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DOCUMENT DE TRAVAIL


ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

3 novembre 2021 (*)

« Recours en annulation – Environnement – Directive 2003/87/CE – Gaz à effet de serre – Allocation de quotas d’émission – Demande de transfert de certificats d’émission à l’Allemagne – Demande adressée dans le cadre d’une procédure nationale de référé en vue d’assurer l’effet utile de la procédure préjudicielle dans l’affaire C‑271/20 – Décision de refus de la Commission – Qualité pour agir – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑729/20,

Aurubis AG, établie à Hambourg (Allemagne), représentée par Mes S. Altenschmidt et J. Hoss, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. De Meester et G. Wils, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la lettre de la Commission du 8 décembre 2020 par laquelle cette institution a rejeté la demande de la Deutsche Emissionshandelsstelle (service allemand d’échange de quotas d’émission) de transférer, à titre conservatoire, sur le compte de dépôt national de la République fédérale d’Allemagne ou, à titre subsidiaire, sur le compte de dépôt d’exploitant de la requérante, et au plus tard le 31 décembre 2020, un nombre de quotas d’émission de gaz à effet de serre équivalant au nombre de quotas supplémentaires dont la requérante a demandé l’allocation, à titre gratuit et au titre de la troisième période d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, devant le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin, Allemagne),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. S. Gervasoni, président, Mme R. Frendo et M. J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, Aurubis AG, exploite une installation de production de métaux non ferreux, dans laquelle elle produit du cuivre. Cette installation est soumise à la réglementation sur les quotas d’émission de gaz à effet de serre (ci-après les « quotas ») prévue par la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32).

 Procédure principale allemandeet recours préjudiciel

2        Dans le cadre d’un litige qui l’oppose à la Deutsche Emissionshandelsstelle (service allemand d’échange de quotas d’émission, ci-après la « DEHSt ») devant le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin, Allemagne) (ci-après la « procédure principale allemande »), la requérante demande l’allocation de 1 154 794 quotas supplémentaires à titre gratuit (ci-après les « quotas litigieux ») au titre de la période d’échange de quotas 2013-2020 qui a pris fin le 31 décembre 2020 (ci-après la « troisième période d’échange »). L’issue de ce litige dépend notamment de l’interprétation de la décision 2011/278/UE de la Commission, du 27 avril 2011, définissant des règles transitoires pour l’ensemble de l’Union concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit conformément à l’article 10 bisde la directive 2003/87 du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 130, p. 1).

3        Par ordonnance du 11 juin 2020, le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) a saisi la Cour de deux questions préjudicielles, objets de l’affaire Aurubis (C‑271/20). La première concerne l’interprétation de l’article 3, sous d), de la décision 2011/278 conditionnant l’allocation de quotas à titre gratuit au titre de la troisième période d’échange. La seconde porte sur le maintien ou l’extinction du droit à l’allocation à titre gratuit de quotas supplémentaires pour la troisième période d’échange, lorsque l’existence d’un tel droit n’est constaté qu’après l’expiration de cette période.

 Procédure de référéallemande

4        Le 21 septembre 2020, la requérante a demandé au Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) l’adoption d’une mesure provisoire visant à ce que la DEHSt s’assure qu’un nombre équivalent au nombre de quotas litigieux figure sur son compte de dépôt d’exploitant, au plus tard le 31 décembre 2020, pour garantir son droit à ces quotas après cette date, dans l’attente d’une décision définitive dans la procédure principale allemande sur cette question.

 Acte attaqué

5        Sans attendre la décision du juge allemand des référés, la DEHSt a demandé à la Commission, le 7 octobre 2020, de transférer, à titre conservatoire, et au plus tard le 31 décembre 2020, un nombre de quotas équivalent au nombre de quotas litigieux sur le compte de dépôt national de la République fédérale d’Allemagne ou, à titre subsidiaire, sur le compte de dépôt d’exploitant de la requérante, jusqu’à l’issue définitive de la procédure principale allemande (ci-après la « demande de la DEHSt »).

6        Le 9 octobre 2020, la requérante a invité la Commission à prendre la décision demandée par la DEHSt dans un délai de deux mois.

7        Par lettre du 8 décembre 2020, la Commission a rejeté la demande de la DEHSt en indiquant que la réglementation relative au système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (ci-après le « SEQE ») ne lui permettait pas d’effectuer des transferts individuels de quotas depuis les comptes de gestion centraux du registre de l’Union (ci-après l’« acte attaqué »).

 Ordonnance de référé allemande du 15 décembre 2020

8        Le 15 décembre 2020, le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) a enjoint à la DEHSt de garantir la préservation du droit à l’allocation des quotas litigieux après l’expiration de la troisième période d’échange (ci-après l’« ordonnance du 15 décembre 2020 »).

 Après l’introduction du recours

9        Par ordonnance du 23 décembre 2020, l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandebourg, Allemagne) a annulé partiellement l’ordonnance du 15 décembre 2020, notamment en ce qu’elle avait ordonné à la DEHSt de garantir la préservation du droit aux quotas litigieux après l’expiration de la troisième période d’échange.

10      En outre, par acte séparé du 16 décembre 2020, la requérante a introduit une demande en référé devant le Tribunal (affaire T‑729/20 R), visant à ordonner à la Commission de charger l’administrateur central du registre de l’Union (ci-après l’« administrateur central ») de transférer un nombre de quotas équivalent au nombre de quotas litigieux sur le compte de dépôt d’exploitant de la requérante, au plus tard le 31 décembre 2020.

11      Cette demande a été rejetée par ordonnance du 31 décembre 2020, Aurubis/Commission (T‑729/20 R, non publiée, EU:T:2020:655), pour défaut d’urgence, après avoir notamment considéré qu’il était improbable que le droit à une allocation de quotas à titre gratuit non satisfait s’éteigne à la fin de la troisième période d’échange.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 décembre 2020, la requérante a introduit le présent recours.

13      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 1er mars 2021, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

14      La requérante a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité le 16 avril 2021.

15      Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué ;

–        condamner la Commission aux dépens.

16      Dans l’exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

17      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        condamner la Commission aux dépens.

 En droit

18      En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité ou l’incompétence sans engager le débat au fond.

19      En l’espèce, la Commission ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.

20      À l’appui de l’exception d’irrecevabilité, la Commission invoque quatre fins de non-recevoir. Elle fait valoir, premièrement, que la requérante est dépourvue de qualité pour agir, deuxièmement, que l’acte attaqué n’est pas susceptible de recours, troisièmement, que le recours constitue en réalité un recours en carence déguisé dont les conditions de recevabilité ne sont pas remplies et, quatrièmement, que la requérante n’a plus d’intérêt à agir.

21      Le Tribunal estime nécessaire d’examiner tout d’abord si le recours constitue un recours en carence déguisé dont les conditions de recevabilité ne seraient pas remplies, avant d’examiner la fin de non-recevoir invoquée par la Commission tirée de l’absence de qualité pour agir de la requérante.

 Sur la fin de non-recevoir tirée de l’introduction d’un recours en carence déguisé dont les conditions de recevabilité ne seraient pas remplies

22      La Commission considère que le recours n’est pas recevable, car il s’agit d’un recours en carence, non précédé d’une invitation préalable à agir et intenté par la requérante et non par la DEHSt.

23      À cet égard, selon une jurisprudence constante, la voie de recours prévue à l’article 265 TFUE est fondée sur l’idée que l’inaction illégale d’une institution permet aux intéressés de saisir le juge de l’Union afin que celui-ci déclare que l’abstention d’agir est contraire au traité FUE. Cet article vise la carence par l’abstention de statuer ou de prendre position et non l’adoption d’un acte différent de celui que la partie requérante aurait souhaité ou estimé nécessaire (arrêt du 19 novembre 2013, Commission/Conseil, C‑196/12, EU:C:2013:753, point 22 ; et ordonnance du 8 février 2018, CBA Spielapparate- und Restaurantbetrieb/Commission, C‑508/17 P, non publiée, EU:C:2018:72, point 23).

24      En l’espèce, la Commission se fonde sur deux éléments pour requalifier le recours introduit de recours en carence. D’une part, le point 25 de la requête indique que, par l’acte attaqué, la Commission a refusé d’effectuer les transferts de quotas demandés par la DEHSt à titre conservatoire au profit de la requérante, afin d’éviter une éventuelle extinction de son droit à l’allocation au sujet duquel les juridictions saisies au fond doivent encore se prononcer. D’autre part, les conclusions de la requérante dans la demande en référé (T‑729/20 R) sollicitaient du président du Tribunal une ordonnance obligeant la Commission à exécuter un acte précis, à savoir charger l’administrateur central de transférer 1 154 794 quotas sur le compte de l’installation de la requérante au plus tard le 31 décembre 2020.

25      À cet égard, il y a lieu de constater que le recours est expressément fondé sur l’article 263 TFUE, et non sur l’article 265 TFUE, qui n’est pas visé. La requête a pour objet l’annulation de « la décision de la Commission […] du 8 décembre 2020 », par laquelle celle-ci a rejeté la demande de la DEHSt. C’est aussi ce que souligne notamment le point 25 de la requête.

26      En outre, les arguments figurant au point 25 de la requête, faisant état du refus de la Commission d’effectuer le transfert demandé, ont été invoqués par la requérante pour montrer sa qualité pour agir en annulation contre l’acte attaqué.

27      Quant aux conclusions de la demande en référé, elles sont inopérantes dans le cadre du présent recours. En effet, elles concernent une procédure dont l’objet était distinct de celui du présent recours qui, lui, tend uniquement à l’annulation de l’acte attaqué.

28      En tout état de cause, à supposer que la demande de la DEHSt constitue une invitation à agir au sens de l’article 265 TFUE, l’acte attaqué ne constitue pas un refus d’agir, comme le prétend la Commission. En effet, dans cet acte, la Commission a pris position sur la demande de la DEHSt en indiquant que la réglementation relative au SEQE ne lui permettait pas d’effectuer de transferts individuels depuis les comptes centraux du registre de l’Union et que, par conséquent, il était impossible d’effectuer aucun des deux transferts demandés.

29      Selon la jurisprudence, cette prise de position ferme l’accès au recours en carence (voir, en ce sens, ordonnance du 8 février 2018, CBA Spielapparate- und Restaurantbetrieb/Commission, C‑508/17 P, non publiée, EU:C:2018:72, points 15 et 23 ; et arrêt du 10 mars 2021, ViaSat/Commission, T‑245/17, EU:T:2021:128, point 59).

30      La prise de position peut en revanche faire l’objet d’un recours en annulation si les conditions en sont réunies (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 1996, T. Port, C‑68/95, EU:C:1996:452, point 61, et du 10 mars 2021, ViaSat/Commission, T‑245/17, EU:T:2021:128, point 71).

31      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l’introduction d’un recours en carence déguisé dont les conditions de recevabilité ne seraient pas remplies.

 Sur la qualité pour agir de la requérante

32      Selon la Commission, la requérante, non destinataire de l’acte attaqué, n’a pas qualité pour agir, car elle n’est ni directement ni individuellement concernée par cet acte.

33      À cet égard, l’article 263, quatrième alinéa, TFUE prévoit deux cas de figure dans lesquels la qualité pour agir est reconnue à une personne physique ou morale pour former un recours contre un acte dont elle n’est pas le destinataire. D’une part, un tel recours ne peut être formé que si cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (arrêt du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 19).

34      En l’espèce, la requérante n’est pas destinataire de l’acte attaqué et cet acte ne revêt pas la nature d’un acte réglementaire. La qualité pour agir ne peut donc lui être reconnue que si elle relève du premier cas de figure mentionné au point 33 ci-dessus.

35      Il convient de rappeler que les conditions de l’affectation directe et de l’affectation individuelle prévues par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE sont cumulatives, de sorte que, si l’une d’entre elles fait défaut dans le chef d’un requérant, le recours en annulation qu’il a formé contre cet acte doit être considéré comme irrecevable (arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 76).

36      Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’examiner d’abord si la première condition, tenant à l’affectation directe de la requérante, est remplie.

37      À cet égard, la Commission estime que la requérante n’est pas directement concernée par l’acte attaqué, car cet acte n’a pas privé la DEHSt de son pouvoir d’appréciation et n’a pas produit directement d’effets sur la situation juridique de la requérante.

38      Selon la jurisprudence, l’affectation directe requiert deux conditions cumulatives, d’une part, que l’acte attaqué produise directement des effets sur la situation juridique du requérant et, d’autre part, qu’il ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à son destinataire chargé de sa mise en œuvre, celle-ci devant revêtir un caractère purement automatique et découler de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 42 ; du 26 septembre 2014, DK Recycling und Roheisen/Commission, T‑630/13, non publié, EU:T:2014:833, point 30, et du 26 septembre 2014, Romonta/Commission, T‑614/13, EU:T:2014:835, point 31).

39      Concernant la première condition requise pour caractériser l’affectation directe, la Commission soutient que la situation juridique de la requérante n’est pas déterminée par l’acte attaqué, mais par l’ordonnance du 15 décembre 2020 qui avait enjoint à la DEHSt de délivrer une garantie sur le fondement du droit allemand, et par l’annulation de cette ordonnance en appel. Elle se prévaut en outre d’une absence de compétence pour charger l’administrateur central d’effectuer les transferts de quotas litigieux en vertu de la réglementation de l’Union relative au SEQE.

40      À cet égard, selon la jurisprudence, l’affectation directe est écartée lorsque, à la date de l’introduction du recours, la crainte exprimée par la requérante selon laquelle les droits qu’elle revendique seraient affectés par la décision attaquée vise un évènement purement hypothétique (voir, en ce sens, ordonnance du 21 mai 2010, ICO Services/Parlement et Conseil, T‑441/08, non publiée, EU:T:2010:217, point 59) ou lorsque la production des effets allégués sur sa situation juridique présuppose l’adoption préalable de mesures autonomes par rapport à l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 1995, CCE de la Société générale des grandes sources e.a./Commission, T‑96/92, EU:T:1995:77, point 40).

41      En l’espèce, il y a lieu de constater d’emblée que la requérante reconnaît que l’acte attaqué ne conduit pas directement à une modification de sa situation juridique.

42      Il convient, à ce sujet, de prendre en compte le contexte dans lequel l’acte attaqué a été adopté pour apprécier si cet acte a pu produire des effets de droit de nature à affecter la situation juridique de la requérante.

43      À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que la requérante a saisi le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) dans la procédure principale allemande de son litige l’opposant à la DEHSt à propos de l’allocation des quotas litigieux. Cette juridiction nationale a estimé qu’au vu de la jurisprudence allemande, se posait aussi la question du risque d’expiration, après la fin de la troisième période d’échange, le 31 décembre 2020, des quotas litigieux susceptibles d’être alloués au titre de cette période, question dont la Cour a été saisie dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel dans l’affaire Aurubis (C‑271/20).

44      Le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) a donc été appelé à décider, dans le cadre de la procédure principale allemande, d’une part, si la requérante avait droit aux quotas litigieux et, d’autre part, à supposer qu’elle y ait droit, si ces quotas pouvaient effectivement lui être transférés ou s’ils avaient expiré après le 31 décembre 2020. Ce sont ces deux décisions, sur l’existence du droit aux quotas litigieux et sur l’expiration éventuelle de ce droit après cette date, qui conditionnent la capacité de la requérante à bénéficier ou non de ces quotas et qui sont donc susceptibles d’affecter effectivement la situation juridique de cette dernière.

45      Deuxièmement, la demande de la DEHSt, que rejette l’acte attaqué, ne concernait directement aucune de ces questions. Elle est intervenue à la suite de l’introduction par la requérante d’une demande en référé devant le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin). Cette demande en référé avait notamment pour objet de prévenir le risque d’expiration de son droit aux quotas litigieux après le 31 décembre 2020. La DEHSt a ainsi demandé à la Commission le transfert à titre conservatoire de ces quotas litigieux parce qu’elle estimait que le juge allemand des référés lui ordonnerait de garantir la préservation du droit de la requérante à ces quotas après cette date. À travers cette demande, elle ne sollicitait donc aucune prise de position de la Commission sur la reconnaissance du droit de la requérante aux quotas litigieux ou sur l’expiration ou non de ces quotas après la fin de la troisième période d’échange.

46      Troisièmement, lorsque la Commission a été saisie de la demande de la DEHSt et lorsqu’elle a adopté l’acte attaqué, aucune décision n’avait encore été prise par le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) à propos de la garantie sur la préservation du droit de la requérante aux quotas litigieux après le 31 décembre 2020. Ce n’est que postérieurement à l’acte attaqué, soit le 15 décembre 2020, qui est également le jour du dépôt de la requête, que cette juridiction, statuant en référé, a imposé une telle garantie à la DEHSt. La garantie a toutefois été annulée par l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandebourg) le 23 décembre 2020.

47      Ainsi, d’une part, la mesure demandée à la Commission avait pour objectif de sauvegarder la possibilité de bénéficier d’un droit aux quotas litigieux qui était encore hypothétique et, d’autre part, l’intérêt d’une telle mesure était lui-même conditionné à une expiration, elle aussi hypothétique, de ce droit après le 31 décembre 2020. L’acte attaqué n’avait toutefois pas pour objet de se prononcer sur ces questions, laissées à la seule appréciation du juge national saisi dans le cadre de la procédure principale allemande et de la Cour dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel dans l’affaire Aurubis (C‑271/20), qui ne s’étaient pas encore prononcés lorsque l’acte attaqué a été adopté.

48      Par ailleurs, s’agissant de l’expiration des quotas litigieux redoutée par la requérante, il y a lieu de souligner que, dans son ordonnance du 31 décembre 2020, Aurubis/Commission (T‑729/20 R, non publiée, EU:T:2020:655, point 17), le président du Tribunal a relevé que l’expiration éventuelle des quotas litigieux à la fin de la troisième période d’échange constituait un évènement futur et incertain, qualifié de « hautement improbable » par la Commission et la DEHSt. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a écarté la condition d’urgence et, partant, la demande en référé de la requérante.

49      Ainsi, le risque que la situation juridique de la requérante soit affectée par une expiration de son éventuel droit aux quotas après la fin de la troisième période d’échange est très improbable.

50      Au final, il y a lieu de conclure que l’acte attaqué n’affecte pas directement la situation juridique de la requérante. Tout au plus, cet acte pourrait, le cas échéant, affecter uniquement la situation de fait de cette dernière en l’empêchant de bénéficier des quotas litigieux si, à l’issue de la procédure principale allemande, il était décidé qu’elle avait droit à ces quotas, que lesdits quotas ont expiré à la fin de la troisième période d’échange et qu’ils sont définitivement perdus.

51      Au vu de ce qui précède, la première condition requise pour caractériser l’affectation directe n’est pas satisfaite.

52      Concernant la seconde condition requise pour caractériser une telle affectation, à savoir l’absence de pouvoir d’appréciation du destinataire chargé de la mise en œuvre de l’acte attaqué, la Commission soutient que cet acte n’a pas privé la DEHSt de son pouvoir d’appréciation et qu’il ne se prête pas à une mise en œuvre purement automatique sans l’application d’autres règles intermédiaires.

53      La requérante estime, au contraire, que l’acte attaqué ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à la DEHSt pour le mettre en œuvre, car celle-ci ne peut pas transférer elle-même les quotas demandés, l’intervention de l’administrateur central est nécessaire à cette fin et celle-ci ne peut pas donner elle-même instruction à cet administrateur d’effectuer ces transferts.

54      À cet égard, il ne peut être considéré que la DEHSt soit chargée de mettre en œuvre l’acte attaqué car, lorsque cet acte a été adopté, aucune décision judiciaire ne lui imposait de garantir la préservation du droit aux quotas litigieux après le 31 décembre 2020 et, depuis le 23 décembre 2020, elle est déliée de toute obligation de cette nature (voir point 46 ci-dessus).

55      Au vu de ce qui précède, aucune des conditions requises pour caractériser l’affectation directe de la requérante n’est satisfaite.

56      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante invoquant une application par analogie de l’arrêt du 26 septembre 2014, DK Recycling und Roheisen/Commission (T‑630/13, non publié, EU:T:2014:833, point 30).

57      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 septembre 2014, DK Recycling und Roheisen/Commission (T‑630/13, non publié, EU:T:2014:833), la décision attaquée était d’une autre nature que l’acte attaqué, faisant l’objet du présent recours. Il s’agissait d’une décision de la Commission adressée aux autorités allemandes rejetant, d’une part, l’inscription des installations de la requérante sur la liste des installations pouvant bénéficier de quotas alloués à titre gratuit au titre de la troisième période d’échange, prévue à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2003/87 et, d’autre part, les quantités annuelles totales provisoires correspondantes de quotas à allouer à titre gratuit à ces installations, visées à l’article 15, paragraphe 2, de la décision 2011/278.

58      Dans l’affaire en cause, le Tribunal a jugé que la décision attaquée produisait directement des effets sur la situation juridique de la requérante et ne laissait aucun pouvoir d’appréciation à la République fédérale d’Allemagne, qui était chargée de sa mise en œuvre (arrêt du 26 septembre 2014, DK Recycling und Roheisen/Commission, T‑630/13, non publié, EU:T:2014:833, point 31).

59      L’arrêt du 26 septembre 2014, DK Recycling und Roheisen/Commission (T‑630/13, non publié, EU:T:2014:833), ne peut pas être transposé en l’espèce, car l’acte attaqué ne concerne, ni l’inscription des installations de la requérante sur la liste susvisée des installations pouvant bénéficier de quotas alloués à titre gratuit au titre de la troisième période d’échange, ni le droit à l’allocation des quotas litigieux. En outre, pour les raisons exposées au point 54, il ne peut être considéré que ledit acte ne laissait aucun pouvoir d’appréciation à son destinataire, contrairement à la décision attaquée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 septembre 2014, DK Recycling und Roheisen/Commission (T‑630/13, non publié, EU:T:2014:833, point 31).

60      Il résulte de ce qui précède que l’acte attaqué n’affecte pas de manière directe la requérante.

61      Il y a donc lieu d’accueillir la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la requérante.

62      Il convient par conséquent de rejeter le recours comme étant irrecevable, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres fins de non-recevoir soulevées par la Commission.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Aurubis AG est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Fait à Luxembourg, le 3 novembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Gervasoni



*      Langue de procédure : l’allemand.