ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
18 décembre 1997(1)
[234s«Recours en annulation Dumping Aspartame Droits de la défense
Valeur normale Pays de référence Brevet Préjudice»[s
Dans les affaires jointes T-159/94 et T-160/94,
Ajinomoto Co., Inc., société de droit japonais, établie à Tokyo, représentée par
Mes Mario Siragusa, avocat au barreau de Rome, et Till Müller-Ibold, avocat à
Francfort-sur-le-Main, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Marc
Loesch, 11, rue Goethe,
partie requérante dans l'affaire T-159/94,
The NutraSweet Company, société de droit de l'État d'Illinois, établie à Deerfield,
Illinois (États-Unis d'Amérique), représentée initialement par Mes Otto Grolig,
Peter Bogaert et Koen Vanhaerents, puis par Mes Grolig, Jean-François Bellis et
Fabrizio Di Gianni, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à
Luxembourg en l'étude de Me Jacques Loesch, 11, rue Goethe,
partie requérante dans l'affaire T-160/94,
contre
Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Erik Stein, conseiller juridique,
et Guus Houttuin, membre du service juridique, en qualité d'agents, assistés de
Mes Hans-Jürgen Rabe et Georg M. Berrisch, avocats à Hambourg et Bruxelles,
ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur
général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne
d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,
partie défenderesse,
soutenu par
Commission des Communautés européennes,représentée par MM. Eric L. White
et Nicholas Khan, membres du service juridique, en qualité d'agents, assistés
initialement de M. Mark Cran, QC of Gray's Inn, puis de M. Fergus Randolph,
barrister, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz,
membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande d'annulation du règlement (CEE) n° 1391/91 du
Conseil, du 27 mai 1991, instituant un droit antidumping définitif sur les
importations d'aspartame originaire du Japon et des États-Unis d'Amérique
(JO L 134, p. 1),
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),
composé de M. R. García-Valdecasas, président, Mme V. Tiili, MM. J. Azizi,
R. M. Moura Ramos et M. Jaeger, juges,
greffier: M. A. Mair, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 17 avril 1997,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du litige et procédure
Produit
- L'aspartame, succédané du sucre, est un édulcorant utilisé principalement dans les
produits alimentaires, mais aussi à table, par exemple pour adoucir le thé ou le
café. Combinaison de deux acides aminés, il a été découvert en 1965 par un
chercheur de la société américaine G. D. Searle & Co., devenue par la suite The
NutraSweet Company (ci-après «NSC»). Après cette découverte, NSC a obtenu
des brevets d'utilisation pour l'aspartame aux États-Unis et dans plusieurs États
membres. Elle a bénéficié de la protection de son brevet en Allemagne jusqu'en
1986, au Royaume-Uni jusqu'en 1987 et dans d'autres pays de la Communauté
jusqu'en 1988.
Protagonistes et marché
- Au cours de la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 1989, la
requérante NSC était l'unique producteur d'aspartame aux États-Unis. Elle
produisait également de l'aspartame destiné à être vendu dans la Communauté. A
l'exception de quelques ventes directes de NSC à des clients indépendants établis
dans la Communauté ou aux États-Unis en vue d'une exportation vers la
Communauté, l'aspartame était distribué dans celle-ci par l'intermédiaire d'une
filiale commune de NSC et de la requérante Ajinomoto (ci-après «Ajico»), la
société suisse NutraSweet AG (ci-après «NSAG»), fondée en 1983 pour satisfaire
la demande d'aspartame en Europe.
- Ajico était le seul producteur d'aspartame au Japon. Elle vendait son aspartame
sur le marché intérieur sous la marque «Pal» et dans la Communauté sous la
marque «NutraSweet».
- L'unique producteur dans la Communauté était la Holland Sweetener Company
Vof (ci-après «producteur communautaire» ou «HSC»). Cette dernière est une
filiale commune de droit néerlandais de DSM Aspartaam BV, filiale à 100 % de
la société chimique néerlandaise DSM Chemicals BV, et de Toyo Soda Nederland
BV, filiale à 100 % de la société chimique japonaise Tosoh Corporation.
Procédure administrative
- En décembre 1989, HSC a introduit une première plainte visant des pratiques de
dumping. Cette plainte a été rejetée par la Commission comme étant insuffisante.
- A la suite d'une nouvelle plainte introduite par HSC le 2 février 1990, et en vertu
du règlement (CEE) n° 2423/88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense
contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part
de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1,
ci-après «règlement de base»), règlement alors applicable, la Commission a publié
le 3 mars 1990 un avis d'ouverture d'une procédure antidumping concernant les
importations d'aspartame originaire du Japon et des États-Unis d'Amérique
(JO C 52, p. 12).
- Les requérantes ont reçu une copie de la notification de l'ouverture de cette
procédure ainsi qu'une version non confidentielle de la plainte de HSC. Cette
version non confidentielle contenait des indications chiffrées sur les prix pratiqués
par les exportateurs américains et japonais sur leurs marchés intérieurs respectifs,
sur le prix à l'exportation, sur la marge de dumping et sur le préjudice.
- Le 17 avril 1990, les requérantes ont envoyé leurs réponses au questionnaire de la
Commission, en soulignant leur caractère confidentiel. Elles ont demandé à être
entendues conformément à l'article 7, paragraphe 5, du règlement de base. La
requérante NSC a par ailleurs demandé à prendre connaissance, au titre de l'article
7, paragraphe 4, sous a), du règlement de base, de tous les renseignements fournis
à la Commission et, en particulier, des observations écrites de HSC ou de toute
autre partie. Elle a en outre demandé à être informée, en application de l'article
7, paragraphe 4, sous b), du règlement de base, des principaux faits et
considérations sur la base desquels la Commission envisagerait, le cas échéant, de
recommander l'imposition de droits provisoires.
- Le 25 avril 1990, NSC et NSAG ont présenté des observations à la Commission.
Ajico a adressé à celle-ci une lettre par laquelle elle se ralliait aux observations
présentées par NSAG. En annexe de celles-ci figurait une analyse du consultant
McKinsey & Company, Inc. (ci-après «McKinsey»), datée du 24 avril 1990,
contenant notamment une estimation de la structure des coûts de production de
HSC. Aux observations était également jointe une étude du bureau Landell Mills
Commodities Studies d'avril 1990, consacrée essentiellement aux caractéristiques
de divers édulcorants, à la concurrence entre édulcorants, notamment entre
l'aspartame et d'autres édulcorants, ainsi qu'au développement de l'industrie des
édulcorants.
- Des fonctionnaires de la Commission ont procédé à une inspection dans les locaux
d'Ajico au Japon les 6 et 7 juillet 1990 et chez NSC aux États-Unis les 9 et 10
juillet 1990.
- A une date non précisée, mais avant l'institution de droits antidumping provisoires,
les requérantes ont reçu une version non confidentielle des réponses de la
plaignante au questionnaire de la Commission.
- En réponse à un courrier de celle-ci du 30 août 1990, le conseil de NSC a, par
lettre du 11 septembre 1990, souligné au nom de sa cliente, d'Ajico et de la société
apparentée NSAG que toutes les informations figurant dans la version
confidentielle des réponses au questionnaire, des observations et des annexes, mais
non dans la version non confidentielle, étaient strictement confidentielles. En ce qui
concerne les informations relatives au prix de vente, la lettre précisait que seules
les baisses de prix au cours des années et les niveaux de sous-cotation pouvaient
être divulgués, à la condition qu'ils soient exprimés en pourcentage des prix moyens
pondérés pratiqués dans la Communauté considérée globalement. Cette lettre
précisait également que les informations relatives au volume des ventes dans la
Communauté (tant le volume total que les volumes de NSC, de NSAG et d'Ajico)
étaient confidentielles.
- Par règlement (CEE) n° 3421/90, du 26 novembre 1990, imposant un droit
antidumping provisoire sur les importations d'aspartame originaire du Japon et des
États-Unis d'Amérique (JO L 330, p. 16, ci-après «règlement de la Commission»),
la Commission a institué un droit antidumping provisoire de 29,95 écus par
kilogramme sur les importations d'aspartame originaire du Japon et de 27,55 écus
par kilogramme sur celles provenant des États-Unis.
- Par lettre du 14 décembre 1990, NSC, afin de mieux structurer les négociations
relatives à un engagement en matière de prix, a demandé à la Commission de
préciser:
- le taux d'utilisation des capacités retenu dans le calcul des coûts servant de
base dans le calcul de ce prix;
- si le prix de référence tenait compte des coûts de production du producteur
communautaire dans l'hypothèse d'une utilisation accrue des capacités, par
exemple pour une production de 1000 tonnes;
- si le prix de référence incluait un pourcentage des frais de vente, des frais
généraux et des dépenses administratives inférieur pour les grands clients
et si les frais généraux réels étaient imputés sur le chiffre d'affaires réel;
- la période d'amortissement des installations du producteur communautaire
retenue par la Commission;
- s'il avait été tenu compte des intérêts payés et, dans l'affirmative, comment
ils avaient été calculés;
- la période retenue par la Commission pour que le producteur
communautaire atteigne l'équilibre financier;
- si les subventions perçues par le producteur communautaire avaient été
prises en compte et si elles étaient compatibles avec le traité CE;
- le pourcentage des frais généraux inclus dans le prix de référence ayant été
payés à la société apparentée DSM;
- si la Commission avait tenu compte du fait que le producteur
communautaire avait pu profiter des efforts de développement du marché
déployés par NSAG.
- Le 18 décembre 1990, la Commission a répondu distributivement sur chacun des
points en cause:
- le taux d'utilisation des capacités employé dans le calcul du prix de
référence était celui de la pleine capacité;
- l'augmentation annoncée de la capacité du producteur communautaire
n'avait pas été prise en considération et cette évolution était inconnue de
la Commission;
- les frais de vente, les frais généraux et les dépenses administratives retenus
ne reflétaient pas les différences de taille des clients auxquels ils se
rapportaient;
- l'usine du producteur avait été amortie sur dix ans;
- le prix de référence tenait compte des intérêts effectivement payés;
- la période nécessaire pour atteindre l'équilibre financier était directement
liée aux prix pratiqués et aux quantités produites, les prix avaient baissé et
HSC n'avait pas atteint la pleine exploitation de ses capacités;
- il avait été tenu compte des subventions versées au producteur
communautaire pour déterminer le prix de référence;
- HSC était intervenue dans les frais généraux de DSM et il n'était pas de
l'intérêt de l'autre actionnaire de HSC de gonfler ces coûts artificiellement;
- il y avait lieu de clarifier la question.
- Par lettre du 28 décembre 1990, les requérantes ont demandé à la Commission de
les informer des principaux faits et considérations ayant servi de fondement au
règlement de la Commission, ainsi que, le cas échéant, des principaux faits et
considérations sur la base desquels elle envisageait de recommander l'imposition
de droits définitifs. En particulier, elles ont sollicité des informations sur le calcul
de la valeur normale, du prix à l'exportation, des ajustements et de la marge de
dumping, sur la valeur des importations dont il avait été tenu compte pourl'évaluation du volume du marché communautaire, les prix retenus pour déterminer
la baisse de prix et la sous-cotation et sur le préjudice. Elles ont également invité
la Commission à clarifier les points, non précisés par elle, de la lettre de NSC du
14 décembre 1990 qui, à leur avis, auraient dû être plus amplement développés.
- Par lettres des 6 et 30 décembre 1990, elles ont présenté leurs commentaires écrits
sur le règlement de la Commission.
- Dans ses commentaires du 30 décembre 1990 ainsi que par lettre du 14 janvier
1991, NSC a réitéré sa demande d'accès aux renseignements transmis par la
plaignante à la Commission, en particulier dans ses observations écrites sur le
règlement de la Commission.
- Le 16 janvier 1991, la Commission a répondu que le dossier non confidentiel avait
été mis à la disposition de toutes les parties intéressées depuis le début de la
procédure.
- Le 18 janvier 1991, NSC a consulté le dossier non confidentiel et a eu accès à une
version non confidentielle des observations du producteur communautaire sur le
règlement de la Commission.
- Le 1er février 1991, NSC s'est plainte de n'avoir eu accès qu'à partir du 24 janvier
1991 au résumé non confidentiel, daté du 13 décembre 1989, de la demande
d'adoption de mesures de protection introduite par HSC, au résumé non
confidentiel, daté du 9 avril 1990, des observations déposées par HSC et au résumé
non confidentiel, daté du 28 août 1990, d'une lettre de HSC. Elle a également
déploré le caractère insuffisant des informations contenues dans ces résumés.
- Par télécopie du 4 février 1991, la Commission a répondu qu'elle avait engagé une
procédure sur la base d'une plainte qu'elle avait transmise à la requérante dès le
début de la procédure et s'est référée à son règlement instituant des droits
provisoires en ce qui concerne ses conclusions.
- Le 5 février 1991, les représentants de NSC et les services de la Commission se
sont rencontrés pour discuter du règlement de la Commission.
- Le 7 février 1991, les requérantes ont proposé des engagements.
- Le 22 mars 1991, la Commission a envoyé sa lettre de divulgation («disclosure
letter») aux requérantes. Les raisons pour lesquelles elle envisageait de proposer
l'institution d'un droit antidumping définitif y étaient exposées.
- Cette lettre contenait les mêmes informations que celles contenues dans le
règlement de la Commission. Toutefois, contrairement à celui-ci, elle faisait état de
chiffres relatifs au calcul de la marge de dumping et aux pertes subies par NSAG
lors de ses ventes dans la Communauté et incluait aussi une ventilation, en dix
postes, des coûts de production retenus pour le calcul du prix de référence. Chaque
poste était exprimé en pourcentage des coûts totaux, avec une fourchette de 10 %.
- Elle indiquait également que la Commission avait déterminé la valeur normale de
l'aspartame japonais sur la base des prix pratiqués sur le marché des États-Unis,
non plus en raison d'un manque de coopération d'Ajico, comme indiqué dans le
règlement de la Commission, mais parce que les conditions de l'article 2,
paragraphe 6, du règlement de base pour retenir les prix du marché japonais
n'étaient pas remplies.
- Enfin, elle comportait:
- une précision relative à la perte d'emplois qu'engendrerait la cessation de
la production communautaire;
- certaines considérations relatives à l'impact des droits antidumping sur la
demande;
- l'affirmation selon laquelle les coûts de production de HSC ayant servi au
calcul du prix de référence avaient été revus afin d'exclure certains coûts
non liés à des ventes dans la Communauté;
- les raisons pour lesquelles une marge bénéficiaire de 8 % avait été retenue.
- Le 25 mars 1991, le Conseil a arrêté le règlement (CEE) n° 792/91, prorogeant le
droit antidumping provisoire sur les importations d'aspartame originaires du Japon
et des États-Unis d'Amérique (JO L 82, p. 1).
- Le 2 avril 1991, NSC a invité la Commission à examiner deux autres possibilités
d'engagements.
- Le même jour, elle a présenté ses observations sur la lettre de divulgation du 22
mars 1991 (voir ci-dessus point 25), se plaignant de l'insuffisance des informations
qui lui avaient été communiquées au sujet des renseignements fournis par HSC.
Elle a également fait grief à la Commission de ne pas lui avoir divulgué des
informations numériques ou factuelles significatives sur la marge de préjudice et de
ne lui avoir communiqué pratiquement aucune des informations utilisées dans la
détermination du prix de référence. Elle a précisé que le système des fourchettes
utilisé pour révéler la structure des coûts de HSC ne fournissait aucun indice
permettant de déceler comment le seuil de préjudice avait été calculé. Le même
jour, Ajico a également présenté ses observations écrites, souscrivant en outre à
celles de NSC et sollicitant le bénéfice d'un traitement confidentiel.
- Le 18 avril 1991, la Commission a répondu à ces lettres en affirmant avoir divulgué
toutes les informations qu'elle était en droit de divulguer. Elle a également précisé
que les coûts de lancement avaient été exclus du calcul, à l'exception de deux
postes, amortis selon la législation néerlandaise, et que les honoraires d'avocat
avaient été totalement exclus des calculs. Elle a enfin contesté que le prix de
référence eût été artificiellement gonflé et a souligné le lien existant entre les coûts,
d'une part, et la capacité d'exploitation et la dimension de l'usine, d'autre part.
- Par lettre du 7 mai 1991, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles elle
ne pouvait pas accepter les engagements proposés.
- Le 15 mai 1991, NSC a adressé au Conseil ses remarques sur cette lettre. Elle a
contesté le raisonnement suivi par la Commission.
- Par règlement (CEE) n° 1391/91, du 27 mai 1991, instituant un droit antidumping
définitif sur les importations d'aspartame originaire du Japon et des États-Unis
d'Amérique (JO L 134, p. 1, ci-après «règlement du Conseil» ou «règlement
attaqué»), le Conseil a imposé un droit antidumping définitif de 27,21 écus par
kilogramme sur les importations d'aspartame originaire du Japon et de 25,15 écus
par kilogramme sur celles provenant des États-Unis d'Amérique. Ce règlement a
ensuite été abrogé par le règlement (CE) n° 1936/95 du Conseil, du 3 août 1995
(JO L 186, p. 8).
Règlements antidumping en cause
1. Généralités
- Les règlements antidumping dont il est question en l'espèce instituent un droit
antidumping calculé sur la base du préjudice et non en fonction de la marge de
dumping. Les institutions communautaires ont constaté l'existence de pratiques de
dumping de la part des exportateurs américain et japonais. La marge de dumping
a été calculée en comparant le prix auquel le producteur américain vendait
l'aspartame sur le marché des États-Unis avec celui qu'il pratiquait dans la
Communauté (points 12 à 32 des considérants du règlement de la Commission et
points 8 à 25 des considérants du règlement du Conseil).
2. Règlement de la Commission
- Dans l'appréciation du préjudice, la Commission expose que le marché
communautaire de l'aspartame s'est accru de 215 % entre 1986 et 1989 (point 34
des considérants du règlement de la Commission) et que, si l'apparition de HSC,
en 1988, a fait perdre des parts de marché aux exportateurs américain et japonais,
les importations en provenance des États-Unis et du Japon ont néanmoins
augmenté en termes absolus (point 37 des considérants). En outre, les prix japonais
et américains, déjà très inférieurs aux prix du producteur communautaire en 1988,
auraient encore baissé (point 39 des considérants). Il y aurait eu sous-cotation des
prix américains et japonais par rapport aux prix du producteur communautaire
pendant la période d'enquête (point 40 des considérants), contraignant ce dernier
à vendre à perte, l'empêchant de développer de manière adéquate l'exploitation
de ses capacités de production, ce qui aurait augmenté ses coûts de production en
même temps qu'il subissait des pertes considérables (point 45 des considérants). La
chute des prix à l'exportation de NSAG aurait coïncidé avec l'apparition du
plaignant sur le marché communautaire (même point). Vu l'évolution du marché
communautaire de l'aspartame, qui s'est développé considérablement, aucune
raison évidente n'aurait justifié que NSAG, qui, même après 1987, était restée de
loin le fournisseur le plus important d'aspartame sur le marché de la Communauté,
baissât ses prix à des niveaux ne couvrant plus les coûts (point 47 des considérants).
La décision de baisser les prix à un niveau tel qu'il engendrait des pertes aurait été
imputable à NSAG et aux exportateurs américains et japonais (point 49 des
considérants). L'enquête n'aurait révélé aucun autre facteur ayant causé un
préjudice important (point 50 des considérants).
- Le droit antidumping a été institué de sorte à couvrir la différence entre les prix
japonais et américains et le prix minimum nécessaire pour permettre à l'industrie
communautaire de couvrir ses coûts et de réaliser une marge bénéficiaire
raisonnable (point 63 des considérants). Celle-ci a été fixée à 8 % du chiffre
d'affaires avant impôt (point 65 des considérants). Le prix minimum, appelé «prix
de référence», a été comparé avec le prix moyen pondéré à l'importation dans la
Communauté (même point).
3. Règlement du Conseil
- Dans son règlement instituant un droit définitif, le Conseil confirme en substance
les considérations et conclusions de la Commission. En ce qui concerne le calcul
du prix de référence ayant servi à déterminer le préjudice, il précise (point 44 des
considérants): «[...] la Commission a dû tenir compte du fait que certaines des
matières premières et certains des services étaient achetés à une société liée et que
certains coûts n'avaient pas trait aux ventes d'aspartame dans la Communauté. Les
coûts effectifs de recherche et développement ont maintenant été inclus, de même
que les frais de vente directs. Ces ajustements se soldent par une baisse des coûts
de production qui servent de base au calcul du prix de référence et, par
conséquent, du montant du droit nécessaire pour éliminer le préjudice.» En vue de
l'évaluation d'une marge bénéficiaire raisonnable, il prend en considération les
éléments suivants: le fait que le producteur communautaire vienne à peine de
franchir sa période de démarrage, l'incertitude quant à l'évolution des ventes à
l'avenir et la possibilité de mettre au point des produits de substitution qui
pourraient raccourcir le cycle de vie du produit concerné (point 45 des
considérants).
- S'agissant des droits de la défense des parties, le Conseil souligne (point 7 des
considérants):
«La Commission n'a pas tenu compte des études et observations pour lesquelles
aucun résumé significatif et non confidentiel n'a été présenté, puisque cela aurait
privé les autres parties de leurs droits de défense.»
Procédure judiciaire
41. Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 6 septembre 1991, les requérantes
ont chacune introduit un recours contre le règlement du Conseil.
42. Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 février 1992, la Commission a
demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse. Cette
demande a été admise par ordonnance du président de la Cour du 18 mars 1992.
43. Par requête déposée au greffe de la Cour le 7 février 1992, HSC, Toyo Soda
Nederland BV et DSM Aspartaam BV ont demandé à intervenir à l'appui des
conclusions de la partie défenderesse. Cette demande a été retirée le 21 janvier
1993.
44. Par ordonnance du 18 avril 1994, la Cour a renvoyé les présentes affaires devant
le Tribunal, en application de l'article 4 de la décision 93/350/Euratom, CECA,
CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE,
Euratom instituant le Tribunal de première instance des Communautés
européennes (JO L 144, p. 21), telle que modifiée par la décision 94/149/CECA,
CE du Conseil, du 7 mars 1994 (JO L 66, p. 29). Les affaires ont été enregistrées
au greffe du Tribunal respectivement sous les numéros T-159/94
(Ajinomoto/Conseil) et T-160/94 (NutraSweet/Conseil) et attribuées, le 2 juin 1994,
à la première chambre. Le juge rapporteur ayant ensuite été affecté à la deuxième
chambre élargie, les affaires ont, par conséquent, été attribuées à cette chambre.
45. A la suite de l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède auxCommunautés européennes, les affaires ont été réattribuées, le 23 janvier 1995, à
la troisième chambre élargie, et un nouveau juge rapporteur a été désigné. Celui-ci
ayant ensuite été affecté à la cinquième chambre élargie, les affaires ont, par
conséquent, été attribuées à cette chambre.
46. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a ouvert
la procédure orale. En application de l'article 64 du règlement de procédure, il a
invité, le 22 janvier 1997, les parties à répondre par écrit à différentes questions
portant sur le lien de causalité entre le dumping et le préjudice allégué. Les
requérantes ont également été invitées à apporter certaines précisions sur leur
allégation selon laquelle leurs droits de la défense avaient été violés. Compte tenu
de l'ampleur de ces précisions et de l'éclairage nouveau qu'elles comportaient, le
Tribunal a autorisé le défendeur, par lettre du 24 mars 1997, à présenter, pour le
9 avril 1997, des observations sur ces précisions.
47. Par ordonnance du 10 mars 1997, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a joint,
en application de l'article 50 du règlement de procédure, les deux affaires aux fins
de la procédure orale et de l'arrêt.
48. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 17 avril
1997.
Conclusions des parties
49. Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
annuler le règlement du Conseil dans sa totalité ou, à titre subsidiaire, dans
la mesure où il s'applique à chacune d'elles;
ordonner la restitution des droits antidumping provisoires et définitifs perçus
en vertu du règlement de la Commission et de celui du Conseil, ainsi que
la libération de toute garantie déposée à cet effet;
condamner le Conseil aux dépens;
ordonner toute autre mesure pouvant s'avérer légitime ou équitable.
50. Le défendeur conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter les recours;
condamner les requérantes aux dépens.
51. L'intervenante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter les recours.
Sur le fond
I Exposé synthétique des moyens
52. Les requérantes soulèvent six moyens communs à l'encontre du règlement attaqué:
violation de formes substantielles ainsi que de l'article 7, paragraphe 4, sous
a) et b), du règlement de base, en ce que les institutions communautaires
ne leur auraient pas fourni des informations suffisantes et en temps utile
pour leur permettre de défendre leurs intérêts;
violation de formes substantielles ainsi que des articles 7, paragraphe 4, sous
b), et 8, paragraphe 4, du règlement de base, en ce que les institutions
communautaires auraient tenu compte d'informations fournies par le
producteur communautaire, alors qu'elles n'étaient pas résumées dans une
version non confidentielle ou accompagnées d'un exposé des motifs adéquat
justifiant l'impossibilité de résumer ces informations;
violation de l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base, en ce que les
institutions communautaires auraient déterminé la valeur normale sur la
base de prix pratiqués aux États-Unis sous la protection d'un brevet;
violation de l'article 2, paragraphe 1, de l'article 4 et de l'article 13,
paragraphe 2, du règlement de base, en ce que les institutions
communautaires auraient ignoré ou mal interprété les éléments substantiels
de preuve établissant que le producteur communautaire n'avait pas subi un
préjudice important;
violation des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, du règlement de
base, en ce que les institutions communautaires n'auraient pas tenu compte
d'autres facteurs ayant causé le préjudice subi par le producteur
communautaire;
violation de l'article 13, paragraphe 3, du règlement de base, en ce que les
institutions communautaires auraient calculé de manière incorrecte le
montant du droit nécessaire pour supprimer le préjudice.
53. Dans l'affaire T-159/94, la requérante Ajinomoto soulève en outre les deux moyens
suivants:
violation de formes substantielles et de l'article 190 du traité, en ce que les
institutions communautaires, d'une part, n'auraient pas informé en temps
utile la requérante qu'elles estimaient sa coopération insuffisante et, d'autre
part, ne lui auraient pas donné l'occasion de présenter son point de vue à
cet égard;
violation de l'article 2, paragraphes 3 et 6, du règlement de base, en ce que
les institutions communautaires auraient calculé la valeur normale de
l'aspartame japonais sur la base des prix pratiqués aux États-Unis.
54. Dans l'affaire T-160/94, la requérante NutraSweet soulève, outre les moyens
communs énumérés ci-dessus, les deux moyens suivants:
violation de règles essentielles de procédure ainsi que de l'article 190 du
traité, en ce que le défendeur aurait omis d'indiquer les raisons pour
lesquelles il a rejeté les engagements proposés par NSC;
violation des droits découlant du brevet dont la requérante était titulaire aux
États-Unis, en ce que la valeur normale aurait été déterminée sur la base
des prix pratiqués par la requérante sur son marché intérieur.
55. Le Tribunal examinera d'abord les moyens communs aux deux affaires.
II Moyens communs aux deux affaires
56. Le Tribunal estime qu'il convient d'examiner ensemble les deux premiers moyens
communs.
Sur les moyens tirés d'une violation de formes substantielles, ainsi que des articles 7,
paragraphe 4, sous a) et b), et 8, paragraphe 4, du règlement de base
A Arguments des parties
57. Selon les requérantes, les institutions communautaires ont l'obligation de faire tout
ce qui est raisonnablement en leur pouvoir pour fournir autant d'informations que
possible aux entreprises à l'encontre desquelles une procédure antidumping est
ouverte.
58. Elles ne pourraient dès lors pas se retrancher derrière l'argument selon lequel les
demandes des requérantes ne comportaient pas de questions suffisamment
spécifiques. A suivre l'opinion émise par le défendeur, la procédure aurait abouti
à une succession incessante de questions toujours plus détaillées.
59. Sauf à priver l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement de base de toute
utilité par rapport à la même disposition, sous b), et à entraver les droits de la
défense des entreprises concernées, l'obligation d'information couvrirait les
éléments de preuve présentés par des parties tierces à l'appui de leurs allégations,
même lorsqu'ils ont été vérifiés par les institutions communautaires.
60. Cette obligation d'information des institutions communautaires existerait dès avant
l'institution de droits provisoires (arrêt de la Cour du 27 juin 1991, Al-Jubail
Fertilizer/Conseil, C-49/88, Rec. p. I-3187, point 15; article 6, paragraphe 7, du code
antidumping de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, ci-après
«GATT»). Dans le passé, les institutions communautaires auraient à maintes
reprises divulgué des informations essentielles avant l'institution de tels droits, de
sorte qu'elles pourraient être liées par cette pratique (arrêt de la Cour du 22
octobre 1991, Nölle, C-16/90, Rec. p. I-5163).
61. En l'espèce, les institutions communautaires auraient violé l'article 7, paragraphe
4, sous a) et b), du règlement de base, ainsi que les droits de la défense des
requérantes en ne leur fournissant pas en temps utile suffisamment d'informations
sur les allégations et preuves présentées par la plaignante, d'une part, et sur la
réalité et la pertinence des faits allégués ainsi que sur les éléments de preuve
retenus, d'autre part (arrêt Al-Jubail Fertilizer/Conseil, cité au point précédent,
point 17).
62. Avant l'institution de droits antidumping provisoires, les requérantes auraient reçu
des informations insuffisantes (notification d'ouverture de la procédure, résumé
d'une plainte, version non confidentielle des réponses données par le producteur
communautaire au questionnaire de la Commission) pour leur permettre de
présenter utilement leur point de vue, premièrement, sur le calcul du prix de
référence, deuxièmement, sur celui de la marge de dumping et, troisièmement, sur
la nature et l'origine du préjudice allégué. Ce ne serait pourtant pas faute d'avoir,
à maintes reprises, attiré l'attention de la Commission sur l'insuffisance des
informations (lettres du 17 avril 1990) et la nécessité d'organiser une audition
(lettres du 17 avril, du 28 juin et du 8 novembre 1990).
63. Après l'adoption du règlement de la Commission, les requérantes n'auraient reçu
que peu d'informations supplémentaires, en particulier sur les éléments essentiels
que seraient, dans la présente affaire, le prix de référence et le préjudice allégué.
64. S'agissant du prix de référence, elles estiment que les institutions communautaires
auraient pu fournir une décomposition plus détaillée des éléments y inclus ainsi que
des fourchettes plus étroites, dès lors que ce prix de référence n'a pas été calculé
sur la base des coûts réels de HSC mais de ses coûts extrapolés à partir de
l'hypothèse d'une exploitation totale de ses capacités de production.
65. Bien que le prix de référence eût été modifié deux fois sans qu'aucune raison ait
été avancée, les institutions communautaires n'auraient pas donné la moindre
explication intéressante sur les hypothèses de base et les méthodes utilisées
notamment pour:
déterminer la capacité de production du producteur communautaire et le
taux d'utilisation de cette capacité;
établir que le producteur communautaire, alors qu'il était lourdement
endetté, aurait dû pouvoir atteindre l'équilibre financier et obtenir un
bénéfice de 8 % en moins de 18 mois à compter du démarrage de la
production;
imputer les subventions versées au producteur communautaire;
calculer l'amortissement de l'usine, des immeubles et de l'équipement
utilisés par le producteur communautaire et, en particulier, retenir une
période d'amortissement de dix ans;
amortir ou exclure les coûts extraordinaires de lancement (ce ne serait que
par lettre du 18 avril 1991, après l'expiration du délai imparti pour déposer
des observations, que les requérantes auraient été informées que les coûts
de lancement avaient été exclus du prix de référence à l'exception de deux
postes, d'ailleurs non précisés).
66. Les requérantes font également grief aux institutions communautaires de ne pas
avoir précisé:
le type de coûts de financement pris en compte et leur répartition;
l'importance des emprunts par rapport aux fonds propres;
les éléments des frais de vente, des frais généraux et des dépenses
administratives et les investissements auxquels se rapportaient les coûts
financiers, alors que la composition des frais généraux, des dépenses
administratives et des frais de vente directs dépendrait du système de
comptabilité adopté et de la perspective dans laquelle le calcul est effectué;
la proportion de matières premières achetées à des sociétés apparentées,
information utile pour déterminer dans quelle mesure le prix de référence
avait été calculé sur la base des prix du marché;
dans quelle mesure il avait été tenu compte des coûts de développement du
marché supportés par NSAG, qui avaient également profité au producteur
communautaire;
le pourcentage des frais généraux payés par le producteur communautaire
à DSM.
67. Les institutions communautaires n'auraient pas expliqué en quoi une divulgation
plus complète des méthodes de la Commission pouvait nuire aux affaires du
producteur communautaire et, en particulier, pourquoi des fourchettes plus étroites
n'auraient pas pu être utilisées et pourquoi la ventilation des coûts financiers, au
moins sous la forme d'un pourcentage, ne pouvait pas être communiquée.
68. En ce qui concerne le préjudice causé au producteur communautaire, les
requérantes reprochent aux institutions communautaires de ne pas avoir indiquéà suffisance de droit la base de leur conclusion selon laquelle l'enquête n'aurait
révélé l'existence d'aucun facteur de préjudice autre que les importations faisant
l'objet d'un dumping, susceptible d'avoir contribué au préjudice, alors que le
producteur communautaire débutait comme deuxième offrant sur un marché
soumis à une rude concurrence, où les prix avaient commencé à baisser bien avant
sa venue, qu'il était lourdement endetté et que ses coûts de production atteignaient
le double de ceux de la requérante.
69. En outre, les institutions communautaires n'auraient pas révélé les raisons pour
lesquelles elles établissaient un rapport entre la baisse des prix de l'aspartame dans
la Communauté et le commencement de la production du producteur
communautaire, alors qu'elles auraient reçu la preuve que les prix baissaient de
manière constante depuis 1983.
70. De même, elles n'auraient pas révélé la base de l'affirmation selon laquelle le
producteur communautaire aurait obtenu une part de marché relativement peu
importante, alors qu'il ressortirait du résumé non confidentiel de la plainte que,
dans les 18 mois suivant le lancement de la production, le producteur
communautaire aurait gagné une part de marché significative.
71. Les institutions communautaires auraient encore violé le droit des requérantes à
une appréciation loyale des preuves, consacré dans l'arrêt Nölle, cité ci-dessus au
point 60.
72. Les requérantes concluent que les informations communiquées par les institutions
communautaires ne leur ont pas permis d'identifier les éventuelles erreurs
entachant l'analyse de la Commission et de se forger utilement une opinion sur les
données sur lesquelles ces institutions avaient fondé leurs conclusions.
73. Les institutions communautaires ne pourraient pas s'abriter derrière leur obligation
de préserver le secret des informations confidentielles jusqu'à vider de son contenu
essentiel le droit des entreprises concernées d'être informées (arrêt de la Cour du
20 mars 1985, Timex/Conseil et Commission, 264/82, Rec. p. 849, point 29).
74. Pour résoudre le conflit existant entre les droits d'une personne soumise à une
procédure d'enquête et le droit d'un plaignant au secret de ses affaires et pour
respecter les principes dégagés dans les arrêts Timex/Conseil et Commission, cité
au point précédent, et Al-Jubail Fertilizer/Conseil, cité ci-dessus au point 60, les
institutions communautaires devraient exiger des résumés non confidentiels
adéquats, dans lesquels l'information tenue secrète devrait être réduite à un
minimum absolu. Si une information est importante pour la défense de la partie
faisant l'objet de l'enquête, les institutions communautaires ne pourraient pas en
tenir compte, à moins que le plaignant n'accepte de la rendre publique.
75. Les requérantes se réfèrent à la jurisprudence selon laquelle, en droit de la
concurrence, l'autorité communautaire ne pourrait pas retenir à la charge de
l'entreprise concernée des faits, circonstances ou documents qu'elle estime ne pas
pouvoir divulguer, si ce refus de divulgation affecte la possibilité de cette entreprise
de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité ou la portée de ces
circonstances, sur ces documents ou encore sur les conclusions que la Commission
en tire (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission,
85/76, Rec. p. 461, 512, du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec.
p. 3151, 3192, et du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82,
Rec. p. 19, 60). Or, pour que les règles dégagées dans les arrêts Timex/Conseil et
Commission et Al-Jubail Fertilizer/Conseil, précités, conservent un sens, il serait
nécessaire que cette interdiction s'applique également dans le contexte d'une
procédure antidumping.
76. Les institutions seraient également tenues, lorsqu'elles opposent l'argument de
l'obligation de confidentialité, d'exposer les raisons pour lesquelles les informations
sollicitées sont confidentielles et non susceptibles de faire l'objet de résumés non
confidentiels.
77. En l'espèce, les institutions communautaires se seraient nécessairement fondées sur
quelques-unes ou même sur toutes les allégations du producteur communautaire,
fût-ce de manière indirecte, en ayant orienté l'enquête en fonction des informations
communiquées par celui-ci. A supposer qu'il eût été impossible, en raison de
l'obligation de traitement confidentiel des informations, de fournir un résumé
suffisant des faits et circonstances allégués par le producteur communautaire, elles
auraient dû s'abstenir d'utiliser ces informations ou d'autres informations fondées
sur elles pour étayer leur décision.
78. En toute hypothèse, il eût été possible de résoudre le conflit entre le droit d'accès
au dossier et l'obligation de confidentialité en recourant à une procédure du genre
de l'«administration protective order» américain ou à un expert indépendant
appelé à rédiger un résumé non confidentiel.
79. Comme les requérantes n'auraient pas été mises en mesure de s'exprimer utilement
sur des éléments de preuve présentés par HSC, sur lesquels les règlements de la
Commission et du Conseil sont fondés, ces règlements auraient été adoptés en
violation de règles de procédure essentielles du droit communautaire. Par
conséquent, les articles 1er et 2 du règlement du Conseil devraient être annulés.
80. Le défendeur et l'intervenante concluent au rejet des moyens soulevés, soutenant
pour l'essentiel que les institutions communautaires ont satisfait à leurs obligations
d'information à l'égard des requérantes compte tenu, d'une part, du caractère
général des demandes d'information introduites par ces dernières et, d'autre part,
de l'obligation des institutions communautaires de garder secrètes les informations
confidentielles concernant le producteur communautaire.
B Appréciation du Tribunal
81. Le principe du respect des droits de la défense est un principe fondamental du
droit communautaire. Dans le domaine de la défense contre les importations
faisant l'objet d'un dumping, ces droits sont précisés à l'article 7, paragraphes 1 et
4, du règlement de base.
82. En particulier, l'article 7, paragraphe 4, sous a) et b), dispose:
«a) Le plaignant et les importateurs et exportateurs notoirement concernés [...]
peuvent prendre connaissance de tous les renseignements fournis à la
Commission [...], pour autant que ces renseignements soient pertinents pour
la défense de leurs intérêts, qu'ils ne soient pas confidentiels au sens de
l'article 8 et qu'ils soient utilisés par la Commission dans l'enquête [...]
b) Les exportateurs et importateurs du produit faisant l'objet de l'enquête [...]
peuvent demander à être informés des principaux faits et considérations sur
la base desquels il est envisagé de recommander l'imposition de droits
définitifs [...]»
- Ces droits à l'information doivent se concilier avec l'obligation des institutions
communautaires de respecter le secret des affaires. En tout état de cause, les
intéressés doivent avoir été mis en mesure, au cours de la procédure administrative,
de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des
faits et circonstances allégués et sur les éléments de preuve retenus par la
Commission à l'appui de son allégation de l'existence d'une pratique de dumping
et du préjudice qui en résulterait (arrêt Al-Jubail Fertilizer/Conseil, cité ci-dessus
au point 60, point 17), au plus tard au cours de la procédure d'adoption du
règlement du Conseil (voir ci-après point 87). Dans le cadre d'un recours en
annulation dirigé contre un règlement antidumping du Conseil, le contrôle
juridictionnel peut s'étendre aux éléments du règlement de la Commission ainsi
qu'à la procédure y afférente, dans la mesure où le règlement du Conseil s'y réfère.
- Avant d'examiner si les institutions communautaires ont correctement mis en
balance les impératifs de confidentialité et les exigences qu'implique le respect des
droits de la défense et des articles 7, paragraphe 4, sous a) et b), et 8 du règlement
de base, il y a lieu, d'une part, de préciser le contexte de la présente affaire par le
rappel des particularités du marché considéré et, d'autre part, de dégager la
conséquence de ces particularités.
1. Sur les particularités du marché considéré et leur conséquence
- Au cours de la période d'enquête, le marché de l'aspartame présentait des
particularités exceptionnelles. Premièrement, il n'existait, au niveau mondial, que
quelques fournisseurs d'aspartame: d'une part, les deux requérantes, qui étaient de
loin les plus importants et, d'autre part, le producteur communautaire HSC. Les
requérantes coopéraient très étroitement, en réalisant pratiquement toutes leurs
ventes dans la Communauté par l'intermédiaire de leur entreprise commune
NSAG. Deuxièmement, l'aspartame produit par les différents producteurs étant un
seul et même produit, la concurrence s'exerçait essentiellement par les prix.
- Il résulte de ces particularités que les requérantes ne pouvaient qu'avoir une
excellente connaissance du marché leur permettant, à partir d'informations limitées,
de tirer des conclusions sur la situation du producteur communautaire, à tel point
d'ailleurs que, peu après l'ouverture de l'enquête, elles disposaient par
l'intermédiaire de NSAG d'une analyse de McKinsey estimant les éléments et la
structure des coûts de production de HSC (voir ci-dessus point 9). Dans ces
conditions, les institutions communautaires se devaient d'être particulièrement
attentives à ne pas divulguer des renseignements qui auraient permis aux
requérantes de déduire des informations commercialement sensibles, susceptibles
de mettre le producteur communautaire en danger. D'ailleurs, tant ce dernier que
les requérantes ont insisté sur le caractère confidentiel des informations fournies.
2. Sur la prétendue insuffisance des informations fournies avant l'institution de
droits définitifs
- A supposer que, comme le soutiennent les requérantes, le principe du respect des
droits de la défense exige que les exportateurs soient informés des principaux faits
et considérations sur la base desquels il est envisagé d'instituer des droits
provisoires, le non-respect de ces droits ne saurait, en tant que tel, avoir pour effet
de vicier le règlement instituant les droits définitifs. Un tel règlement étant distinct
du règlement instituant des droits provisoires, même s'il est lié à celui-ci au point
de s'y substituer dans certaines conditions (arrêts de la Cour du 5 octobre 1988,
Brother Industries/Commission, 56/85, Rec. p. 5655, point 6, et
Technointorg/Commission et Conseil, 294/86 et 77/87, Rec. p. 6077, point 12, et du
11 juillet 1990, Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, C-305/86 et
C-160/87, Rec. p. I-2945, point 13; ordonnance du Tribunal du 10 juillet 1996,
Miwon/Commission, T-208/95, Rec. p. II-635, point 20), sa validité doit être
appréciée par rapport aux règles qui président à son adoption. Dès lors que, au
cours de la procédure d'adoption d'un règlement instituant un droit définitif, il a
été remédié à un vice ayant entaché la procédure d'adoption du règlement
correspondant instituant un droit provisoire, l'illégalité de ce dernier règlement
n'entraîne pas l'illégalité du règlement instituant le droit définitif. Ce n'est que dans
la mesure où il n'a pas été remédié à ce vice et où le règlement instituant un droit
définitif se réfère au règlement instituant un droit provisoire que l'illégalité de
celui-ci entraîne l'illégalité de celui-là.
- Par conséquent, en l'espèce, il convient d'examiner si les droits de la défense des
parties concernées ont été respectés dans le cadre de la procédure d'élaboration
du règlement attaqué instituant un droit définitif et ordonnant la perception
définitive des droits provisoires.
3. Sur la prétendue insuffisance des informations fournies au regard de l'article 7,
paragraphe 4, sous a), du règlement de base (informations fournies par HSC)
- L'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement de base permet au plaignant ainsi
qu'aux exportateurs et importateurs notoirement concernés de prendre
connaissance de tous les renseignements fournis à la Commission par toute partie
concernée par l'enquête, à l'exception des documents internes établis par les
autorités de la Communauté ou de ses États membres, dans la mesure où ces
renseignements, premièrement, sont pertinents pour la défense de leurs intérêts,
deuxièmement, ne sont pas confidentiels au sens de l'article 8, troisièmement, ont
été utilisés par la Commission dans l'enquête et, quatrièmement, ont fait l'objet
d'une demande écrite de communication par la personne souhaitant en prendre
connaissance.
- L'article 8, paragraphe 2, sous a), du même règlement dispose que le Conseil, la
Commission et les États membres, ainsi que leurs agents, ne divulguent pas les
informations qu'ils ont reçues en application du présent règlement et pourlesquelles un traitement confidentiel a été demandé par la partie qui les a fournies,
sans autorisation expresse de cette dernière. Selon l'article 8, paragraphe 2, sous
b), les demandes de traitement confidentiel doivent indiquer les raisons pour
lesquelles l'information est confidentielle. Elles doivent également être
accompagnées d'un résumé non confidentiel de celle-ci ou d'un exposé des motifs
pour lesquels l'information n'est pas susceptible d'être résumée. L'article 8,
paragraphe 4, second alinéa, prévoit que les institutions communautaires sont
fondées à ne pas tenir compte de l'information si la partie qui l'a fournie ne veut
pas en présenter un résumé non confidentiel, lorsque l'information est susceptible
de faire l'objet d'un tel résumé. Toutefois, cet article ne leur fait pas obligation de
ne pas en tenir compte.
- En l'espèce, la plaignante a fourni des résumés non confidentiels, que la
Commission a transmis aux requérantes. A supposer même que, comme ces
dernières le prétendent, la teneur de ces résumés fût insuffisante, les institutions
communautaires n'étaient néanmoins pas obligées, mais tout au plus en droit, de
ne pas en tenir compte. Toutefois, elles avaient l'obligation de mettre les
requérantes en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître
utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances
allégués et sur les éléments de preuve retenus par la Commission à l'appui de son
allégation de l'existence d'une pratique de dumping et du préjudice. Il convient dès
lors d'examiner si les institutions communautaires se sont acquittées de cette
obligation.
4. Sur la prétendue insuffisance des informations fournies au regard de l'article 7,
paragraphe 4, sous b), du règlement de base
- Conditions auxquelles doivent répondre les demandes d'information
- Selon l'article 7, paragraphe 4, sous c), i), du règlement de base, les demandes
d'information présentées au titre du même article, sous b), doivent être présentées
par écrit et spécifier les points particuliers sur lesquels l'information est demandée.
- C'est en fonction du degré de spécificité des informations demandées qu'il convient
d'apprécier le caractère suffisant des renseignements fournis par les institutions
communautaires.
b) Examen des demandes d'information introduites dans le cas d'espèce et des
informations fournies par les institutions communautaires
i) Demandes générales d'information
- Les requérantes se sont plaintes à de multiples reprises de l'insuffisance des
informations qui leur avaient été communiquées en se bornant à demander de
manière générale à être informées des principaux faits et considérations sur la base
desquels la Commission envisageait de recommander l'imposition de droits (voir
ci-dessus points 8, 16 et 31).
- La Commission a répondu à ces demandes générales d'information par lettre du
22 mars 1991 (voir ci-dessus point 25). Eu égard au degré de généralité de ces
demandes, cette lettre et ses annexes répondaient aux exigences de l'article 7,
paragraphe 4, sous b), du règlement de base. Elles contenaient des informations
suffisamment circonstanciées pour mettre les requérantes en mesure de faire
connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et
circonstances allégués et sur les éléments de preuve retenus par la Commission à
l'appui de son allégation de l'existence d'une pratique de dumping et d'un
préjudice.
ii) Demandes d'information sur des points particuliers
Griefs relatifs aux demandes d'information introduites par lettre du 14 décembre
1990
- Par lettre du 14 décembre 1990, NSC a également posé des questions précises sur
le prix de référence. Par la suite, non seulement NSC, mais également Ajico, qui
ne s'était pourtant pas explicitement associée à la démarche de NSC, se sont
référées à cette lettre en invitant la Commission à clarifier éventuellement l'une ou
l'autre de ses réponses à cette lettre. Toutefois, au cours de la procédure
administrative, les requérantes n'ont pas indiqué en quoi les informations fournies
par les institutions communautaires étaient insuffisantes ni précisé les points
spécifiques sur lesquels elles auraient souhaité des compléments d'information.
- La Commission a répondu à ces demandes d'information par lettre du 18 décembre
1990 (voir ci-dessus point 15). Il convient d'examiner si les réponses apportées par
la Commission ont été suffisantes pour permettre aux requérantes de se défendre
utilement. Le Tribunal examinera ces réponses en se limitant aux points qui font
l'objet de critiques de la part des requérantes.
- Taux d'utilisation des capacités (voir ci-dessus point 65, premier tiret)
- Les requérantes ne sauraient faire grief aux institutions communautaires de ne pas
avoir fourni d'explication sur les hypothèses de base et les méthodes retenues pour
déterminer les capacités de production du producteur communautaire, dès lors
qu'elles n'ont pas demandé d'information à cet égard. En effet, leur demande
d'information portait sur le taux d'utilisation des capacités retenu pour déterminer
le prix de référence. Sur ce point, les requérantes ne peuvent pas reprocher aux
institutions communautaires de ne pas avoir précisé si ce taux correspondait au
taux réel observé à la fin de la période d'enquête ou au taux d'utilisation moyen.
En effet, dans sa lettre du 14 décembre 1990, NSC ne demandait cette information
que dans l'hypothèse où, pour des raisons de confidentialité, un pourcentage
n'aurait pas pu être indiqué. Dès lors que la Commission a précisé qu'elle s'était
fondée sur l'hypothèse d'une pleine utilisation des capacités, c'est-à-dire sur un taux
de 100 %, il ne lui incombait pas de répondre à la question posée à titre
subsidiaire. Comme les requérantes n'ont sollicité aucune précision supplémentaire
à cet égard au cours de la procédure administrative, la Commission doit être
considérée comme ayant pleinement répondu à la question posée par NSC. Du
reste, étant donné qu'il n'est pas contesté que la Commission s'est fondée sur
l'hypothèse d'une utilisation maximale des capacités de production relevées à la fin
de la période d'enquête, c'est-à-dire sur l'hypothèse la plus favorable aux
requérantes, d'éventuelles observations supplémentaires de la part de celles-ci
n'auraient eu aucune incidence sur le taux retenu.
- Période retenue pour atteindre l'équilibre financier et réaliser une marge
bénéficiaire de 8 % (voir ci-dessus point 65, deuxième tiret)
- Outre la réponse qu'elle a apportée dans sa lettre du 18 décembre 1990 (voir ci-dessus point 15), la Commission a indiqué, dans sa lettre de divulgation du 22 mars
1991 (voir ci-dessus point 25), qu'il était essentiel que les droits à instituer couvrent
la différence entre le prix à l'exportation et le prix de référence consistant en un
prix minimal nécessaire pour permettre à l'industrie communautaire de couvrir ses
coûts et de réaliser une marge bénéficiaire raisonnable. En vue de l'évaluation de
cette marge bénéficiaire, la Commission a précisé qu'elle avait tenu compte,
premièrement, du fait que le producteur communautaire venait à peine de franchir
sa période de démarrage, deuxièmement, de l'incertitude quant à l'évolution des
ventes à l'avenir, qui pourrait être aussi favorable qu'aux États-Unis, mais qui
pourrait également être négative et, troisièmement, de la possibilité que des
produits de substitution susceptibles de raccourcir le cycle de vie de l'aspartame
soient mis au point.
- Ces informations contiennent des indications suffisantes sur les principaux faits et
considérations relatives à la demande d'information considérée.
- Du reste, dans sa lettre du 2 avril 1991, NSC a présenté son point de vue sur la
question et a, dès lors, été en mesure d'exercer pleinement ses droits de la défense
(voir ci-dessus point 31).
- Prise en compte des subventions versées au producteur communautaire et
compatibilité avec le traité (voir ci-dessus point 65, troisième tiret)
- Dans sa lettre du 18 décembre 1990, la Commission a déclaré avoir tenu compte
des subventions versées au producteur communautaire pour déterminer le prix de
référence, sans toutefois se prononcer sur leur compatibilité avec le traité.
- Les requérantes n'ont pas indiqué en quoi l'éventuelle incompatibilité de
subventions versées au producteur communautaire aurait pu conduire à un droit
antidumping moins élevé.
- Il s'ensuit que l'absence d'information explicite de la Commission sur cette question
ne constitue pas une violation de l'article 7, paragraphe 4, du règlement de base
et n'est donc pas de nature à entraîner l'annulation du règlement attaqué.
- Pourcentage des frais généraux inclus dans le prix de référence ayant été payés
à la société apparentée DSM (voir ci-dessus point 66, sixième tiret)
- Dans sa réponse du 18 décembre 1990, la Commission s'est limitée à confirmer que
HSC était intervenue dans les frais généraux de DSM et à affirmer qu'il n'était pas
de l'intérêt de l'autre actionnaire de HSC de gonfler ces coûts artificiellement.
- Si la réponse fournie par la Commission ne répond pas clairement à la question
posée, force est néanmoins de constater que la divulgation du pourcentage n'aurait
pas permis à NSC de mieux défendre ses intérêts. En effet, sauf à divulguer
également le détail des frais généraux, cette information ne lui aurait pas permis
de se prononcer sur le caractère raisonnable ou non de ces frais. Or, les frais
généraux du producteur communautaire, qui constituent un des éléments des coûts
de production, sont des données confidentielles qui ne pouvaient pas lui être
transmises telles quelles (voir arrêt de la Cour du 5 octobre 1988, Brother
Industries/Conseil, 250/85, Rec. p. 5683, point 34). Par conséquent, c'est à bon droit
que la Commission n'a pas fourni davantage d'informations sur le point considéré.
- Efforts de promotion déployés par NSAG (voir ci-dessus point 66, cinquième
tiret)
- A la question de savoir si elle avait tenu compte du fait que HSC avait pu profiter
des efforts de développement du marché consentis par NSAG, la Commission a
déclaré, dans sa lettre du 18 décembre 1990, que cette demande lui paraissait
obscure et a demandé des éclaircissements à NSC. Cette dernière ne lui en ayant
pas fourni, il ne saurait être reproché aux institutions communautaires de ne pas
avoir répondu plus amplement à cette question.
Griefs relatifs à d'autres points particuliers
- Composition détaillée du prix de référence
- A titre liminaire, il convient de souligner que le prix de référence ayant servi à
déterminer le montant du droit a été calculé en grande partie sur la base des coûts
de production du producteur communautaire. Or, ces données sont confidentielles
(arrêt Brother Industries/Conseil, cité ci-dessus au point 106, point 34).
- Au cours de la procédure administrative, les requérantes se sont bornées à se
plaindre que la structure des coûts inclus dans le prix de référence, telle qu'elle
ressortait de l'annexe 3 à la lettre de la Commission du 22 mars 1991 (voir ci-dessus point 25), contînt des informations insuffisantes sur les éléments du prix de
référence. Ce reproche général et l'observation selon laquelle la Commission
n'avait pas divulgué d'informations numériques ou factuelles significatives sur la
marge de préjudice (voir ci-dessus point 31) ne permettaient pas aux institutions
communautaires d'identifier la nature des informations non confidentielles qui
auraient permis aux requérantes de mieux défendre leurs intérêts. Compte tenu des
particularités du marché, de la connaissance que les requérantes avaient de celui-ci
et de son concurrent européen (voir ci-dessus points 85 et 86) ainsi que du
caractère extrêmement sensible des éléments du prix de référence sur le plan de
la confidentialité, les institutions communautaires devaient se garder de divulguer
des informations qui auraient permis aux requérantes de supputer avec une
précision relativement grande les éléments, la structure et, en définitive, le montant
des coûts du producteur communautaire. Ces données étant confidentielles (arrêt
Brother Industries/Conseil, cité ci-dessus au point 106, point 34), ce n'est qu'en
ayant connaissance des éléments précis sur lesquels les requérantes souhaitaient
être plus amplement informées ou, à tout le moins, de la perspective dans laquelle
ces dernières souhaitaient obtenir et exploiter ces renseignements supplémentaires
que les institutions communautaires auraient été en mesure d'apprécier la
possibilité de divulguer davantage d'informations sur le prix de référence tout ense conformant aux exigences de confidentialité qui s'imposaient en l'espèce.
- Faute d'avoir mis les institutions en mesure d'apprécier cette possibilité, les
requérantes ne sauraient leur faire grief de ne pas leur avoir fourni une
décomposition du prix de référence plus détaillée que celle qui figurait en annexe
3 à la lettre de la Commission du 22 mars 1991 (voir ci-dessus point 25). En
particulier, comme elles n'ont pas demandé d'information spécifique sur le type de
coûts de financement pris en compte et leur répartition ni sur l'importance des
emprunts par rapport aux fonds propres, elles ne sauraient faire grief aux
institutions communautaires de ne pas avoir précisé ces éléments.
- Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Timex/Conseil et Commission (cité ci-dessus au point 73), invoquée par les requérantes, les institutions communautaires
s'étaient limitées à divulguer les postes de calcul du prix de référence sans aucune
indication chiffrée. A l'inverse, dans la présente affaire, les institutions
communautaires ont divulgué les éléments du coût pris en compte pour le calcul
du prix de référence en fournissant une indication chiffrée consistant dans le
pourcentage de chacun de ces éléments dans le coût total à 10 % près. Compte
tenu des demandes de traitement confidentiel introduites par le producteur
communautaire, il y a lieu de considérer que les informations relatives à la
composition du prix de référence communiquées en l'espèce aux requérantes
étaient suffisantes.
- Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Al-Jubail Fertilizer/Conseil (cité ci-dessus
au point 60), également invoquée par les requérantes, le défendeur ne contestait
pas que les institutions communautaires avaient été en mesure de communiquer à
la société requérante des informations utiles pour l'exercice de ses droits de la
défense, puisqu'il affirmait que la Commission avait transmis de telles informations
par lettre à cette dernière. Le règlement attaqué avait toutefois été annulé parce
que le défendeur n'avait pas prouvé la réception de cette lettre par la requérante.
En l'espèce, en revanche, le défendeur affirme que l'obligation de confidentialité
pesant sur les institutions communautaires les a empêchées de transmettre
certaines informations litigieuses.
- Enfin, dans l'arrêt Nölle (cité ci-dessus au point 60), la Cour a déclaré le règlement
litigieux invalide non pas pour violation des droits de la défense, mais au motif que
la valeur normale n'avait pas été déterminée «d'une manière appropriée et non
déraisonnable» au sens de l'article 2, paragraphe 5, sous a), du règlement de base.
La question de savoir si, dans le cadre des dispositions applicables en l'espèce, les
institutions communautaires n'ont pas excédé leur pouvoir d'appréciation dans la
détermination de la valeur normale sera examinée dans le cadre du moyen suivant,
pris de la violation de l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
- Prise en compte de certains coûts de lancement du producteur communautaire
dans le prix de référence et amortissement (voir ci-dessus point 65, quatrième et
cinquième tirets)
- Dans leurs observations du 2 avril 1991 (voir ci-dessus point 31), NSC et NSAG ont
affirmé que HSC avait dû faire face à des frais et à des difficultés de lancement
considérables et que les coûts de lancement de l'usine ne pouvaient pas être pris
en compte dans le calcul du prix de référence. Elles ont également considéré que
les honoraires d'avocat exposés par HSC pour les attraire en justice ne pouvaient
être regardés comme des coûts de production et qu'à tout le moins ils devaient être
étalés dans le temps. En revanche, elles n'ont demandé aucune précision sur les
hypothèses de base et les méthodes retenues pour imputer les coûts de lancement
dans le calcul du prix de référence (notamment en ce qui concerne les méthodes
d'amortissement et les raisons pour lesquelles les institutions communautaires
avaient retenu une période d'amortissement de dix ans), ni sur les deux postes des
frais de lancement qui avaient été pris en compte.
- Par lettre du 18 avril 1991 (voir ci-dessus point 32), la Commission a indiqué que,
à l'exception de deux postes amortis selon les règles applicables en droit
néerlandais, les frais de lancement avaient été exclus du calcul, y compris les
honoraires d'avocat.
- A supposer que les observations de NSC et de NSAG du 2 avril 1991 aient valu
demande d'information au sens de l'article 7, paragraphe 4, sous b), du règlement
de base, la lettre de la Commission du 18 avril 1991 y a donc répondu
complètement.
- Matières premières achetées à des entreprises liées (voir ci-dessus point 66,
quatrième tiret)
- Les requérantes ne sauraient reprocher aux institutions communautaires de ne pas
leur avoir fourni d'informations sur la part des matières premières achetées par le
producteur communautaire à des fournisseurs liés, car elles n'ont introduit aucune
demande d'information sur ce point particulier.
c) Conclusion
- Il résulte de ce qui précède, compte tenu notamment des particularités
exceptionnelles du marché (voir ci-dessus points 85 et 86), de l'excellente
connaissance qu'en avaient les requérantes et de la capacité que cette connaissance
leur donnait de demander, le cas échéant, les précisions pertinentes requises, que
les institutions communautaires ont satisfait à leurs obligations d'information
découlant de l'article 7, paragraphe 4, sous a) et b), du règlement de base.
- Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base
Arguments des parties
- Les requérantes soutiennent que le défendeur a commis une erreur manifeste
d'appréciation, omis de prendre en considération des éléments essentiels et violé
le traité ainsi que le règlement de base, en comparant les prix pratiqués sur le
marché intérieur des États-Unis avec les prix en vigueur sur le marché
communautaire pour déterminer la valeur normale.
- Selon elles, les prix pratiqués sur le marché des États-Unis ne permettaient pas une
comparaison valable au sens de l'article 2, paragraphe 3, sous a) et b), du
règlement de base et ne résultaient pas d'opérations commerciales normales. En
effet, au contraire du marché communautaire, pleinement concurrentiel, le marché
américain aurait été monopolistique en raison du brevet protégeant l'aspartame.
Or, dans un marché non concurrentiel, les institutions communautaires seraient
tenues de calculer le dumping sur la base d'une valeur construite. La comparaison
des prix pratiqués sur deux marchés aux structures différentes serait proscrite, ce
que la Cour aurait d'ailleurs reconnu dans l'arrêt Brother Industries/Conseil, cité
ci-dessus au point 106. Il ressortirait également de la décision de la Commission
dans l'affaire dite des «Poires au sirop originaires d'Australie» que le critère de la
concurrence est essentiel. Le droit des États-Unis d'Amérique reconnaîtrait lui aussi
qu'il est inapproprié de comparer des prix sans tenir compte des effets de la
protection de la propriété intellectuelle (affaire Lightweight Polyester Filament
Fabric from Japan, 49 Fed. Reg. 472, 1984; affaire Generic Cephalexin Capsules
from Canada, 53 Fed. Reg. 47562, 1988).
- Le brevet conférerait à son détenteur le droit de majorer le prix d'une prime
récompensant son invention. La détermination de la valeur normale sur la base de
prix pratiqués dans le cadre d'une protection au titre d'un brevet pénaliserait
l'inventeur qui exerce son droit de brevet, alors que ni le droit communautaire ni
le GATT n'exigent du titulaire d'un brevet qu'il renonce à ce droit pour exporter.
Le fait d'exiger du titulaire d'un brevet qu'il vende dans la Communauté à un prix
supérieur à celui du marché constituerait une discrimination au détriment des
titulaires étrangers de brevets et procurerait un avantage indu aux producteurs
communautaires.
- Enfin, en n'ayant pas indiqué les raisons pour lesquelles il considérait que les prix
bénéficiant de la protection du brevet étaient comparables aux prix à l'exportation
vers la Communauté, le défendeur aurait violé son obligation de motivation (article
190 du traité).
- Le défendeur conclut au rejet de ce moyen. Il conteste que la valeur normale ait
été illégalement déterminée, celle-ci ayant été calculée sur la base de prix résultant
des forces normales du marché et permettant une comparaison valable.
- L'intervenante ajoute qu'il n'y a aucune raison pour que la valeur normale ne soit
pas fondée sur des prix influencés par des brevets si ces prix traduisent la situation
réelle du marché dans le pays exportateur.
Appréciation du Tribunal
- Le texte du règlement de base ne subordonne pas l'institution de droits
antidumping à une quelconque autre raison qu'une différenciation préjudiciable des
prix pratiqués sur le marché domestique (en l'occurrence, le marché des
États-Unis), d'une part, et sur le marché d'exportation (en l'occurrence, le marché
communautaire), d'autre part.
- En tant que tels, les critères de la structure du marché ou du degré de concurrence
ne sont pas déterminants pour retenir la méthode de la valeur normale construite
plutôt que celle de la valeur normale fondée sur des prix réels, si ceux-ci sont le
résultat des forces du marché. En effet, ainsi que la Commission l'a considéré dans
son règlement (point 16 des considérants, confirmé par le point 8 des considérants
du règlement du Conseil), une «différence dans l'élasticité des prix entre le marché
américain et le marché communautaire» est «une condition préalable de la
différenciation des prix» et, s'il fallait en tenir compte, «le dumping ne pourrait
jamais être sanctionné». Les requérantes n'ayant pas démontré que les prix retenus
pour déterminer la valeur normale ne résultaient pas des forces du marché ou ne
traduisaient pas la situation réelle sur le marché des États-Unis, il n'y avait aucune
raison de construire la valeur normale plutôt que de se fonder sur les prix
réellement payés sur le marché des États-Unis.
- Enfin, le règlement attaqué n'a nullement privé la requérante NSC de son brevet
américain, puisqu'il n'a pas porté atteinte à son droit d'exclure tout tiers de la
production et de la commercialisation de l'aspartame aux États-Unis jusqu'à
l'expiration dudit brevet ni à son droit de maximiser ses prix sur ce marché. A cet
égard, le monopole de production et de commercialisation conféré par le brevet
permet à son titulaire de récupérer des frais de recherche et de développement
exposés non seulement pour des projets couronnés de succès, mais également pour
des projets ayant échoué. Cet élément constitue une raison économique
supplémentaire de se fonder sur des prix pratiqués dans le cadre d'un brevet pour
déterminer la valeur normale.
- Dès lors, les requérantes n'ont pas démontré que les institutions communautaires
ont commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d'appréciation des faits
en déterminant la valeur normale de l'aspartame importé sur la base des prix
pratiqués aux États-Unis sous la protection d'un brevet.
- Quant au grief tiré d'une motivation insuffisante du choix de ces prix comme base
de la valeur normale, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante,
la motivation exigée par l'article 190 du traité doit faire apparaître, d'une façon
claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de
l'acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications
de la mesure prise afin de défendre leurs droits et au juge communautaire
d'exercer son contrôle (arrêts de la Cour du 26 juin 1986, Nicolet Instrument,
203/85, Rec. p. 2049, point 10, du 7 mai 1987, NTN Toyo Bearing e.a./Conseil,
240/84, Rec. p. 1809, point 31, et Nachi Fujikoshi/Conseil, 255/84, Rec. p. 1861,
point 39).
- En l'espèce, le règlement attaqué confirme (point 8 des considérants) les points 12
à 19 des considérants du règlement de la Commission.
- Or, au point 18 des considérants de ce dernier règlement, la Commission indique,
en ce qui concerne l'argument selon lequel les prix américains n'étaient pas
réellement comparables en raison de la protection industrielle dont l'aspartame
faisait l'objet aux États-Unis:
«La Commission ne considère pas cet argument justifié. Une différenciation
préjudiciable des prix est condamnée tant par le droit communautaire que par le
droit international, quelles qu'en soient les raisons. Le brevet aux États-Unis
d'Amérique ne détermine pas en soi le niveau des prix sur le marché intérieur. Si
l'exportateur exploite sa position de détenteur du brevet pour pratiquer des prix
plus élevés sur son marché intérieur qu'à l'exportation, il doit supporter les
conséquences de sa décision prise librement. Il n'y a aucune raison pour que la
différenciation des prix, dans la mesure où elle aboutit à un préjudice important
pour l'industrie de la Communauté, échappe à l'application de la réglementationantidumping.»
- Ces éléments étaient suffisants pour permettre aux intéressées de connaître les
justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et au juge
communautaire d'exercer son contrôle. Partant, le règlement est suffisamment
motivé en ce qui concerne le point considéré.
- En conclusion, le moyen doit être rejeté.
Sur les moyens tirés d'une violation du traité et des articles 2, paragraphe 1, 4 et 13
du règlement de base et d'un calcul erroné du droit antidumping
Arguments des parties
- Premièrement, les requérantes estiment que les institutions communautaires, d'une
part, ont commis une erreur manifeste d'appréciation des éléments de preuve
produits par les requérantes et, d'autre part, ont violé les dispositions du code
antidumping du GATT et du règlement de base relatives à la constatation du
préjudice.
- Selon elles, ces éléments de preuve établissaient que le producteur communautaire
n'avait pas subi de préjudice important et que ses résultats étaient aussi bons que
ceux qu'il pouvait raisonnablement escompter. HSC n'aurait pas pu
raisonnablement s'attendre à réaliser un bénéfice, encore moins un bénéfice de
8 %, dans l'année qui a suivi le démarrage de sa production.
- En effet, au début de l'enquête, le producteur communautaire produisait depuis
moins de six mois et était, dès lors, toujours en phase de démarrage. Nouveau venu
sur le marché, il aurait dû faire face à de nombreux obstacles, tels que l'avance
technologique des requérantes, l'absence d'économies d'échelle pendant la phase
de démarrage et une période d'apprentissage. Il aurait été inefficient, même si l'on
tient compte d'une exploitation relativement faible des capacités de production. Ses
coûts auraient été extrêmement élevés (voir point 49 des considérants du règlement
de la Commission, qui fait état de coûts de lancement considérables). En
particulier, ses frais financiers auraient représenté entre 5 et 15 % de ses coûts,
laissant présumer un lourd endettement.
- Les requérantes soulignent que le producteur communautaire opérait sur un
marché caractérisé par une baisse des prix de l'aspartame dictée par les forces du
marché. La concurrence sur le marché communautaire de nombreux autres
édulcorants intenses peu coûteux, due à l'absence de fortes restrictions
réglementaires et au fait que les consommateurs de la Communauté se préoccupent
moins des effets sur la santé de ces produits que leurs homologues américains ou
japonais, aurait entraîné une baisse considérable des prix depuis 1983, soit cinq ans
avant le démarrage de la production de HSC.
- En dépit de ces conditions, le producteur communautaire aurait obtenu une part
significative des ventes d'aspartame. Il ne serait pas établi que si les prix avaient
été plus élevés, la diminution de la demande qui s'en serait suivie n'aurait pas
annulé toute augmentation des recettes ni a fortiori que le problème de la sous-utilisation des capacités de production de HSC eût été résolu. De plus, étant donné
l'expiration prochaine du brevet de NSC, les perspectives du producteur
communautaire d'étendre ses ventes au marché des États-Unis, particulièrement
lucratif, et de bénéficier d'économies d'échelle accrues auraient été favorables.
- Il ressortirait des éléments de preuve avancés par les requérantes, notamment de
l'étude de McKinsey (voir ci-dessus point 9), qu'un nouveau venu sur un marché
en développement ne peut escompter atteindre l'équilibre financier dans les
premières années d'activité. Il serait illusoire d'imaginer la possibilité de conquérir
des clients de producteurs établis sans sous-coter significativement les prix. Du
reste, un second offrant cherchant à accroître sa part de marché en sous-cotant les
prix s'exposerait au risque d'augmenter la tendance des prix à la baisse et de
n'obtenir rien de plus qu'une part de marché symbolique, d'autant plus que les prix
étaient déjà bas en raison de la concurrence de produits de substitution.
- Au stade de la réplique, les requérantes reprochent aux institutions
communautaires de ne pas avoir indiqué les raisons pour lesquelles HSC aurait dû
atteindre un niveau plus élevé d'exploitation de ses capacités de production ou
aurait dû être immédiatement en mesure de vendre tout l'aspartame qu'elle pouvait
produire.
- Deuxièmement, les requérantes ajoutent que la Commission a affirmé à tort que
les importations litigieuses étaient la cause du préjudice allégué et, en particulier,
que «l'abaissement des prix à l'exportation de NSAG a coïncidé avec l'apparition
du plaignant sur le marché communautaire» (point 45 des considérants du
règlement de la Commission).
- En outre, la considération selon laquelle la concurrence se serait intensifiée à la
suite de l'expiration des brevets dans la Communauté, entre 1986 et 1988 (point 54
des considérants du règlement de la Commission), serait inconciliable avec la
conclusion selon laquelle les importations litigieuses seraient la cause de la baisse
des prix. Sur le marché des États-Unis, en revanche, la croissance de la demande,
l'interdiction des cyclamates, les recommandations tendant à prévenir la
consommation de la saccharine et le brevet de NSC auraient favorisé une hausse
des prix.
- Les institutions communautaires auraient tenu compte, dans le passé, de facteurs
semblables à ceux existant dans la présente affaire, notamment de la concurrence
intracommunautaire et des coûts très élevés des producteurs communautaires, et
auraient conclu à l'absence d'un lien de causalité entre les importations en cause
et le préjudice subi par la production communautaire [décision 86/344/CEE de la
Commission, du 17 juillet 1986, portant clôture de la procédure antidumping
concernant les importations de ciment de Portland originaire de la République
démocratique allemande, de Pologne et de Yougoslavie (JO L 202, p. 43, point 24
des considérants)].
- Troisièmement, les requérantes font grief aux institutions communautaires d'avoir
violé l'article 13, paragraphe 3, du règlement de base en surestimant le montant du
droit antidumping nécessaire pour faire disparaître le préjudice allégué. En effet,
ce droit aurait été déterminé à partir d'un prix de référence pour le calcul duquel
les institutions communautaires auraient retenu les coûts du producteur
communautaire. Étant donné le caractère excessif de ces coûts, le prix de référence
aurait dû être calculé sur la base des coûts de l'un des exportateurs ou de ceux d'un
producteur d'une branche similaire ou, subsidiairement, être égal au prix pratiqué
dans la Communauté ou encore, à supposer qu'il y ait eu sous-cotation, être égal
au prix pratiqué dans la Communauté majoré de la sous-cotation constatée, à
l'instar de ce que les institutions communautaires auraient fait dans d'autres affaires
[voir, par exemple, règlement (CEE) n° 3232/89 de la Commission, du 24 octobre
1989, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de petits
appareils récepteurs de télévision en couleur originaires de la république de Corée
(JO L 314, p. 1); règlement (CEE) n° 129/91 de la Commission, du 11 janvier 1991,
instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de petits appareils
récepteurs de télévision en couleur originaires de Hong-Kong et de la république
populaire de Chine (JO L 14, p. 31)]. Dans certaines affaires, les institutions
communautaires auraient même retenu les coûts du producteur le plus performant.
- Même en admettant que les importations aient, à elles seules, causé le préjudice
allégué, le prix de référence serait néanmoins incorrect. Les coûts de production
retenus par les institutions communautaires étant tellement exorbitants, ils ne
pourraient que trahir une erreur de calcul.
- Le défendeur et l'intervenante concluent au rejet de ces moyens. Ils soulignent en
substance avoir déterminé le préjudice, constaté l'existence d'un lien de causalité
entre celui-ci et les importations faisant l'objet d'un dumping et calculé le droit
antidumping en tenant dûment compte du fait que le producteur communautaire
était un nouveau venu sur le marché et que son efficacité était dès lors moindre
que celle des requérantes. Par ailleurs, ils contestent que la concurrence d'autres
édulcorants fût intense sur le plan des prix et que cet élément pût être à l'origine
du préjudice.
Appréciation du Tribunal
- La détermination du préjudice et de l'existence d'un lien de causalité entre celui-ci
et les importations faisant l'objet d'un dumping suppose l'appréciation de questions
économiques complexes. Dans cet exercice, les institutions communautaires
disposent d'une large marge d'appréciation (voir, par exemple, arrêt de la Cour du
7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C-69/89, Rec. p. I-2069, point 86, et arrêt du
Tribunal du 28 septembre 1995, Ferchimex/Conseil, T-164/94, Rec. p. II-2681,
points 111 et 131).
- Dans le règlement attaqué (point 26 des considérants), le défendeur a précisé:
«[...] pour déterminer si l'industrie communautaire concernée a subi un préjudice
important, il a été tenu compte des facteurs suivants:
le producteur communautaire a commencé à vendre l'aspartame en 1988 et a réussi
à obtenir une part relativement modeste du marché de la Communauté, qui est
encore majoritairement détenu par les producteurs/exportateurs américains et
japonais. Les concurrents américains ont réagi à cette pénétration du marché en
abaissant brutalement leurs prix, ce qui s'est traduit, pour l'industrie
communautaire, par des pertes considérables qui l'ont empêchée d'augmenter
l'utilisation de ses capacités de production dans des proportions qui lui auraient
permis de tirer profit d'économies d'échelle. A la fin de la période d'enquête, ces
pertes avaient atteint une ampleur telle qu'elles menaçaient directement la viabilité
de l'industrie.»
- Quant à la prétendue inefficacité du producteur communautaire, il y a lieu de
rappeler que le fait, pour un producteur communautaire, d'éprouver des difficultés,
fussent-elles dues également à des causes autres que le dumping, n'est pas une
raison pour enlever à ce producteur toute protection contre le préjudice causé par
le dumping (arrêts de la Cour du 5 octobre 1988, Brother Industries/Conseil, cité
ci-dessus au point 106, point 42, et Canon e.a./Conseil, 277/85 et 300/85, Rec.
p. 5731, point 63).
- En outre, durant la période d'enquête, le producteur communautaire était encore
en phase de démarrage. Il ressort d'un document fourni par les requérantes, en
réponse aux questions du Tribunal du 22 janvier 1997, que leurs coûts de
production au cours des deux premières années de production étaient plus de deux
fois supérieurs à leurs coûts de production au cours de la période d'enquête. Dès
lors, à supposer même que, comme le soutiennent les requérantes, leurs coûts de
production aient été approximativement deux fois inférieurs à ceux du producteur
communautaire au cours de la période d'enquête, les institutions communautaires
n'ont pas excédé leur pouvoir d'appréciation en se fondant sur les coûts de ce
dernier pour déterminer le prix de référence en-deçà duquel il devait être
considéré comme subissant un préjudice.
- Quant à la concurrence d'édulcorants de substitution moins coûteux, il se déduit du
point 31 des considérants du règlement attaqué que le défendeur a estimé que la
présence sur le marché d'autres édulcorants intenses n'influençait pas
significativement le prix de l'aspartame et qu'elle n'a pas été à l'origine de la chute
des prix à partir du moment où le producteur communautaire a décidé de prendre
pied sur le marché. Dans ses réponses aux questions posées par le Tribunal le 22
janvier 1997 et à l'audience, le défendeur a précisé que la concurrence d'autres
édulcorants était réduite en raison des qualités spécifiques de l'aspartame et en
particulier de son goût.
- Eu égard aux avantages gustatifs de l'aspartame, la conclusion du défendeur selon
laquelle la demande d'aspartame n'était pas significativement influencée par la
présence sur le marché d'autres édulcorants intenses de moindre prix est plausible,
compte tenu des éléments suivants qui se dégagent du dossier, notamment des
tableaux contenus dans le rapport établi en mars 1997 par le consultant LMC
International, à la demande des requérantes, en vue de répondre aux questions du
Tribunal du 22 janvier 1997. Premièrement, l'aspartame a réussi à s'imposer sur le
marché alors qu'il était plus cher que d'autres édulcorants. Deuxièmement, les
utilisateurs d'édulcorants ne se limitent pas à acheter les édulcorants les moins
chers, la demande d'aspartame dans la Communauté ayant d'ailleurs augmenté
après l'imposition des droits antidumping. Troisièmement, la part du coût d'un
édulcorant intense dans le coût total du produit fini est marginale.
- Dans ces conditions, il est également plausible qu'un producteur d'aspartame, fût-il
même débutant sur le marché, soit en mesure de réaliser un bénéfice de 8 % dansun délai de 18 mois, d'autant plus que ce pourcentage a été évalué en fonction de
coûts de production fictifs, déterminés en partant de l'hypothèse d'une exploitation
totale des capacités de production. La plausibilité de cette conclusion est
corroborée par la considération selon laquelle on pouvait s'attendre à un accueil
favorable des utilisateurs face à l'arrivée d'un nouveau venu sur un marché
monopolistique.
- S'agissant de la baisse des prix de l'aspartame dans la Communauté, les
requérantes n'ont pas infirmé l'explication, fournie par le défendeur dans ses
réponses aux questions posées par le Tribunal le 22 janvier 1997, selon laquelle la
réduction des coûts pourrait expliquer la baisse des prix entre 1983 et 1987, mais
non la chute ultérieure. Elles n'ont pas davantage contredit l'affirmation du
défendeur selon laquelle l'écart entre la baisse des prix et la baisse de leurs coûts
de production s'est accru à partir de 1986, la première s'accélérant par rapport à
la seconde.
- Si l'affirmation selon laquelle «l'abaissement des prix à l'exportation de NSAG a
coïncidé avec l'apparition du plaignant sur le marché communautaire» (point 45
des considérants du règlement de la Commission et point 30 des considérants du
règlement du Conseil) manque peut-être de nuance, la thèse selon laquelle «la
décision de baisser les prix jusqu'à un niveau équivalent à des pertes est de la
responsabilité évidente de NSAG et des exportateurs américains et japonais, et les
répercussions de cette politique de prix ne peuvent pas être attribuées aux
difficultés qu'a rencontrées HSC avec son procédé de production» (point 49 des
considérants du règlement de la Commission et point 33 des considérants du
règlement du Conseil) est en revanche parfaitement plausible.
- Les requérantes ne nient pas que le président-directeur général de NSC a déclaré
en 1989 (voir article du journal néerlandais De Financiële Telegraaf du 2 septembre
1989, joint au mémoire en défense): «Maar de prijs is geen punt. Wij zullen
zonodig onder de prijs van iedere concurrent duiken. Dat kunnen we ons
veroorloven omdat wij meer dan ieder ander hebben kunnen investeren in
efficiency, daartoe in staat gesteld door de ruime middelen waarover wij dank zij
ons patent konden beschikken.» («Les prix ne sont pas un problème. Au besoin,
nous pouvons sous-coter tout prix pratiqué par tout concurrent car nous pouvons
investir plus que quiconque pour nous préoccuper de l'efficacité grâce aux moyens
financiers importants que nous garantit notre brevet»). Elles ne contestent pas
avoir effectivement sous-coté les prix (point 40 des considérants du règlement de
la Commission et point 26 des considérants du règlement du Conseil), accru les
exportations vers la Communauté en chiffres absolus (point 37 des considérants du
règlement de la Commission et point 26 des considérants du règlement du Conseil)
et baissé substantiellement leurs prix (point 39 des considérants du règlement de
la Commission et points 26 et 31 des considérants du règlement du Conseil).
- Il s'ensuit que les requérantes n'ont pas démontré que le défendeur a excédé son
pouvoir d'appréciation en considérant que le producteur communautaire avait subi
un préjudice et que les importations faisant l'objet d'un dumping en étaient la
cause.
- Le montant du droit institué en l'espèce équivaut à la différence entre le prix de
référence, c'est-à-dire le prix minimum auquel l'aspartame doit être importé dans
la Communauté pour ne pas causer un préjudice à la production communautaire,
et le prix à l'exportation. Il découle des conclusions tirées aux points 150 à 158
qu'il n'est pas établi que les institutions communautaires se soient fondées sur des
bases inappropriées pour calculer le montant du droit nécessaire pour éliminer le
préjudice. Quant à une éventuelle erreur de calcul, les requérantes déduisent son
existence du fait que les coûts pris en considération pour déterminer le prix de
référence seraient plus de deux fois supérieurs à leurs propres coûts. Il ressort du
point 151 que la circonstance que les coûts de production d'un producteur
d'aspartame en phase de démarrage soient plus de deux fois plus élevés que ceux
d'un producteur expérimenté est plausible. Cependant, une telle circonstance n'est
pas une preuve suffisante d'une erreur de calcul du prix de référence ni même un
indice d'une telle erreur.
- Enfin, en ce qui concerne le grief tiré d'une insuffisance de motivation de la
conclusion selon laquelle HSC aurait dû pouvoir atteindre un niveau plus élevé
d'exploitation de ses capacités de production, il a été soulevé pour la première fois
au stade de la réplique. Il est donc tardif et, comme tel, irrecevable. Il n'y a dès
lors pas lieu de l'examiner.
- Il résulte des éléments qui précèdent que les moyens examinés doivent être rejetés.
III Moyens soulevés uniquement dans l'affaire T-159/94
Sur le moyen tiré d'une violation de formes substantielles et de l'article 190 du traité
Arguments des parties
- La requérante Ajico reproche aux institutions communautaires d'avoir violé ses
droits de la défense (arrêt de la Cour du 23 octobre 1974, Transocean Marine
Paint/Commission, 17/74, Rec. p. 1063, point 15) ainsi que la recommandation du
GATT concernant les meilleures données disponibles au sens de l'article 6,
paragraphe 8, adoptée le 8 mai 1984 par le comité du GATT sur les pratiques
antidumping (GATT, BISD, 31e Supplément, p. 283). L'appréciation de la
Commission selon laquelle cette partie requérante aurait insuffisamment coopéré
aurait conduit l'institution à refuser de se fonder sur les informations fournies par
l'entreprise et à retenir comme valeur normale les prix pratiqués sur le marché des
États-Unis, avec pour conséquence l'institution de droits excessifs. Cette
appréciation et la décision qui s'en serait suivie affecteraient dès lors sensiblement
les intérêts de la requérante. Or, elle n'en aurait pas été informée avant la
publication du règlement de la Commission et aurait, en conséquence, été privée
de la possibilité de présenter des observations à cet égard.
- En toute hypothèse, la requérante aurait coopéré de son mieux aux vérifications
et à l'enquête. En effet, la Commission aurait souhaité vérifier les quantités
vendues sur le marché japonais, ainsi que les coûts de fabrication. En ce qui
concerne ses ventes sur le marché japonais, la requérante aurait fourni,
premièrement, les statistiques sur les expéditions de l'usine, deuxièmement, les
factures de toutes ses ventes (deux millions quatre cent mille factures), y compris
celles concernant l'aspartame, et, troisièmement, les factures mensuelles et
périodiques de toutes les ventes par client sur microfilms, y compris celles relatives
aux ventes d'aspartame. En ce qui concerne ses coûts de production, elle aurait
fourni la documentation complète relative aux coûts de production concernant les
deux périodes de l'année fiscale d'Ajico (du 1er octobre 1988 au 30 septembre
1989), qui couvraient les trois quarts de la période d'enquête. Lors de l'inspection
sur place, des informations relatives à ses coûts de production au cours des trois
derniers mois de 1989 auraient également été disponibles, sans distinction toutefois
entre les différents produits, le temps lui ayant manqué pour calculer
spécifiquement le coût de production de l'aspartame. Il serait néanmoins de
pratique courante, lorsqu'il existe un décalage dans le temps entre la période
d'enquête et l'année fiscale de l'entreprise concernée, de déterminer les chiffres en
extrapolant à partir des données disponibles [règlement (CEE) n° 112/90 du
Conseil, du 16 janvier 1990, instituant un droit antidumping définitif sur les
importations de certains lecteurs de disques compacts originaires du Japon et de
la république de Corée, et portant perception définitive du droit provisoire
(JO L 13, p. 21); règlement (CEE) n° 2054/91 de la Commission, du 11 juillet 1991,
instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de
dihydrostreptomycine originaire de république populaire de Chine (JO L 187,
p. 23); règlement (CEE) n° 729/92 du Conseil, du 16 mars 1992, instituant un droit
antidumping définitif sur les importations de certains papiers thermosensibles
originaires du Japon et portant perception définitive du droit antidumping
provisoire (JO L 81, p. 1)].
- Le défendeur et l'intervenante concluent au rejet du moyen, estimant en substance
qu'il est inopérant, car, dans le règlement attaqué, la base légale retenue pour
établir la valeur normale n'est pas l'article 7, paragraphe 7, sous b), du règlement
de base, permettant aux institutions communautaires de se fonder sur les données
disponibles en cas de coopération insuffisante de la partie concernée, mais l'article
2, paragraphe 6, du même règlement.
Appréciation du Tribunal
- Le présent moyen est pris d'une violation des droits de la défense en ce que la
requérante n'aurait pas eu la possibilité de faire valoir son point du vue sur
l'appréciation de la Commission selon laquelle elle aurait insuffisamment coopéré.
- Or, dans le règlement attaqué, la valeur normale n'a pas été établie en application
de l'article 7, paragraphe 7, sous b), du règlement de base autorisant les institutions
communautaires à se fonder sur les données disponibles en cas de coopération
insuffisante de la partie concernée, mais sur la base de l'article 2, paragraphe 6,
dudit règlement.
- Dès lors, la possibilité pour la requérante d'exposer son point de vue sur
l'appréciation litigieuse n'aurait eu aucune incidence sur le règlement attaqué. Il
s'ensuit que, à supposer même que les institutions communautaires aient privé la
requérante de cette possibilité, point sur lequel il n'est pas indispensable de se
prononcer, ce comportement n'aurait en rien changé les conclusions du Conseil
telles qu'elles sont contenues dans le règlement attaqué.
- Par conséquent, le moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 2, paragraphe 6, du règlement de base
Arguments des parties
- La requérante Ajico rappelle que, en vertu de l'article 2, paragraphe 6, du
règlement de base et du GATT, les institutions communautaires doivent déterminer
la valeur normale sur la base d'un prix comparable.
- En l'espèce, le prix de vente de l'aspartame aux États-Unis n'aurait pas été
comparable, en raison du brevet dont NSC était titulaire sur ce marché. De plus,
étant donné que le brevet interdisait à la requérante de vendre de l'aspartame à
des tiers aux États-Unis, les prix qu'elle pratiquait ne pouvaient pas affecter les prix
de NSC dans le même pays ni être affectés par ceux-ci, mais étaient la résultante
des forces du marché japonais. Il serait dès lors déraisonnable de faire supporter
à la requérante les conséquences de la situation économique et juridique
particulière aux États-Unis.
- Étant donné que le prix à payer sur le marché des États-Unis n'était pas
comparable, il eût fallu déterminer la valeur normale sur la base du prix dans le
pays d'origine.
- Cette solution se serait d'autant plus imposée que l'aspartame expédié du Japon
aurait simplement transité par les États-Unis. La notion de transit, visée à l'article
2, paragraphe 6, du règlement de base, couvrirait les situations dans lesquelles les
expéditions vers un pays intermédiaire n'exercent aucune influence sur les
conditions du marché du pays intermédiaire, ni ne subissent l'influence de ces
conditions.
- Or, tel aurait été le cas en l'espèce, puisque l'aspartame expédié du Japon n'était
pas destiné à être revendu aux États-Unis, mais devait uniquement permettre à
NSC de bénéficier de la réglementation américaine sur le remboursement des
droits d'importation. La participation de la requérante dans le capital de
l'entreprise commune NSAG ne lui aurait pas davantage permis d'exercer une
influence sur les prix, compte tenu du brevet couvrant le marché américain.
L'aspartame vendu par la requérante à NSC en vue de la revente aux États-Unis
n'aurait aucun rapport avec les expéditions d'aspartame destinées à la revente dans
la Communauté. Ces expéditions n'auraient pas seulement été enregistrées
séparément, mais auraient également été facturées à un prix différent. Ajico aurait
conservé le contrôle sur ces expéditions après leur livraison à NSC, puisque celle-ci
était contractuellement tenue de les revendre immédiatement à Deutsche
Ajinomoto GmbH, filiale commerciale de la requérante en Europe, chargée de les
céder à son tour à NSAG. Enfin, s'il est exact que de l'aspartame originaire du
Japon a été reconditionné dans des récipients plus grands ou transformé en
granulés pour faciliter la manutention, cela ne concernerait qu'une très petite
proportion de l'aspartame expédié, à savoir respectivement 1,4 et 7 %. Qui plus
est, cette pratique se serait limitée à la période allant de novembre 1988 à
décembre 1989, qui correspondrait presque exactement à la période d'enquête, etuniquement pour satisfaire des demandes de clients de la Communauté, formulées
après le départ des chargements du Japon.
- Toutefois, étant donné, d'une part, que le volume des ventes sur le marché du pays
d'origine n'atteignait pas 5 % des ventes réalisées sur le marché communautaire
et, d'autre part, que l'article 2, paragraphe 6, du règlement de base n'exclut pas de
construire la valeur normale en application de l'article 2, paragraphe 3, du même
règlement, celle-ci aurait dû être construite à partir des coûts de fabrication de la
requérante majorés d'un bénéfice raisonnable. Comme exposé dans le cadre du
moyen précédent, la Commission aurait été en mesure de vérifier les coûts de
fabrication de la requérante.
- Selon le défendeur et l'intervenante, les conditions pour déterminer la valeur
normale sur la base du prix comparable réellement payé ou à payer dans le pays
d'origine (en l'occurrence le Japon), en application de l'article 2, paragraphe 6, du
règlement de base, n'étaient pas réunies en l'espèce, notamment parce que
l'aspartame n'avait pas simplement transité par le pays d'exportation (en
l'occurrence les États-Unis) au cours de la période d'enquête. Le défendeur ajoute
que, en revanche, les conditions pour déterminer la valeur normale sur la base du
prix réellement payé ou à payer dans le pays d'exportation étaient remplies, car ce
prix était comparable. En conséquence, le défendeur et l'intervenante concluent au
rejet du moyen.
Appréciation du Tribunal
- L'article 2, paragraphe 6, du règlement de base dispose:
«Lorsqu'un produit n'est pas importé directement du pays d'origine, mais exporté
vers la Communauté à partir d'un pays intermédiaire, la valeur normale est le prix
comparable réellement payé ou à payer du produit similaire sur le marché
intérieur, soit du pays d'exportation, soit du pays d'origine. Cette dernière base
pourrait être appropriée, entre autres, si le produit transite simplement par le pays
d'exportation ou si de tels produits ne sont pas fabriqués dans le pays
d'exportation, ou s'il n'existe pas de prix comparable pour ces produits dans le pays
d'exportation.»
- Il est constant que l'aspartame vendu par la requérante Ajico n'était pas importé
dans la Communauté directement à partir du pays d'origine (le Japon), mais bien
à partir d'un pays intermédiaire (les États-Unis).
- Dans cette hypothèse, l'article 2, paragraphe 6, du règlement de base donne aux
institutions communautaires une large marge d'appréciation pour retenir soit le prix
payé ou à payer sur le marché du pays d'exportation, soit le prix payé ou à payer
sur le marché du pays d'origine, pourvu que le prix retenu soit comparable.
- En l'espèce, les institutions communautaires ont déterminé la valeur normale sur
la base du prix payé ou à payer sur le marché intérieur du pays d'exportation (le
marché des États-Unis).
- En se bornant à affirmer que ce prix ne pouvait être retenu au motif que le produit
considéré y faisait l'objet d'un brevet, la requérante n'a pas démontré qu'il n'était
pas comparable (voir points 126 à 129 ci-dessus).
- En outre, les conditions qui auraient autorisé les institutions communautaires à
retenir les prix du pays d'origine (en l'occurrence le Japon) n'étaient pas remplies
en l'espèce. En effet, l'aspartame japonais n'a pas transité simplement par les
États-Unis puisque, d'une part, il a été effectivement vendu à un opérateur
américain et, d'autre part, il a été en partie soumis à transformation et
reconditionné.
- Il s'ensuit que les institutions communautaires ont à bon droit déterminé la valeur
normale sur la base du prix payé ou à payer sur le marché des États-Unis.
- Par conséquent, le présent moyen doit être rejeté.
IV Moyens soulevés uniquement dans l'affaire T-160/94
Sur le moyen tiré d'une violation de règles essentielles de procédure et de l'article 190
du traité
Arguments des parties
- La requérante NSC reproche au défendeur de s'être contenté, dans son règlement,
de remarquer que la Commission avait rejeté les engagements proposés par la
requérante, sans indiquer les motifs de sa propre décision de rejeter ces
engagements. Or, il résulterait d'une lecture combinée des arrêts de la Cour du 7
mai 1987, NTN Toyo Bearing e.a./Conseil et Nachi Fujikoschi/Conseil, cités ci-dessus au point 130, et Koyo Seiko/Conseil (256/84, Rec. p. 1899), d'une part, et
du 14 mars 1990, Gestetner Holdings/Conseil et Commission (C-156/87, Rec.
p. I-781), d'autre part, que la décision finale de rejeter une proposition
d'engagement, décision qui affecterait sensiblement les intérêts de la requérante,
appartient au Conseil. Pour permettre au juge communautaire d'exercer son
contrôle, le défendeur aurait dû motiver sa décision à cet égard. En s'abstenant de
le faire, il aurait violé les droits fondamentaux de la défense.
- En outre, il n'aurait pas non plus répondu aux arguments développés par la
requérante dans sa lettre du 15 mai 1991 afin de contester les raisons avancées par
la Commission pour rejeter les engagements. Il aurait ainsi violé l'article 190 du
traité et les droits fondamentaux de la défense. En conséquence, les articles 1er et
2 du règlement litigieux devraient être annulés.
- Le défendeur et l'intervenante concluent au rejet du moyen, car le requérant aurait
reçu un exposé précisant à suffisance de droit les raisons du rejet de l'engagement.
Appréciation du Tribunal
- Le point 49 des considérants du règlement attaqué expose:
«[...] Après consultations, la Commission a estimé que ces engagements n'étaient
pas acceptables. Elle a communiqué aux producteurs/exportateurs concernés les
motifs de cette décision.»
- Cette référence aux motifs exposés par la Commission doit être interprétée en ce
sens que le défendeur s'y est rallié.
- Or, ces motifs ont été communiqués à la requérante par lettre de la Commission
du 7 mai 1991 (voir ci-dessus point 33). Il ressort, en substance, de cette lettre que
les engagements proposés étaient inacceptables en raison des restrictions de
concurrence qu'ils auraient engendré sur le marché très oligopolistique de
l'aspartame. La lettre précise encore que ces engagements auraient contraint l'un
des principaux producteurs à fixer ses prix d'une façon prévisible pour l'autre
producteur.
- Ces motifs circonstanciés font apparaître, d'une manière claire et non équivoque,
le raisonnement de l'autorité communautaire et permettent au Tribunal d'exercer
son contrôle. En outre, il ressort de la lettre de la requérante du 15 mai 1991 que
cette dernière a effectivement compris les raisons du rejet des propositions
d'engagements, puisqu'elle les a contestées (voir ci-dessus point 34). Par
conséquent, le rejet des engagements proposés doit être considéré comme ayant
été suffisamment motivé (voir la jurisprudence citée ci-dessus au point 130).
- En toute hypothèse, le défendeur pouvait se borner à se référer à l'appréciation de
la Commission, dès lors que l'acceptation de propositions d'engagements relève de
la compétence exclusive de cette dernière (ordonnance Miwon/Commission, citée
ci-dessus au point 87, point 27).
- Par conséquent, le moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré d'une violation des droits découlant du brevet dont la requérante
était titulaire aux États-Unis
Arguments des parties
- La requérante NSC soutient qu'en déterminant la valeur normale sur la base des
prix pratiqués aux États-Unis les institutions communautaires l'ont indirectement
forcée à renoncer à la possibilité qu'elle avait de maximiser ses prix sur le marché
de ce pays. De ce fait, les institutions communautaires l'auraient, illégalement et
sans indemnité, expropriée des droits qu'elle tirait de son brevet. Or, les principes
généraux du droit communautaire subordonneraient toute expropriation à une
indemnisation (conclusions de l'avocat général M. Capotorti sous l'arrêt de la Cour
du 13 décembre 1979, Hauer, 44/79, Rec. p. 3727, 3752, 3760, point 7).
- Subsidiairement, même si la décision des institutions communautaires n'équivalait
pas à pareille expropriation, elle entamerait en tout cas, de manière
disproportionnée, la libre jouissance des droits de brevet de la requérante. Les
institutions communautaires auraient pu se fonder sur des prix à l'exportation vers
des pays tiers ou encore, comme la requérante l'a proposé, sur la valeur construite.
L'application de ces méthodes aurait entraîné une entrave moins importante à la
possibilité de la requérante de bénéficier d'une prime sur le marché américain en
raison du brevet.
- Le défendeur récuse l'argumentation de la requérante, affirmant en substance que,
en l'espèce, il était tenu de déterminer la valeur normale sur la base du prix payé
ou à payer sur le marché des États-Unis. L'intervenante considère que, si le moyen
tend à faire constater que les institutions communautaires ont violé les droits de
propriété industrielle que la requérante tirait de la législation des États-Unis ou
qu'elles en ont disposé illégalement, le Tribunal est incompétent. Ils concluent au
rejet du moyen.
Appréciation du Tribunal
- La requérante n'a pas démontré en quoi elle avait été empêchée d'exercer les
droits qu'elle tirait de son brevet. En effet, elle s'est bornée à affirmer que le
règlement attaqué l'empêchait de maximiser ses prix sur le marché des États-Unis.
A supposer même que les droits qu'elle tirait de son brevet aux États-Unis aient
inclus le droit de maximiser ses prix sur le marché de ce pays, cette allégation
manque en fait. En effet, aucune des mesures antidumping litigieuses n'a restreint
les possibilités de NSC de pratiquer les prix qu'elle souhaitait sur ce marché.
- Dès lors, le moyen doit être rejeté.
Sur les dépens
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes
ayant succombé en leurs moyens et le défendeur ayant conclu à leur condamnation
aux dépens, il y a lieu de condamner les requérantes à supporter, outre leurs
propres dépens, ceux exposés par le défendeur. L'article 87, paragraphe 4, du
règlement de procédure prévoit que les institutions qui sont intervenues au litige
supportent leurs propres dépens; il y a donc lieu de décider que l'intervenante
supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
déclare et arrête:
- Les recours sont rejetés.
- Les parties requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux
du Conseil.
- La Commission supportera ses propres dépens.
García-ValdecasasTiili
Azizi
Moura Ramos Jaeger
|
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 décembre 1997.
Le greffier
Le président
H. Jung
J. Azizi
Table des matières
Faits à l'origine du litige et procédure
II - 2
Produit
II - 2
Protagonistes et marché
II - 3
Procédure administrative
II - 3
Règlements antidumping en cause
II - 9
1. Généralités
II - 9
2. Règlement de la Commission
II - 9
3. Règlement du Conseil
II - 10
Procédure judiciaire
II - 10
Conclusions des parties
II - 11
Sur le fond
II - 12
I Exposé synthétique des moyens
II - 12
II Moyens communs aux deux affaires
II - 13
Sur les moyens tirés d'une violation de formes substantielles, ainsi que des
articles 7, paragraphe 4, sous a) et b), et 8, paragraphe 4, du règlement de
base
II - 14
A Arguments des parties
II - 14
B Appréciation du Tribunal
II - 18
1. Sur les particularités du marché considéré et leur conséquence
II - 19
2. Sur la prétendue insuffisance des informations fournies avantl'institution de droits définitifs
II - 20
3. Sur la prétendue insuffisance des informations fournies au regard de
l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement de base
(informations fournies par HSC)
II - 20
4. Sur la prétendue insuffisance des informations fournies au regard de
l'article 7, paragraphe 4, sous b), du règlement de base
II - 21
a) Conditions auxquelles doivent répondre les demandes
d'information
II - 21
b) Examen des demandes d'information introduites dans le cas d'espèce
et des informations fournies par les institutions communautaires
II - 21
i) Demandes générales d'information
II - 21
ii) Demandes d'information sur des points particuliers
II - 22
Griefs relatifs aux demandes d'information introduites par lettre du 14
décembre 1990
II - 22
Taux d'utilisation des capacités (voir ci-dessus point 65, premier
tiret)
II - 22
Période retenue pour atteindre l'équilibre financier et réaliser une
marge bénéficiaire de 8 % (voir ci-dessus point 65, deuxième
tiret)
II - 23
Prise en compte des subventions versées au producteur communautaire
et compatibilité avec le traité (voir ci-dessus point 65, troisième
tiret)
II - 23
Pourcentage des frais généraux inclus dans le prix de référence ayant
été payés à la société apparentée DSM (voir ci-dessus point 66,
sixième tiret)
II - 24
Efforts de promotion déployés par NSAG (voir ci-dessus point 66,
cinquième tiret)
II - 24
Griefs relatifs à d'autres points particuliers
II - 24
Composition détaillée du prix de référence
II - 24
Prise en compte de certains coûts de lancement du producteur
communautaire dans le prix de référence et amortissement (voir ci-dessus point 65, quatrième et cinquième tirets)
II - 26
Matières premières achetées à des entreprises liées (voir ci-dessus
point 66, quatrième tiret)
II - 26
c) Conclusion
II - 27
Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 2, paragraphe 3, du règlement de
base
II - 27
Arguments des parties
II - 27
Appréciation du Tribunal
II - 28
Sur les moyens tirés d'une violation du traité et des articles 2, paragraphe 1, 4
et 13 du règlement de base et d'un calcul erroné du droit antidumping
II - 30
Arguments des parties
II - 30
Appréciation du Tribunal
II - 32
III Moyens soulevés uniquement dans l'affaire T-159/94
II - 36
Sur le moyen tiré d'une violation de formes substantielles et de l'article 190 du
traité
II - 36
Arguments des parties
II - 36
Appréciation du Tribunal
II - 37
Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 2, paragraphe 6, du règlement de
base
II - 37
Arguments des parties
II - 37
Appréciation du Tribunal
II - 39
IV Moyens soulevés uniquement dans l'affaire T-160/94
II - 40
Sur le moyen tiré d'une violation de règles essentielles de procédure et de
l'article 190 du traité
II - 40
Arguments des parties
II - 40
Appréciation du Tribunal
II - 40
Sur le moyen tiré d'une violation des droits découlant du brevet dont la
requérante était titulaire aux États-Unis
II - 41
Arguments des parties
II - 41
Appréciation du Tribunal
II - 42
Sur les dépens
II - 42
1: Langue de procédure: l'anglais.