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ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

3 novembre 2021 (*)

« Référé – Aides d’État – Aides octroyées par la France en faveur d’un club de football professionnel – Demande de mesures provisoires – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑538/21 R,

Penya Barça Lyon : Plus que des supporters (PBL), établie à Bron (France),

WA,

représentés par Me J. Branco, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Stromsky et G. Braga da Cruz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la lettre de la Commission du 1er septembre 2021 portant la référence COMP.C.4/AH/mdr 2021(092342) et répondant à une plainte en matière d’aide d’État (SA.64489 – Aide d’État au club de football Paris Saint‑Germain) et, d’autre part, à des injonctions adressées à la Commission,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La première requérante, la Penya Barça Lyon : Plus que des supporters (PBL), est une association fondée le 10 juin 2019, qui a pour objet la réunion de supporteurs du Futbol Club Barcelona (ci‑après le « FC Barcelone »), établi à Barcelone (Espagne), et dont est membre le second requérant, WA, citoyen français et « socio » du FC Barcelone depuis le 3 mars 2020 (ci‑après, pris ensemble, les « requérants »).

2        Le 8 août 2021, M. Lionel Messi, joueur de football au FC Barcelone, a annoncé son départ dudit club et a été recruté par le Paris Saint‑Germain Football Club (PSG), établi à Paris (France).

3        Ce même jour, le second requérant a déposé une plainte auprès de la Commission européenne en alléguant l’existence d’une aide d’État illégale au profit du PSG, qui aurait permis de recruter M. Messi, et en lui demandant de prendre des mesures au titre de l’article 116 TFUE.

4        Par lettre du 1er septembre 2021 portant la référence COMP.C.4/AH/mdr 2021(092342) et répondant à une plainte en matière d’aide d’État (SA.64489 – Aide d’État au club de football Paris Saint‑Germain), la Commission a indiqué au plaignant que les informations fournies ne seraient pas enregistrées comme une plainte formelle au titre de l’article 24, paragraphe 2, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), mais uniquement comme des informations générales sur le marché, car elles n’avaient pas été déposées par une partie intéressée au sens de l’article 1er, sous h), de ce règlement (ci‑après l’« acte attaqué »).

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 septembre 2021, les requérants ont introduit un recours tendant notamment à l’annulation de l’acte attaqué.

6        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérants ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle ils concluent à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué ;

–        enjoindre à la Commission de faire usage de ses prérogatives au titre de l’article 116, paragraphe 1, TFUE en enjoignant à la Fédération française de football (FFF) de cesser immédiatement toute distorsion normative de concurrence et de se mettre en conformité avec la réglementation applicable ;

–        enclencher une procédure en infraction au titre des articles 107 et 108 TFUE à l’encontre de la République française pour avoir accordé une aide d’État illégale au PSG et aux autres clubs de football français dans le cadre des compétitions nationales et européennes ;

–        enjoindre à la Commission de prononcer, en application de l’article 13 du règlement 2015/1589, des mesures provisoires contre la République française tendant à faire cesser le préjudice des requérants en l’enjoignant à suspendre certaines décisions créant une distorsion déloyale de concurrence par le truchement d’une aide d’État.

7        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 20 septembre 2021, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

8        Le 20 septembre 2021, les requérants ont déposé au greffe du Tribunal leurs observations sur les observations de la Commission, auxquelles cette dernière a répondu le 28 septembre 2021.

 En droit

9        Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12 et jurisprudence citée).

10      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

11      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

12      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

13      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

14      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

15      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

16      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si les requérants parviennent à démontrer l’urgence.

17      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice, en premier lieu, les requérants font valoir que le départ de M. Messi vers le PSG risque d’entraîner pour le FC Barcelone une perte d’un tiers de ses revenus et de conduire celui‑ci à se transformer en société anonyme ou en fondation capitalisée, ce qui aurait pour conséquence une perte totale du contrôle du club par les « socios ».

18      En deuxième lieu, les requérants allèguent que le départ de M. Messi vers le PSG aura également des conséquences sportives. En effet, M. Messi aurait contribué à l’obtention de 35 titres, soit 42 % des trophées du FC Barcelone, et à 80 % des victoires finales du FC Barcelone en Ligue des Champions. De plus, il aurait été directement à l’origine de 43 % des buts du club depuis son premier match.

19      En troisième lieu, les requérants soutiennent que ces conséquences financières et sportives pour le FC Barcelone auront des implications directes sur leur situation, menaçant lourdement leurs intérêts patrimoniaux et leur droit moral et créant une insécurité juridique et économique qui devra être considérée comme une atteinte directe à la liberté d’association. En particulier, ils allèguent que les « penyas », en plus d’être des clubs de supporteurs, réunissent en leur sein des « socios » qui, tous membres du FC Barcelone, ont, en vertu de la structure associative de celui‑ci, un intérêt patrimonial direct dans celui‑ci. Cela vaut notamment pour le second requérant qui, en sa qualité de « socio », subirait, du fait de l’acte attaqué, un préjudice direct et personnel de nature patrimoniale en ce qu’il serait redevable, au même titre que tous les autres membres de l’association, des dettes du FC Barcelone, ce qui impacterait nécessairement sa situation. En outre, une transformation du FC Barcelone en société anonyme entraînerait de facto l’immédiate dissolution de la première requérante.

20      En quatrième lieu, les requérants font valoir que la préservation de l’équité des compétitions sportives est un objectif d’intérêt général dont il appartient au juge de l’Union d’assurer l’effectivité.

21      La Commission fait valoir, quant à elle, que les requérants ne sont pas parvenus à établir que la condition relative à l’urgence était remplie.

22      En premier lieu, il y a lieu d’emblée d’écarter parmi les atteintes alléguées par les requérants celles qui ne les concernent pas personnellement.

23      En effet, selon une jurisprudence constante, la partie sollicitant les mesures provisoires ne peut pas, pour établir l’urgence, invoquer l’atteinte portée aux droits des tiers ou à l’intérêt général (voir ordonnance du 26 septembre 2017, António Conde & Companhia/Commission, T‑443/17 R, non publiée, EU:T:2017:671, point 35 et jurisprudence citée).

24      Ainsi, les requérants ne sauraient s’appuyer, pour démontrer l’urgence, ni sur le préjudice que subiraient des personnes et entités tierces ni sur celui que subiraient le FC Barcelone ou l’intérêt général de la préservation de l’équité des compétitions sportives.

25      En deuxième lieu, s’agissant de l’argumentation des requérants selon laquelle les conséquences financières et sportives pour le FC Barcelone du départ de M. Messi ont des implications directes sur leur situation financière, menaçant lourdement leurs intérêts patrimoniaux, il convient de relever que ce préjudice présente un caractère financier.

26      Or, selon une jurisprudence bien établie, si un préjudice de caractère financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure, une mesure provisoire se justifie néanmoins s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, la partie sollicitant les mesures provisoires se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure au principal (voir ordonnance du 16 novembre 2007, Dimos Peramatos/Commission, T‑312/07 R, non publiée, EU:T:2007:345, point 35 et jurisprudence citée).

27      Toutefois, pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit, dans tous les cas, disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent la situation financière de la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées [voir ordonnance du 27 avril 2010, Parlement/U, T‑103/10 P(R), EU:T:2010:164, point 37 et jurisprudence citée].

28      Or, force est de constater que, dans le cas d’espèce, les requérants ont omis de fournir toute indication concrète et précise, étayée par des preuves documentaires détaillées et certifiées.

29      Au demeurant, il importe d’observer, à l’instar de la Commission, qu’il n’existe pas de lien direct et immédiat entre l’acte attaqué et le préjudice allégué.

30      En effet, le préjudice allégué résulte de l’obligation faite à M. Messi de quitter le FC Barcelone. Or, ainsi que l’indiquent les requérants eux‑mêmes dans leur demande en référé, le FC Barcelone ne pouvait en tout état de cause renouveler le contrat de ce footballeur, alors même qu’il avait accepté une réduction de 50 % de son salaire, en raison de la réduction maximale de salaire autorisée par la réglementation sportive espagnole, considérée comme insuffisante pour respecter les obligations de « fair‑play » financier, telles qu’édictées par l’Union des associations européennes de football (UEFA).

31      Il en résulte que l’éventuelle suspension de l’acte attaqué ne permettrait pas d’empêcher la survenance du dommage allégué.

32      Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que les requérants ne sont pas parvenus à démontrer l’urgence en raison d’un risque pour leur viabilité financière.

33      En troisième lieu, s’agissant de l’argument des requérants selon lequel une transformation du FC Barcelone en société anonyme entraînerait de facto l’immédiate dissolution de la première requérante, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si l’imminence du préjudice allégué ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant, un préjudice de nature purement hypothétique, fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne justifiant pas l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnance du 7 décembre 2015, POA/Commission, T‑584/15 R, non publiée, EU:T:2015:946, point 22 et jurisprudence citée).

34      En l’espèce, il convient de noter que les requérants n’ont pas avancé d’éléments permettant de conclure au caractère imminent du risque de transformation du FC Barcelone en société anonyme. L’argumentation des requérants selon laquelle la Liga Nacional de Fútbol Profesional (Ligue nationale de football professionnel, Espagne) a fait pression sur les clubs espagnols afin qu’ils vendent chacun 10 % de leur capital à un fonds d’investissement ne démontre pas le caractère imminent du préjudice, notamment parce que, comme il ressort de la demande en référé, le FC Barcelone s’y est opposé et n’y participe pas. De plus, le préjudice allégué repose sur des événements futurs et incertains qui dépendent notamment du FC Barcelone et de son assemblée générale.

35      Il découle de ce qui précède que le préjudice allégué par les requérants doit être regardé comme étant hypothétique.

36      En quatrième lieu, en ce qui concerne les dommages que les requérants prétendent avoir subis en conséquence de l’insécurité juridique et économique qu’ils dénoncent, qui constituerait une atteinte directe à leur liberté d’association, d’une part, il importe de constater que ceux‑ci n’établissent pas que les « socios » du FC Barcelone ou même les membres de la première requérante soient particulièrement exposés économiquement à la situation financière du FC Barcelone. D’autre part, il convient de relever que les requérants se fondent sur une prémisse hypothétique. En effet, comme mentionné au point 34 ci‑dessus, ils n’ont pas établi que le statut associatif du FC Barcelone serait immédiatement menacé. Par conséquent, le préjudice allégué par les requérants ne peut pas être considéré comme prévisible avec un degré de probabilité suffisant selon la jurisprudence mentionnée au point 33 ci‑dessus.

37      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée à défaut, pour les requérants, d’établir l’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner sa recevabilité, de se prononcer sur le fumus boni juris ou de procéder à la mise en balance des intérêts.

38      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.


Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 3 novembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.