Language of document : ECLI:EU:T:2017:874

ARRÊT DU TRIBUNAL (chambre des pourvois)

7 décembre 2017 (*)

 « Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Assassinat d’un fonctionnaire et de son épouse – Règle de concordance entre demande, réclamation et recours en matière indemnitaire – Obligation d’assurer la sécurité du personnel au service de l’Union – Lien de causalité – Préjudice matériel – Responsabilité in solidum – Prise en considération des prestations prévues par le statut – Préjudice moral – Responsabilité d’une institution dans le préjudice moral d’un fonctionnaire décédé – Responsabilité d’une institution dans le préjudice moral des ayants droit d’un fonctionnaire décédé » 

Dans l’affaire T‑401/11 P‑RENV‑RX,

Stefano Missir Mamachi di Lusignano, demeurant à Shanghai (Chine), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Mes F. Di Gianni, G. Coppo et A. Scalini, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. G. Gattinara et D. Martin, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (première chambre) du 12 mai 2011, Missir Mamachi di Lusignano/Commission (F‑50/09, EU:F:2011:55), et tendant à l’annulation de cet arrêt,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois),

composé de MM. M. Jaeger (rapporteur), président, S. Frimodt Nielsen et S. Papasavvas, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt  (2)

1        La présente procédure fait suite à l’arrêt du 10 septembre 2015, Réexamen Missir Mamachi di Lusignano/Commission (C‑417/14 RX–II, ci-après l’« arrêt sur réexamen », EU:C:2015:588), par lequel la Cour, après avoir constaté que l’arrêt du 10 juillet 2014, Missir Mamachi di Lusignano/Commission (T‑401/11 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:T:2014:625), ayant pour objet un pourvoi formé contre l’arrêt du 12 mai 2011, Missir Mamachi di Lusignano/Commission (F‑50/09, ci-après l’« arrêt de première instance », EU:F:2011:55), portait atteinte à l’unité du droit de l’Union européenne, a annulé partiellement l’arrêt sur pourvoi et renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

 Faits à l’origine du litige

2        M. Alessandro Missir Mamachi di Lusignano (ci-après « Alessandro Missir Mamachi ») a été assassiné le 18 septembre 2006 avec son épouse à Rabat (Maroc), où il devait prendre ses fonctions de conseiller politique et diplomatique à la délégation de la Commission des Communautés européennes. L’assassinat a été commis dans une maison meublée louée par cette délégation pour Alessandro Missir Mamachi, son épouse et leurs quatre enfants.

3        À la suite de cet évènement, les enfants ont été placés sous la tutelle de leur grand-père paternel, M. Livio Missir Mamachi di Lusignano (ci-après « Livio Missir Mamachi »), et de leur grand-mère paternelle.

4        La Commission a versé aux enfants d’Alessandro Missir Mamachi, en leur qualité d’héritiers de celui-ci, notamment, la somme de 414 308,90 euros à titre de capital-décès, conformément à l’article 73 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), ainsi que la somme de 76 628,40 euros en raison du décès du conjoint, sur le fondement de l’article 25 de l’annexe X du statut. En outre, à partir du 1er janvier 2007, la Commission a reconnu à ces enfants le droit à la pension d’orphelin prévue à l’article 80 du statut et à l’allocation scolaire visée à l’annexe VII du statut.

5        Par lettre du 25 février 2008 adressée à la Commission, Livio Missir Mamachi a exprimé son désaccord en ce qui concerne le montant des sommes versées à ses petits-enfants. La décision prise par la Commission en réponse à cette lettre ne lui ayant pas donné satisfaction, il a présenté, par note du 10 septembre 2008, une réclamation contre cette décision sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut, faisant valoir que la responsabilité de la Commission était engagée pour une faute de service commise par celle-ci en raison de manquements à l’obligation de protection de son personnel. Il invoquait également la responsabilité sans faute de la Commission et, à titre subsidiaire, la méconnaissance par celle-ci de l’article 24 du statut, en vertu duquel les Communautés européennes sont tenues de réparer solidairement le préjudice causé par un tiers à l’un de leurs agents.

6        Cette réclamation a été rejetée par la Commission par décision du 3 février 2009.

 Arrêt de première instance

7        Livio Missir Mamachi a introduit un recours devant le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne, soutenant que la Commission avait manqué à l’obligation de protection de son personnel. Ledit recours visait, d’une part, à l’annulation de la décision du 3 février 2009 rejetant sa réclamation et, d’autre part, à la réparation, premièrement, du préjudice matériel subi par les enfants d’Alessandro Missir Mamachi, en leur nom, deuxièmement, du préjudice moral subi par ces enfants, en leur nom, troisièmement, du préjudice moral subi par lui-même en tant que père d’Alessandro Missir Mamachi, en son nom, et, quatrièmement, du préjudice moral subi par Alessandro Missir Mamachi, au nom de ses enfants, ceux-ci venant aux droits de leur père.

8        Par l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique a rejeté le recours comme étant en partie irrecevable, pour ce qui était des préjudices moraux allégués, et en partie non fondé, pour ce qui était des préjudices matériels invoqués.

9        En ce qui concerne les préjudices matériels invoqués, tout d’abord, le Tribunal de la fonction publique a jugé que, par ses manquements fautifs à l’obligation d’assurer la protection d’Alessandro Missir Mamachi, la Commission avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Quant au lien de causalité entre cette faute et le préjudice patrimonial allégué, le Tribunal de la fonction publique l’a estimé établi. Ensuite, le Tribunal de la fonction publique a jugé qu’il restait à déterminer la part de responsabilité de l’assassin dans la réalisation des dommages.

10      En prenant en considération les deux dommages invoqués par Livio Missir Mamachi, à savoir le double assassinat et la perte d’une chance de survie, ainsi que le fait que ce deuxième dommage était moins étendu que le premier, le Tribunal de la fonction publique a estimé, au point 197 de l’arrêt de première instance, que la Commission devait se voir attribuer la responsabilité de 40 % des dommages subis.

11      Quant à l’étendue du préjudice patrimonial, le Tribunal de la fonction publique a, au point 200 de l’arrêt de première instance, estimé que le préjudice matériel lié à la perte de revenus qui devait être pris en considération dans le présent litige s’établissait à la somme de 3 millions d’euros.

12      Enfin, après avoir rappelé, au point 201 de l’arrêt de première instance, que la Commission était tenue de réparer 40 % de ce préjudice, soit 1,2 million d’euros, le Tribunal de la fonction publique a relevé, au point 202 dudit arrêt, que les sommes que la Commission avait déjà versées et qu’elle continuerait de verser aux ayants droit, au-delà même des prestations normalement prévues par le statut, avoisinaient 1,4 million d’euros, montant qui pourrait être porté à environ 2,4 millions d’euros si les prestations concernées étaient versées jusqu’au vingt-sixième anniversaire de chacun des quatre enfants. Le Tribunal de la fonction publique a dès lors constaté, au point 203 de l’arrêt de première instance, que la Commission avait déjà entièrement réparé le préjudice matériel dont elle devait porter la responsabilité.

13      En conclusion de tout ce qui précède, le Tribunal de la fonction publique a jugé, au point 205 de l’arrêt de première instance, que le moyen du recours, bien que fondé, ne lui permettait pas d’accueillir les conclusions de Livio Missir Mamachi tendant à la réparation des préjudices matériels subis.

14      Livio Missir Mamachi a formé un pourvoi contre l’arrêt de première instance.

 Arrêt sur pourvoi

15      Dans l’arrêt sur pourvoi, le Tribunal a examiné d’office la compétence du Tribunal de la fonction publique pour connaître du recours en première instance. Le Tribunal a opéré, notamment, une distinction entre le dommage subi par Alessandro Missir Mamachi, d’une part, et les dommages subis par les enfants de ce dernier ainsi que par Livio Missir Mamachi, d’autre part.

16      S’agissant des préjudices matériels et moraux subis par Livio Missir Mamachi et par les enfants d’Alessandro Missir Mamachi, le Tribunal a jugé que le Tribunal de la fonction publique avait commis une erreur de droit en se déclarant compétent pour connaître du recours en ce que celui-ci visait à la réparation de ces préjudices et a conclu que l’affaire devait être renvoyée devant lui-même pour qu’il statue sur ces demandes en tant que juridiction de première instance.

17      En ce qui concerne le préjudice moral subi par Alessandro Missir Mamachi, et dont Livio Missir Mamachi demandait réparation au nom des enfants, le Tribunal, après avoir rappelé que le Tribunal de la fonction publique était compétent pour connaître de cette demande, a constaté que celui-ci, en accueillant une fin de non-recevoir soulevée par la Commission aux fins de contester la recevabilité de ladite demande, avait commis une erreur de droit en faisant une application erronée de la règle de concordance entre la demande en indemnité et la réclamation dirigée contre le rejet de cette demande.

 Arrêt sur réexamen

18      Sur proposition du premier avocat général, la Cour a décidé de réexaminer l’arrêt sur pourvoi. Par l’arrêt sur réexamen, la Cour, en substance, premièrement, a annulé l’arrêt sur pourvoi en ce qui concerne la répartition des compétences entre le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique, deuxièmement, a jugé que cet arrêt devait être considéré comme définitif en ce que, par celui-ci, le Tribunal avait jugé que le Tribunal de la fonction publique avait, dans l’arrêt de première instance, commis une erreur de droit en accueillant la première fin de non-recevoir soulevée par la Commission et en rejetant, pour ce motif, comme irrecevable la demande en réparation du préjudice moral subi par Alessandro Missir Mamachi et, troisièmement, a renvoyé l’affaire devant le Tribunal, afin que celui-ci statue sur les questions laissées en suspens.

 Procédure de renvoi devant le Tribunal et conclusions des parties

19      À la suite du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, il appartient à celui-ci de se prononcer, comme il a été indiqué au point 18 ci-dessus, sur les moyens qu’il n’a pas examinés dans le cadre de l’arrêt sur pourvoi.

20      Conformément à l’article 222, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le 12 octobre 2015, Livio Missir Mamachi et la Commission ont présenté leurs observations écrites sur les conséquences à tirer de l’arrêt sur réexamen pour la solution du litige.

21      Livio Missir Mamachi a réitéré les conclusions déjà formulées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt sur pourvoi, à savoir qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’arrêt de première instance ;

–        condamner la Commission à verser aux ayants droit d’Alessandro Missir Mamachi la somme de 3 975 329 euros à titre d’indemnisation du préjudice patrimonial subi ;

–        après avoir déclaré recevable la demande d’indemnisation du préjudice non patrimonial, condamner la Commission à verser :

–        aux ayants droit d’Alessandro Missir Mamachi, d’une part, la somme de 250 000 euros à titre d’indemnisation du préjudice non patrimonial subi par la victime avant sa mort et, d’autre part, la somme de 1 276 512 euros à titre d’indemnisation du préjudice non patrimonial subi par eux en tant qu’enfants de la victime et témoins de son tragique assassinat ;

–        à lui-même, la somme de 212 752 euros à titre d’indemnisation du préjudice non patrimonial subi en tant que père de la victime ;

–        condamner la Commission au versement des intérêts compensatoires et des intérêts de retard échus entre-temps ;

–        condamner la Commission aux dépens.

22      La Commission a également confirmé les conclusions énoncées dans le mémoire en réponse qu’elle avait déposé le 16 décembre 2011 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt sur pourvoi, par lesquelles elle demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        uniquement en ce qui concerne le préjudice moral subi par Alessandro Missir Mamachi entre le moment de son agression et celui de son décès, renvoyer l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique en vertu de l’article 13, paragraphe 1, de l’annexe I du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ;

–        rejeter le pourvoi comme irrecevable ou dénué de fondement ;

–        condamner Livio Missir Mamachi aux dépens.

23      Par lettre envoyée au greffe du Tribunal le 11 décembre 2015, le représentant de Livio Missir Mamachi a informé le Tribunal du décès de celui-ci et indiqué que ses héritiers, à savoir Mme Anne Sintobin (son épouse), M. Stefano Missir Mamachi di Lusignano (son fils), Mme Maria Missir Mamachi di Lusignano (sa fille), M. Carlo Missir Mamachi di Lusignano (le fils d’Alessandro Missir Mamachi, devenu majeur en cours d’instance) ainsi que M. Filiberto Missir Mamachi di Lusignano, M. Tommaso Missir Mamachi di Lusignanoet Mme Giustina Missir Mamachi di Lusignano (les enfants mineurs d’Alessandro Missir Mamachi, représentés par Mme Anne Sintobin), entendaient poursuivre la procédure devant le Tribunal. S’agissant du préjudice moral subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi, le représentant de Livio Missir Mamachi a précisé que M. Carlo Missir Mamachi di Lusignano, devenu majeur, agirait en son nom propre et que Mme Anne Sintobin deviendrait le représentant légal des trois enfants mineurs d’Alessandro Missir Mamachi à la place de Livio Missir Mamachi. En outre, il ressort du dossier que, le 30 juillet 2016, Mme Giustina Missir Mamachi di Lusignano est elle aussi devenue majeure. Ainsi, Mme Anne Sintobin, M. Stefano Missir Mamachi di Lusignano, Mme Maria Missir Mamachi di Lusignano, M. Carlo Missir Mamachi di Lusignano, M. Filiberto Missir Mamachi di Lusignano, M. Tommaso Missir Mamachi di Lusignano et Mme Giustina Missir Mamachi di Lusignano, les requérants, agissent au titre de diverses qualités. Les sept héritiers de Livio Missir Mamachi agissent en son nom en ce qui concerne l’indemnisation de son préjudice moral. M. Carlo Missir Mamachi di Lusignano et Mme Giustina Missir Mamachi di Lusignano, devenus majeurs en cours d’instance, agissent également en leur nom propre en ce qui concerne l’indemnisation de leurs préjudices et l’indemnisation du préjudice moral de leur père, en leur qualité d’héritiers de ce dernier. Enfin, M. Filiberto Missir Mamachi di Lusignano et M. Tommaso Missir Mamachi di Lusignano, mineurs, sont représentés par Mme Anne Sintobin en ce qui concerne la demande d’indemnisation de leurs préjudices matériel et moral ainsi que du préjudice moral de leur père. 

 En droit

24      À l’appui du pourvoi, les requérants soulèvent trois moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit commise par le Tribunal de la fonction publique en jugeant irrecevable la demande de réparation du préjudice moral subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi et par Livio Missir Mamachi, le deuxième, de l’erreur de droit commise par le Tribunal de la fonction publique en limitant à 40 % la responsabilité de la Commission et, le troisième, d’une erreur de droit commise par le Tribunal de la fonction publique en jugeant que le dommage matériel a été intégralement indemnisé par les prestations statutaires.

[omissis]

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal de la fonction publique en limitant à 40 % la responsabilité de la Commission

51      Les requérants reprochent, en substance, au Tribunal de la fonction publique d’avoir condamné la Commission au paiement d’une fraction du préjudice matériel, alors qu’elle aurait dû être condamnée au paiement de l’intégralité du préjudice, en premier lieu, à titre principal et, en second lieu, à titre solidaire. Ce moyen se compose de quatre branches. Les trois premières branches concernent la responsabilité principale de la Commission et la quatrième la responsabilité in solidum de la Commission.

52      Il y a lieu d’examiner tout d’abord les trois premières branches.

 Sur les trois premières branches du deuxième moyen, tirées de la responsabilité principale de la Commission

53      S’agissant de la première branche, les requérants soutiennent que le raisonnement du Tribunal de la fonction publique visant à exclure la responsabilité de la Commission à titre principal est illogique et contradictoire. Après avoir établi l’existence d’un lien de causalité « direct et certain » entre la faute de la Commission et le double assassinat, au point 183 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique aurait en effet affirmé, au point 192 dudit arrêt, que ladite faute n’avait pas eu pour conséquence « immédiate et inévitable » ce double assassinat, de sorte que la Commission ne pouvait pas s’en voir attribuer la responsabilité principale et entière.

54      Pour la Commission, les requérants confondent la faute, le lien de causalité et les conséquences liées à sa responsabilité. Au point 175 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique aurait établi l’existence d’une faute, consistant en l’absence de mise en œuvre de certaines mesures de sécurité. Au point 183 dudit arrêt, le Tribunal de la fonction publique se serait borné à affirmer que la Commission avait créé les conditions de la réalisation du dommage et que le lien de causalité était donc établi. Aux points 192 et 193 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique aurait conclu, quant à la responsabilité de la Commission, que la faute de celle-ci n’avait pas eu pour conséquence immédiate et inéluctable le double assassinat, mais que les actes de l’agresseur n’étaient cependant pas susceptibles d’exonérer totalement la Commission de sa responsabilité. Le Tribunal de la fonction publique aurait donc correctement examiné les conditions de l’engagement de la responsabilité de la Commission, à savoir la faute et le lien de causalité, pour ensuite en tirer les conséquences en établissant sa responsabilité à concurrence de 40 % du préjudice occasionné.

55      Par la deuxième branche du deuxième moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal de la fonction publique a apprécié de manière erronée, au point 192 de l’arrêt de première instance, le rapport entre la conduite illicite de la Commission et ses conséquences. La distinction opérée à cet égard par le Tribunal de la fonction publique, s’agissant du défaut de sécurité, entre les conséquences « normalement prévisibles » (le vol, éventuellement accompagné de menaces physiques à l’encontre des occupants des lieux) et les conséquences non prévisibles (le meurtre), sur la base de leur gravité, serait contraire à la réalité des faits tels que constatés par la cour d’appel de Rabat dans ses arrêts des 20 février et 18 juin 2007, et illogique, arbitraire et dénuée de tout fondement juridique, dès lors qu’il ressortirait du point 184 de l’arrêt de première instance que le risque pris en considération pour la sécurité du personnel de la délégation de Rabat était la menace terroriste, lequel constituerait un risque beaucoup plus élevé que celui lié à la criminalité de droit commun. Il en irait de même, dès lors, de la limitation de l’indemnisation due par la Commission aux seules conséquences normalement prévisibles résultant de l’acte illicite dont elle est responsable, en distinguant, à cet égard, divers actes de criminalité de droit commun. Selon les requérants, une fois admise l’idée que la Commission n’a pas mis en œuvre correctement l’obligation d’assurer la protection de son fonctionnaire, il faut conclure que tout évènement dommageable est une conséquence directe et prévisible d’une telle conduite.

56      Pour la Commission, la deuxième branche du deuxième moyen est irrecevable, les requérants y contestant l’appréciation des éléments de preuve réalisée par le Tribunal de la fonction publique, à savoir, notamment, le mobile du crime tel qu’établi par la cour d’appel de Rabat, sans invoquer de dénaturation desdits éléments de preuve.

57      En tout état de cause, la Commission fait valoir que le Tribunal de la fonction publique n’a pas dénaturé ces éléments de preuve en déclarant que l’assassin d’Alessandro Missir Mamachi et de son épouse avait eu le vol pour mobile. Quant au point 184 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique y aurait précisément retenu la thèse des requérants, fondée sur le risque terroriste, pour rejeter l’argumentation de la Commission.

58      Pour le surplus, la Commission souligne qu’elle n’a manifestement pas causé le décès d’Alessandro Missir Mamachi et de son épouse, les meurtres ayant été le fait d’un tiers. Le Tribunal de la fonction publique aurait ainsi relevé à juste titre, au point 192 de l’arrêt de première instance, que la faute de la Commission n’avait pas eu pour conséquence immédiate et inéluctable le double assassinat. Par ailleurs, selon la jurisprudence, le simple fait que le comportement illégal ait constitué une condition nécessaire de la survenance du préjudice, en ce sens que celui-ci ne se serait pas produit en l’absence de ce comportement, ne suffirait pas à établir un lien de causalité. La Commission invoque, en ce sens, l’arrêt du 30 novembre 2011, Transnational Company « Kazchrome » et ENRC Marketing/Conseil et Commission (T‑107/08, EU:T:2011:704, point 80). De plus, afin de déterminer le degré de responsabilité de la Commission, le Tribunal de la fonction publique aurait, en application de la jurisprudence citée au point 181 de l’arrêt de première instance, selon laquelle un dommage peut avoir plusieurs causes, tenu compte du fait que l’auteur des assassinats était un tiers.

59      Selon la Commission, quant à l’appréciation de la prévisibilité de la survenance du préjudice au regard du comportement probable d’un tiers, elle porterait sur des éléments de preuve fournis au Tribunal de la fonction publique et ne pourrait donc faire l’objet d’un réexamen par le juge du pourvoi.

60      À titre subsidiaire, sur les deux premières branches du deuxième moyen, la Commission fait valoir que, dans l’hypothèse où le Tribunal estimerait que les motifs de l’arrêt de première instance sont illogiques et contradictoires, une substitution de motifs permettrait de conclure au rejet du présent recours. À cet égard, la Commission invoque le point 134 de l’arrêt du 13 décembre 2006, É. R. e.a./Conseil et Commission (T‑138/03, EU:T:2006:390), selon lequel l’existence d’un lien de causalité requiert que le comportement reproché soit la cause certaine et directe du dommage allégué et que, dans le cas où le comportement qui a prétendument provoqué le dommage consiste en une abstention d’agir, il est spécialement nécessaire d’avoir la certitude que ledit dommage a effectivement été causé par les inactions reprochées et n’a pas pu être provoqué par des comportements distincts de ceux reprochés à l’institution défenderesse. En l’occurrence, la Commission estime que le lien de causalité entre la faute, à savoir l’abstention de prendre certaines mesures de sécurité, et le préjudice a été rompu, le préjudice ayant été causé par un comportement distinct de celui qui lui est imputé. Par conséquent, la Commission soutient qu’elle ne doit nullement être tenue pour responsable du double assassinat et que le présent recours doit donc être rejeté.

61      S’agissant de la troisième branche, les requérants font valoir que le Tribunal de la fonction publique a commis une erreur de droit en jugeant que les principes qui peuvent se déduire de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO 1989, L 183, p. 1), et, notamment, de son article 5, paragraphe 4, qui prévoit la possibilité de diminuer la responsabilité de l’employeur pour des faits dus à des circonstances qui sont étrangères, anormales ou imprévisibles ou à des évènements exceptionnels dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée, pouvaient limiter la responsabilité de la Commission. En tout état de cause, cette disposition ne serait pas susceptible d’alléger la responsabilité de la Commission, car elle présupposerait que l’employeur ait fait preuve de diligence et que les conséquences dommageables aient été inévitables, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. En outre, les requérants font valoir que, même en admettant que les circonstances étaient exceptionnelles, la Commission en serait responsable dans la mesure où, au point 183 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique a jugé que, si cette dernière s’était conformée à l’obligation d’assurer la protection de son fonctionnaire, le double assassinat ne se serait pas produit.

62      Selon la Commission, l’argumentation figurant au point 192 de l’arrêt de première instance est exposée à titre purement subsidiaire et ne constitue pas le motif principal du raisonnement du Tribunal de la fonction publique. En outre, celui-ci se référerait aux « principes » de la directive 89/391, laissant ainsi supposer que celle-ci ne serait pas applicable en tant que telle, ce qui serait confirmé par le point 131 de l’arrêt de première instance, dans lequel il est explicitement indiqué que le logement d’un fonctionnaire amené à exercer ses fonctions dans un pays tiers « ne peut être complètement assimilé à un poste de travail ou un lieu de travail, au sens de la directive 89/391 ».

63      Par les trois branches du moyen, qui peuvent être examinées ensemble, les requérants, avec des arguments différents, soutiennent que, en substance, une fois établi que la Commission a violé l’obligation d’assurer la protection d’Alessandro Missir Mamachi, tout évènement dommageable est la conséquence directe et imprévisible d’une telle conduite. Ainsi, la distinction faite entre les actes imprévisibles et les actes prévisibles de criminalité commune, afin de déterminer la responsabilité de la Commission, serait dépourvue de pertinence, dans la mesure où le manquement fautif de cette dernière aurait pour conséquence qu’elle serait responsable de tout évènement dommageable vérifié par la suite. En substance, les requérants contestent le fait que le Tribunal de la fonction publique n’a pas considéré la faute de la Commission comme étant la cause adéquate et déterminante du double assassinat. Par ailleurs, les requérants font également valoir que la distinction entre les faits prévisibles et les faits imprévisibles, telle qu’établie par le Tribunal de la fonction publique, est contradictoire au regard du constat de la cour d’appel de Rabat et illogique dès lors que le risque pris en considération pour assurer la sécurité du personnel de la délégation de Rabat était la menace terroriste. Enfin, les requérants contestent la distinction entre les faits prévisibles et les faits imprévisibles au regard de la référence faite par le Tribunal de la fonction publique à l’article 5 de la directive 89/391. La Commission, quant à elle, ne remet pas en cause la constatation faite par le Tribunal de la fonction publique, au point 183 de l’arrêt de première instance, selon laquelle le lien de causalité entre la faute qu’elle a commise et le double assassinat a été établi. À cet égard, il y a lieu de relever que, comme il ressort du point 60 ci-dessus, la Commission remettrait en cause ledit lien seulement dans l’hypothèse où le Tribunal ferait droit à l’une des deux premières branches du présent moyen.

64      À titre liminaire, il y a lieu de constater que, en principe, deux théories de la causalité sont susceptibles d’être appliquées en cas de pluralité de causes d’un même dommage, à savoir la théorie de l’« équivalence des conditions » et celle de la « causalité adéquate ».

65      S’agissant de la première théorie, aux fins du présent pourvoi, il est utile de distinguer deux hypothèses, celle des fautes simultanées et celle des fautes successives. Dans la première hypothèse, il peut exister des fautes simultanées commises par un auteur et par la victime du dommage ou par deux ou plusieurs auteurs, dits coauteurs. Dans la seconde hypothèse, les fautes sont échelonnées dans le temps et ont, le plus souvent, une nature différente. Toutefois, malgré cette différence, les deux fautes contribuent à la production du même dommage. En effet, sans la première, la seconde n’aurait pas été commise, parce que son auteur n’en aurait pas eu l’occasion.

66      En revanche, s’agissant de la seconde théorie, celle de la causalité adéquate, il est nécessaire de hiérarchiser l’importance des antécédents du dommage, de sorte qu’il convient de distinguer entre ceux qui méritent la qualification juridique de causes et les autres. Cette théorie implique que chaque coauteur du dommage n’aura pas nécessairement la même responsabilité.

67      En ce qui concerne le droit de l’Union, une tendance se dégage en faveur de la théorie de la causalité adéquate. En effet, le juge de l’Union a jugé que l’Union ne pouvait être tenue pour responsable que du préjudice qui découlait de manière suffisamment directe du comportement irrégulier de l’institution concernée (voir arrêts du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, EU:T:2000:240, point 118 et jurisprudence citée, et du 19 mars 2010, Gollnisch/Parlement, T‑42/06, EU:T:2010:102, point 110 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2012, Interspeed/Commission, T‑587/10, non publié, EU:T:2012:355, point 39 et jurisprudence citée) et que la partie requérante devait établir que, sans la faute commise, le préjudice ne se serait pas produit et que cette faute était la cause déterminante du préjudice subi (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T‑149/96, EU:T:1998:228, points 116 à 121).

68      Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence que, lorsque, d’une part, le comportement reproché à une institution s’insère dans un processus plus vaste auquel des tiers ont participé et, d’autre part, le préjudice allégué a pour cause immédiate une intervention d’un de ces tiers, il incombe au juge de vérifier si cette intervention était rendue inévitable du seul fait de l’adoption du comportement reproché ou si, au contraire, elle constituait la manifestation d’une volonté autonome (voir, en ce sens, arrêts du 30 avril 2009, CAS Succhi di Frutta/Commission, C‑497/06 P, non publié, EU:C:2009:273, points 61 et 62, et du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission, T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, EU:T:2009:530, points 92 et 93). Dans le cas d’une volonté autonome, il appartient au juge de constater la rupture du lien de causalité.

69      Il ressort également de la jurisprudence qu’une conception selon laquelle il suffit, pour que le lien de causalité existe, que le comportement illégal ait constitué une condition nécessaire de la survenance du dommage, en ce sens que celui-ci ne se serait pas produit en l’absence de ce comportement, ne correspond pas à celle prévalant dans le droit de l’Union. En effet, une conception aussi large du lien de causalité ne se dégage pas de la jurisprudence relative à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. Cette dernière, en effet, limite la responsabilité de l’Union aux dommages découlant de manière directe, voire suffisamment directe, du comportement illégal de l'institution concernée, ce qui exclut, en particulier, que ladite responsabilité couvre les dommages qui ne seraient qu’une conséquence éloignée de ce comportement (voir, en ce sens, ordonnance du 12 décembre 2007, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑113/04, non publiée, EU:T:2007:377, points 39 et 40). Dans cette logique, le Tribunal a également jugé que le simple fait que le comportement illégal ait constitué une condition nécessaire de la survenance du dommage, en ce que celui-ci ne se serait pas produit en l’absence de ce comportement, ne suffisait pas à établir un lien de causalité (arrêt du 30 novembre 2011, Transnational Company « Kazchrome » et ENRC Marketing/Conseil et Commission, T‑107/08, EU:T:2011:704, point 80).

70      Toutefois, il doit être considéré que la jurisprudence citée aux points 67 à 69 ci-dessus n’exclut pas, dans l’absolu, l’application de la théorie de l’équivalence des conditions et permet uniquement de constater que, si la faute commise par l’institution est éloignée du dommage et que le juge constate la rupture du lien de causalité, la théorie de l’équivalence des conditions doit être écartée. Partant, a contrario, dans l’hypothèse où le dommage découle directement ou de manière suffisamment directe de la faute de l’institution et donc où cette faute n’est pas éloignée du dommage au point d’entraîner la rupture du lien de causalité, le juge de l’Union peut faire application de la théorie de l’équivalence des conditions.

71      En outre, il y a lieu de rappeler que le juge de l’Union a considéré de manière explicite qu’un dommage pouvait ne pas trouver son origine directe et certaine dans une seule cause, mais avoir été provoqué par plusieurs causes, qui concouraient de manière déterminante à sa réalisation. Toutefois, cette jurisprudence concerne des cas d’atténuation de la responsabilité de l’institution concernée en raison du propre comportement de la victime, celle-ci n’ayant pas fait preuve de toute la diligence requise pour éviter ou minimiser son dommage (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 1986, Sommerlatte/Commission, 229/84, EU:C:1986:241, points 24 à 27).

72      Enfin, à la lumière du point 70 ci-dessus, dans l’hypothèse où une institution est responsable d’un manquement à une obligation de protection ayant contribué à causer le dommage spécifique que ladite obligation avait pour objet de prévenir, il y a lieu de considérer que ce manquement, même s’il ne peut être considéré comme la seule cause du dommage, peut concourir de manière suffisamment directe à sa réalisation. Ainsi, le fait d’un tiers, prévisible ou imprévisible, peut être considéré par le juge comme n’étant susceptible ni d’entraîner une rupture du lien de causalité ni de constituer une circonstance exonérant totalement l’institution de sa responsabilité, les deux causes, à savoir le manquement fautif de l’institution et le fait d’un tiers, ayant contribué à la réalisation du même dommage.

73      Or, en l’espèce, dans les considérations énoncées sous le titre intitulé « Sur le lien de causalité et l’existence d’une cause exonératoire de responsabilité (fautes des victimes et fait d’un tiers) » de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique, ayant constaté, au point 177 de l’arrêt de première instance, que la Commission avait commis une violation suffisamment caractérisée de l’obligation d’assurer la sécurité de son personnel et susceptible d’engager sa responsabilité, est parti de la prémisse selon laquelle il était nécessaire d’établir si la conduite d’Alessandro Missir Mamachi et le fait de l’assassin étaient en mesure d’exonérer totalement ou partiellement la Commission de sa responsabilité.

74      Par la suite, dans son raisonnement, le Tribunal de la fonction publique a fait référence à des arrêts appliquant tant la théorie de la causalité adéquate que la théorie de l’équivalence des conditions. En effet, la jurisprudence citée aux points 179 et 180 de l’arrêt de première instance semble aller dans le sens de la théorie de la causalité adéquate, dans la mesure où le Tribunal de la fonction publique a fait référence, au point 179 de l’arrêt de première instance, à la jurisprudence selon laquelle l’Union ne peut être tenue pour responsable que du préjudice qui découle de manière suffisamment directe du comportement irrégulier de l’institution concernée. Au point 180 dudit arrêt, le Tribunal de la fonction publique s’est référé également à la jurisprudence selon laquelle la partie requérante doit établir que, sans la faute commise, le préjudice ne se serait pas produit et que la faute est la cause déterminante de son préjudice. En outre, au point 192 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique a jugé que, « si la Commission a[vait] créé les conditions de la réalisation du dommage […], cette faute n’a[vait] pas eu pour conséquence immédiate et inéluctable le double assassinat ».

75      En revanche, au point 181 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique a fait référence aux arrêts du 12 juin 1986, Sommerlatte/Commission, 229/84 (EU:C:1986:241, points 24 à 27), du 3 février 1994, Grifoni/Commission (C‑308/87, EU:C:1994:38, points 17 et 18), et du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission (T‑178/98, EU:T:2000:240, points 135 et 136), selon lesquels le dommage peut ne pas trouver son origine directe et certaine dans une seule cause, mais avoir été provoqué par plusieurs causes, qui concourent de manière déterminante à sa réalisation.

76      Par la suite, le Tribunal de la fonction publique a déterminé, aux points 191 à 197 de l’arrêt de première instance, la part de responsabilité de l’assassin dans la réalisation des dommages et, par conséquent, la part de responsabilité de la Commission.

77      S’agissant de la perte d’une chance de survie, le Tribunal de la fonction publique a jugé que la responsabilité directe et exclusive de ce dommage était imputable à la Commission et que la chance d’Alessandro Missir Mamachi de survivre à ses blessures était si faible qu’elle pouvait être évaluée à 20 %.

78      S’agissant du double assassinat, comme il a été relevé ci-dessus, le Tribunal de la fonction publique a jugé, au point 192 de l’arrêt de première instance, que la Commission ne pouvait se voir attribuer la responsabilité principale de ce dommage, parce que sa faute n’avait pas eu pour conséquence immédiate et inéluctable le double assassinat. À cet égard, le Tribunal de la fonction publique a relevé que les meurtres avaient été commis par un individu dont le mobile était le vol et dont le comportement était imprévisible, en précisant que cette appréciation renvoyait aux principes de la directive 89/391, qui, à son article 5, paragraphe 4, dispose que la responsabilité d’un employeur peut être atténuée notamment pour des faits qui lui sont étrangers et qui sont anormaux et imprévisibles. Toutefois, au point 193 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique a jugé que le fait d’un tiers ne pouvait pas exonérer totalement la Commission de sa responsabilité, en constatant qu’une solution impliquant l’exonération totale de la responsabilité de cette dernière n’aurait pas été en harmonie avec la jurisprudence selon laquelle un dommage peut trouver son origine dans plusieurs causes. Ainsi, le Tribunal de la fonction publique a tenu compte de la jurisprudence qui fait application de la théorie de l’équivalence des conditions. Ce faisant, en substance, le Tribunal de la fonction publique n’a pas vraiment considéré le fait de l’assassin comme étant imprévisible ou, mieux, il l’a considéré comme ayant, en principe, un tel caractère, mais a jugé que la jurisprudence faisant application de la théorie de l’équivalence des conditions justifiait d’exclure l’exonération totale de la responsabilité de la Commission. Dès lors, le Tribunal de la fonction publique a estimé que celle-ci était responsable à hauteur de 30 % en ce qui concerne le double assassinat et à hauteur de 40 % en ce qui concerne l’ensemble des dommages subis.

79      Malgré ce raisonnement inspiré des deux différentes théories de la causalité, le Tribunal de la fonction publique a privilégié, en substance, la théorie de l’équivalence des conditions et non la théorie de la causalité adéquate. En effet, au point 183 de l’arrêt de première instance, en ce qui concerne le lien de causalité entre la faute et le double assassinat, le Tribunal de la fonction publique a jugé que Livio Missir Mamachi avait établi à suffisance de droit le caractère certain et direct du lien de causalité et que, si la Commission s’était conformée à l’obligation d’assurer la protection de son fonctionnaire, le double assassinat n’aurait pas eu lieu. En outre, le Tribunal de la fonction publique a jugé que la Commission n’avait pas démontré que le lien de causalité avait été rompu, d’une part, au point 189 de l’arrêt de première instance, en raison d’une négligence d’Alessandro Missir Mamachi et, d’autre part, au point 193 du même arrêt, par le fait d’un tiers. Enfin, et notamment en ce qui concerne le fait d’un tiers, le Tribunal de la fonction publique a jugé, au même point 193, qu’exclure complètement la responsabilité de la Commission n’aurait pas été en harmonie avec la jurisprudence citée au point 181 de l’arrêt de première instance, qui admet qu’un dommage peut avoir plusieurs causes. Or, cette jurisprudence, qui évoque la théorie de l’équivalence des conditions, n’est pas pertinente en l’espèce, étant donné qu’elle concerne des cas d’atténuation de la responsabilité de l’institution en raison du propre comportement de la victime. Malgré cette référence erronée, pour les raisons indiquées au point 70 ci-dessus, il apparaît que la jurisprudence n’a pas exclu de manière absolue l’application de la théorie de l’équivalence des conditions, en admettant qu’il appartenait au juge d’apprécier si la faute ne devait pas être considérée comme étant une cause éloignée du dommage. Ainsi, le raisonnement du Tribunal de la fonction publique aboutit à la conclusion que deux causes ont concouru au double assassinat, le manquement fautif de la Commission à l’obligation de sécurité et le fait d’un tiers. En définitive, le Tribunal de la fonction publique a fait application de la théorie de l’équivalence des conditions.

80      Ce faisant, le Tribunal de la fonction publique n’a pas commis d’erreur de droit.

81      Premièrement, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que les requérants soutiennent, il ressort de la jurisprudence citée aux points 67 à 69 ci-dessus que, en principe, le manquement fautif d’une institution n’est pas, en soi, suffisant pour considérer que son comportement est la cause certaine et directe du dommage subi. À cet égard, la jurisprudence a également précisé que, lorsque, d’une part, le comportement reproché à une institution s’insère dans un processus plus vaste auquel des tiers ont participé et, d’autre part, le préjudice allégué a pour cause immédiate une intervention d’un de ces tiers, il incombe au juge de vérifier si cette intervention était rendue inévitable du seul fait de l’adoption du comportement reproché à l’institution ou si, au contraire, cette intervention constituait la manifestation d’une volonté autonome. Ainsi, il appartient au juge de constater qu’une rupture du lien de causalité a eu lieu et d’en tirer les conséquences.

82      Deuxièmement, il convient également de relever que, si le Tribunal de la fonction publique avait fait application de la théorie de la causalité adéquate, cela aurait impliqué le rejet de la demande des requérants. En effet, il y a lieu de constater que l’application mécanique et stricte de la théorie de la causalité adéquate impliquerait dans toutes les hypothèses l’irresponsabilité de l’institution, dans la mesure où, conformément à la jurisprudence relative au fait d’un tiers citée au point 68 ci-dessus, ledit fait impliquerait systématiquement la rupture du lien de causalité, ayant pour conséquence d’entraîner une irresponsabilité substantielle de l’institution.

83      Troisièmement, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence qu’une conception selon laquelle il suffirait, pour que le lien de causalité existe, que le comportement illégal ait constitué une condition nécessaire de la survenance du dommage, en ce sens que celui-ci ne se serait pas produit en l’absence de ce comportement, ne correspond pas à celle prévalant dans le droit de l’Union. Toutefois, comme il a été relevé au point 70 ci-dessus, cette jurisprudence n’exclut pas, dans l’absolu, la théorie de l’équivalence des conditions. En effet, il est laissé à l’appréciation du juge d’établir si la manifestation de la volonté autonome d’un tiers est susceptible d’entraîner une rupture du lien de causalité. Ainsi, il peut s’avérer que l’intervention d’un tiers, même si elle est la manifestation d’une volonté autonome, ne rompe pas le lien de causalité entre la faute et le dommage, l’institution et le tiers concourant, dans cette hypothèse, à la réalisation du dommage. À cet égard, dans le présent pourvoi, le lien de causalité établi par le Tribunal de la fonction publique dans l’arrêt de première instance entre la faute de la Commission et le dommage subi n’est pas remis en cause par cette dernière, sauf dans l’hypothèse où le Tribunal accueillerait l’une des deux premières branches du présent moyen. Ainsi, en dehors de cette hypothèse, le juge du pourvoi ne peut pas revenir sur l’appréciation opérée par le Tribunal de la fonction publique, lequel a jugé que la Commission était responsable d’un manquement à l’obligation de protection de son personnel ayant contribué à causer le dommage spécifique que ladite obligation avait pour objet de prévenir et que, donc, le fait d’un tiers, prévisible ou imprévisible, n’était susceptible ni d’entraîner une rupture du lien de causalité ni d’être considéré comme une circonstance exonérant totalement la Commission de sa responsabilité, les deux causes, à savoir le manquement fautif de celle-ci et le fait d’un tiers, ayant contribué à la réalisation du même dommage.

84      Ainsi, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal de la fonction publique a jugé que, dans l’hypothèse d’une faute consistant en un manquement à une obligation de protection qui a contribué à causer le dommage spécifique que ladite obligation avait pour objet de prévenir, même si l’institution ne pouvait pas être jugée comme étant la responsable principale du dommage, cette dernière devait être considérée comme coauteur du dommage.

85      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments que les requérants développent dans le cadre des trois premières branches du moyen.

86      Premièrement, dans le cadre de la première branche, les requérants font valoir que le raisonnement du Tribunal de la fonction publique visant à exclure la responsabilité de la Commission à titre principal est illogique et contradictoire dans la mesure où, après avoir établi l’existence d’un lien de causalité « direct et certain » entre la faute de la Commission et le double assassinat, au point 183 de l’arrêt de première instance, ce dernier a affirmé, au point 192 dudit arrêt, que ladite faute n’avait pas eu pour conséquence « immédiate et inévitable » ce double assassinat, de sorte que la Commission ne pouvait pas s’en voir attribuer la responsabilité principale.

87      Il suffit de constater que l’argument des requérants se fonde sur une lecture erronée de l’arrêt de première instance. En premier lieu, au point 183 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique n’a pas jugé que la Commission était la seule responsable du dommage, mais a jugé que « la Commission a[vait] directement contribué à la réalisation du dommage, en créant les conditions de sa survenance » en raison de la violation de l’obligation de protection de son personnel. Ainsi, le Tribunal de la fonction publique, dans la phrase suivante, a conclu que « le caractère direct et certain du lien de causalité [était] donc établi ». En définitive, le Tribunal de la fonction publique s’est limité à juger que la faute de la Commission pouvait être considérée comme étant suffisamment directe pour entraîner sa responsabilité dans l’assassinat d’Alessandro Missir Mamachi, sur la base de la jurisprudence qui admet que le même dommage peut avoir plusieurs causes. Bien que cette jurisprudence, citée au point 181 de l’arrêt de première instance et qui évoque la théorie de l’équivalence des conditions, ne soit pas pertinente en l’espèce, dans la mesure où elle concerne des cas d’atténuation de la responsabilité de l’institution en raison du propre comportement de la victime, pour les raisons indiquées au point 70 ci-dessus, il ressort de ladite jurisprudence qu’elle n’a pas exclu de manière absolue l’application de la théorie de l’équivalence des conditions dans l’hypothèse où le juge établit que la faute n’est pas une cause éloignée du dommage.

88      En second lieu, au point 192 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique a jugé qu’il ne pouvait être sérieusement soutenu que la Commission devait se voir attribuer la responsabilité principale du dommage, dans la mesure où, même si cette dernière avait créé les conditions de la survenance du dommage, sa faute n’avait pas eu pour conséquence immédiate et inéluctable le double assassinat, les meurtres ayant été perpétrés par un individu dont le mobile était le vol et dont le comportement était imprévisible. À cet égard, le Tribunal de la fonction publique a évoqué le fait que cette appréciation ne s’écartait pas des principes de la directive 89/391, qui prévoit, à son article 5, paragraphe 4, que la responsabilité d’un employeur peut être atténuée pour des faits dus à des circonstances qui lui sont étrangères et qui sont anormales et imprévisibles. À cet égard, il y a lieu de préciser que ledit article reconnaît aux États membres la faculté d’exonérer totalement ou de réduire la responsabilité des employeurs pour des faits imprévisibles. Ainsi, c’est dans le cadre de ce raisonnement que le Tribunal de la fonction publique a jugé que le manquement fautif de la Commission n’avait pas eu pour conséquence immédiate et inéluctable le double assassinat.

89      Toutefois, au point 193 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique a précisé que la solution consistant à exonérer totalement la Commission de sa responsabilité, qui aurait été la conséquence de l’application stricte de ce qu’il avait énoncé au point 192 de l’arrêt de première instance, n’aurait pas été en harmonie avec la jurisprudence qui admet qu’un dommage peut avoir plusieurs causes. En définitive, la constatation faite par le Tribunal de la fonction publique au point 192 de l’arrêt de première instance n’est qu’une étape de son raisonnement et c’est seulement au point 193 de l’arrêt de première instance qu’il tire les conséquences de son analyse en décidant de ne pas appliquer le principe évoqué au point 192, qui aurait impliqué l’exonération totale de la Commission, et en concluant que cette dernière et le tiers avaient concouru à la réalisation du dommage. Par ailleurs, cette conclusion du Tribunal de la fonction publique est en harmonie avec l’interprétation de l’arrêt de première instance selon laquelle, dans l’hypothèse d’un manquement fautif à une obligation de sécurité qui a contribué à causer le dommage spécifique que ladite obligation avait pour objet de prévenir, l’institution doit être considérée comme coauteur du dommage réalisé, le fait d’un tiers ne pouvant être considéré comme une circonstance l’exonérant totalement de sa responsabilité.

90      Deuxièmement, il y a également lieu de rejeter plusieurs arguments des requérants figurant dans les deuxième et troisième branches et relatifs aux appréciations opérées par le Tribunal de la fonction publique sur la nature prévisible ou imprévisible des conséquences du manquement fautif de la Commission en ce qui concerne, notamment, le mobile du tiers, à savoir le vol et l’assassinat. À cet égard, les requérants soutiennent que la distinction concernant la nature du mobile est, d’une part, contradictoire au regard du constat de la cour d’appel de Rabat et, d’autre part, illogique dès lors que le risque pris en considération pour la sécurité du personnel de la délégation de Rabat était la menace terroriste. En outre, les requérants font valoir qu’il est erroné de limiter la responsabilité de la Commission sur le fondement des principes de la directive 89/391, qui prévoit, à son article 5, paragraphe 4, que la responsabilité d’un employeur peut être atténuée, notamment, pour des faits dus à des circonstances qui lui sont étrangères et qui sont anormales et imprévisibles, et affirment que, en tout état de cause, même en admettant que les circonstances étaient exceptionnelles, la Commission est responsable dans la mesure où, au point 183 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique a jugé que, si cette dernière s’était conformée à l’obligation d’assurer la protection de son fonctionnaire, le double assassinat ne se serait pas produit.

91      En premier lieu, l’argument sur la nature contradictoire et illogique concernant la nature du mobile ne peut pas prospérer. Comme la Commission le fait valoir à juste titre, le Tribunal de la fonction publique a jugé, au point 184 de l’arrêt de première instance, que la différence entre le risque d’une menace terroriste et la criminalité de droit commun n’avait aucune incidence sur l’appréciation du caractère direct et certain du lien de causalité. En outre, le Tribunal de la fonction publique a jugé, audit point, qu’il était raisonnable de considérer que les mesures destinées à prévenir la réalisation d’un attentat terroriste devaient assurer une protection efficace, a fortiori, contre une intrusion dans le domicile d’un fonctionnaire. Partant, même en admettant que le Tribunal de la fonction publique a procédé à une constatation contradictoire et illogique au regard des faits constatés par la cour d’appel de Rabat sur le mobile de l’assassin, cette constatation n’a eu aucune incidence sur son appréciation de la responsabilité de la Commission.

92      En second lieu, il y a lieu de rejeter l’argument avancé à l’encontre de la référence faite par le Tribunal de la fonction publique à l’article 5 de la directive 89/391. En effet, contrairement à ce que les requérants soutiennent, le Tribunal de la fonction publique, au point 192 de l’arrêt de première instance, n’a pas fondé son appréciation sur cet article. Le Tribunal de la fonction publique, après avoir constaté que la Commission avait créé les conditions de la réalisation du dommage en violant l’obligation de protection de son personnel, a ajouté que la responsabilité principale du double assassinat ne pouvait être attribuée à cette dernière, puisque ce double assassinat était le résultat d’un évènement imprévisible. Par la suite, le Tribunal de la fonction publique a conclu que cette constatation ne s’écartait pas des principes de la directive 89/391 et, notamment, de son article 5, paragraphe 4. Ainsi, en tant que tel, l’argument des requérants vise un motif surabondant de l’arrêt de première instance et, donc, peut être rejeté conformément à la jurisprudence constante selon laquelle le moyen d’un pourvoi qui vise une partie surabondante d’une décision doit être rejeté (voir arrêt du 25 février 2015, Walton/Commission, T‑261/14 P, EU:T:2015:110, point 75 et jurisprudence citée).

93      En tout état de cause, il y a lieu de relever que, même en admettant que la référence audit article soit erronée en raison du fait que le comportement du tiers n’était pas imprévisible, cette erreur est sans incidence sur le résultat auquel le Tribunal de la fonction publique a abouti à l’issue de son raisonnement. En effet, il ressort de l’examen conduit ci-dessus que le Tribunal de la fonction publique a, à bon droit, jugé que la Commission et le tiers avaient concouru au préjudice, cela impliquant que ni l’un ni l’autre ne pouvait être considéré comme en étant le responsable principal.

94      Enfin, troisièmement, il convient de rejeter l’argument selon lequel, même en admettant que les circonstances étaient exceptionnelles, la Commission aurait dû être considérée comme responsable dans la mesure où, au point 183 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique a jugé que, si cette dernière s’était conformée à l’obligation d’assurer la protection de son fonctionnaire, le double assassinat ne se serait pas produit. Par cet argument, les requérants soutiennent, à nouveau, que, la Commission ayant manqué à l’obligation de protection de son personnel, toute conséquence découlant d’évènements successifs lui est imputable. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si le Tribunal de la fonction publique avait fait application de la jurisprudence relative à la théorie de la causalité adéquate, il aurait dû juger que le manquement fautif de la Commission en tant que tel n’était pas suffisant pour conclure à la responsabilité de celle-ci. C’est dès lors sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal de la fonction publique, en raison de la nature du manquement fautif, à savoir la violation de l’obligation de protection qui a contribué à causer le dommage spécifique que ladite obligation avait pour objet de prévenir, a considéré, en substance, la Commission et le tiers comme coauteurs du même dommage.

95      Partant, à la lumière des considérations développées ci-dessus, il y a lieu de rejeter les trois premières branches du deuxième moyen.

 Sur la quatrième branche, relative à la responsabilité in solidum de la Commission

96      Par la quatrième branche du deuxième moyen, les requérants font valoir que, même en admettant que la Commission ne doive pas être considérée comme la principale responsable du fait dommageable, elle doit être tenue in solidum de réparer l’intégralité du préjudice. En substance, les requérants contestent la répartition de la responsabilité établie par le Tribunal de la fonction publique en soutenant que la Commission devrait être responsable in solidum avec l’assassin.

97      À cet égard, les requérants font valoir que la responsabilité in solidumde la Commission découle, premièrement, des principes communs aux droits des États membres, deuxièmement, de l’économie du statut et, troisièmement, du droit dérivé de l’Union.

98      Premièrement, les requérants font valoir que, en l’absence de règles spécifiques et de précédents jurisprudentiels, il est nécessaire de se référer aux principes généraux communs aux droits des États membres. À cet égard, ils citent les jurisprudences allemande, espagnole, française, belge et italienne, qui admettraient que, lorsque plusieurs faits ont concouru à la survenance d’un préjudice, chaque responsable est tenu de répondre de l’entièreté du préjudice causé, solidairement avec les autres. En outre, les requérants font valoir qu’il est également possible de faire application de la responsabilité in solidum dans l’hypothèse de sources différentes de l’obligation. Sur ce point, ils font référence au point 12 des conclusions de l’avocat général Van Gerven dans l’affaire Spie–Batignolles/Commission (201/86, non publiées, EU:C:1989:300), dans lequel ce dernier a conclu qu'« [u]ne étude comparative du droit des États membres, effectuée par le service de recherche et de documentation de la Cour, a[vait] fait apparaître que la plupart des États membres admett[ai]ent que, lorsqu’il [était] prouvé qu’une faute contractuelle […] et une faute non contractuelle [avaient] causé un préjudice unique, les auteurs de ces deux fautes [pouvaient] être déclarés responsables in solidum de ce préjudice ».

99      Deuxièmement, s’agissant de l’économie du statut, les requérants font valoir que l’interprétation de l’article 24 du statut suggère que le principe de la responsabilité in solidum doit s’appliquer à plus forte raison lorsque le fait dommageable a été rendu possible par le comportement illicite des institutions. En effet, les requérants soutiennent que l’article 24 du statut concerne le cas particulier dans lequel la Commission, sans que sa propre responsabilité soit engagée, en raison de son devoir d’assistance envers son personnel, répond in solidum avec l’auteur du fait dommageable, contre lequel elle peut ensuite se retourner. En l’espèce, le Tribunal de la fonction publique a constaté que la Commission était pleinement responsable du fait dommageable. Il serait donc totalement illogique d’admettre que la Commission est tenue in solidum lorsque sa responsabilité n’est pas engagée, mais ne l’est pas, au contraire, dans un cas bien plus grave, comme en l’espèce, où elle a concouru à la réalisation du fait dommageable.

100    Troisièmement, s’agissant du droit dérivé de l’Union, les requérants font valoir que les principes de la législation de l’Union en matière d’indemnisation des victimes de la criminalité violente, qui découlent de la directive 2004/80/CE du Conseil, du 29 avril 2004, relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité (JO 2004, L 261, p. 15), vont dans le sens de la responsabilité solidaire. Ladite directive, inspirée de la convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes, signée à Strasbourg le 24 novembre 1983, serait fondée sur le principe selon lequel, dans le cas où l’auteur de l’infraction ne peut pas assurer la réparation intégrale du préjudice, les États membres sont tenus de contribuer à cette réparation. Les requérants soutiennent qu’il semble illogique qu’une telle obligation ne s’applique pas à la Commission dans un cas où elle a concouru elle-même à la réalisation du fait dommageable. Même si cette législation de l’Union n’est contraignante que pour les États membres, ils estiment que le principe de la solidarité prévu, notamment, par la directive 2004/80 devrait s’appliquer a fortiori aux institutions de l’Union, en particulier dans un cas où le fait dommageable a été rendu possible par un comportement fautif de la Commission.

101    La Commission soutient que, en ce qui concerne la règle du concours entre l’action d’une institution et le fait d’un tiers, la référence aux principes tirés des ordres juridiques des États membres est dénuée de pertinence. Premièrement, le seul texte pour déterminer l’éventuelle responsabilité solidaire des institutions serait le statut, dans la mesure où l’article 270 TFUE précise que la compétence du juge de l’Union pour connaître de tout litige entre l’Union et ses agents se réalise « dans les limites et conditions déterminées par le statut ». À cet égard, la Commission fait valoir que le statut fait référence à une responsabilité solidaire uniquement à son article 24, premier alinéa, selon lequel les Communautés réparent solidairement les dommages subis par le fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l’origine de ces dommages et n’a pu obtenir réparation de leur auteur. En outre, le statut prévoit en son article 85 bis l’hypothèse de la subrogation de l’Union à la victime, le fonctionnaire, ou à ses ayants droit dans leurs droits et actions contre le tiers responsable, à l’exception éventuellement d’une action dirigée contre le tiers, pour un acte dommageable causé par un tiers à un fonctionnaire entraînant un décès, un accident ou une maladie. Deuxièmement, la Commission fait valoir que, dans les arrêts des juridictions italiennes et belges cités par les requérants, la responsabilité solidaire était justifiée parce que la source d’obligation était identique, en d’autres termes les « actes dommageables » relevaient du droit civil, alors que, en l’espèce, la responsabilité de l’assassin provient de la commission du crime d’homicide régie par le droit pénal, tandis que la responsabilité de la Commission, en tant qu’employeur, revêt un caractère « administratif-civil ».

102    Il y a lieu d’examiner, tout d’abord, l’argument selon lequel la responsabilité in solidum découlerait de l’économie du statut. En effet, les requérants soutiennent que l’article 24 du statut concerne le cas particulier dans lequel la Commission, sans que sa propre responsabilité soit engagée, en raison de son devoir d’assistance envers son personnel, répond solidairement avec l’auteur du fait dommageable contre lequel elle peut ensuite se retourner, en cas de préjudice subi par un fonctionnaire en raison de sa qualité ou de ses fonctions. En l’espèce, le Tribunal de la fonction publique a constaté que la Commission était responsable du fait dommageable. Partant, il serait illogique que le Tribunal admette que la Commission est tenue solidairement lorsque sa responsabilité n’est pas engagée, mais ne l’est pas, au contraire, dans un cas bien plus grave où elle a concouru à la réalisation du fait dommageable. Les requérants proposent, en substance, une interprétation alternative de l’article 24 du statut, selon laquelle l’application du principe de la responsabilité solidaire ne dépend pas du fait que le fonctionnaire a subi un dommage en raison de sa qualité et de ses fonctions, mais du fait que l’institution a commis ou non une faute. En définitive, les requérants soutiennent que le fait qu’Alessandro Missir Mamachi ait subi un dommage en raison de sa qualité et de ses fonctions n’a aucune importance aux fins de déterminer la responsabilité in solidum de la Commission. Selon eux, il faut vérifier si l’institution a commis ou non une faute.

103    La Commission fait valoir que le statut fait uniquement référence à une responsabilité solidaire des institutions lorsque le fonctionnaire, en raison de sa qualité et de ses fonctions, est victime des faits mentionnés au premier alinéa de l’article 24 du statut. Partant, la Commission serait responsable uniquement dans l’hypothèse où le fonctionnaire subit le dommage en raison de sa qualité et de ses fonctions. En outre, la Commission note que le Tribunal de la fonction publique a exclu, en l’espèce, l’application de l’article 24 du statut aux points 220 à 225 de l’arrêt de première instance. La Commission soutient également que l’article 85 bis du statut prévoit l’hypothèse de la subrogation de l’Union au fonctionnaire ou à ses ayants droit dans leurs droits et actions contre le tiers responsable et qu’elle s’est d’ailleurs constituée partie civile dans le procès pénal devant le juge marocain.

104    À titre liminaire, il y a lieu de relever que, comme l’observe la Commission, le Tribunal de la fonction publique a rejeté, dans l’arrêt de première instance, un moyen tiré de ce que la Commission, en vertu de l’article 24 du statut, aurait été tenue de réparer solidairement les préjudices subis, dans la mesure où Alessandro Missir Mamachi n’avait pas été assassiné en raison de sa qualité et de ses fonctions.

105    D’une part, si c’est à juste titre que le Tribunal de la fonction publique a refusé d’appliquer l’article 24 du statut en l’espèce, d’autre part, il convient de constater que ledit article n’a pas pour effet d’exclure la responsabilité in solidum pour le préjudice subi par un fonctionnaire causé par le comportement fautif d’une institution.

106    En effet, les deux alinéas qui composent l’article 24 du statut doivent être interprétés ensemble. Ils prévoient, dans leur version applicable au présent litige, que « [les] Communautés assistent le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions » et qu'« [e]lles réparent solidairement les dommages subis de ce fait par le fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l’origine de ces dommages et n’a pu obtenir réparation de leur auteur ». Partant, le Tribunal de la fonction publique a à bon droit rejeté le moyen soulevé en première instance, étant donné qu’Alessandro Missir Mamachi n’a pas été tué dans l’exercice de ses fonctions. Ainsi, contrairement à ce que les requérants font valoir, la prémisse de l’application de cet article est le fait que le fonctionnaire subisse un dommage en raison de sa qualité et de ses fonctions.

107    Toutefois, il convient de constater que si, d’une part, dans l’hypothèse d’un fonctionnaire qui a subi un dommage en raison de sa qualité et de ses fonctions, les Communautés réparent solidairement les dommages subis, qu’elles aient commis ou non une faute, et, d’autre part, la notion de responsabilité in solidum n’a pas de raison d’être évoquée si un fonctionnaire a subi un préjudice en dehors de l’exercice de ses fonctions et si aucun comportement illégal en relation causale avec ledit préjudice ne peut être reproché à une institution, en revanche, dans l’hypothèse où une institution a concouru de manière fautive à un dommage subi par un fonctionnaire en dehors de l’exercice de ses fonctions, le silence du statut ne peut pas être interprété, ainsi que la Commission le fait valoir, comme ayant pour effet d’exclure la responsabilité solidaire de l’institution.

108    À cet égard, au point 13 de l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), la Cour a jugé qu’il ne saurait être tiré argument de l’absence de toute disposition expresse dans le statut et dans la réglementation pour exclure le droit du fonctionnaire et de ses ayants droit de demander une indemnisation complémentaire lorsque l’institution est responsable de l’accident selon le droit commun et que les prestations du régime statutaire ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi. S’il est vrai que cet arrêt concerne une hypothèse où la faute de l’institution a été commise dans le cadre de l’exercice des fonctions du fonctionnaire, il établit le principe selon lequel le silence du statut n’implique pas l’exclusion de tout ce qui n’y est pas explicitement prévu. Ce principe est donc transposable aux circonstances de l’espèce.

109    En outre, l’argument soulevé par la Commission concernant l’article 85 bis du statut ne peut pas remettre en cause cette conclusion. En effet, ledit article concerne la subrogation de l’Union dans l’hypothèse d’un dommage imputable à un tiers, alors que, en l’espèce, elle doit être considérée comme coauteur du dommage réalisé. Dès lors, le fait qu’elle se soit constituée partie civile au procès pénal devant le juge marocain est dépourvu de pertinence afin de déterminer s’il y a lieu de reconnaître sa responsabilité in solidum avec l’assassin.

110    Après avoir établi que le silence du statut n’exclut pas la responsabilité in solidum pour le préjudice subi par un fonctionnaire et causé par un comportement fautif d’une institution et avant d’examiner la question de savoir si ladite responsabilité peut trouver son fondement dans les principes communs aux droits des États membres, il y a lieu d’examiner deux objections soulevées par la Commission.

111    Cette dernière soutient, premièrement, que, en ce qui concerne la règle du concours entre l’action d’une institution et le fait d’un tiers, la référence aux principes découlant des ordres juridiques des États membres est dénuée de pertinence, dans la mesure où, conformément à l’article 270 TFUE, la compétence du juge de l’Union pour connaître de tout litige entre l’Union et ses agents est exercée dans le cadre du statut et, deuxièmement, que, dès lors que la source de l’obligation du devoir de réparation est différente, celle de l’assassin provenant de la commission du crime d’homicide régie par le droit pénal marocain et celle de la Commission, en tant qu’employeur, revêtant un caractère « administratif-civil », la responsabilité in solidum ne peut pas être admise, la source de ces deux obligations n’étant pas identique.

112    En ce qui concerne la première objection, elle doit être rejetée sur le fondement du raisonnement développé aux points 106 et 107 ci-dessus. En effet, le fait que le statut ne contient pas de règles concernant la responsabilité in solidum d’une institution qui a concouru à la réalisation d’un dommage subi par un fonctionnaire en dehors de l’exercice de ses fonctions n’a pas pour effet d’exclure automatiquement le principe d’une telle responsabilité.

113    En ce qui concerne la seconde objection, elle doit également être rejetée. En effet, s’il est incontestable que le juge de l’Union n’est pas compétent pour connaître de la faute de l’assassin, qui relève du droit pénal marocain, il reste compétent pour juger de la responsabilité de l’institution lorsqu’elle a causé, seule ou avec un tiers, un préjudice à un fonctionnaire. Le statut lui-même offre une interprétation permettant de rejeter l’argument de la Commission. En effet, si Alessandro Missir Mamachi avait été tué en raison de ses fonctions, la Commission aurait été solidairement responsable avec l’assassin, au sens de l’article 24 du statut. Certes, le fait qu’Alessandro Missir Mamachi n’ait pas été tué en raison de ses fonctions empêche l’application dudit article, mais son libellé démontre que la nature de la responsabilité d’un tiers n’a aucun impact sur l’obligation in solidum incombant à l’institution coauteur d’un dommage. En effet, l’article 24 du statut démontre que le juge de l’Union peut être appelé à connaître d’un litige concernant la question de la responsabilité in solidum d’une institution par le fait d’un tiers, la nature de la responsabilité du tiers n’ayant aucun impact sur la compétence du juge de l’Union pour se prononcer sur la responsabilité in solidum d’une institution.

114    À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 24, second alinéa, du statut précise que les Communautés réparent solidairement les dommages subis si le fonctionnaire n’a pas pu obtenir réparation de la part de l’auteur. Cette disposition a été interprétée par le Tribunal comme subordonnant la recevabilité du recours en indemnité intenté par un fonctionnaire à l’épuisement des voies de recours nationales, pour autant que celles-ci assurent d’une manière efficace la protection des personnes intéressées et puissent aboutir à la réparation du dommage allégué (arrêt du 12 juillet 2011, Commission/Q, T‑80/09 P, EU:T:2011:347, point 67). Or, cette jurisprudence ne peut pas être appliquée par analogie en l’espèce. En effet, cette interprétation a été élaborée dans l’hypothèse où l’institution n’avait pas commis de faute, alors que, en l’espèce, la Commission a commis une faute ayant contribué à la réalisation du préjudice. Ainsi, si, dans l’hypothèse où l’institution n’avait pas commis de faute, le Tribunal avait subordonné la possibilité, pour le fonctionnaire, de demander à cette institution de réparer le dommage causé par un tiers au fait que le fonctionnaire ait fait le nécessaire pour obtenir la réparation due devant un juge national, afin d’éviter que celui-ci ne se retourne immédiatement contre l’institution sans avoir tenté d’obtenir la réparation due par le tiers, l’application de ce principe aux circonstances de l’espèce serait fortement insatisfaisante et non équitable, étant donné que la Commission est coauteur, avec le tiers, du fait qui a causé le préjudice subi. Par ailleurs, il ressort du dossier que, dans le cadre du procès pénal contre le tiers qui a commis l’assassinat, l’insolvabilité de ce dernier a été constatée par la cour d’appel de Rabat, qui l’a condamné à payer un dirham (MAD) symbolique au profit de l’Union, intervenue comme partie civile à la procédure. Ainsi, en l’espèce, le tiers étant insolvable, il semblerait encore plus insatisfaisant de conclure que le recours des requérants ne serait pas recevable en raison du fait que ces derniers n’avaient pas épuisé les voies de recours prévues par l’ordre juridique marocain.

115    Cette conclusion n’est pas non plus remise en cause par l’arrêt du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission (5/66, 7/66, 13/66 à 16/66 et 18/66 à 24/66, non publié, EU:C:1967:31), cité dans les conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:290, point 106), dans lequel la Cour a jugé en substance que, en cas de responsabilité extracontractuelle solidaire de l’Union et d’un État membre, les particuliers prétendument lésés devaient d’abord saisir les juridictions nationales compétentes si les autorités des États membres étaient principalement ou essentiellement responsables des violations alléguées. En effet, cette hypothèse de responsabilité solidaire concerne une situation d’administration mixte entre l’Union et un État membre alors que, en l’espèce, les circonstances factuelles sont différentes.

116    Il y a donc lieu d’examiner s’il ressort des ordres juridiques des États membres un principe général qui reconnaît la responsabilité in solidum des coauteurs d’un même dommage et est susceptible de trouver application en l’espèce, dans le cas où une institution a concouru à la réalisation d’un dommage subi par un fonctionnaire en dehors de l’exercice de ses fonctions.

117    Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que l’article 340, deuxième alinéa, TFUE dispose que, « [e]n matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ».

118    À cet égard, il y a lieu de constater qu’il découle des droits des États membres un principe général commun selon lequel, dans des circonstances semblables à celles de l’espèce, le juge national reconnaît la responsabilité in solidum des coauteurs du même dommage, considérant comme équitable le fait que la personne lésée n’ait pas, d’une part, à déterminer la quote-part du dommage dont chacun des coauteurs est responsable et, d’autre part, à supporter le risque que celui d’entre eux qu’elle poursuit se trouve être insolvable.

119    À la lumière de ces considérations, il y a lieu de conclure que le Tribunal de la fonction publique a commis une erreur de droit en limitant à 40 % la participation de la Commission à l’indemnisation du préjudice matériel subi par les enfants d’Alessandro Missir Mamachi. Ainsi, sans qu’il soit nécessaire d’examiner l’argument tiré du droit dérivé de l’Union, la quatrième branche du deuxième moyen doit être accueillie.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal de la fonction publique en jugeant que le dommage matériel a été intégralement réparé par les prestations statutaires

120    À titre liminaire, les requérants font valoir que, comme l’indique le tableau 2, produit en annexe A.2 du pourvoi, le montant mentionné au point 202 de l’arrêt de première instance représente le total des prestations auxquelles les enfants d’Alessandro Missir Mamachi ont droit jusqu’à leur dix-huitième anniversaire, soit 1 381 077 euros, et de celles auxquelles ils pourraient avoir droit, à condition qu’ils restent à la charge de la famille et qu’ils poursuivent des études jusqu’à leur vingt-sixième anniversaire, soit 1 097 298 euros. Par ailleurs, les requérants ajoutent que, dans le pays de résidence des quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi, le Royaume de Belgique, les études universitaires sont normalement terminées entre 22 et 23 ans. En conséquence, abstraction faite de la nature purement hypothétique du montant de 1 097 298 euros dont le versement est subordonné à une série de conditions qui pourraient très bien ne pas être remplies, les requérants considèrent, en tout état de cause, que ces montants ne peuvent pas être déduits du montant de l’indemnisation revenant aux quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi.

121    Par suite, les requérants soutiennent que le Tribunal de la fonction publique, en jugeant que toutes les prestations statutaires, y compris celles distinctes du capital-indemnité prévu à l’article 73 du statut, devaient être prises en compte pour apprécier si le dommage causé par la Commission avait déjà été indemnisé, a commis une erreur de droit.

122    À l’appui de ce moyen, en premier lieu, les requérants font valoir que l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), invoqué par la Commission et cité par le Tribunal de la fonction publique au point 204 de l’arrêt de première instance, ne peut pas être appliqué aux circonstances de l’espèce. Selon eux, cet arrêt ne concerne pas toutes les prestations statutaires, mais seulement le capital-indemnité prévu à l’article 73 du statut.

123    En deuxième lieu, les requérants soutiennent que les prestations de pension versées aux quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi au titre du statut ne peuvent être déduites de l’indemnisation du dommage imputable à la Commission, en raison du fait que les prestations ayant le caractère d’une pension sont accordées sur la base d’un droit que le fonctionnaire a acquis au titre de sa relation de travail et qui, en tant que droit propre au fonctionnaire, est transféré automatiquement aux héritiers. À cet égard, les requérants affirment qu’une conclusion différente reviendrait à une discrimination à l’égard des quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi, étant donné que ces derniers devraient recevoir, en pratique, le même montant que les enfants d’un fonctionnaire décédé de mort naturelle. En outre, les requérants soutiennent que, à défaut de règles découlant de l’ordre juridique de l’Union, l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), au point 22, se réfère au droit existant dans la majeure partie des États membres en matière de responsabilité extracontractuelle de l’institution vis-à-vis d’un fonctionnaire.

124    En troisième lieu, en ce qui concerne le fait que, comme l’a relevé le Tribunal de la fonction publique au point 111 de l’arrêt de première instance, Livio Missir Mamachi « n’a[vait] présenté aucune demande au titre de la perte de droits à pension que son fils aurait pu acquérir », les requérants font valoir qu’ils ont « quantifié le préjudice patrimonial subi par les héritiers Missir Mamachi sans tenir compte des prestations sociales auxquelles le fonctionnaire défunt aurait eu droit en considérant que les droits à pension acquis par le défunt [étaient] compensés par la pension d’orphelin qui a[vait] été accordée » aux enfants de ce dernier. À cet égard, les requérants considèrent que les prestations versées au titre de l’assurance pension aux enfants d’Alessandro Missir Mamachi correspondent aux sommes que ce dernier aurait probablement reçues après avoir atteint l’âge de la pension prévue par le statut. À la lumière de ces considérations, les requérants soulignent que, si les droits à pension étaient déduits de l’indemnisation, les montants relatifs à ces droits seraient déduits deux fois. D’une part, ils seraient exclus de la quantification du préjudice matériel. D’autre part, ils seraient déduits du remboursement dû aux héritiers du fonctionnaire assassiné.

125    La Commission affirme que le Tribunal de la fonction publique a à bon droit estimé que le juge, lorsqu’il apprécie si le préjudice subi a été ou non réparé par l’institution, prend en compte toutes les prestations statutaires. À l’appui de cette considération, la Commission cite les arrêts du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), et du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission (C‑257/98 P, EU:C:1999:402), dans lesquels il est précisé que le droit du fonctionnaire à une réparation en droit commun est seulement complémentaire et uniquement si le fonctionnaire démontre que les prestations du régime statutaire ne suffisent pas à assurer la pleine réparation du préjudice subi. Il s’ensuit, selon la Commission, que, si les prestations versées au titre de l’assurance pension n’étaient pas déduites de l’indemnisation, les ayants droit recevraient une double indemnisation, à savoir les pensions d’orphelin et le montant dû pour la réparation du dommage.

126    La Commission soutient que, comme le Tribunal de la fonction publique l’a souligné au point 202 de l’arrêt de première instance, elle a déjà accordé aux ayants droit des sommes qui allaient au-delà des prestations normalement prévues par le statut. Cet élément démontrerait, selon la Commission, qu’elle a tenu compte des circonstances particulières de la mort d’Alessandro Missir Mamachi dans l’octroi des prestations, de façon à exclure une situation discriminatoire.

127    S’agissant de la référence faite par les requérants aux ordres juridiques des États membres dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), la Commission observe que, au point 22 de cet arrêt, la Cour ne se réfère pas au droit existant dans la majeure partie des États membres en matière de responsabilité extracontractuelle de l’institution vis-à-vis du fonctionnaire en cause, mais à l’indemnisation des conséquences de l’accident pour l’épouse et les filles de M. Leussink, indemnisation que la Cour a, en tout cas, exclue. La Commission ajoute en outre que, à la lumière de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal établissant la nature complémentaire de l’action en réparation pour faute de droit commun, il ne peut être soutenu, contrairement aux affirmations des requérants, qu’il n’existe pas de règles de droit de l’Union régissant le droit à la réparation d’un préjudice subi par les fonctionnaires. En conséquence, la référence à la jurisprudence des États membres serait, selon la Commission, dépourvue de toute pertinence.

128    Enfin, au sujet du risque d’une double déduction, la Commission observe que l’affirmation du Tribunal de la fonction publique au point 111 de l’arrêt de première instance est « totalement accessoire et subsidiaire et, partant, inopérante ».

129    À titre liminaire, il y a lieu de constater que, bien que dans leurs conclusions les requérants demandent la réparation d’un préjudice matériel de 3 975 329 euros, dans le pourvoi ils ne contestent pas le montant de 3 millions d’euros défini par le Tribunal de la fonction publique sur la base de la rémunération qu’Alessandro Missir Mamachi aurait perçue jusqu’à la date de sa retraite, réduit de la somme dont ce dernier et son épouse auraient disposé pour leurs besoins. En effet, par le présent moyen, les requérants se limitent à contester le fait que le Tribunal de la fonction publique a jugé que toutes les prestations statutaires, y compris celles distinctes du capital-indemnité prévu à l’article 73 du statut, devaient être prises en compte aux fins de la réparation du préjudice matériel. Par ailleurs, même en admettant qu’en demandant la réparation d’un préjudice matériel de 3 975 329 euros, les requérants remettent en cause la détermination du montant de 3 millions d’euros défini par le Tribunal de la fonction publique, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lorsque le Tribunal de la fonction publique a constaté l’existence d’un dommage, il est seul compétent pour apprécier, dans les limites de la demande, le mode et l’étendue de la réparation de ce dommage, sous réserve que, afin que le Tribunal puisse exercer son contrôle juridictionnel sur les arrêts du Tribunal de la fonction publique, ceux-ci soient suffisamment motivés et, s’agissant de l’évaluation d’un préjudice, qu’ils indiquent les critères pris en compte aux fins de la détermination du montant retenu (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Commission/Thomé, T‑669/13 P, EU:T:2014:929, point 79 et jurisprudence citée). Ainsi, les requérants n’ayant pas expliqué en quoi le Tribunal de la fonction publique aurait commis une erreur dans l’application des critères utilisés pour déterminer le montant de 3 millions d’euros, il y a lieu de conclure que ce montant correspond à l’indemnisation du préjudice matériel subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi.

130    Ensuite, il y a lieu de clarifier la portée, d’une part, de l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), auquel le Tribunal de la fonction publique fait référence au point 204 de l’arrêt de première instance et que les requérants considèrent comme n’étant pas applicable aux circonstances de l’espèce, et, d’autre part, de l’arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission (C‑257/98 P, EU:C:1999:402), auquel la Commission se réfère dans ses observations.

131    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), la Cour était appelée à se prononcer sur la question de savoir si la couverture des risques d’accident prévue par l’article 73 du statut et par la réglementation constituait un régime d’indemnisation exhaustif qui, en cas d’accident du travail, excluait toute autre prétention à titre de dommages et intérêts basée sur les principes de droit commun. En effet, M. Leussink, son épouse et leurs quatre enfants avaient introduit une demande indemnitaire complémentaire, en soutenant que l’indemnité prévue à l’article 73 du statut ne couvrait que les conséquences économiques de l’accident et non pas leur préjudice moral. La Cour a tout d’abord jugé, au point 11 de l’arrêt, que la couverture prévue par l’article 73 du statut reposait sur un régime général d’assurance contributif contre les risques d’accident au cours et en dehors du service et que le droit à la prestation était indépendant de l’auteur de l’accident et de la responsabilité encourue par lui. Par la suite, au point 13 de cet arrêt, la Cour a jugé que, en l’absence de toute disposition expresse dans la réglementation concernant des demandes complémentaires à l’encontre de l’institution, il ne saurait être tiré argument de celle-ci pour exclure le droit du fonctionnaire et de ses ayants droit de demander une indemnisation complémentaire lorsque l’institution est responsable de l’accident selon le droit commun et que les prestations du régime statutaire ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi.

132    Après avoir établi qu’il s’agissait d’un accident du travail et que l’accident en question était dû à une négligence de nature à engager la responsabilité de la Commission (arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission, 169/83 et 136/84, EU:C:1986:371, points 15 à 17), la Cour a accordé à M. Leussink une indemnisation complémentaire de 2 millions de francs belges (BEF). S’agissant de l’épouse et des quatre enfants de ce dernier, la Cour a estimé que les conséquences de l’accident pour la vie familiale constituaient la répercussion du préjudice subi par M. Leussink et qu’elles ne figuraient pas parmi celles dont la Commission pouvait être tenue responsable en tant qu’employeur.

133    S’agissant de l’arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission (C‑257/98 P, EU:C:1999:402), cité par la Commission dans le mémoire en réponse, la Cour a confirmé, au point 23, que les prestations reçues au titre de l’article 73 du statut à la suite d’un accident ou d’une maladie professionnelle devaient être prises en compte par le juge de l’Union aux fins de l’évaluation du préjudice réparable, dans le cadre d’un recours en dommages et intérêts introduit par un fonctionnaire sur le fondement d’une faute de nature à engager la responsabilité de son institution employeur.

134    Ainsi, les arrêts du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), et du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission (C‑257/98 P, EU:C:1999:402), ont clarifié la relation entre les prestations reçues au titre de l’article 73 du statut à la suite d’un accident ou d’une maladie professionnelle et le régime d’indemnisation au titre du droit commun.

135    En premier lieu, le régime prévu à l’article 73 du statut et celui de droit commun sont complémentaires, de sorte qu’il est possible d’introduire une demande d’indemnisation complémentaire lorsque l’institution est responsable de l’accident selon le droit commun et que les prestations versées sur la base de l’article 73 du statut ne sont pas suffisantes pour assurer la pleine réparation du préjudice subi (arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission, 169/83 et 136/84, EU:C:1986:371, point 13).

136    En second lieu, en application de ce principe, la jurisprudence a aussi clarifié le fait que les prestations reçues au titre de l’article 73 du statut, à la suite d’un accident ou d’une maladie professionnelle, devaient être prises en compte aux fins de l’évaluation du préjudice réparable dans le cadre d’un recours en dommages et intérêts introduit par un fonctionnaire sur le fondement d’une faute de nature à engager la responsabilité de son institution employeur. En effet, si ce n’était pas le cas, il y aurait une double indemnisation (arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, point 22).

137    Ces deux arrêts ne se prononcent cependant pas sur la question de savoir si toutes les prestations d’assurance sociale doivent être prises en compte dans la détermination du préjudice réparable. Toutefois, en l’espèce, en se référant, au point 204 de l’arrêt de première instance, à l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), le Tribunal de la fonction publique n’a pas commis d’erreur de droit.

138    En effet, même si l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), a pour objet la relation entre l’indemnisation due conformément à l’article 73 du statut et celle due sur la base du droit commun, il ne découle pas de cet arrêt que toute autre prestation prévue par le statut ne doit pas être prise en considération dans la détermination du montant dû au titre de l’indemnisation du préjudice subi. Par ailleurs, comme le fait valoir la Commission, si les prestations de l’assurance pension, c’est-à-dire les pensions d’orphelin, n’étaient pas déduites du montant dû au titre de la réparation du préjudice, les ayants droit recevraient une double indemnisation, la première composée des pensions d’orphelin et la seconde due pour la réparation du dommage. En outre, les pensions d’orphelin reçues par les ayants droit d’Alessandro Missir Mamachi équivalent aux prestations que celui-ci aurait reçues s’il était resté en vie et, donc, en tant que telles, doivent être déduites du montant de l’indemnisation du préjudice matériel. Enfin, l’article 73, paragraphe 2, troisième alinéa, du statut prévoit que l’indemnisation due en cas de décès peut être cumulée avec celles prévues à son chapitre 3 et, donc, avec la pension d’orphelin prévue à son article 80. Ainsi, l’argument des requérants selon lequel le principe établi dans l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), ne s’applique pas en l’espèce ne peut pas prospérer.

139    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument des requérants selon lequel il serait discriminatoire de considérer que les pensions d’orphelin versées aux quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi au titre du statut puissent être déduites de l’indemnisation du dommage imputable à la Commission, dans la mesure où cela impliquerait de traiter les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi comme les enfants d’un fonctionnaire décédé de mort naturelle. À cet égard, il suffit de constater que, contrairement à ce que les requérants font valoir et comme cela a été constaté par le Tribunal de la fonction publique au point 204 de l’arrêt de première instance, la Commission a tenu compte des circonstances très particulières de l’espèce, en ayant accordé aux quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi des sommes allant au-delà des obligations statutaires prévues pour les ayants droit d’un fonctionnaire décédé de mort naturelle. En effet, la Commission a accordé une promotion post mortem à ce dernier et, sur la base de cette promotion, a calculé les prestations dues à ses ayants droit. En outre, la Commission, faisant application de l’article 76 du statut, a accordé à chaque enfant une somme mensuelle correspondant à deux allocations pour enfant à charge. Enfin, il y a lieu de relever que les requérants se fondent sur une prémisse erronée, dans la mesure où les enfants d’un fonctionnaire qui n’est pas décédé à la suite d’un accident ou d’une maladie professionnelle, mais de mort naturelle, ne reçoivent pas l’indemnisation versée, conformément à l’article 73 du statut, aux enfants d’un fonctionnaire décédé par accident ou à la suite d’une maladie professionnelle. Ainsi, les requérants ne peuvent pas valablement soutenir que le Tribunal de la fonction publique a commis une erreur de droit, dans la mesure où il ne peut pas être reproché à celui-ci d’avoir constaté que les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi avaient été traités comme les enfants d’un fonctionnaire décédé de mort naturelle.

140    Il y a également lieu de rejeter l’argument des requérants selon lequel, à défaut de règles découlant du droit de l’Union, l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), se réfère au droit existant dans la majeure partie des États membres en matière de responsabilité extracontractuelle de l’institution vis-à-vis d’un fonctionnaire. En effet, au point 22 de cet arrêt, la Cour ne se réfère pas au droit existant dans la majeure partie des États membres en matière de responsabilité extracontractuelle vis-à-vis du fonctionnaire, et plus particulièrement au caractère déductible des prestations sociales versées, mais à l’indemnisation des conséquences de l’accident pour la vie familiale, indemnisation que la Cour a, en tout état de cause, exclue.

141    Il convient également de rejeter comme inopérant l’argument des requérants selon lequel le Tribunal de la fonction publique a commis une erreur de droit, au point 111 de l’arrêt de première instance, en jugeant qu’ils n’avaient pas présenté de demande au titre de la perte de droits à pension. En effet, les requérants soutiennent qu’ils n’étaient pas tenus de demander une indemnisation au titre de ces droits, étant donné qu’ils ne peuvent pas être pris en compte dans la détermination du montant de l’indemnisation du préjudice matériel. Or, contrairement à ce que les requérants soutiennent, au point 111 de l’arrêt de première instance, le Tribunal de la fonction publique s’est limité à constater qu’aucune demande au titre de la perte de droits à pension n’avait été présentée, malgré le fait que la jurisprudence, et plus particulièrement les arrêts du 5 octobre 2004, Sanders e.a./Commission (T‑45/01, EU:T:2004:289, point 167), et du 12 juillet 2007, Sanders e.a./Commission (T‑45/01, EU:T:2007:221, points 87 à 90), admette que ces droits puissent être pris en considération dans l’évaluation d’un préjudice matériel. Dès lors, le fait que les requérants considèrent qu’ils n’étaient pas tenus de présenter une demande au titre de la perte de droits à pension est sans incidence sur l’appréciation correcte, et par ailleurs non remise en cause, faite par le Tribunal de la fonction publique, qui a constaté qu’aucune demande à ce titre n’avait été présentée.

142    Enfin, les requérants soutiennent que la somme due aux quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi, s’ils poursuivaient des études jusqu’à leur vingt-sixième anniversaire, aurait une nature hypothétique, dans la mesure où son versement est soumis à une série de conditions qui pourraient très bien ne pas être remplies et donc ne pourrait pas être prise en compte comme étant une prestation reçue par eux.

143    Le Tribunal de la fonction publique a jugé, au point 202 de l’arrêt de première instance, que le montant des sommes déjà versées par la Commission ou qu’elle continuerait de verser s’élevait à 1,4 million d’euros et que ce montant pourrait être porté à environ 2,4 millions d’euros si les prestations concernées étaient versées jusqu’au vingt-sixième anniversaire de chacun des quatre enfants. Il convient dès lors de constater que le Tribunal de la fonction publique ne s’est pas prononcé expressément sur le principe du caractère déductible de ces dernières sommes du montant dû au titre du préjudice indemnisable.

144    À la lumière de ces considérations, l’argument tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal de la fonction publique au regard du caractère hypothétique du montant reçu par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi s’ils poursuivaient leurs études jusqu’à leur vingt-sixième anniversaire doit être rejeté comme étant inopérant, et le troisième moyen dans son ensemble comme étant non fondé.

145    Au vu de l’ensemble de ces développements, il y a lieu d’annuler l’arrêt de première instance pour autant que le Tribunal de la fonction publique a rejeté comme étant irrecevables les demandes en réparation du préjudice moral de Livio Missir Mamachi et des quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi et a limité la responsabilité de la Commission à hauteur de 40 % du préjudice matériel subi par les ayant droits d’Alessandro Missir Mamachi, alors qu’il aurait dû condamner cette dernière in solidum à la réparation du dommage.

 Sur le recours de première instance

[omissis]

 Sur la demande en réparation du préjudice matériel subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi

148    Il ressort des points 118 et 119 ci-dessus que la Commission est condamnée in solidum à la réparation du préjudice matériel subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi. Le montant de la réparation de ce préjudice a été fixé à 3 millions d’euros.

149    Il y a lieu de relever que, aux points 138 et 139 ci-dessus, il est également jugé que c’est à bon droit que le Tribunal de la fonction publique a jugé que les pensions d’orphelin devaient être prises en compte aux fins de la réparation du préjudice matériel.

150    À cet égard, il y a lieu de rappeler les règles statutaires susceptibles d’avoir une incidence dans la présente affaire en ce qui concerne les prestations qui, pouvant être considérées comme une modalité de réparation du préjudice matériel, à savoir la perte de rémunération d’Alessandro Missir Mamachi, doivent être déduites du montant de 3 millions d’euros.

151    Premièrement, l’article 70, premier alinéa, du statut prévoit que, en cas de décès d’un fonctionnaire, les enfants à charge bénéficient de la rémunération globale du défunt jusqu’à la fin du troisième mois suivant celui du décès. Deuxièmement, l’article 73, paragraphe 2, sous a), du statut établit qu’en cas de décès les membres de la famille indiqués dans cette disposition reçoivent un capital égal à cinq fois le traitement de base annuel de l’intéressé calculé sur la base des traitements mensuels alloués pour les douze mois précédents. Troisièmement, l’article 76 du statut prévoit que des dons, prêts ou avances peuvent être accordés aux ayants droit d’un fonctionnaire décédé qui se trouvent dans une situation particulièrement difficile pour différentes raisons, y compris leur situation de famille. Quatrièmement, l’article 80 du statut établit que, lorsqu’un fonctionnaire est décédé sans laisser de conjoint ayant droit à une pension de survie, les enfants reconnus à sa charge au sens de l’article 2 de l’annexe VII au moment du décès ont droit à une pension d’orphelin, dans les conditions prévues à l’article 21 de l’annexe VIII. À cet égard, il y a de relever que l’article 21, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VIII prévoit que l’orphelin a droit à une allocation scolaire dans les conditions prévues à l’article 3 de l’annexe VII. Cinquièmement, il ressort de l’article 67, paragraphes 2 et 4, du statut que les allocations pour enfant à charge peuvent être versées à une personne autre que le fonctionnaire.

152    En l’espèce, il ressort du dossier que, premièrement, conformément à l’article 70, premier alinéa, du statut, la Commission a versé aux quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi la rémunération globale de ce dernier du 1er octobre au 31 décembre 2006. Deuxièmement, la Commission leur a versé la somme globale de 414 308,90 euros, à titre de capital-décès, conformément à l’article 73, paragraphe 2, sous a), dudit statut, ainsi que la somme globale de 76 628,40 euros, en raison du décès du conjoint, au titre de l’article 25 de l’annexe X de celui-ci. Troisièmement, la Commission a reconnu aux quatre enfants, à partir du 1er janvier 2007, le droit à la pension d’orphelin prévue à l’article 80 du statut, à savoir un montant global de 4 376,82 euros par mois, et à l’allocation scolaire visée à l’annexe VII du statut, à savoir un montant global de 2 287,19 euros par mois. Quatrièmement, conformément à l’article 76 du statut, par décision du 14 mai 2007, la Commission a accordé à chacun des quatre enfants, jusqu’à l’âge de 19 ans, un secours mensuel extraordinaire pour raisons sociales, égal au montant d’une allocation pour enfant à charge, pour un montant global de 1 332,76 euros par mois. Par décision du 4 juillet 2008, cette dernière somme a été doublée à partir du 1er août 2008. Cinquièmement, il ressort de l’annexe 4 du dossier en première instance que Livio Missir Mamachi recevait une allocation pour enfants à charge d’un montant global de 1 453,84 euros par mois et une réduction d’impôt après application des quatre abattements liés aux enfants à charge qui, en tenant compte de l’impôt dû sans enfant à charge et de celui réellement payé, impliquait le versement par la Commission d’un montant de 1 015,78 euros.

153    Il y a lieu de constater que, en dehors du montant de 76 628,40 euros, reçu en raison du décès du conjoint au titre de l’article 25 de l’annexe X, qui ne peut pas être considéré comme une modalité par le biais de laquelle la Commission doit remplir son obligation de réparation du préjudice matériel consistant dans la perte de rémunération d’Alessandro Missir Mamachi, le montant versé conformément à l’article 70, premier alinéa, du statut, le capital-décès octroyé au titre de l’article 73, paragraphe 2, sous a), du statut, les pensions d’orphelin dues sur la base de l’article 80 du statut, les allocations scolaires visées à l’annexe VII du statut, le secours mensuel extraordinaire accordé conformément à l’article 76 du statut, les allocations pour enfants à charge ainsi que le montant lié à l’abattement d’impôt doivent être déduits du montant de 3 millions d’euros.

154    S’agissant des pensions d’orphelin, il a été constaté au point 138ci-dessus que, si elles n’étaient pas déduites du montant dû au titre de la réparation du préjudice matériel subi, les ayants droit recevraient une double indemnisation. S’agissant du montant versé conformément à l’article 70 du statut, il correspond à trois mois de traitement d’Alessandro Missir Mamachi et, donc, doit être pris en compte dans le paiement de la réparation liée à la perte de rémunération de ce dernier. S’agissant du capital-décès octroyé au titre de l’article 73, paragraphe 2, sous a), du statut, il est indiqué, au point 136 ci-dessus, que, selon une jurisprudence constante, cette indemnité doit être prise en compte dans la détermination du montant du préjudice dû (arrêts du 8 octobre 1986, Leussink/Commission, 169/83 et 136/84, EU:C:1986:371, point 13, et du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, point 22). La même conclusion s’applique au secours extraordinaire accordé conformément à l’article 76 du statut. En effet, comme il a été relevé au point 139 ci-dessus, ce secours est étroitement lié à l’indemnité octroyée au titre de l’article 73, paragraphe 2, sous a), du statut. Enfin, s’agissant des allocations scolaires, des allocations pour enfants à charge ainsi que du montant reçu en raison de l’abattement d’impôt, il y a lieu de constater que, si Alessandro Missir Mamachi n’était pas décédé, il les aurait perçus dans son traitement. Partant, ils peuvent être également considérés comme un paiement pour la perte de sa rémunération.

155    À cet égard, il y a lieu de préciser que, certes, comme les requérants le font valoir, certaines prestations dues aux quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi sont subordonnées à des conditions futures, à savoir qu’ils restent à charge et qu’ils poursuivent des études jusqu’à leur vingt-sixième anniversaire, conditions qui pourraient ne pas être remplies par un, deux, trois ou même les quatre enfants. Par ailleurs, comme les requérants le font aussi valoir, il pourrait également s’avérer que les quatre enfants poursuivent des études universitaires qui se termineront avant leur vingt-sixième anniversaire. Toutefois, dans ces hypothèses, si les prestations statutaires effectivement versées devaient ne pas atteindre le montant de 3 millions d’euros, la Commission serait tenue de verser la différence nécessaire pour atteindre ce montant, dans la mesure où le préjudice matériel subi correspond à cette indemnisation. En effet, le versement du montant des prestations dues si les quatre enfants restaient à charge et poursuivaient des études jusqu’à leur vingt-sixième anniversaire ou les terminaient avant ledit anniversaire représente une modalité par le biais de laquelle la Commission doit remplir son obligation de réparation, le montant de 3 millions d’euros dû au titre de la réparation du préjudice matériel subi étant définitivement fixé.

[omissis]

 Sur les demandes en réparation du préjudice moral subi par Alessandro Missir Mamachi, ses quatre enfants et Livio Missir Mamachi

171    En l’espèce, le Tribunal dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur les demandes en réparation des préjudices moraux subis par Alessandro Missir Mamachi, par ses quatre enfants et par Livio Missir Mamachi. Il convient de préciser, à titre liminaire, que, à l’instar des préjudices matériels, la Commission a manqué à l’obligation de protection de son personnel et doit être considérée comme étant coauteur des dommages moraux subis.

 Sur la demande en réparation du préjudice moral subi par Alessandro Missir Mamachi

172    Les requérants font valoir que, à cause du comportement illicite de la Commission, Alessandro Missir Mamachi a subi un préjudice moral réel et effectif. Selon les requérants, ce préjudice consiste en la souffrance physique qu’il a éprouvée du moment de l’agression jusqu’à celui de sa mort, qui s’est probablement produite par exsanguination après que l’assassin l’a laissé sur les lieux du crime. À cela devrait s’ajouter l’état de bouleversement et de traumatisme psychologique dû au fait d’assister impuissant à l’agression et à la mise à mort barbare de son épouse bien-aimée, la conscience tragique de sa propre fin imminente ainsi que le sentiment d’insécurité, d’inquiétude et de terrible angoisse pour le sort de ses quatre jeunes enfants destinés à rester orphelins de père et de mère dans le cas où ils réussiraient à survivre à l’agression. Selon les requérants, ce droit à l’indemnisation du préjudice moral subi par Alessandro Missir Mamachi ressort du droit de l’Union et du droit italien.

173    La Commission soutient que la reconnaissance de ce type de dommage est propre au système juridique italien, conformément à l’article 2059 du code civil italien et à la jurisprudence relative aux biens constitutionnellement protégés en vertu de la Constitution italienne. Selon la Commission, dans le droit de la fonction publique de l’Union, il n’existe pas de fondement juridique permettant d’invoquer ce type de dommage.

174    À titre liminaire, l’objection soulevée par la Commission, selon laquelle il n’existerait, dans le droit de la fonction publique de l’Union, aucun fondement juridique permettant d’invoquer ce type de dommage, ne peut pas prospérer. En effet, il suffit de constater que, comme il a déjà été relevé au point 107 ci-dessus, le silence du statut n’implique pas l’exclusion de tout ce qui n’y est pas explicitement prévu, un éventuel fondement juridique pouvant résulter des principes découlant des ordres juridiques des États membres.

175    Il y a donc lieu d’examiner s’il ressort des ordres juridiques des États membres un principe général qui reconnaît à la victime un droit à l’indemnisation de son préjudice moral consistant en des souffrances physique et psychologique éprouvées jusqu’au moment de son propre décès.

176    À cet égard, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que les requérants font valoir, il ne ressort pas des droits des États membres un principe général commun selon lequel, dans des circonstances semblables à celles de l’espèce, un juge national aurait indemnisé ce type de préjudice moral.

177    Partant, la demande en réparation du préjudice moral subi par Alessandro Missir Mamachi doit être rejetée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée à son endroit par la Commission.

 Sur les demandes en réparation du préjudice moral subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi

178    Selon les requérants, à cause de la disparition d’Alessandro Missir Mamachi, ses quatre enfants ont subi jure proprio un préjudice non patrimonial réel et effectif, tant moral qu’existentiel, qui s’ajoute au préjudice de la perte de la relation parentale, et dont le droit à réparation trouve son fondement dans le droit de l’Union et le droit italien.

179    Les requérants font valoir que le préjudice moral allégué est lié aux évènements tragiques de la nuit du 18 septembre 2006 et correspond au terrible traumatisme psychologique et émotionnel subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi du fait d’avoir assisté au spectacle horrible et bouleversant de l’agonie et de la mort de leurs parents et d’avoir ensuite veillé leurs cadavres pendant toute la nuit, dans l’incapacité, en raison de leur jeune âge, de prendre d’autres initiatives. Ce traumatisme serait aussi à l’origine du préjudice existentiel subi par les quatre enfants mineurs, qui resteront marqués toute leur vie par la terrible et angoissante expérience vécue dans leur enfance, expérience qui pourrait avoir à l’avenir de graves répercussions sur la qualité de leurs relations humaines et de leurs relations sociales. Enfin, le préjudice de la perte de la relation parentale serait in re ipsa et consisterait en l’injuste douleur et la souffrance d’avoir perdu pour toujours, et qui plus est très jeunes, leurs deux parents bien-aimés.

180    En ce qui concerne la détermination du préjudice moral subi par les quatre enfants, les requérants se réfèrent, à titre prudentiel, à la jurisprudence italienne et notamment à la dernière mise à jour des tableaux établis à cette fin par le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie). Ces tableaux indiquent, pour les cas standard de liquidation du préjudice de chacun des parents ou des enfants survivants, une fourchette comprise entre 106 376 euros et 212 752 euros, de manière à permettre d’adapter l’indemnisation aux circonstances concrètes de l’affaire, circonstances qui consistent, notamment, en la survie ou non d’autres proches, en la vie commune ou non avec ceux-ci, en la qualité et l’intensité de la relation familiale affective restante et en la qualité et l’intensité de la relation affective qui caractérisait la relation parentale avec la personne perdue.

181    Les requérants ajoutent que, conformément à une jurisprudence constante des juridictions italiennes, les sommes mentionnées au point 180 ci-dessus sont toutefois purement indicatives et peuvent être majorées à la discrétion des juges dans des cas particulièrement graves. À cet égard, les requérants relèvent que, lorsqu’un enfant mineur survivant a perdu ses deux parents, le montant de l’indemnité est habituellement majoré de 25 %. Selon les requérants, en tenant compte du caractère unique et absolument exceptionnel du cas d’espèce ainsi que des circonstances particulièrement atroces et tragiques dans lesquelles Alessandro Missir Mamachi a perdu la vie, la somme ainsi déterminée doit encore être majorée de 25 %.

182    À la lumière de toutes ces considérations, les requérants demandent, à titre de dédommagement du préjudice moral subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi, un montant de 319 128 euros pour chacun entre eux, soit un total de 1 276 512 euros.

183    Premièrement, la Commission fait valoir le fait de ne pas être l’auteur du dommage subi par Alessandro Missir Mamachi. Partant, la jurisprudence italienne citée par les requérants ne serait pas pertinente dans la mesure où elle concerne des hypothèses de réparation du dommage moral par les auteurs de délits ayant causé la mort des victimes, alors que, en l’espèce, elle soutient avoir une responsabilité éventuellement subsidiaire en raison d’une faute commise au regard de la prétendue absence de mesures de sécurité adéquates.

184    Deuxièmement, la Commission considère que, dans le droit de la fonction publique de l’Union, il n’existe pas de droit à réparation du préjudice non patrimonial des membres de la famille d’un fonctionnaire. À cet égard, la Commission fait valoir que, dans l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), où, selon elle, le lien entre le comportement de l’institution et l’évènement ayant frappé le fonctionnaire était manifestement plus direct que dans le cas d’espèce, la Cour a jugé que les conséquences affectant les membres de la famille n’étaient que la simple répercussion du dommage subi par le fonctionnaire et dont l'institution ne pouvait être considérée comme responsable.

185    Troisièmement, et à titre subsidiaire, la Commission soutient, en premier lieu, en ce qui concerne le traumatisme psychologique subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi du fait d’avoir assisté à un spectacle atroce et bouleversant tel que la mort de leurs parents, qu’il ne ressort pas des actes du procès que les enfants ont assisté au meurtre de leurs parents et, donc, que ledit dommage n’est pas établi à suffisance de droit.

186    En deuxième lieu, en ce qui concerne le dommage existentiel causé par le traumatisme qui, selon les requérants, pourrait avoir dans le futur de graves répercussions sur la qualité des relations humaines et des rapports sociaux des quatre enfants, la Commission relève que, d’une part, selon la jurisprudence italienne citée par les requérants, le dommage existentiel en tant que tel n’existe pas comme catégorie autonome et, d’autre part, ce dommage n’est réparable que lorsqu’il a été subi directement par la victime, objet du délit perpétré par l’auteur du crime, qui, dans le cas d’espèce, n’est pas la Commission.

187    En troisième lieu, en ce qui concerne le dommage découlant de la perte de la relation parentale qui, selon les requérants, est in re ipsa, la Commission relève, précisément sur le fondement de la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) citée par les requérants, qu’il faut rejeter cette conclusion. En effet, selon la Commission, une telle conclusion dénature la fonction de l’indemnisation, qui serait concédée non pas à la suite de la vérification effective d’un dommage, mais en tant que mesure à caractère privé pour un comportement nuisible. En tout état de cause, ledit dommage aurait déjà fait l’objet d’une réparation sous la forme de prestations octroyées au titre de l’article 73 du statut, qui prévoit précisément une indemnité forfaitaire en cas de décès du fonctionnaire.

188    En quatrième et dernier lieu, la Commission conteste l’application, en l’espèce, des tableaux établis par le Tribunale di Milano (tribunal de Milan), aux fins de déterminer le montant du préjudice moral prétendument subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi. Tout d’abord, ces tableaux concerneraient l’hypothèse du dédommagement à charge de l’auteur du délit, hypothèse qui ne trouverait manifestement pas à s’appliquer dans le cas d’espèce, dans la mesure où la Commission n’est pas l’auteur du délit. Ensuite, ces tableaux feraient état d’une tendance suivie dans un seul État membre et, au sein de celui-ci, par une seule juridiction. Enfin, l’application des tableaux établis par le Tribunale di Milano (tribunal de Milan) proposée par les requérants serait en contradiction avec la jurisprudence italienne constante, citée par les requérants, en référence au dommage biologique, mais transposable au dommage moral, selon laquelle l’application de tableaux nécessite toujours une individualisation adéquate en fonction des circonstances de l’espèce.

189    Partant, la Commission estime que la demande d’indemnisation des dommages moraux des quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi doit être rejetée.

190    Il y a lieu d’examiner, tout d’abord, les deux objections soulevées, en substance, par la Commission, laquelle fait valoir, comme il a été indiqué aux points 183 et 184 ci-dessus, d’une part, qu’elle est responsable seulement à titre subsidiaire du dommage moral subi par les quatre enfants et, d’autre part, que l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), démontre que les conséquences affectant les membres de la famille d’un fonctionnaire ne sont que la simple répercussion du dommage subi par ce dernier et dont l’institution ne peut être considérée comme responsable.

191    En ce qui concerne la première objection, il y a lieu de rappeler qu’il ressort du point 84 ci-dessus que le Tribunal de la fonction publique a jugé, sans avoir commis d’erreur de droit, que, dans l’hypothèse d’une faute consistant en un manquement à une obligation de protection qui a contribué à causer le dommage spécifique que ladite obligation avait pour objet de prévenir, même si l’institution ne peut pas être jugée comme étant la responsable principale du dommage, cette dernière doit être considérée comme coauteur du dommage. Partant, l’argument de la Commission selon lequel elle est responsable à titre subsidiaire du dommage doit être rejeté.

192    En ce qui concerne la seconde objection, la Commission fait valoir que le principe établi dans l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), à savoir que les conséquences affectant les membres de la famille d’un fonctionnaire ne sont que la simple répercussion du dommage subi par ce dernier dont l’institution ne peut être considérée comme responsable, est applicable, a fortiori, en l’espèce.

193    Premièrement, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 octobre 1986, Leussink/Commission (169/83 et 136/84, EU:C:1986:371), dans laquelle le fonctionnaire victime d’un accident de service avait survécu et avait reçu une indemnisation complémentaire, dans la présente affaire, Alessandro Missir Mamachi est décédé sans avoir eu droit à une telle indemnisation, ainsi qu’il ressort du point 177 ci-dessus, et, donc, les conséquences sur les membres de la famille d’un fonctionnaire décédé ne peuvent pas être identiques aux conséquences sur les membres de la famille d’un fonctionnaire qui a survécu.

194    Deuxièmement, il y a lieu de constater que des droits des États membres découle un principe général commun selon lequel, dans des circonstances semblables à celles de l’espèce, la présence d’un régime garantissant le versement automatique de prestations aux ayants droit d’un fonctionnaire décédé n’est pas une entrave à ce que lesdits ayants droit, s’ils estiment que les préjudices subis ne sont pas couverts ou ne le sont pas complétement par ledit régime, obtiennent également un dédommagement de leur préjudice moral par le biais d’un recours devant une juridiction nationale.

195    À cet égard, il découle également des droits des États membres un principe général commun selon lequel le préjudice moral subi ne peut pas faire l’objet d’une double indemnisation. Partant, il appartient au juge de vérifier dans quelle mesure un régime garantissant le versement automatique de prestations couvre intégralement, en partie ou aucunement le préjudice moral subi par les ayants droit avant de déterminer le montant de l’indemnisation dudit préjudice. Enfin, il découle des droits des États membres que le principe de la responsabilité in solidum applicable au préjudice matériel dans des circonstances semblables à celles de l’espèce s’applique également au préjudice moral.

196    Partant, la deuxième objection de la Commission doit également être rejetée.

197    En ce qui concerne les critères de détermination du montant de l’indemnisation du préjudice moral subi par les quatre enfants d’Alessandro Missir Mamachi, les requérants soutiennent que ledit montant doit être établi en tenant compte, premièrement, du traumatisme psychologique et émotionnel que les quatre enfants ont subi du fait d’avoir assisté au spectacle horrible et bouleversant de l’agonie et de la mort de leurs parents et d’avoir ensuite veillé leurs cadavres pendant toute la nuit, dans l’incapacité, en raison de leur jeune âge, de prendre d’autres initiatives, deuxièmement, du préjudice existentiel subi par les quatre enfants, qui resteront marqués toute leur vie par la terrible et angoissante expérience vécue dans leur enfance, et, troisièmement, du préjudice dû à la perte de la relation parentale, consistant en l’injuste douleur et la souffrance d’avoir perdu pour toujours, et qui plus est très jeunes, leurs deux parents.

198    Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les différents critères invoqués par les requérants, qui par ailleurs se réfèrent à des principes dégagés par la jurisprudence italienne, il y a lieu de constater que des droits des États membres découle un principe général commun selon lequel, dans des circonstances semblables à celles de l’espèce, est reconnu aux ayant droits, notamment les enfants et les parents de la personne décédée, un préjudice moral réparable, consistant en la douleur morale causée par la mort d’une personne proche, principe duquel les différents critères évoqués par les requérants se rapprochent.

199    À cet égard, il y a lieu de préciser que, contrairement à ce que la Commission fait valoir, le préjudice moral subi par les quatre enfants n’a pas déjà fait l’objet d’une réparation sous la forme de prestations octroyées au titre de l’article 73 du statut, qui prévoit une indemnité forfaitaire en cas de décès du fonctionnaire. En effet, il ressort du point 153 ci-dessus que l’indemnité forfaitaire a été prise en considération aux fins de la réparation du seul préjudice matériel consistant dans la perte de rémunération d’Alessandro Missir Mamachi. En revanche, le préjudice moral causé par la mort d’Alessandro Missir Mamachi est lié à la douleur ressentie par les quatre enfants et, donc, n’est pas couvert par les prestations octroyées au titre de l’article 73 du statut.

200    En ce qui concerne la détermination du montant du préjudice moral, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que les requérants font valoir, les tableaux établis par le Tribunale di Milano (tribunal de Milan) ne peuvent pas être utilisés en l’espèce. En effet, comme le relève à juste titre la Commission, le juge de l’Union ne peut pas utiliser des tableaux établis dans un seul État membre en vue de déterminer le montant de l’indemnisation du préjudice subi par les ayants droit d’un fonctionnaire de l’Union décédé. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il appartient au juge de l’Union de fixer le montant ex æquo et bono (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 1980, Oberthür/Commission, 24/79, EU:C:1980:145, point 15), en exposant les critères pris en compte à cette fin (voir, en ce sens, arrêts du 14 mai 1998, Conseil/de Nil et Impens, C‑259/96 P, EU:C:1998:224, points 32 et 33 ; du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, point 35, et du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, EU:T:2006:148, point 51).

201    En tenant compte des circonstances de l’espèce ainsi que des principes énoncés aux points 194 et 195 ci-dessus et à la lumière du critère évoqué au point 198 ci-dessus, il y a lieu de condamner in solidum la Commission à verser à chaque enfant d’Alessandro Missir Mamachi, en réparation du préjudice moral subi en raison de leur perte parentale et de leur présence sur le lieu du double assassinat, le montant, évalué ex æquo et bono, de 100 000 euros.

 Sur la demande en réparation du préjudice moral subi par Livio Missir Mamachi

202    Les requérants font valoir que les parents d’Alessandro Missir Mamachi doivent également se voir reconnaître une juste réparation du préjudice moral constitué par l’injuste douleur et la souffrance découlant de la perte de leur fils dans des circonstances aussi tragiques et atroces. À cette souffrance devraient s’ajouter, au titre du préjudice existentiel, la fatigue physique et psychologique ainsi que l’inquiétude et la perturbation découlant de la nécessité de prendre à leur charge, malgré leur âge avancé, l’entretien et l’éducation de leurs quatre petits-enfants orphelins. Ainsi, au vu des circonstances uniques du cas d’espèce et du caractère particulièrement effroyable et tragique de l’affaire, les requérants demandent que soit accordé à Livio Missir Mamachi le montant de 212 752 euros, au titre du préjudice moral qu’il a subi.

203    La Commission se limite à soulever une fin de non-recevoir portant sur l’irrecevabilité de cette demande, qui a été examinée et écartée au point 170 ci-dessus.

204    Il suffit de constater que, comme il a été relevé au point 198 ci-dessus, découle des droits des États membres un principe général commun selon lequel, dans des circonstances semblables à celles de l’espèce, un préjudice moral réparable est reconnu aux parents de la personne décédée, consistant en la douleur morale causée par la mort d’une personne proche.

205    En tenant compte des circonstances de l’espèce et des principes évoqués aux points 194 et 195 ci-dessus et à la lumière du critère indiqué au point 198 ci-dessus, il y a lieu de condamner in solidum la Commission à verser à l’ensemble des requérants, en leur qualité d’héritiers de Livio Missir Mamachi et en réparation du préjudice subi par celui-ci en raison de la perte de son fils, Alessandro Missir Mamachi, le montant global, évalué ex æquo et bono, de 50 000 euros.

[omissis]

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois)

déclare et arrête :

1)      L’arrêt du 12 mai 2011, Missir Mamachi di Lusignano/Commission (F50/09), est annulé pour autant que le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne a accueilli la fin de non-recevoir soulevée par la Commission européenne à l’encontre de la demande en réparation du préjudice moral subi par M. Carlo Missir Mamachi di Lusignano, Mme Giustina Missir Mamachi di Lusignano, M. Filiberto Missir Mamachi di Lusignano et M. Tommaso Missir Mamachi di Lusignano, ces deux derniers étant représentés par Mme Anne Sintobin.

2)      L’arrêt du 12 mai 2011, Missir Mamachi di Lusignano/Commission (F50/09), est annulé pour autant que le Tribunal de la fonction publique a accueilli la fin de non-recevoir soulevée par la Commission à l’encontre de la demande en réparation du préjudice moral subi par M. Livio Missir Mamachi di Lusignano.

3)      L’arrêt du 12 mai 2011, Missir Mamachi di Lusignano/Commission (F50/09), est annulé pour autant que le Tribunal de la fonction publique a limité la responsabilité de la Commission à hauteur de 40 % du dommage matériel subi par M. Carlo Missir Mamachi di Lusignano, Mme Giustina Missir Mamachi di Lusignano, M. Filiberto Missir Mamachi di Lusignano et M. Tommaso Missir Mamachi di Lusignano, ces deux derniers étant représentés par Mme Sintobin.

4)      Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

5)      La Commission est condamnée in solidum à payer un montant de 3 millions d’euros, déduction faite des prestations statutaires considérées comme faisant partie de ce montant versées ou à verser à M. Carlo Missir Mamachi di Lusignano, Mme Giustina Missir Mamachi di Lusignano, M. Filiberto Missir Mamachi di Lusignano et M. Tommaso Missir Mamachi di Lusignano, ces deux derniers étant représentés par Mme Sintobin, au titre du préjudice matériel subi par ceux-ci.

6)      La Commission est condamnée in solidum à payer un montant de 100 000 euros à M. Carlo Missir Mamachi di Lusignano, au titre du préjudice moral subi par celui-ci.

7)      La Commission est condamnéein solidum à payer un montant de 100 000 euros à Mme Giustina Missir Mamachi di Lusignano, au titre du préjudice moral subi par celle-ci.

8)      La Commission est condamnée in solidum à payer un montant de 100 000 euros à M. Tommaso Missir Mamachi di Lusignano, représenté par Mme Sintobin, au titre du préjudice moral subi par celui-ci.

9)      La Commission est condamnée in solidum à payer un montant de 100 000 euros à M. Filiberto Missir Mamachi di Lusignano, représenté par Mme Sintobin, au titre du préjudice moral subi par celui-ci.

10)    La Commission est condamnéein solidum à payer un montant global de 50 000 euros à M. Stefano Missir Mamachi di Lusignano et aux autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, en leur qualité d’héritiers de M. Livio Missir Mamachi di Lusignano, au titre du préjudice moral subi par celui-ci.

11)    Les indemnités visées aux points 6 à 10 ci-dessus seront majorées d’intérêts moratoires, à compter du prononcé du présent arrêt et jusqu’à complet paiement, au taux fixé par la Banque centrale européenne pour ses opérations principales de refinancement, majoré de deux points de pourcentage.

12)    Le recours est rejeté pour le surplus.

13)    La Commission est condamnée aux dépens afférents à la procédure de pourvoi.

14)    La Commission est condamnée aux dépens afférents à la procédure en première instance.

Jaeger

Frimodt Nielsen

Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 décembre 2017.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.


2      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.