les prix par kilomètre applicables aux transports transitant par les ports de l'ouest et ceux applicables aux transports transitant par les ports du nord.

85.
    A ce stade du raisonnement, il y a lieu d'examiner si ledit écart des prix par kilomètre était de nature discriminatoire et a ainsi affecté la position concurrentielle de certains opérateurs.

86.
    Aux fins de cet examen, il convient d'analyser les chiffres repris aux annexes 3 à 9 à la décision. Ces chiffres montrent que, à part la destination de Sarrebruck, pour chaque destination nettement plus proche de Rotterdam que de Hambourg et pour laquelle le transport par Rotterdam était donc objectivement plus avantageux, cet avantage commercial par rapport au transport par Hambourg était toujours contrebalancé soit par des prix absolus plus élevés pour les transports vers Rotterdam, soit par une pratique de prix absolus égaux. Parmi les prix absolus inégaux se trouvent, par exemple, ceux pratiqués pour les transports de conteneurs vides entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1991 (annexe 3) vers Duisbourg, Bochum, Wuppertal, Mannheim et Karlsruhe. Ces prix absolus se traduisent en écarts de prix par kilomètre de 77,6 % (Duisbourg), 56,5 % (Bochum), 42 % (Wuppertal), 16,5 % (Mannheim) et 22,6 % (Karlsruhe). Parmi les prix absolus égaux se trouvent, par exemple, ceux pratiqués à partir du 1er janvier 1992 (annexe 7) pour les transports de conteneurs chargés vers Francfort, Karlsruhe, Duisbourg, Düsseldorf, Wuppertal et Bochum. Ces prix se traduisent en écarts de prix par kilomètre de 4,6 % (Francfort), 11,35 % (Karlsruhe), 58 % (Düsseldorf), 28 %(Wuppertal) et 20,9 % (Bochum)). En outre, il apparaît que, avec la seule exception de la destination de Sarrebruck, les prix absolus appliqués aux transports en provenance ou à destination de Rotterdam n'étaient pour aucune ville en Allemagne, qu'elle ait été plus proche de Rotterdam ou de Hambourg, inférieurs

aux prix absolus appliqués aux transports en provenance ou à destination de Hambourg. Il en était ainsi, par exemple, des prix KLV pratiqués pour les transports de conteneurs à partir du 1er juillet 1991 (annexe 9) vers Francfort (prix absolu de 857 DM vers Rotterdam, contre 833 DM vers Hambourg), Düsseldorf (653 DM, contre 618 DM) et Mayence (867 DM, contre 843 DM), d'une part (villes plus proches de Rotterdam que de Hambourg), et vers Augsbourg (1 456 DM, contre 1 415 DM), Munich (1 520 DM, contre 1 410 DM) et Ratisbonne (1 386 DM, contre 1 334 DM), d'autre part (villes plus proches de Hambourg)). Le Tribunal estime que cette pratique a consolidé artificiellement une situation tarifaire protectrice des transports ferroviaires transitant par les ports du nord et doit être considérée comme l'imposition de conditions tarifaires inégales, au détriment de la position concurrentielle des entreprises opérant sur les trajets ferroviaires de l'ouest vis-à-vis de celles opérant sur les trajets ferroviaires du nord.

87.
    La requérante a déclaré que les différences de prix par kilomètre tenaient au fait que les coûts de prestation étaient plus élevés sur les trajets de l'ouest que sur les trajets du nord, ainsi qu'au fait que le transport ferroviaire était soumis à une concurrence intermodale plus forte sur les trajets de l'ouest que sur les trajets du nord.

88.
    Le Tribunal constate, en premier lieu, que la différence de coûts invoquée par la requérante a partiellement été créée par la DB elle-même. Celle-ci a notamment pris, au sein du système tarifaire KLV-Neu, plusieurs mesures de rationalisation, telles qu'une augmentation de l'utilisation de trains directs et complets, une concentration sur le trafic de nuit et sur les transports vers certains terminaux à l'exploitation rationalisée. Ces mesures ont permis une réduction des coûts, mais uniquement pour le trafic vers et en provenance des ports allemands (voir le point 83).

89.
    Il convient de préciser, à cet égard, que la requérante n'a avancé aucun argument susceptible de démontrer que les prestations de services ferroviaires pour les transports vers les ports belges et néerlandais devaient nécessairement être exclues des mesures de rationalisation prises dans le cadre du système KLV-Neu et, ainsi, de l'ensemble des mesures de réduction de coûts prises par la DB. L'argument selon lequel les mesures de rationalisation introduites par le système KLV-Neu ne pouvaient être appliquées au trafic via les ports de l'ouest en raison du faible volume de celui-ci et de l'impossibilité qui en résultait de constituer des trains directs et complets ne saurait, à cet égard, convaincre. La requérante a par ailleurs déclaré à deux reprises, en réponse à des questions du Tribunal posées lors de l'audience, que des trains complets étaient constitués sur les trajets de l'ouest.

90.
    Pour autant que la requérante a invoqué un coût propre aux trajets de l'ouest, à savoir celui résultant du changement de locomotive et de la reconstitution de wagons à la frontière, le Tribunal considère qu'un tel coût ne peut représenter qu'une partie restreinte des coûts encourus pour la prestation de l'ensemble des services en question (la mise à disposition de locomotives et la traction des trains

sous tous leurs aspects), et qu'il n'est dès lors pas susceptible de justifier les différences de prix constatées. Il ressort, en outre, des chiffres qui figurent à l'annexe 15 à la décision et qui ne sont pas contestés entre les parties que le total des tarifs réclamés par la DB, d'une part, et les NS, d'autre part, à Intercontainer pour leurs prestations de services ferroviaires sur les trajets reliant les villes allemandes et le port de Rotterdam était, en moyenne, inférieur au tarif réclamé par la DB à Transfracht pour ses prestations de services ferroviaires sur les trajets du nord. Dans ces conditions, les coûts directement afférents aux services rendus par les entreprises ferroviaires devaient logiquement être inférieurs sur les trajets de l'ouest à ceux encourus sur les trajets du nord.

91.
    En deuxième lieu, le Tribunal considère que le degré plus intense de concurrence entre les transporteurs ferroviaires, d'une part, et les transporteurs routiers et fluviaux, d'autre part, sur les trajets de l'ouest ne saurait expliquer le niveau plus élevé des tarifs pratiqués par Intercontainer sur ces trajets, comparés aux tarifs pratiqués par Transfracht sur les trajets du nord. En effet, à supposer que le caractère plus intense de la concurrence intermodale sur les trajets de l'ouest puisse justifier une différence de prix, force est de constater que, d'un point de vue commercial, seule une différence en faveur des tarifs pratiqués sur les trajets de l'ouest pourrait logiquement en découler.

92.
    Dans la mesure où la requérante expose que la différence de situation concurrentielle entache, en outre, la définition géographique du marché faite par la Commission, il suffit de constater que la définition du marché géographique n'exige pas que les conditions objectives de concurrence entre les opérateurs économiques soient parfaitement homogènes, mais uniquement qu'elles soient «similaires» ou «suffisamment homogènes», et que, dès lors, seules les zones dans lesquelles les conditions objectives de concurrence sont «hétérogènes» ne peuvent être considérées comme constituant un marché uniforme (arrêts United Brands/Commission, précité, points 11 et 53 et Tetra Pak/Commission, précité, points 91 et 92). En l'espèce, le degré plus intense de la concurrence intermodale sur les trajets de l'ouest ne saurait conduire à qualifier les conditions objectives de concurrence existantes sur ces trajets de «hétérogènes» par rapport à celles existantes sur les trajets du nord.

93.
    Il ressort de ce qui précède que la Commission a apporté des preuves suffisantes au support de ses conclusions concernant les comportements de la DB et qu'elle a établi à suffisance de droit que, par ses comportements, la DB a imposé des conditions inégales pour des prestations équivalentes, infligeant ainsi à ses partenaires commerciaux opérant sur les trajets de l'ouest un désavantage dans la concurrence vis-à-vis d'elle-même et de sa filiale Transfracht. En conséquence, la deuxième branche du moyen doit également être rejetée.

94.
    Il s'ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté dans son intégralité.

95.
    Cette conclusion ne saurait être infirmée par le grief supplémentaire que la requérante a soulevé dans sa réplique et lors de la procédure orale, selon lequel les conclusions de la Commission relatives à la constatation d'un abus de position dominante de la part de la DB seraient insuffisamment motivées, ce qui constituerait une violation de l'article 190 du traité. A cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, la production d'un moyen nouveau en cours d'instance est interdite à moins que ce moyen ne se fonde sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Le Tribunal considère que le grief tiré d'une violation de l'article 190 du traité constitue un moyen nouveau qui ne repose pas sur des éléments qui se sont révélés pendant la procédure, de sorte qu'il ne pouvait pas être soulevé pour la première fois en cours d'instance.

96.
    En tout état de cause, en procédant successivement à l'analyse du «rôle déterminant de la DB pour la fixation des tarifs de transport des conteneurs maritimes en provenance ou à destination de l'Allemagne» (points 143 à 156 de la décision), des «tarifs de Transfracht et Intercontainer» (points 162 à 177 de la décision), de la «position des entreprises en cause quant à la nature discriminatoire des différences tarifaires» et notamment de la «position du groupe DB/Transfracht» (points 185 à 190 de la décision), et des situations concurrentielles et des coûts de production (points 199 à 248 de la décision) et en établissant un lien entre ces analyses, la Commission a expliqué de façon circonstanciée dans sa décision la raison pour laquelle elle a estimé que la DB a abusé de sa position dominante, ce qui a permis au Tribunal d'exercer son contrôle de légalité. De même, tant dans sa requête que pendant la suite de la procédure, la requérante a répondu à des raisonnements développés par la Commission dans la décision quant à la constatation d'un abus de position dominante, ce qui démontre que la décision lui a fourni les indications nécessaires lui permettant de défendre ses droits. Dans ces circonstances, un défaut de motivation ne saurait être constaté (voir l'arrêt de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88, Rec. p. I-395, point 15, et l'arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 65).

Troisième moyen, tiré d'une violation des droits de la défense

Arguments des parties

97.
    La requérante rappelle qu'elle a demandé à la Commission, après la notification de la décision, de pouvoir consulter le dossier et que la Commission a rejeté cette demande. Elle expose que la consultation demandée était essentielle afin de permettre à son conseil de préparer utilement la procédure contentieuse. Le fait qu'une consultation avait été autorisée au cours de la procédure précontentieuse ne serait, à cet égard, pas pertinent, étant donné qu'à cette époque-là tant l'entreprise concernée que le conseil avaient une autre identité. En tout état de cause, la requérante affirme ne pas être en possession des copies faites par le conseil de la DB lors de son examen du dossier.

98.
    La requérante précise aussi que la loi allemande du 27 décembre 1993 portant réorganisation des chemins de fer a créé un nouvel organisme, le «Bundeseisenbahnvermögen», comme successeur officiel de la DB. Elle en déduit que ni son identité ni ses droits ne peuvent être assimilés à ceux de la DB. Par conséquent, le refus de la Commission de lui donner accès au dossier aurait privé la requérante, qui n'existe que depuis janvier 1994, de tout droit à cet égard. Cela équivaudrait à une violation des droits de la défense, entachant la décision attaquée d'un vice de procédure substantiel.

99.
    Le refus de la Commission de tenir compte du changement d'identité de l'entreprise aurait entraîné, en outre, une méconnaissance de l'obligation de motivation. La requérante déduit notamment de la jurisprudence du Tribunal que, lorsqu'une décision d'application des articles 85 et 86 du traité inflige une amende à une entreprise qui est considérée comme entrant en ligne de compte pour l'infraction commise par une autre entreprise, elle doit contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l'imputabilité de l'infraction à l'entreprise à laquelle l'amende est infligée (arrêt du Tribunal du 28 avril 1994, AWS Benelux/Commission, T-38/92, Rec. p. II-211, points 26 et 27). Or, la décision attaquée ne contiendrait aucune motivation de cet ordre.

100.
    La défenderesse souligne que le droit d'accès au dossier s'éteint au moment où la procédure administrative est clôturée. Elle précise que, dès qu'une décision a été adoptée et notifiée, les droits de la défense du destinataire sont garantis par la possibilité d'attaquer la décision en justice.

101.
    La défenderesse fait remarquer au surplus que, en tout état de cause, un changement d'avocat ne peut avoir aucune répercussion sur le droit d'accès au dossier, étant donné que l'accès au dossier est un droit conféré à l'entreprise concernée et non aux avocats individuels de celle-ci. La circonstance que, dans cette affaire, l'entreprise a elle-même changé d'identité ne serait pas pertinente non plus, étant donné que la requérante est le successeur tant économique que juridique de la DB et que, par conséquent, ses droits et obligations sont identifiables avec les droits et obligations de la DB, y compris le droit, que celle-ci a exercé lors de la procédure précontentieuse, de consulter le dossier.

Appréciation du Tribunal

102.
    Le Tribunal constate que la demande de la requérante tendant à avoir accès au dossier a été formulée auprès de la Commission après l'adoption et la notification de la décision, qu'il s'agit donc d'un élément postérieur à l'adoption de celle-ci et que, par conséquent, la légalité de cette dernière ne peut, en aucun cas, être affectée par le refus de la Commission d'accorder l'accès demandé (voir l'arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Baustahlgewebe/Commission, T-145/89, Rec. p. II-987, point 30, ainsi que l'arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 40).

103.
    En conséquence, le troisième moyen doit être rejeté.

104.
    Cette conclusion ne saurait être infirmée par le fait que la requérante a soulevé un autre grief d'ordre procédural, tiré d'une insuffisance de motivation quant à la mise à sa charge de l'infraction constatée. A cet égard, il convient de constater que ledit grief a été présenté pour la première fois au stade de la réplique. Bien qu'il ait été présenté dans le cadre de l'argumentation portant sur l'accès au dossier, le Tribunal estime qu'il est, dans sa substance, distinct de la question de l'accès au dossier, ainsi que des autres questions soulevées dans la requête, et qu'il doit dès lors être considéré comme un moyen indépendant et nouveau. Étant donné qu'il ne repose pas sur des éléments de droit et de faits qui se sont révélés pendant la procédure, le Tribunal estime que la requérante n'était pas en droit de le soulever en cours d'instance (voir, à titre similaire, le point 95).

105.
    En tout état de cause, le grief tiré d'une insuffisance de motivation dont la requérante s'est plaint dans son mémoire en réplique ne saurait être accueilli. En effet, la Commission a indiqué, au point 13 de la décision, que la requérante constitue, depuis le 1er janvier 1994, le successeur de la DB. Le Tribunal estime que cette précision explique à suffisance la raison pour laquelle la Commission a considéré qu'elle était en droit d'enjoindre à la requérante de mettre fin à l'infraction à l'article 86 du traité commise par la DB et de la condamner à payer une amende en raison de la même infraction (articles 3 et 4 de la décision). Cette appréciation de la Commission est, par ailleurs, tout à fait correcte dans le cadre du présent litige, puisqu'il ressort de la loi allemande portant réorganisation des chemins de fer et créant le Bundeseisenbahnvermögen que la requérante a recueilli, par l'intermédiaire du Bundeseisenbahnvermögen, le patrimoine de la DB dans la mesure où cela était nécessaire pour la fourniture de services ferroviaires et l'exploitation de l'infrastructure ferroviaire.

106.
    La présente espèce diffère, en outre, des faits à l'origine de l'arrêt AWS Benelux/Commission, précité, dans lequel le Tribunal a jugé qu'une motivation circonstanciée de l'imputabilité de l'infraction à l'entreprise sanctionnée était nécessaire au motif que les comportements incriminés concernaient une pluralité d'entreprises. Dans cette autre affaire, plusieurs entreprises avaient été impliquées dans la procédure administrative, ce qui avait entraîné des questions complexes quant à l'imputabilité de l'infraction lorsque celle-ci a finalement été constatée. Or, dans le cas d'espèce, l'infraction sanctionnée par la Commission n'a été commise que par une seule entreprise, la DB. La motivation de l'imputabilité de cette infraction à la requérante pouvait donc se réduire à la simple constatation que celle-ci a succédé à la DB.

Quatrième moyen, tiré d'une violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration

Arguments des parties

107.
    La requérante fait observer que la Commission connaissait depuis longtemps la politique tarifaire de la DB et qu'elle a, à plusieurs reprises, qualifié cette politique de conforme au droit communautaire.

108.
    Dans ce cadre, la requérante rappelle que, par question parlementaire écrite n° 1720/81, du 9 février 1982, il avait été demandé à la Commission d'indiquer quand et comment elle mettrait fin «à la distorsion de concurrence entre les ports ouest-allemands et néerlandais de la mer du Nord due aux tarifs discriminatoires de la société des chemins de fer allemands» et qu'elle a répondu à cette question en disant que, «jusqu'à présent, toutes les enquêtes au sujet de ces tarifs ou [de] ce système tarifaire ont conduit à la constatation que les différences entre les prix de transport ferroviaires vers les ports de mer néerlandais et vers les ports de mer allemands ne sont pas dues à l'existence de tarifs discriminatoires. Il s'agit en l'occurrence de tarifs de concurrence correctement calculés que la DB prend en tenant compte des prix de revient et de la situation du marché dans son propre intérêt commercial» (JO C 198, p. 2). Dans sa réponse à une nouvelle question parlementaire en 1983, la Commission a répété cette prise de position (réponse à la question écrite n° 664/83, JO C 308, p. 13).

109.
    En 1986, à l'occasion d'une autre question parlementaire, la Commission aurait de nouveau entériné les différences entre les prix pratiqués sur le marché des transports en trafic national allemand et ceux pratiqués sur le marché des transports en trafic international en répondant que «[s]ur ces différents marchés, très concurrencés, les sociétés [Transfracht et Intercontainer] appliquent [...] des prix de transport tenant compte des prix pratiqués par les transporteurs concurrents» et que, par conséquent, «les prix pratiqués par la société Transfracht ne peuvent pas être considérés comme une aide de nature à créer une distorsion de concurrence» (réponse à la question écrite n° 911/86, JO 1987, C 198, p. 6).

110.
    La requérante souligne que la décision attaquée est en pleine contradiction avec ces prises de position devant le Parlement. Elle estime que, en modifiant aussi profondément et soudainement sa politique des transports, sans même avoir annoncé un tel changement par une communication au Journal officiel, la Commission a gravement violé les principes de sécurité juridique et de bonne administration.

111.
    La défenderesse estime qu'elle n'a pas créé une situation de confiance dans le chef de la requérante. Elle souligne qu'elle ne s'est prononcée, dans aucune des trois prises de position devant le Parlement citées par la requérante, sur la légitimité des pratiques tarifaires de la DB au regard des règles communautaires de concurrence, mais qu'elle a uniquement indiqué qu'elle ne disposait pas, à l'époque, d'éléments d'information lui permettant de conclure à une violation de ces règles. La défenderesse ajoute, par ailleurs, qu'elle a encore pris position devant le Parlement, sur le même sujet, en avril 1989, lors de sa réponse à la question écrite n° 2172/88 (JO 1989, C 255, p. 23). Elle souligne que, à cette occasion, elle s'est de nouveau

abstenue, par manque d'informations, de se prononcer sur la légitimité du comportement de la DB et qu'elle a remarqué que, «si les parties intéressées étaient disposées à informer la Commission des raisons pour lesquelles elles considèrent ces tarifs comme discriminatoires, la question pourrait être examinée avec les autorités compétentes».

112.
    La défenderesse observe, au surplus, que les prises de position citées ne sont pas pertinentes pour la présente affaire, puisqu'elles datent des années 1982, 1983 et 1986, et d'avril 1989, tandis que la décision attaquée concerne les comportements de la DB dans le cadre de l'accord MCN entre le 1er octobre 1989 et le 31 juillet 1992.

Appréciation du Tribunal

113.
    Selon une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire (arrêt de la Cour du 15 février 1996, Duff e.a., C-63/93, Rec. p. I-569, point 20). A cette fin, il est essentiel que les institutions communautaires respectent l'intangibilité des actes qu'elles ont adoptés et qui affectent la situation juridique et matérielle des sujets de droit, de sorte qu'elles ne pourront modifier ces actes que dans le respect des règles de compétence et de procédure (arrêts du Tribunal du 27 février 1992, BASF e.a./Commission, T-79/89, T-84/89, T-85/89, T-86/89, T-89/89, T-91/89, T-92/89, T-94/89, T-96/89, T-98/89, T-102/89 et T-104/89, Rec. p. II-315, point 35, et du 6 avril 1995, BASF e.a./Commission, T-80/89, T-81/89, T-83/89, T-87/89, T-88/89, T-90/89, T-93/89, T-95/89, T-97/89, T-99/89, T-100/89, T-101/89, T-103/89, T-105/89, T-107/89 et T-112/89, Rec. p. II-729, point 73).

114.
    Le Tribunal estime que les réponses de la Commission aux questions parlementaires citées par la requérante n'ont pas produit d'effets juridiques obligatoires et n'étaient pas de nature à affecter la situation juridique et matérielle de la DB. Il convient de constater, de plus, que les réponses de la Commission, pour autant qu'elles concernent les pratiques tarifaires de la DB, étaient formulées avec beaucoup de réserve. Notamment, dans sa réponse à la question écrite n° 1720/81, la Commission a accompagné son appréciation de la politique tarifaire de la DB de la mention «jusqu'à présent» et a souligné qu'elle était «disposée à examiner le cas soulevé par l'honorable parlementaire si des informations plus précises étaient fournies, notamment les relations de trafic visées et les prix et conditions de transport appliqués». Par conséquent, la décision attaquée, qui repose précisément sur de telles «informations plus précises», ne contredit pas les réponses faites par la Commission au Parlement et ne modifie donc pas leur portée.

115.
    Il s'ensuit que la requérante ne pouvait ni tirer une exigence de sécurité juridique des prises de position de la Commission devant le Parlement, ni prétendre avoir placé une confiance légitime dans celles-ci.

116.
    Enfin, le fait que la Commission a accompagné ses réponses au Parlement de réserves et a ensuite, lorsqu'elle a eu disposé d'informations plus précises par la voie d'une plainte et des mesures d'instruction prises dans le cadre de la procédure administrative, développé une attitude plus ferme et critique n'est pas incompatible avec les exigences d'une bonne administration, mais constitue plutôt un exemple illustratif de celles-ci.

117.
    Par conséquent, le quatrième moyen doit aussi être rejeté.

Sur les conclusions subsidiaires tendant à l'annulation de l'amende ou à la réduction de son montant

Arguments des parties

118.
    La requérante estime que l'amende qui lui a été infligée constitue une violation du principe de proportionnalité. Il en serait ainsi tout d'abord parce que la Commission n'a constaté, pendant vingt ans, aucune infraction dans le domaine des transports ferroviaires, bien qu'elle ait eu une parfaite connaissance des pratiques des entreprises ferroviaires. Selon la requérante, une amende doit être annulée, ou au moins être réduite, si la Commission a hésité à intervenir contre de prétendues distorsions de concurrence (arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, points 51 et 52).

119.
    Le montant de l'amende serait également disproportionné par rapport à la gravité de la prétendue infraction. En effet, les conséquences de l'infraction que la Commission considère comme démontrées ne se seraient, en réalité, pas produites. La requérante relève, à cet égard, que les pratiques tarifaires examinées n'ont pas entraîné une quelconque perte pour les entreprises regroupées dans l'association plaignante et qu'elles n'ont pas entraîné, sur le marché des transports transitant par les ports de l'ouest en général, un déplacement des commissionnaires de transport belges et néerlandais vers d'autres modes de transport. Elle ajoute qu'un tel transfert était même théoriquement à peine possible, étant donné que les modesde transports routier et fluvial étaient déjà les plus utilisés sur ce marché.

120.
    La requérante reproche finalement à la Commission le fait que celle-ci, contrairement à ses pratiques administratives en matière de calcul d'amendes, a calculé les limites imposées par l'article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1017/68 sur la base du chiffre d'affaires total de la DB (12,9 milliards d'écus pour l'année 1993), et non pas sur le chiffre d'affaires réalisé pour le trafic de conteneurs (461 millions de DM pour l'année 1993).

121.
    La défenderesse confirme que l'amende attaquée est la première qui a été infligée sur la base du règlement n° 1017/68, mais elle estime que cette circonstance ne devait pas influencer la fixation du montant. Le montant de l'amende serait

pleinement justifié, étant donné que la DB était bien consciente de la discrimination qu'elle pratiquait, et qu'elle ne s'est pas montrée disposée à y mettre fin.

122.
    Le comportement de la DB aurait eu, de plus, des conséquences graves. La défenderesse rappelle, à cet égard, que pendant la période 1989-1991, le trafic transitant par les ports du nord a augmenté de 20 % et le trafic transitant par les ports de l'ouest a diminué de 10 %. La défenderesse admet que le rapport d'expertise tend à démontrer que les flux de trafic sont restés plus ou moins constants au cours de la période d'enquête, mais elle ajoute que, à supposer même que ces calculs soient exacts, le comportement de la DB devrait toujours être considéré comme ayant tendu à empêcher une augmentation de la part du chemin de fer dans le transport de conteneurs sur les trajets de l'ouest, ce qui constitue, de ce fait seul, une infraction grave aux règles de concurrence.

123.
    La défenderesse rappelle encore que, selon la jurisprudence du Tribunal, la Commission n'est pas tenue d'annoncer qu'elle a l'intention d'infliger une amende. Elle souligne également qu'elle a ouvert l'enquête dès qu'elle a reçu une plainte. Elle indique, enfin, que le montant de l'amende infligée se situe dans les limites fixées par l'article 22 du règlement n° 1017/68.

Appréciation du Tribunal

124.
    A titre liminaire, il y a lieu de relever que l'article 22 du règlement n° 1017/68 donne à la Commission le pouvoir d'infliger une amende pour violation de l'article 8 du même règlement. Le Tribunal estime que la circonstance que la Commission a constaté une infraction à l'article 86 du traité et non pas à l'article 8 du règlement n° 1017/68 ne l'empêchait pas d'infliger une amende en vertu de l'article 22 du règlement n° 1017/68, étant donné que les dispositions applicables de l'article 8 du règlement n° 1017/68 ont le même libellé et la même portée que celles de l'article 86 du traité (voir le point 77). Le choix de l'article 22 du règlement n° 1017/68 comme base juridique pour l'infliction de l'amende n'a, par ailleurs, pas été contesté par la requérante.

125.
    Également à titre liminaire, il y a lieu de relever que, en application de l'article 24 du règlement n° 1017/68, le Tribunal statue avec compétence de pleine juridiction, au sens de l'article 172 du traité, sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte.

126.
    S'agissant du calcul de l'amende, le Tribunal constate que la Commission a respecté le seuil maximal de 10 % indiqué à l'article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1017/68. Aux termes dudit article, la Commission peut infliger des amendes allant jusqu'à 10 % du «chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction». Selon une jurisprudence bien établie, il est loisible, dans ce cadre, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise que de la part de ce chiffre qui provient

des prestations faisant l'objet de l'infraction (arrêt Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, précité, point 233). Compte tenu des données fournies par les parties, l'amende de 11 millions d'écus correspond à moins de 0,1 % du chiffre d'affaires réalisé par la DB en 1993 et à moins de 5 % du chiffre d'affaires réalisé par la DB en 1993 dans le trafic de conteneurs. Il s'ensuit que la Commission est restée à tous égards au-dessous du seuil prévu à l'article 22 du règlement n° 1017/68.

127.
    Pour ce qui est de la fixation du montant de l'amende à l'intérieur des limites quantitatives prévues à l'article 22 du règlement n° 1017/68, il convient de rappeler que les amendes constituent un instrument de la politique de concurrence de la Commission et que celle-ci doit dès lors disposer d'une marge d'appréciation dans la fixation de leur montant, afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêts du Tribunal Martinelli/Commission, précité, point 59, et du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 53). Il incombe néanmoins au Tribunal de contrôler si le montant de l'amende infligée est proportionné par rapport à la durée et aux autres éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité de l'infraction, tels que l'influence que l'entreprise a pu exercer sur le marché, le profit qu'elle a pu tirer de ses pratiques, le volume et la valeur des prestations concernées et le risque que l'infraction représente pour les objectifs de la Communauté (voir l'arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion Française e.a./Commission, 100/80, 101/80, 102/80 et 103/80, Rec. p. 1825, points 120 et 129).

128.
    Dans la présente espèce, le Tribunal estime que la DB ne pouvait ignorer que, par leur ampleur, leur durée et leur caractère systématique, ses comportements favorisaient considérablement les transports transitant par les ports allemands et entraînaient ainsi des restrictions sérieuses à la concurrence. Il s'ensuit que la Commission a légalement pu considérer que l'infraction avait été commise de propos délibéré (voir, à cet égard, l'arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61/89, Rec. p. II-1931, point 157). La Commission a en outre tenu compte, à juste titre, de la durée relativement longue (au moins deux ans et dix mois) de l'infraction, du fait que la DB ne s'est aucunement engagée à modifier ses pratiques suite à l'envoi de la communication des griefs, et des avantages commerciaux que la DB pouvait tirer de son infraction.

129.
    Il ressort des considérations qui précèdent que la Commission disposait d'éléments qui mettaient en évidence une gravité considérable de l'abus constaté et que dès lors le montant de l'amende infligée, et notamment le pourcentage du chiffre d'affaires qu'il représente, ne présente pas un caractère disproportionné.

130.
    Contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n'était pas obligée de fixer un montant plus modéré à cause de l'absence d'inflictions précédentes d'amendes dans le secteur concerné. A cet égard, il convient de rappeler que le

caractère inédit d'une décision ne saurait être invoqué en faveur d'une réduction d'amende, dès lors que la gravité de l'abus de position dominante et de ses restrictions à la concurrence est constante (arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 239; arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C-333/94 P, Rec. p. I-5951, points 46 à 49). Aussi, la requérante ne saurait reprocher à la Commission d'avoir hésité à intervenir et d'avoir ainsi contribué elle-même à la durée de l'infraction. A cet égard, il suffit de constater que la Commission a ouvert une enquête dès la réception d'une plainte portant sur les pratiques tarifaires de la requérante.

131.
    Au vu de ce qui précède, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu d'annuler l'amende infligée à la requérante ni de la réduire.

132.
    Il découle de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

133.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions et la Commission ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de condamner la requérante aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante est condamnée aux dépens.

Saggio

Kalogeropoulos
Tiili

            Moura Ramos                    Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 octobre 1997.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. Saggio


1: Langue de procédure: l'allemand.