Language of document : ECLI:EU:T:1999:47

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

11 mars 1999 (1)

«Traité CECA — Concurrence — Accords entre entreprises, décisions d'associations d'entreprises et pratiques concertées — Fixation des prix — Répartition des marchés — Systèmes d'échange d'informations»

Dans l'affaire T-138/94,

COCKERILL-SAMBRE SA, société de droit belge, établie à Bruxelles, représentée par Me Alexandre Vandencasteele, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Ernest Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. Julian Currall, membre du service juridique, et Géraud Sajust de Bergues, fonctionnaire national détaché auprès de la Commission, puis par MM. Jean-Louis Dewost, directeur général du service juridique, Julian Currall, et Guy Charrier, fonctionnaire national détaché auprès de la Commission, en qualité d'agents, assistés de Me Jean-Yves Art, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet principal une demande d'annulation de la décision 94/215/CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. C. W. Bellamy, faisant fonction de président, A. Potocki et J. Pirrung, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale des 23, 24, 25, 26 et 27 mars 1998,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du recours

A — Observations liminaires

1.
    Le présent recours tend à l'annulation de la décision 94/215/CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1, ci-après «Décision»), par laquelle elle a constaté la participation de 17 entreprises sidérurgiques européennes et d'une de leurs associations professionnelles à une série d'accords, de décisions et de pratiques concertées de fixation des prix, de répartition des marchés et d'échange d'informations confidentielles sur le marché communautaire des poutrelles, en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA, et a infligé des amendes à quatorze entreprises de ce secteur pour des infractions commises entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1990.

2.
    D'après la Décision (point 13), Cockerill-Sambre SA (ci-après «Cockerill-Sambre») est le principal producteur belge d'acier. Au cours de la période visée par la Décision, la SA Steelinter (ci-après «Steelinter») était le principal distributeur de Cockerill-Sambre qui détenait, directement ou indirectement, la totalité de son capital. Steelinter a été absorbée par Cockerill-Sambre le 30 décembre 1989 (requête, point 6). En 1990, le chiffre d'affaires du groupe Cockerill-Sambre s'est

élevé à 203 milliards de BFR. En 1989, dernière année pour laquelle Cockerill-Sambre a produit des poutrelles, celles-ci ont représenté un montant de 5,74 milliards de BFR, soit 132 millions d'écus, dans son chiffre d'affaires communautaire.

3.
    Dix autres destinataires de la Décision ont également introduit un recours devant le Tribunal, à savoir NMH Stahlwerke GmbH (ci-après «NMH», affaire T-134/94), Eurofer ASBL (ci-après «Eurofer», affaire T-136/94), ARBED SA (ci-après «ARBED», affaire T-137/94), Thyssen Stahl AG (ci-après «Thyssen», affaire T-141/94), Unimétal — Société française des aciers longs SA (ci-après «Unimétal», affaire T-145/94), Krupp Hoesch Stahl AG (ci-après «Krupp Hoesch», affaire T-147/94), Preussag Stahl AG (ci-après «Preussag», affaire T-148/94), British Steel plc (ci-après «British Steel», affaire T-151/94), Siderúrgica Aristrain Madrid SL (ci-après «Aristrain», affaire T-156/94) et Empresa Nacional Siderúrgica SA (ci-après «Ensidesa», affaire T-157/94).

4.
    Les onze affaires ayant été jointes aux fins de l'instruction et de la procédure orale par ordonnance du Tribunal du 10 décembre 1997, il sera fait référence, dans le présent arrêt, à un certain nombre de documents produits dans les affaires parallèles. De même, les requérantes dans ces affaires ayant soulevé certains arguments dans le cadre d'une plaidoirie commune à l'audience, il sera fait référence aux «requérantes».

B — Relations entre l'industrie sidérurgique et la Commission entre 1970 et 1990

Crise des années 70 et création d'Eurofer

5.
    A partir de 1974, une chute de la demande engendrant des problèmes d'offre excédentaire et de surcapacités, ainsi qu'un faible niveau des prix, a durement frappé la sidérurgie européenne.

6.
    Le 1er janvier 1977, la Commission a adopté, en vertu de l'article 46 du traité CECA, le «plan Simonet», dans le cadre duquel chaque entreprise devait prendre des engagements volontaires unilatéraux d'adapter ses fournitures aux niveaux proposés dans les programmes prévisionnels qui sont publiés chaque trimestre, conformément à l'article 46, troisième alinéa, sous 2), du traité. Ce système n'ayant pas permis de stabiliser le marché, il a été remplacé en 1978 par le «plan Davignon», qui ajoutait, notamment, aux engagements volontaires unilatéraux la fixation de prix d'orientation et de prix minimaux (accord dit «Eurofer I»).

7.
    Les engagements volontaires unilatéraux des entreprises envers la Commission étaient préalablement discutés entre elles au sein de l'association professionnelle Eurofer, dont la Commission avait encouragé la création en 1977. En réalité, la Commission s'est très largement appuyée sur Eurofer pour gérer la crise de la sidérurgie, au point qu'une lettre du membre de la Commission M. Davignon au

président d'Eurofer du 13 juillet 1978 se réfère à «la gestion en commun de l'anticrise pour laquelle Commission et producteurs ont opté» (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 2).

Régime des quotas instauré de 1980 à 1988

8.
    La situation du marché sidérurgique ayant continué à se détériorer, la Commission a adopté la décision n° 2794/80/CECA, du 31 octobre 1980, instaurant un régime de quotas de production d'acier pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 291, p. 1, ci-après «décision n° 2794/80»). Par cette décision, la Commission constatait un état de crise manifeste au sens de l'article 58 du traité CECA et imposait des quotas de production obligatoires pour la plupart des produits sidérurgiques, y compris les poutrelles.

9.
    Ce régime de crise peut être décrit de la manière suivante. La Commission fixait un objectif trimestriel de production communautaire pour les différentes catégories de produits, puis attribuait à chaque entreprise un quota de production ainsi qu'un quota de livraison au niveau communautaire (quotas «I»). En outre, il était convenu que chaque entreprise se voyait attribuer un quota de livraison pour chacun des marchés nationaux (quotas «i»). C'est Eurofer qui était chargée de la répartition du quota «I» de chaque entreprise en quotas «i», dans le cadre des accords Eurofer II à Eurofer V. Le cas échéant, la Commission intervenait en cas de différend entre entreprises (voir l'arbitrage rendu par M. Davignon le 2 juin 1982 à l'égard des quotas «i» d'Italsider, appendice 3, document 11 à la requête T-151/94).

10.
    Il importe également de relever que les membres de la Commission MM. Davignon et Andriessen ont, par une lettre du 17 janvier 1983 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 6), adressé une mise en garde à Eurofer, qui se lit comme suit:

«La Commission apprécie la coopération que les entreprises et leurs associations ont apportée à la réussite des mesures anticrise, y compris en matière de politique des prix. Elle considère cette coopération comme un élément essentiel de sa politique sidérurgique et en souhaite la continuation.

Toutefois, elle attire l'attention des associations, et notamment d'Eurofer, sur le fait que celles-ci doivent exercer leurs activités en respectant strictement le cadre et les limites stipulés par l'article 48 du traité CECA.

La Commission tient à préciser qu'elle ne pourra pas accepter que les entreprises sidérurgiques ou leurs associations anticipent ou détournent les décisions que la Commission prendra dans l'élaboration de la politique de prix, ni que les mesures prises par elle et les recommandations qu'elle formule dans le cadre de sa politique anticrise soient utilisées comme prétexte à conclure des ententes ou à adopter des décisions contraires au traité. De telles ententes ou décisions tomberaient sous le

coup de l'article 65, seraient nulles de plein droit et devraient être poursuivies par la Commission.

[...]»

11.
    Le président d'Eurofer a, par une lettre du 8 février 1983, répondu à MM. Davignon et Andriessen en ces termes (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 7):

«Nous voudrions [...] vous rappeler que, dans le domaine quantitatif, les accords de restriction de production et de livraisons ont été conclus à la demande pressante de la Commission européenne et du Conseil. Votre Commission est tenue informée de tous les détails de leur fonctionnement, et nous sommes bien décidés à continuer d'agir de la sorte.

Dans le domaine des prix, la Commission et le Conseil n'ont cessé d'insister sur la nécessité d'un relèvement destiné à permettre aux entreprises sidérurgiques d'obtenir des recettes suffisantes [...]

Votre Commission est informée scrupuleusement de tous les efforts réalisés en vue d'aboutir à l'objectif qu'elle s'est fixé, et nous sommes décidés à continuer dans cette voie dans l'avenir.

Dans ces conditions, nous comptons que, si notre activité devait un jour risquer de dépasser l'interprétation que la Commission donne aux dispositions du traité de Paris, vous nous en ferez immédiatement part.»

12.
    L'état de crise manifeste s'étant durablement installé, les mesures de quotas adoptées par la Commission ont été prorogées et complétées à diverses reprises, notamment par l'adoption d'un système de prix minimaux pour les poutrelles et d'autres produits, entre 1984 et 1986 (décision n° 3715/83/CECA de la Commission, du 23 décembre 1983, fixant des prix minimaux pour certains produits sidérurgiques, JO L 373, p. 1). La Commission a en outre adopté la décision n° 3483/82/CECA, du 17 décembre 1982, relative à l'obligation pour les entreprises de la Communauté de déclarer leurs livraisons de certains produits sidérurgiques (JO L 370, p. 1, ci-après «décision n° 3483/82»), instaurant un «système de surveillance», dans le cadre duquel chaque entreprise était tenue de lui déclarer ses fournitures par pays.

13.
    Au début de l'année 1984, la Commission a renforcé le système des quotas en adoptant la décision n° 234/84/CECA, du 31 janvier 1984, prorogeant le régime de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 29, p. 1, ci-après «décision n° 234/84»). Le neuvième considérant de cette décision se réfère à une déclaration du Conseil du 22 décembre 1983, selon laquelle «la stabilité des flux traditionnels des produits

sidérurgiques dans la Communauté est un élément essentiel qui doit être préservé pour que la restructuration du secteur sidérurgique s'effectue dans un contexte concurrentiel compatible avec la solidarité imposée par le système des quotas de production». En conséquence, l'article 15 B de ladite décision prévoit, au cas où un État membre déposerait une plainte à ce sujet, que la Commission, après avoir vérifié le bien-fondé de cette plainte, obtienne des entreprises qui auraient été à l'origine des perturbations constatées qu'elles prennent l'engagement écrit de compenser, au cours du trimestre suivant, le déséquilibre dans leurs livraisons traditionnelles. Au cas où une entreprise ne voudrait pas se soumettre à ce principe de solidarité, la Commission pourra réduire la partie de ses quotas pouvant être livrée sur le marché commun.

14.
    La politique de stabilité des flux traditionnels et les efforts en vue de maintenir les prix à un niveau acceptable ont fait l'objet de plusieurs échanges entre la Commission et Eurofer, et notamment:

—    une note d'Eurofer du 2 juillet 1984, relatant les explications fournies lors d'une rencontre entre des représentants de la Commission et de l'industrie, qui s'est tenue à Bruxelles le 27 juin 1984 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 8), qui précise, à propos de la mise en oeuvre de l'article 15 B de la décision n° 234/84:

    «La Commission a établi le système de l'article 15 B en réponse à la préoccupation des gouvernements nationaux. Il ne peut en aucune façon remplacer le système du petit 'i‘ de l'accord Eurofer IV. Au contraire, la Commission a besoin d'Eurofer pour les estimations de marché et pour le règlement de tous les détails. Sans Eurofer, la Commission serait en extrême difficulté [...] Généralement parlant, la Commission s'intéresse seulement à l'analyse générale de la situation, sans entrer dans les détails secondaires [...] Pour l'avenir, la Commission est disposée à envisager un système à base de quotas, mais elle aurait alors besoin du soutien total d'Eurofer»;

—    le compte rendu d'une réunion Commission-Eurofer du 16 décembre 1985, en présence du membre de la Commission M. Narjes (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 10), qui indique, à propos des flux traditionnels:

    «La Commission a exprimé sa profonde préoccupation concernant les développements récents du marché. Elle a regretté qu'Eurofer V n'ait pas encore été conclu et elle a souligné la responsabilité des producteurs en ce qui concerne les prix [...] La Commission a exhorté les participants à réexaminer les modes de coopération entre eux, vu qu'elle considère qu'Eurofer a joué un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de l'article 58. Elle a l'intention de définir les critères d'application de l'article 15 B

aussitôt que possible, afin de faire face à la situation au cas où Eurofer échouerait, ou de faciliter un arrangement privé»;

—    le compte rendu d'une réunion entre M. Narjes et Eurofer du 10 mars 1986 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 13), qui indique, à propos du marché espagnol:

    «Narjes a rappelé la décision de la Commission concernant la limitation des livraisons à l'Espagne [...] En ce qui concerne le partage du fardeau, il était favorable à un accord interne entre les producteurs d'Eurofer»;

—    le compte rendu d'une réunion entre M. Narjes et les délégués d'Eurofer du 16 mai 1986 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 14), qui indique:

    «La Commission a insisté sur la nécessité d'harmoniser rapidement les prix publiés dans la Communauté au même niveau et d'éviter les différences entre les prix publiés et les prix du marché. Les rabais sectoriels devraient correspondre à la réalité. Confirmation a été donnée de ce que l'industrie sidérurgique française était prête à augmenter les prix, mais aussi de la nécessité du soutien des pénétrants à cet égard. Eurofer a exprimé l'espoir que l'accord Eurofer V constitue la base adéquate d'un rétablissement général des prix.»

15.
    A la même époque, la Commission a conclu une série d'accords internationaux avec le royaume de Suède, le royaume de Norvège et la république de Finlande, destinés à assurer la stabilité des flux traditionnels des échanges entre ces pays et la Communauté (système dit des «arrangements»): voir les lettres de la Commission, déposées à l'audience par les parties, aux autorités suédoises des 4 mars 1986, 13 février 1987 et 21 janvier 1988, aux autorités norvégiennes des 4 mars 1986, 11 mars 1987 et 10 février 1988, et aux autorités finlandaises des 4 mars 1986, 10 avril 1987 et 12 février 1988, échangées respectivement dans le cadre de l'accord du 22 juillet 1972 entre les États membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne du charbon et de l'acier, d'une part, et le royaume de Suède, d'autre part (JO 1973, L 350, p. 76), de l'accord du 14 mai 1973 entre les États membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne du charbon et de l'acier, d'une part, et le royaume de Norvège, d'autre part (JO 1974, L 348, p. 17), et de l'accord du 5 octobre 1973 entre les États membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne du charbon et de l'acier, d'une part, et la république de Finlande, d'autre part (JO 1974, L 348, p. 1).

16.
    Un arrangement semblable a été appliqué au royaume d'Espagne, pour une période transitoire de trois ans, par le protocole numéro 10 à l'acte d'adhésion. La

Commission a ainsi fixé, pour chacune des années 1986, 1987 et 1988, le niveau des livraisons de produits sidérurgiques d'origine espagnole sur les marchés communautaires, à l'exception du Portugal. L'application de ces mesures transitoires spécifiques a pris fin le 31 décembre 1988.

Événements précédant la fin du régime de crise manifeste, le 30 juin 1988

17.
    La Commission a commencé à préparer la sortie du régime de crise et le retour à des conditions normales de marché dès 1985. Un document rédigé par les services de la direction générale Marché intérieur et affaires industrielles de la Commission (DG III) dans le courant de l'année 1985 (document III/534/FR, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 5) rappelle: «Le système des quotas était largement basé sur le système volontaire qui avait été géré par Eurofer» et souligne: «[Il importe] qu'un accord sur le futur soit conclu avant la moitié de l'année à venir car, si cela n'est pas fait, il y aura une bataille pour les parts de marché pendant la seconde moitié de l'année, qui pourrait bien avoir des effets désastreux sur les prix et sur les bénéfices des entreprises.» Ce document conclut: «Eurofer doit dès lors être encouragée à accepter ses responsabilités et à formuler ses propositions quant à la façon dont l'industrie sidérurgique devrait émerger d'une période de protection pour entrer dans des conditions de libre marché.»

18.
    Dans sa communication au Conseil sur l'introduction d'un système de quotas sur la base de l'article 58 du traité CECA après le 31 décembre 1985 [COM(85) 509, requête dans l'affaire T-145/94, annexe 14], la Commission décrit en détail une période transitoire avant le retour au jeu normal de la concurrence. Estimant que le pire de la crise est pratiquement passé, elle conclut que:

«La restructuration de l'industrie sidérurgique communautaire n'est pas encore achevée. [...] Une période de transition est donc nécessaire. Limitée à un maximum de trois ans, elle permettra à l'industrie de passer progressivement des contrôles extrêmement rigides actuellement appliqués à un marché pleinement concurrentiel, en accord avec les objectifs du traité CECA. [...] Le système des quotas proposé à partir du 1er janvier 1986 [...] sera le dernier avant le retour à un marché concurrentiel. [...] La Commission n'entend pas inclure dans la prochaine décision les dispositions de l'article 15 B de la décision 234/84/CECA dans leur forme actuelle. [...] D'un autre côté, elle a l'intention de poursuivre, pendant la première phase de la période de transition, la surveillance statistique des flux de produits sidérurgiques entre les États membres, sur la base des certificats de production et des documents d'accompagnement. Ces documents permettront de contrôler si les flux traditionnels entre États membres font l'objet de perturbations sérieuses. Au cas où la surveillance statistique montrerait que les flux sont perturbés, la Commission examinerait immédiatement si les sociétés concernées ont lancé une offensive pour recruter de nouveaux clients en violation des règles du traité, et en particulier des règles sur les prix.»

19.
    Dans sa décision n° 3485/85/CECA, du 27 novembre 1985, prorogeant le système de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 340, p. 5), la Commission indique que, grâce à l'amélioration des conditions du marché:

«Il sera possible de démanteler progressivement le régime de quotas en deux ou trois ans au maximum. Lors de sa réunion du 25 juillet 1985, le Conseil a déjà signalé la nécessité de revenir de façon ordonnée à un marché de libre concurrence entre les entreprises de la Communauté.»

20.
    Le compte rendu de la réunion Commission/Eurofer du 16 mai 1986 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 14), rédigé par Eurofer, indique, sous la rubrique «mise en oeuvre de l'article 58 en 1987»: «En ce qui concerne l'avenir après 1987, les représentants de la Commission ont déclaré que pour leur part ils n'avaient pas encore d'opinion sur la question.» Le même compte rendu révèle que les responsables d'Eurofer, réunis après le départ des représentants de la Commission, envisageaient de leur côté diverses possibilités:

«Une discussion initiale a montré qu'un choix devait être fait entre trois possibilités:

—    liberté totale et, dans ce cas, comment coopérer de la meilleure manière;

—    prolongation de l'article 58 et, dans ce cas, comment procéder avec la Commission;

—    pas d'article 58, mais un arrangement privé.

    Dans ce cas, quelle espèce d'arrangement (production, livraisons) et quelle couverture (acier brut, certains produits, etc.).

Chaque membre a convenu que, de toute manière, l'objectif était de fixer un niveau de prix qui corresponde à la profitabilité pour un grand nombre de sociétés.

Différentes espèces d'opinions ont été exprimées, l'une, basée sur l'existence de surcapacités dans les quelques années à venir, a estimé que des arrangements sur les quantités étaient inévitables, une autre, basée sur l'expérience du passé, a mis en doute la capacité de toutes les sociétés à accepter les adaptations nécessaires à la conclusion d'un arrangement privé après une longue période de mesures artificielles.»

21.
    Dans sa décision n° 3746/86/CECA, du 5 décembre 1986, modifiant la décision n° 3485/85 (JO L 348, p. 1), la Commission a indiqué: «L'introduction de l'article 15 B s'était imposée au moment le plus aigu de la crise de l'industrie sidérurgique. Au stade actuel, le maintien de cette disposition ne se justifie plus. Il y a donc lieu de le supprimer.»

22.
    Dans sa communication au Conseil sur la politique sidérurgique, présentée le 18 septembre 1987 [COM(87) 388 final/2, JO 1987, C 272, p. 3], la Commission a notamment fait les déclarations suivantes:

«La Commission n'est prête à prolonger le régime de quotas, dont tout le monde convient qu'il doit être actualisé, que si celui-ci est accompagné d'incitations à la fermeture et d'engagements fermes de la part des entreprises et des gouvernements concernés.

[...]

Bien que des conditions de crise subsistent pour les produits plats et les profilés lourds, la Commission, consciente du frein que le système de quotas en lui-même peut créer en ce qui concerne la restructuration de l'industrie, ne mettra donc en oeuvre un tel système que dans la mesure où elle obtiendra par ailleurs des entreprises des engagements fermes concernant un niveau satisfaisant defermetures exécutées suivant un calendrier qui ne doit pas excéder trois ans.

[...]

En particulier:

[...]

—    elle mettra fin au système au cours de l'année 1988 si, avant le 1er août 1988, les entreprises n'ont pas fait un effort supplémentaire [...]»

23.
    Le 8 octobre 1987, la Commission a confié à un groupe de trois «sages», MM. Colombo, Friderichs et Mayoux, le mandat de rechercher si, dans trois catégories de produits, dont les poutrelles, les entreprises étaient prêtes à prendre des engagements pour une réduction suffisante et rapide des capacités de production jugées excédentaires.

24.
    Selon le «rapport des trois sages» (JO C 9, du 14 janvier 1988, p. 6):

«Il est évident que, protégées depuis sept ans par un système de quotas, et habituées à le voir prolongé, les entreprises ne sont pas prêtes à prendre des engagements de fermeture suffisants pour justifier une prolongation de ce système [...]

Pourtant, face à la situation économique internationale, on peut prévoir que la situation actuelle de prix relativement élevés ne durera pas longtemps et il est certain que les surcapacités vont peser à nouveau sur le marché, obligeant les sidérurgistes à se restructurer et à fermer des installations.

La Commission doit donc agir avec fermeté et en même temps avec un grand sens de ses responsabilités.

L'actuel système de quotas ne peut pas être retenu sans que des engagements fermes pour la réduction des capacités soient pris par les entreprises. En revanche, si on s'abandonne brusquement aux forces du marché, la détérioration des prix qui va sans doute en résulter pourrait peser sur toutes les entreprises et ainsi rendre plus difficile la restructuration envisagée.»

25.
    Le rapport conclut:

«En terminant notre travail, nous tenons à souligner encore une fois la gravité de la crise sidérurgique, beaucoup plus importante que la majorité des industriels ne l'admet.

Cette crise appelle une attitude résolue et sans équivoque des autorités communautaires pour mettre l'industrie devant ses responsabilités.

Il est en effet urgent que les entreprises sidérurgiques se restructurent pour faire face à la concurrence mondiale et deviennent pleinement compétitives, dans un marché qui sera de plus en plus ouvert.»

26.
    C'est également dans le courant de l'année 1987 que la Commission a abandonné sa doctrine en matière de maintien des «flux traditionnels». Dans l'annexe I à sa communication au Conseil du 18 septembre 1987, précitée, elle a ainsi exprimé l'avis que «la préservation des flux commerciaux traditionnels de produits sidérurgiques entre les États membres manque de consistance vis-à-vis de l'objectif de la Communauté de créer un marché intérieur ouvert en 1992».

27.
    La nouvelle politique sidérurgique de la Communauté a été exposée dans la communication de la Commission sur la politique sidérurgique, présentée au Conseil le 16 juin 1988 [COM(88) 343 final, JO 1988, C 194, p. 23). Envisageant les mesures à prendre, elle a indiqué:

«Il est à noter que le traité de Paris se base, comme situation normale, sur un concept de libre concurrence dans le marché et ne charge la Commission, dans son article 5, d'intervenir d'une façon directe dans la production que si les circonstances l'exigent [...] Le traité stipule également que la concurrence doit se dérouler dans des conditions normales.

En outre, il est à prendre en considération que la finalisation du marché intérieur en 1992 est un objectif primordial pour le marché sidérurgique également. La préparation à l'échéance de 1992 exigera un changement radical de stratégie des entrepreneurs encore trop souvent empreinte de réflexions en termes de marchés nationaux.»

28.
    La Commission a conclu:

«Le marché sidérurgique s'est amélioré à tel point que le système de quotas ne se justifie plus. Ce système s'est également avéré inadéquat pour inciter les entreprises à parachever la restructuration [...] la Commission est d'avis que l'adaptation structurelle doit continuer selon les règles normales du marché.»

29.
    Lors de sa 1255e session du 24 juin 1988, le Conseil a pris acte de ce que la Commission entendait mettre fin au régime des quotas pour l'ensemble des produits sidérurgiques au 30 juin 1988. Se référant aux mesures d'accompagnement et de surveillance du marché envisagées par la Commission (statistiques mensuelles relatives à la production et aux livraisons, programmes prévisionnels, consultation des intéressés), le Conseil a souligné que «personne ne doit utiliser le système de surveillance pour contourner l'article 65 du traité CECA» (voir extrait du projet de procès-verbal de la 1255e session du Conseil, annexe 3 au mémoire en défense dans l'affaire T-151/94).

30.
    Le 4 mai 1988, la Commission a par ailleurs publié un communiqué de presse [IP(88) 261, voir requête dans l'affaire T-151/94, appendice 5, document 4] relatif à l'inspection qu'elle venait d'effectuer dans le cadre de l'affaire de l'acier inoxydable (voir point 36 ci-après). On y lit notamment:

«C'est la première inspection en matière de cartels dans le secteur de l'acier menée par la Commission depuis treize ans. Alors que le système officiel des quotas de la Commission a déjà été supprimé pour certains produits, et que des propositions ont été faites pour mettre fin au système des quotas le 30 juin 1988, il est clair que la Commission ne peut tolérer aucune substitution du système communautaire par des arrangements non officiels et illégaux conclus par l'industrie elle-même.»

31.
    Le régime de crise a pris fin officiellement, dans le cas des poutrelles, le 30 juin 1988. L'accord Eurofer V a pris fin au même moment. Le système de surveillance des livraisons entre États membres instauré par la décision n° 3483/82 a toutefois été maintenu en place jusqu'en novembre 1988.

Régime de surveillance mis en place à partir du 1er juillet 1988

32.
    Bien que le régime de crise manifeste ait pris fin le 30 juin 1988, il ressort d'une note interne de la DG III du 24 octobre 1988, produite par la partie défenderesse en exécution de l'ordonnance du Tribunal du 10 décembre 1997, que le Conseil et la Commission s'étaient mis d'accord sur la nécessité de faciliter l'adaptation des entreprises à d'éventuels changements de la demande. A cet effet, il avait été entendu que la Commission continuerait à surveiller le marché à travers trois mesures:

—    la collecte de statistiques mensuelles sur la production et sur les livraisons de certains produits;

—    le suivi de l'évolution des marchés de ces produits, dans le cadre des programmes prévisionnels trimestriels;

—    une consultation régulière des entreprises sur la situation et les tendances du marché.

33.
    La Commission a notamment mis en oeuvre cette politique par sa décision n° 2448/88/CECA, du 19 juillet 1988, instaurant un régime de surveillance pour certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 212, p. 1, ci-après «décision n° 2448/88»), dans le cadre duquel chaque entreprise était tenue de lui déclarer ses livraisons. Ce système a expiré le 30 juin 1990, pour être remplacé par un régime d'information individuel et volontaire.

34.
    Les entreprises ont ainsi continué à entretenir des contacts réguliers et étroits avec la DG III, à l'occasion desquels les paramètres du marché (production, livraison, stocks, prix, exportations, importations...) étaient discutés. Ces contacts ont été établis dans les enceintes suivantes:

a)    les réunions trimestrielles officielles qui rassemblent des représentants des producteurs, des utilisateurs et des négociants et ceux de la Commission, au cours desquelles sont discutés, conformément à l'article 46 du traité, les programmes prévisionnels («forward programmes»). De telles réunions ont notamment eu lieu les 4 mai 1988, 1er septembre 1988, 3 novembre 1988, 1er février 1989, 28 avril 1989, 1er septembre 1989, 7 novembre 1989, 7 février 1990, 3 mai 1990, 4 septembre 1990 et 5 novembre 1990;

b)    les «réunions de consultation» («consultation meetings»), limitées à un petit nombre de représentants de l'industrie, membres ou non d'Eurofer, et de la Commission, qui ont eu lieu notamment les 27 octobre 1988, 26 janvier 1989, 28 avril 1989, 27 juillet 1989, 26 octobre 1989, 25 janvier 1990 et 27 juillet 1990;

c)    les «réunions restreintes» («restricted meetings»), limitées à un nombre très restreint de représentants de l'industrie, membres ou non d'Eurofer, et de la Commission, des 8 décembre 1988, 21 mars 1989, 15 juin 1989 et 13 décembre 1989;

d)    les «déjeuners de l'acier» («steel lunches»), qui réunissaient dans un cadre informel des représentants d'Eurofer et de la Commission, à l'occasion des réunions de consultation ou des réunions restreintes.

35.
    Le but principal de ces diverses réunions était de fournir à la Commission les informations en provenance de l'industrie nécessaires à l'application de l'article 46 du traité et du régime de surveillance instauré par la décision 2448/88. Elles rassemblaient des fonctionnaires de la DG III (notamment MM. Ortún, Kutscher,

Evans, Drees, Aarts et Vanderseypen), le président du CDE, les présidents des commissions de produits d'Eurofer, certains représentants d'autres associations sidérurgiques et certains membres du personnel d'Eurofer. Les représentants de l'industrie fournissaient à la Commission des informations générales sur la situation économique de chaque produit. Les données, générales et par produits, échangées à ces occasions, concernaient la consommation réelle, la consommation apparente, les prix, les commandes, les livraisons, les importations, les exportations et l'état des stocks. Un résumé des réunions de consultation, mieux connu sous le nom de «speaking notes», était remis par Eurofer à la DG III en général quelques jours après la réunion concernée.

Décision «acier inoxydable» du 18 juillet 1990

36.
    Le 18 juillet 1990, la Commission a adopté la décision 90/417/CECA, relative à une procédure au titre de l'article 65 du traité CECA concernant l'accord et les pratiques concertées des producteurs européens de produits plats en acier inoxydable laminés à froid (JO L 220, p. 28, ci-après «décision acier inoxydable»), par laquelle elle a infligé des amendes d'un montant allant de 25 000 à 100 000 écus à certaines entreprises sidérurgiques, parmi lesquelles British Steel, Thyssen Edelstahlwerke AG, société soeur de Thyssen, et Ugine aciers de Châtillon et Gueugnon, filiale d'Unimétal, pour avoir enfreint l'article 65, paragraphe 1, du traité en concluant un accord de quotas et de prix daté du 15 avril 1986.

Réflexions menées par la Commission, à partir de 1990, sur l'avenir du traité CECA

37.
    La Commission a entamé une réflexion sur l'avenir du traité CECA dans le courant de l'année 1990, comme en témoigne un projet de communication de M. Bangemann, membre de la Commission en charge de la politique industrielle, aux membres de la Commission sur cette question, daté du 23 octobre 1990 (annexe 10 à la requête dans l'affaire T-156/94). Dans ce document, la Commission a privilégié l'option de l'expiration à son terme, en 2002, du traité CECA, «tout en utilisant les flexibilités que celui-ci offre pour adapter, dans la mesure du possible, son application à la situation des deux secteurs, et en organisant progressivement leur reprise ('phasing in‘) par le traité CEE en 2002» [voir aussi la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 15 mars 1991, sur l'avenir du traité CECA, SEC (91)407 final, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 1].

38.
    Dans sa communication de septembre 1991 sur la politique de la concurrence CECA (IV/832/91) (réplique dans l'affaire T-151/94, annexe 5), la Commission a proposé «de faire en sorte que les pratiques de concurrence CECA et CEE soient alignées dans toute la mesure du possible à l'avenir». De même, dans sonVingtième Rapport sur la politique de concurrence, publié en 1991, la Commission a notamment fait observer (point 122): «Le moment est venu d'aligner, dans toute la mesure du possible, les règles de concurrence CECA sur celles du traité de Rome.»

C — Procédure administrative devant la Commission

39.
    Les 16, 17 et 18 janvier 1991, la Commission a, sur la base de décisions individuelles adoptées au titre de l'article 47 du traité, effectué des vérifications dans les bureaux de sept entreprises, dont la requérante, et de deux associations d'entreprises. D'autres vérifications ont été effectuées les 5, 7 et 25 mars 1991. Des informations complémentaires ont été fournies par certaines des entreprises et associations d'entreprises en cause à la suite de demandes formulées par la Commission au titre de l'article 47 du traité.

40.
    La Commission a adressé une communication des griefs aux entreprises et associations concernées, parmi lesquelles la requérante, le 6 mai 1992. La requérante y a répondu par écrit le 3 août 1992.

41.
    Les parties ont également eu la possibilité de présenter leur point de vue lors d'une audition qui s'est tenue à Bruxelles du 11 au 14 janvier 1993, et dont le compte rendu leur a été envoyé les 8 juillet et 8 septembre 1993. A cette occasion, le conseiller-auditeur, eu égard aux nombreuses allusions des parties présentes à certains contacts qu'aurait entretenus la DG III avec les producteurs de poutrelles pendant la période couverte par la communication des griefs, les a invitées à lui communiquer tous les éléments de preuve en leur possession à ce sujet. D'après la défenderesse, la requérante a répondu à cette invitation.

42.
    Par lettre du 22 avril 1993, le conseiller-auditeur a signalé aux parties concernées son intention de ne pas procéder à une seconde audition.

43.
    Le 15 février 1994, soit la veille de l'adoption de la Décision, les négociations alors en cours entre la Commission et les représentants de l'industrie sidérurgique, visant à la restructuration de cette industrie par la voie de réductions volontaires de capacités de production, ont été rompues sur un constat d'échec.

44.
    Selon le procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission (matin et après-midi), produit par la partie défenderesse à la demande du Tribunal, la Décision a été définitivement adoptée lors de la séance de l'après-midi du 16 février 1994.

45.
    A midi, le 16 février 1994, M. Van Miert, membre de la Commission en charge des affaires de concurrence, a donné une conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé que la Commission venait d'adopter la Décision et a indiqué le montant des amendes infligées aux requérantes British Steel, Preussag et ARBED. Ces montants ne correspondent pas à ceux indiqués dans la Décision. Il a également détaillé certains critères retenus pour la fixation des amendes et a répondu aux questions des journalistes. Il a notamment nié toute connexité entre l'adoption de la Décision et l'échec, la veille, des négociations sur les réductions volontaires des capacités de production.

46.
    Le 24 février 1994, lors d'un débat au Parlement européen, certains parlementaires se sont interrogés sur les motifs qui avaient poussé la Commission à adopter la Décision le lendemain de l'échec des négociations sur la restructuration de l'industrie. M. Van Miert a défendu la position de la Commission en soulignant qu'il s'agissait là de deux dossiers distincts.

D — Décision

47.
    La Décision, qui est parvenue à la requérante sous couvert d'une lettre de M. Van Miert datée du 28 février 1994 (ci-après «Lettre»), comporte le dispositif suivant:

«Article premier

Les entreprises suivantes ont pris part, dans la mesure décrite dans la présente décision, aux pratiques anticoncurrentielles indiquées sous leur nom, qui empêchaient, restreignaient et faussaient le jeu normal de la concurrence dans le marché commun. Lorsque des amendes sont infligées, la durée de l'infraction est indiquée en mois, sauf dans le cas de l'harmonisation des suppléments, où la participation à l'infraction est indiquée par 'X‘.

[...]

Cockerill-Sambre

a)    Échange d'informations confidentielles par l'intermédiaire de la commission poutrelles                            (18)

b)    Fixation des prix à la commission poutrelles        (18)

c)    Fixation des prix sur le marché danois                (12)

d)    Répartition des marchés, «système Traverso»         (3)

e)    Répartition des marchés, France                     (3)

f)    Répartition des marchés, Italie                 (3)

g)    Harmonisation des suppléments                     (x)

h)    Fixation des prix sur le marché français

i)    Fixation des prix sur le marché italien

Article 2

Eurofer a enfreint l'article 65 du traité CECA en organisant un échange d'informations confidentielles en relation avec les infractions commises par ses membres et qui sont énumérées à l'article 1er.

Article 3

Les entreprises et associations d'entreprises visées à l'article 1er et à l'article 2 mettent immédiatement fin aux infractions visées auxdits articles si elles ne l'ont déjà fait. A cette fin, les entreprises et associations d'entreprises s'abstiennent de répéter ou de continuer les actes ou le comportement spécifiés à l'article 1er ou à l'article 2 et s'abstiennent d'adopter toute mesure d'effet équivalent.

Article 4

Pour les infractions décrites à l'article 1er commises après le 30 juin 1988 (après le 31 décembre 1989(2) dans le cas d'Aristrain et d'Ensidesa), les amendes suivantes sont infligées:

[...]

Cockerill-Sambre SA        4 000 000 écus

[...]

Article 5

Les amendes infligées conformément à l'article 4 sont payables dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision [...]

Les montants de ces amendes portent intérêt de plein droit à compter de l'expiration du délai précité, au taux appliqué par le Fonds européen de coopération monétaire à ses opérations en écus le premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision a été adoptée, majoré de 3,5 points de pourcentage, soit 9,75 %.

Toutefois, les amendes supérieures à 20 000 écus peuvent être payées sous forme de cinq tranches annuelles d'un montant égal,

—    la première devant être versée dans les trois mois suivant la date de notification de la présente décision,

—    la deuxième, la troisième, la quatrième et la cinquième devant être versées respectivement un an, deux ans, trois ans et quatre ans après la date de notification de la présente décision. Chaque tranche est augmentée de l'intérêt, calculé sur le montant total restant dû, en appliquant le taux utilisé par le Fonds européen de coopération monétaire à ses opérations en écus le mois qui précède l'échéance de chaque paiement annuel. Cette facilité est subordonnée à la constitution à la date visée au premier tiret d'une garantie bancaire acceptable pour la Commission couvrant le montant principal et les intérêts.

    En cas de retard de paiement, ce taux est majoré de 3,5 points de pourcentage.

[...]

Article 6

Sont destinataires de la présente décision:

[...]

— Cockerill-Sambre SA

[...]»

48.
    Après un rappel de l'article 5 de la Décision, la Lettre dispose:

«Si vous introduisez un recours devant les juridictions communautaires, la Commission ne procède à aucune mesure de recouvrement tant que l'affaire est pendante devant lesdites juridictions à la double condition:

—    que vous acceptiez que votre dette, entre le moment de son exigibilité et celui du paiement devant intervenir dans le mois suivant le prononcé de l'arrêt définitif, produise intérêts aux taux suivants:

    —    au cas où vous aurez choisi de payer en une seule fois, au taux de 7,75 %,

    —    au cas où vous aurez choisi de payer en tranches annuelles, pour la première tranche au taux de 7,75 % et pour les tranches successives au taux visé à l'article 5 pour chacune d'elles, majoré d'un point et demi.

—    et que vous fournissiez à la Commission, au plus tard à la date d'expiration du délai visé à l'article 5, premier tiret, de la décision, une garantie acceptable pour la Commission couvrant la dette tant en principal qu'en intérêts [...]»

Procédure devant le Tribunal, développements postérieurs à l'introduction du recours et conclusions des parties

49.
    Le présent recours a été introduit par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er avril 1994.

50.
    Par lettre du 7 septembre 1994 adressée au greffe, Aristrain, requérante dans l'affaire T-156/94, a posé la question de savoir si la Commission avait, en l'espèce, respecté les obligations que lui impose l'article 23 du statut (CECA) de la Cour (ci-après «article 23»), relatif à la transmission des pièces. Invitée à présenter ses observations sur cette demande, la Commission a répondu en substance, par lettre du 12 octobre 1994, qu'elle estimait avoir satisfait aux exigences dudit article 23.

51.
    Le greffe du Tribunal a, par lettre du 25 octobre 1994, demandé à la Commission de bien vouloir satisfaire aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 23. La Commission a déposé au greffe un ensemble d'environ 11 000 pièces relatives à la Décision, sous couvert d'une lettre du 24 novembre 1994, dans laquelle elle a notamment fait valoir que les pièces contenant des secrets d'affaires, ainsi que ses propres documents internes, ne devraient pas être rendus accessibles aux entreprises concernées.

52.
    A la suite d'une réunion informelle avec les parties qui s'est tenue le 14 mars 1995, le Tribunal (troisième chambre élargie) a, par lettre du greffe du 30 mars 1995, invité lesdites parties à prendre position par écrit sur les problèmes de confidentialité ainsi soulevés, ainsi que sur une éventuelle jonction des affaires. Eu égard aux réponses incomplètes des parties, le Tribunal leur a adressé une seconde série de questions, par lettre du greffe du 21 (25 dans le cas de British Steel) juillet 1995. Le Tribunal a, en outre, invité la partie défenderesse à prendre position sur une nouvelle demande de British Steel, datée du 14 juillet 1995.

53.
    Dans leurs réponses aux questions du Tribunal, reçues entre le 6 et le 15 septembre 1995, les parties requérantes ont, notamment, précisé leurs demandes d'accès aux documents internes de la Commission, à la lumière d'une liste de ces documents annexée à une lettre qu'elle a adressée au Tribunal le 25 juin 1995.

54.
    Par ordonnance du 19 juin 1996, NMH Stahlwerke e.a./Commission (T-134/94, T-136/94, T-137/94, T-138/94, T-141/94, T-145/94, T-147/94, T-148/94, T-151/94, T-156/94 et T-157/94, Rec. p. II-537, ci-après «ordonnance du 19 juin 1996»), le Tribunal (deuxième chambre élargie, à laquelle le juge rapporteur avait été entre-temps affecté) a statué sur le droit d'accès des requérantes aux pièces du dossiertransmis par la partie défenderesse émanant, d'une part, des requérantes elles-mêmes, et, d'autre part, de parties tierces aux présentes procédures, classées par la Commission comme confidentielles dans l'intérêt de ces parties. En revanche, le Tribunal a réservé sa décision sur les demandes d'accès des parties requérantes aux pièces de ce dossier classées par la partie défenderesse comme documents internes, ainsi que sur leurs demandes visant à la production de documents qui ne figurent pas dans ledit dossier, tout en invitant la partie défenderesse à spécifier de manière circonstanciée et concrète les raisons pour lesquelles elle considérait que certains documents qualifiés par elle d'«internes», parmi les pièces qui composent ce dossier, ne pouvaient, selon elle, être communiqués aux parties requérantes.

55.
    La partie défenderesse a déféré à cette invitation du Tribunal par lettres datées des 11, 12 et 13 septembre 1996. Dans ces mêmes lettres, elle a suggéré le renvoi de chacune des affaires à la formation plénière du Tribunal, en application de l'article 14 du règlement de procédure du Tribunal. Invitées à présenter leurs observations sur cette dernière demande, les requérantes ont répondu par lettres adressées au Tribunal entre le 4 et le 18 octobre 1996. La requérante et les requérantes dans les affaires T-134/94, T-137/94, T-141/94, T-148/94, T-151/94 et T-157/94 se sont opposées à un tel renvoi.

56.
    Par ordonnance du 10 décembre 1997, NMH Stahlwerke e.a./Commission (T-134/94, T-136/94, T-137/94, T-138/94, T-141/94, T-145/94, T-147/94, T-148/94, T-151/94, T-156/94 et T-157/94, Rec. p. II-2293, ci-après «ordonnance du 10 décembre 1997»), le Tribunal (deuxième chambre élargie) a statué sur les demandes d'accès des requérantes aux documents qualifiés par la Commission d'«internes», en ordonnant que certaines pièces transmises au Tribunal au titre de l'article 23, relatives aux contacts établis entre la DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction retenue dans la Décision aux fins de la fixation du montant des amendes, ainsi que certaines pièces émanant de la direction générale Relations extérieures (DG I) relatives aux contacts établis entre la Commission et certaines autorités nationales scandinaves, soient versées au dossier de l'affaire. Le Tribunal a également adopté certaines mesures d'instruction, en ordonnant à la Commission de produire ses propres comptes rendus ou notes relatifs aux réunions qui ont eu lieu entre la DG III et les représentants de l'industrie sidérurgique entre juillet 1988 et novembre 1990. Enfin, le Tribunal a ordonné la jonction des affaires aux fins de l'instruction et de la procédure orale, sans les renvoyer devant la formation plénière.

57.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale et de poser certaines questions écrites aux parties, au titre de l'article 64 du règlement de procédure. Il a, notamment, par lettre du greffe du 26 novembre 1997, prié la partie défenderesse de produire le texte du procès-verbal définitif de la réunion de la Commission du 16 février 1994 (matin et après-midi), pour autant qu'il concerne l'adoption de la Décision attaquée. Par cette même lettre, le

Tribunal a également demandé à la Commission d'indiquer, pour chaque requérante ainsi que pour les entreprises Norsk Jernverk et Inexa Profil AB:

—    quel chiffre d'affaires elle avait pris en compte pour imposer l'amende à chaque entreprise;

—    quels étaient les différents taux qu'elle avait appliqués au chiffre d'affaires pour calculer l'amende de chaque entreprise concernée;

—    quels étaient les arguments ou considérations, détaillés pour chacune des entreprises, qu'elle avait pris en compte en ce qui concerne les différentes circonstances, aggravantes ou atténuantes, pour obtenir le résultat final de l'amende.

58.
    La partie défenderesse a répondu à ces questions du Tribunal par lettre datée du 19 janvier 1998, déposée au greffe le 22 janvier. Sous couvert de cette lettre, elle a transmis au Tribunal deux documents, respectivement intitulés «Projet de procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles (Breydel) le mercredi 16 février 1994 (matin et après-midi)» et «Projet de procès-verbal spécial de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles (Breydel) le mercredi 16 février 1994 (matin et après-midi)», en faisant valoir que ces deux documents étaient couverts par le secret des délibérations et qu'ils ne devaient pas être communiqués aux parties requérantes.

59.
    Le 14 janvier 1998, le Tribunal a tenu une réunion informelle avec les parties afin de planifier le bon déroulement de l'audience. Il a, notamment, indiqué aux parties qu'elles avaient un droit d'accès au dossier qui lui avait été transmis au titre de l'article 23, dans la mesure indiquée dans les ordonnances des 19 juin 1996 et 10 décembre 1997 et selon des modalités à définir par le greffe. Il a également demandé aux parties de lui indiquer, après avoir eu accès au dossier, à quels documents supplémentaires spécifiques elles entendaient se référer à l'audience.

60.
    La requérante et les requérantes Aristrain, ARBED, British Steel, Ensidesa, Preussag et Unimétal ont consulté ledit dossier du Tribunal et ont obtenu une copie des documents qu'elles estimaient nécessaires à leur défense. Par lettre du 9 février 1998, Ensidesa a soumis des observations sur certains des documents en cause.

61.
    Par lettres du greffe du 30 janvier 1998, le Tribunal a posé certaines questions supplémentaires à la Commission et à Eurofer concernant le système d'échange mensuel d'informations sur les commandes et les livraisons mis en place par cette dernière et décrit dans la Décision sous le nom de «fast bookings». Ces parties y ont répondu par lettres respectivement datées des 18 et 23 février 1998.

62.
    Par lettre du greffe du 6 février 1998, le Tribunal a également posé certaines questions complémentaires à la partie défenderesse sur la méthode de calcul des amendes utilisée en l'espèce, auxquelles elle a répondu par lettre datée du 20 février 1998, déposée au greffe le 24 février.

63.
    Par ordonnance du 16 février 1998, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a ordonné que soit versé au dossier de l'affaire, et communiqué aux parties requérantes, le seul document intitulé «Projet de procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles (Breydel) le mercredi 16 février 1994 (matin et après-midi)», déposé au greffe le 22 janvier 1998.

64.
    Par lettres des 13 et 19 février 1998, les requérantes ont présenté des demandes communes en vue de l'adoption de mesures d'instruction relatives, notamment, au calcul des amendes et visant à la production des documents relatifs à l'adoption de la Décision. La Commission y a répondu par lettre du 2 mars 1998.

65.
    Par lettre du greffe du 11 mars 1998, le Tribunal a prié la partie défenderesse, d'une part, de compléter ses réponses des 19 janvier et 20 février 1998 aux questions du Tribunal, en indiquant, pour chaque requérante, les calculs arithmétiques précis permettant de comprendre concrètement comment les montants des amendes ont été déterminés, et, d'autre part, de produire le procès-verbal définitif de la réunion de la Commission (matin et après-midi), au cours de laquelle la Décision a été adoptée, ainsi que ses annexes pour autant qu'elles ont trait à cette Décision. La partie défenderesse a répondu à cette demande par lettre du 19 mars 1998 et a déposé au greffe le procès-verbal définitif de la réunion de la Commission du 16 février 1994 ainsi que ses annexes.

66.
    Par ordonnance du 23 mars 1998, le Tribunal a ordonné que MM. Ortún et Vanderseypen, fonctionnaires de la DG III, ainsi que M. Kutscher, ancien fonctionnaire de la DG III, soient entendus en qualité de témoins sur les contacts établis entre la DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction retenue aux fins de la fixation du montant des amendes, soit du 1er juillet 1988 à la fin de 1990.

67.
    Lors de l'audience qui s'est déroulée du 23 au 27 mars 1998, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal, deuxième chambre élargie, composée de MM. A. Kalogeropoulos, président, C. P. Briët, C. W. Bellamy, A. Potocki et J. Pirrung, juges. Les parties requérantes ont présenté une plaidoirie commune sur certains points. Le Tribunal a entendu en qualité d'expert M. le Pr Steindorff, ancien secrétaire général de la délégation allemande lors des négociations préalables à la signature du traité CECA. Le Tribunal a également entendu en qualité de témoins MM. Ortún, Vanderseypen et Kutscher, ainsi que, à la demande de Preussag, ses préposés MM. Mette et Kröll. Le Tribunal a, par ailleurs, visionné un enregistrement vidéo de la conférence de presse de M. Van Miert du 16 février 1994, produit par Aristrain.

68.
    Un certain nombre de nouveaux documents ont été déposés à l'audience, soit à la demande du Tribunal, soit avec son autorisation. Le Tribunal a également prié la Commission de produire certains documents portant sur ses relations avec les autorités nationales scandinaves pendant les années 1989 et 1990. Ces documents ont été déposés au greffe sous couvert d'une lettre de la Commission du 11 mai 1998.

69.
    La procédure orale a été clôturée à l'issue de l'audience du 27 mars 1998. Deux membres de la chambre étant empêchés d'assister au délibéré après l'expiration de leur mandat le 17 septembre 1998, les délibérations du Tribunal ont été poursuivies par les trois juges dont le présent arrêt porte la signature, conformément à l'article 32 du règlement de procédure.

70.
    La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    à titre principal, annuler la Décision;

—    à titre subsidiaire, annuler l'article 4 de la Décision en ce qu'il lui inflige une amende de 4 000 000 écus ou, à tout le moins, réduire l'amende à un montant symbolique;

—    annuler la Lettre dans la mesure où celle-ci majore d'un point et demi de pourcentage l'intérêt payable en cas de paiement échelonné lorsque l'entreprise a introduit un recours devant les juridictions communautaires;

—    en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens.

71.
    La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la partie requérante au dépens.

Sur la demande principale tendant à l'annulation de la Décision

72.
    Au soutien de sa demande principale tendant à l'annulation de la Décision la requérante invoque plusieurs arguments qui peuvent être regroupés de la manière suivante. Elle soulève, en premier lieu, divers arguments tirés d'une violation par la Commission, au cours de la procédure administrative, des formes substantielles. Par une deuxième série d'arguments, la requérante invoque une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité, ainsi que divers défauts de motivation. Troisièmement, enfin, la requérante fait état de l'implication de la Commission dans les infractions qui lui sont reprochées, et d'une violation du principe de protection de la confiance légitime.

A — Sur la violation des formes substantielles

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

73.
    A l'audience, les griefs suivants, portant sur la violation des formes substantielles au cours de la procédure d'adoption de la Décision, ont été formulés lors d'uneprésentation commune faite au nom de toutes les requérantes.

74.
    Les requérantes font observer, à titre liminaire, que, lors de la conférence de presse qu'il a donnée à midi le 16 février 1994, M. Van Miert a affirmé que la Décision avait été adoptée, ce qui n'aurait pas été le cas, et qu'il a d'ailleurs donné des chiffres inexacts concernant certaines amendes (voir l'appendice 1 à la requête dans l'affaire T-151/94). Les communiqués de presse de la Commission, préparés avant l'adoption de la Décision, auraient également contenu des erreurs, notamment en ce qui concerne l'identité des entreprises condamnées à une amende.

75.
    Dans ces circonstances, les requérantes, en invoquant l'arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C-137/92 P, Rec. p. I-2555, ci-après «arrêt PVC»), et les arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, BASF e.a./Commission (T-80/89, T-81/89, T-83/89, T-87/89, T-88/89, T-90/89, T-93/89, T-95/89, T-97/89, T-99/89, T-100/89, T-101/89, T-103/89, T-105/89, T-107/89 et T-112/89, Rec. p. II-729, points 114 et 119, ci-après «arrêt PEBD») et du 29 juin 1995, Solvay/Commission (T-31/91, Rec. p. II-1821, point 50), soulèvent quatre griefs principaux.

76.
    En premier lieu, le quorum de présence de neuf membres de la Commission requis par l'article 5 du règlement intérieur de la Commission du 17 février 1993, en vigueur à l'époque (93/492/Euratom, CECA, CEE, JO L 230, p. 15, ci-après «règlement intérieur de 1993»), n'aurait pas été atteint. Selon les requérantes, bien qu'il semble ressortir de la page 2 du procès-verbal de la réunion de la Commission du 16 février 1994 que neuf membres étaient présents lors de l'adoption de la Décision au cours de la séance de l'après-midi (point XXV, p. 43), il ressort en réalité de la liste des personnes mentionnées comme ayant «assist[é] à la séance en l'absence des membres de la Commission», à la page 40 dudit procès-verbal, que six membres de la Commission seulement étaient présents lors de cette même séance. A défaut de quorum, aucun vote valable sur l'adoption de la Décision n'aurait pu, dès lors, intervenir conformément à l'article 6 du règlement intérieur de 1993.

77.
    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que la Décision n'a pas été adoptée par la Commission dans la forme qui leur a été notifiée. A tout le moins, il serait impossible de déterminer le contenu exact de la décision que la Commission a entendu adopter le 16 février 1994.

78.
    En effet, selon le procès-verbal de la réunion (p. 43), la Commission aurait approuvé «dans les langues faisant foi, la décision reprise au document

C(94)321/2 et 3», alors que la version de la Décision notifiée aux requérantes porte le numéro C(94) 321 final. Par ailleurs, d'après la liste des documents internes transmis au Tribunal au titre de l'article 23, annexée à la lettre de la Commission du 27 juin 1995, il existerait une autre version de la Décision portant le numéro C(94)321/4, datée du 25 février 1994.

79.
    De plus, il serait permis de nourrir certains doutes à propos des différentes versions de la Décision déposées au greffe du Tribunal à la suite de sa demande du 11 mars 1998. Outre le fait que seules les versions espagnole et italienne portent la mention «version faisant foi» sur leur page de garde, les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 sembleraient être composés de plusieurs documents préparés séparément, rédigés avec des polices de caractères différentes et une numérotation incohérente.

80.
    La Commission ayant, en cours d'audience, accepté de lever la confidentialité des documents internes relatifs à l'adoption de la Décision qui se trouvent dans les classeurs n°s 57, 58 et 61 du dossier transmis au Tribunal au titre de l'article 23, les avocats des requérantes disent avoir vu leurs doutes renforcés par la découverte d'un certain nombre de différences, qui sont résumées dans une liste déposée à l'audience, entre les documents internes se trouvant dans ces classeurs et les documents C(94)321/2 et C(94)321/3. De plus, il existerait des différences importantes entre le document se trouvant dans le classeur n° 61 du dossier de la Commission qui, selon les requérantes, constitue le document C(94)321/1 tel qu'il a été examiné par la Commission lors de sa réunion du 16 février 1994 dans la matinée, et les documents C(94)321/2 et C(94)321/3. Ces différences sont elles aussi résumées dans une seconde liste déposée à l'audience. Enfin, certaines modifications auraient été apportées manuellement à la version italienne du document C(94)321/2 après la réception d'une télécopie des services de traduction de la Commission entre 17 h 09 et 17 h 14 le 16 février 1994, soit après la clôture de la réunion à 16 h 25.

81.
    En troisième lieu, les requérantes soutiennent que ni la version C(94) 321 final, ni les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision n'ont été authentifiées conformément à l'article 16 du règlement intérieur de 1993. En effet, aucune de ces versions ne serait annexée au procès-verbal au sens de cette disposition, qui exigerait qu'elles y aient été physiquement attachées. De plus, le procès-verbal ne ferait aucune référence aux documents qui y sont annexés.

82.
    En tout état de cause, le procès-verbal ne saurait être considéré comme authentifié conformément aux articles 9 et 16 du règlement intérieur de 1993, en l'absence des signatures originales du président et du secrétaire général sur la page de garde.

83.
    En quatrième lieu, les requérantes font valoir que le procès-verbal ne porte pas la date de sa signature par le président et le secrétaire général de la Commission, de

sorte qu'il ne saurait être présumé avoir été authentifié au moment de son approbation.

84.
    Enfin, les requérantes prient le Tribunal d'adopter des mesures d'instruction visant, d'une part, à leur permettre d'inspecter la version originale du procès-verbal qui se trouve dans les archives de la Commission, et, d'autre part, à établir, par exemple au vu des agendas des membres de la Commission et d'autres documents semblables, lesquels parmi ces derniers étaient effectivement présents lors de l'adoption de la Décision au cours de la séance du 16 février 1994 après-midi.

Appréciation du Tribunal

Sur la recevabilité

85.
    Le Tribunal rappelle que la requérante n'a pas, dans sa requête, soulevé de moyen tiré d'irrégularités dans la procédure d'adoption de la Décision. Toutefois, le procès-verbal de la réunion de la Commission du 16 février 1994 et ses annexes doivent être considérés comme des éléments qui se sont révélés pendant la procédure, à la suite des mesures d'instruction et d'organisation de la procédure adoptées par le Tribunal. Or, l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure n'interdit pas la production de moyens nouveaux fondés sur de tels éléments. Il s'ensuit que le présent moyen est recevable.

Sur l'absence de quorum

86.
    L'article 13, premier alinéa, du traité, tel qu'inséré par l'article H, point 2, du traité sur l'Union européenne, dispose que les délibérations de la Commission sont acquises à la majorité du nombre de ses membres, qui était à l'époque de 17. Aux termes de l'article 13, deuxième alinéa, du traité, la Commission ne peut siéger valablement que si le nombre de membres fixé dans son règlement intérieur est présent.

87.
    L'article 5 du règlement intérieur de 1993 disposait que «le nombre des membres dont la présence est nécessaire pour que la Commission délibère valablement est égal à la majorité du nombre de membres prévu par le traité». Il s'ensuit que le quorum de présences requis pour que la Commission ait pu valablement délibérer lors de sa réunion du 16 février 1994 était de neuf membres.

88.
    Aux termes de l'article 6 du même règlement: «La Commission décide sur proposition d'un ou plusieurs de ses membres. La Commission procède à un vote sur demande d'un de ses membres. Ce vote porte sur la proposition initiale ou sur une proposition modifiée par le ou les membres responsables ou le président. Les décisions de la Commission sont acquises à la majorité du nombre des membres prévu par le traité.» Il s'ensuit également que les décisions de la Commission étaient acquises, à l'époque, avec l'accord de neuf de ses membres.

89.
    Il ressort du procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles le 16 février 1994 (ci-après «procès-verbal»), transmis au Tribunal à la suite de ses demandes des 27 novembre 1997 et 11 mars 1998, que cette réunion s'est déroulée en deux séances, l'une le matin et l'autre l'après-midi. Le point XVII du procès-verbal, discuté lors de la séance du matin, se lit comme suit:

«XVII.    CAS D'APPLICATION DE L'ARTICLE 65 DU TRAITÉ CECA [C(94) 321; SEC (94) 267]

        M. RENAUDIERE, membre du cabinet de M.VAN MIERT, assiste aux délibérations sur ce point.

        M. VAN MIERT expose à la Commission les différents éléments du cas qui lui est soumis. Il souligne la très grande gravité des infractions constatées. Il présente à la Commission les amendes qu'il propose d'infliger aux entreprises en cause.

        La Commission approuve la substance de la décision proposée par M. VAN MIERT et procède à un débat approfondi sur le montant des amendes. Elle convient de se prononcer à un moment ultérieur de sa présente réunion sur la décision finale dont le projet lui sera soumis par M. VAN MIERT.

        Les autres délibérations de la Commission sur ce point font l'objet d'un procès-verbal spécial.»

90.
    Le point XXV du procès-verbal, qui a été discuté lors de la séance de l'après-midi, se lit comme suit:

«XXV.    CAS D'APPLICATION DE L'ARTICLE 65 DU TRAITÉ CECA (SUITE DU POINT XVII) [C(94) 321/2 et /3; SEC(94) 267]

        La Commission poursuit ses délibérations entamées au cours de la séance du matin. Elle fixe comme suit les amendes infligées aux entreprises en cause:

        ARBED SA:

11 200 000 écus

        British Steel plc:

32 000 000 écus

        Unimétal SA:

12 300 000 écus

        Saarstahl AG:

4 600 000 écus

        Ferdofin SpA:

9 500 000 écus

        Thyssen Stahl AG:

6 500 000 écus

        Preussag AG:

9 500 000 écus

        Empresa Nacional Siderúrgica SA:

4 000 000 écus

        Siderúrgica Aristrain Madrid SL:

10 600 000 écus

        SA Cockerill-Sambre:

4 000 000 écus

        Krupp-Hoesch Stahl AG:

13 000 écus

        NMH Stahlwerke GmbH:

150 000 écus

        Norsk Jernverk AS:

750 écus

        Inexa Profil AB:

600 écus

        La Commission décide d'autre part que les amendes supérieures à 20 000 écus pourront faire l'objet d'un paiement échelonné. Elle approuve en conséquence, dans les langues faisant foi, la décision reprise au document C(94) 321/2 et /3.

                            *

                        *        *

        La réunion est close à 16 h 25.»

91.
    Il résulte de la lecture combinée des points XVII et XXV du procès-verbal que la Décision n'a pas été définitivement adoptée lors de la délibération du point XVII, au cours de la séance du matin, mais qu'elle l'a été lors de la délibération du point XXV, au cours de la séance de l'après-midi.

92.
    Il ressort par ailleurs de la liste des présences, figurant à la page 2 du procès-verbal, que neuf membres de la Commission étaient présents lors de la délibération de la Commission sur le point XXV, à savoir: M. Delors, Sir Leon Brittan, MM. Van Miert, Ruberti, Millan, Van den Broek, Flynn, Steichen et Paleokrassas. Le quorum requis par l'article 5 du règlement intérieur de 1993 était donc atteint. De même, la Décision pouvait être adoptée avec l'accord des neuf membres présents, conformément à l'article 6 dudit règlement intérieur.

93.
    L'argument des requérantes est, toutefois, fondé sur une liste de présence figurant à la page 40 du procès-verbal, qui indique que MM. Budd et Santopinto, respectivement chefs du cabinet de Sir Leon Brittan et de M. Ruberti, ainsi que Mme Evans, membre du cabinet de M. Flynn, ont «[a]ssist[é] à la séance en l'absence des membres de la Commission». Les requérantes en déduisent que, contrairement à ce qui est indiqué à la page 2 du procès-verbal, Sir Leon Brittan, M. Ruberti et M. Flynn n'étaient pas présents lors de l'adoption de la Décision visée au point XXV.

94.
    Cet argument ne saurait être retenu. En effet, il ressort de son libellé même que la liste figurant à la page 2 du procès-verbal a pour objet de faire un relevé précis de la présence ou de l'absence des membres de la Commission lors de la réunion concernée. Ce relevé concerne à la fois la séance du matin et celle de l'après-midi et constitue donc la preuve de la présence des membres de la Commission concernés pendant ces deux séances, sauf s'il y est expressément indiqué qu'un membre était absent lors de la discussion sur un point spécifique. En revanche, la liste figurant à la page 40 du procès-verbal n'a pas pour objet de faire le relevé de

la présence des membres de la Commission, mais se réfère seulement aux autres personnes éventuellement présentes, tels que les chefs de cabinet. Dans ces circonstances, les déductions indirectes que les requérantes prétendent tirer de ladite liste ne sauraient l'emporter sur la mention expresse, à la page 2 du procès-verbal, de la présence ou de l'absence des membres de la Commission.

95.
    En tout état de cause, le Tribunal estime que la mention «assistent à la séance en l'absence des membres de la Commission», figurant à la page 40 du procès-verbal, doit être comprise comme synonyme de «assistent, pour le cas où le membre serait absent pour un point spécifique».

96.
    En effet, cette mention doit être rapprochée de l'article 8 du règlement intérieur de 1993, qui dispose notamment: «[...] En cas d'absence d'un membre de la Commission, son chef de cabinet peut assister à la réunion et, à l'invitation du président, y exposer l'opinion du membre absent [...]» La liste de la page 40 du procès-verbal n'a donc pas pour objet de remplacer celle de la page 2, mais d'identifier les personnes qui sont autorisées à assister à la réunion conformément audit article 8, et, le cas échéant, à y exposer l'opinion du membre absent.

97.
    Toutefois, le fait qu'un chef de cabinet puisse exprimer l'opinion du membre de la Commission qu'il représente sur un point spécifique, en l'absence de ce dernier, n'exclut pas que le membre de la Commission en question soit revenu à la réunion lors de la discussion sur un autre point, sans pour autant que son chef de cabinet quitte la salle de réunion après son retour. La mention, à la page 40 du procès-verbal, de la présence de MM. Budd et Santopinto et de Mme Evans pendant la séance de l'après-midi peut donc s'expliquer par le simple fait que, selon la page 2 du procès-verbal, Sir Leon Brittan et MM. Ruberti et Flynn étaient absents lors de la discussion de certains points de l'ordre du jour de l'après-midi, à savoir les points XXIII.B, XXIII.C et XXIV en partie (Sir Leon Brittan), ainsi que les points XXIII.B et XXIII.C en partie (MM. Ruberti et Flynn). Il ne s'ensuit pas pour autant que ces trois membres de la Commission étaient absents lors de la délibération sur le point XXV, contrairement aux termes exprès de la page 2 du procès-verbal.

98.
    Cette interprétation est corroborée par la page 7 du procès-verbal où figure, pour la séance du matin, une liste des personnes ayant assisté à la réunion «en l'absence» des membres de la Commission, équivalente à celle de la page 40 pour la séance de l'après-midi. Or, si l'interprétation donnée par les requérantes à la formule «assistent à la séance en l'absence des membres de la Commission» était correcte, il découlerait de l'indication, sur cette liste, de la présence pendant toute la matinée de MM. Kubosch et Budd, respectivement membre du cabinet de M. Bangemann et chef de cabinet de Sir Leon Brittan, que ces deux membres de la Commission étaient absents pendant la totalité de la séance du matin. Tel n'est manifestement pas le cas puisque, selon la page 2 du procès-verbal, M. Bangemann

était présent lors de la séance du matin pour les points I à XVIII, et Sir Leon Brittan pour les points XVII à XXII.

99.
    Il résulte de ce qui précède que le quorum de présences requis était atteint lors de l'adoption de la Décision, dans l'après-midi du 16 février 1994.

100.
    Il y a lieu d'ajouter que l'article 6 du règlement intérieur de 1993 prévoit que la Commission décide sur proposition d'un ou plusieurs membres et ne procède à un vote que sur demande de l'un de ses membres. A défaut d'une telle demande, il n'était pas nécessaire que la Commission procède à un vote formel lors de la séance de l'après-midi. En tout état de cause, étant donné que, selon ledit article 6, les décisions de la Commission sont acquises à la majorité des membres prévus par le traité, à savoir neuf membres à l'époque, rien n'empêchait les neuf membres présents l'après-midi du 16 février 1994 de décider, à l'unanimité, d'adopter la Décision.

101.
    Il s'ensuit que le premier grief des requérantes n'est pas fondé.

Sur l'absence de correspondance formelle entre la Décision adoptée et celle notifiée à la partie requérante

102.
    Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le dispositif et la motivation de la décision notifiée à son ou ses destinataires doivent correspondre à ceux de la décision adoptée par le collège des membres de la Commission, abstraction faite des adaptations purement orthographiques ou grammaticales qui peuvent encore être apportées au texte d'un acte après son adoption finale par le collège (arrêt PVC, points 62 à 70).

103.
    Il ressort du point XXV du procès-verbal que la Commission a adopté «dans les langues faisant foi, la décision reprise au document C(94)321/2 et /3».

104.
    Il s'ensuit que la comparaison pertinente doit être effectuée entre les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision lues conjointement, qui ont été adoptées par la Commission l'après-midi du 16 février 1994, d'une part, et les différentes versions de la Décision notifiées aux requérantes dans les langues faisant foi, d'autre part.

105.
    Or, les requérantes n'ont pas invoqué et le Tribunal n'a pas pu déceler de différence matérielle entre les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision lues conjointement, telles qu'elles ont été déposées par la Commission au greffe du Tribunal dans les cinq langues faisant foi, et les versions de la Décision notifiées aux requérantes. Dans ces circonstances, le fait que la Décision a été adoptée sous forme de deux documents, à savoir C(94)321/2 et C(94)321/3, le second apportant quelques modifications, dont certaines manuscrites, au premier, est dépourvu de pertinence, d'autant plus que, en substance, ces modifications ne concernent que le paiement échelonné des amendes et la décision de ne pas infliger des amendes

d'un montant inférieur à 100 écus. De même, le fait que dans certaines versions linguistiques les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 ont une pagination incohérente ou des polices de caractères différentes est dépourvu de pertinence, dès lors que l'élément intellectuel et l'élément formel de ces documents lus ensemble correspondent à la version de la Décision notifiée aux requérantes (arrêt PVC, point 70).

106.
    Le Tribunal estime, au contraire, que les différences entre les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 témoignent des efforts accomplis par la Commission pour n'adopter formellement la Décision qu'après incorporation, dans chacune des versions linguistiques, de toutes les modifications décidées par le collège, notamment en ce qui concerne le paiement échelonné des amendes et le fait de ne pas infliger des amendes d'un montant inférieur à 100 écus.

107.
    Il découle également de ce qui précède que les arguments fondés sur une comparaison minutieuse entre certains documents se trouvant dans les classeurs 57, 58 et 61 du dossier de la Commission et les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 sont inopérants. Comme le Tribunal vient de le constater, la comparaison pertinente doit être effectuée entre les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 tels que produits par la Commission, d'une part, et la version notifiée aux requérantes, d'autre part, et non pas entre les documents C(94)321/2 et C(94)321/3, d'une part, et certains projets et autres documents éventuellement antérieurs se trouvant dans le dossier de la Commission, d'autre part. S'agissant, notamment, du document B contenu dans le classeur 61, le Tribunal estime qu'il n'est nullement prouvé que ce document, qui semble être un document de travail, constitue le document C(94)321 ou correspond à celui qui a été examiné par la Commission lors de la réunion du matin du 16 février 1994. En tout état de cause, le document C(94)321 est sans pertinence, dès lors que la version définitive de la Décision adoptée par la Commission est constituée des documents C(94)321/2 et C(94)321/3.

108.
    Le fait qu'il puisse subsister une ambiguïté quant au moment précis de l'envoi de la traduction de certaines modifications mineures dans la version italienne de la Décision est également sans pertinence, d'autant plus que la requérante n'est pas destinataire de la version italienne de la Décision.

109.
    Enfin, il est établi que le document C(94)321/4 n'est qu'une version non confidentielle de la version C(94)321 final, dans laquelle certains chiffres constituant des secrets d'affaires des destinataires ont été supprimés aux fins de la notification de la Décision aux autres destinataires.

110.
    Il s'ensuit que le deuxième grief des requérantes n'est pas fondé.

Sur le défaut d'authentification de la Décision

111.
    Quant au troisième grief des requérantes, selon lequel les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision n'auraient pas été dûment authentifiées conformément à l'article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de 1993, il convient de rappeler que cette disposition prévoyait:

«Les actes adoptés en réunion ou par la procédure écrite sont annexés, dans la ou les langues dans lesquelles ils font foi, au procès-verbal de la réunion de la Commission au cours de laquelle ils ont été adoptés ou au cours de laquelle il a été pris acte de leur adoption. Ces actes sont authentifiés par les signatures duprésident et du secrétaire général apposées à la première page de ce procès-verbal.»

112.
    De même, l'article 9, deuxième alinéa, du règlement intérieur de 1993 prévoyait que les procès-verbaux de la Commission «sont authentifiés par les signatures du président et du secrétaire général».

113.
    Il y a lieu de relever tout d'abord que l'article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de 1993 ne définissait pas de quelle façon les actes adoptés en réunion devaient être «annexés» au procès-verbal, à la différence, par exemple, de l'article 16 du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction issue de la décision 95/148/CE, CECA, Euratom du 8 mars 1995 (JO L 97, p. 82), qui prévoit que les actes en cause sont joints «de façon indissociable» au procès-verbal.

114.
    En l'espèce, le procès-verbal a été reçu par le Tribunal accompagné des documents C(94)321/2 et C(94)321/3 dans les différentes langues faisant foi, dans un même réceptacle que les agents de la Commission ont affirmé avoir reçu tel quel du secrétariat général de la Commission, à la suite de la demande du Tribunal du 11 mars 1998. Il y a donc lieu de présumer que ces documents ont été «annexés» au procès-verbal en ce sens qu'ils ont été placés avec celui-ci, sans y être attachés physiquement.

115.
    La finalité de l'article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de 1993 est d'assurer que la Commission a dûment adopté l'acte tel qu'il a été notifié au destinataire. Or, en l'espèce, la requérante n'a établi aucune différence matérielle entre la version de la Décision qui lui a été notifiée et la version qui, selon la Commission, a été «annexée» au procès-verbal.

116.
    Dans ces circonstances, et eu égard à la présomption de validité qui s'attache aux actes communautaires (arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, John Deere/Commission, T-35/92, Rec. p. II-957, point 31), la requérante n'a pas démontré que les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 n'ont pas été «annexés» au procès-verbal au sens de l'article 16 du règlement intérieur de 1993. Ces documents doivent, dès lors, être considérés comme authentifiés par les signatures du président et du secrétaire général apposées sur la première page dudit procès-verbal.

117.
    Quant au fait que le procès-verbal produit devant le Tribunal est lui-même une photocopie qui ne porte pas les signatures originales du président et du secrétaire général, il y a lieu de constater que la première page de ce document est revêtue du cachet «ampliation certifiée conforme, le secrétaire général Carlo Trojan», et que ce cachet porte la signature originale de M. Trojan, secrétaire général en titre de la Commission. Le Tribunal estime que cette certification de la conformité de l'ampliation par le secrétaire général en titre de la Commission prouve à suffisance de droit que la version originale du procès-verbal porte les signatures originales du président et du secrétaire général de la Commission.

118.
    Il s'ensuit que le troisième grief n'est pas fondé.

Sur le défaut d'indication de la date de signature du procès-verbal

119.
    Quant au quatrième grief des requérantes, selon lequel le procès-verbal n'indique pas la date de sa signature par le président et le secrétaire général de la Commission, il suffit de constater que la première page du procès-verbal déposé au Tribunal porte l'indication «Bruxelles, le 23 février 1994», ainsi que la mention «le présent procès-verbal a été adopté par la Commission lors de sa 1190e réunion tenue à Bruxelles le 23 février 1994», suivie des signatures du président et du secrétaire général et de la certification, par M. Trojan, de la conformité de l'ampliation du procès-verbal à l'original. Il y a dès lors lieu de constater que le procès-verbal a été dûment signé par le président et le secrétaire général, conformément au règlement intérieur de 1993, le 23 février 1994.

120.
    Le quatrième grief des requérantes n'est donc pas non plus fondé.

121.
    Enfin, quant aux déclarations inexactes de M. Van Miert lors de sa conférence de presse du 16 février 1994 à midi, annonçant que la Commission venait d'adopter la Décision et mentionnant certains montants d'amende ne correspondant pas à ceux imposés par la Décision, elles n'affectent pas en soi la régularité de l'adoption de la Décision par le collège des membres de la Commission, dès lors que le contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal ne peut porter que sur la décision adoptée par la Commission (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-1439, point 136).

122.
    Il résulte de ce qui précède que les divers arguments tirés d'une violation par la Commission, au cours de la procédure administrative, des formes substantielles doivent être rejetés dans leur intégralité, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner les mesures d'instruction demandées par les requérantes.

B — Sur la violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité

123.
    Dans le cadre de ses arguments tirés d'une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité, la requérante soulève trois griefs principaux. En premier lieu, la

requérante dénonce diverses erreurs manifestes d'appréciation et l'insuffisance des preuves des faits sur la base desquels la Commission a constaté les infractions énumérées à l'article 1er de la Décision. En deuxième lieu, elle conteste la qualification juridique desdits faits et l'interprétation de l'article 65 du traité qui se trouve à la base de cette qualification. En troisième lieu, elle fait valoir que, eu égard à la mise en oeuvre de l'article 65 du traité par la Commission et à son implication dans les pratiques incriminées, celles-ci ne sauraient être considérées comme constitutives d'infractions à cette disposition. A cet égard, la requérante invoque, à titre subsidiaire, une violation du principe de protection de la confiance légitime. La requérante invoque également divers défauts de motivation.

124.
    Compte tenu de l'interdépendance des arguments soulevés par la requérante, le Tribunal estime qu'il convient d'examiner tour à tour les différentes infractions qui lui sont reprochées, en vérifiant tout d'abord que la matérialité des faits qui les constituent est établie à suffisance de droit, puis que la qualification juridique desdits faits retenue par la Décision est fondée en droit. La question de savoir si les activités de la Commission sont de nature à ôter aux faits ainsi qualifiés leur caractère infractionnel sera examinée dans la partie C ci-après.

Sur la fixation de prix (prix cibles) au sein de la commission poutrelles

1. Sur la matérialité des faits

125.
    Aux termes de l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir participé à une infraction de fixation de prix au sein de la commission poutrelles. La période retenue aux fins de l'amende est de 18 mois, compris entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1989 (voir les points 13, 80 à 105, 223 à 231, 311 et 314 de la Décision).

126.
    En l'espèce, la requérante ne nie pas sa participation aux réunions de la commission poutrelles décrites dans la Décision, mais fait valoir, notamment, qu'il ne s'y concluait pas d'«accords», mais de simples échanges d'informations entre les membres, quant à leurs «estimations des prix de marché». Elle fait valoir, en outre, que les accords et pratiques concertées qui lui sont reprochés ne sont pas prouvés à suffisance de droit.

Observations liminaires

127.
    Avant d'aborder l'examen individuel des accords et pratiques concertées dénoncés aux points 80 à 105 et 223 à 231 de la Décision, il convient de rappeler, à titre liminaire, que les preuves doivent être appréciées dans leur ensemble en tenant compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes (voir les conclusions du juge M. Vesterdorf, faisant fonction d'avocat général, sous l'arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1/89, Rec. p. II-867, II-869 — conclusions communes aux arrêts dits «polypropylène» du 24 octobre 1991, T-2/89, T-3/89, Rec. p. II-1087, II-1177, du 17 décembre 1991, T-4/89, T-6/89, T-7/89, T-8/89, Rec. p. II-1523, II-1623, II-1711, II-1833, et du 10 mars 1992, T-9/89 à T-15/89, Rec. p. II-499, II-629, II-757, II-907, II-1021, II-1155, II-1275).

128.
    A cet égard, il est constant, en premier lieu, que la commission poutrelles, de même que les autres «commissions de produits» d'Eurofer, a été constituée par cette association au cours de la période de crise manifeste afin de mieux coordonner le comportement des entreprises sidérurgiques, notamment dans le cadre du système de quotas «I» et «i» et des accords Eurofer I à V (voir points 9 et suivants ci-dessus). Après la fin de la période de crise, cette commission, qui réunissait les principaux producteurs de poutrelles de la Communauté et était dotée d'un secrétariat permanent, a continué à se réunir régulièrement. En l'espèce, c'est principalement ce système de réunions régulières qui constitue le cadre de référence pour l'appréciation des éléments de preuve pertinents (voir points 30, 36, 37 et 212 de la Décision).

129.
    En deuxième lieu, il est constant que Cockerill-Sambre et/ou Steelinter ont participé aux réunions de la commission poutrelles des 19 juillet, 18 octobre et 15 novembre 1988, 10 janvier, 7 février et 3 août 1989 [point 38, sous i), de la Décision]. Il ressort également de l'aide-mémoire de la réunion du 11 juillet 1989 que la requérante y était présente ou représentée (voir le document n° 184 du dossier, qui relate un commentaire de «la forge belge»). En outre, la requérante et Steelinter ont spontanément reconnu l'existence d'indices de leur participation à la réunion du 6 juin 1989 (voir documents n° 5521 et 5538 du dossier) Or, la participation d'une entreprise à des réunions au cours desquelles des activités anticoncurrentielles ont été menées suffit pour démontrer sa participation auxdites activités, en l'absence d'indices de nature à établir le contraire (voir arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Montedipe/Commission, T-14/89, Rec. p. II-1155, points 129 et 144).

130.
    En troisième lieu, il est constant que les décisions adoptées lors de ces réunions étaient communiquées au groupe Eurofer/Scandinavie, qui fonctionnait de la même manière que la commission poutrelles et réunissait les principaux producteurs communautaires et scandinaves (voir, notamment, points 81, 84, 86 à 88, 93, 187, 189, 191 et 192 de la Décision). Il ressort également du dossier que Steelinter a régulièrement participé, entre 1986 et 1989, aux réunions du groupe Eurofer/Scandinavie mentionnées au point 178 de la Décision ou, à tout le moins, à la coopération accompagnant ces réunions (voir points 387 et suivants ci-après).

131.
    En quatrième lieu, s'agissant plus particulièrement de l'allégation selon laquelle il ne s'agissait pas en l'espèce d'«accords sur les prix» mais d'«échanges de vues entre producteurs» quant à leurs «estimations des prix de marché», s'il est vrai que les procès-verbaux concernés utilisent souvent des expressions telles que «estimations» ou «prévisions» de prix, il y a lieu de tenir compte, dans l'appréciation des preuves dans leur ensemble, des éléments suivants:

a)    de nombreux tableaux de prix (par exemple, ceux indiquant les prix fixésaux réunions des 25 juillet 1988, 18 octobre 1988, 10 janvier 1989 et 19 avril 1989) ont été établis relativement longtemps avant le trimestre concerné et contiennent des données très détaillées, concernant notamment les différentes catégories de produits, les différents pays, le montant précis des hausses envisagées et des rabais. Ce type de tableaux ne peut pas être considéré comme reflétant simplement les «estimations» des entreprises sur l'évolution des prix du marché;

b)    dans de nombreux cas, le libellé des procès-verbaux n'est pas favorable à la thèse de la requérante: voir, par exemple, des expressions telles que «les hausses de prix aboutissent au niveau suivant des prix» (réunion du 18 octobre 1988); «les niveaux des prix suivants sont pressentis sur le 2e trimestre 1989. Ces prix représentent par rapport à T1/89 des hausses: [suit un tableau très détaillé]» (réunion du 10 janvier 1989); «Les prévisions T2/89 sont reconduites sur le 3e trimestre 1989; soit les niveaux suivants [suit un tableau très détaillé]» (réunion du 19 avril 1989); «les prix escomptés et atteints sur le 3e trimestre 1989 sont dans ce contexte reconduits sur le 4e trimestre 1989» (réunion du 11 juillet 1989);

c)    les procès-verbaux contiennent également de nombreuses références au fait que les prix «attendus» pour le trimestre en cause avaient été «obtenus» ou «acceptés» par les clients (voir points 94, 95, 97 à 99, 101 et 102 de la Décision);

d)    les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles sont à lire conjointement avec ceux des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, qui ont notamment servi à transmettre aux producteurs scandinaves les décisions arrêtées lors de la réunion de la commission poutrelles précédente (voir points 177 et suivants de la Décision). Or, il ressort très clairement des procès-verbaux des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie qu'il s'agissait en l'espèce d'accords sur les prix (voir ci-après);

e)    les preuves avancées par la Commission englobent non seulement les procès-verbaux de la commission poutrelles et du groupe Eurofer/Scandinavie, mais aussi d'autres documents émanant des entreprises elles-mêmes, par exemple le télex de TradeARBED SA (ci-après «TradeARBED») à Thyssen du 22 septembre 1988, la note interne de Peine Salzgitter du 13 janvier 1989 et les documents de British Steel cités dans la Décision, notamment aux points 96 et 100;

f)    la requérante n'a pas contesté la conclusion des accords d'harmonisation des prix des suppléments lors des réunions de la commission poutrelles des 15 novembre 1988, 19 avril 1989 et 6 juin 1989 (voir ci-après). Vu le rapport étroit entre les prix de base et les suppléments, il n'est pas plausible que les participants aient conclu des accords sur les uns et pas sur les autres;

g)    la requérante n'a pas contesté l'allégation de la Commission figurant au point 37 de la Décision, selon laquelle les versions finales des procès-verbaux de la commission poutrelles ont été rédigées avec une certaine prudence.

132.
    C'est à la lumière de ces observations d'ordre général qu'il convient d'examiner chacun des accords ou pratiques concertées de fixation de prix retenus à charge de la requérante.

Accords prétendument conclus en 1986 et 1987

133.
    Au point 223 de la Décision, la Commission constate, en se référant aux points 80 à 86, que «des accords sur les prix ont été conclus à diverses occasions en 1986 et 1987».

134.
    Sans qu'il faille y voir une reconnaissance de leur bien-fondé, la requérante estime inutile de contester les griefs couvrant la période qui s'étend jusqu'au 30 juin 1988, dès lors que la Commission ne lui a pas imposé d'amendes pour son comportement durant cette période. Elle ajoute que ce comportement s'inscrivait, en tout état de cause, dans le cadre de la mise en oeuvre des accords Eurofer, dont la Commission aurait été informée et qu'elle aurait d'ailleurs encouragés, afin de renforcer l'efficacité des mesures qu'elle arrêtait dans le cadre du régime de crise manifeste.

135.
    Le Tribunal estime que la référence, au point 223 de la Décision, à des accords conclus «à diverses occasions» en 1986 et 1987, est trop imprécise pour être interprétée en ce sens que la Commission reprocherait à la requérante d'y avoir été partie.

136.
    Cette constatation resterait valable même en admettant que les points 80 à 86 de la Décision, auxquels se réfère le point 223, tendent à établir l'existence d'un accord conclu en 1986 (points 80 et 81) et de deux autres conclus en 1987 (points 82 à 86).

137.
    En effet, le point 223 de la Décision n'indique aucun élément de nature à individualiser ces prétendus accords, ce qui permet de conclure que ceux-ci constituent uniquement, dans l'esprit de la Commission, le cadre historique des ententes décrites, cette fois en détail, aux points 224 à 237 de la Décision.

Accord concernant les prix en Allemagne et en France prétendument conclu avant le 2 février 1988

138.
    Au point 224 de la Décision, la Commission constate que, lors d'une réunion qui s'est tenue à une date non déterminée, antérieure au 2 février 1988, la commission poutrelles est parvenue à un accord visant à relever les prix en Allemagne et en France. Elle s'appuie sur un extrait du procès-verbal de la réunion du groupe

Eurofer/Scandinavie du 2 février 1988, qui indique: «Au plan des prix, décision de procéder à des relèvements au 1er avril de 20 DM sur le marché allemand en catégories 1, 2A, 2B2 et 2B3, et de 10 DM en catégorie 2B1; de 50 FF sur le marché français toutes catégories exception faite de la 2C.» (point 87, de la décision, documents n° 674 à 678.)

139.
    Le Tribunal estime qu'il ressort de son libellé même que le procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 2 février 1988 fait état d'un accord sur des hausses de prix sur les marchés allemand et français. Le caractère consensuel de ces hausses de prix ressort, d'une part, s'agissant du terme «décision» (en français), de l'utilisation du singulier, et, d'autre part, du caractère uniforme des hausses sur chacun des marchés concernés. L'existence des faits allégués par la Commission est, dès lors, établie à suffisance de droit.

140.
    Dans la mesure, toutefois, où il ressort de la Décision que la Commission ne reproche pas à la requérante d'avoir assisté à une réunion de la commission poutrelles antérieure au 2 février 1988, et où il n'est pas davantage établi qu'elle a assisté à la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 2 février 1988 (voir point 182 de la Décision), le Tribunal considère que sa participation audit accord n'a pas été retenue à sa charge dans la Décision.

Prix cibles prétendument fixés avant le 25 juillet 1988

141.
    Au point 224 de la Décision toujours, la Commission constate que «d'autres prix cibles (pour le quatrième trimestre de 1988) ont été convenus avant le 25 juillet 1988». Elle s'appuie sur un tableau annexé au procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, indiquant les «prix de marché pour le quatrième trimestre de 1988», ventilés par catégorie, pour l'Allemagne, la France et le marché belgo-luxembourgeois (point 88 de la Décision).

142.
    La requérante fait valoir que rien n'indique que ce document constitue une annexe à ce procès-verbal, même s'il était matériellement attaché au procès-verbal trouvé chez Usinor Sacilor. Il n'y serait fait référence ni dans le procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 19 juillet 1988, ni dans celui de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, lequel ferait allusion, en son point 1, à une seule annexe dont la description ne lui correspondrait pas. La Commission affirmerait également à tort que des annexes similaires se retrouvent attachées à tous les procès-verbaux des réunions dudit groupe. Aucun tableau de ce genre ne serait annexé aux procès-verbaux des réunions en question, de 1986 à février 1988 (voir documents n°s 610 à 678 du dossier de la Commission) et du 31 juillet 1989 au 31 octobre 1990 (voir documents n°s 2453-2458, 2428-2434, 2418-2420, 2392-2399, 2338-2348 et 2335-2337 du dossier de la Commission).

143.
    Il est plausible, selon la requérante, que le tableau en question ait été établi au quatrième trimestre de 1988, sur la base des prix pratiqués à cette époque, et se soit retrouvé classé, pour une raison ou une autre, dans les dossiers d'Usinor

Sacilor, à la suite du procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie. Une telle interprétation serait confirmée par la dénomination même du document, qui se référerait aux prix pratiqués sur le marché durant le quatrième trimestre de 1988 plutôt qu'à une quelconque estimation de l'évolution de ces prix, faite en juillet 1988.

144.
    Le Tribunal relève, en premier lieu, que le tableau en cause, qui se réfère aux prix applicables pendant le quatrième trimestre de 1988, se trouvait matériellement attaché au procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, lorsqu'il a été découvert par les enquêteurs de la Commission dans les locaux d'Usinor Sacilor. Il ressort dudit procès-verbal que les prix du quatrième trimestre 1988 ont bien été discutés au cours de cette réunion. Par ailleurs, il ne saurait être inféré des termes de ce procès-verbal que celui-ci aurait eu une annexe unique. Quant à la seule annexe expressément mentionnée dans ce document, à savoir, une étude comparative des écarts de dimensions et des écarts de longueurs entre les barèmes des producteurs et scandinaves, la requérante n'a pas contesté l'affirmation contenue dans les écritures de la Commission, selon laquelle ladite étude se trouvait attachée à la suite du tableau litigieux, dans les annexes au procès-verbal saisi chez Usinor Sacilor. Enfin, la requérante Unimétal, filiale d'Usinor Sacilor, n'a invoqué aucune erreur de classement dans le cadre de son recours dans l'affaire T-145/94.

145.
    Le Tribunal constate, en second lieu, que des tableaux d'une structure similaire, présentant des listes de prix pour le trimestre suivant la réunion au cours de laquelle ils ont été établis, sont annexés aux procès-verbaux d'autres réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, notamment celles des 3 novembre 1988, 1er février et 25 avril 1989. La circonstance que, à la différence du tableau litigieux, certains de ces tableaux ne sont pas intitulés «prix de marché», mais «prévisions de prix» (voir documents n° 2493, 2480 et 2465) est, à cet égard, sans pertinence, dès lors qu'il est établi par ailleurs (voir ci-après) que lesdites «prévisions» résultent en réalité d'accords de fixation de prix. Il convient de rappeler, en outre, qu'une réunion des secrétariats des commissions de produits d'Eurofer s'est tenue vers cette époque, avec à l'ordre du jour, notamment, l'«examen de la rédaction des procès-verbaux» (voir point 37 de la Décision).

146.
    Dans ces circonstances, le Tribunal considère que l'allégation de la requérante selon laquelle le tableau litigieux aurait été établi au cours du quatrième trimestre de 1988 et annexé par erreur au procès-verbal de la réunion du 25 juillet 1988 n'est étayée par aucun indice.

147.
    Il y a lieu de considérer, dès lors, que ledit tableau a été établi le 25 juillet 1988 ou antérieurement, et donc relativement longtemps avant le trimestre de référence. Ce tableau donne des prix précis, ventilés par pays et par catégorie de produits. Le Tribunal en déduit qu'il s'agit des prix détaillés que les parties avaient l'intention

commune d'appliquer, et non pas d'un simple compte rendu des prix effectifs du marché, actuels ou pronostiqués.

148.
    Ce document, compris dans son contexte factuel, doit d'ailleurs être considéré comme portant l'information relative à un tel accord à la connaissance du groupe Eurofer/Scandinavie. Des renseignements du même type ont été régulièrement transmis aux membres de ce groupe, et cela plusieurs fois, au moins, sous forme d'un tableau annexé au procès-verbal de la réunion concernée.

149.
    L'existence des faits allégués par la Commission est, dès lors, établie à suffisance de droit.

Prix cibles prétendument fixés le 18 octobre 1988

150.
    Aux points 225 et 226 de la Décision, la Commission dénonce un accord sur les prix cibles à atteindre au cours du premier trimestre de 1989, qui aurait été conclu lors de la réunion de la commission poutrelles du 18 octobre 1988. Elle s'appuie en particulier sur les éléments suivants:

—    le procès-verbal de cette réunion, lequel mentionne notamment les hausses de prix qui sont «estimées» de 25 à 40 DM en République fédérale d'Allemagne, de 50 à 100 FF en France et de 200 à 800 BFR au Benelux. Les prix auxquels ces hausses «aboutissent» sont repris dans un tableau, ventilés par pays et par catégorie de produits et de clients (point 89 de la Décision);

—    le tableau ayant servi à établir les prix cibles pour le quatrième trimestre de 1988 (document n° 2507, annexé au procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, point 90 de la Décision);

—    un télex envoyé à TradeARBED par Thyssen le 22 septembre 1988 (point 91 de la Décision);

—    le procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 3 novembre 1988 (documents n° 2488 à 2493), selon lequel:

    «De nouvelles hausses de prix sont envisagées sur le 1er trimestre 1989, hausses qui sont par ailleurs attendues par le négoce. Elles conduisent à des augmentations de l'ordre de 25 à 40 DM en Allemagne, de 50 à 100 FF en France, de 200 à 800 BFR au Benelux»;

—    le fait que «des accords ont été pris pour relever les prix en harmonisant et en augmentant les suppléments».

151.
    Selon la requérante, les divers éléments mentionnés au point 225 de la Décision ne supportent pas la conclusion de la Commission, selon laquelle les échanges de vues

entre producteurs de poutrelles ont abouti à un accord sur les prix à pratiquer sur le marché.

152.
    Tout d'abord, un simple examen des barèmes publiés par les producteurs conformément à l'article 60 du traité établirait l'absence de pertinence de l'argument tiré du fait que le procès-verbal fixe les prix «dans tous les détails», ce qui, selon la Commission, aurait été impossible s'il ne s'était agi que de simples estimations. Ces barèmes seraient, en effet, beaucoup plus détaillés que l'information apparaissant dans le procès-verbal, et celle-ci aurait pu aisément être constituée en appliquant une estimation aux éléments essentiels de la structure des prix qui en ressort. A cet égard, l'argument de la Commission selon lequel les prix qui ont fait l'objet des ententes ne correspondaient pas aux prix publiés serait sans pertinence. La question ne serait pas de savoir si les estimations en cause correspondaient aux prix publiés, mais bien de répondre à l'argument de la Commission, selon lequel le procès-verbal fixe les prix avec tant de précision qu'il ne pourrait s'agir de simples estimations.

153.
    Ensuite, le libellé du procès-verbal, qui indique des montants situés entre un minimum et un maximum, qui conduisent («führen») à un certain niveau de prix, ne contredirait pas l'idée que les chiffres mentionnés étaient de simples espérances n'impliquant aucun accord entre parties.

154.
    Quant au télex adressé par Thyssen à TradeARBED le 22 septembre 1988, la requérante souligne que, de l'avis même de la Commission (voir point 129 de la communication des griefs), il concerne une augmentation du niveau des prix sur le marché scandinave. Le fait que la hausse sur ce marché ait été parallèle à celle attendue sur les marchés CECA ne saurait en rien changer la nature des discussions relatives à ce dernier marché.

155.
    La Commission ayant, dans son mémoire en défense, interprété le terme «intentions» employé dans ledit télex comme révélateur d'une volonté commune d'appliquer des prix fixés de commun accord, la requérante expose, en réplique, que cette interprétation est erronée, comme le serait celle de termes tels que «prix estimés», «prix envisagés» ou «intentions de prix» qui figurent dans les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles et des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, commentés aux points 95, 96, 98 et 99 de la Décision. Selon la requérante, on ne saurait valablement admettre une interprétation de ces procès-verbaux inconciliable avec leurs termes, ce que ferait pourtant la Commission en assimilant de simples «intentions» à des accords. A considérer même — quod non — que la notion d'«intention» puisse manquer de clarté et soit dès lors sujette à interprétation, la référence à des termes tels que «prix envisagés» ou «estimés» empêcherait qu'il soit conclu, en l'espèce, à l'existence d'accords.

156.
    Pour ce qui est du contexte général, ce serait également à tort qu'il a été retenu par la Commission à l'appui de ses affirmations, celle-ci n'ayant pas été en mesure

d'apporter la preuve de l'existence d'un accord de hausse de prix durant la seconde moitié de 1988 (voir ci-dessus). En tout état de cause, même si un tel accord avait - quod non - été conclu en juillet 1988 pour le quatrième trimestre de 1988, cela ne justifierait pas que soit donnée à un document postérieur une portée contraire au sens des mots qu'il utilise.

157.
    Un raisonnement similaire permettrait de rejeter l'argument tiré par la Commission de similitudes de langage avec les comptes rendus des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie et de l'existence d'une harmonisation des suppléments. Selon la requérante, on ne saurait en effet déduire de la prétendue existence d'une première infraction l'existence d'une seconde.

158.
    Le Tribunal estime que les éléments présentés aux points 225 et 226 de la Décision constituent, dans leur ensemble, un faisceau d'indices cohérents et concordants de nature à établir les faits reprochés.

159.
    Le Tribunal souligne, notamment, que le procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 18 octobre 1988, à laquelle la requérante a participé, contient des prix détaillés, ventilés par produit et par marché, pour les différentes catégories de clients, et utilise l'expression «les hausses de prix aboutissent au niveau suivant des prix». De même, les chiffres cités correspondent à ceux indiqués dans le procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 3 novembre 1988 (point 200 de la Décision), ce qui prouve que la décision de la commission poutrelles du 18 octobre 1988 a été également communiquée au groupe Eurofer/Scandinavie.

160.
    L'argument tiré du caractère détaillé des barèmes publiés conformément à l'article 60 du traité doit par ailleurs être rejeté. Il est constant, en effet, que, à l'époque, les prix de barème publiés étaient nettement supérieurs aux prix effectivement pratiqués par les entreprises sur le marché, et que, plus généralement, ils ne pouvaient pas donner une vue réaliste des conditions du marché (voir, notamment, le document de travail de la Commission du 6 juillet 1989, joint en appendice 5, document 1, à la requête dans l'affaire T-151/94). Par conséquent, les entreprises en cause n'auraient pas pu élaborer des «prévisions» détaillées, du type de celles apparaissant dans le tableau litigieux, simplement à partir de ces barèmes.

161.
    Par ailleurs, le télex de Thyssen à TradeARBED du 22 septembre 1988 est un indice supplémentaire valable en faveur du caractère consensuel des prix évoqués dans le procès-verbal de la réunion du 18 octobre 1988. Ce télex se lit somme suit:

«La discussion aura en fait le plus de sens après le rendez-vous Eurofer/Scandinavie. Néanmoins, comme ce dernier a lieu tardivement, nous devrions à mon avis communiquer à nos amis nos intentions pour la Communauté en moyenne et préconiser le parallélisme, c'est-à-dire une hausse pour le programme scandinave s'établissant comme suit:

        Suède            SKR        100,—

        Norvège            NKR    100,—

        Finlande            DM         40,—

La décision concernant la catégorie 2C pourra alors être prise le 29 septembre.»

162.
    Si ce télex concerne une hausse des prix sur les marchés scandinaves, il se réfère également à des «intentions pour la Communauté», communes à plusieurs entreprises. En effet, l'auteur du télex entend préconiser, s'agissant du «programme scandinave», le «parallélisme» entre la hausse moyenne envisagée pour la Communauté et celle que les participants à la prochaine réunion du groupe Eurofer/Scandinavie devaient décider d'un commun accord (cette dernière décision ayant effectivement été adoptée le 3 novembre 1988). Au surplus, une prochaine «décision» est proposée au destinataire du télex en ce qui concerne les prix de la catégorie 2C, ce qui indique qu'il s'agissait de prix adoptés d'un commun accord.

163.
    C'est à juste titre également que la Commission a estimé, au point 225, septième tiret, de la Décision, que, dès lors que les entreprises réunies au sein de la commission poutrelles convenaient de suppléments harmonisés, il aurait été surprenant qu'elles laissent au libre jeu de la concurrence le soin de décider du montant des prix de base (voir ci-après). Or, c'est précisément au cours de la réunion du 18 octobre 1988 qu'une proposition d'Usinor Sacilor visant à l'harmonisation des prix des suppléments de qualité a été examinée, avant d'être acceptée, dans son principe, lors de la réunion du 15 novembre 1988 (point 122 de la Décision).

164.
    Par ailleurs, conformément au raisonnement exposé au point 226 de la Décision, le caractère contraignant, à tout le moins moralement, des accords dénoncés par la Commission est prouvé par le fait qu'aucun des participants à la réunion n'a signalé son intention de ne pas appliquer les prix proposés (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 232), et par les déclarations ultérieures des entreprises selon lesquelles les prix en question avaient été acceptés par la clientèle (voir les points 94 et 95 de la Décision).

165.
    La Commission a donc prouvé à suffisance de droit l'existence des faits reprochés en ce qui concerne l'accord sur les prix cibles conclu le 18 octobre 1988.

Prix cibles prétendument arrêtés lors de la réunion du 10 janvier 1989

166.
    Selon le point 227 de la Décision, la commission poutrelles a arrêté, lors de sa réunion du 10 janvier 1989, des prix cibles pour les livraisons à la France, à l'Allemagne, aux pays du Benelux et à l'Italie, au deuxième trimestre de cette même année.

167.
    La Commission s'appuie sur le procès-verbal de cette réunion (voir point 95 de la Décision), qui indique les hausses pour le trimestre de référence, détaillées selon les marchés et les catégories. Le même document donne ensuite les «niveaux deprix pressentis» en conséquence de ces hausses. La Commission invoque également une note de dossier de British Steel non datée sur les résultats de cette réunion, ainsi qu'une note interne de Peine-Salzgitter du 13 janvier 1989 (point 96 de la Décision).

168.
    Le Tribunal estime que les documents cités aux points 95 et 96 de la Décision établissent à suffisance de droit les faits reprochés.

169.
    Les parties se sont en effet à nouveau servies de la technique déjà adoptée lors de la réunion du 18 octobre 1988, en consignant dans le procès-verbal du 10 janvier 1989, de façon précise et détaillée, les hausses ainsi que les nouveaux prix en découlant, pour chaque marché et chaque catégorie de produits et de clients. Le Tribunal considère que de telles indications supposent un accord sur les prix en cause. Cette conclusion est confirmée par les deux autres documents cités par la Commission au point 96 de la Décision, à savoir la note non datée de British Steel (documents n°s 2001 à 2003) et la note de Peine-Salzgitter du 13 janvier 1989 (documents n°s 3051 et 3052). La note de British Steel donne des prix pour la France, l'Allemagne et les pays du Benelux qui sont identiques à ceux figurant au procès-verbal de la réunion du 10 janvier 1989. Elle parle, ensuite, d'«intentions en matière de prix», ce qui ne peut que signifier, vu le caractère uniforme des hausses et des nouveaux prix qui en découlaient, des intentions communes aux membres de la commission poutrelles. Selon la note de Peine-Salzgitter du 13 janvier 1989, les hausses avaient déjà été «envisagées» auparavant et ont été «concrétisées» lors de la réunion. Après avoir présenté les hausses relatives à l'Allemagne, ladite note poursuit: «Des hausses de prix sélectives ont également été décidées pour les différentes catégories dans les principaux autres pays de la Communauté [...]» Cette formulation indique, elle aussi, l'existence d'un concours de volontés. Contrairement à ce qu'allègue la requérante, il ne peut pas s'agir, dans ces conditions, d'un simple échange d'informations sur les prix.

170.
    Cette conclusion n'est pas affectée par le fait que les nouveaux prix pour l'Italie indiqués dans la note non datée de British Steel dépassent de 20 000 LIT par tonne ceux repris dans le procès-verbal de la réunion en cause. Cette divergence dans la note de British Steel, qui ne se réfère qu'aux nouveaux prix pour l'Italie, doit en effet être imputée à une simple erreur lors de la mise par écrit des nouveaux prix en cause.

Prix cibles pour les marchés italien et espagnol prétendument arrêtés lors de la réunion du 7 février 1989

171.
    Selon le point 227 de la Décision, la commission poutrelles a arrêté des prix cibles pour les marchés italien et espagnol lors de sa réunion du 7 février 1989.

172.
    La Commission s'appuie sur le procès-verbal de cette réunion (voir point 98 de la Décision), dont il ressortirait que des prix pour deux catégories de poutrelles en Italie et des prix pour l'Espagne ont été fixés et sont venus compléter les données de prix figurant dans le procès-verbal de la réunion du 10 janvier 1989 (voir point 95 de la Décision).

173.
    Le Tribunal estime que, malgré les termes du procès-verbal de la réunion du 7 février 1989 (documents n°s 97 à 106), qualifiant les indications en question de «compléments aux prévisions de prix 2e trimestre de 1989», plusieurs éléments établissent qu'il s'agissait en réalité de prix convenus.

174.
    En premier lieu, les prix que ces indications étaient censées compléter avaient déjà été fixés d'un commun accord lors de la réunion du 10 janvier 1989 (voir ci-dessus). Lors de la réunion du 7 février 1989, les participants ont d'ailleurs constaté que ces derniers prix avaient été réalisés ou qu'ils le seraient sans difficulté (voir point 98 de la Décision).

175.
    En second lieu, le procès-verbal indique que le nouveau niveau des prix de la catégorie 2C en Italie «préserve une 'harmonie‘ entre les prix pratiqués sur l'ensemble des marchés européens, d'une part, et prend en compte la concurrence des profilés reconstitués soudés (prs), d'autre part». En ce qui concerne le marché espagnol, il est indiqué que les «prix prévus» du trimestre en cours sont «reconduits» au trimestre prochain «aux fins de consolider les niveaux atteints». Il ressort de ces formulations qu'il existait un consensus entre les entreprises pour réaliser, par l'application de ces prix, certains objectifs communs. Ces entreprises étaient donc nécessairement d'accord pour appliquer ces prix.

176.
    L'existence des faits reprochés au point 227, deuxième alinéa, de la Décision est, dès lors, prouvée à suffisance de droit.

Prix cibles prétendument convenus lors de la réunion du 19 avril 1989

177.
    Selon le point 228 de la Décision, des prix cibles à appliquer au troisième trimestre de 1989 sur les marchés de l'Allemagne, de la France, de la Belgique, du Luxembourg, de l'Italie et de l'Espagne, pratiquement identiques à ceux du trimestre précédent, ont été convenus à la réunion de la commission poutrelles du 19 avril 1989.

178.
    La Commission s'appuie sur le procès-verbal de cette réunion qui, après avoir indiqué que les prix prévus avaient été obtenus en Allemagne, en France et en Italie, donne les prix du trimestre à venir (point 99 de la Décision).

179.
    Le Tribunal estime que la Commission a prouvé à suffisance de droit que les prix consignés dans le procès-verbal de la réunion du 19 avril 1989 (documents n°s 125 à 145) avaient fait l'objet d'un accord. Il est également établi à suffisance de droit

que la requérante, ou du moins sa filiale Steelinter, était présente à ladite réunion (voir point 186 ci-après).

180.
    En premier lieu, pour autant que le passage pertinent de ce document indique que les «prévisions T2/89 sont reconduites sur le 3e trimestre 1989», il convient de rappeler que ces «prévisions» constituaient, en réalité, le fruit d'un accord au sein de la commission poutrelles, auquel les entreprises concernées étaient parvenues lors des réunions des 10 janvier et 7 février 1989 (voir ci-dessus). La «reconduction» de ces «prévisions» avait également le caractère d'un accord, visant cette fois au maintien de l'ancien niveau de prix. Cette conclusion est corroborée par le constat, consigné dans le même document, selon lequel les «prix prévus» pour le deuxième trimestre ou les «prévisions» relatives à ce trimestre avaient été «accepté[e]s [...] par la clientèle» (document n° 126). La mention concernant le marché allemand, selon laquelle les «prévisions» correspondantes avaient été «atteintes», doit être interprétée dans le même sens.

181.
    En second lieu, les prix du trimestre à venir sont présentés, dans le procès-verbal de la réunion du 19 avril 1989, de la même façon précise et détaillée que l'avaient été, dans les procès-verbaux antérieurs, les prix du quatrième trimestre de 1988 et ceux des deux premiers trimestres de 1989. De telles présentations détaillées ne peuvent être interprétées comme reflétant de simples prévisions ou estimations.

Fixation des prix applicables au Royaume-Uni à partir du mois de juin 1989

182.
    Aux points 229 et 230 de la Décision, la Commission fait état d'une pratique concertée de fixation des prix applicables au Royaume-Uni à partir du mois de juin 1989, intervenue à l'initiative de British Steel et acceptée par ses concurrents.

183.
    A l'appui de ce raisonnement, la Commission invoque une note interne de British Steel du 24 avril 1989 (voir point 100 de la Décision), ainsi que l'indication, contenue dans les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles des 6 juin et 11 juillet 1989, selon laquelle, d'après British Steel, la hausse des prix avait été acceptée par la clientèle (voir points 101 et 102 de la Décision).

184.
    La requérante souligne tout d'abord que ni elle-même ni Steelinter n'étaient présentes à la réunion du 19 avril 1989, au cours de laquelle, selon le point 229 de la Décision, British Steel a informé ses concurrents de la hausse des prix qu'elle entendait appliquer sur le marché britannique et les a invités à facturer des prix équivalents pour leurs exportations vers le Royaume-uni. En outre, selon la requérante, il n'aurait pas été nécessaire pour British Steel d'informer certains de ses concurrents des hausses qu'elle envisageait d'appliquer, et de les inciter à respecter un tel mouvement, si les prix avaient été fixés dans le cadre de la commission poutrelles. Loin de conforter les thèses de la Commission, l'initiative de British Steel confirmerait l'absence de fixation en commun de prix par les producteurs. Quant à l'argument selon lequel British Steel ne se contentait pas d'informer les producteurs continentaux, mais demandait à ceux-ci de la suivre,

cette précision ne changerait rien au caractère unilatéral de l'attitude de British Steel.

185.
    Le Tribunal estime que l'allégation de la Commission, selon laquelle British Steel a annoncé aux autres entreprises, le 19 avril 1989, une hausse de ses prix au Royaume-Uni et les a invitées à suivre cette hausse (point 229 de la Décision), est prouvée à suffisance de droit par la note du 24 avril 1989 (documents n°s 1969 et 1970) citée au point 100 de la Décision.

186.
    Il doit également être tenu pour établi que la requérante, ou du moins sa filiale Steelinter, était présente à la réunion du 19 avril 1989, et qu'elle a donc reçu tant l'annonce de British Steel que son invitation à appliquer les nouveaux prix au Royaume-Uni. D'une part, en effet, le procès-verbal de ladite réunion (documents n° 125 à 145 du dossier) a été adressé à Steelinter (voir document n° 124 du dossier). D'autre part, ce procès-verbal donne une série de renseignements relatifs au marché du Benelux et fixe des prix cibles à appliquer au troisième trimestre sur le marché belge (voir ci-dessus), ce qui, eu égard au contexte général des réunions de la commission poutrelles, implique nécessairement la participation de la requérante ou de sa filiale à la réunion du 19 avril 1989.

187.
    Le Tribunal estime également que la Commission a prouvé à suffisance de droit son allégation selon laquelle British Steel et ses concurrents s'étaient concertés sur les prix (point 230 de la Décision). C'est en effet à juste titre que la Commission a exposé, au point 229 de la Décision, que la coopération dans laquelle s'insérait le comportement litigieux avait déjà abouti à la passation d'un certain nombre d'accords de fixation des prix pour les marchés continentaux de la CECA, auxquels British Steel avait été partie. Dans ces circonstances, l'action de celle-ci ne saurait être considérée comme un comportement unilatéral envers un concurrent avec lequel elle n'avait pas de liens de coopération.

188.
    En effet, dès lors que British Steel avait accepté, lors de nombreuses réunions antérieures de la commission poutrelles, de se lier, du moins moralement, en ce qui concerne les prix continentaux, elle pouvait raisonnablement attendre de ses concurrents que son invitation à respecter ses nouveaux prix au Royaume-Uni serait prise en compte par ces derniers lorsqu'ils arrêteraient leur propre comportement sur ce marché. Cette constatation s'applique également à la requérante, dont la participation aux réunions concernées est établie par les éléments du dossier.

189.
    Le Tribunal considère, enfin, que la Commission a prouvé à suffisance de droit que les entreprises se sont effectivement conformées à l'exigence de British Steel(points 229 et 230 de la Décision). A ce propos, la requérante n'a contesté ni les indications de British Steel selon lesquelles ses hausses de prix avaient été acceptées par le marché britannique, ni l'affirmation de la Commission selon laquelle, à l'époque, les prix au Royaume-Uni étaient nettement plus élevés que sur

les marchés continentaux de la CECA (point 229 de la Décision). Étant donné que, dans ces circonstances, des offres à des prix correspondant au niveau continental auraient empêché l'acceptation des nouveaux prix de British Steel par la clientèle locale, le fait que ses hausses de prix ont été acceptées «sans difficulté» suffit à établir, en l'absence d'indice du contraire, que la requérante n'a pas fait obstacle à la réalisation par British Steel des hausses de prix en cause.

190.
    Il convient donc de constater que les allégations factuelles qui sous-tendent le raisonnement développé aux points 229 et 230 de la Décision sont prouvées à suffisance de droit.

Accord prétendument intervenu lors de la réunion du 11 juillet 1989, en vue de reconduire au quatrième trimestre, sur le marché allemand, les prix cibles du troisième trimestre de cette même année

191.
    Au point 231 de la Décision, la Commission déduit du procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 11 juillet 1989 (voir point 102 de la Décision) qu'il a alors été convenu que les prix cibles du troisième trimestre de 1989 devaient également être appliqués au trimestre suivant en Allemagne.

192.
    La requérante se réfère au point 104 de la Décision, où la Commission aurait avoué que «les participants [à la réunion Eurofer/Scandinavie du 3 août 1989] n'avaient prévu pour le quatrième trimestre aucune augmentation des prix de base sur aucun des marchés en cause». Le procès-verbal de la réunion du 11 juillet 1989 indiquerait que la question des prix pour ce trimestre n'a pas été discutée, si ce n'est pour l'Allemagne (voir point 190 de la communication des griefs). La requérante se réfère encore au procès-verbal de la réunion du 3 août 1989, qui indiquerait que «les différentes forges locales informent que le prix de base escompté et atteint au troisième trimestre sera probablement reconduit au quatrième».

193.
    Le Tribunal estime que le procès-verbal de la réunion du 11 juillet 1989 (documents n°s 182 à 188) prouve à suffisance de droit l'existence des faits reprochés par la Commission, relatifs à un accord sur le maintien des prix sur le marché allemand au cours du quatrième trimestre de 1989.

194.
    Le passage pertinent de ce document énonce, sous l'intitulé «Prévisions d'évolution des prix sur le 4e trimestre 1989»:

«Du côté allemand, il est envisagé, dans la mesure où une augmentation des Extras de dimension et de qualités de l'ordre de 20 à 25 DM/tonnes est prévue pour le 1er octobre 1989, de ne pas procéder à des relèvements des prix de base. Les prix escomptés et atteints sur le 3e trimestre 1989 sont dans ce contexte reconduits sur le 4e trimestre 1989. Un échange d'informations concernant les autres marchés communautaires aura lieu lors de la prochaine réunion de la commission poutrelles.»

195.
    Il ressort de l'articulation de ce paragraphe que seuls les prix des autres marchés devaient faire l'objet d'un «échange d'informations» ultérieur, tandis que les prix du marché allemand ont été «reconduits» d'un commun accord lors de la réunion en cause.

196.
    En particulier, l'annonce des producteurs allemands doit être considérée dans le contexte des réunions régulières de la commission poutrelles et des autres accords dont le Tribunal a déjà constaté l'existence ci-dessus. Ainsi, les prix «reconduits» avaient eux-mêmes fait l'objet d'un accord au sein de la commission poutrelles le 19 avril 1989 (voir ci-dessus). Il apparaît ainsi que les dispositions prises à propos du marché allemand s'inscrivaient dans la pratique des réunions antérieures, consistant à fixer les prix trimestriels successifs pour les principaux marchés de la Communauté.

197.
    Par ailleurs, le Tribunal estime qu'un accord pour ne pas augmenter les prix peut constituer un accord de fixation de prix au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

198.
    Enfin, il convient de relever que la Commission ne reproche pas aux entreprises d'avoir conclu un accord de fixation de prix cibles lors de la réunion du 3 août 1989. Par conséquent, les arguments de la requérante sont sans objet pour autant qu'ils tendent à réfuter cette hypothèse.

Conclusions

199.
    Il découle de tout ce qui précède que l'ensemble des faits allégués à l'appui des développements figurant aux points 224 à 231 de la Décision, quant à la conclusion d'accords sur les prix et aux comportements que la Commission y assimile en tant que «pratiques concertées», sont prouvés à suffisance de droit par les documents qu'elle invoque. L'argumentation de la requérante doit dès lors être rejetée, pour autant qu'elle est dirigée contre les constatations de fait exposées aux points 80 à 102 et 224 à 231 de la Décision. Il en ressort également que la Commission a motivé à suffisance de droit tant l'existence des accords et pratiques concertées reprochés à la requérante que sa participation individuelle auxdits accords et pratiques concertées et qu'elle a suffisamment concrétisé les infractions en cause.

2. Sur la qualification juridique des faits

200.
    A ce stade du raisonnement, il convient d'apprécier la qualification juridique que la Commission a donnée aux comportements dénoncés aux points 224 à 231 de la Décision au regard: a) des catégories d'ententes visées à l'article 65, paragraphe 1, du traité; b) de l'objet ou de l'effet de tels comportements, et c) à la notion de jeu normal de la concurrence au sens de cette disposition.

a) Sur la qualification des comportements incriminés au regard des catégories d'ententes envisagées par l'article 65, paragraphe 1, du traité

201.
    Le Tribunal rappelle que, aux termes de l'article 4, sous d), du traité:

«Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues au présent traité, à l'intérieur de la Communauté:

[...]

d)    Les pratiques restrictives tendant à la répartition ou à l'exploitation des marchés.»

202.
    L'article 65, paragraphe 1, du traité interdit «tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence et en particulier:

a)    à fixer ou à déterminer les prix;

b)    à restreindre ou à contrôler la production, le développement technique ou les investissements;

c)    à répartir les marchés, produits, clients ou sources d'approvisionnement».

203.
    Dans le cas d'espèce, les comportements reprochés à la requérante aux points 224 à 228 et 231 de la Décision sont qualifiés par la Commission d'«accords» de fixation de prix, au sens de cette disposition. Or, il ressort à suffisance de droit des faits que le Tribunal vient de constater que, à chacune des occasions visées par ces points de la Décision, les entreprises concernées, parmi lesquelles la requérante, ne se sont pas bornées à de simples «échanges de vues entre producteurs» quant à leurs «estimations des prix de marché», mais ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée en matière de prix, à savoir, de faire en sorte que les prix convenus lors des réunions en cause soient atteints ou, le cas échéant, maintenus. Le Tribunal estime qu'un tel concours de volontés constitue un «accord» au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité. A cet égard, le Tribunal ne voit d'ailleurs aucune raison d'interpréter la notion d'«accord» au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité différemment de celle d'«accord» au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (voir l'arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité, point 120).

204.
    Quant au comportement reproché à la requérante, aux points 229 et 230 de la Décision, en ce qui concerne les hausses de prix applicables sur le marché britannique à partir du mois de juin 1989, qui est qualifié dans la Décision de «pratique concertée» (voir points 220 et 230 in fine), le Tribunal estime que cette

notion doit être interprétée en tenant compte de la finalité de l'article 65, paragraphe 1, et du cadre juridique du traité.

205.
    Dans son avis 1/61, du 13 décembre 1961 (Rec. p. 505), la Cour a souligné que le but de l'article 4, sous d), du traité est d'empêcher les entreprises d'acquérir par la voie de pratiques restrictives une position leur permettant la répartition ou l'exploitation des marchés. Selon la Cour, cette prohibition, mise en oeuvre par l'article 65, paragraphe 1, du traité, est rigide et caractérise le système instauré par le traité (p. 519). Par ailleurs, la Cour a souligné, à propos du régime de publication des prix prévu par l'article 60 du traité (voir ci-après), que le «traité part de l'idée que la libre formation des prix est garantie par la liberté, accordée aux entreprises, de fixer elles-mêmes leurs prix et de publier de nouveaux barèmes quand elles veulent les modifier. Si la conjoncture change, les producteurs sont forcés d'adapter leurs barèmes, et c'est de cette façon que 'le marché fait le prix‘» (arrêt de la Cour du 21 décembre 1954, France/Haute Autorité, 1/54, Rec. p. 7, 31). Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, même si le marché de l'acier est un marché oligopolistique, caractérisé par le régime de l'article 60 du traité qui assure, par la publication obligatoire des barèmes des prix et des tarifs de transport, la transparence des prix pratiqués par les différentes entreprises, l'immobilité ou le parallélisme des prix qui en résultent ne sont pas, en eux-mêmes, contraires au traité s'ils sont le résultat non pas d'un accord, même tacite, entre les associés, «mais du jeu sur le marché des forces et des stratégies d'unités économiques indépendantes et opposées» (arrêt du 15 juillet 1964, Pays-Bas/Haute Autorité, 66/63, Rec. p. 1047, 1076 et 1077).

206.
    Il découle de cette jurisprudence que la conception selon laquelle toute entreprise doit déterminer de manière autonome la politique qu'elle entend suivre sur le marché, sans collusion avec ses concurrents, est inhérente au traité CECA et notamment à ses articles 4, sous d) et 65, paragraphe 1.

207.
    Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la prohibition des «pratiques concertées» par l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA poursuit, en principe, le même dessein que la prohibition parallèle des «pratiques concertées» par l'article 85, paragraphe 1, du traité CE. Elle vise, plus particulièrement, à assurer l'effet utile de la prohibition de l'article 4, sous d), du traité en appréhendant, sous ses interdictions, une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'un accord proprement dit, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence normale visée par le traité (voir arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, point 64).

208.
    S'agissant plus spécifiquement du cas de hausse des prix sur le marché britannique que la Commission a dénoncé comme «pratique concertée», il y a lieu de rappeler que: a) ce cas se situe dans le cadre d'une concertation régulière, au travers de nombreuses réunions et de communications écrites entre les entreprises membres

de la commission poutrelles visant, notamment, à la coordination de leur comportement en matière de prix sur les différents marchés nationaux; b) à cette occasion, British Steel a dévoilé à ses concurrents, lors d'une réunion rassemblant la plupart d'entre eux, quel serait son comportement futur sur le marché en matière de prix, en les exhortant à adopter le même comportement, et a donc agi avec l'intention expresse d'influencer leurs activités concurrentielles futures; c) le contexte de coordination régulière au sein de la commission poutrelles était tel que British Steel pouvait raisonnablement escompter que ses concurrents se conformeraient dans une large mesure à sa demande ou, à tout le moins, qu'ils en tiendraient compte en arrêtant leur propre politique commerciale; d) les éléments invoqués par la Commission établissent que les entreprises en cause se sont conformées, dans une large mesure, aux propositions de British Steel. En particulier, la requérante n'a apporté aucun élément de nature à établir qu'elle se serait opposée aux demandes de British Steel.

209.
    Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les entreprises en cause ont substitué aux risques de la concurrence normale visée par le traité une coopération pratique entre elles, qualifiée par la Commission, à juste titre, de «pratique concertée» au sens de son article 65, paragraphe 1.

210.
    Quant à l'argument de certaines des requérantes selon lequel la notion de «pratique concertée» au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité suppose que les entreprises se soient livrées aux pratiques qui ont fait l'objet de leur concertation, en particulier en augmentant leurs prix de façon uniforme, il ressort de la jurisprudence du Tribunal relative au traité CE que, pour conclure à l'existence d'une pratique concertée, il n'est pas nécessaire que la concertation se soit répercutée, au sens où l'entendent ces requérantes, sur le comportement des concurrents sur le marché. Il suffit de constater, le cas échéant, que chaque entreprise a nécessairement dû prendre en compte, directement ou indirectement, les informations obtenues lors de ses contacts avec ses concurrents (arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité, point 123). Cette jurisprudence n'est pas mise en cause par les points 64, 126 et suivants de l'arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307), invoqués par lesdites requérantes, qui concernent des questions différentes.

211.
    Le Tribunal estime que cette jurisprudence est transposable au domaine d'application de l'article 65 du traité CECA, dès lors que la notion de pratique concertée y remplit la même fonction que la notion équivalente du traité CE.

212.
    Cette conclusion n'est pas infirmée par le libellé de l'article 65, paragraphe 5, du traité, selon lequel la possibilité, pour la Commission, d'infliger des amendes en raison de «pratiques concertées» n'est prévue que dans l'hypothèse où les intéressés «se livreraient» à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1. Le Tribunal estime, en effet, que des entreprises se livrent à une pratique concertée, au sens de cette disposition, lorsqu'elles participent effectivement à un

mécanisme tendant à éliminer l'incertitude quant à leur comportement futur sur le marché et impliquant, nécessairement, que chacune d'elles prenne en compte les informations obtenues de ses concurrents (voir arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité, point 123). Il n'est donc pas nécessaire que la Commission démontre que les échanges d'informations en cause ont abouti à un résultat spécifique ou à une mise à exécution sur le marché concerné.

213.
    Cette interprétation est confirmée par le libellé de l'article 65, paragraphe 1, du traité qui interdit «toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence». Le Tribunal estime que cette interdiction vise toute pratique concertée qui «a tendance à» ou «est susceptible de» porter atteinte au jeu normal de la concurrence, sans qu'il soit nécessaire de prouver, aux fins d'un constat d'infraction, une atteinte effective et concrète à ce jeu. Dans son arrêt du 20 mars 1957, Geitling e.a./Haute Autorité (2/56, Rec. p. 9, ci-après «arrêt Geitling I»), la Cour a du reste indiqué (p. 40) que, pour parvenir à la constatation qu'un accord fausse ou restreint la concurrence, il n'est pas nécessaire d'en examiner les effets concrets, cette constatation ressortant in abstracto de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

214.
    En tout état de cause, à supposer même qu'il faille retenir l'interprétation défendue par certaines des requérantes, selon laquelle la notion de pratique concertée suppose un comportement sur le marché conforme au résultat de la concertation, cette condition serait remplie en l'espèce, en ce qui concerne le mouvement de prix sur le marché du Royaume-Uni. Il est en effet établi que les entreprises se sont conformées dans une large mesure à la demande de British Steel, ce qui a permis l'imposition effective des nouveaux prix.

215.
    Il découle de l'ensemble de ce qui précède que la requérante n'a établi l'existence d'aucune erreur de droit dans la qualification des comportements en cause au regard des notions d'«accord» ou de «pratique concertée» visées par l'article 65, paragraphe 1, du traité.

b) Sur l'objet et l'effet des ententes et pratiques concertées reprochées

216.
    Selon le point 238 de la Décision, les accords et pratiques concertées dénoncés aux points 223 à 231 «tendaient à» restreindre la concurrence au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité. Au point 221 de la Décision, la Commission identifie l'«objet» des comportements en cause, comme étant, entre autres, celui «de relever et d'harmoniser les prix». Au point 222, après avoir indiqué que l'analyse dudit objet rend superflue la démonstration d'un effet préjudiciable sur la concurrence, la Commission estime néanmoins que cet effet était loin d'être négligeable.

217.
    Dans ses écritures, la requérante n'a pas spécifiquement tiré argument de la différence de formulation entre l'article 65 du traité CECA et l'article 85 du traité CE, en ce que le premier interdit les accords et pratiques «... qui tendraient, sur le marché commun, ...», alors que le second vise les accords ou pratiques ayant «pour objet ou pour effet». Pour autant que la requérante s'est référée à une présentation commune de cet argument lors de l'audience, il y a lieu de le rejeter comme non fondé. Dans la mesure où l'article 65, paragraphe 1, du traité se réfère à des ententes qui «tendraient à» fausser le jeu normal de la concurrence, le Tribunal estime, en effet, que cette expression englobe la formule «ont pour objet» figurant à l'article 85, paragraphe 1, du traité CE. C'est donc à juste titre que la Commission a constaté, au point 222 de la Décision, qu'elle n'était pas tenue de démontrer l'existence d'un effet préjudiciable sur la concurrence pour établir une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité. En tout état de cause, il y a lieu de constater, au vu des nombreux indices selon lesquels les hausses de prix convenues en l'espèce ont été atteintes, que les comportements incriminés, impliquant les principaux producteurs communautaires de poutrelles, ont nécessairement eu un effet non négligeable sur le marché, ainsi que la Commission l'a constaté au point 222 de la Décision.

c) Sur la qualification des comportements incriminés au regard du critère relatif au «jeu normal de la concurrence»

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

218.
    La requérante reproche à la Commission d'avoir, dans la Décision, commis une erreur dans l'interprétation de l'article 65 du traité.

219.
    La requérante expose que le traité, en son titre troisième intitulé «dispositions économiques et sociales», confère à la Commission des compétences et pouvoirs étendus en matière de politique économique, en vue de la réalisation des objectifs fondamentaux du traité (voir, en particulier, les articles 46 à 48, 58 et 60). Les règles en matière de concurrence s'insèrent dans ce titre et ne constituent, d'après elle, que l'un des moyens d'action au service de cette politique, à côté de la compétence d'avis et d'orientation (articles 46 à 48), du contrôle des investissements (articles 54 à 56), du contrôle de la production (articles 57 à 59), du contrôle des prix (articles 60 à 64) et des transports (article 70).

220.
    Toutes ces dispositions auraient même force impérative et il conviendrait donc de les interpréter de manière cohérente. C'est pourquoi, d'après la requérante, l'application correcte de l'article 65 du traité suppose que l'on en détermine la portée en tenant compte du système dans lequel il s'insère et, plus particulièrement, de l'effet sur la concurrence de la mise en oeuvre par la Commission des autres moyens d'action dont elle dispose en vue de la réalisation des objectifs du traité.

221.
    Tout d'abord, l'article 60 du traité imposerait aux opérateurs économiques une politique de prix transparente et uniforme, renforcée, notamment, par les mesures au titre de l'article 70. Les décisions arrêtées par la Commission en vertu de l'article 60, paragraphe 2, du traité auraient abouti à une transparence absolue des prix par la publication de barèmes extrêmement détaillés. Ainsi, un producteur ne pourrait pas suivre une politique de prix sélective, ni tester que le marché supportera une hausse de prix, sans prendre à cet égard une décision nécessairement générale et publique. Les restrictions ainsi imposées à la concurrence sur les prix se trouveraient amplifiées par le fait que les produits sidérurgiques sont pour l'essentiel homogènes et que la demande globale est relativement inélastique, ainsi que par la nature oligopolistique du marché de l'acier.

222.
    Les règles de prix de l'article 60 du traité introduisent ainsi, selon la requérante, un élément de rigidité considérable qui devrait être pris en considération lorsque l'on veut apprécier la portée de l'article 65, en cohérence avec les objectifs fondamentaux du traité tels qu'ils sont définis par son article 3. Cette analyse se retrouverait dans l'arrêt Pays-Bas/Commission, précité (Rec. p. 1076).

223.
    D'autres dispositions du traité limiteraient également le domaine laissé à la concurrence en accroissant la transparence du marché. Ainsi, la requérante expose que, en vertu des articles 46 à 48 du traité, la Commission peut consulter les gouvernements, les divers intéressés et leurs associations, et recueillir les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission tant auprès des entreprises qu'auprès des associations d'entreprises. Elle est tenue, en outre, de publier les objectifs généraux et les programmes prévisionnels qu'elle a établis pour la Communauté à l'issue des enquêtes, de même que toutes les données recueillies auprès des entreprises qui sont susceptibles d'être utiles aux gouvernements ou à tous autres intéressés, sous réserve des informations couvertes par le secret professionnel.

224.
    L'article 58 du traité, qui reconnaît à la Commission le pouvoir d'imposer des quotas de livraison et de production aux entreprises sidérurgiques, aurait également pour effet de limiter la concurrence entre celles-ci.

225.
    Ces diverses dispositions démontreraient que le principe de concurrence de l'article 65 du traité est un principe relatif qui doit tenir compte d'autres dispositions le limitant. La Cour aurait reconnu la nécessaire flexibilité de cette disposition dans son arrêt Pays-Bas/Haute Autorité, précité. Cette jurisprudence ne serait d'ailleurs que le reflet d'un principe plus général selon lequel les règles de concurrence du traité ne sont pas une fin en soi mais ont pour but la réalisation des objectifs fondamentaux du traité. Ainsi, dans son arrêt du 18 février 1962, Geitlinge.a./Haute Autorité (13/60, Rec. p. 165, ci-après «Geitling II»), la Cour aurait-elle souligné que la concurrence résiduelle requise au titre de l'article 65, paragraphe 2, du traité ne saurait se mesurer de manière abstraite mais doit être «la dose de

concurrence nécessaire pour que soit sauvegardée l'exigence fondamentale de l'article 2 (...)».

226.
    La requérante conclut que la référence à la notion de concurrence normale dans l'article 65 du traité, l'existence dans le traité de nombreuses dispositions dont la mise en oeuvre se traduit par un amoindrissement de la concurrence, et la jurisprudence de la Cour soulignant la priorité à donner à la réalisation des objectifs du traité, sont autant d'éléments qui justifient que l'on donne à l'article 65, paragraphe 1, du traité une portée qui tienne compte des réalités économiques et des contraintes qu'elles imposent à la réalisation de l'ensemble des objectifs du traité. Il faudrait également se référer à la situation économique et à la façon dont elle est perçue par la Commission pendant une période donnée pour apprécier la portée de cette disposition à ce moment.

227.
    Une telle flexibilité des règles de concurrence au vu d'impératifs de politique économique ne serait pas incompatible avec le caractère fondamental et rigide de la prohibition énoncée à l'article 4, sous d), du traité, que la requérante ne met pas en cause. Il ressortirait d'ailleurs de l'approche suivie par la Commission durant la période 1977-1990 que celle-ci a partagé cette analyse (voir ci-après).

228.
    Cette flexibilité ne serait pas non plus incompatible avec l'objectif avoué de la Commission d'appliquer mutatis mutandis les mêmes principes au traité CECA et au traité CE. A cet égard, la requérante ne conteste pas la communauté d'inspiration existant entre les deux traités mais insiste sur le fait que, s'agissant de deux traités distincts, il ne peut être question d'une assimilation des articles 85 du traité CE et 65 du traité CECA. Ce serait précisément ce qu'omet de faire la Commission dans la Décision, lorsqu'elle refuse d'examiner la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA en tant que tel, et se borne à invoquer des principes dégagés en application de l'article 85 du traité CE. La requérante, pour sa part, relève que les termes mêmes des deux dispositions diffèrent; que l'article 65 du traité CECA s'insère dans un ensemble de règles destinées à réglementer un marché très spécifique, à savoir celui du charbon et de l'acier; et que la nature et l'étendue des pouvoirs dévolus aux autorités communautaires diffèrent également dans les deux traités, la Commission se voyant plus particulièrement reconnaître, dans le traité CECA, un ensemble de pouvoirs lui permettant d'agir en période de crise. La requérante conclut que, si la Commission peut, dans une affaire relevant du traité CECA, avoir égard aux principes dégagés par les autorités communautaires en application de l'article 85 du traité CE, elle ne peut se limiter à ceux-ci. Cette affirmation serait confirmée par la jurisprudence de la Cour, qui ne se serait jamais prononcée en faveur d'une application identique des deux traités.

229.
    La requérante se réfère, par ailleurs, aux règles de concurrence du traité CE en matière d'agriculture et de transport, dont l'applicabilité peut être limitée dans la mesure nécessaire à la réalisation des objectifs généraux poursuivis par la Communauté dans ces secteurs. Il existerait ainsi, dans les secteurs où les

Communautés ont une compétence économique, un principe général selon lequel la portée des règles de concurrence peut et doit être adaptée à la réalisation des objectifs généraux. La mise en oeuvre de ce principe différerait selon les traités. Dans le cadre du traité CE, des procédures spécifiques auraient été mises en place, permettant à la Commission de se prononcer sur l'inapplicabilité des règles de concurrence. De telles procédures ne seraient normalement pas prévues dans le cadre de l'article 65 du traité CECA. Il s'ensuivrait que la nécessaire flexibilité qu'il convient de donner à cet article doit résulter de l'application d'une règle de raison qui permette de tenir compte, dans la mise en oeuvre des principes que cette disposition énonce, des réalités économiques et des contraintes que celles-ci imposent. Dans un tel contexte, la pratique administrative de la Commission serait d'une extrême importance. Elle servirait de guide aux entreprises et leur permettrait d'apprécier la portée à donner à l'article 65 du traité.

230.
    Or, la requérante fait valoir que la déclaration de crise manifeste impliquait par elle-même la reconnaissance de l'absence de concurrence normale, et que le régime des quotas réduisait sévèrement la portée reconnue à l'article 65 du traité. Certes, ce régime n'a pas été prorogé en juillet 1988, mais cette non-prorogation n'aurait pas été liée à une modification du contexte économique ou de l'appréciation de la portée de l'article 65 du traité par la Commission. Elle trouverait son origine dans la volonté de la Commission de sanctionner les entreprises pour ne pas s'être entendues sur une réduction concertée de leurs capacités de production.

231.
    La requérante soutient, dès lors, que les pratiques auxquelles elle a participé n'étaient pas contraires à l'article 65 du traité, tel que celui-ci devait être interprété, et a effectivement été interprété, par la Commission, durant la période concernée.

232.
    Selon elle, les caractéristiques du marché et l'existence d'une crise profonde, de graves problèmes structurels et la nécessité de préserver tout début de redressement du marché, ont amené la Commission et les entreprises à reconnaître à l'article 65 du traité une portée qui tienne compte des contraintes économiques et de leur impact sur la concurrence normale. Cette approche aurait permis la mise en oeuvre d'un strict régime de quotas jusqu'au milieu de l'année 1988 et, ensuite, d'un régime de transparence destiné à faciliter un comportement rationnel des entreprises tenant compte des conditions de marché.

233.
    Durant toute la période concernée par la Décision, l'attitude des entreprises aurait été calquée sur celle de la Commission, aurait été encouragée par celle-ci, et se serait inscrite dans la poursuite des objectifs du traité CECA, en ce compris le maintien de la concurrence normale visée à l'article 65 (voir, pour un exposé plus détaillé des arguments de la requérante sur ces questions, la partie C ci-après).

234.
    En condamnant ces pratiques, et en imposant à la requérante une amende de 4 000 000 écus, la Commission aurait donc violé l'article 65 du traité.

235.
    Cette présentation a été complétée, à l'audience, par une plaidoirie commune ainsi que par un exposé du Pr Steindorff.

236.
    Dans le cadre de leur plaidoirie commune, les requérantes ont notamment souligné que le principe d'économie de marché inhérent au traité CE doit être opposé au principe d'économie gérée du traité CECA. Elles ont cité, à ce propos, l'ouvrage du Pr Paul Reuter, La Communauté européenne du charbon et de l'acier (Paris, LGDJ, 1953), selon lequel «la concurrence établie par le traité n'est pas et ne peut pas être la libre concurrence, mais seulement une concurrence loyale et réglée» (p. 143), selon des règles «qui rapprochent [les] conditions de fonctionnement [des entreprises] de celles des services publics» (p. 205). La concurrence «normale» du traité CECA n'aurait qu'un caractère subordonné, comme le démontreraient les dispositions relatives à la publication des barèmes en fonction de points de parité déterminés (article 60, paragraphe 2), à l'obligation de transparence (articles 46 à 48) et à la possibilité de suspendre la concurrence (articles 61, 53 et 58). Dans le cadre de ce traité, la concurrence ne constituerait qu'un instrument parmi d'autres (voir arrêt de la Cour du 13 avril 1994, Banks, C-128/92, Rec. p. I-1209). Dans la mesure où la Commission a pour tâche de concilier les objectifs du traité et, ainsi, de déterminer l'application et le contenu des règles de concurrence (voir le Vingtième Rapport sur la politique de concurrence, point 120), elle serait censée agir en étroite coopération avec les entreprises.

237.
    Dans son exposé, le Pr Steindorff a conclu à la nécessité d'une appréciation restrictive de l'article 65, à la lumière de l'ensemble du traité CECA, qui se caractériserait par certains objectifs politiques liés aux spécificités du secteur. Les discussions entre entreprises relevant du système prévu par les articles 46 à 48 du traité n'auraient jamais été considérées comme une infraction à l'article 65 (voir le rapport de la délégation française sur le traité CECA et la convention relative aux dispositions transitoires, 1951, et l'ouvrage du Pr Paul Reuter, précité). Elles feraient en effet partie du jeu normal de la concurrence à la condition que la Commission les dirige ou, en cas d'initiative propre aux entreprises, que celles-ci agissent de bonne foi et en vue de préparer leurs discussions avec la Commission. L'article 60 du traité aurait été conçu de manière à limiter les sous-cotations et à protéger les relations existantes entre les fabricants et les clients. Replacé dans le cadre du traité CE, un tel système serait incompatible avec son article 85. Compte tenu des difficultés liées à la mise en oeuvre de l'article 60 du traité, reconnues par la Commission, un échange sur des prix qui, de toute façon, sont censés être publiés ne serait pas contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité.

Appréciation du Tribunal

238.
    L'argumentation de la requérante se fonde sur trois éléments principaux: le contexte législatif de l'article 65, paragraphe 1, l'article 60 du traité et les articles 46 à 48 du traité.

— Contexte dans lequel s'inscrit l'article 65, paragraphe 1, du traité

239.
    Il convient de rappeler tout d'abord que, en l'espèce, les entreprises ont conclu divers accords relatifs aux prix à appliquer au cours d'un trimestre donné ou, à tout le moins, qui devaient être considérés comme l'objectif qu'elles s'efforçaient d'atteindre d'un commun accord (voir point 225, second alinéa, de la Décision). Quant à la pratique concertée relative aux prix sur le marché du Royaume-Uni, elle a permis d'assurer que le niveau des prix des producteurs continentaux ne compromettrait pas les hausses annoncées par British Steel. Il ne s'agit donc pas de simples «échanges de vues entre producteurs» quant à leurs «estimations des prix de marché», comme le prétend la requérante.

240.
    Au regard de la finalité de l'article 65, paragraphe 1, du traité, qui est de sauvegarder l'exigence d'autonomie des entreprises sur le marché afin de faire respecter la prohibition, imposée par l'article 4, sous d), des «pratiques restrictives tendant à la répartition ou à l'exploitation des marchés», une telle coordination des comportements, réalisée par la voie d'un accord ou d'une pratique concertée en vue d'atteindre des objectifs de prix déterminés, doit être considérée comme tendant «à fixer [...] les prix» au sens dudit article 65, paragraphe 1, et donc comme contraire à cette disposition.

241.
    L'argument de la requérante selon lequel l'article 65, paragraphe 1, du traité aurait un contenu «souple» ou «flexible» et devrait être interprété en fonction, notamment, de la situation économique ou de l'effet de l'action de la Commission sur la concurrence à un moment donné, ne sauraient justifier une lecture de cette disposition contraire à sa finalité objective, telle qu'elle se dégage de son libellé et de son contexte normatif. Par ailleurs, la déclaration du gouvernement français du 9 mai 1950, qui a précédé la rédaction du traité, indique: «A l'opposé d'un cartelinternational tendant à la répartition et à l'exploitation des marchés nationaux par des pratiques restrictives et le maintien de profits élevés, l'organisation projetée assurera la fusion des marchés et l'expansion de la production.»

242.
    S'il est vrai que le caractère oligopolistique des marchés visés par le traité peut, dans une certaine mesure, atténuer les effets de la concurrence (voir arrêt Geitling II, p. 211 et 212), cette considération ne justifie pas une interprétation de l'article 65 autorisant des comportements d'entreprises qui, comme en l'espèce, réduisent encore davantage la concurrence, par le biais notamment des activités de fixation de prix. Au vu des conséquences que peut avoir la structure oligopolistique du marché, il est d'autant plus nécessaire de protéger la concurrence résiduelle (voir, en ce qui concerne l'application de l'article 65, paragraphe 2, du traité, l'arrêt Geitling II, p. 212). Le même raisonnement s'applique aux autres facteurs invoqués par la requérante, tels que le caractère homogène des produits ou le fait que la demande soit relativement inélastique.

243.
    Quant aux orientations planificatrices du traité, le Tribunal a déjà rappelé que son article 4, sous d), qui est notamment mis en oeuvre par l'article 65, paragraphe 1, comporte une prohibition rigide qui caractérise le système instauré par le traité (avis 1/61, précité, p. 519; arrêt Banks, précité, points 11, 12 et 16). L'objectif de libre concurrence présente donc, au sein du traité, un caractère autonome, et il a donc la même force impérative que les autres objectifs fondamentaux du traité fixés aux articles 2 à 4 (voir arrêts de la Cour France/Haute Autorité, précité, p. 23, et du 21 juin 1958, Groupement des hauts fourneaux et aciéries belges/Haute Autorité, 8/57, Rec. p. 223, 242).

244.
    Pareillement, la nécessité de concilier en permanence les objectifs de l'article 3 du traité (arrêt de la Cour du 18 mars 1980, Valsabbia e.a./Commission, 154/78, 205/78, 206/78, 226/78, 227/78, 228/78, 263/78 et 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, Rec. p. 907, points 53 à 55), de même que la thèse selon laquelle l'article 65, paragraphe 1, doit être appliqué uniquement dans une mesure compatible avec les objectifs de politique industrielle consacrés par le traité, n'affectent pas la portée de l'article 4, sous d), ni celle de l'article 65, paragraphe 1, disposition qui prohibe de façon générale les ententes tendant à fausser le jeu normal de la concurrence (voir arrêt de la Cour du 15 juillet 1960, Präsident e.a./Haute Autorité, 36/59, 37/59, 38/59 et 40/59, Rec. p. 857, 891).

245.
    L'argumentation de la requérante tirée d'un prétendu «alignement» du traité CECA sur le traité CE est donc dépourvue de pertinence, étant donné que les accords et pratiques concertées de fixation de prix dont il est question en l'espèce sont, en eux-mêmes, clairement interdits par l'article 65, paragraphe 1, indépendamment d'un quelconque «alignement» des deux traités.

246.
    Il en va de même de l'argumentation de la requérante, tirée d'une comparaison avec les règles de concurrence du traité CE en matière d'agriculture et de transport.

247.
    La question de savoir si, durant la période visée par la Décision, les entreprises concernées ont calqué leur attitude sur celle de la Commission, ou ont été encouragées par celle-ci à se livrer aux pratiques en cause, fera l'objet d'un examen détaillé dans la partie C ci-après.

— Article 60 du traité

248.
    S'agissant des arguments de la requérante fondés sur l'article 60 du traité, il convient de rappeler que cette disposition, qui met en oeuvre les dispositions de l'article 4, sous b), du traité, interdit en son paragraphe 1:

« —    les pratiques déloyales de concurrence, en particulier les baisses de prix purement temporaires ou purement locales tendant, à l'intérieur du marché commun, à l'acquisition d'une position de monopole;

—    les pratiques discriminatoires comportant, dans le marché commun, l'application par un vendeur de conditions inégales à des transactions comparables, notamment suivant la nationalité des acheteurs».

249.
    L'article 60, paragraphe 2, sous a), du traité rend obligatoire, aux fins énoncées ci-dessus, la publication des barèmes des prix et des conditions de vente appliqués sur le marché commun. Selon l'article 60, paragraphe 2, sous b), les modes de cotation appliqués ne doivent pas avoir pour effet d'introduire dans les prix pratiqués par une entreprise sur le marché commun, ramenés à leur équivalent au départ du point de parité choisi pour l'établissement de son barème, des majorations par rapport au prix prévu par ledit barème pour une transaction comparable, ni des rabais sur ce prix dont le montant excède notamment la mesure permettant d'aligner l'offre faite sur le barème, établi sur la base d'un autre point de parité, qui procure à l'acheteur les conditions les plus avantageuses au lieu de livraison.

250.
    Selon une jurisprudence constante, la publicité obligatoire des prix prévue par l'article 60, paragraphe 2, du traité a pour but, premièrement, d'empêcher autant que possible les pratiques interdites, deuxièmement, de permettre aux acheteurs de se renseigner exactement sur les prix et de participer également au contrôle des discriminations et, troisièmement, de permettre aux entreprises de connaître exactement les prix de leurs concurrents, pour leur donner la possibilité de s'aligner (voir les arrêts de la Cour France/Haute Autorité, précité, p. 24, et du 12 juillet 1979, Rumi/Commission, 149/78, Rec. p. 2523, point 10).

251.
    Il y a lieu d'admettre que le régime visé par l'article 60 du traité, et en particulier l'interdiction de s'écarter du barème, même temporairement, constitue une restriction importante de la concurrence.

252.
    Le Tribunal estime toutefois que, dans le cas d'espèce, l'article 60 du traité est dépourvu de pertinence pour l'appréciation, au regard de l'article 65, paragraphe 1, des comportements reprochés à la requérante.

253.
    En premier lieu, dans la mesure où les arguments de la requérante se fondent sur l'idée qu'il s'agit en l'espèce de simples «échanges de vues entre producteurs» quant à leurs «estimations des prix de marché», ils sont inopérants dès lors que, comme le Tribunal vient de le constater, la requérante a participé à des accords et pratiques concertées visant à fixer les prix.

254.
    En deuxième lieu, il est de jurisprudence constante que les prix qui figurent dans les barèmes doivent être fixés par chaque entreprise de façon indépendante, sans accord, même tacite, entre elles (voir arrêts France/Haute Autorité, précité, p. 31, et Pays-Bas/Haute Autorité, précité, p. 1077). En particulier, le fait que les dispositions de l'article 60 ont tendance à restreindre la concurrence n'empêche pas l'application de l'interdiction des ententes prévue par l'article 65, paragraphe 1, du traité (arrêt Pays-Bas/Haute Autorité, précité).

255.
    En troisième lieu, l'article 60 du traité ne prévoit aucun contact entre les entreprises, préalable à la publication des barèmes, aux fins d'une information mutuelle sur leurs prix futurs. Or, dans la mesure où de tels contacts empêchent que ces mêmes barèmes soient fixés de façon indépendante, ils sont susceptibles de fausser le jeu normal de la concurrence, au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

256.
    Au surplus, à supposer même qu'à l'époque le système de l'article 60 du traité n'ait pas fonctionné comme le prévoit le traité (voir, notamment, le document de travail de la Commission joint en appendice 5, document 2, à la requête dans l'affaire T-151/94), il ressort de l'économie de ses articles 4, 60 et 65 que le traité protège à la fois l'intérêt à l'application de prix non discriminatoires et publics, d'une part, et celui d'une concurrence non faussée par des arrangements collusoires, d'autre part. Le Tribunal ne saurait donc accepter que le non-respect par les entreprises concernées des règles protégeant le premier intérêt entraîne l'inapplicabilité de celles protégeant le second. Il incombait du reste aux entreprises de respecter elles-mêmes les dispositions de l'article 60 du traité, plutôt que d'établir entre elles une coordination privée en matière de prix, en prétendue substitution de cette disposition dont la mise en oeuvre relève de la responsabilité de la Commission.

257.
    En tout état de cause, des accords entre producteurs ne sauraient être assimilés au système de l'article 60 du traité, ne serait-ce que parce qu'ils ne permettent pas aux acheteurs de se renseigner exactement sur les prix ni de participer au contrôle des discriminations (voir arrêts France/Haute Autorité, précité, p. 24, et Rumi/Commission, précité, point 10).

— Articles 46 à 48 du traité

258.
    Quant aux arguments développés sur la base des articles 5 et 46 à 48 du traité, il convient de rappeler que, aux termes de l'article 5, deuxième alinéa, premier tiret, du traité, la Communauté éclaire et facilite l'action des intéressés en recueillant des informations, en organisant des consultations et en définissant des objectifs généraux. Selon l'article 5, deuxième alinéa, troisième tiret, la Communauté assure l'établissement, le maintien et le respect de conditions normales de concurrence et n'exerce une action directe sur la production et le marché que lorsque les circonstances l'exigent. L'article 46 du traité dispose, notamment, que la Commission doit, en recourant aux consultations avec les entreprises, effectuer une étude permanente de l'évolution des marchés et des tendances des prix et établir périodiquement des programmes prévisionnels de caractère indicatif portant sur la production, la consommation, l'exportation et l'importation. L'article 47 du traité dispose que la Commission peut recueillir les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission, dans le respect du secret professionnel. L'article 48 du traité dispose, notamment, que les associations d'entreprises peuvent exercer toute activité qui n'est pas contraire aux dispositions du traité, qu'elles sont en droit de soumettre à la Commission les observations de leurs membres dans les cas où le traité prévoit la consultation du Comité consultatif institué par l'article 18 du

traité et qu'elles sont tenues de fournir à la Commission les informations que celle-ci estime nécessaires sur leur activité.

259.
    Aucune des dispositions précitées ne permet aux entreprises d'enfreindre la prohibition de l'article 65, paragraphe 1, du traité en concluant des accords ou en se livrant à des pratiques concertées de fixation de prix du type de celles dont il est question en l'espèce.

260.
    Pour le surplus, les arguments relatifs à la prétendue nécessité, pour les entreprises, d'échanger des informations entre elles, dans le cadre de leur coopération avec la DG III après le 1er juillet 1988, seront traités d'une façon détaillée dans la partie C ci-après.

261.
    Sous cette réserve, il découle de ce qui précède que la Commission n'a pas méconnu la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité, ni appliqué à tort les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE aux faits de la présente espèce. De même, les explications que la Commission a données aux points 239 à 241 de la Décision constituent une motivation suffisante de cet aspect de la Décision.

262.
    Il en résulte que, sous cette même réserve, l'ensemble des arguments développés à l'encontre de la qualification des comportements reprochés à la requérante comme accords ou pratiques concertées de fixation de prix cibles, aux points 224 à 231 de la Décision, doivent être rejetés.

Sur les accords portant sur l'harmonisation des suppléments (extras)

263.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir participé à un comportement qualifié d'«harmonisation des suppléments». D'après les points 122 à 129 (pour la partie en fait) et 244 à 246 (pour l'appréciation juridique) de la Décision, les entreprises en cause ont passé, lors des réunions de la commission poutrelles des 15 novembre 1988, 19 avril 1989 et 6 juin 1989, trois accords successifs d'harmonisation des suppléments.

264.
    Sans nier qu'il s'agisse bien d'accords portant sur l'harmonisation des prix des suppléments, la requérante fait valoir que, en participant, jusqu'à la fin de 1989, aux travaux relatifs à l'harmonisation des suppléments, elle n'a jamais eu pour objectif de restreindre la concurrence, mais bien au contraire de préserver l'effet utile de l'article 60 du traité. Selon elle, la multiplication des extras par les producteurs risque de rendre toute comparaison de prix par le consommateur excessivement complexe, voire pratiquement impossible, tandis que l'harmonisation des écarts permet une comparaison aisée des offres des différents producteurs.

265.
    La requérante ajoute que, dans le cadre d'une inspection faite au titre de l'article 65 du traité auprès du groupement belge de la sidérurgie, au début de l'année

1976, les fonctionnaires de la DG IV ont accepté des explications semblables à celles actuellement fournies, et n'ont manifesté aucun intérêt pour les documents relatifs à un certain nombre de réunions, que le groupement offrait de leur fournir (voir annexe 5 à la requête). Les entreprises auraient été en droit de déduire de cette entrevue que les fonctionnaires de la Commission n'étaient pas préoccupés par la problématique d'harmonisation des extras, et ne souhaitaient pas en connaître l'étendue exacte. Cet élément, ajouté au caractère public de l'exercice, les aurait amenées à conclure, en l'absence de réaction négative de la Commission, que celui-ci était parfaitement légal. La requérante aurait donc, en toute bonne foi, pu considérer que sa participation aux harmonisations des écarts, en 1989, était compatible avec l'article 65 du traité, et même souhaitable au titre de l'article 60 du traité. La mise en oeuvre de cette pratique se serait d'ailleurs faite au travers de la publication des barèmes communiqués à la Commission. La Commission arguerait, par ailleurs, en vain, compte tenu de la parfaite similarité des barèmes des extras qui lui étaient communiqués, qu'ils ne lui permettaient pas d'apprécier qu'ils résultaient d'une concertation.

266.
    Le Tribunal relève que la requérante ne conteste aucune des constatations de fait et déductions de fait opérées aux points 122 à 129 et 244 à 246 de la Décision, concernant la conclusion des accords qui y sont dénoncés et l'identification de leur objet, qui était non seulement d'harmoniser mais aussi de relever les prix des suppléments. Elle se borne à affirmer que la Commission avait connaissance de ces comportements, dont le but aurait été de préserver l'effet utile de l'article 60 du traité, et qu'elle-même était donc en droit de conclure que les accords en question n'étaient pas contraires à l'article 65, paragraphe 1, du traité.

267.
    Le Tribunal rappelle que les suppléments sont un élément constitutif du prix des poutrelles. Les documents cités aux points 122 à 129 de la Décision reflètent d'ailleurs le souci constant des participants d'éviter que le relèvement du prix des suppléments ne provoque une chute des prix de base, ce qui établit la complémentarité des accords portant fixation des prix des uns et des autres.

268.
    Il s'ensuit que leur fixation de commun accord est interdite par l'article 65, paragraphe 1, du traité.

269.
    Par ailleurs, à supposer même que l'harmonisation de la structure des suppléments (dimensions, qualités, etc.) puisse avoir une certaine utilité dans le contexte de la publication des barèmes conformément à l'article 60 du traité, force est de constater qu'il s'agit en l'espèce d'accords portant non seulement sur la structure, mais sur les prix des suppléments et, notamment, sur l'augmentation de ces prix à trois reprises entre le 15 novembre 1988 et le 6 juin 1989. Étant donné que l'article 60 du traité n'autorise nullement des accords en matière de prix, les arguments de la requérante fondés sur cette disposition sont inopérants.

270.
    Force est de constater, en outre, qu'aucun élément du dossier soumis au Tribunal ne permet d'établir que la Commission a toléré des accords de fixation de prix sous

forme d'une harmonisation des montants des suppléments, ou en a simplement eu connaissance. Après avoir examiné, en particulier, les speaking notes invoquées par les requérantes à l'audience, le Tribunal constate qu'elles ne contiennent que des informations générales sur les tendances probables des prix des suppléments ou sur l'acceptation des nouveaux suppléments par le marché. Elles ne permettaient donc pas à la Commission de conclure à l'existence d'accords ou de pratiques concertées en la matière (voir aussi partie C ci-après).

271.
    De même, le fait que la Commission ait pu constater des similarités dans les barèmes des entreprises ne suffit pas, à lui seul, à établir qu'elle avait connaissance des accords concernés, et encore moins qu'elle les a approuvés.

272.
    Dans la mesure où la requérante se réfère à l'enquête menée par la Commission auprès du groupement belge de la sidérurgie, évoquée dans une note du 24 février 1976 (annexe 5 à la requête), ce document n'est pas de nature à confirmer ses allégations. Il en ressort, en effet, que le représentant du groupement avait présenté les réunions faisant l'objet de l'enquête comme «indispensables pour amener une certaine transparence du marché et une homogénéité dans les qualités». Aucun de ces objectifs ne supposait une harmonisation des montants des suppléments, et encore moins une augmentation de ces montants. Au surplus, le même document fait état, dans le domaine des contacts internationaux entre entreprises, d'une déclaration de la même personne selon laquelle ces contacts ne donnaient pas lieu à des «accords de prix».

273.
    En conséquence, et sous réserve de l'argumentation examinée dans la partie C ci-après, les griefs de la requérante relatifs à la constatation par la Commission, aux points 122 à 129 et 244 à 246 de la Décision, d'accords portant sur l'harmonisation des suppléments en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité doivent être rejetés dans leur ensemble.

Sur la répartition des marchés opérée dans le cadre de la «méthodologie Traverso»

274.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir participé à une répartition des marchés qu'elle appelle «système Traverso». La période retenue aux fins de l'amende infligée en raison de cette participation est de trois mois. Les motifs qui sous-tendent ce reproche figurent aux points 72 à 79 (pour la partie en fait) et 254 à 259 (pour l'appréciation juridique) de la Décision.

275.
    Aux points 254 à 259 de la Décision, la Commission expose notamment que le système litigieux «a été mis en place le 19 juillet 1988 ou peu avant cette date» et qu'il a «fonctionné pour le quatrième trimestre de 1988». A l'aide de ce système, les entreprises participantes, à savoir Peine-Salzgitter, Thyssen, Klöckner, Saarstahl, Unimétal, Ferdofin, TradeARBED, British Steel et la requérante, se seraient «efforcées d'ajuster l'offre et la demande» (point 254).

276.
    Selon la Commission, les entreprises notifiaient leurs plans en matière de livraisons à M. Traverso, alors président du CDE (voir point 31 de la Décision). Celui-ci était en mesure de proposer à n'importe laquelle de ces entreprises des modifications lorsqu'il le jugeait utile (point 256). Distribués ensuite aux entreprises participantes, ces chiffres prenaient la forme de «plans de livraison» pour chaque société et chacun des marchés concernés (points 256 et 257). La Commission affirme par ailleurs que le président du CDE et Eurofer prenaient contact avec les entreprises qui ne se conformaient pas à ces chiffres et leur enjoignaient de respecter la structure traditionnelle des échanges. Les entreprises participantes se seraient ainsi livrées à une pratique concertée interdite par l'article 65, paragraphe 1, du traité «[e]n se révélant mutuellement leurs plans en matière de livraison et en mettant en pratique les recommandations du président du CDE» (point 258 de la Décision).

277.
    Selon la requérante, le système Traverso n'avait ni pour objet ni pour effet de restreindre la concurrence. Il n'impliquait pas la communication d'informations aux concurrents, les recommandations restant confidentielles, et il ne comportait aucune obligation pour l'entreprise destinataire. Il aurait été envisagé au début de la période de transition qui a succédé à la fin du régime des quotas, dans le contexte du régime de surveillance mis en place par la Commission dans sa décision n° 2448/88.

278.
    La requérante admet que, à l'occasion d'une tentative de mise en place d'un tel système pour le quatrième trimestre de 1988, les intentions de livraison pour ce trimestre, communiquées au secrétaire du CDE, furent, par erreur, transmises aux entreprises participantes. Cet incident n'aurait cependant eu aucune répercussion sur les livraisons effectuées par elles compte tenu de l'absence de caractère obligatoire du système, ce que démontreraient les importants écarts entre les chiffres des intentions de vente et ceux des livraisons effectuées (voir tableau repris au point 100 de la communication des griefs).

279.
    Les conclusions tirées par la Commission, au point 257 de la Décision, de la correspondance échangée entre British Steel et Unimétal à la fin de l'année 1988 (voir point 77 de la Décision), seraient la généralisation abusive d'une conclusion qui ne vaut que pour les deux sociétés concernées, ainsi que la Commission l'aurait admis au point 105 de la communication des griefs. A ce propos, la requérante souligne que les termes «sociétés en cause», employés audit point 105, visent clairement les deux sociétés mentionnées dans la correspondance sur laquelle s'appuie la Commission, à savoir British Steel et Unimétal, et non l'ensemble des «entreprises concernées», comme le soutient la Commission dans son mémoire en défense. Par ailleurs, même si l'on admet que la Commission visait, au point 105 de la communication des griefs, l'ensemble des entreprises, la requérante souligne que la Commission ne dispose en l'espèce d'aucun élément de preuve pour étendre le comportement de British Steel et d'Unimétal à l'ensemble des entreprises concernées par la Décision. Elle ajoute que l'importance des écarts entre les livraisons et les estimations démontre que la crainte de mesures de rétorsion,

mentionnée au point 77 de la Décision, était inopérante. La Commission aurait également reconnu que le système ne fonctionnait pas très efficacement (voir point 76 de la Décision) et qu'il a été abandonné au début de 1989 (voir point 78 de la Décision). A cet égard, la requérante fait valoir que, si la méthodologie Traverso avait été perçue par l'ensemble ou une majorité des producteurs comme importante, ceux-ci auraient tout mis en oeuvre pour en assurer l'efficacité.

Appréciation du Tribunal

280.
    Les conclusions de la Commission, selon lesquelles la requérante a participé à une pratique concertée dénommée «système Traverso» pendant le quatrième trimestre de 1988, s'appuient sur les preuves suivantes:

—    un extrait du procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 19 juillet 1988 (voir point 72 de la Décision, document n° 2207);

—    une télécopie d'Eurofer aux sociétés ARBED/TradeARBED, British Steel, Cockerill-Sambre, Usinor Sacilor, Ferdofin, Klöckner, Saarstahl, Thyssen et Peine-Salzgitter, reçue par cette dernière le 4 août 1988, qui évoque un «tableau donnant les intentions de livraisons finales réunies à la fin de ladernière réunion du CDE des 27 et 28 juillet 1988 à Paris» (point 74 de la Décision, document n° 3380);

—    une note interne (non datée) de Peine-Salzgitter qui compare les intentions de vente de Peine-Salzgitter, Thyssen, Klöckner, Saarstahl, Unimétal, Ferdofin, Cockerill-Sambre, TradeARBED et British Steel pour le quatrième trimestre de 1988 par rapport aux livraisons effectuées (point 75 de la Décision);

—    un télex d'Unimétal à British Steel du 28 novembre 1988 et la réponse de British Steel du 6 décembre 1988 (point 77 de la Décision, documents n°s 1989 et 1986).

281.
    Le Tribunal estime que les pièces susvisées prouvent, à suffisance de droit, que les entreprises concernées se sont livrées à une pratique concertée pendant le quatrième trimestre de 1988, en se révélant mutuellement leurs plans de livraison avec l'intention de mettre en pratique les recommandations du président du CDE, de façon à ajuster l'offre à la demande. En effet, la communication des «intentions de ventes» à Eurofer est expressément prévue dans le schéma consigné dans le procès-verbal de la réunion du 19 juillet 1988, de même que l'examen de ces chiffres au regard des estimations de marché et des modifications consécutives, à proposer par M. Traverso, au cas où les intentions communiquées «[s'écarteraient] de façon significative des données historiques» (point 72, document n° 2207). Conformément à cette idée, des «intentions de livraisons finales» ont été «réunies» lors de la réunion du CDE des 27 et 28 juillet suivants à Paris (télécopie du 4 août

1988, point 74 de la Décision, document n° 3380). Par ailleurs, dans le tableau visé dans cette télécopie (voir point 75 de la Décision, documents n°s 3383 et 3384), la somme des «intentions de livraison» pour chaque marché correspond au chiffre indiqué à titre de «nouvelle estimation de marché». Dans la télécopie elle-même, il est expliqué: «En plus des chiffres examinés à Paris, quelques ajustements de moindre importance ont été effectués pour les marchés anglais et danois.»

282.
    Le Tribunal relève d'ailleurs que, lors de la réunion du 19 juillet 1988, il a été fait référence à «l'équilibre qui s'impose» (voir point 72 de la Décision). Dans le même sens, la télécopie du 4 août 1988 fait part de l'attente du président du CDE de voir les sociétés concernées ne pas dépasser le niveau des «intentions» alors communiquées et auxquelles, comme il y est dit, «est liée la stabilité des prix». Ces indications démontrent que les entreprises concernées ont accepté lesdites intentions et que l'objectif du système était bien de faire coïncider les «intentions de livraison» avec les «estimations de marché» (voir le point 72 ainsi que le tableau cité au point 75 de la Décision).

283.
    Or, cet objectif n'aurait guère pu être atteint si les entreprises, ne connaissant pas les chiffres définitifs retenus dans le cas de leurs concurrents, n'avaient pas pu en contrôler le respect. Un tel contrôle a d'ailleurs été effectué, après la diffusion du tableau litigieux, tant par Peine-Salzgitter (voir sa note interne citée au point 75 de la Décision) que par British Steel et Unimétal (voir les télex cités au point 77 de la Décision). Au surplus, rien n'indique que ces entreprises ont considéré comme anormale cette diffusion de données individuelles entre concurrents. Il s'ensuit que, contrairement à l'affirmation de la requérante, le système Traverso impliquait bien la communication d'informations entre concurrents.

284.
    Il s'ensuit également que la «méthodologie Traverso» ne constituait pas un simple échange d'information, sans obligation à charge des participants. La télécopie du 4 août 1988 est rédigée en termes contraignants, à tout le moins moralement («Notre président attend de toutes les sociétés qu'elles ne dépassent pas le niveau de ces intentions de vente, auxquelles est liée la stabilité des prix»). De même, le procédé en cause ne peut pas s'expliquer par la coopération avec la Commission dans le cadre du «monitoring» mis en place par la décision n° 2448/88, laquelle prévoyait des déclarations à adresser à la Commission elle-même (et non à des instances ou interlocuteurs privés), concernant les livraisons effectives pendant une période antérieure à chaque déclaration (et non les «intentions» des entreprises intéressées).

285.
    Enfin, le fait que la requérante n'ait pas été partie à l'échange de correspondance entre Unimétal et British Steel (point 77 de la Décision) n'empêche pas que cet échange puisse être pris en compte en tant qu'indice sérieux tendant à établir l'objet du système Traverso. Cette correspondance témoigne en effet de l'idée que les chiffres distribués étaient censés être respectés par les participants au système. Il convient par ailleurs de rejeter l'argument de la requérante selon lequel l'expression «les sociétés en cause», figurant au point 105 de la communication des

griefs, ne viserait que British Steel et Unimétal. Il ressort en effet clairement de la seconde phrase dudit point, qui fait notamment référence aux «autres participants», que la Commission y vise l'ensemble des entreprises ayant adhéré au système Traverso.

286.
    En ce qui concerne la requérante, il convient de rappeler qu'elle a participé à la réunion de la commission poutrelles du 19 juillet 1988 [point 38, sous i), de la Décision], qu'elle était destinataire de la télécopie du 4 août 1988 et que ses propres intentions de livraisons figuraient au tableau qui y était joint. Sa participation à la pratique concertée en cause est donc prouvée à suffisance de droit.

287.
    Par ailleurs, le fait que le système Traverso ne fonctionnait pas très efficacement (voir point 76 de la Décision), comme le démontrerait l'écart entre les chiffres des intentions de vente et ceux des livraisons effectuées, n'empêchait pas la Commission de constater l'infraction dans son principe.

288.
    Sous réserve des considérations examinées dans la partie C ci-après, il y a donc lieu de rejeter l'ensemble des arguments de la requérante en rapport avec le système Traverso.

Sur l'accord portant répartition du marché français au quatrième trimestre de 1989

289.
    L'article 1er de la Décision retient, à charge de la requérante, une répartition du marché français et indique, à titre de référence pour l'amende, une période de trois mois.

290.
    Au soutien de ce reproche, la Commission fait état, aux points 63 à 71 (partie en fait) et 260 à 262 (partie en droit) de la Décision, d'un accord de répartition des livraisons sur le marché français, relatif au quatrième trimestre de 1989. Cet accord aurait été conclu lors de la réunion de la commission poutrelles du 21 septembre 1989 ou aux environs de cette date, entre les sociétés Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, Ferdofin, Cockerill-Sambre, TradeARBED, British Steel, Ensidesa et Unimétal. Selon la Commission, Ensidesa n'a pas participé activement à l'élaboration du système, mais s'y est conformée.

291.
    La requérante nie toute participation à l'accord en cause.

292.
    Elle fait tout d'abord valoir qu'il n'existe aucune preuve de sa participation à la réunion du 13 septembre 1989 dans les locaux de la Walzstahl-Vereinigung qui, selon la Commission, aurait eu pour objet de trouver une clé de répartition du marché français (voir points 63 et 261 de la Décision), mais dont la Commission ne posséderait aucun compte rendu officiel (voir point 199 de la communication des griefs). Elle admet avoir participé à une réunion à Düsseldorf le 13 septembre 1989, mais nie que cette réunion l'ait impliquée dans la mise au point de l'accord

en question. A cet égard, il ressortirait de la description des faits reprise au point 198 de la communication des griefs que ce n'est pas une mais deux réunions qui se sont tenues ce jour-là à Düsseldorf. L'une de ces réunions serait celle d'un groupe appelé «VA Profilstahl» qui, de l'avis même de la Commission (voir point 289 de la communication des griefs), regroupe les membres de la Walzstahl-Vereinigung, association dont la requérante n'était pas membre. Rien n'indiquerait que cette dernière réunion n'ait pas été celle au cours de laquelle les livraisons individuelles sur le marché français ont été discutées, d'autant que le document auquel se réfère la Commission au point 63 de la Décision a été rédigé par la Walzstahl-Vereinigung.

293.
    La requérante concède que le document en question, découvert par la Commission dans les bureaux de Peine-Salzgitter, mentionne des tonnages pour Cockerill-Sambre. Elle fait toutefois valoir que ces tonnages auraient pu être calculés en son absence, puisqu'ils se fondaient sur des pourcentages se rapportant à des livraisons antérieures.

294.
    En tout état de cause, de l'aveu même de la Commission (voir point 200 de la communication des griefs), la réunion du 13 septembre 1989 n'aurait pas permis aux participants de parvenir à un accord.

295.
    La requérante renvoie ensuite aux points 66 et 67 de la Décision, où la Commission affirme qu'un accord, dont le contenu serait confirmé par un télex du 26 septembre 1989, a été obtenu par la suite. La Commission reconnaîtrait, au point 67, que ce télex a été adressé à toutes les entreprises pour lesquelles des tonnages sont mentionnés, à l'exception de Cockerill-Sambre. Il s'ensuivrait logiquement que celle-ci ne participait pas aux discussions, attitude qui s'inscrirait d'ailleurs dans le cadre général de son désengagement du secteur des poutrelles à la fin de 1989.

296.
    En réponse au point 69 de la Décision, où la Commission souligne que seules trois entreprises ont largement dépassé les quantités prévues pour le marché français dans le télex du 26 septembre 1989, la requérante renvoie au point 210 de la communication des griefs, qui reprend l'ensemble des tonnages effectivement livrés par les entreprises. Il en ressortirait que les ventes de Cockerill-Sambre ont été substantiellement inférieures (de plus de 10 %) à ce qui était mentionné dans ledit télex, ce qui confirmerait son absence de participation à la pratique alléguée.

297.
    Le Tribunal relève que la Commission invoque, à l'appui de ses conclusions:

a)    une réunion du 13 septembre 1989 entre les représentants de Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, British Steel, Unimétal, TradeARBED et Cockerill-Sambre/Steelinter, convoquée à l'initiative de Peine-Salzgitter et consacrée à la question des livraisons de poutrelles sur le marché français au quatrième trimestre de 1989 (point 63 de la Décision, voir aussi point 197 de la communication des griefs et document n° 3022);

b)    un document rédigé par la Walzstahl-Vereinigung et retrouvé dans les bureaux de Peine-Salzgitter (point 63 de la Décision, documents n°s 3140 et 3141), ainsi qu'une note manuscrite (document n° 3138) jointe à ce document par Peine-Salzgitter;

c)    une note interne de Peine-Salzgitter datée du 19 septembre 1989 (point 64 de la Décision, document n° 3139);

d)    le procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 21 septembre 1989 (point 65 de la Décision, documents n°s 211 à 217);

e)    une note datée du 25 septembre 1989, rédigée par la Walzstahl-Vereinigung et consignant les conclusions de la réunion du 21 septembre 1989 (point 66 de la Décision, documents n°s 207 à 210);

f)    un télex du 26 septembre 1989 envoyé par la Walzstahl-Vereinigung à Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, Ferdofin, TradeARBED, British Steel, Ensidesa et Unimétal (points 67 et 261 de la Décision, document n° 3136);

g)    le compte rendu sommaire des conclusions de la réunion de la commissionpoutrelles du 7 novembre 1989, qui fait état d'un «souhait que le 'système des tonnages T4-89 marché français‘ soit reconduit sur T1-90 et sur l'ensemble des marchés CECA» (points 68 et 261, dernier tiret, de la Décision, documents n° 224 à 229), ainsi que le procès-verbal de la même réunion (point 71 de la Décision, documents n°s 230 à 235).

298.
    Par ailleurs, la Commission constate, sur la base des données issues du monitoring des livraisons effectuées au quatrième trimestre de 1989, que la plupart des sociétés participantes soit se sont conformées au plan de livraison établi, soit ont livré des quantités inférieures à celles qui y étaient prévues. Seules trois entreprises (Thyssen, Ferdofin et British Steel) auraient dépassé ces quantités dans des proportions importantes (points 262 et 69 de la Décision).

299.
    Le Tribunal estime que les considérations développées aux points 261 et 262 de la Décision, sur la base des éléments de preuve énumérés aux points 63 à 71, justifient à suffisance de droit la conclusion de la Commission selon laquelle un accord relatif à la répartition du marché français a été conclu, par référence aux quantités figurant dans le télex du 26 septembre 1989 cité au point 67, pour le quatrième trimestre de 1989.

300.
    En premier lieu, il ressort des éléments évoqués aux points 63 et 64 de la Décision que, à la suite de la réunion du 13 septembre 1989 consacrée, notamment, aux livraisons sur le marché français et dès avant la réunion du 21 septembre 1989, les entreprises concernées s'efforçaient de parvenir à un tel accord.

301.
    En effet, la note interne de Peine-Salzgitter datée du 19 septembre 1989 (point 64, document n° 3139) révèle que ces entreprises avaient engagé des pourparlers afin de trouver, sur la base de deux propositions, une clé de répartition. Le document préparé par la Walzstahl-Vereinigung (document n° 3141), auquel se réfère l'auteur de la note, présente les livraisons antérieures des entreprises concernées et, sur cette base, deux clés de répartitions différentes. La première figure sous l'intitulé «Marché français — poutrelles — quatrième trimestre de 1989», la seconde sous la dénomination «Alternative Gaillard». Selon la note précitée, Peine-Salzgitter était «d'accord» pour que le pourcentage correspondant aux chiffres de livraison antérieurs lui soit appliqué, en fonction du «document établi par la [Walzstahl-Vereinigung]», qu'elle reconnaissait comme «base de la répartition des fournisseurs Eurofer». Estimant que «la base doit toutefois être de 33 000 tonnes», elle s'est exprimée en faveur de la première clé de répartition, à l'exclusion de la seconde (à savoir l'«alternative Gaillard»), proposée par un collaborateur d'Unimétal. Ce point de vue figure également dans la note manuscrite de la même société citée au point 63, dernier alinéa, de la Décision (document n° 3138). Il ressort de ces deux documents que les autres sociétés concernées partageaient le refus de l'«alternative Gaillard».

302.
    S'agissant, en deuxième lieu, des documents relatifs à la réunion qui s'est tenue le 21 septembre 1989, soit deux jours après la date de la note précitée de Peine-Salzgitter du 19 septembre 1989, s'il est vrai que le procès-verbal de cette réunion ne mentionne que les livraisons à effectuer par Unimétal, il apparaît toutefois que toutes les usines concernées, membres ou non d'Eurofer, avaient «annoncé des intentions de livraisons réduites» (voir la note rédigée par la Walzstahl-Vereinigung, point 66 de la Décision, documents n°s 207 à 210). Le Tribunal estime que cette dernière mention ne peut être raisonnablement interprétée que comme révélant l'aboutissement des efforts déployés seulement quelques jours auparavant et visant à parvenir à un accord sur les quantités à livrer sur le marché français. Eu égard au contexte de ces discussions préalables, il peut être exclu avec une certitude suffisante que les annonces faites par les entreprises concernées à propos de leurs livraisons correspondaient à des décisions qu'elles auraient prises de façon autonome.

303.
    Le Tribunal estime, en troisième lieu, que le télex de la Walzstahl-Vereinigung du 26 septembre 1989 (point 67 de la Décision, document n° 3136) communiquait le détail de l'accord ainsi obtenu aux parties à celui-ci. Les entreprises pour lesquelles une quantité de livraison y est indiquée sont celles pour lesquelles une telle quantité avait été prévue dans les documents préparatoires établis par la Walzstahl-Vereinigung, à la seule exception de Klöckner qui (avec une quantité insignifiante) n'apparaît que dans ces documents préparatoires (point 63 de la Décision). Un examen attentif des chiffres fait par ailleurs apparaître que les deux pourcentages historiques utilisés dans ces derniers documents pour sept des entreprises concernées (Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, Ferdofin, Cockerill-Sambre, TradeARBED et British Steel) ont apparemment servi de base pour déterminer la part définitive qui revenait à chacune d'elles dans la quantité totale qui leur était

attribuée. Ainsi, ces pourcentages historiques s'élevaient, dans le cas de la requérante, à 21,4 et 20,5 %, et sa part définitive, communiquée par le télex du 26 septembre 1989, à 20,9 %.

304.
    Le fait que les quantités indiquées dans le télex en question y sont qualifiées d'«approximatives» n'empêche pas de conclure que ces quantités ont fait l'objet d'un accord entre les entreprises concernées.

305.
    Il apparaît par ailleurs que, lors de la réunion du 7 novembre 1989, les entreprises ont considéré que les chiffres de commandes pour livraison au cours du trimestre litigieux se situaient à un niveau «raisonnable» (voir le compte rendu sommaire, cité au point 68 de la Décision, ainsi que le procès-verbal cité au point 71, documents n°s 230 à 235) et ont exprimé le «souhait que le 'système des tonnages T4-89 marché français‘ soit reconduit sur T1-90 et sur l'ensemble des marchés CECA». Lue dans son contexte, cette mention implique qu'un tel système, portant sur la répartition des tonnages pour le marché et le trimestre visés, avait bien été mis en place.

306.
    L'existence de l'accord dénoncé par la Commission est, dès lors, prouvée à suffisance de droit.

307.
    Pour les raisons exposées dans l'arrêt rendu ce jour dans l'affaire Preussag/Commission, T-148/94, cette conclusion n'est pas affectée par le témoignage de MM. Mette et Kröll, collaborateurs de Preussag, lors de l'audience.

308.
    S'agissant de la participation de la requérante à cet accord, il convient de souligner tout d'abord que, dans leur réponse du 7 novembre 1991 à une demande de renseignements au titre de l'article 47 du traité (documents n°s 5519 à 5521 et 5536 à 5538), tant Cockerill-Sambre que Steelinter ont reconnu avoir assisté à Düsseldorf, le 13 septembre 1989, à une réunion «Poutrelles — marché français». L'argument selon lequel la question des livraisons sur le marché français au quatrième trimestre 1989 n'aurait pas été discutée lors de cette réunion, mais plutôt lors d'une réunion tenue, le même jour et dans la même ville, par le groupe dit «VA Profilstahl», ne résiste pas à l'examen. D'une part, la requérante n'a fourni aucune précision sur l'objet de la réunion à laquelle elle reconnaît avoir elle-même assisté ce jour-là à Düsseldorf. D'autre part, la lettre de Peine-Salzgitter invitant Steelinter à assister à une réunion le 13 septembre 1989, à 17 heures, dans les locaux de la Walzstahl-Vereinigung (document n° 3022), indique notamment, comme ordre du jour de cette réunion, la discussion des «perspectives quantitatives pour le quatrième trimestre 1989, plus particulièrement sur le marché français des poutrelles». Il est dès lors établi que la requérante a participé, le 13 septembre 1989, à une discussion portant sur la question des livraisons de poutrelles sur le marché français au quatrième trimestre de 1989.

309.
    Il est également établi que des chiffres de livraison concernant la requérante sont repris dans les documents préparatoires de l'accord, établis par la Walzstahl-Vereinigung.

310.
    Par ailleurs, si le nom de la requérante n'est pas repris dans la liste des destinataires du télex de la Walzstahl-Vereinigung du 26 septembre 1989 visé au point 67 de la Décision (document n° 3036), force est néanmoins de constater qu'il apparaît dans le tableau contenu dans ce dernier document, assorti d'un chiffre de livraison correspondant à celui qui lui avait été réservé au cours des discussions préparatoires. Il ressort également du dossier que les livraisons de la requérante sur le marché français, au cours du quatrième trimestre 1989, n'ont été que légèrement inférieures audit chiffre (16.326 tonnes au lieu de 18.100 tonnes: voir point 210 de la communication des griefs).

311.
    Au vu de l'ensemble de ces éléments concordants, le Tribunal conclut que la requérante était partie à l'accord litigieux. Cet accord tendait à une répartition des marchés au sens de l'article 65, paragraphe 1, sous c), du traité et était donc interdit par cette disposition, sous réserve des questions qui seront examinées dans la partie C ci-après.

Sur les échanges d'informations au sein de la commission poutrelles (monitoring des commandes et des livraisons)

312.
    Selon l'article 1er de la Décision, la requérante a participé, pendant une période de 18 mois, à un «[é]change d'informations confidentielles par l'intermédiaire de la commission poutrelles». Aux points 39 à 60 pour la partie en fait, et 263 à 271 pour la partie en droit, la Commission expose les détails de ce système.

313.
    L'échange d'informations par l'intermédiaire de la commission poutrelles, communément appelé «monitoring», comportait deux branches relatives, respectivement, aux commandes et aux livraisons des entreprises participantes (point 263). Il était organisé par le secrétariat de la commission poutrelles (point 47), assuré à l'époque par Usinor Sacilor (point 33), qui collectait les chiffres et les rediffusait sous forme de statistiques (point 40).

314.
    Le monitoring des commandes, établi en 1984, permettait aux entreprises participantes de s'informer régulièrement sur les commandes qu'elles avaient reçues en vue d'une livraison pour un trimestre précis (point 39), dans les pays suivants: France, Allemagne, Belgique/Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, Italie, Espagne, Portugal et Grèce/Irlande/Danemark. Depuis le début de 1989 au moins, ces statistiques étaient réunies et diffusées chaque semaine par le secrétariat de la commission poutrelles (point 40).

315.
    Le monitoring des livraisons, qui a fonctionné depuis le début de 1989 pour les statistiques relatives au quatrième trimestre de 1988, portait sur les livraisons trimestrielles des participants sur les marchés de la CECA (point 41). Des

statistiques ventilées par entreprise ont été échangées pour les marchés suivants: la CECA dans son ensemble, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le Benelux, l'Italie, la Grèce/l'Irlande/le Danemark, le Portugal et l'Espagne. Ces statistiques étaient distribuées un mois ou deux après la fin du trimestre considéré (point 42).

316.
    Aux points 49 à 60 et 268 de la Décision, la Commission allègue que ces échanges d'informations ont été fréquemment accompagnés de discussions au sein de la commission poutrelles, au cours desquelles les entreprises se plaignaient du comportement de leurs concurrents en matière de commandes ou d'exportations, ainsi que d'écarts entre les commandes annoncées et les livraisons effectuées.

Résumé sommaire de l'argumentation des parties

317.
    La requérante admet avoir participé au monitoring des commandes jusque «vers la fin de 1989» (voir point 50 de la Décision) et, à partir du dernier trimestre de 1988, au monitoring des livraisons, mais soutient que la description faite par la Commission de ces échanges d'informations purement statistiques en méconnaît la nature.

318.
    Elle fait tout d'abord valoir que les informations échangées n'étaient pas des «informations précises», contrairement à ce qui est soutenu au point 271 de la Décision. Selon elle, les chiffres étaient individualisés par entreprise, mais globalisés au niveau des produits, un seul chiffre étant fourni pour l'ensemble des poutrelles produites par chaque entreprise, alors que celles-ci comportaient pas moins de sept catégories et trois ou quatre sous-catégories (voir point 3 de la Décision). La requérante ajoute que les informations échangées avaient un caractère historique et un degré très relatif de fiabilité, en l'absence d'un système de contrôle et de sanctions.

319.
    Quant aux discussions qui pouvaient avoir lieu au sein de la commission poutrelles concernant ces échanges d'informations statistiques, la requérante commence par relever qu'elle ne saurait être concernée par les discussions postérieures au 3 août 1989, date de la dernière réunion à laquelle elle a assisté. A cet égard, il convient de préciser que, dans son mémoire en défense, la Commission confirme que c'est à la suite d'une erreur typographique qu'il est fait état, au point 38, sous i), de la Décision, de la participation de Cockerill-Sambre à une réunion du 6 juin 1990.

320.
    Pour le surplus, la requérante estime que c'est à tort que la Commission prétend, au point 50 de la Décision, qu'à la réunion du 6 juin 1989 les producteurs allemands s'étaient plaints du niveau élevé des exportations espagnoles. Une telle plainte ne serait pas rapportée dans l'aide-mémoire de cette réunion qui constitue les documents n° 155 à 170 du dossier de la Commission.

321.
    La requérante ajoute que les explications fournies par certains participants lors des réunions des 6 juin et 11 juillet 1989, qui seraient les seules la concernant, étaient

tout à fait générales et n'accroissaient donc en rien la transparence toute relative à laquelle pouvait aboutir l'échange statistique lui-même. Il en irait plus particulièrement ainsi des explications fournies par la requérante au cours de la réunion du 11 juillet 1989. Le procès-verbal de cette réunion ne comporterait qu'un exposé purement factuel de la situation atypique du marché belge et une explication vague et d'ailleurs inexacte fournie par la requérante, à savoir la nécessité de reconstituer les stocks de Steelinter.

322.
    La Commission estime que l'échange d'informations pratiqué en l'espèce par les entreprises était incompatible avec l'article 65 du traité, pour les raisons exposées aux points 263 à 271 de la Décision.

323.
    Dans sa réponse du 19 janvier 1998 à une question écrite du Tribunal, la Commission a toutefois fait valoir que les systèmes d'information litigieux ne constituaient pas une infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité, mais faisaient partie d'infractions plus vastes consistant, notamment, en des accords de fixation de prix et de répartition de marchés. Ils auraient donc violé l'article 65, paragraphe 1, du traité dans la mesure où ils ont facilité la perpétration de ces autres infractions. A l'audience, la Commission, tout en exprimant certains doutes quant à la question de savoir si la jurisprudence de la Cour et du Tribunal dite «Tracteurs» (arrêt de la Cour du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7/95 P, Rec. p. I-3111, points 88 à 90; arrêt du Tribunal Deere/Commission, précité, point 51) est directement transposable au traité CECA, a souligné qu'il s'agit en l'espèce non seulement d'un échange d'informations, mais aussi de l'utilisation de ces informations à des fins collusoires, ainsi qu'il ressort notamment des points 49 à 60 de la Décision.

Appréciation du Tribunal

Sur la nature de l'infraction reprochée à la requérante

324.
    Eu égard aux arguments présentés par la Commission dans sa réponse écrite du 19 janvier 1998 et à l'audience, il convient d'établir tout d'abord si l'infraction reprochée à la requérante aux points 263 à 271 de la Décision constitue une infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité, ou si, au contraire, le caractère infractionnel des systèmes d'échange d'informations litigieux tient au fait qu'ils ont facilité la perpétration des autres infractions retenues dans la Décision. Cette question importe non seulement pour la qualification juridique des comportements en cause, mais aussi pour l'appréciation du bien-fondé de l'imposition d'une amende distincte sanctionnant lesdits comportements (voir ci-après).

325.
    Au point 267 de la Décision, la Commission considère que les entreprises en cause sont allées au-delà des limites admissibles en matière d'échange d'informations en ce que, premièrement, les informations échangées sur les livraisons et les commandes reçues par chaque société à livrer sur les différents marchés sont

généralement considérées comme strictement confidentielles, et, deuxièmement, les chiffres des commandes étaient mis à jour chaque semaine et diffusés rapidement parmi les participants, tandis que les chiffres des livraisons étaient diffusés peu après l'expiration du trimestre considéré. La Commission en déduit que «chacune des sociétés participantes connaissait donc de manière complète et détaillée les livraisons que ses concurrents avaient l'intention d'effectuer ainsi que leurs livraisons réelles. Ces sociétés étaient donc en mesure de s'assurer du comportement que leurs concurrents se proposaient d'adopter ou avaient adopté sur le marché et d'y adapter le leur».

326.
    Ensuite, la Commission affirme, aux points 267 et 268 de la Décision, que telle était la raison d'être de l'échange, en ce que les informations échangées ont servi de base aux discussions sur les courants d'échanges décrites aux points 49 à 60 de la Décision. Selon la Commission, les entreprises suivaient de près ces statistiques et vérifiaient si les livraisons correspondaient aux commandes annoncées. Lors de ces discussions, les parties seraient parvenues à un «degré remarquable de transparence dans leurs relations». La Commission ajoute que, s'il s'était agi d'un échange limité à des statistiques purement rétrospectives sans effet possible sur la concurrence, de telles discussions auraient été inexplicables.

327.
    La Commission conclut, au point 269 de la Décision, que les parties ont ainsi établi un «système de solidarité et de coopération destiné à coordonner [leurs] activités commerciales» et qu'elles ont donc «substitué une coopération pratique aux risques normaux de la concurrence, coopération aboutissant à des conditions de concurrence qui ne correspondent pas aux conditions normales du marché».

328.
    Aux points 270 et 271 de la Décision, la Commission souligne que les échanges d'informations individuelles qui sont susceptibles d'influencer le comportement des entreprises sur le marché ne sont pas couverts par sa communication relative aux accords, décisions et pratiques concertées concernant la coopération entre entreprises, publiée le 29 juillet 1968 (JO C 75, p. 3, ci-après «communication de 1968»). Invoquant ses décisions 87/1/CEE, du 2 décembre 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.128 — Fatty Acids, JO 1987, L 3, p. 17, ci-après «décision acides gras») et 92/157/CEE, du 17 février 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.370 et 31.446 — UK Agricultural Tractor Registration Exchange, JO L 68, p. 19, ci-après «décision UK Agricultural Tractor Registration Exchange»), adoptées dans le cadre du traité CE, elle considère que l'échange d'informations intervenu en l'espèce, qui comprenait des informations précises et à jour concernant les commandes et les livraisons des producteurs, permettant de déterminer le comportement des différentes entreprises dans un oligopole étroit, était contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité.

329.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission a fondé son appréciation juridique, aux points 263 à 271 de la Décision, sur les caractéristiques propres du monitoring,

y compris les discussions sur les courants d'échanges qui ont eu lieu sur la base des informations échangées, exposées aux points 49 à 60 de la Décision.

330.
    Même s'il ressort également de la Décision que le monitoring a en réalité facilité certaines autres infractions retenues à l'encontre des entreprises concernées, notamment la «méthodologie Traverso» et l'accord relatif au marché français au quatrième trimestre de 1989, rien dans ladite Décision n'indique que ce fait a été pris en compte dans l'appréciation juridique du système d'échange d'informations litigieux au regard de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

331.
    Il y a donc lieu de conclure que, aux points 263 à 271 de la Décision, les systèmes d'échange d'informations litigieux ont été considérés comme des infractions autonomes à l'article 65, paragraphe 1, du traité. Il convient, dès lors, de rejeter les arguments avancés par la Commission dans sa réponse du 19 janvier 1998 et à l'audience, dans la mesure où ils cherchent à modifier cette appréciation juridique.

Sur le caractère anticoncurrentiel du monitoring

332.
    Le Tribunal rappelle que l'article 65, paragraphe 1, du traité est fondé sur la conception selon laquelle tout opérateur doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun.

333.
    Le Tribunal constate, en l'espèce, que les données diffusées, relatives aux commandes et aux livraisons des participants sur les principaux marchés de la Communauté, étaient ventilées par entreprises et par États membres. Elles permettaient donc de connaître la position qu'occupait chaque entreprise par rapport à l'ensemble des ventes effectuées par les participants, sur tous les marchés géographiques concernés.

334.
    Grâce à l'actualité et à la fréquence de communication des données, les entreprises étaient en mesure de suivre de près chaque étape de l'évolution des parts des participants sur les marchés en cause.

335.
    Ainsi, les chiffres relatifs aux commandes à livrer au cours d'un trimestre donné (monitoring des commandes) étaient réunis et diffusés chaque semaine par le secrétariat de la commission poutrelles (point 40 de la Décision). Il ressort également des documents identifiés à l'appendice 1 de la Décision que le temps qui s'écoulait entre la date de référence d'un tableau et celle à laquelle il était établi ou mis à la disposition des entreprises était normalement inférieur à trois semaines. De même, les tableaux de commandes énumérés à l'appendice 1 de la Décision étaient, à une seule exception près (à savoir le tableau cité au point 26 dudit appendice, dont la date se situe environ deux mois après le trimestre de référence), diffusés soit avant la fin du trimestre de référence, parfois même plusieurs semaines avant, soit quelques jours après celle-ci.

336.
    Les chiffres des livraisons, quant à eux, étaient diffusés, en tout état de cause, moins de trois mois après la fin du trimestre concerné.

337.
    L'ensemble de la coopération ainsi caractérisée était limité aux seuls producteurs qui y avaient adhéré, à l'exclusion des consommateurs et des autres concurrents.

338.
    Il n'est par ailleurs pas contesté que l'échange concernait des produits homogènes (voir point 269 de la Décision), de sorte que la concurrence par les caractéristiques des produits ne jouait qu'un rôle limité.

339.
    S'agissant de la structure du marché, le Tribunal constate que, en 1989, dix des entreprises ayant participé au monitoring de la commission poutrelles couvraient deux tiers de la consommation apparente (point 19 de la Décision). En présence d'une telle structure oligopolistique du marché, susceptible de réduire par elle-même la concurrence, il est d'autant plus nécessaire de protéger l'autonomie de décision des entreprises ainsi que la concurrence résiduelle.

340.
    Les éléments exposés aux points 49 à 60 de la Décision confirment que, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, en particulier de l'actualité et de la ventilation des données, destinées aux seuls producteurs, des caractéristiques des produits et du degré de concentration du marché, les systèmes litigieux affectaient nettement l'autonomie de décision des participants.

341.
    En général, les informations diffusées ont fait l'objet de discussions régulières au sein de la commission poutrelles. Il apparaît, au vu notamment des éléments résumés au point 268 de la Décision, que des critiques ont été formulées à l'égard des niveaux de commandes jugés excessifs (point 51) et des livraisons des intéressés, en particulier vers d'autres États membres (points 51, 53 et 60), étant entendu que, dans certains cas, les livraisons entre deux pays ou deux zones ont été analysées (points 53, 55 et 57). Dans ce contexte, les entreprises se sont régulièrement référées aux chiffres du passé (points 51, 53, 57 et 58), employant à cet égard le terme de «flux traditionnels» (point 57). A l'occasion de ces discussions, des menaces ont été formulées en raison de comportements jugés excessifs (point 58) et, à plusieurs occasions, les entreprises critiquées ont tenté d'expliquer leur comportement (points 52 et 56). Enfin, il apparaît que la diffusion des chiffres des livraisons servait également à détecter d'éventuelles différences par rapport aux commandes annoncées (point 54). De cette façon, le monitoring des livraisons renforçait l'efficacité du monitoring des commandes (voir le point 268 de la Décision).

342.
    Le Tribunal relève, en particulier, que, si l'aide-mémoire de la réunion du 6 juin 1989 ne se réfère pas à une «plainte» des producteurs allemands à l'encontre de leurs homologues espagnols, il indique néanmoins, sous la rubrique «Situation des marchés de la Communauté — R.F.A.», que «si les pénétrations espagnoles ont été importantes en mars 1989 (21.000 tonnes), les forges hispaniques signalent avoir

eu des retards dans leurs livraisons et assurent de tous leurs efforts pour étaler à l'avenir leurs expéditions» (voir document n° 155). Il apparaît ainsi que les producteurs espagnols ont tenté de justifier l'importance de leurs exportations et ont pris l'engagement de les étaler à l'avenir.

343.
    Il ressort par ailleurs du procès-verbal de la réunion du 11 juillet 1989 (document n°s 182 à 188) que tant Ensidesa que la requérante ont apporté des réponses précises visant à justifier leur comportement sur le marché, la première en indiquant ne pas avoir augmenté son volume habituel d'exportations vers le marché français, la seconde en justifiant par le faible niveau des stocks de sa filiale Steelinter l'augmentation constatée de ses commandes sur le marché belgo-luxembourgeois au cours du deuxième trimestre de 1989, qui était jugée comme susceptible de perturber les marchés limitrophes par l'intermédiaire des marchands de fer belges.

344.
    Il s'ensuit que les informations que recevaient les entreprises dans le cadre des systèmes litigieux étaient capables d'influencer leur comportement de façon sensible, en raison tant du fait que chaque entreprise se savait surveillée de près par ses concurrents que du fait qu'elle-même pouvait, le cas échéant, réagir au comportement de ceux-ci, sur la base d'éléments nettement plus récents et plus précis que ceux qui étaient disponibles par d'autres moyens. Ce dernier constat est tout particulièrement confirmé par la note d'information de Peine-Salzgitter du 10 septembre 1990 citée au point 59 de la Décision, selon laquelle «un échange de chiffres qui se borne aux chiffres agrégés n'a pour nous (presque) aucun intérêt (avis du groupe germano-luxembourgeois du 30.8.1990), étant donné que le comportement sur le marché des différentes entreprises ne peut plus être déduit»]. Bien que cette note soit postérieure à la période d'infraction reprochée à la requérante, elle peut valablement lui être opposée dans la mesure où elle se réfère indirectement à l'échange de chiffres individuels qui avait cours pendant ladite période.

345.
    C'est également à juste titre que, au point 267 de la Décision, la Commission a pu considérer que les informations dont il est question en l'espèce sont normalement considérées comme strictement confidentielles. Le Tribunal considère que de telles données, révélatrices des parts de marché très récentes des participants, et non disponibles dans le domaine public, sont de par leur nature même des données confidentielles, ce qui est confirmé par le fait que d'éventuelles entreprises intéressées ne pouvaient bénéficier des données diffusées par le secrétariat que sur une base réciproque (voir point 45 de la Décision).

346.
    Le Tribunal constate, par ailleurs, que ce contrôle mutuel s'opérait, du moins implicitement, par référence aux chiffres du passé, dans un contexte où, jusqu'en janvier 1987, la politique de la Commission tendait au maintien des «flux traditionnels» des échanges, terme qui a été expressément utilisé par les participants. L'échange tendait donc au cloisonnement des marchés par référence auxdits flux traditionnels.

347.
    Il s'ensuit que les systèmes d'échange d'informations litigieux ont sensiblement réduit l'autonomie de décision des producteurs participants en substituant une coopération pratique entre eux aux risques normaux de la concurrence. De tels systèmes tendent, par leur nature, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence, au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

348.
    Il en résulte également que le comportement reproché à la requérante n'est pas couvert par le point II, paragraphe 1, de la communication de 1968 qui, selon ses termes mêmes, ne s'applique pas aux échanges d'informations qui réduisent l'autonomie de décision des participants ou est de nature à faciliter un comportement coordonné sur le marché. Par ailleurs, il s'agit en l'espèce d'un échange de données individualisées, dans le cadre d'un marché oligopolistique de produits homogènes, qui tendait au cloisonnement des marchés par référence aux flux traditionnels.

349.
    Dans la mesure où, pour justifier les systèmes litigieux et sa participation à ceux-ci, la requérante s'est ralliée aux arguments de certaines des requérantes, fondés sur les règles de prix de l'article 60 du traité, son argumentation ne saurait être retenue. D'une part, cette disposition se limite au domaine des prix et ne concerne pas les informations sur les quantités mises sur le marché. D'autre part, la publication des prix, telle que prévue par l'article 60, paragraphe 2, du traité, est censée bénéficier, entre autres, aux consommateurs (voir, notamment, arrêt France/Haute Autorité, précité, p. 23), alors que le bénéfice des systèmes litigieux était limité aux seuls producteurs participants. De même, l'article 47 du traité n'autorise en aucun cas la divulgation d'informations par la Commission sur le comportement concurrentiel des entreprises dans le domaine des quantités au seul bénéfice des producteurs. Pour ces mêmes raisons, la requérante ne saurait invoquer un principe général de transparence inhérent au traité CECA, d'autant qu'il s'agit, en l'espèce, de données confidentielles qui, par leur nature même, constituent des secrets d'affaires.

350.
    Quant aux arguments de certaines des requérantes, auxquels la requérante s'est ralliée à l'audience, relatifs à la nécessité d'échanger des informations dans le cadre de la coopération avec la Commission, tirés des articles 5 et 46 à 48 du traité CECA ainsi que de la décision n° 2448/88, il y a lieu de constater que rien dans ces dispositions ne permet expressément un échange d'informations entre entreprises tel que celui de l'espèce. La question de savoir si un tel échange a été implicitement autorisé par le comportement de la DG III sera examinée dans la partie C ci-après.

351.
    Sous cette réserve, et eu égard notamment au principe de base du traité selon lequel la concurrence qu'il vise consiste dans le jeu sur le marché de forces et de stratégies économiques indépendantes et opposées (arrêt Pays-Bas/Haute Autorité, précité), le Tribunal considère que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en se référant, au point 271 de la Décision, à certaines décisions qu'elle a adoptées

dans le domaine du traité CE dans le cas de marchés oligopolistiques. S'agissant, en particulier, de la décision UK Agricultural Tractor Registration Exchange, il y a lieu de rappeler que tant le Tribunal que la Cour ont jugé que, sur un marché oligopolistique fortement concentré, l'échange d'informations sur le marché est de nature à permettre aux entreprises de connaître la position sur le marché et la stratégie commerciale de leurs concurrents et, ainsi, à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques (arrêt du Tribunal Deere/Commission, précité, point 51; arrêt de la Cour Deere/Commission, précité, points 88 à 90). Le Tribunal estime qu'il en va a fortiori ainsi lorsque, comme en l'espèce, les informations échangées ont fait l'objet de discussions régulières entre les entreprises participantes.

352.
    Le Tribunal souligne, enfin, que, eu égard, d'une part, à la nature des discussions qui ont eu lieu au sein de la commission poutrelles et des données échangées dans ce cadre, et, d'autre part, aux termes de la communication de 1968, les entreprises en cause n'ont pas pu avoir de doutes raisonnables quant au fait que les échanges concernés tendaient à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence ni, par conséquent, quant au caractère interdit des échanges concernés au regard de l'article 65, paragraphe 1, du traité. La même conclusion ressort par ailleurs des considérations exposées par le Tribunal dans la partie C ci-après. En tout état de cause, les prétendues difficultés qu'il peut y avoir à apprécier le caractère interdit d'un comportement n'affectent pas l'interdiction elle-même, laquelle a un caractère objectif. Le Tribunal considère, par ailleurs, que, aux points 266 à 271 de la Décision, la Commission a motivé à suffisance de droit son point de vue selon lequel les systèmes litigieux étaient contraires au jeu normal de la concurrence.

Sur la durée de la participation de la requérante à l'infraction en cause

353.
    Bien qu'il ne soit pas allégué que la requérante ait assisté aux réunions de la commission poutrelles postérieures à celle du 3 août 1989 [voir point 38, sous i), de la Décision], il est constant qu'elle a participé aux échanges d'informations litigieux jusqu'à son retrait du marché des poutrelles, à la fin de 1989 (voir, outre les documents relatifs au monitoring cités en appendice à la Décision, le point 29 de la requête).

354.
     A cet égard, le Tribunal estime que, si les discussions menées au sein de la commission poutrelles décrites aux points 49 à 60 de la Décision ont donné un reflet fidèle de la valeur d'information des données diffusées par le secrétariat de ladite commission, la nature anticoncurrentielle de l'échange reproché réside dans le caractère même des données diffusées, qui étaient des informationsconfidentielles chiffrées et à jour, portant sur les commandes et les livraisons ventilées par pays et par entreprise, étant entendu que le marché concerné avait un caractère oligopolistique. Par conséquent, le fait que la requérante n'ait pas participé aux discussions au sein de la commission poutrelles, entre août et décembre 1989, n'altère pas le caractère de l'infraction qui lui est reprochée. C'est

à juste titre, dès lors, que la Commission a retenu à sa charge, dans la Décision, une durée d'infraction de 18 mois.

355.
    Il ressort de tout ce qui précède que les arguments de la requérante relatifs à l'échange d'informations au sein de la commission poutrelles doivent être rejetés dans leur ensemble, sous réserve des constatations effectuées par le Tribunal dans la partie C, ci-après.

Sur les pratiques relatives aux différents marchés

1. Répartition du marché italien

356.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir participé à une répartition du marché italien. La période retenue aux fins de l'amende est de trois mois.

357.
    A cet égard, la Commission expose, au point 275, sixième tiret, de la Décision, qu'il a été décidé, le 21 juin 1988, de reconduire l'accord de répartition des marchés pour le troisième trimestre de 1988. Cet accord aurait été passé par Ferdofin, TradeARBED, British Steel, Cockerill-Sambre, Peine-Salzgitter, Saarstahl, Thyssen et Unimétal. La Commission se réfère aux points 167 et 168 de la Décision.

358.
    La requérante fait valoir qu'un tel accord de répartition des marchés n'a jamais existé. Les discussions auxquelles se réfère la Commission au point 167 de la Décision auraient eu lieu avant l'adoption de la décision n° 2448/88 et se seraient inscrites dans le cadre d'une éventuelle prorogation du régime des quotas. En discutant des quotas pour le troisième trimestre de 1988, à un moment où la Commission avait annoncé son intention de proroger le système, à tout le moins en cas d'accord sur un plan de réduction des capacités, les entreprises n'auraient fait que créer les conditions rendant une telle prorogation possible, le bon fonctionnement du régime des quotas exigeant, en effet, que ceux-ci fussent arrêtés avant le trimestre où ils devaient être d'application.

359.
    La requérante estime, dès lors, que ces discussions étaient parfaitement légales, et ajoute que le grief est devenu sans fondement dès lors que la Commission reconnaît, au point 27 de son mémoire en défense, qu'elle n'a pas mis en oeuvre les quotas envisagés, après qu'il fut décidé de ne pas proroger le régime des quotas.

360.
    Le Tribunal relève que la constatation de l'accord litigieux se fonde sur les documents suivants:

—    la télécopie de Saarstahl à la Walzstahl-Vereinigung du 21 juin 1988 (document n° 4);

—    la télécopie de la Walzstahl-Vereinigung au secrétariat de la commission poutrelles du 22 juin 1988 (document n° 5);

—    le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 28 juin 1988 (document n° 4084); et

—    le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 4 août 1988 (document n° 4085).

361.
    Selon la télécopie de Saarstahl à la Walzstahl-Vereinigung du 21 juin 1988 (point 167 de la Décision, document n° 4), les entreprises d'Eurofer se déclaraient disposées à continuer au troisième trimestre de 1988 les «ententes sur les quantités» passées à propos du marché italien pour le trimestre précédent. En l'absence d'indices du contraire, ce renvoi doit être interprété comme visant l'accord de répartition de marché conclu pour le trimestre précédent (voir les points 275, quatrième tiret, ainsi que 163 et 164 de la Décision). Or, la preuve de ce dernier accord est dûment rapportée tant par ladite télécopie que par le procès-verbal de la réunion relative au marché italien du 13 mars 1988, cité par extraits aux points 163 et 164 de la Décision (documents n° 6 à 9 du dossier). La circonstance que ledit accord a été conclu à une époque où le régime des quotas était encore en vigueur, et en vue de son éventuelle prorogation, n'est pas de nature à infirmer cette constatation, d'autant que, d'après le procès-verbal de la réunion du 13 mars 1988, cet accord, qualifié de «gentlemen's agreement», avait pour objet une auto-limitation temporaire des livraisons des participants sur le marché italien, le cas échéant dans une mesure plus stricte que ce que leur permettaient leurs quotas «i», afin de permettre une hausse effective des prix.

362.
    De même, la télécopie de la Walzstahl-Vereinigung au secrétariat de la commission poutrelles du 22 juin 1988 (point 167 de la Décision, document n° 5) relève qu'une «décision» avait été adoptée la veille. Cette télécopie fait état de certains chiffres de commandes de Peine-Salzgitter, de Thyssen et de Saarstahl pour le troisième trimestre de 1988.

363.
    La conclusion de l'accord est par ailleurs confirmée par le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 28 juin 1988 (point 167 de la Décision, document n° 4084). Ferdofin y déclare que «les quotas du 3e trimestre ne doivent en aucun cas être relevés». Enfin, le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 4 août 1988 (document n° 4085, point 8) permet de déduire l'existence d'un quota de plus de 2 000 tonnes en faveur de Saarstahl pour le trimestre en cause.

364.
    Bien que les documents susvisés prouvent à suffisance de droit l'existence de l'accord litigieux relatif aux quotas applicables au marché italien pour le troisième trimestre de 1988, le Tribunal estime que la preuve de la participation de la requérante audit accord n'est pas rapportée à suffisance de droit. En effet, les documents invoqués par la Commission n'établissent pas que la requérante aurait assisté à une réunion relative au marché italien en juin 1988. Par ailleurs, ces documents ne se réfèrent pas à la requérante. Dans ces circonstances, le seul fait

que la requérante a été partie à un accord antérieur, relatif au deuxième trimestre de 1988, et la circonstance que la télécopie de Saarstahl du 21 juin 1988 se réfère aux «usines d'Eurofer» ne suffisent pas à établir sa participation à l'accord litigieux. Dans cette mesure, l'article 1er de la Décision doit être annulé.

2. Fixation de prix sur le marché français

365.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission fait grief à la requérante d'avoir participé à une fixation de prix sur le marché français. Le constat de cette infraction, qui n'a pas été retenue aux fins du calcul de l'amende, se fonde sur deux notes internes de Peine-Salzgitter des 14 et 18 mai 1987 (documents n°s 3184-3185 et 3177-3179 du dossier; voir points 155 et 274 de la Décision).

366.
    La requérante n'a pas contesté expressément cette infraction, dont la preuve est rapportée à suffisance de droit sur la base des deux notes internes invoquées par la Commission.

3. Fixation de prix sur le marché italien

367.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission fait grief à la requérante d'avoir participé à une fixation de prix sur le marché italien. Cette infraction n'a pas été retenue aux fins du calcul de l'amende. Au point 275 de la Décision, la Commission fait état d'un certain nombre de pratiques restrictives sur le marché italien. Aux troisième et quatrième tirets de ce passage, elle expose ce qui suit:

«—    lors d'une réunion tenue le 25 novembre 1987, TradeARBED, Peine-Salzgitter, Unimétal, British Steel, Aristrain, Ensidesa, Ferdofin, Stefana, Thyssen, Saarstahl et Cockerill-Sambre ont conclu un accord sur les prix pour le premier trimestre de 1988 (voir points 160 à 161) [...]

    

—    au cours d'une réunion tenue le 13 mars 1988, TradeARBED, British Steel, Peine-Salzgitter, Saarstahl, Thyssen, Unimétal, Cockerill-Sambre, Ferdofin et Stefana ont fixé les prix pour le deuxième trimestre de 1988 [...] (voir points 162 à 163)».

368.
    La requérante n'a pas contesté expressément ces infractions, dont la preuve est rapportée à suffisance de droit par les documents invoqués par la Commission aux points 160 à 163 de la Décision.

Sur la fixation de prix sur le marché danois, dans le cadre des activités du groupe Eurofer/Scandinavie

369.
    L'article 1er de la Décision dénonce une participation de la requérante à une infraction de fixation de prix sur le marché danois. La période retenue aux fins de l'amende est de 12 mois.

370.
    Les motifs qui sous-tendent ce reproche figurent aux points 177 à 205 (pour la partie en fait) et 284 à 296 (pour la partie en droit) de la Décision. En se fondant principalement sur des procès-verbaux de réunions, la Commission décrit une série de comportements qualifiés par elle d'accords de fixation de prix cibles relatifs aux marchés scandinaves, qui auraient été conclus de trimestre en trimestre lors des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, sur fond d'un accord-cadre unique et permanent (points 288, 289, 291 et 294). Dans la mesure où ces accords concernent le marché danois, elle les considère comme visés par l'article 65, paragraphe 1, du traité (points 286, 287, 292 et 293).

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

371.
    La requérante fait valoir que sa filiale Steelinter n'a joué qu'un rôle tout à fait marginal dans les activités du groupe Eurofer/Scandinavie. Elle n'aurait participé qu'à une réunion en 1987 (document n° 653 du dossier) et à trois réunions en 1989. Aucun autre document dont dispose la Commission ne la mentionnerait et son nom n'apparaîtrait d'ailleurs pas sur une liste non datée des membres du groupe Eurofer/Scandinavie (point 357 de la communication des griefs et document n° 2731).

372.
    Quant au télex de TradeARBED à la Walzstahl-Vereinigung du 24 octobre 1988 (document n° 2498) et à l'annexe au compte rendu de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, invoqués par la Commission, dans son mémoire en défense, pour établir la participation régulière de Steelinter aux réunions de ce groupe, la requérante fait valoir que ces deux documents n'ont été invoqués à sa charge ni dans la communication des griefs (voir point 353) ni dans la Décision (voir point 182). La Commission ne serait pas en droit de motiver ainsi, a posteriori, sa Décision.

373.
    La requérante ajoute que, en tout état de cause, la référence à la position des «Belgolux works», dans le télex du 24 octobre 1988, pourrait être comprise comme une référence au groupe ARBED qui possède des filiales en Belgique, susceptibles d'être impliquées dans les activités du groupe Eurofer/Scandinavie. Quant au tableau annexé au procès-verbal de la réunion du 25 juillet 1988, la Commission elle-même admettrait qu'il constitue la preuve d'un accord de fixation de prix sur le marché européen, et non pas sur le marché scandinave (voir points 88 et 224 de la Décision). Tout en contestant ce fait, la requérante estime que la communication d'un tel document aux participants de réunions du groupe Eurofer/Scandinavie ne démontre en rien qu'elle-même participait aux activités de ce groupe.

374.
    La Commission resterait, par ailleurs, en défaut de démontrer que, en cas d'absence aux réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, Steelinter était informée des décisions qui y avaient été prises (voir point 290 de la Décision). Ainsi, Steelinter ne figurerait pas parmi les destinataires du télex de la Walzstahl-Vereinigung du 27 juillet 1988 informant les entreprises des prix applicables au Danemark (voir point 374 de la communication des griefs et document n° 2007).

Ce fait serait d'autant plus important qu'il est indiqué, dans d'autres documents, que seuls les participants aux réunions du groupe Eurofer/Scandinavie doivent être informés du suivi (voir document n° 2500). Quant au télex du secrétariat du groupe Eurofer/Scandinavie du 2 novembre 1989 (document n° 2074), invoqué par la Commission dans son mémoire en défense, la requérante réplique qu'il se rapporte à la réunion du 30 octobre 1989, alors que les griefs de la Commission concernent «la participation de Steelinter aux arrangements de fixation de prix sur le marché danois pour une période de douze mois à compter de juin 1988».

375.
    Le manque d'intérêt de Steelinter pour les réunions du groupe Eurofer/Scandinavie ne ferait d'ailleurs que refléter son absence du marché danois, où elle n'aurait écoulé que des tonnages non significatifs (432 tonnes en 1986, 336 tonnes en 1987, rien en 1988 et 11 tonnes en 1989).

376.
    En conséquence, la requérante estime que la participation de Steelinter aux activités du groupe Eurofer/Scandinavie postérieures au 30 juin 1988 ne peut être retenue que pour les deux premiers trimestres de 1989.

377.
    En ce qui concerne l'objet de ces réunions, la requérante se réfère au point 486 de la communication des griefs et au point 296 de la Décision. Elle fait valoir que les pièces du dossier ne confirment nullement la thèse de la Commission et ne font effectivement référence, pour la période concernée, soit de janvier à juillet 1989, qu'à des prévisions de prix, au demeurant très approximatives (tous types de produits confondus), et qui seraient restées identiques sur toute la période en question. Ainsi, le procès-verbal de la réunion du 1er février 1989 (document n° 2475) parlerait de relèvements «envisagés» (et non «convenus», comme l'écrirait erronément la Commission au point 381 de la communication des griefs); le procès-verbal de la réunion du 25 avril 1989 parlerait de «prix prévus» (document n° 2460); l'annexe du procès-verbal de la réunion du 31 juillet 1989 mentionnerait uniquement des «supputations de prix» (document n° 2453); et le procès-verbal de la réunion du 30 octobre 1989 se référerait, au conditionnel, aux prix qui «devraient» être reconduits (document n° 2431).

378.
    La requérante ajoute qu'il ne saurait être question de se référer, comme le fait la Commission, à des comptes rendus de réunions postérieures pour établir l'existence d'activités antérieures qui ne sont pas mentionnées dans ces comptes rendus, et à l'égard desquelles la Commission ne disposerait même pas d'un commencement de preuve.

379.
    En outre, lors d'une présentation commune à l'audience, les requérantes ont fait valoir, en se référant à certains documents relatifs aux contacts établis entre la DG I de la Commission et les autorités scandinaves, transmis au Tribunal au titre de l'article 23 et versés au dossier de l'affaire à la suite de l'ordonnance du 10 décembre 1997, ainsi qu'aux documents, déposés à l'audience, relatifs aux «arrangements» entre la Communauté, d'une part, et la Norvège, la Suède et la

Finlande, d'autre part (point 15 ci-dessus), que tant la Commission que les autorités scandinaves étaient au courant des activités du groupe Eurofer/Scandinavie et les encourageaient même, ces activités étant essentielles pour la mise en oeuvre desdits «arrangements». Dans ces circonstances, estime la requérante, il ne peut y avoir eu de violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

Appréciation du Tribunal

Sur la nature et l'objet des activités du groupe Eurofer/Scandinavie

380.
    Le Tribunal constate, en premier lieu, que les documents cités aux points 184 à 205 de la Décision, à savoir les procès-verbaux et autres documents concernant les réunions des 5 février 1986, 22 avril 1986, 30 juillet 1986, 28 octobre 1986, 3 février 1987, 28 avril 1987, 4 août 1987, 4 novembre 1987, 2 février 1988, 26 avril 1988, 25 juillet 1988, 3 novembre 1988, 1er février 1989, 25 avril 1989, 31 juillet 1989 et 30 octobre 1989, prouvent à suffisance de droit l'existence d'un système de réunions au cours desquelles ont été conclus des accords sur les prix cibles applicables au Danemark pendant cette période.

381.
    Le Tribunal relève, en particulier, l'existence de nombreux documents qui se réfèrent à la «programmation» des prix (points 184, 192, 193 et 195), à la «fixation» de prix ou aux prix «fixés» ou «décidés» ou «convenus» (points 184, 186, 187, 189, 190, 191, 192, 200, 201 et 204). Le Tribunal relève également l'existence de nombreux documents faisant état des prix qui devaient être «maintenus» ou «reconduits» (points 204 et 205), de propositions destinées à être entérinées lors d'une réunion à venir (point 199), de demandes adressées aux entreprises pour qu'elles s'abstiennent d'indiquer des prix aux clients avant une réunion à venir (points 198 et 201), d'informations sur les décisions prises en matière de prix lors de certaines réunions (points 187, 188, 189, 190, 191, 197 et 205) et d'informations sur la réalisation des prix décidés lors d'une réunion antérieure (points 184, 193, 195, 200, 202, 203 et 204 de la Décision).

382.
    S'agissant plus particulièrement de la réunion du 3 novembre 1988 à Oslo, il ressort du télex de TradeARBED à la Walzstahl-Vereinigung du 7 octobre 1988 (voir point 198 de la Décision) que cette société n'était «nullement disposé[e]» à accepter des tonnages ou à donner des prix à ses clients scandinaves «avant que les usines Eurofer aient fixé avec les usines scandinaves, le 3 novembre, la politique de prix à suivre en Scandinavie». Par ailleurs, dans son télex à la Walzstahl-Vereinigung du 17 novembre 1988 (voir point 200 de la Décision), TradeARBED a indiqué que les «prix fixés à la réunion d'Oslo» avaient été «réalisés» et a demandé que les participants en soient informés «afin que tous restent calmes et ne s'écartent en aucun cas des conditions».

383.
    S'agissant plus particulièrement de la réunion du 1er février 1989, il est vrai que son procès-verbal ne mentionne que des relèvements «envisagés». Toutefois, ce procès-verbal doit être lu à la lumière du télex de la Walzstahl-Vereinigung du 23 janvier

1989 (point 201 de la Décision), qui, rédigé en des termes presque analogues à ceux du télex de TradeARBED du 7 octobre 1988, annonce que la réunion du 1er février 1989, comme auparavant celle du 3 novembre 1988, serait consacrée à la fixation de «la politique des prix à suivre pour la Scandinavie».

384.
    De même, s'il est vrai que l'annexe au procès-verbal de la réunion du 31 juillet 1989 parle uniquement de «supputations de prix», ce document doit être lu conjointement avec la note interne de British Steel du 3 août 1989 qui en fait le compte rendu et qui indique qu'il «a été convenu» que les prix «obtenus» pendant le trimestre en cours seraient «maintenus» au trimestre suivant (point 204 de la Décision).

385.
    A titre d'illustration supplémentaire, le Tribunal estime que la teneur des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie se trouve amplement confirmée par la note du président de ce groupe du 1er février 1990 citée au point 206 de la Décision qui, bien que rédigée à une date postérieure à l'arrêt de la participation de la requérante aux réunions dudit groupe, concerne également le passé:

«[...] Jusqu'à maintenant les échos qu'on pouvait avoir de nos rencontres étaient bons et certains représentants d'autres produits nous envient même les résultats et l'entente de notre club.

Je ne dis pas ces mots sans raison, car pour le premier trimestre, tout le monde n'a pas joué fair play et cela spécialement en aciers marchands. Je vous demande de ce fait, en tant que représentants du club Eurofer/Scandinavie et pour le bien de nos entreprises, de tout faire pour qu'on puisse sortir de cette salle avec la ferme volonté de stabiliser le marché et, avec cela, sauver l'honneur de notre club.»

386.
    A la lumière de ce qui précède, l'argument de la requérante selon lequel les entreprises se seraient bornées à débattre de la situation du marché, à discuter de prévisions de prix et, plus généralement, à échanger des informations, ne saurait être retenu. Le fait que certains documents ont pu utiliser des expressions plus prudentes, telles que «prévisions», n'est pas de nature à affecter la conclusion qu'il s'agissait d'accords visant à la fixation de prix, au sens de l'article 65, paragraphe 1, sous a), du traité, et donc interdits par cette disposition.

Sur la participation de la requérante aux activités du groupe Eurofer/Scandinavie et aux accords de fixation de prix sur le marché danois

387.
    La requérante admet avoir participé, par l'intermédiaire de sa filiale Steelinter, aux réunions du groupe Eurofer/Scandinavie des 1er février, 25 avril et 31 juillet 1989.

388.
    Il ressort par ailleurs du dossier qu'un représentant de la requérante a assisté, le 4 février 1986, à une réunion du groupe Eurofer/Scandinavie à Berlin (voir la liste des délégués à cette réunion, document n° 610), et qu'elle s'est fait excuser pour

la suite de cette réunion le lendemain, 5 février 1986 (voir la liste des participants et l'aide-mémoire de cette réunion, documents n°s 611 et 612).

389.
    Steelinter a également été représentée à la réunion du 28 avril 1987 à Paris (voir l'aide-mémoire de cette réunion, document n° 653).

390.
    Il apparaît, en outre, que la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 4 novembre 1987 s'est tenue à Bruxelles (voir le procès-verbal de cette réunion, documents n°s 670 à 673). Le Tribunal estime que la tenue de cette réunion en Belgique implique nécessairement la participation de la requérante, même si aucune liste des participants n'a pu être retrouvée. Au demeurant, le procès-verbal de ladite réunion indique que le marché belge «suivra l'augmentation des prix de base et des suppléments pour les petites catégories» de poutrelles, ce qui confirme la présence de la requérante qui, en tant qu'unique producteur belge de poutrelles, était seule à même de communiquer cette information.

391.
    De même, l'indication précise des niveaux de prix «parité Charleroi» obtenus au cours du quatrième trimestre de 1988, dans le procès-verbal de la réunion du 3 novembre 1988 à Oslo (documents n°s 2488 à 2491), ne peut que signifier que la requérante a assisté à cette réunion. Sa participation est, du reste, confirmée par le télex adressé par TradeARBED à la Walzstahl-Vereinigung le 24 octobre 1988, en vue de cette réunion (document n° 2498), aux termes duquel «les forges allemandes, françaises et belgo-luxembourgeoises proposent pour le Danemark les prix suivants...». A cet égard, il convient de rejeter l'argument de la requérante, selon lequel la mention «Belgolux works» pourrait tout aussi bien désigner des usines d'ARBED situées en Belgique. Il resssort en effet clairement du dossier (voir, par exemple, les documents cités aux points 52 et 60 de la Décision) que, dans la terminologie utilisée par les producteurs, ARBED était toujours désignée comme le producteur luxembourgeois, sans référence à la Belgique. En outre, il n'a pas été contesté qu'ARBED ne produit pas de poutrelles dans ses usines belges, et que Cockerill-Sambre est le seul producteur belge de poutrelles à avoir été impliqué dans les pratiques en cause. Dès lors, la référence aux «Belgolux works» visait nécessairement la requérante.

392.
    En tout état de cause, il ressort du libellé du télex de TradeARBED à la Walzstahl-Vereinigung du 24 octobre 1988 que les forges allemandes, françaises et belgo-luxembourgeoises ont entendu communiquer une proposition de prix sur le marché danois, qui devait servir de base pour la décision attendue lors de la réunion du 3novembre 1988. Dès lors que la requérante a collaboré à cette proposition, il y a lieu de conclure qu'elle était intéressée à l'adoption de la décision envisagée. Par ailleurs, les prix qui ont été décidés pour le marché danois lors de la réunion du 3 novembre 1988, tels qu'ils apparaissent dans un tableau annexé à son procès-verbal (document n° 2492, cité au point 378 de la communication des griefs), sont identiques à ceux proposés dans le télex susvisé. La requérante a donc nécessairement souscrit à la décision adoptée sur ce point lors de la réunion du 3 novembre 1988, indépendamment du point de savoir si elle a participé à ladite réunion.

393.
    Il convient de rejeter l'argument de la requérante selon lequel certains des documents susvisés ne lui seraient pas opposables, au motif qu'ils ne sont expressément invoqués à sa charge ni dans la communication des griefs, ni dans la Décision. En effet, la Commission a indiqué, au point 353 de la communication des griefs et au point 182 de la Décision, que «Les documents disponibles prouvent que Steelinter doit avoir participé à ces réunions ou tout au moins à la coopération accompagnant ces réunions au moins depuis 1986». A cet égard, le Tribunal rappelle que la Décision, si elle doit préciser les éléments de preuve qui emportent la conviction de la Commission, ne doit pas énumérer de manière exhaustive tous les éléments de preuve disponibles et peut s'y référer globalement (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2/89, Rec. p. II-1087, point 39). Par ailleurs, la requérante a eu accès aux documents en question et a donc été mise en mesure de faire valoir ses observations sur les griefs de la Commission.

394.
    Il ressort de surcroît du dossier que Steelinter a été tenue informée des résultats de la réunion du 30 octobre 1989, à laquelle elle n'avait pu assister (voir le télex du secrétariat du 2 novembre 1989, documents n°s 2074 à 2079 du dossier). Ce document constitue une preuve pertinente de la participation régulière de Steelinter aux activités du groupe Eurofer/Scandinavie, quand bien même il se rapporterait à une période postérieure à la période d'infraction de 12 mois visée à l'article 1er de la Décision.

395.
    La preuve de la participation directe ou indirecte de la requérante à huit des seize réunions tenues par le groupe Eurofer/Scandinavie entre le début de l'année 1986 et la fin de l'année 1989 est ainsi rapportée à suffisance de droit.

396.
    Eu égard à l'ensemble de ce qui précède, le Tribunal estime que la Commission était en principe en droit de retenir, aux point 180, 182 et 285 de la Décision, la participation régulière de la requérante ou de Steelinter aux réunions du groupe Eurofer/Scandinavie ou, tout au moins, à la «coopération entourant ces réunions», entre le début de l'année 1986 et la fin de l'année 1989.

397.
    Bien que la Décision n'indique pas quelle est, à l'intérieur de cette période de trois ans, la période de 12 mois pour laquelle une amende est infligée à la requérante, il ressort des points 182 et 314, lus conjointement, que cette période est comprise entre le 1er juillet 1988 et le 30 juin 1989. La Commission l'a expressément confirmé dans son mémoire en défense, sans donner aucune explication sur les raisons pour lesquelles la durée d'infraction assortie d'une amende a ainsi été limitée au 30 juin 1989, alors que, d'un part, la requérante a notamment reconnu sa participation aux réunions des 25 avril et 31 juillet 1989, qui ont servi à fixer les prix sur le marché danois pour les troisième et quatrième trimestres de 1989, et, d'autre part, selon le raisonnement exposé aux points 288 et 290 de la Décision, la Commission a conclu à l'existence d'un «accord» unique et permanent au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité, dans le cadre duquel «il [était] indifférent que certains participants aient pu manquer certaines réunions».

398.
    A l'intérieur de cette période infractionnelle de 12 mois, le Tribunal estime, pour les raisons exposées ci-dessus, que la participation de la requérante est dûment établie pour ce qui concerne le premier semestre de 1989. En effet, il est établi, d'une part, que la requérante a été partie à l'accord relatif au premier trimestre de 1989, conclu lors de la réunion du 3 novembre 1988 (voir points 391 et 392 ci-dessus), et, d'autre part, qu'elle a assisté aux réunions des 1er février, 25 avril et 31 juillet 1989, et qu'elle a été partie aux accords qui y ont été conclus.

399.
    En revanche, pour ce qui concerne les accords de fixation de prix sur le marché danois relatifs au second semestre de 1988, le seul indice révélant la participation de la requérante, entre le 4 novembre 1987 et le 3 novembre 1988, est le tableau annexé au procès-verbal de la réunion du 25 juillet 1988 (document n° 2507) qui, dans le cadre d'une présentation intitulée «CECA [...] Prix de marché T4-88», contient une mention relative à la «parité Charleroi». Or, si ce document constitue bien la preuve d'un accord de fixation de prix conclu au sein de la commission poutrelles, dont la teneur a été communiquée aux producteurs scandinaves lors de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988 (voir points 141 et suivants ci-dessus), il ne revêt aucun caractère probant quant à la conclusion d'un accord de fixation de prix sur le marché danois au cours de cette dernière réunion. Par conséquent, ce document n'est pas de nature à étayer la thèse de la Commission.

400.
    L'absence de participation de la requérante au système, à l'époque, est corroborée par le fait que son nom est le seul à ne pas figurer parmi les destinataires du télex de la Walzstahl-Vereinigung du 27 juillet 1988 communiquant aux intéressés, à savoir l'ensemble des producteurs d'Eurofer mis en cause dans le présent contexte, les prix des poutrelles arrêtés, pour le marché danois, lors de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988 (point 197 de la Décision, document n° 2498).

401.
    Au surplus, dans son mémoire en défense, la requérante a indiqué, sans être contredite sur ce point par la Commission, que, pendant l'année 1988, elle n'avait fait aucune livraison de poutrelles au Danemark, à la différence de ce qui avait été le cas en 1986, 1987 et 1989. Le Tribunal estime qu'il n'est pas exclu, dès lors, que la requérante se soit complètement désintéressée des activités du groupe Eurofer/Scandinavie en 1988, avant d'y participer à nouveau à partir de la réunion du 2 novembre de cette année.

402.
    Il s'ensuit que l'article 1er de la Décision doit être annulé dans la mesure où il retient la participation de la requérante à une infraction de fixation de prix sur le marché danois, pour la période comprise entre le 1er juillet et le 3 novembre 1988.

Sur l'implication de la Commission dans les activités du groupe Eurofer/Scandinavie

403.
    Quant aux griefs avancés à l'audience, et tirés de la connaissance des activités du groupe Eurofer/Scandinavie qu'avait, ou aurait dû avoir, la DG I, dans le cadre des

«arrangements» alors en vigueur entre la Communauté et la Norvège, la Suède et la Finlande, le Tribunal relève, liminairement, que les documents n°s 9773 à 9787, versés au dossier de l'affaire en vertu de l'ordonnance du 10 décembre 1997, constituent des éléments apparus en cours d'instance, de sorte que l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal n'empêche pas la requérante d'avancer des moyens nouveaux fondés sur ces documents.

404.
    A cet égard, s'agissant tout d'abord de la période comprise entre 1986 et 1988, il ressort des lettres et aide-mémoires échangés entre la Communauté et les autorités norvégiennes, suédoises et finlandaises que, au cours de cette période, certains «arrangements», visant au maintien des courants commerciaux traditionnels, étaient en vigueur entre les parties concernées [voir le point c) des lettres échangées avec la Norvège les 4 mars 1986, 11 mars 1987 et 10 février 1988; point c) des lettres échangées avec la Finlande les 4 mars 1986, 10 avril 1987 et 12 février 1988; points 13 à 15 de la lettre du 4 mars 1986 et points 8 à 10 des lettres du 13 février 1987 et du 5 février 1988, échangées avec la Suède]. Selon le point V.10 de la décision acier inoxydable, cela signifiait en pratique que les exportations des entreprises sidérurgiques scandinaves vers la Communauté devaient être maintenues à leur niveau antérieur et qu'aucune modification n'était autorisée sur le plan de leur distribution régionale, de leur composition par produits ou de leur calendrier («triple clause»).

405.
    Le Tribunal a plus particulièrement fait porter son examen sur: la communication de la Commission au Conseil, du 13 novembre 1986, sur la politique commerciale externe dans le secteur sidérurgique [COM(86) 585 final], déposée par les requérantes lors de l'audience; une note de dossier du 30 mai 1985 (document n° 9774), relative à une réunion du 29 mai 1985 avec les autorités suédoises concernant certaines livraisons suédoises de barres en fer et acier au Danemark, qui indique qu'un représentant de la DG I avait saisi l'occasion pour attirer l'attention des autorités suédoises sur l'intérêt que la Commission attachait au maintien du «gentlemen's agreement» entre Eurofer et l'association des forges suédoises pour garantir le développement harmonieux des échanges de produits sidérurgiques entre la Communauté et la Suède; le mémorandum du 30 mai 1985 produit lors de la procédure administrative par les entreprises suédoises Ovako Profiler AB et SSAB Svenskt Stål AB, qui se trouve dans le dossier transmis au Tribunal au titre de l'article 23 et a été rendu accessible aux parties requérantes par l'ordonnance du 10 juin 1996; la note manuscrite d'une réunion entre la DG I et les autorités suédoises, qui a apparemment eu lieu le 4 décembre 1985 ou 1986; la note d'une réunion de consultation entre les autorités communautaires et suédoises qui a eu lieu le 20 novembre 1986 (documents n°s 9777 à 9784) et la note d'une réunion du «Contact Group ECSC-Sweden» des 11 et 12 juin 1987.

406.
    Eu égard aux éléments révélés par ces documents, le Tribunal estime, en premier lieu, qu'il ne peut être exclu que les activités du groupe Eurofer/Scandinavie aient trouvé leur origine dans le souci commun des autorités communautaires et

scandinaves de limiter les exportations de produits sidérurgiques à leur niveau traditionnel, dans le cadre des «arrangements» précités. Il ressort en effet du dossier que cet objectif n'aurait pas pu être atteint sans la coopération des entreprises concernées, notamment dans le cadre des «gentlemen's agreements» conclus entre les entreprises membres d'Eurofer et les entreprises sidérurgiques scandinaves.

407.
    En deuxième lieu, il ressort également du dossier que tant les autorités communautaires que les autorités scandinaves ont encouragé la conclusion de tels «gentlemen's agreements» ou, à tout le moins, des prises de contact directes entre les entreprises concernées, afin de résoudre les problèmes qui se présentaient dans le cadre desdits arrangements. Par ailleurs, au point X.12, sous a), de la décision acier inoxydable, la Commission a expressément admis que lesdits arrangements avaient limité la liberté des entreprises concernées de vendre les tonnages qu'elles souhaitaient et que la DG I, par le biais d'un échange de lettres, avait indirectement encouragé les entreprises scandinaves à conclure certains accord bilatéraux avec les entreprises communautaires.

408.
    Il est vrai que les arrangements en cause ne visaient pas des accords sur les prix, mais une simple limitation des tonnages. Toutefois, étant donné que, d'une part, le marché danois était à l'époque considéré comme faisant traditionnellement partie du marché scandinave de l'acier, et, d'autre part, la sous-cotation des prix aurait eu pour effet d'augmenter les tonnages vendus, il ne peut pas être exclu que les accords de prix sur le marché danois conclus au sein du groupe Eurofer/Scandinavie aient été conçus, au moins en partie, comme un soutienapproprié aux arrangements conclus entre la Commission et les pays scandinaves concernés pour les années 1986, 1987 et 1988, en vue du maintien des courants commerciaux traditionnels.

409.
    Il convient néanmoins de rappeler qu'aucune disposition du traité n'autorise de tels accords en matière de prix et que ni le Conseil, ni la Commission, ni les entreprises ne sont autorisés à ignorer les dispositions de l'article 65, paragraphe 1, du traité ou à s'exonérer de leur obligation de les respecter.

410.
    Il en résulte que, à supposer même que les accords de prix conclus au sein du groupe Eurofer/Scandinavie pendant les années 1986, 1987 et 1988 l'aient été dans le cadre des arrangements limitant les courants d'échange entre la Communauté et les pays scandinaves, et que la Commission et/ou les autorités scandinaves les aient encouragés ou tolérés, au moins indirectement, ces accords n'en violaient pas moins l'article 65, paragraphe 1, du traité dans la mesure où ils portaient fixation de prix sur le marché danois.

411.
    Toutefois, étant donné que les arrangements en question entre la Communauté et les pays scandinaves ont été maintenus en vigueur jusqu'au 31 décembre 1988, il y a lieu de constater que les malentendus qui, d'après la Décision (point 311), peuvent avoir existé avant le 30 juin 1988 sont susceptibles d'avoir persisté, au

moins jusqu'au 31 décembre 1988, pour ce qui est des accords Eurofer/Scandinavie. Pour autant que la requérante reste concernée par les accords de fixation de prix sur le marché danois conclus ou mis en oeuvre au cours de l'année 1988 (voir point 402 ci-dessus), cette circonstance sera prise en considération par le Tribunal au moment de la fixation de l'amende (voir ci-après, sur la demande subsidiaire, tendant à l'annulation ou, à tout le moins, à la réduction du montant de l'amende).

412.
    Quant à la période qui suit le 31 décembre 1988, il ressort de la lettre de la Commission du 5 avril 1989, échangée avec les autorités norvégiennes, et de celles des 4 avril 1989 et 28 mai 1990, échangées avec les autorités suédoises, qui ont été produites par la partie défenderesse, à la demande du Tribunal, sous le couvert d'une lettre du 11 mai 1998, qu'après le 1er janvier 1989 il n'existait plus aucune disposition visant à maintenir les courants commerciaux traditionnels entre la Communauté et les pays concernés. Il en résulte que, en tout état de cause, rien ne justifiait, à partir du 1er janvier 1989, la conclusion d'accords privés de fixation de prix sur le marché danois entre les entreprises concernées.

413.
    S'agissant, enfin, du document n° 9323, du 17 juin 1989, invoqué à l'audience par les requérantes, le Tribunal constate qu'il concerne une plainte des autorités belges à propos d'une prétendue violation par certaines entreprises norvégiennes de l'article 60 du traité, applicable aux produits concernés en vertu de l'article 20 de l'accord de libre-échange entre la Norvège et la Communauté, et qu'il n'a donc rien à voir avec l'infraction reprochée à la requérante dans le cadre des accords Eurofer/Scandinavie.

414.
    Dans ces conditions, les arguments de la requérante relatifs à la constatation, dans la Décision, d'accords de fixation de prix sur le marché danois doivent être rejetés, sous réserve de l'appréciation portée par le Tribunal au point 402 ci-dessus.

Conclusions

415.
    Sous réserve des constatations opérées par le Tribunal aux points 364 et 402 ci-dessus, et de l'argumentation examinée dans la partie C ci-après, l'examen des arguments tirés d'une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité n'a révélé aucune erreur de fait ou de droit commise par la Commission dans la constatation des infractions à cet article retenues dans la Décision. De même, l'examen du Tribunal n'a révélé aucun défaut de motivation, notamment en ce qui concerne la participation de la requérante aux infractions reprochées.

416.
    Il s'ensuit que lesdits arguments doivent être rejetés dans leur ensemble.

C — Sur l'implication de la Commission dans les infractions reprochées à la partie requérante

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

417.
    Tout en soulignant qu'il n'est pas nécessaire d'examiner en détail l'évolution de l'attitude de la Commission au cours de l'année 1990, dès lors que la requérante a cessé toute activité dans le secteur des poutrelles à la fin de l'année 1989, celle-ci fait valoir dans sa requête que, durant toute la période visée par la Décision, la Commission a accepté et même encouragé en pleine connaissance de cause des pratiques similaires à celles incriminées dans la Décision, sans jamais mettre en doute leur légalité. La requérante estime, dès lors, que ces activités, qui selon elle étaient parallèles à celles de la Commission et tendaient à la réalisation des mêmes objectifs, ne sauraient constituer des infractions à l'article 65, paragraphe 1, du traité. Elle invoque, à titre subsidiaire, une violation du principe de protection de la confiance légitime.

418.
    Des moyens semblables ayant été soulevés par d'autres requérantes, le rôle joué par la DG III dans la présente espèce a fait l'objet d'une présentation commune à l'audience. La requérante a ainsi fait sienne l'argumentation développée sur ce point au nom des requérantes concernées. Il convient, dès lors, de regrouper ces divers moyens et arguments, pour les examiner ensemble aux fins du présent arrêt.

419.
    Les requérantes développent, sur la base d'un historique de l'implication de la Commission dans la gestion de la crise sidérurgique depuis les années 70 et de ses interventions après la fin de la période de crise, une argumentation selon laquelle la Commission elle-même aurait initié puis encouragé ou, à tout le moins, eu connaissance des et toléré les comportements incriminés dans la Décision.

420.
    Invoquant, à des degrés divers, une violation par la Décision des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, la doctrine de l'estoppel ou l'adage «nemo auditur turpitudinem suam allegans», les requérantes estiment que, dans ces conditions, la Commission n'était pas fondée à sanctionner les comportements d'entreprises visés par la Décision.

421.
    S'agissant de la période de crise, les requérantes se réfèrent tout d'abord aux diverses mesures adoptées par la Commission, à partir de 1974, sur le fondement des articles 46, 47, puis 58 et suivants du traité, afin de faire face à la crise de la sidérurgie européenne. Elles se réfèrent notamment au plan Simonet de 1977 et au plan Davignon de 1978, puis à la décision n° 2794/80 instaurant un régime obligatoire de quotas de production, ainsi qu'à ses diverses mesures d'accompagnement (voir points 5 et suivants, ci-dessus).

422.
    Elles font plus particulièrement valoir que le système des quotas instauré par la décision n° 2794/80 fut conçu dès le départ comme faisant partie d'un ensemble plus vaste, fondé sur la collaboration horizontale des entreprises, notamment en ce

qui concerne l'instauration des quotas nationaux «i» que la Commission voulait voir appliqués par les producteurs pour mettre en oeuvre son propre régime de quotas «I» prévu à l'échelle de la Communauté.

423.
    L'association Eurofer aurait été, à cette occasion, la principale interface entre la Commission et les producteurs, notamment dans le cadre des accords Eurofer II à Eurofer V qui, tout au long du régime de crise manifeste et jusqu'en juillet 1988, auraient consisté, pour l'essentiel, en l'établissement et en la gestion du système de quotas de livraison «i» sur les marchés nationaux, ainsi qu'en la fourniture de données sur la production et les livraisons. Les accords Eurofer auraient également prévu que les participants s'engageaient à respecter les objectifs de prix fixés en coordination avec la Commission.

424.
    Les requérantes soulignent également que les échanges d'informations étaient courants dans tout le secteur de l'acier depuis que la crise s'était déclarée, en se référant à l'affaire à l'origine de l'arrêt de la Cour du 10 juillet 1985, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission (27/84, Rec. p. 2385), dans laquelle la Commission aurait reconnu qu'une certaine transparence était déjà de mise entre les grandes entreprises sidérurgiques membres d'Eurofer, de sorte que certaines informations émanant de ces dernières n'étaient pas couvertes par le secret professionnel au sens de l'article 47 du traité.

425.
    Pour ce qui est de la période de crise, les requérantes étayent plus particulièrement leur exposé par des extraits des documents suivants, dont certains sont cités aux points 5 et suivants ci-dessus: la demande par la Commission d'un avis conforme du Conseil sur l'instauration d'un régime de quotas de production pour la sidérurgie [COM(80) 586 final, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 3]; la résolution du Conseil, du 3 mars 1981, sur la politique de redressement de la sidérurgie (voir communiqué de presse du Conseil des 26 et 27 mars 1981, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 4); l'annexe IV au document III/534/85/FR de la Commission approuvant les accords Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 5); la lettre adressée le 17 janvier 1983 par MM. Andriessen et Davignon à Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 6); la réponse adressée le 8 février 1983 par M. Etchegaray, président d'Eurofer, à MM. Andriessen et Davignon (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 7); la décision n° 3483/82; le point 302 du Dix-neuvième Rapport général sur l'activité des Communautés; la décision n° 234/84; le procès-verbal d'une réunion qui s'est tenue à Bruxelles le 27 juin 1984 entre la Commission et des experts d'Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 8); une note établie par Eurofer à la suite d'une réunion entre le membre de la Commission M. Narjes et les présidents d'Eurofer qui s'est tenue à Düsseldorf le 26 septembre 1985 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 9); le procès-verbal d'une réunion qui s'est tenue le 16 décembre 1985 entre M. Narjes et Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 10); diverses lettres révélant l'implication de la Commission

dans l'arbitrage de litiges entre producteurs à propos du système des quotas «i» (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, documents 11 et 12); le procès-verbal de la réunion du 10 mars 1986 entre M. Narjes et Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 13); le «rapport des trois sages», précité; le procès-verbal de la réunion qui s'est tenue le 16 mai 1986 entre M. Narjes et les dirigeants d'Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 14) et la communication de la Commission au Conseil sur la politique sidérurgique du 16 juin 1988, précitée.

426.
    Bien que le régime de crise manifeste ait pris fin le 30 juin 1988, le XXIe Rapport général sur l'activité des Communautés indiquerait, en son point 278, que la Commission était prête à envisager, pour une durée de trois ans à partir du 1er janvier 1988, la prolongation du régime des quotas et la mise en oeuvre d'un plan concerté de réduction des capacités, suggéré par Eurofer à la fin de l'année 1986. Cependant, la Commission n'ayant pas reçu les engagements minimaux de fermetures fixés en décembre 1987 comme condition d'un prolongement éventuel du système, elle n'aurait pas proposé sa reconduction au Conseil. Les requérantes en déduisent qu'il fut mis fin, en juillet 1988, au régime des quotas non pas parce que la Commission considérait qu'il n'y avait plus de crise manifeste, mais afin de sanctionner les entreprises pour leur manque de collaboration. Ces faits démontreraient également qu'au milieu de l'année 1988 la Commission estimait qu'il n'était pas contraire à l'article 65 du traité de demander aux entreprises deconclure un accord portant sur une réduction concertée de leurs capacités, lequel serait pourtant tout aussi interdit que les mesures en matière de prix, si l'on suivait l'interprétation rigide dudit article défendue dans la Décision. La Commission aurait donc accepté que l'article 65, paragraphe 1, du traité puisse faire l'objet d'une application flexible.

427.
    Pour ce qui est de la période postérieure au 30 juin 1988, la Commission aurait maintenu, jusqu'en novembre 1988, le régime de surveillance des livraisons mis en place par la décision n° 3483/82. Elle aurait également arrêté le régime de surveillance mis en place par la décision n° 2448/88, qui imposait aux entreprises la déclaration mensuelle de la production et de la livraison de certains de leurs produits. Cette décision aurait cessé d'être en vigueur en juin 1990, mais la situation ne se serait pas modifiée, in concreto, comme le démontreraient deux lettres adressées à Eurofer, les 10 et 12 septembre 1990, par deux fonctionnaires de la Commission (annexes 7 et 8 à la requête). Toutes ces mesures auraient eu pour but d'accroître la transparence du marché en vue de faciliter l'adaptation des entreprises aux modifications éventuelles de la demande, sans que cette transparence soit perçue comme contraire à l'article 65 du traité.

428.
    Dans ce cadre, et notamment celui des articles 46 à 48 du traité et du régime de surveillance établi par la décision n° 2448/88, les contacts entre la DG III et les producteurs de poutrelles se seraient même intensifiés pendant la période postérieure au régime de crise manifeste, les réunions «restreintes» et «de consultation» ainsi que les «déjeuners de l'acier» venant s'ajouter aux réunions

trimestrielles officielles au cours desquelles sont discutés, conformément aux articles 46 à 48 du traité, les programmes prévisionnels.

429.
    En s'appuyant sur divers extraits des «speaking notes» et d'autres procès-verbaux de réunions tenues après la fin du régime de crise (voir appendice 3 à la requête dans l'affaire T-151/94), ainsi que sur les notes internes de la DG III produites par la Commission à la suite de l'ordonnance du 10 décembre 1997, les requérantes soutiennent que la Commission connaissait et même encourageait l'activité de collecte et d'échange d'informations sur les commandes, les livraisons, le niveau réel des prix et le niveau estimé des prix futurs, menée par Eurofer et la commission poutrelles, de même que l'harmonisation des suppléments et les autres pratiques retenues dans la Décision à la charge des entreprises.

430.
    Dans ce cadre, les divers accords et pratiques reprochés aux requérantes, à supposer qu'ils soient établis, devraient être considérés comme des activités licites, au vu notamment des dispositions des articles 46 à 48 du traité et du régime de surveillance établi par la décision n° 2448/88.

431.
    Il ressortirait de ces documents que la Commission, et plus particulièrement la DG III, appréciait grandement ses entretiens avec les producteurs et les informations qui lui étaient fournies à cette occasion; sous le couvert d'échanges assez généraux, la Commission incitait ou, à tout le moins, approuvait les initiatives fréquentes des producteurs en vue de stabiliser les prix et la production; à l'instar de la pratique suivie pendant la période de crise manifeste pour la répartition des quotas «I», sur une base trimestrielle, entre les marchés nationaux (quotas «i»), la Commission communiquait aux producteurs ses vues sur l'évolution souhaitée du marché et laissait à Eurofer le soin de régler les détails pratiques des actions sur le marché qu'elle préconisait; la Commission a elle-même, dans le cadre de son action d'assainissement du marché, joué un rôle déterminant dans l'effort de maîtrise des variations des prix et de la production entrepris par les producteurs et rien ne pouvait être tenté par ceux-ci sans le concours ou, à tout le moins, l'approbation de la Commission. Tout en concédant que les «speaking notes» ne révèlent pas les informations détaillées échangées au sein de la commission poutrelles et utilisées pour établir les tendances des prix et les prévisions de quantités, les requérantes soutiennent que la Commission savait, ou devait savoir, que de tels échanges d'informations entre producteurs étaient indispensables pour préparer les discussions avec elle, comme cela avait été le cas dans un passé récent, et qu'elle aurait, dès lors, dû conseiller aux producteurs de modifier la méthode d'élaboration de leurs prévisions. Les «speaking notes» contiendraient également de nombreuses allusions très claires aux discussions sur les prix et au désir partagé de la Commission et des producteurs de maintenir leur niveau. La Commission aurait même essayé de renforcer directement la discipline des prix, par exemple en envisageant d'introduire, en 1989, un système obligeant les producteurs à s'informer mutuellement des rabais appliqués (voir requête dans l'affaire T-151/94, appendice 5).

432.
    Bien qu'un jeu complet des procès-verbaux et notes relatifs aux nombreuses réunions entre la Commission et les entreprises sidérurgiques durant cette période ait été communiqué au conseiller-auditeur, il ressortirait du point 312 de la Décision que la Commission a évité tout examen détaillé de cette documentation, dont elle nierait en bloc la pertinence.

433.
    Les requérantes ne contestent pas que la Commission a périodiquement fait allusion à l'article 65 du traité, notamment pour rappeler qu'il restait intégralement applicable pendant la période de crise. Toutefois, à défaut d'orientations pratiques de sa part, ces simples références auraient été dépourvues de toute signification.

434.
    Ainsi, par exemple, la déclaration aux termes de laquelle la Commission ne pourrait pas accepter de concertations sur les prix ou les quantités contraires à l'article 65 du traité, intégrée à la demande de M. Kutscher au procès-verbal de la «réunion de consultation» du 26 janvier 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 16) n'aurait pas fourni de lignes directrices aux producteurs quant à la manière dont il leur appartenait d'élaborer les prévisions relatives au marché, nécessaires à la Commission, tout en s'abstenant de procéder à la «surveillance» des commandes et des livraisons ou d'échanger des informations sur les modifications de prix.

435.
    La Décision elle-même reconnaîtrait, au point 311, qu'il a pu y avoir des «malentendus» quant à l'application de l'article 65 du traité au cours de la période de crise. Selon les requérantes, la confusion n'a pas été dissipée après le 30 juin 1988. Elle aurait au contraire été accrue par la poursuite des interventions de la Commission dans le secteur, combinée avec les déclarations de cette dernière affirmant, sans autre explication, que les dispositions de l'article 65 du traité s'appliquaient.

436.
    Dans ces circonstances, le communiqué de presse publié par la Commission le 4 mai 1988 à l'occasion de l'ouverture de la procédure «acier inoxydable», indiquant qu'elle «ne tolérerait pas d'accords illégaux» (voir point 305 de la Décision), aurait été dépourvu d'utilité pratique. Le membre de la Commission M. Van Miert aurait d'ailleurs reconnu, lors de la conférence de presse du 16 février 1994, qu'une certaine ambiguïté avait pu exister au cours de la période qui a suivi la période de crise manifeste. Des lignes directrices claires auraient, dès lors, dû être publiées pour dissiper tout malentendu (voir, pour un exemple dans le cadre du traité CE, les lignes directrices concernant l'application des règles de concurrence de la Communauté au secteur des télécommunications, JO 1991, C 233, p. 2).

437.
    Ce ne serait que dans sa décision acier inoxydable, adoptée le 18 juillet 1990, que la Commission aurait, pour la première fois, manifesté sa désapprobation à l'égard du comportement des entreprises pendant la période concernée, en condamnant des pratiques analogues à celles qu'elle avait acceptées et même encouragées. Cette condamnation serait donc en contradiction avec l'attitude antérieure de la

Commission, qui avait amené les entreprises à croire que leurs pratiques étaient conformes à l'article 65 du traité.

438.
    Les requérantes soutiennent que la Commission a modifié son interprétation des règles de concurrence du traité CECA à la fin de 1990 (voir points 37 et 38 ci-dessus). Elles considèrent, néanmoins, que la Commission ne saurait, sans violer le principe de confiance légitime, appliquer rétroactivement aux entreprises l'article 65 du traité alors que, pendant la période en cause, elle avait accepté de ne pas l'appliquer aux pratiques litigieuses et avait, au contraire, encouragé de telles pratiques, ou du moins développé avec les entreprises des pratiques similaires.

439.
    En réponse à l'argument de principe de la Commission, selon lequel une tolérance administrative ne saurait en aucun cas légitimer ou justifier une infraction, les requérantes invoquent les arrêts de la Cour du 12 novembre 1987, Ferriere San Carlo/Commission (344/85, Rec. p. 4435), et du 24 novembre 1987, RSV/Commission (223/85, Rec. p. 4617).

440.
    Les requérantes critiquent, en revanche, l'application au présent cas d'espèce de la ligne de jurisprudence résultant des arrêts de la Cour des 11 décembre 1980, Lucchini/Commission (1252/79, Rec. p. 3753, point 9), et 28 mars 1984, Bertoli/Commission (8/83, Rec. p. 1649, point 21), selon laquelle le laxisme de la Commission en matière de poursuites ne peut légitimer une infraction. En l'espèce, la Commission n'aurait pas simplement fait preuve de laxisme à l'égard des producteurs de poutrelles, mais aurait toléré, voire encouragé, en pleine connaissance de cause les comportements incriminés dans la Décision.

441.
    A l'audience, les requérantes ont également présenté une analyse détaillée des «speaking notes» et des documents de la DG III produits à la demande du Tribunal. Elles ont en outre invoqué les témoignages recueillis par le Tribunal, et notamment celui de M. Kutscher.

Compte rendu de l'audition des témoins

442.
    Par ordonnance du 23 mars 1998, le Tribunal a ordonné l'audition en qualité de témoins de MM. Pedro Ortún, Guido Vanderseypen et Hans Kutscher, respectivement fonctionnaires et ancien fonctionnaire de la DG III, sur les contacts établis entre ladite DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction retenue par la Décision aux fins de la fixation du montant des amendes, soit de juillet 1988 à la fin de 1990. Les témoins ont été entendus par le Tribunal à l'audience du 23 mars 1998 et ont prêté le serment prévu à l'article 68, paragraphe 5, du règlement de procédure.

443.
    Dans sa déposition et ses réponses aux questions du Tribunal, M. Ortún, à l'époque directeur de la direction E «Acier» (ultérieurement dénommée «Marché intérieur et affaires industrielles III») de la DG III, a indiqué que les réunions de

consultation avec l'ensemble de l'industrie sidérurgique, mises en place après le 30 juin 1988, conformément au mandat donné par le Conseil à la Commission le 24 juin 1988, de même que les réunions restreintes aux membres d'Eurofer, avaient pour objectif de donner à la Commission une vision aussi précise que possible de la situation et des tendances des marchés des différents produits, de façon à en permettre la surveillance dans le cadre de la décision n° 2448/88 et à faciliter l'élaboration des programmes prévisionnels, et complétaient l'information reçue d'autre sources, telles que les producteurs non membres d'Eurofer, les consommateurs, les négociants et les experts indépendants mandatés par la Commission. Lors de ces réunions, un représentant de l'industrie intervenait normalement comme porte-parole du secteur pour chaque groupe de produits et donnait des informations sur l'évolution de la demande, de la production, des livraisons, des stocks, des prix, des exportations, des importations et des autres paramètres du marché pour les mois à venir. Selon M. Ortún, ces échanges de vues permanents avec l'industrie sur les principaux paramètres du marché impliquaientque les producteurs se réunissaient préalablement à leurs rencontres avec la DG III, afin d'échanger leurs sentiments et opinions sur les tendances futures du marché des différents produits, y compris en matière de prix, mais la DG III, qui ne recevait pas de comptes rendus de ces réunions internes, ignorait quelles informations étaient échangées à cette occasion, de même que l'usage qu'en faisaient les producteurs, et ne s'en préoccupait d'ailleurs pas particulièrement. En réponse aux questions du Tribunal, M. Ortún a précisé que, après juin 1988, la Commission ne poursuivait ni une politique de stabilité des flux traditionnels des échanges entre États membres, ni un objectif de hausse ou de maintien des prix, mais cherchait seulement à éviter que les fluctuations de la conjoncture donnent lieu à des variations brusques et importantes des prix, sans relation directe avec l'évolution de la demande. Il a également souligné que la DG III, tout en n'ayant pas pour objectif ni pour responsabilité principale de vérifier ou de veiller à ce que les pratiques liées aux échanges d'informations entre producteurs, préalables à leurs réunions avec elle, soient conformes aux règles de concurrence du traité, leur a rappelé à diverses reprises qu'ils devaient se conformer aux dispositions de son article 65, et supposait, dès lors, qu'ils les respectaient.

444.
    Dans sa déposition et ses réponses aux questions du Tribunal, M. Kutscher, à l'époque conseiller principal à la direction E de la DG III, a notamment exposé que c'est à la demande de M. Narjes, à l'époque membre de la Commission en charge des affaires industrielles, qu'il a fait intégrer au procès-verbal de la réunion de consultation du 26 janvier 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 16) l'avertissement aux termes duquel «si la Commission devait découvrir l'existence d'un accord au sein de l'industrie, en ce qui concerne les quantités et les prix, contraire aux termes de l'article 65 du traité CECA, elle ne manquerait pas d'entreprendre les mesures appropriées, comme le prévoient les dispositions de cet article». Cette mise en garde, que M. Kutscher a affirmé avoir déjà formulée en des termes plus ou moins identiques devant le Comité consultatif CECA, les 1er et 20 juin 1988 ainsi qu'en octobre 1988, était destinée à indiquer clairement à l'industrie que le jeu de la libre concurrence devait pleinement s'appliquer au sortir

du régime des quotas, dans le strict respect des dispositions de l'article 65 du traité, et à éviter la répétition d'une entente telle que celle dont l'existence a été constatée dans la décision acier inoxydable.

445.
    M. Kutscher a également admis que la DG III savait que les entreprises membres d'Eurofer se réunissaient préalablement à leurs réunions avec la Commission et qu'elles discutaient à cette occasion de l'évolution des divers paramètres du marché, au point de parvenir à une sorte de consensus sur les tendances futures du marché, dont la teneur faisait ensuite l'objet des discussions avec la DG III. D'après son témoignage, il aurait été pratiquement impossible pour la Commission, ou pour une association professionnelle telle qu'Eurofer, d'interroger individuellement chaque producteur. Afin de fournir à la Commission les informations dont elle avait besoin, les producteurs devaient donc se réunir pour échanger leurs opinions et leurs prévisions sur les tendances des prix, des stocks, des importations, etc. Il revenait ensuite au président de la réunion concernée de faire la synthèse des informations échangées et de les communiquer à la Commission, au cours des réunions de consultation.

446.
    En particulier, M. Kutscher a expressément reconnu que, dans le cadre de leurs réunions, les entreprises échangeaient leurs prévisions respectives quant aux prix futurs des différents produits, voire leurs intentions individuelles en la matière. D'après lui, un échange de vues entre producteurs sur leurs intentions individuelles futures en matière de prix ne tombe pas sous le coup de l'interdiction des pratiques concertées visée à l'article 65, paragraphe 1, du traité, même s'il est effectivement suivi d'un mouvement général des prix conforme aux prévisions échangées, pour autant que cet échange de vues demeure de l'ordre des constatations de nature conjoncturelle et ne débouche sur aucun accord, concertation ou collusion quant à ce mouvement. M. Kutscher a souligné, à cet égard, que, sur un marché comme celui de l'acier, lorsque la conjoncture est bonne, comme c'était le cas en 1988-1989, une augmentation de prix décidée de façon autonome par un producteur est connue très rapidement et suivie de façon quasi automatique et autonome par la plupart de ses concurrents, sans que soit nécessaire une entente entre eux si cette augmentation est conforme à l'évolution conjoncturelle, chacun de ceux-ci voulant profiter de la situation favorable.

447.
    M. Kutscher a toutefois souligné que la DG III n'avait aucune connaissance d'accords ou de pratiques concertées allant au-delà d'un tel échange d'informations entre entreprises et que les doutes personnels qu'il a pu de temps à autre nourrir à cet égard ont été dissipés par ses interlocuteurs. Sur ce point, M. Kutscher s'est plus particulièrement référé à la réunion de consultation du 27 juillet 1989 (voir l'aide-mémoire de cette réunion, du 3 août 1989, produit par la défenderesse en exécution de l'ordonnance du 10 décembre 1997), au cours de laquelle, en réaction à une annonce de M. Meyer, président de la commission poutrelles, selon laquelle le marché était «en équilibre et permettra[it] même encore de légères hausses de prix à partir du 1er octobre 1989», il a «rappelé l'attachement de la Commission au

respect intégral des règles de prix de l'article 65 du traité». M. Kutscher a affirmé avoir été rassuré par la réponse du représentant de l'industrie, selon laquelle, «dans ce cas précis, les entreprises concernées se sont limitées à informer le négoce et les clients de leurs intentions respectives d'augmenter les prix». Il aurait d'ailleurs été de pratique courante, à l'époque, que les producteurs d'acier communiquent à l'avance, à leurs clients importants, leurs intentions individuelles futures en matière de prix. M. Kutscher a également souligné que, en l'espèce, les augmentations de prix modestes annoncées en cours de réunions par les producteurs, en 1988-1989, étaient conformes à l'évolution favorable de la conjoncture et qu'elles ne permettaient donc pas à la DG III de soupçonner qu'elles étaient le résultat d'une concertation. Il a encore ajouté que, au cours de ses nombreuses discussions avec les représentants de l'industrie sidérurgique, hormis l'incident avec M. Meyer, précité, ceux-ci ne lui avaient jamais donné la moindre indication qui pût lui donner à penser que l'industrie se concertait sur les prix ou les quantités, que ce soit pour les poutrelles ou pour les autres produits sidérurgiques.

448.
    Dans sa déposition et ses réponses aux questions du Tribunal, M. Vanderseypen, à l'époque affecté à la direction E de la DG III, a notamment exposé que la DG III avait connaissance, comme l'atteste sa note de dossier du 7 avril 1989, produite par la partie défenderesse en exécution de l'ordonnance du 10 décembre 1997, de la collecte, effectuée par Eurofer auprès de ses membres, de statistiques rapides consistant en des données mensuelles agrégées portant sur les commandes et les livraisons, disponibles entre dix et vingt jours après le mois écoulé, mais pas du système de monitoring des commandes et des livraisons individuelles des entreprises participantes qui avait été mis en place au sein d'Eurofer à peu près à la même époque. Il a confirmé que les statistiques rapides en question, agrégées au niveau des entreprises, étaient ventilées par produit et par marché national de destination, de sorte qu'aucune entreprise déclarante ne pouvait calculer la part de marché de ses concurrentes. Il a précisé que la Commission n'a jamais reçu d'Eurofer des chiffres ventilés par entreprise, qu'elle n'avait pas connaissance de la circulation de tels chiffres au sein d'Eurofer et que, en réponse à la question de savoir si Eurofer procédait à de tels échanges, ses interlocuteurs lui ont encore répondu par la négative en juillet 1990.

449.
    Quant aux indications chiffrées sur les tendances des prix données lors des réunions en cause, M. Vanderseypen a précisé que, en général, les commandes de produits sidérurgiques se transforment en livraisons dans un délai de trois mois. Ces indications auraient donc souvent pu être faites sur la base des premières commandes rentrées pour le trimestre suivant. Les propos sur les prix contenus dans les «speaking notes» ne reflétaient donc pas nécessairement des intentions, mais peut-être un début de réalité, à savoir les prix retenus dans les premières commandes qui commençaient à entrer.

Appréciation du Tribunal

Observations liminaires

450.
    Il convient de préciser tout d'abord que, de par leur nature même, les arguments des requérantes ne sauraient porter que sur les infractions qui leur sont reprochées dans le cadre des activités de la commission poutrelles. A cet égard, leur argumentation comporte, en substance, quatre volets principaux:

a)    pendant la période de crise manifeste, la Commission aurait encouragé une étroite coopération horizontale entre les entreprises, notamment dans le cadre de la gestion du système de quotas «i» sur les marchés nationaux, des accords en matière de prix et des tentatives d'accords volontaires de réduction des capacités. Elle aurait ainsi donné l'impression soit que de tels comportements ne sont pas contraires à l'article 65, paragraphe 1, du traité, soit que cette disposition a un contenu flexible qui dépend de la politique de la Commission à un moment donné. A tout le moins, la Commission aurait placé les entreprises dans un état d'incertitude quant à la question de savoir quels comportements sont interdits par l'article 65, paragraphe 1, du traité;

b)    à la fin de la période de crise, la Commission n'aurait pas donné d'orientations pratiques ni de lignes directrices de nature à dissiper les malentendus en question, de sorte que les entreprises ne pouvaient pas connaître la portée exacte de l'article 65, paragraphe 1, du traité. Au surplus, la Commission n'aurait pas adopté de mesures de transition mais aurait, au contraire, aligné les règles de concurrence du traité CECA sur celles du traité CE, de façon rétroactive, sans aucun avertissement préalable;

c)    en tout état de cause, après la fin de la période de crise, la Commission aurait eu connaissance et aurait même encouragé l'activité de collecte et d'échange d'informations, notamment sur les commandes, les livraisons, le niveau réel des prix et le niveau estimé des prix futurs, dans le cadre des nombreuses réunions qui ont eu lieu entre les entreprises et la DG III pour assurer la mise en oeuvre des articles 46 à 48 du traité et du régime de surveillance établi par la décision n° 2448/88. La Commission aurait ainsi eu connaissance des, voire aurait toléré les pratiques reprochées aux entreprises dans la Décision;

d)    il en résulterait que les pratiques en cause étaient licites au vu, notamment, des articles 46 à 48 du traité.

Sur le comportement de la Commission pendant la période de crise

451.
    Ainsi qu'il ressort des points 6 et suivants ci-dessus, la Commission a, depuis le début de la crise de la sidérurgie dans le milieu des années 70, poursuivi activement une politique d'ajustement de l'offre à la demande, de maintien de la stabilité des flux traditionnels des échanges, tant intra- qu'extra communautaires, et de soutien des prix, dans le but de permettre les restructurations nécessaires, en termes de réductions de capacités, tout en assurant le maintien en vie du plus grand nombre possible d'entreprises. L'offre excédant de loin la demande, la Commission a été amenée à gérer la pénurie de commandes par l'imposition de quotas sur la base des principes du «burden-sharing» et de l'«equality of sacrifice», expression d'une certaine solidarité entre les entreprises face à la crise, censée favoriser les adaptations structurelles d'une manière ordonnée.

452.
    Cette politique a été mise en oeuvre en étroite collaboration avec l'industrie, en particulier par l'intermédiaire d'Eurofer, que ce soit par la voie des engagements volontaires des entreprises envers la Commission, caractéristiques des années 1977 à 1980, ou par la voie du régime des quotas «I» et «i» et des accords Eurofer desannées 1980 à 1988.

453.
    A cette occasion, les entreprises ont développé, avec le soutien et en tout cas au su de la DG III, des pratiques analogues, à plusieurs égards, à certaines de celles qui leur sont reprochées dans la Décision. Elles se sont notamment livrées à la surveillance des flux traditionnels des échanges, dont le maintien, qui impliquait la division des marchés selon des lignes nationales, était d'ailleurs expressément consacré, jusqu'en 1986, par l'article 15 B de la décision n° 234/84. Elles ont également mis en place des mécanismes de détection et de prévention des comportements perturbateurs par la surveillance des commandes et des livraisons, ainsi que des systèmes d'ajustement de l'offre à la demande et de soutien des prix.

454.
    La Commission a ainsi été amenée à autoriser, cautionner ou encourager des comportements en apparence contraires aux règles normales de fonctionnement du marché commun, qui sont empruntées au principe de l'économie de marché (arrêt Valsabbia e.a./Commission, précité, point 80), et dès lors susceptibles de tomber sous le coup de l'interdiction des ententes visée à l'article 65 du traité. Ainsi, à un moment où la Commission souhaitait une harmonisation et un relèvement général des prix dans la Communauté, elle n'a soulevé aucune objection à l'encontre d'un appel des représentants de l'industrie sidérurgique française à la conclusion d'un accord de fixation de prix sur le marché français (voir le compte rendu de la réunion entre le membre de la Commission M. Narjes et les représentants d'Eurofer du 16 mai 1986, précité). Il ressort également de certains documents officiels (voir, par exemple, la décision n° 1831/81/CECA de la Commission, du 24 juin 1981, instaurant un régime de surveillance et un nouveau régime de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique, JO L 180, p. 1, et le compte rendu de la réunion entre M. Narjes et Eurofer du 10 mars 1986, précité) que la Commission favorisait ouvertement certains

«arrangements privés», «concertations», «accords internes» et «systèmes volontaires» mis au point par les entreprises.

455.
    Durant cette période, la Commission a apparemment considéré que ces accords, pratiques et systèmes privés ne relevaient pas de l'interdiction de l'article 65 du traité, pour autant qu'ils ne constituaient que des mesures d'exécution ou d'accompagnement adoptées par les entreprises en accord avec sa politique générale. La doctrine de la Commission à cet égard se trouve déjà exposée dans la lettre de MM. Davignon et Andriessen au président d'Eurofer du 17 janvier 1983, précitée (point 10, ci-dessus). Le système des quotas complémentaires «I» et «i», dans le cadre des accords Eurofer, en est l'illustration la plus manifeste.

456.
    Le point VIII.13 de la décision acier inoxydable confirme qu'il existe, d'après la Commission, une «différence fondamentale entre, d'une part, des accords entre entreprises conclus après consultation de la Commission et destinés essentiellement à rendre des mesures prises par la Commission plus efficaces et plus faciles à surveiller, et, d'autre part, des accords conclus par des entreprises de leur propre initiative, sans consultation de la Commission (qui avait simplement été informée de manière informelle de l'existence de ceux-ci) et qui étaient destinés non pas à encadrer des restrictions existantes, mais à en créer de nouvelles produisant des effets économiques supplémentaires».

457.
    De même, la Commission indique, au point 309 de la Décision, que «le fait que la concurrence ait été limitée à certains égards par l'action de la Communauté ne permet pas aux entreprises d'imposer des restrictions supplémentaires ou de restreindre la concurrence à d'autres égards. Il est essentiel, dans ces conditions, que les entreprises ne prennent pas d'autres mesures pour réduire la concurrence».

458.
    Toutefois, il y a lieu de relever que la Commission n'a pas établi, à l'encontre de la requérante, d'infraction liée aux activités de la commission poutrelles pour la période antérieure au 1er juillet 1988. Il ressort en effet de la Décision que les accords au sein de la commission poutrelles prouvés par la Commission et portant sur la fixation des prix, l'harmonisation des suppléments, la méthodologie Traverso et le marché français sont postérieurs au 30 juin 1988. De même, il ressort de la Décision que les infractions liées au monitoring des commandes et des livraisons et à l'échange d'informations par l'intermédiaire de la Walzstahl-Vereinigung se rapportent à la période postérieure au 30 juin 1988, étant donné, notamment, que le monitoring des livraisons n'a commencé qu'après le 18 octobre 1988 (point 41 de la Décision) et que toutes les preuves invoquées par la Commission pour démontrer l'objet et l'effet des échanges d'informations sont postérieures au 30 juin 1988 (voir points 49 à 60 et appendice I de la Décision).

459.
    Il convient toutefois d'ajouter que, en dépit de la lettre de MM. Davignon et Andriessen à Eurofer du 17 janvier 1983, précitée, la pratique de la Commission pendant la période de crise manifeste était telle qu'il n'était pas aisé de déterminer

ce qu'elle considérait alors être la portée exacte de l'article 65 du traité. C'est, dès lors, à juste titre que, au point 311 de la Décision, la Commission a indiqué que «eu égard aux malentendus qui auraient pu surgir quant à l'application de l'article 65 au cours de la période de crise manifeste et à la mise en oeuvre du système des quotas», elle avait «décidé de ne pas infliger d'amendes aux entreprises pour leur comportement jusqu'au 30 juin 1988».

Sur la persistance, après la période de crise manifeste, des malentendus sur l'interprétation ou l'application de l'article 65, paragraphe 1, du traité

460.
    Le Tribunal relève tout d'abord que, à supposer même qu'il ait pu subsister, après la fin de la période de crise manifeste, un certain doute quant à la portée réelle de l'article 65, paragraphe 1, du traité ou quant à la position de la Commission à cet égard, vu l'attitude ambiguë qui avait été la sienne jusqu'au 30 juin 1988, cette circonstance n'est pas de nature à affecter la qualification d'infractions des comportements reprochés à la requérante pour ce qui est de la période postérieure à cette date.

461.
    En tout état de cause, le Tribunal estime que, après la fin de la période de crise manifeste, la requérante n'a pas pu nourrir de doutes sérieux quant à l'attitude de la Commission à l'égard de l'application de l'article 65, paragraphe 1, du traité, ni quant à la portée de cette disposition par rapport aux infractions qui lui sont reprochées.

462.
    A cet égard, il convient de relever que la Commission s'est aperçue, vers le milieu des années 80, que le régime des quotas et ses mesures d'accompagnement, loin de favoriser les adaptations structurelles jugées indispensables à un assainissement durable du secteur, avaient installé les entreprises dans une sorte de position protégée (voir, sur ces questions, le «rapport des trois sages», point 24, ci-dessus). La Commission a alors conclu à l'échec du système des quotas tel qu'il avait été mis en oeuvre depuis 1980 et elle a décidé de planifier, sur une durée de deux ou trois ans, le retour à un régime de concurrence normale selon les règles du traité. Elle escomptait, en effet, que les forces du marché permettraient d'accomplir ce qui n'avait pu l'être par des mesures interventionnistes, le rétablissement du jeu de la libre concurrence devant nécessairement, dans un secteur en état de surcapacité structurelle, entraîner à plus ou moins brève échéance la disparition des unités les moins performantes (points 27 et 28 ci-dessus).

463.
    La Commission était autorisée à mettre fin au régime de crise manifeste, dès lors que les conditions formelles prescrites par l'article 58, paragraphe 3, du traité étaient réunies. Par conséquent, les règles normales de fonctionnement du marché commun du charbon et de l'acier, qui sont «empruntées au principe de l'économie de marché» (arrêt Valsabbia e.a./Commission, précité, point 80), redevenaient automatiquement d'application à dater de la fin de ce régime.

464.
    Le Tribunal considère, en outre, que ce changement de politique de la Commission a été clairement porté à la connaissance des intéressés et a été accompagné de mesures de transition appropriées.

465.
    La suppression du régime des quotas a été annoncée publiquement plusieurs années avant qu'elle ne devienne effective, à savoir dès l'année 1985. Elle se trouve clairement exposée dans de nombreux documents officiels datant de 1985 à 1988 et elle a de surcroît été spécifiquement portée à la connaissance des milieux concernés, notamment dans le cadre des réunions Commission/Eurofer (voir points 17 et suivants ci-dessus).

466.
    En particulier, les entreprises savaient, dès septembre 1985 sinon plus tôt, qu'elles étaient entrées dans un régime de transition. La Commission a ainsi accepté de proroger pendant plusieurs années le régime des quotas, afin de permettre à l'industrie de s'adapter progressivement à un retour à des conditions de concurrence normale. Elle a fait réaliser une étude par un groupe de trois sages, qui a confirmé ses vues et l'état d'aveuglement des industriels quant à la gravité de la crise et à la nécessité pour eux de s'adapter à la concurrence mondiale. En 1988 encore, elle était disposée à proroger ce régime jusqu'à la fin de 1990, pour autant que les sidérurgistes lui donnent des engagements de fermeture pour au moins 75 % des excédents évalués par elle. Enfin, même après le retour au régime de concurrence normale, la Commission a adopté diverses mesures destinées à accompagner la transition, et notamment le régime de surveillance instauré, entre le 1er juillet 1988 et le 30 juin 1990, par la décision n° 2448/88. On ne saurait dès lors prétendre, comme le font certaines requérantes, que la Commission a fautivement placé les entreprises dans une situation impossible en les abandonnant brutalement et sans préparation au libre jeu du marché.

467.
    Le Tribunal relève du reste qu'Eurofer examinait de son côté les moyens de faire face à la nouvelle politique de la Commission, ainsi qu'il ressort du compte rendu de la réunion du 16 mai 1986, cité par extraits au point 20 ci-dessus.

468.
    En outre, l'attention des entreprises a été attirée à diverses reprises sur le nécessaire respect des règles de concurrence du traité, et plus particulièrement sur le prescrit impératif de son article 65. Des signaux très clairs leur ont été adressés, notamment à l'occasion du communiqué de presse du 4 mai 1988 et au cours de la procédure administrative dans l'affaire acier inoxydable. Par ailleurs, des déclarations ou mises en garde ont été officiellement mentionnées dans les procès-verbaux de certaines réunions entre les représentants de la Commission et de l'industrie, à la demande expresse des fonctionnaires de la Commission (voir points 488 et 489 ci-après).

469.
    Il convient de souligner, par ailleurs, que, comme le Tribunal vient de le constater, la présente affaire concerne des accords ou pratiques concertées portant sur la fixation des prix, la répartition des marchés et l'échange d'informations sur les

commandes et les livraisons des entreprises participantes, ventilées par pays et par entreprise, destiné à coordonner leurs activités commerciales et à influencer les courants d'échanges après la fin de la période de crise. Le Tribunal estime que les entreprises ne pouvaient pas avoir des doutes sérieux quant à la question de savoir si de tels comportements violaient l'article 65, paragraphe 1, du traité.

470.
    S'agissant de violations claires de l'article 65, paragraphe 1, du traité, le Tribunal considère également qu'il n'était nullement nécessaire que la Commission «aligne»les règles de concurrence du traité CECA sur celles du traité CE pour pouvoir les constater, de sorte que les arguments des requérantes fondés sur les réflexions qu'elle a entamées sur l'avenir du traité CECA à partir de 1990 sont inopérants.

471.
    Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à invoquer de prétendus malentendus quant à l'application ou à la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité après la fin du régime de crise manifeste.

Sur l'implication de la DG III dans les infractions constatées après la fin du régime de crise manifeste

472.
    Afin d'instruire plus particulièrement cet aspect du recours, le Tribunal a, par ordonnance du 10 décembre 1997, ordonné la production des notes, aide-mémoires ou procès-verbaux rédigés par les fonctionnaires de la DG III, en rapport avec leurs réunions avec les représentants de l'industrie sidérurgique durant la période d'application du système de surveillance instauré par la décision n° 2448/88. Le Tribunal a également entendu, en qualité de témoins, MM. Ortún, Vanderseypen et Kutscher, sur les contacts établis entre la DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction retenue par la Décision aux fins de la fixation du montant de l'amende.

473.
    Ni les pièces du dossier soumis au Tribunal par les parties, ni les mesures d'instruction et d'organisation de la procédure qu'il a ordonnées n'ont permis d'établir que la DG III avait connaissance des infractions à l'article 65 du traité imputées à la requérante, ni, a fortiori, qu'elle les a initiées, encouragées ou tolérées.

474.
    En particulier, rien ne démontre que la Commission ait eu connaissance des accords et pratiques concertées de fixation de prix cibles et de répartition des marchés mis en cause dans la Décision, ni de systèmes d'échange d'informations allant au-delà de ceux qu'elle-même organisait dans le cadre des réunions de préparation des programmes prévisionnels et, plus spécifiquement, du système de monitoring des commandes et des livraisons décrit aux points 39 à 60 et 263 à 271 de la Décision, ou du système d'échange de statistiques individuelles organisé par l'intermédiaire d'Eurofer, décrit aux points 143 et 144 de la Décision.

475.
    A cet égard, il convient de rappeler que, lors de sa 1255e session, tenue à Luxembourg le 24 juin 1988 (voir annexe 3 au mémoire en défense dans l'affaire T-151/94), le Conseil a:

—    pris acte de ce que la Commission entendait mettre fin au régime des quotas pour l'ensemble des produits sidérurgiques au 30 juin 1988;

—    préconisé certaines mesures pour permettre aux entreprises de s'adapter plus facilement à d'éventuels changements de la demande, à savoir: la collecte de statistiques mensuelles relatives à la production et aux livraisons sur la base de l'article 47 du traité; le suivi régulier, dans le cadre des programmes prévisionnels visés à l'article 46 du traité, de l'évolution des marchés et la consultation régulière des intéressés sur la situation et les tendances du marché;

—    souligné, par la même occasion, que personne ne devait utiliser le système de surveillance pour contourner l'article 65 du traité.

476.
    La Commission a, dès lors, mis en place un mécanisme de surveillance du marché, en association avec Eurofer, sur la base de la décision n° 2448/88.

477.
    Il est vrai que, dans ce cadre, la Commission poursuivait un objectif général de préservation de l'équilibre entre l'offre et la demande et, par conséquent, de stabilité du niveau général des prix, destiné à permettre aux entreprises sidérurgiques de renouer avec les profits (voir, par exemple, la note interne de la DG III du 24 octobre 1988 relative à la réunion avec l'industrie du 27 octobre 1988, l'aide-mémoire de la DG III du 10 mai 1989 relatif à la réunion de consultation du 27 avril 1989, l'aide-mémoire de la DG III du 28 octobre 1989 relatif à la réunion de consultation du 26 octobre 1989 et la note interne de la DG III du 8 novembre 1989 relative à une réunion avec les producteurs du 7 novembre 1989).

478.
    La Commission favorisait, dès lors, la consultation des producteurs sur le marché, dans le but d'obtenir des informations directes sur les tendances du marché et de créer ainsi une meilleure transparence de l'information disponible (voir la note interne de la DG III du 24 octobre 1988, précitée), de manière à faciliter l'adaptation des entreprises à d'éventuels changements de la demande.

479.
    Ces échanges d'informations étendus et détaillés, impliquant les responsables des ventes des entreprises, jugés plus en contact avec la réalité commerciale (voir la note interne du 24 octobre 1988, précitée), portaient notamment sur les paramètres de l'offre et de la demande ainsi que sur le niveau et l'évolution passée et future des prix des différents produits sidérurgiques sur les divers marchés nationaux. La Commission faisait aussi régulièrement appel au sens de la modération ou de l'autodiscipline des producteurs, par exemple en les incitant à restreindre l'offre en cas d'évolution conjoncturelle défavorable.

480.
    Toutefois, comme le démontre l'analyse qui suit, aucun élément du dossier n'indique que la Commission a encouragé ou toléré, à cette occasion, les différents comportements collusoires reprochés à la requérante dans la Décision.

— Accords de fixation de prix

481.
    S'agissant tout d'abord des accords de fixation de prix reprochés à la requérante, le Tribunal a déjà constaté qu'il ne s'agissait pas en l'espèce, comme celle-ci le prétend, de simples échanges d'informations sur des «prévisions» de prix, mais bien d'accords portant fixation de prix. Aucun élément du dossier ne permet de croire que la Commission avait connaissance de tels accords.

482.
    Il est vrai que de nombreux documents relatifs aux réunions entre l'industrie et la DG III font état de prévisions en matière de prix.

483.
    Il est également vrai qu'il ressort, a posteriori, de l'ensemble des documents produits devant le Tribunal que certaines des informations données à la DG III quant aux prix futurs des poutrelles résultaient des accords intervenus au sein de la commission poutrelles (voir, notamment, les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles du 18 octobre 1988, des 10 janvier, 19 avril, 6 juin et 11 juillet 1989 en rapport avec les comptes rendus et «speaking notes» relatifs aux réunions de consulation du 27 octobre 1988, des 26 janvier, 27 avril et 27 juillet 1989).

484.
    Le Tribunal estime toutefois que, à l'époque, les fonctionnaires de la DG III n'étaient pas en mesure de déceler que, parmi les nombreuses informations que leur procurait Eurofer à propos, notamment, de la situation générale du marché, des stocks, des importations et exportations et des tendances de la demande, les informations en matière de prix résultaient d'accords entre entreprises.

485.
    A cet égard, il convient de souligner que, en dépit du nombre très élevé de réunions et de contacts entre les entreprises et la DG III, aucune des requérantes n'a soutenu qu'elle avait informé la DG III, même officieusement, de sa participation aux comportements qualifiés d'infractions dans la Décision. De même, aucun procès-verbal des réunions de la commission poutrelles n'a été communiqué à la DG III, alors que les entreprises devaient pourtant savoir que la DG III aurait grandement apprécié les informations détaillées contenues dans ces procès-verbaux.

486.
    Tout au plus ressort-il des pièces du dossier, et notamment des «speaking notes» relatives aux réunions entre la Commission et l'industrie, ainsi que des mesures d'instruction et d'organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal, que la DG III savait que les entreprises membres d'Eurofer tenaient des réunions, préalablement à leurs réunions avec la Commission, et qu'elles discutaient à cette occasion de l'évolution des divers paramètres du marché, jusqu'au point de parvenir à une sorte de consensus à propos des tendances futures du marché, dont la teneur faisait ensuite l'objet des discussions avec la DG III.

487.
    S'il est vrai que la DG III avait connaissance du fait que, dans le cadre de ces réunions, les entreprises échangeaient leurs prévisions respectives quant aux prix futurs, voire leurs intentions individuelles en la matière, comme M. Kutscher l'a expressément reconnu lors de son audition en qualité de témoin, celui-ci a également exprimé l'avis qu'un tel échange de vues entre producteurs ne tombait pas sous le coup de l'article 65, paragraphe 1, du traité, même s'il était effectivement suivi d'un mouvement général des prix conforme aux prévisions échangées, pour autant que cet échange de vues demeurait de l'ordre de constatations de nature conjoncturelle et ne débouchait sur aucun accord ou collusion quant à ce mouvement.

488.
    Par ailleurs, le procès-verbal de la réunion de consultation du 26 janvier 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 16) comporte un avertissement exprès de M. Kutscher, aux termes duquel il est indiqué que, si la Commission devait découvrir l'existence d'un accord au sein de l'industrie, en ce qui concerne les quantités et les prix, contraire aux termes de l'article 65 du traité, elle ne manquerait pas de prendre les mesures appropriées. Lors de son audition en qualité de témoin, M. Kutscher a expliqué qu'il avait fait acter cette déclaration à la demande expresse du membre de la Commission M. Narjes, en vue d'indiquer clairement à l'industrie que le jeu de la libre concurrence devait pleinement s'appliquer au sortir du régime des quotas, dans le strict respect des dispositions de l'article 65 du traité, et d'éviter la répétition d'une entente telle que celle de l'acier inoxydable.

489.
    M. Kutscher a également exposé, sans être contredit sur ce point par les requérantes, qu'il avait fait trois déclarations analogues devant le Comité consultatif CECA, les 1er et 20 juin 1988 ainsi qu'en octobre 1988.

490.
    Il ressort encore de l'aide-mémoire de la DG III relatif à la réunion de consultation du 27 juillet 1989 que, en référence à une annonce de hausse de prix qui lui paraissait suspecte, M. Kutscher avait «rappelé l'attachement de la Commission au respect intégral des règles de l'article 65 du traité». La réponse du représentant de la commission poutrelles, selon laquelle les entreprises concernées par cette hausse s'étaient «limitées à informer le négoce et les clients de leurs intentions respectives d'augmenter les prix», a donné l'apparence qu'il s'agissait d'un comportement autonome.

491.
    Il résulte de ce qui précède que les requérantes n'ont pas établi que les fonctionnaires de la DG III avaient connaissance des accords et pratiques concertées de fixation de prix qui leur sont reprochés dans la Décision ni, a fortiori, qu'ils les ont tolérés ou encouragés.

— Accords sur l'harmonisation des prix des suppléments

492.
    Il a déjà été établi, aux points 270 et suivants ci-dessus, que la Commission n'avait pas connaissance des pratiques d'harmonisation des prix des suppléments auxquelles se livraient les entreprises. Cette constatation ne saurait être mise en cause par le fait que la speaking note d'Eurofer relative à la réunion de consultation du 27 juillet 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 18) indique que «les suppléments de dimensions et de qualités vont probablement augmenter», et que ce pronostic a apparemment servi de base à l'observation de la Commission, dans le programme prévisionnel acier pour le troisième trimestre de 1989 (JO 1989, C 178, p. 2 à 9), selon laquelle «rien ne permet de conclure à la poursuite [des augmentations des prix des profilés lourds]dans les mois à venir, sauf les extras qui sont généralement harmonisés au niveau européen».

— Accords de répartition des marchés

493.
    Les pièces du dossier n'établissent pas que les entreprises ont été encouragées par la Commission à se concerter dans le but de réguler ou de stabiliser le marché, notamment par la conclusion d'accords relevant de la méthodologie Traverso ou relatifs au marché français au quatrième trimestre de 1989.

494.
    Quant à la méthodologie Traverso, aucun élément du dossier ne permet d'inférer que la Commission avait connaissance de ce système, dont la mise en place initiale en juillet 1988 est intervenue avant le début des réunions de consultation, à partir d'octobre 1988.

495.
    Quant à l'accord relatif au marché français pour le quatrième trimestre de 1989, les requérantes se sont notamment référées au procès-verbal de la réunion de consultation du 1er septembre 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 32), qui indique, à propos de la discussion sur la situation du marché français, qu'«un appel a été lancé aux producteurs nationaux pour qu'ils fassent preuve de modération afin de ne pas déstabiliser les autres marchés de la Communauté». Il convient toutefois de souligner que, à la différence des speaking notes qui étaient transmises pour information à la Commission, le procès-verbal en question est un document unilatéralement rédigé par Eurofer, dont la Commission n'avait pas connaissance avant la présente procédure, et que la note interne de la DG III relative à la même réunion ne fait aucunement référence à un tel appel à la modération. Le Tribunal estime, dès lors, que le document en question manque de valeur probante. En tout état de cause, l'appel à la modération dont il fait état est exprimé en termes généraux qui ne donnent pas lieu à penser qu'il était sous-tendu par un accord de répartition du marché français.

496.
    Dans la mesure où les requérantes se sont référées, dans leur plaidoirie commune, à l'indication, dans ledit procès-verbal, selon laquelle «le président [de la réunion] a convenu que le programme prévisionnel devrait être considéré comme une ligne

directrice pour un comportement raisonnable sur le marché», le Tribunal relève que le même document fait état, immédiatement avant la remarque en question, d'un autre commentaire selon lequel «en l'absence d'un système de quotas, il est seulement possible de faire appel à un comportement raisonnable, sans garantie quant au résultat». Ce commentaire est révélateur de ce que, dans l'esprit de la Commission, le comportement raisonnable ou l'autodiscipline qu'elle attendait de la part de l'industrie devaient être le fait de chaque acteur pris isolément, et non le produit d'une quelconque concertation entre producteurs.

497.
    Il est vrai que la speaking note relative à la réunion de consultation du 27 avril 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 17) indique, à propos de la situation du marché des barres de renforcement (p. 8): «Certains changements dans les flux traditionnels du commerce qui se produisent suite à des offres faites par des producteurs italiens sur les marchés allemand et français menacent fortement la stabilité des prix dans ce secteur, étant donné l'effet immédiat de ces offres sur le niveau des prix. Ceci pourrait aisément entraîner des dommages sérieux pour le fil machine et doit donc être surveillé attentivement.» De même, la speaking note relative à la réunion de consultation du 27 juillet 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 18) mentionne elle aussi, parmi un certain nombre de «facteurs négatifs» influençant l'évolution des prix sur le marché des produits longs, l'«augmentation des interpénétrations».

498.
    Ces indications ne suffisent toutefois pas à établir que la Commission poursuivait, à l'époque, son ancienne politique de maintien des flux traditionnels des échanges, ni qu'elle approuvait, fût-ce tacitement, une politique semblable menée par les producteurs eux-mêmes. D'une part, en effet, il s'agit de mentions isolées, et par là même atypiques, dans les speaking notes et procès-verbaux des très nombreuses réunions de l'époque. D'autre part, elles sont de nature essentiellement descriptive, se bornent à refléter l'appréciation de l'industrie sur la situation conjoncturelle, et débouchent, au mieux, sur une simple prescription de «surveillance attentive», sans que soit même envisagée une quelconque action sur le marché en réponse à la «menace» dont il est question.

— Échanges d'informations sur les commandes et les livraisons

499.
    Il ressort du dossier non seulement que la Commission n'avait pas connaissance de l'échange d'informations sur les commandes et livraisons opéré par la commission poutrelles, mais également qu'Eurofer a dissimulé à la DG III l'existence de systèmes d'échange d'informations portant sur des données individualisées.

500.
    Il convient de relever, à ce propos, que, lors de la réunion restreinte entre les représentants de la DG III et de l'industrie du 21 mars 1989 (voir le procès-verbal de cette réunion, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 24), M. von Hülsen, directeur général d'Eurofer, a informé la DG III de la mise en place, au sein de cette association, d'un système d'enquêtes statistiques accélérées portant

sur des données mensuelles agrégées concernant les commandes et les livraisons, mais pas de la mise en place du monitoring des commandes et des livraisons, dont les premiers résultats avaient pourtant été discutés pour la première fois entre les entreprises participantes lors de la réunion de la commission poutrelles du 9 février 1989.

501.
    M. Vanderseypen, entendu en qualité de témoin à l'audience, a confirmé que les statistiques rapides en question, agrégées au niveau des entreprises, étaient ventilées par produit et par marché national de destination, de sorte qu'aucune entreprise ne pouvait calculer la part de marché de ses concurrentes. Il a précisé que la Commission n'avait jamais reçu d'Eurofer des chiffres ventilés par entreprise et qu'elle n'avait pas connaissance de la circulation de tels chiffres au sein d'Eurofer.

502.
    Or, il ressort des documents énumérés aux appendices 1 et 2 de la Décision que, tant dans le cadre du monitoring décrit aux points 39 à 60 de la Décision que dans le cadre de l'échange d'informations par l'intermédiaire d'Eurofer décrit aux points 143 à 146 de la Décision, des statistiques individualisées par entreprise et par marché national ont été échangées pour les commandes et les livraisons, notamment, des entreprises Peine-Salzgitter, Thyssen, Usinor Sacilor, Cockerill-Sambre, TradeARBED, British Steel, et Ensidesa.

— Autres accords

503.
    La requérante n'a pas prétendu, et encore moins établi, que la DG III avait connaissance des autres accords qui lui sont reprochés dans la Décision, sous réserve des accords Eurofer/Scandinavie, qui ont fait l'objet d'un examen distinct du Tribunal.

— Conclusions

504.
    Le Tribunal conclut de l'ensemble de ce qui précède que, à partir de 1988, les entreprises sidérurgiques et leur association professionnelle Eurofer ont adressé à la Commission des indications relativement générales et imprécises, tout en ayant de leur côté, en complément de leurs accords restrictifs de la concurrence, des discussions très précises et détaillées, individualisées au niveau des entreprises, dont elles ont caché l'existence et la teneur à la DG III. Les entreprises avaient pleinement conscience de la différence de nature entre ces deux catégories d'informations et ont fait en sorte que les unes, mais pas les autres, soient portées à la connaissance de la Commission.

505.
    Le Tribunal estime, en conséquence, que les entreprises ont violé les règles de concurrence du traité tout en dressant un écran destiné à les protéger de la vigilance des fonctionnaires de la DG III chargés de la surveillance du marché. Elles ne sauraient, dès lors, exciper de la prétendue connaissance que ceux-ci

auraient eue, ou auraient dû avoir, de leurs pratiques pour s'affranchir de leur obligation de respect de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

506.
    En tout état de cause, les dispositions de l'article 65, paragraphe 4, du traité, qui déclarent «nuls de plein droit» les accords ou décisions interdits en vertu du paragraphe 1, ont un contenu objectif et s'imposent tant aux entreprises qu'à la Commission, qui ne saurait en exonérer ces dernières (voir l'avis 1/61 de la Cour, précité). Dans ces circonstances, une tolérance ou un laxisme administratif ne saurait affecter le caractère infractionnel d'une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité (arrêts Lucchini/Commission et Bertoli/Commission, précités).

507.
    Il en va tout particulièrement ainsi lorsque la tolérance en cause, à la supposer même établie, émane de la direction générale de la Commission chargée des affaires industrielles, et non de celle chargée des affaires de concurrence. Si les entreprises avaient le moindre doute sur la légalité de leurs comportements, il leur incombait de prendre contact avec les services de la DG IV pour clarifier la situation.

508.
    La lettre du président d'Eurofer à M. Davignon du 8 février 1983 (point 11 ci-dessus) n'est évidemment pas de nature à les exonérer de leur responsabilité pour des comportements remontant à une autre époque et soumis à un régime radicalement différent. Elle ne saurait davantage faire peser sur la Commission une obligation implicite de réagir immédiatement au moindre soupçon de comportement anticoncurrentiel. En tout état de cause, ladite lettre est fondée sur la prémisse que la Commission était «informée scrupuleusement» de «tous les détails» des pratiques d'Eurofer, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

Sur la licéité des activités reprochées à la partie requérante au regard, notamment, des articles 46 à 48 du traité

509.
    Le Tribunal a déjà constaté que les dispositions des articles 46 à 48 du traité n'autorisaient pas la conclusion des accords et pratiques concertées dont il est question en l'espèce (points 258 à 262 ci-dessus).

510.
    Par ailleurs, les requérantes ont reconnu elles-mêmes, notamment dans leur plaidoirie commune, en se référant à l'avis du Pr Reuter, que, si les mesures adoptées par la Commission dans le cadre de ces articles, en «collaboration» avec les intéressés et avec leur accord, «constituent manifestement des pratiques concertées», c'est uniquement dans la mesure où «la Haute Autorité fait partie du concert et même le dirige» qu'elles ne tombent pas sous le coup de l'article 65 du traité.

511.
    De même, dans la présentation orale qu'il a faite à l'audience au nom des requérantes, le Pr Steindorff a indiqué, à propos des échanges d'informations entre entreprises intervenus en préparation des réunions avec la Commission, que de tels

échanges préalables n'échappent à l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1, du traité que pour autant que ce soit la Commission qui les dirige. Selon le Pr Steindorff, les entreprises doivent agir de bonne foi et penser que, dans ces échanges, elles ne font que préparer la discussion avec la Commission qui, elle, travaille dans le cadre de l'article 46 du traité.

512.
    Le Tribunal estime que tel n'a pas été le cas en l'espèce. Au contraire, il ressort du dossier que, lorsqu'elles ont réalisé que la Commission n'entendait plus exercer aucune action pour maintenir la stabilité des courants traditionnels des échanges, les entreprises visées par la Décision ont choisi de se substituer à elle et ontcommencé à agir en cartel privé. C'est ainsi que, après l'expiration du système des quotas, le 30 juin 1988, les entreprises en cause se sont efforcées de remplacer les mécanismes publics mis en place pendant le régime de crise par des mesures privées adoptées conjointement, notamment dans le cadre de la commission poutrelles.

513.
    Cette réaction n'était nullement requise, et n'a nullement été provoquée, ou suscitée, par le régime de surveillance et de consultation instauré par la DG III après juillet 1988.

514.
    Par ailleurs, le Tribunal constate que les infractions, et notamment les échanges d'informations mis en cause dans la Décision, étaient secrètes et qu'il n'existe aucun indice de nature à établir que les acheteurs, les autres producteurs ou la Commission en auraient été informés. Au contraire, les éléments du dossier déjà analysés indiquent que les entreprises ont pris soin de dissimuler leurs agissements à la Commission, au point notamment d'organiser une réunion spéciale des commissions d'Eurofer consacrée à la rédaction des procès-verbaux des réunions.

515.
    Force est, dès lors, de conclure que, au sortir du régime de crise manifeste, les producteurs de poutrelles mis en cause dans la Décision, agissant de concert et à l'encontre de la volonté expresse de la Commission, exprimée notamment dans le communiqué de presse du 4 mai 1988 relatif à l'affaire acier inoxydable, ont secrètement substitué à la gestion publique du secteur leur propre système d'organisation collective du marché, dans le but de prévenir ou d'atténuer les effets du jeu normal de la concurrence. Un tel comportement est interdit par l'article 65, paragraphe 1, du traité.

516.
    Par ailleurs, la question de savoir si des entreprises se livreraient à une pratique concertée interdite par l'article 65, paragraphe 1, du traité en se bornant à une discussion générale et à un échange mutuel d'intentions en matière de prix, du type décrit par M. Kutscher, afin d'informer la Commission des tendances du marché, n'est pas pertinente aux fins du présent arrêt. En premier lieu, en effet, tel n'était pas l'objectif des accords et pratiques concertées litigieux. En deuxième lieu, la Commission n'a pas incriminé ce type de comportements dans la Décision. En troisième lieu, dans le cas d'espèce, les contacts entre producteurs préalables aux échanges de vues avec la Commission sur les principaux paramètres et les

tendances du marché n'impliquaient nullement la perpétration des infractions constatées dans la Décision. Enfin, dans la mesure où les requérantes n'ont pas dévoilé leurs agissements à la Commission en toute franchise, elles ne sauraient prétendre échapper à l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

517.
    Il y a donc lieu de rejeter l'ensemble des moyens et arguments des requérantes tirés des activités de la DG III, invoqués au soutien des conclusions tendant à l'annulation de l'article 1er de la Décision.

D — Sur le détournement de pouvoir

518.
    Lors d'une présentation commune faite à l'audience, les requérantes ont soulevé un moyen tiré d'un détournement de pouvoir en ce que, au lieu d'exercer ses responsabilités au titre du traité, et notamment de son article 58, la Commission aurait entendu «contraindre» les producteurs à procéder aux restructurations qu'elle-même jugeait indispensables et aurait «sanctionné» leur refus par l'imposition de lourdes amendes dans la Décision, adoptée le lendemain de la rupture des négociations en question.

519.
    Or, la requérante n'a pas avancé de moyen tiré d'un détournement de pouvoir dans ses mémoires écrits. Aucun élément nouveau de nature à établir un détournement de pouvoir n'ayant été révélé au cours de la procédure devant le Tribunal, ce grief doit être rejeté comme irrecevable en ce qui concerne la requérante.

Sur la demande subsidiaire, tendant à l'annulation de l'article 4 de la Décision ou, à tout le moins, à la réduction du montant de l'amende

Observations liminaires

520.
    L'article 4 du dispositif de la Décision inflige à la requérante une amende de 4 000 000 écus pour les infractions décrites à l'article 1er. Les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 298 à 317 et 319 à 324 de la Décision.

521.
    En réponse aux questions du Tribunal, la Commission a donné certaines explications quant au mode de calcul des amendes et a produit divers tableaux explicitant ce calcul pour chacune des entreprises concernées (voir l'annexe 6 à sa réponse du 19 janvier 1998, sa réponse du 20 février 1998 et les tableaux produits le 19 mars 1998).

522.
    Il ressort de ces éléments que la Commission a déterminé l'amende en fonction d'un «taux de base» représentant 7,5 % des ventes communautaires de poutrelles de l'entreprise concernée au cours de l'année 1990. Ce pourcentage est réparti entre les trois types d'infraction visés au point 300 de la Décision, selon la clé

suivante: fixation de prix: 3 %, dont 2,5 % pour les ententes sur les prix de base et 0,5 % pour celles portant harmonisation des suppléments; répartition des marchés: 3 %; échanges d'informations: 1,5 %.

523.
    La Commission a pondéré ces pourcentages en fonction, notamment, de la durée et de la portée géographique de chaque infraction.

524.
    Ainsi, pour moduler les amendes en fonction de la durée de chaque infraction, la Commission a appliqué un coefficient obtenu en divisant le nombre de mois effectifs retenus à titre de période infractionnelle par le nombre maximal de 30 mois, sauf en ce qui concerne les accords d'harmonisation des prix des suppléments. De même, pour moduler les amendes en fonction de la portée géographique de chaque infraction, dans la mesure où certaines infractions portent uniquement sur un ou plusieurs marchés nationaux, la Commission a appliqué un pourcentage correspondant à la part revenant au(x) marché(s) en cause dans la consommation apparente communautaire totale (Allemagne: 21 %; France: 17 %; Royaume-Uni: 17 %; Espagne: 15 %; Italie: 14 %; Pays-Bas: 7 %; Union économique belgo-luxembourgeoise: 6 %; Danemark: 2 %).

525.
    A chaque infraction ont ensuite été appliqués, le cas échéant, certains coefficients de majoration ou de réduction visant à tenir compte d'éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes. C'est ainsi que l'amende infligée à la requérante au titre de l'harmonisation des suppléments, qui n'est pas modulée en fonction de la durée de l'infraction, a néanmoins été réduite de 60 % pour tenir compte du fait que Cockerill-Sambre avait quitté le marché à la fin de l'année 1989.

526.
    Enfin, le montant total issu du calcul détaillé ci-dessus a été majoré d'un tiers, dans le cas de Thyssen, de British Steel et d'Unimétal, pour cause de «récidive».

527.
    D'après la réponse de la Commission du 19 mars 1998, l'amende de la requérante a été calculée comme suit, sur la base d'un chiffre d'affaires pertinent de 132 millions d'écus:

a) Accords de fixation de prix

    
Millions écus
Commission poutrelles 132 x 2,5 %
x 18/30
1,9800
Marché danois 132 x 2,5 % x
2 %
x 12/30
0,0264
Harmonisation des suppléments 132 x 0,5 %
0,6600
Circonstance atténuante
- 60%
(0,3960)

Total

2,2704
b) Accords de répartition de marchés
Méthodologie Traverso 132 x 3% x 3/30
0,3960
Marché français 132 x 3% x 17% x 3/30
0,0673
Marché italien 132 x 3% x 15% x 3/30
0,0594

Total

0,5227
c) Échange d'informations
Infraction de base 132 x 1,5% x 18/30
1,1880

Total

1,1880
Total a)+b)+c)
3,9811
Montant final de l'amende

4,0000

Résumé sommaire de l'argumentation des parties

528.
    La requérante fait valoir que l'amende que lui inflige la Décision n'est pas fondée et invoque, à cet égard, outre un défaut de motivation, quatre arguments.

529.
    Elle soutient, en premier lieu, que les éléments sur lesquels la Commission s'est appuyée, aux points 300 et 303 de la Décision, pour justifier la gravité des infractions, et par conséquent l'imposition de lourdes amendes, sont sans fondement.

530.
    Tout d'abord, en admettant même qu'il ait existé, entre les principaux producteurs de poutrelles, une coopération contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité, la requérante expose que cette coopération a évolué au cours des années et que sa portée s'est constamment réduite. Pendant la période courant du milieu de l'année 1988 à la fin de l'année 1989, l'unique préoccupation des entreprises aurait été de maintenir, après une longue période de déséquilibre, l'équilibre entre l'offre et la demande. Leur comportement n'aurait donc pas eu pour objet une restriction de concurrence, sous quelque forme que ce soit.

531.
    S'agissant, ensuite, de l'effet de ces pratiques, et plus particulièrement des avantages économiques que les participants auraient tirés des accords de fixation de prix, la requérante soutient que la Commission n'apporte aucune preuve d'une hausse artificielle des prix. Pendant la période allant du 1er janvier 1985 au 31 décembre 1989, les volumes de livraison et les prix des poutrelles sur les marchés communautaires auraient en réalité évolué de façon concurrentielle, de sorte que, à supposer même qu'il y ait eu des accords et pratiques restrictifs, ceux-ci n'auraient guère eu de succès. Cette période se serait caractérisée par une tendance à la réduction de la part des entreprises communautaires sur leurs marchés nationaux respectifs, avec une augmentation corrélative des interpénétrations communautaires, ainsi que par une orientation générale des prix à la baisse.

532.
    En deuxième lieu, la requérante considère que la Commission ne pouvait appliquer dans la présente affaire une politique différente de celle suivie dans l'affaire acier inoxydable, dans laquelle les amendes avaient été considérablement réduites en raison des doutes pouvant exister «sur les effets de l'article 65» du traité, et ce, bien que les produits en cause n'aient jamais été soumis au régime de crise manifeste. Selon la requérante, il aurait fallu a fortiori tenir compte d'un «argument de proximité» similaire à l'égard de produits qui, comme en l'espèce, avaient été soumis à un tel régime et venaient à peine d'en sortir, dans des circonstances où la Commission considérait toujours le secteur des poutrelles comme touché par une grave crise structurelle et où, loin de manifester un regain d'intérêt pour une application littérale de l'article 65 du traité, elle proposait aux entreprises de se concerter sur une réduction de leurs capacités, entraînant ainsi une confusion dans leur chef quant à la portée de cet article, dont le paragraphe

1 vise expressément les accords portant restriction de la production. La requérante relève également que la durée de sa participation, telle qu'alléguée dans la Décision, est nettement plus brève que celle retenue à l'encontre des parties en cause dans l'affaire acier inoxydable.

533.
    La requérante ajoute que, même s'il fallait considérer que la décision acier inoxydable a clarifié la portée de l'article 65 du traité pour ce qui est des pratiques concernées par la présente Décision, aucune amende ne devrait être imposée pour la période précédant ladite décision.

534.
    En troisième lieu, pour le cas où le Tribunal accepterait l'argument de la Commission, selon lequel la politique d'alignement des règles de concurrence du traité CECA sur celles du traité CE était claire dès le mois de juillet 1988, la requérante soutient que l'amende sanctionne alors un comportement directement postérieur à une prétendue clarification de la portée de l'article 65 du traité, après que la Commission eut, pendant plusieurs années, donné à tout le moins l'impression de retenir une interprétation souple de cette disposition. Selon la requérante, la sanction aurait dès lors dû être comparable à celles imposées pour violation de l'article 85 du traité CEE dans les années 1970, lorsqu'il fut tenu compte des difficultés des entreprises à s'adapter à des dispositions réglementaires dont la portée leur était mal connue en raison de leur introduction récente.

535.
    A cet égard, et à supposer établis, pour les besoins de l'argumentation, les différents griefs invoqués par la Commission, la procédure d'application de l'article 85 du traité CE offrant le plus de similitudes avec la présente affaire serait celle relative aux affaires «polypropylène». La requérante relève que, dans ces affaires, les amendes imposées furent nettement inférieures à celles infligées dans la présente espèce, alors que la durée des infractions prises en compte pour leur calcul était plus de deux fois supérieure à celle retenue à l'encontre des entreprises sidérurgiques, et que les entreprises en cause avaient disposé d'une période bien plus longue pour adapter leur comportement à la pratique administrative de la Commission.

536.
    Ces données démontreraient que la Commission n'a pas correctement transposé au cas d'espèce, en tenant compte de ses spécificités, les principes qu'elle prône, et la pratique qu'elle suit, en matière d'imposition d'amendes pour violation de l'article 85 du traité CE.

537.
    En quatrième lieu, enfin, la requérante fait état de trois éléments du dossier qui permettraient d'établir que, en tout état de cause, le montant de l'amende qui lui a été imposée est disproportionné par rapport aux manquements qui lui sont reprochés.

538.
    Le premier élément serait l'absence, en ce qui la concerne, de toute circonstance aggravante. A cet égard, la Commission n'établirait pas que la requérante a, en

pleine connaissance de cause, violé l'article 65 du traité pendant la période concernée. Les éléments de preuve repris au point 307 de la Décision, qui établiraient que certaines entreprises savaient que leurs comportements étaient constitutifs d'une violation dudit article, ne la concerneraient en aucune façon.

539.
    Le deuxième élément serait l'absence de participation de la requérante à une série de pratiques qui lui sont reprochées par la Commission. La requérante ajoute que,si le Tribunal devait néanmoins retenir sa participation à une infraction à l'article 65, paragraphe 1, du traité jusqu'à la fin de l'année 1989, il devrait tenir compte non seulement de ce que la durée de l'infraction est plus courte que celle reprochée à d'autres entreprises, mais aussi du fait que cette infraction a été commise au moment où la confusion sur la portée reconnue par la Commission à l'article 65 du traité était la plus grande.

540.
    Le troisième élément serait l'existence de preuves démontrant le comportement concurrentiel, et même agressif d'après ses concurrents, de Cockerill-Sambre sur le marché. Ce serait à tort, et en contradiction avec la pratique de la Commission elle-même, que celle-ci refuserait d'en tenir compte.

541.
    En dehors de ces considérations générales, la requérante souligne la coopération dont elle aurait fait preuve dans le contexte de l'enquête menée par la Commission. Bien qu'ayant arrêté toute activité dans le secteur concerné et ayant complètement restructuré ses services près de deux ans avant la réception de la demande de renseignements de la Commission, elle se serait livrée à un examen détaillé de ses archives et aurait obtenu l'assistance de l'organisme financier qui, à l'époque, intervenait dans le paiement des frais de voyage des employés du groupe afin de pouvoir répondre aussi complètement que possible aux questions posées.

542.
    Lors de leur plaidoirie commune à l'audience, les requérantes ont de surcroît fait valoir que:

a)    la Commission n'aurait pas suffisamment exposé dans quelle mesure les comportements litigieux ont eu un effet anticoncurrentiel, alors que l'article 65 du traité requiert la preuve d'un tel effet. En particulier, les explications données aux points 302 et 303 de la Décision, à propos des bénéfices supplémentaires prétendument obtenus en conséquence des hausses de prix convenues, seraient contredites par celles avancées par M. Kutscher dans son témoignage. Selon ce dernier, en effet, de telles hausses pouvaient procéder de la situation conjoncturelle de l'époque;

b)    la Commission aurait dû tenir compte, à titre de circonstances atténuantes, d'une part, du fait que les comportements litigieux ne visaient pas à restreindre la production, le développement technique ou les investissements, au sens de l'article 65, paragraphe 5, du traité et, d'autre part, des différences entre le traité CECA et le traité CE;

c)    la Commission aurait à tort infligé une amende distincte pour les systèmes d'échange d'informations, dès lors que, devant le Tribunal, ceux-ci ont été qualifiés d'accessoires à d'autres infractions;

d)    la Commission aurait, sans justification, infligé des amendes d'un niveau général supérieur à celui choisi dans sa décision acier inoxydable et dans sa décision 94/815/CE, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (affaire IV/33.126 et 33.322 — Ciment) (JO L 343, p. 1, ci-après «décision Ciment» ou «affaire Ciment»);

e)    la Commission aurait doublement appliqué, une première fois à l'échelle communautaire et une seconde fois à l'échelle des divers marchés nationaux, les taux partiels attribués aux divers éléments d'infraction concernant, d'une part, les accords de fixation de prix et, d'autre part, les accords de répartition des marchés, de sorte que le taux de base effectif de l'amende serait de 13 % et non pas, comme elle le prétend, de 7,5 %.

Appréciation du Tribunal

543.
    Selon l'article 65, paragraphe 5, du traité:

«La Commission peut prononcer contre les entreprises qui auraient conclu un accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d'appliquer, [...] un accord ou une décision nuls de plein droit [...] ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1, des amendes et astreintes au maximum égales au double du chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet de l'accord, de la décision ou de la pratique contraires aux dispositions du présent article, sans préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique ou les investissements, d'un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence de 10 % du chiffre d'affaires annuel des entreprises en cause, en ce qui concerne l'amende, et de 20 % du chiffre d'affaires journalier, en ce qui concerne les astreintes.»

Sur la motivation générale de la Décision en ce qui concerne l'amende

544.
    Il ressort de la jurisprudence que la motivation prescrite par l'article 15 du traité doit, d'une part, permettre à l'intéressé de connaître les justifications de la mesure prise, afin de faire valoir, le cas échéant, ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée, et, d'autre part, mettre le juge communautaire à même d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte en cause, de la nature des motifs invoqués et du contexte dans lequel il a été adopté (arrêt du Tribunal du 24 septembre 1996, NALOO/Commission, T-57/91, Rec. p. II-1019, points 298 et 300).

545.
    Pour ce qui est d'une décision infligeant des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment appréciée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54). En outre, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59).

546.
    En l'espèce, le Tribunal estime que la Décision contient, aux points 300 à 312, 314 et 315, un exposé suffisant et pertinent des facteurs pris en compte pour juger de la gravité, en général, des différentes infractions constatées. Ces indications sont d'ailleurs complétées, en ce qui concerne chacune des infractions retenues à l'article 1er de la Décision, par la description détaillée qui en est faite aux points 30 à 205 ainsi que par l'appréciation juridique exposée aux points 210 à 296.

547.
    La Commission a, par ailleurs, conclu, au point 314 de la Décision, à l'existence d'une infraction de longue durée, qualification que la requérante n'a pas contestée en tant que telle. L'article 1er de la Décision détaille la durée prise en compte pour chaque infraction et exprime ainsi le principe selon lequel les amendes partielles correspondant aux différentes infractions sont ventilées en fonction de la durée de celles-ci. Le Tribunal estime qu'il s'agit là d'une motivation suffisante.

548.
    Le Tribunal a précisé, dans son arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission (T-148/89, Rec. p. II-1063, point 142), qu'il était souhaitable que les entreprises — afin de pouvoir arrêter leur position en toute connaissance de cause — puissent connaître en détail, selon tout système que la Commission jugerait opportun, le mode de calcul de l'amende qui leur a été infligée par une décision pour infraction aux règles de concurrence, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre ladite décision.

549.
    Il en va d'autant plus ainsi lorsque, comme en l'espèce, la Commission a utilisé des formules arithmétiques détaillées aux fins du calcul des amendes. Dans un tel cas, il est souhaitable que les entreprises concernées et, le cas échéant, le Tribunal, soient mis en mesure de contrôler que la méthode employée et les étapes suivies par la Commission sont exemptes d'erreurs et compatibles avec les dispositions et principes applicables en matière d'amendes, et notamment avec le principe de non-discrimination.

550.
    Il y a toutefois lieu de relever que de telles données chiffrées, fournies à la demande d'une partie, ou du Tribunal, en application des articles 64 et 65 du

règlement de procédure, ne constituent pas une motivation supplémentaire et a posteriori de la Décision, mais la traduction chiffrée des critères énoncés dans la Décision lorsque ceux-ci sont eux-mêmes susceptibles d'être quantifiés.

551.
    En l'espèce, bien que la Décision ne comporte pas d'indications relatives au calcul de l'amende, la Commission a fourni en cours d'instance, à la demande du Tribunal, les données chiffrées relatives, notamment, à la ventilation de l'amende entre les différentes infractions mises à charge des entreprises.

552.
    Il en résulte que les arguments de la requérante tirés d'un défaut général de motivation doivent être rejetés.

Sur l'incidence économique des infractions

553.
    L'argument de la requérante, selon lequel les pratiques incriminées en l'espèce n'ont eu aucun effet sur le marché, est à rapprocher de l'argument d'autres requérantes dans les affaires parallèles, qui reprochent également à la Commission, en substance, de ne pas avoir sérieusement étudié les effets économiques du cartel sur le marché et de s'être fondée sur de simples conjectures, alors que la Commission serait tenue d'examiner les incidences économiques des infractions pour en apprécier la gravité et de prendre en compte, le cas échéant, le caractère limité de ces incidences (arrêts de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, points 51 et suivants, et du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73, 55/73, 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 614 et suivants), surtout dans le cadre d'un marché réglementé comme celui de la CECA.

554.
    Dans leur plaidoirie commune consacrée à cet aspect de l'affaire, les requérantes ont combiné cette argumentation avec la thèse selon laquelle l'article 65, paragraphe 5, du traité ne viserait que les comportements ayant un effet anticoncurrentiel, et non pas ceux ayant seulement un tel objet.

555.
    Les requérantes se sont également référées au témoignage de M. Kutscher selon lequel, en période de conjoncture économique favorable, comme c'était le cas entre 1988 et 1990, il est normal et quasiment automatique de voir les prix des entreprises augmenter, chacune d'elles cherchant à profiter des hausses décidées par ses concurrentes, de sorte qu'il ne pouvait être inféré des profits réalisés à l'époque par les entreprises que celles-ci se concertaient sur les prix. Selon les requérantes, ce témoignage contredit les développements exposés aux points 302 à 304 de la Décision.

556.
    Comme le Tribunal l'a déjà indiqué (points 213 et 217 ci-dessus), il n'est pas nécessaire, pour constater une infraction à l'article 65, paragraphe 1, du traité, d'établir que le comportement en cause a eu un effet anticoncurrentiel. Il en va de

même en ce qui concerne l'imposition d'une amende au titre de l'article 65, paragraphe 5, du traité.

557.
    Il s'ensuit que l'effet qu'a pu avoir un accord ou une pratique concertée sur le jeu normal de la concurrence n'est pas un critère déterminant dans l'appréciation du montant adéquat de l'amende. Comme l'a relevé à juste titre la Commission, des éléments relevant de l'aspect intentionnel, et donc de l'objet d'un comportement, peuvent en effet avoir plus d'importance que ceux relatifs à ses effets (voir les conclusions du juge M. Vesterdorf, faisant fonction d'avocat général sous les arrêts polypropylène, Rec. 1991, p. II-1022 et suivants), surtout lorsqu'ils ont trait à des infractions intrinsèquement graves, telles que la fixation des prix et la répartitiondes marchés. Le Tribunal estime que ces éléments sont présents en l'espèce.

558.
    La partie défenderesse reconnaît toutefois que l'appréciation des effets d'une infraction peut être pertinente, en matière d'amendes, lorsque la Commission se fonde expressément sur un effet et ne parvient pas à le prouver ou à fournir de bonnes raisons d'en tenir compte (voir, également en ce sens, les conclusions du juge M. Vesterdorf, faisant fonction d'avocat général, sous les arrêts polypropylène, Rec. p. II-1023).

559.
    A cet égard, la Commission a expliqué, aux points 222 et 293 de la Décision, que les entreprises en cause représentaient une grande partie du marché communautaire des poutrelles, tous les grands producteurs étant impliqués, et que l'effet des infractions était dès lors loin d'être négligeable. La Commission s'est également référée, notamment au point 222, aux propres documents des producteurs, qui reflètent leur opinion, selon laquelle les hausses de prix dont il est question avaient été acceptées par les consommateurs. Au point 303 de la Décision, la Commission a chiffré l'augmentation totale des recettes ainsi obtenue à au moins 20 millions d'écus pour les deux premiers trimestres de 1989.

560.
    Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la Commission a pu légitimement tenir compte de l'incidence économique appréciable des infractions sur le marché lors du calcul de l'amende.

561.
    Toutefois, il y a lieu de relever que, dans son témoignage à l'audience, M. Kutscher, qui a acquis une expérience considérable du secteur de l'acier dans ses fonctions à la DG III, a exprimé l'avis selon lequel des hausses de prix de l'ordre de grandeur de celles constatées en l'espèce sur le marché, à l'époque des faits, étaient normalement à attendre, vu la conjoncture économique favorable de l'époque. M. Kutscher a indiqué que cet état de fait était l'une des raisons pour lesquelles il n'avait pas soupçonné l'existence d'un cartel organisé par les producteurs.

562.
    Force est de constater, en outre, que la méthode de travail adoptée par la Commission dans le cadre de la préparation des programmes prévisionnels et du régime de surveillance de la décision n° 2448/88 a amené les entreprises à devoir

se réunir préalablement à leurs réunions avec la DG III et à échanger leurs vues sur la situation économique du marché et les tendances futures, notamment en matière de prix, afin de pouvoir en présenter une synthèse à la DG III. De telles réunions préparatoires, impliquant les principaux responsables commerciaux des entreprises concernées, étaient d'ailleurs nécessaires à la réussite du régime de surveillance, la Commission n'étant pas elle-même en mesure de recueillir et de faire analyser, en temps utile, les données individuelles fournies par les entreprises, ainsi que M. Kutscher l'a confirmé à l'audience. Il est également constant que les données fournies par les entreprises lors de ces réunions étaient utiles à la DG III, notamment aux fins de la préparation des programmes prévisionnels.

563.
    Il ressort par ailleurs du témoignage de M. Kutscher que, à l'époque, la DG III voyait d'un assez bon oeil que, après une longue période de pertes, l'industrie sidérurgique, encore fragile, renoue avec les bénéfices, réduisant ainsi le risque d'un retour au régime de crise manifeste.

564.
    Le Tribunal estime que, en se comportant de la sorte dans le cadre du régime de surveillance, entre le milieu de l'année 1988 et la fin de 1990, la DG III a introduit une certaine ambiguïté dans la portée du concept de «jeu normal de la concurrence» au sens du traité CECA. Même s'il n'est pas nécessaire, aux fins du présent arrêt, de se prononcer sur la question de savoir jusqu'à quel point les entreprises pouvaient échanger des données individuelles en vue de préparer des réunions de consultation avec la Commission sans, de ce fait, enfreindre l'article 65, paragraphe 1, du traité, tel n'étant pas l'objet des réunions de la commission poutrelles, il n'en demeure pas moins que les effets des infractions commises en l'espèce ne peuvent pas être déterminés en comparant simplement la situation découlant des accords restrictifs de la concurrence avec celle qui aurait existé en l'absence de toute prise de contact entre les entreprises. En l'espèce, il est plus pertinent de comparer la situation découlant des accords restrictifs de la concurrence, d'une part, et la situation envisagée et acceptée par la DG III, dans laquelle les entreprises étaient censées se réunir et engager des discussions généralisées, notamment à propos de leurs prévisions de prix futurs, d'autre part.

565.
    A cet égard, on ne saurait exclure que, même en l'absence d'accords du type de ceux qui ont été conclus en l'espèce au sein de la commission poutrelles, des échanges de vues entre entreprises sur leurs «prévisions» de prix, du type de ceux qui étaient considérés comme légitimes par la DG III, auraient pu faciliter l'adoption, par les entreprises concernées, d'un comportement concerté sur le marché. Ainsi, à supposer que les entreprises se soient bornées à un échange de vues généralisé et non contraignant à propos de leurs attentes en matière de prix, aux seules fins de préparer les réunions de consultation avec la Commission, et aient dévoilé à celle-ci la nature précise de leurs réunions préparatoires, il n'est pas exclu que de tels contacts entre entreprises, acceptés par la DG III, auraient pu renforcer un certain parallélisme de comportement sur le marché, notamment en

ce qui concerne les hausses de prix provoquées, au moins partiellement, par la conjoncture économique favorable de 1989.

566.
    Le Tribunal estime, dès lors, que, au point 303 de la Décision la Commission a exagéré l'incidence économique des accords de fixation de prix constatés en l'espèce par rapport au jeu de la concurrence qui aurait existé en l'absence de telles infractions, eu égard à la conjoncture économique favorable et à la latitude laissée aux entreprises pour mener des discussions généralisées en matière de prévisions de prix, entre elles et avec la DG III, dans le cadre de réunions régulièrement organisées par cette dernière.

567.
    En tenant compte de ces considérations, le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu'il y a lieu de réduire de 15 % l'amende infligée à la requérante au titre des divers accords et pratiques concertées de fixation de prix. En revanche il n'y a pas lieu d'opérer la même réduction pour les accords de répartition de marché ni pour les échanges d'informations sur les commandes et les livraisons, auxquels les mêmes considérations ne s'appliquent pas.

Sur l'appréciation de la gravité des infractions

568.
    Dans la mesure où la requérante soutient que l'amende qui lui a été infligée est excessive eu égard, d'une part, à la gravité des infractions commises et, d'autre part, au comportement de la Commission, il convient tout d'abord de relever qu'elle ne pouvait ignorer l'illégalité des comportements concernés, à tout le moins après le 30 juin 1988, ainsi qu'il ressort des raisons exposées dans la partie C ci-dessus et, en particulier, des trois éléments de preuve spécifiquement mentionnés au point 307 de la Décision. A cet égard, le Tribunal estime que les notes internes respectivement rédigées par Usinor Sacilor, Peine-Salzgitter et Eurofer ne sont pas invoquées à titre de circonstance aggravante spécifique à charge des trois intéressées, mais tendent plutôt à démontrer, conjointement avec les points 305 et 306, que l'ensemble des entreprises destinataires de la Décision avaient conscience d'enfreindre l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

569.
    Il convient de rappeler encore une fois que les infractions que constituent des accords de fixation de prix et de répartition de marchés, tels que ceux auxquels la participation de la requérante a été dûment établie, sont explicitement visées à l'article 65, paragraphe 1, du traité et présentent donc un caractère patent.

570.
    Quant aux échanges d'informations confidentielles, il résulte des appréciations du Tribunal (voir points 346 et 348 ci-dessus) qu'ils avaient un objet analogue à une répartition de marchés par référence aux flux traditionnels. La requérante ne pouvait pas raisonnablement penser que de tels échanges ne relevaient pas de l'article 65, paragraphe 1, du traité. Au contraire, le fait que les membres de la commission poutrelles avaient conscience de leur illégalité peut être déduit du double système de monitoring mis en place au sein d'Eurofer, dont l'un, portant sur des données agrégées, a été spontanément porté à la connaissance de la DG III,

tandis que l'autre, portant sur des données individualisées, était réservé aux seules entreprises participantes, dont la requérante (voir points 499 et suivants ci-dessus).

571.
    C'est à juste titre, dès lors, que la Commission a considéré que ces infractions justifiaient l'imposition de lourdes amendes, au point 300 de la Décision.

572.
    Quant à l'argument que la requérante tire de son comportement prétendument concurrentiel, voire agressif sur le marché, il convient de rappeler que le fait qu'une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents en matière de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l'amende à infliger (voir arrêts du Tribunal Petrofina/Commission, précité, point 173, et du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T-308/94, Rec. p. II-925, point 230). En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit. En l'espèce, les éléments fournis par la requérante ne permettent pas de considérer que son comportement réel sur le marché a été susceptible de contrarier les effets anticoncurrentiels des infractions constatées.

573.
    Par ailleurs, le Tribunal a déjà constaté que la prétendue participation de la Commission aux infractions reprochées à la requérante n'est nullement établie en l'espèce (voir partie C ci-dessus). Le Tribunal a également constaté que la Commission n'a pas «aligné» de manière illégale le traité CECA sur le traité CE, et qu'elle n'était pas tenue de prévoir des mesures de transition particulières après l'expiration du régime de crise le 30 juin 1988.

574.
    En outre, le Tribunal a constaté, dans la partie C ci-dessus, que le communiqué de presse du 4 mai 1988 auquel se réfère le point 305 de la Décision constitue un avertissement clair rappelant aux entreprises qu'elles étaient tenues de respecter les dispositions de l'article 65, paragraphe 1, du traité. La Commission était en droit de tenir compte de cette circonstance aux fins du calcul de l'amende.

575.
    Dans ces circonstances, le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, que la Commission n'a commis aucune erreur dans son appréciation de la gravité des infractions en cause en l'espèce.

576.
    Il convient, par ailleurs, de rejeter l'argument selon lequel la Commission n'aurait pas tenu compte de ce que l'étendue de la coopération entre entreprises s'est progressivement réduite au fil du temps, de même que l'argument tiré de la plus courte durée de l'infraction reprochée à la requérante, comparée à celle des infractions commises par les autres entreprises en cause . En effet, l'amende infligée à la requérante est, en principe, modulée en fonction de l'étendue géographique et de la durée des diverses infractions retenues à sa charge, et tient

donc dûment compte tant de la durée plus limitée de sa participation que de laportée, variable dans le temps et dans l'espace, de la coopération entre entreprises. Quant à l'amende infligée à la requérante au titre de l'harmonisation des suppléments, il suffit de rappeler qu'elle a été réduite de 60 % pour tenir compte du fait qu'elle a quitté le marché à la fin de l'année 1989.

577.
    Plus généralement, le Tribunal considère que les accords et pratiques concertées de fixation de prix reprochés à la requérante, sur la base des constatations de fait exposées aux points 80 à 105 et 223 à 231 de la Décision, s'insèrent dans le cadre de réunions régulières et de contacts constants entre producteurs, qui ont été l'occasion d'une coopération continue entre eux au sein de la commission poutrelles. Il ressort également des procès-verbaux de ces réunions que les participants ont eu en permanence des discussions collusoires sur les prix à appliquer sur les principaux marchés communautaires.

578.
    C'est à juste titre, dès lors, que la Commission a constaté, au point 221 de la Décision, que les intéressés se sont livrés à une collusion permanente dans le but, notamment, de relever et d'harmoniser les prix dans les différents États membres de la CECA, et, au point 242 de la Décision, que la responsabilité des accords et pratiques concertées de fixation de prix au sein de la commission poutrelles décrits dans la Décision doit être supportée par les entreprises pour toute la période au cours de laquelle elles ont participé aux réunions et à la coopération qui y était liée.

Sur l'amende infligée à la requérante pour sa participation aux systèmes d'échanges d'informations

579.
    Pour les raisons exposées aux points 324 et suivants ci-dessus, le Tribunal a déjà constaté que la participation de la requérante aux systèmes d'échange d'informations décrits aux points 263 à 271 de la Décision doit être considérée comme une infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité. Il s'ensuit que c'est à juste titre que la Commission a tenu compte de cette infraction distincte dans le calcul de l'amende infligée à la requérante.

Sur la double application du taux de base retenu aux fins de l'amende

580.
    A l'audience, les requérantes ont fait valoir que la mise en oeuvre du taux de base de 7,5 % du chiffre d'affaires a effectivement donné lieu à l'application d'un taux de base réel de 13 %, à savoir 2,5 % pour les accords de prix au sein de la commission poutrelles, plus 0,5 % pour l'harmonisation des suppléments, plus 2,5 % pour les accords de prix sur les divers marchés nationaux individuels, plus 3 % pour les accords de répartition de marchés conclus au sein de la commission poutrelles, plus 3 % pour les accords de répartition des divers marchés nationaux, plus 1,5 % pour l'échange d'informations.

581.
    Il ressort effectivement des indications fournies par la Commission en cours d'instance que, comme l'ont fait valoir les requérantes, l'amende pouvait théoriquement s'élever à 13 % du chiffre d'affaires, par suite de l'addition des divers taux mentionnés au point 522 ci-dessus. Toutefois, dans ses calculs, la Commission a également modulé le montant des amendes en fonction de la durée et de l'étendue géographique de chaque infraction, de sorte que, dans la pratique, les amendes infligées aux entreprises sont loin d'atteindre le taux de base de 7,5 %, et plus encore un taux de 13 %. Par conséquent, l'argument des requérantes est sans incidence sur le montant des amendes qui leur ont effectivement été infligées.

582.
    Dans ces conditions, à supposer même que certaines des infractions se chevauchent partiellement (par exemple, les accords sur les prix au sein de la commission poutrelles et certains accords de prix sur les différents marchés nationaux) et qu'il y ait une relation entre certaines infractions (par exemple entre le monitoring des commandes et des livraisons et certains accords de répartition de marché), le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu'il n'y a pas lieu de réduire, à ce titre, l'amende infligée à la requérante, dès lors que le montant global de l'amende, tel que fixé ci-après, constitue une sanction appropriée pour l'ensemble des infractions en cause.

Sur le niveau général des amendes retenu par la Décision par rapport à d'autres décisions CECA de la Commission et par rapport aux dispositions de l'article 65, paragraphe 5, du traité

583.
    Dans sa requête et dans le cadre de la plaidoirie commune à l'audience, la requérante s'est référée, pour contester le niveau général des amendes, à la décision acier inoxydable. Cette argumentation ne saurait être retenue.

584.
    En premier lieu, les infractions prises en compte pour l'amende infligée dans la décision acier inoxydable avaient toutes été commises au cours de la période de crise manifeste. En deuxième lieu, les entreprises n'ont pas établi, en l'espèce, que les fonctionnaires de la DG III avaient connaissance des comportements dénoncés dans la Décision, de sorte que la circonstance atténuante correspondante, reconnue dans la décision acier inoxydable, ne saurait être retenue dans la présente affaire. En troisième lieu, compte tenu des divers avertissements adressés à l'industrie sidérurgique au sortir de la période de crise et, notamment, du communiqué de presse cité au point 305 de la Décision, il ne saurait être question, comme ce le fut à l'époque de l'adoption de la décision acier inoxydable, d'un malentendu éventuel sur la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

585.
    Il y a, par ailleurs, lieu de rejeter l'argument fondé sur les prétendues difficultés des entreprises à s'adapter à des dispositions réglementaires dont la portée leur aurait été mal connue en raison de leur introduction récente. D'une part, en effet, les infractions consistant en la fixation de prix et en la répartition de marchés sont expressément mentionnées à l'article 65, paragraphe 1, du traité. D'autre part, le

Tribunal a déjà relevé que les échanges d'informations réalisés en l'espèce avaient un objet similaire à une répartition des marchés par référence aux flux traditionnels et que les requérantes ne pouvaient ignorer leur illégalité.

586.
    Ne saurait davantage être retenu l'argument développé à l'audience, selon lequel le niveau général des amendes est excessif eu égard aux différences entre le traité CE et le traité CECA. Bien que certaines dispositions du traité CECA, notamment l'article 60, restreignent par elles-mêmes le libre jeu de la concurrence, le plafond absolu de 10 % du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise en cause, prévu par l'article 65, paragraphe 5, dudit traité pour les restrictions les plus graves à la concurrence, est identique au plafond absolu prévu par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204). Le Tribunal rappelle, en outre, que dans le cas d'espèce l'article 65, paragraphe 5, du traité permet d'infliger des amendes pouvant atteindre le double du chiffre d'affaires relatif au produit concerné.

587.
    Pour autant que, dans leur plaidoirie commune, les requérantes ont souligné le fait que les infractions ne visaient pas à restreindre la production, le développement technique ou les investissements, au sens de l'article 65, paragraphe 5, du traité, le Tribunal constate que c'est à bon droit que la Commission n'en a pas tenu compte en tant que circonstance atténuante. En effet, de telles restrictions ont, dans l'économie de l'article 65, paragraphe 5, du traité, la fonction de circonstances aggravantes permettant de dépasser le plafond normal du double du chiffre d'affaires du produit concerné. Or, en l'espèce, l'amende est de loin inférieure à ce plafond.

Sur la comparaison des amendes infligées par la Décision avec celles infligées par la décision Ciment

588.
    Dans le cadre de la plaidoirie commune, il a également été soutenu que, dans la décision Ciment, la Commission a infligé des amendes de l'ordre de 4 % du chiffre d'affaires pour des infractions considérées comme graves et ayant duré dix ans. Les requérantes en déduisent, sur la base d'une communication récente de la Commission (Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, JO 1998, C 9, p. 3, ci-après «lignes directrices») que, dans ladite affaire Ciment, celle-ci a appliqué, avant de faire intervenir des augmentations liées à la durée des infractions, une amende de base de 2 %. Or, sur la base du même calcul, le taux de base s'élèverait, en l'espèce, à 6 %. Le montant des amendes doit donc, selon les requérantes, être divisé par trois.

589.
    Le Tribunal estime qu'aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la Décision et celui retenu dans la décision Ciment.

590.
    En premier lieu, le calcul opéré dans la Décision, qui est antérieure aux lignes directrices, n'a pas été effectué en recourant à la méthode qui y est prévue et qui implique une amende de base et des augmentations en fonction de la durée.

591.
    En deuxième lieu, la décision Ciment est elle aussi antérieure auxdites lignes directrices et n'indique pas qu'elle aurait suivi la méthode qu'elles prévoient.

592.
    En troisième lieu, le Tribunal estime que le cadre factuel et juridique du cas d'espèce est trop éloigné de celui de l'affaire Ciment pour qu'une comparaison détaillée entre les deux décisions soit utile aux fins de l'appréciation de l'amende qui doit être infligée à la requérante en l'espèce.

Sur la prétendue coopération de la requérante avec la Commission au cours de la procédure administrative

593.
    S'agissant de la prétendue «totale et particulière coopération» dont la requérante aurait fait preuve au cours de l'enquête menée par la Commission, il y a tout d'abord lieu de relever que, dans leur réponse du 7 novembre 1991 à une demande de renseignements qui leur avait été adressée au titre de l'article 47 du traité, tant la requérante que Steelinter ont affirmé ne disposer d'aucune liste des participants aux réunions de la commission poutrelles et du groupe Eurofer/Scandinavie, ni d'aucun des comptes rendus, procès-verbaux ou rapports relatifs à un certain nombre de ces réunions, visés par la demande de la Commission, alors qu'il est attesté par les éléments du dossier qu'elles recevaient régulièrement de tels documents.

594.
    Il y a lieu de rappeler également que, hormis sa participation à certaines des réunions en cause, la requérante n'a admis le bien-fondé d'aucune des allégations de fait dirigées contre elle.

595.
    La Commission a estimé à bon droit que, en répondant de la sorte, la requérante ne s'est pas comportée d'une manière justifiant la réduction de l'amende au titre d'une coopération lors de la procédure administrative. En effet, une réduction à ce titre n'est justifiée que si le comportement a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (voir arrêt Cascades/Commission, précité, points 255 et suivants).

596.
    Il résulte de ce qui précède que, sous réserve de ce qui sera dit ci-après, l'ensemble des arguments de la requérante portant sur le montant des amendes doivent être rejetés.

Sur l'exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction

597.
    Il convient de rappeler que le Tribunal a déjà annulé l'article 1er de la Décision en ce qu'il constate la participation de la requérante à un accord de répartition dumarché italien (voir point 364 ci-dessus). L'amende infligée par la Commission pour cette infraction a été évaluée à 59 400 écus.

598.
    Pour les raisons exposées aux points 402 et 411 ci-dessus, il y a par ailleurs lieu d'exclure la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1988 aux fins du calcul de l'amende relative à l'infraction de fixation de prix sur le marché danois, ce qui implique, dans le cas de la requérante, une réduction de l'amende de 13 200 écus, selon la méthodologie suivie par la Commission.

599.
    Enfin, pour les raisons exposées aux points 561 et suivants ci-dessus, le Tribunal estime qu'il y a lieu de réduire de 15 % le montant total de l'amende infligée pour les accords et pratiques concertées de fixation de prix, en raison du fait que la Commission a, dans une certaine mesure, exagéré les effets anticoncurrentiels des infractions constatées. En tenant compte des réductions déjà évoquées en ce qui concerne les accords de prix sur le marché danois, cette réduction s'élève à 338 600 écus, selon la méthode de calcul utilisée par la Commission.

600.
    En application de la méthodologie de la Commission, l'amende infligée à la requérante devrait donc être réduite de 411 200 écus.

601.
    Par nature, la fixation d'une amende par le Tribunal, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction, n'est pas un exercice arithmétique précis. Par ailleurs, le Tribunal n'est pas lié par les calculs de la Commission, mais doit effectuer sa propre appréciation, en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce.

602.
    Le Tribunal estime que l'approche générale retenue par la Commission pour déterminer le niveau des amendes (points 522 et suivants ci-dessus) est justifiée par les circonstances de l'espèce. En effet, les infractions consistant à fixer des prix et à répartir des marchés, qui sont expressément interdites par l'article 65, paragraphe 1, du traité, doivent être considérées comme particulièrement graves dès lors qu'elles comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné. De même, les systèmes d'échange d'informations confidentielles reprochés à la requérante ont eu un objet analogue à une répartition des marchés selon les flux traditionnels. Toutes les infractions prises en compte aux fins de l'amende ont été commises, après la fin du régime de crise, après que les entreprises eurent reçu des avertissements pertinents. Comme le Tribunal l'a constaté, l'objectif général des accords et pratiques en cause était précisément d'empêcher ou de fausser le retour au jeu normal de la concurrence, qui était inhérent à la disparition du régime de crise manifeste. En outre, les entreprises avaient connaissance de leur caractère illégal et les ont sciemment cachés à la Commission.

603.
    Compte tenu de tout ce qui précède, d'une part, et, de la prise d'effet, à compter du 1er janvier 1999, du règlement (CE) n° 1103/97 du Conseil, du 17 juin 1997, fixant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'euro (JO L 162, p. 1), d'autre part, le montant de l'amende doit être fixé à 3 580 000 euros.

Sur la demande tendant à l'annulation de la Lettre

604.
    Au soutien de ses conclusions tendant à l'annulation de la Lettre, dans la mesure où celle-ci majore d'un point et demi le taux d'intérêt applicable en cas de paiement échelonné lorsque le destinataire de la Décision introduit un recours devant les juridictions communautaires, la requérante invoque une violation de ses droits de la défense.

605.
    La Lettre accompagnant la Décision maintiendrait, en cas d'introduction d'un recours devant les juridictions communautaires, la faculté, prévue à l'article 5 de ladite Décision, de payer les amendes supérieures à 20 000 écus en cinq tranches annuelles auxquelles s'ajoute un intérêt calculé au taux FECOM, mais majorerait ce taux d'un point et demi. Les entreprises introduisant un recours seraient ainsi soumises à des conditions plus sévères que celles qui s'appliquent aux entreprises qui n'introduisent pas de recours. Une telle «sanction» serait de nature à paralyser leurs droits, tout justiciable étant en droit d'introduire un recours contre une décision dont il fait l'objet, sans être pénalisé de ce fait.

606.
    La défenderesse ayant expliqué que la différence de taux d'intérêt prévue par la Lettre n'a aucun rapport avec l'éventuelle introduction d'un recours, mais seulement avec la question de savoir si l'amende - ou la tranche - a ou non été payée à l'échéance, la requérante réplique qu'il subsiste une différence de traitement pour ce qui est de la période se situant entre la date d'exigibilité des différentes tranches et le prononcé de l'arrêt définitif. Selon elle, l'entreprise aura à payer, durant cette période, un taux d'intérêt variable et présentement indéterminé (FECOM à la date d'exigibilité de la tranche + 1,5 %), alors que le taux appliqué aux entreprises qui ne font pas usage de la possibilité de paiement échelonné est fixe (7,75 %). Il s'agirait là d'un désavantage imposé aux entreprises qui introduisent un recours et décident de faire usage des possibilités de paiement échelonné.

607.
    Il ressort du libellé de l'article 5 de la Décision et de la Lettre, ainsi que des explications fournies en cours d'instance par la partie défenderesse, qu'une entreprise ayant choisi de payer l'amende par tranches et d'introduire un recours est soumise au taux de base FECOM jusqu'à l'échéance de chaque tranche, après quoi elle a le choix soit de payer la tranche échue, soit de passer, pour cette tranche, au taux FECOM majoré de 1,5 % jusqu'au prononcé de l'arrêt. Par conséquent, l'application d'un taux d'intérêt majoré d'un point et demi de pourcentage ne dépend pas de l'introduction d'un recours devant le Tribunal, mais uniquement de l'éventuel retard dans le paiement de l'amende, lié au fait que l'intéressée n'a pas payé à l'échéance et a préféré accepter l'offre, faite par la Commission dans la Lettre, de suspendre la perception de l'amende jusqu'au prononcé de l'arrêt.

608.
    A cet égard, il convient de souligner que, aux termes de l'article 39 du traité, les recours formés devant le Tribunal n'ont pas d'effet suspensif. Il s'ensuit que la Commission ne saurait être tenue de traiter de la même manière une entreprise qui, ayant ou non introduit un recours, s'acquitte du paiement de l'amende à sa date normale d'exigibilité, le cas échéant en se prévalant des modalités de paiement par tranches au taux d'intérêt préférentiel qui, comme en l'espèce, peuvent lui avoir été offertes par la Commission, et une entreprise qui souhaite différer ledit paiement jusqu'au prononcé d'un arrêt définitif. Sauf circonstances exceptionnelles, l'application d'intérêts moratoires au taux normal doit en effet être considérée comme justifiée dans ce dernier cas (voir arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 141, et ordonnances du président de la Cour du 6 mai 1982, AEG/Commission, 107/82 R, Rec. p. 1549, et du 7 mars 1986, Finsider/Commission, 392/85 R, Rec. p. 959).

609.
    Il convient de relever également que la possibilité offerte aux entreprises concernées de payer leur amende sous forme de cinq tranches annuelles soumises, jusqu'à leur date d'exigibilité, au taux de base FECOM, combinée avec la possibilité d'obtenir une suspension des mesures de recouvrement en cas de recours, constitue un avantage par rapport à la formule traditionnellement utilisée par la Commission en cas de recours formé devant le juge communautaire. En effet, il ressort de la ligne de conduite générale adoptée par la Commission que le taux d'intérêt qu'elle exige en cas de suspension du paiement de l'amende est égal au taux appliqué par le FECOM à ses opérations en écus le mois qui précède l'adoption de la décision en cause, majoré d'un point et demi. Or, le choix du paiement échelonné, en retardant la date d'exigibilité des quatre cinquièmes de l'amende, a pour effet de reporter dans le temps l'application de ce taux.

610.
    Enfin, il convient de relever que le recours à un taux d'intérêt variable est inhérent à la formule de paiement échelonné proposée en l'espèce par la Commission, celle-ci n'étant pas en mesure de prévoir le taux qui sera utilisé par le FECOM pour ses opérations en écus le mois précédant la date d'échéance de chacune des tranches. Au demeurant, ce taux variable n'est pas nécessairement désavantageux pour

l'entreprise qui choisit cette formule, les taux étant tout aussi susceptibles de baisser que de monter.

611.
    Le chef de conclusions visant à l'annulation de la Lettre doit dès lors être rejeté comme non fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si ladite Lettre constitue une décision autonome, attaquable dans le cadre d'un recours en annulation.

Sur les dépens

612.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que partiellement accueilli, le Tribunal fera une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la partie requérante supportera ses propres dépens et les quatre cinquièmes des dépens de la partie défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    L'article 1er de la décision 94/215/CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles, est annulé pour autant qu'il retient à charge de la requérante sa participation, d'une part, à un accord de répartition du marché italien d'une durée de trois mois, et, d'autre part, à une infraction de fixation de prix sur le marché danois, pour la période comprise entre le 1er juillet et le 3 novembre 1988.

2)    Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 4 de la décision 94/215/CECA est fixé à 3 580 000 euros.

3)    Le recours est rejeté pour le surplus.

4)    La partie requérante supportera ses propres dépens ainsi que les quatre cinquièmes des dépens de la partie défenderesse. La partie défenderesse supportera le cinquième de ses propres dépens.

Bellamy

Potocki
Pirrung

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 mars 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

C. W. Bellamy

Table des matières

     Faits à l'origine du recours

II - 2

     A — Observations liminaires

II - 2

     B — Relations entre l'industrie sidérurgique et la Commission entre 1970 et 1990

II - 3

         Crise des années 70 et création d'Eurofer

II - 3

         Régime des quotas instauré de 1980 à 1988

II - 4

         Événements précédant la fin du régime de crise manifeste, le 30 juin 1988

II - 8

         Régime de surveillance mis en place à partir du 1er juillet 1988

II - 12

        Décision «acier inoxydable» du 18 juillet 1990

II - 14

         Réflexions menées par la Commission, à partir de 1990, sur l'avenir du traité CECA

II - 14

     C — Procédure administrative devant la Commission

II - 15

     D — Décision

II - 16

     Procédure devant le Tribunal, développements postérieurs à l'introduction du recours et conclusions des parties

II - 19

     Sur la demande principale tendant à l'annulation de la Décision

II - 23

     A — Sur la violation des formes substantielles

II - 24

         Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

II - 24

         Appréciation du Tribunal

II - 26

             Sur la recevabilité

II - 26

             Sur l'absence de quorum

II - 26

             Sur l'absence de correspondance formelle entre la Décision adoptée et celle notifiée à la partie requérante

II - 30

             Sur le défaut d'authentification de la Décision

II - 32

             Sur le défaut d'indication de la date de signature du procès-verbal

II - 33

     B — Sur la violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité

II - 33

         Sur la fixation de prix (prix cibles) au sein de la commission poutrelles

II - 34

             1. Sur la matérialité des faits

II - 34

                 Observations liminaires

II - 34

                 Accords prétendument conclus en 1986 et 1987

II - 37

                 Accord concernant les prix en Allemagne et en France prétendument conclu avant le 2 février 1988

II - 37

                 Prix cibles prétendument fixés avant le 25 juillet 1988

II - 38

                 Prix cibles prétendument fixés le 18 octobre 1988

II - 40

                 Prix cibles prétendument arrêtés lors de la réunion du 10 janvier 1989

II - 43

                 Prix cibles pour les marchés italien et espagnol prétendument arrêtés lors de la réunion du 7 février 1989

II - 44

                 Prix cibles prétendument convenus lors de la réunion du 19 avril 1989

II - 45

                 Fixation des prix applicables au Royaume-Uni à partir du mois de juin 1989

II - 46

                 Accord prétendument intervenu lors de la réunion du 11 juillet 1989, en vue de reconduire au quatrième trimestre, sur le marché allemand, les prix cibles du troisième trimestre de cette même année

II - 48

                 Conclusions

II - 49

             2. Sur la qualification juridique des faits

II - 49

                 a) Sur la qualification des comportements incriminés au regard des catégories d'ententes envisagées par l'article 65, paragraphe 1, du traité

II - 50

                 b) Sur l'objet et l'effet des ententes et pratiques concertées reprochées

II - 53

                 c) Sur la qualification des comportements incriminés au regard du critère relatif au «jeu normal de la concurrence»

II - 54

                     Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

II - 54

                     Appréciation du Tribunal

II - 58

                     — Contexte dans lequel s'inscrit l'article 65, paragraphe 1, du traité

II - 59

                     — Article 60 du traité

II - 60

                     — Articles 46 à 48 du traité

II - 62

         Sur les accords portant sur l'harmonisation des suppléments (extras)

II - 63

         Sur la répartition des marchés opérée dans le cadre de la «méthodologie Traverso»

II - 65

             Appréciation du Tribunal

II - 67

         Sur l'accord portant répartition du marché français au quatrième trimestre de 1989

II - 69

         Sur les échanges d'informations au sein de la commission poutrelles (monitoring des commandes et des livraisons)

II - 74

             Résumé sommaire de l'argumentation des parties

II - 75

             Appréciation du Tribunal

II - 76

                 Sur la nature de l'infraction reprochée à la requérante

II - 76

                 Sur le caractère anticoncurrentiel du monitoring

II - 78

                 Sur la durée de la participation de la requérante à l'infraction en cause

II - 82

         Sur les pratiques relatives aux différents marchés

II - 83

             1. Répartition du marché italien

II - 83

             2. Fixation de prix sur le marché français

II - 85

             3. Fixation de prix sur le marché italien

II - 85

         Sur la fixation de prix sur le marché danois, dans le cadre des activités du groupe Eurofer/Scandinavie

II - 85

             Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

II - 86

             Appréciation du Tribunal

II - 88

                 Sur la nature et l'objet des activités du groupe Eurofer/Scandinavie

II - 88

                 Sur la participation de la requérante aux activités du groupe Eurofer/Scandinavie et aux accords de fixation de prix sur le marché danois

II - 89

                 Sur l'implication de la Commission dans les activités du groupe Eurofer/Scandinavie

II - 92

         Conclusions

II - 95

     C — Sur l'implication de la Commission dans les infractions reprochées à la partie requérante

II - 96

         Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

II - 96

         Compte rendu de l'audition des témoins

II - 101

         Appréciation du Tribunal

II - 105

             Observations liminaires

II - 105

             Sur le comportement de la Commission pendant la période de crise

II - 106

             Sur la persistance, après la période de crise manifeste, des malentendus sur l'interprétation ou l'application de l'article 65, paragraphe 1, du traité

II - 108

             Sur l'implication de la DG III dans les infractions constatées après la fin du régime de crise manifeste

II - 110

                 — Accords de fixation de prix

II - 112

                 — Accords sur l'harmonisation des prix des suppléments

II - 114

                 — Accords de répartition des marchés

II - 114

                 — Échanges d'informations sur les commandes et les livraisons

II - 115

                 — Autres accords

II - 116

                 — Conclusions

II - 116

             Sur la licéité des activités reprochées à la partie requérante au regard, notamment, des articles 46 à 48 du traité

II - 117

     D — Sur le détournement de pouvoir

II - 119

     Sur la demande subsidiaire, tendant à l'annulation de l'article 4 de la Décision ou, à tout le moins, à la réduction du montant de l'amende

II - 119

         Observations liminaires

II - 119

         Résumé sommaire de l'argumentation des parties

II - 122

         Appréciation du Tribunal

II - 125

             Sur la motivation générale de la Décision en ce qui concerne l'amende

II - 125

             Sur l'incidence économique des infractions

II - 127

             Sur l'appréciation de la gravité des infractions

II - 130

             Sur l'amende infligée à la requérante pour sa participation aux systèmes d'échanges d'informations

II - 132

             Sur la double application du taux de base retenu aux fins de l'amende

II - 132

             Sur le niveau général des amendes retenu par la Décision par rapport à d'autres décisions CECA de la Commission et par rapport aux dispositions de l'article 65, paragraphe 5, du traité

II - 133

             Sur la comparaison des amendes infligées par la Décision avec celles infligées par la décision Ciment

II - 134

             Sur la prétendue coopération de la requérante avec la Commission au cours de la procédure administrative

II - 135

             Sur l'exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction

II - 136

     Sur la demande tendant à l'annulation de la Lettre

II - 137

     Sur les dépens

II - 139


1: Langue de procédure: le français.


2:     Date mentionnée dans les versions française et espagnole de la Décision. Les versions allemande et anglaise indiquent la date du 31 décembre 1988.