Language of document : ECLI:EU:T:2014:991

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

25 novembre 2014 (*)

« Concurrence – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Proportionnalité – Caractère approprié – Nécessité – Absence de caractère arbitraire – Motivation »

Dans l’affaire T‑402/13,

Orange, établie à Paris (France), représentée par Mes J.-P. Gunther et A. Giraud, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Dawes et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation des décisions C (2013) 4103 final et C (2013) 4194 final de la Commission du 25 et du 27 juin 2013, relatives à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, adressées respectivement à France Télécom SA et Orange ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elles,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. M. Prek (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. V. Kreuschitz, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 juin 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Orange (antérieurement au 1er juillet 2013, France Télécom SA), est une société anonyme de droit français ayant notamment pour objet de fournir des services de communication électronique, y compris de téléphonie fixe et mobile, d’accès à Internet à destination des entreprises et des personnes physiques. Dans le domaine de l’internet, la requérante est un fournisseur d’accès à Internet par l’intermédiaire de son réseau national « Orange Internet » auquel sont rattachés ses clients. Elle opère également son propre réseau international d’acheminement de contenu Internet « Open Transit International », interconnecté avec Orange Internet, mais également relié à un ensemble d’autres réseaux internationaux.

 Procédure devant l’Autorité de la concurrence française

2        Le 9 mai 2011, Cogent Communications Inc. et Cogent Communications France (ci-après, prises ensemble, « Cogent ») ont déposé une plainte auprès de l’Autorité de la concurrence française (ci-après l’« Autorité ») dénonçant des pratiques de la requérante contraires à l’article L. 420-2 du code de commerce et à l’article 102 TFUE. Cogent alléguait l’existence d’un refus d’accès à une facilité essentielle ainsi que de pratiques de « tromboning », critiquait la faiblesse de la capacité d’interconnexion qui lui était accordée par la requérante à Paris (France) et la mise en place d’une politique de facturation des capacités supplémentaires dans le cadre d’accords de « peering », et invoquait une restriction dans la propagation des « préfixes/routes aux pairs » et des pratiques de compression des marges.

3        Le 20 septembre 2012, l’Autorité a adopté sa décision 12-D-18 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d’interconnexion réciproques en matière de connectivité Internet. Après avoir examiné les pratiques dénoncées par Cogent et le marché concerné, l’Autorité, d’une part, a considéré, en substance, que lesdites pratiques soit n’étaient pas avérées, soit ne constituaient pas un abus de position dominante, et, d’autre part, a estimé prima facie que seule pouvait éventuellement exister une préoccupation de concurrence tenant à un éventuel ciseau tarifaire. En substance, il était envisageable que le niveau très bas des prix facturés par la requérante à certains fournisseurs indépendants de contenu et/ou d’applications sur Internet pour l’accès à ses abonnés ne serait pas réplicable par Cogent et pourrait être constitutif d’une pratique de ciseau tarifaire. Notant l’opacité des relations entre Orange Internet et Open Transit International, l’Autorité a conclu qu’il était difficile de contrôler la réalité d’une telle pratique. En réponse à cette préoccupation, la requérante a proposé deux engagements portant, d’une part, sur la formalisation d’un protocole interne entre Orange Internet et Open Transit International et, d’autre part, sur la vérification de la mise en œuvre du protocole par les services d’instruction de l’Autorité, engagements qui ont été rendus obligatoires par la décision de l’Autorité.

 Enquête de la Commission

4        Le 18 janvier 2012, la Commission européenne a adressé, au titre de l’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 1, p. 1), des demandes de renseignements à la requérante ainsi qu’à sa filiale polonaise. Ces demandes de renseignements visaient d’éventuels comportements anticoncurrentiels relatifs à la fourniture de services de connectivité à Internet et à l’accès aux utilisateurs finaux connectés aux réseaux de télécommunications dans l’Espace économique européen (EEE). La requérante et sa filiale polonaise ont répondu à ces demandes le 15 février 2012.

5        Le 25 juin 2013, la Commission a adopté la décision C (2013) 4103 final, du 25 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, adressée à France Télécom ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, ordonnant à celles-ci de se soumettre à une inspection. Dans la perspective du changement de dénomination sociale de la requérante, la Commission a adopté le 27 juin 2013 la décision C (2013) 4194 final, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, adressée à Orange ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, ordonnant à celles-ci de se soumettre à une inspection. À l’exception de l’identification de leurs destinataires, le contenu des décisions C (2013) 4103 final et C (2013) 4194 final est identique (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »).

6        Les considérants 3 à 10 des décisions attaquées sont rédigés de la manière suivante :

« (3)      La Commission dispose d’indications que [la requérante] peut détenir une position dominante sur un ou plusieurs marchés pertinents en ce qui concerne la fourniture de services de connectivité à Internet.

(4)      La Commission dispose d’indications que [la requérante] pourrait mettre en œuvre des pratiques qui restreignent et/ou dégradent la qualité des services de connectivité à l’internet dans l’EEE. De telles pratiques pourraient inclure :

a)      ‘Tromboning’. [La requérante] pourrait permettre à certains fournisseurs de transit de s’interconnecter avec une capacité adéquate au réseau de [la requérante] uniquement dans des endroits éloignés, même si la [requérante] et le(s) fournisseur(s) de transit en question sont présents et pourraient s’interconnecter dans des endroits plus proches dans l’EEE, y compris sur le territoire de l’État ou des États membre(s) où [la requérante elle-même] offre des services d’accès Internet à large bande ; et/ou

b)      Congestion de ports. [La requérante] peut refuser, et/ou retarder la mise à niveau de la capacité d’interconnexion avec certains fournisseurs de transit, conduisant à la congestion des ports existants ; et/ou

c)      Restriction de propagation de routes. En appliquant des restrictions de propagation de routes dans le cadre de ses activités de transit, [la requérante] pourrait contraindre les opérateurs de transit et les [réseaux de distribution de contenu] à se connecter directement au réseau de [la requérante] afin d’atteindre les utilisateurs finaux de [cette dernière] ou à fournir à ces mêmes utilisateurs finaux un niveau de qualité acceptable ; et/ou

d)      Rapports de trafic restrictifs. [La requérante] pourrait appliquer des rapports de trafic restrictifs entre le trafic entrant et le trafic sortant, qui auraient pour effet de limiter le trafic entrant des opérateurs de transit destiné à ses utilisateurs finaux, et/ou pourrait demander que les opérateurs de transit s’acquittent d’un paiement pour le trafic entrant au-delà de ce rapport ; et/ou

e)      Compression des marges. L’écart entre le prix de [la requérante] demandé aux opérateurs de transit pour l’accès à son réseau et les prix de [la requérante] facturés pour ses propres services de transit pourrait être tel que des opérateurs de transit aussi efficaces que [la requérante] ne peuvent pas concourir pour la fourniture de certains services de transit.

(5)      En outre, les pratiques décrites dans le considérant 4 ci-dessus pourraient avoir entraîné la conséquence que des fournisseurs indépendants de contenu et/ou d’applications sur Internet étaient placés dans une situation de désavantage concurrentiel pour servir les utilisateurs finaux de [la requérante] par rapport à la livraison de pareils contenus et/ou applications par [la requérante elle-]même.

(6)      La Commission dispose d’indications que les pratiques décrites dans le considérant 4 ci-dessus pourraient avoir eu lieu au moins à partir de 2005 et pourraient être encore en cours. Cependant, il ne peut pas être exclu que ces pratiques ont eu lieu pendant une période de temps plus longue.

(7)      S’il s’avère que ces allégations sont fondées, les pratiques décrites dans le considérant 4 ci-dessus pourraient constituer une (des) infraction(s) de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE.

(8)      Afin de permettre à la Commission de vérifier tous les faits pertinents concernant les pratiques décrites dans le considérant 4 et le contexte dans lequel ils ont eu lieu, il est nécessaire de procéder à des inspections conformément à l’article 20 du règlement no 1/2003.

(9)      La Commission dispose d’indications que les pratiques décrites dans le considérant 4 sont motivées par des considérations qui sont soumises à la plus stricte confidentialité, dont la connaissance est limitée aux cadres supérieurs de [la requérante] et à un nombre limité d’employés de confiance [et que] la documentation relative à ces pratiques et à leur motivation est supposée être limitée au strict minimum et conservée dans des endroits et/ou maintenue sous une forme qui faciliterait sa dissimulation, non mise à disposition ou destruction dans le cas d’une inspection.

(10)      Afin de garantir l’efficacité des inspections actuelles, il est essentiel qu’elles soient effectuées sans avertissement préalable des entreprises soupçonnées de participation à l’infraction(s) et que plusieurs inspections se déroulent simultanément. »

7        L’article 1er des décisions attaquées indique en son premier alinéa :

« [La requérante], ainsi que toutes les entreprises contrôlées directement ou indirectement par elle, est tenue de se soumettre à une inspection concernant sa participation éventuelle à des pratiques contraires à l’article 102 du TFUE et [à] l’article 54 de l’accord EEE en ce qui concerne la fourniture de services de connectivité à l’internet. »

8        Selon l’article 2 des décisions attaquées « [l’]inspection débutera le 9 juillet 2013 ou peu après ».

9        L’article 3 des décisions attaquées précise que « [c]ette décision est adressée à [la requérante] ainsi qu’à toutes les entreprises contrôlées directement ou indirectement par elle [ ; la] présente décision sera notifiée aux entreprises à qui elle est adressée en vertu de l’article 297, paragraphe 2, TFUE, immédiatement avant l’inspection ».

10      L’inspection s’est déroulée du 9 juillet au 13 juillet 2013 et a porté sur quatre sites de la requérante. Le 17 juillet 2013, une copie-image de disques durs, effectuée lors de l’enquête, a été examinée dans les locaux de la Commission en présence des représentants de la requérante.

 Procédure et conclusions des parties

11      Le 31 juillet 2013, la requérante a introduit le présent recours.

12      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

13      Le 2 mai 2014, au titre de mesure d’organisation de la procédure en vertu de l’article 64, paragraphe 3, sous a), du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal a posé une question écrite à la requérante à laquelle celle-ci a répondu dans les délais impartis.

14      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 18 juin 2014.

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler les décisions attaquées ;

condamner la Commission aux dépens.

La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      À l’appui de son recours, la requérante avance deux moyens, tirés, en substance, d’une part, d’une violation des principes de proportionnalité et de « bonne administration » et, d’autre part, du caractère arbitraire des décisions attaquées.

 Sur le premier moyen, pris, en substance, d’une violation des principes de proportionnalité et de « bonne administration »

18      La requérante conteste le caractère proportionné et nécessaire du recours à une mesure d’inspection, dans la mesure où l’Autorité a enquêté sur des présomptions d’infraction identiques et avait adopté une décision acceptant des engagements de sa part sans conclure à une violation de l’article 102 TFUE, alors même que la Commission ne pouvait qu’être informée de la procédure ouverte par l’Autorité et de la décision finalement adoptée. Dans ce cadre, elle se réfère au principe ne bis in idem, ainsi qu’à l’obligation de la Commission, au titre du principe de « bonne administration », d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce. La requérante considère que la décision de l’Autorité penche sans ambiguïté en défaveur d’une mesure d’inspection dans la mesure où, premièrement, elle est particulièrement motivée et circonstanciée, deuxièmement, elle écarte l’ensemble des pratiques visées dans la plainte à l’origine de la saisine de l’Autorité, troisièmement, elle exprime des positions favorables à l’égard du comportement de la requérante, et quatrièmement, aucun incident dans la mise en œuvre de ses engagements n’a été rapporté. Dans la réplique, la requérante soutient que le recours à une mesure d’inspection ne saurait être considéré comme proportionné à défaut pour la Commission d’avoir consulté au préalable le dossier de la procédure devant l’Autorité.

19      La requérante fait également valoir que, dans l’éventualité même où il serait admis qu’il est conforme au principe de proportionnalité de conduire une inspection portant sur des pratiques dont la conformité avec le droit de la concurrence de l’Union a déjà été reconnue et à l’égard desquelles la Commission dispose de nombreuses informations, celle-ci ne pourrait légalement que rechercher des renseignements supplémentaires. Elle soutient que tel n’a pas été le cas en l’espèce, la Commission ayant conduit des recherches dont les résultats ne pouvaient aboutir qu’à des documents qui faisaient déjà partie du dossier à sa disposition. À cet égard, elle se réfère aux circonstances que, premièrement, la Commission a utilisé dans le cadre de ses recherches sur les ordinateurs saisis des mots clés liés à l’enquête de l’Autorité ou aux engagements conclus, deuxièmement, elle a saisi les réponses au questionnaire antérieurement adressé à la requérante et, troisièmement, le seul employé formellement auditionné au cours de l’enquête l’avait déjà été par l’Autorité.

20      Enfin, la requérante excipe du caractère disproportionné de la mesure d’inspection au motif que les présomptions d’infraction énoncées au quatrième considérant des décisions attaquées ne sont pas, par nature, secrètes. Elle souligne qu’elles concernent toutes sa politique de « peering » laquelle est publique et accessible à tous depuis son site Internet. Ladite politique serait également parfaitement conforme aux standards du marché et transparente pour les acteurs du marché. La requérante soutient également que la décision d’inspection ne peut être justifiée par le souci de connaître la motivation de sa politique, dès lors que, en application d’une jurisprudence constante, la notion d’abus de position dominante a un contenu objectif et n’implique pas une intention de nuire.

21      La Commission conclut au rejet du premier moyen.

22      À cet égard, il convient de rappeler que, en application d’une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir, en ce sens, arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec, EU:C:1990:391, point 13, et du 14 juillet 2005, Pays-Bas/Commission, C‑180/00, Rec, EU:C:2005:451, point 103).

23      En outre, s’agissant d’une décision ordonnant une inspection, le respect du principe de proportionnalité suppose que les mesures envisagées n’engendrent pas des inconvénients démesurés et intolérables par rapport aux buts poursuivis par l’inspection en cause (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, Rec, EU:C:2002:603, point 76). Cependant, le choix à opérer par la Commission entre une inspection effectuée sur simple mandat et une inspection ordonnée par voie de décision ne dépend pas de circonstances telles que la gravité particulière de la situation, l’extrême urgence ou la nécessité d’une discrétion absolue, mais des nécessités d’une instruction adéquate, eu égard aux particularités de l’espèce. Partant, lorsqu’une décision d’inspection vise uniquement à permettre à la Commission de réunir les éléments nécessaires pour apprécier l’existence éventuelle d’une violation du traité, une telle décision ne méconnaît pas le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec, EU:C:1980:169, points 28 à 30, et Roquette Frères, précité, EU:C:2002:603, point 77).

24      Il ressort également d’une jurisprudence constante que c’est à la Commission qu’il appartient, en principe, d’apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence et, même si elle dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve, relatifs à l’existence d’une infraction, la Commission peut légitimement estimer nécessaire d’ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’infraction ou sa durée (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec, EU:C:1989:387, point 15, et Roquette Frères, point 23 supra, EU:C:2002:603, point 78).

25      Le présent moyen peut être compris comme incluant à la fois une critique du caractère approprié des décisions attaquées, à savoir leur aptitude à réaliser les objectifs qu’elles poursuivent, ainsi que de leur caractère nécessaire, lequel implique une absence d’alternative moins contraignante à la mesure d’inspection diligentée. Le Tribunal estime, dès lors, opportun de diviser l’argumentation de la requérante présentée dans le cadre du présent moyen en deux branches distinctes selon qu’elle conteste le caractère approprié ou nécessaire des décisions attaquées.

 Sur la première branche du moyen, relative au caractère approprié des décisions attaquées

26      L’argumentation de la requérante peut être comprise comme contestant le caractère approprié des décisions attaquées au motif, en substance, que l’Autorité a déjà conduit une enquête, laquelle a conclu à la conformité de son comportement non seulement avec le droit français de la concurrence, mais également avec l’article 102 TFUE. L’analyse de la requérante reviendrait ainsi, en substance, à soutenir que, dans les circonstances de l’espèce, et au vu de l’analyse figurant dans la décision de l’Autorité, les objectifs visés par les décisions attaquées relatifs à la vérification de la compatibilité du comportement de la requérante avec l’article 102 TFUE ont déjà été atteints et que, partant, lesdites décisions ne sauraient être considérées comme aptes à les réaliser.

27      Force est cependant de constater que suivre une telle argumentation reviendrait à qualifier d’inappropriée une mesure d’inspection au motif que les présomptions d’infraction qu’elle concerne ont déjà fait l’objet d’une enquête au niveau national, ce qui serait en contradiction directe avec la jurisprudence constante selon laquelle, en principe, la Commission ne saurait être liée par une décision rendue par une juridiction nationale ou une autorité nationale en application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 102 TFUE. La Commission est donc en droit de prendre à tout moment des décisions individuelles pour l’application des articles 101 TFUE et 102 TFUE, même lorsqu’un accord ou une pratique fait déjà l’objet d’une décision d’une juridiction nationale et que la décision envisagée par la Commission est en contradiction avec ladite décision juridictionnelle (arrêts du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB, C‑344/98, Rec, EU:C:2000:689, point 48 ; du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, Rec, EU:T:2007:80, point 79, et du 10 avril 2008, Deutsche Telekom/Commission, T‑271/03, Rec, EU:T:2008:101, point 120).

28      Ne saurait non plus prospérer la référence au principe ne bis in idem dans la requête, à supposer que celle-ci soit avancée au soutien de la contestation du caractère approprié des décisions attaquées au motif, en substance, qu’il ne serait pas approprié de conduire une mesure d’inspection s’agissant d’un comportement pour lequel la requérante a été déclarée non responsable.

29      Certes, en application d’une jurisprudence constante, le principe ne bis in idem doit être respecté dans les procédures tendant à l’infliction d’amendes relevant du droit de la concurrence. Ce principe interdit, en matière de concurrence, qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel pour lequel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours (voir arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, Rec, EU:C:2012:72, point 94 et jurisprudence citée).

30      Toutefois, il convient de souligner que les autorités de concurrence des États membres ne sont pas habilitées à prendre des décisions déclarant non responsable une entreprise d’une violation de l’article 101 TFUE ou 102 TFUE, c’est-à-dire constatant l’absence de violation dudit article, dès lors qu’il ressort tant du libellé, de l’économie du règlement no 1/2003 que de l’objectif poursuivi par celui-ci, que les constatations de l’absence de violation de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE sont réservées à la Commission, même si cet article est appliqué dans une procédure menée par une autorité de concurrence nationale (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2011, Tele2 Polska, C‑375/09, Rec, EU:C:2011:270, points 20 à 30). La Cour a, à cet égard, notamment souligné que l’adoption d’une telle décision « négative » sur le fond par une autorité de concurrence nationale risquerait de porter atteinte à l’application uniforme de l’article 101 TFUE et de l’article 102 TFUE, qui est l’un des objectifs du règlement no 1/2003 mis en exergue par son premier considérant, dès lors qu’elle pourrait empêcher la Commission de constater ultérieurement que la pratique en cause constitue une infraction à ces dispositions du droit de l’Union (arrêt Tele2 Polska, précité, EU:C:2011:270, point 28).

31      Partant, lorsqu’une autorité de la concurrence d’un État membre, au titre de l’article 5 du règlement no 1/2003, accepte des engagements ou constate qu’il n’y a pas lieu d’intervenir, elle ne saurait être considérée comme ayant adopté une décision concluant à l’absence de violation des articles 101 TFUE ou 102 TFUE. Dès lors, la requérante ne saurait utilement faire valoir la décision adoptée par l’Autorité à son égard aux fins de l’application du principe ne bis in idem, dans les circonstances de l’espèce.

32      En outre, l’argumentation de la requérante peut également être comprise comme contestant le caractère approprié de la mesure d’inspection au motif que la Commission a été informée du projet de décision de l’Autorité en application de l’article 11, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 et n’a pas usé de la faculté offerte par l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 d’ouvrir elle-même une procédure dessaisissant l’Autorité de sa compétence. La requérante semble en déduire que la Commission a considéré soit que la décision de l’Autorité était conforme à l’article 102 TFUE, soit que l’affaire n’était pas digne d’intérêt. Dans ce cadre, la requérante sollicite du Tribunal, au titre des mesures d’organisation de la procédure, qu’il demande la communication d’éventuelles observations écrites de la Commission à la suite de la notification du projet de décision de l’Autorité.

33      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, les termes de l’article 11, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 :

« [a]u plus tard trente jours avant l’adoption d’une décision ordonnant la cessation d’une infraction, acceptant des engagements ou retirant le bénéfice d’un règlement d’exemption par catégorie, les autorités de concurrence des États membres informent la Commission. À cet effet, elles communiquent à la Commission un résumé de l’affaire, la décision envisagée ou, en l’absence de celle-ci, tout autre document exposant l’orientation envisagée. Ces informations peuvent aussi être mises à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres. Sur demande de la Commission, l’autorité de concurrence concernée met à la disposition de la Commission d’autres documents en sa possession nécessaires à l’appréciation de l’affaire. Les informations fournies à la Commission peuvent être mises à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres. Les autorités nationales de concurrence peuvent également échanger entre elles les informations nécessaires à l’appréciation d’une affaire qu’elles traitent en vertu de l’article [101 TFUE] ou [102 TFUE]. »

34      D’autre part, l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 dispose :

« [l]’ouverture par la Commission d’une procédure en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III dessaisit les autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer les articles [101 TFUE] et [102 TFUE]. Si une autorité de concurrence d’un État membre traite déjà une affaire, la Commission n’intente la procédure qu’après avoir consulté cette autorité nationale de concurrence. »

35      Il ressort, certes, de la lecture combinée de ces deux dispositions que la réception par la Commission des projets de décisions, de la part d’une autorité de concurrence nationale, au titre de l’article 11, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 peut être l’occasion pour la Commission d’exercer la prérogative et le pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît l’article 11, paragraphe 6, de ce même règlement de dessaisir une autorité de concurrence d’un État membre de sa compétence pour appliquer les articles 101 TFUE et 102 TFUE dans un cas spécifique.

36      Il n’en découle cependant pas que, dans l’hypothèse où la Commission ne partage pas l’appréciation portant sur l’application des articles 101 TFUE et 102 TFUE qui est exposée dans le projet de décision notifié par l’autorité de concurrence d’un État membre, ou dans l’éventualité où elle éprouve des doutes à cet égard, elle soit nécessairement tenue d’ouvrir une procédure au titre de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, ni que l’absence d’ouverture d’une procédure empêche qu’elle puisse procéder ultérieurement à sa propre enquête pour aboutir à un autre résultat que celui auquel est parvenue ladite autorité de concurrence.

37      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Commission, investie par l’article 105, paragraphe 1, TFUE, de la mission de veiller à l’application des principes fixés par les articles 101 TFUE et 102 TFUE, est appelée à définir et à mettre en œuvre l’orientation de la politique de la concurrence de l’Union. Afin de s’acquitter efficacement de cette tâche, elle est en droit d’accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie et dispose à cet effet d’un pouvoir discrétionnaire (arrêts du 4 mars 1999, Ufex e.a./Commission, C‑119/97 P, Rec, EU:C:1999:116, point 88, et du 17 mai 2001, IECC/Commission, C‑449/98 P, Rec, EU:C:2001:275, point 36). Le Tribunal estime qu’il en est de même dans le cas de la mise en œuvre de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003.

38      Cette compréhension est d’ailleurs corroborée par la ligne de conduite que la Commission a explicitée au paragraphe 54, sous b), de sa communication relative à la coopération au sein du réseau des autorités de la concurrence (JO 2004, C 101, p. 43), aux termes duquel une telle intervention n’est envisagée que dans l’hypothèse de la contrariété manifeste d’un projet de décision notifiée à une jurisprudence constante. Il ne saurait, dès lors, être déduit de ladite communication que la Commission a entendu s’imposer d’intervenir dans toutes les circonstances où elle éprouve un doute quant à la conformité aux articles 101 TFUE et 102 TFUE d’un projet de décision notifié.

39       Ainsi, l’absence d’intervention par la Commission au titre de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 ne saurait être considérée comme une acceptation du bien-fondé de la décision de l’Autorité au regard de l’article 102 TFUE.

40      Par voie de conséquence, aucune conclusion sur le caractère approprié d’une enquête diligentée par la Commission ne peut être déduite de la circonstance qu’elle n’a pas fait usage de la prérogative que lui reconnaît l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 à la suite de la notification d’un projet de décision d’une autorité nationale de concurrence ayant un objet similaire.

41      Au vu de ce qui précède, les critiques diligentées contre le caractère approprié des décisions attaquées ne sont pas fondées et, partant, la première branche du moyen doit être rejetée, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande de mesure d’organisation de la procédure présentée par la requérante, mentionnée au point 32 ci-dessus.

 Sur la seconde branche, relative au caractère nécessaire des décisions attaquées

42      Le caractère nécessaire des décisions attaquées est réfuté par la requérante à deux titres. D’une part, elle conteste la nécessité des décisions attaquées au motif qu’aurait existé une alternative moins contraignante à l’adoption d’une mesure d’inspection, consistant dans l’examen du dossier de la procédure devant l’Autorité, et fait valoir que, en ne procédant pas à un tel examen, la Commission a manqué à son obligation d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce et, de ce fait, également violé le principe de « bonne administration ». D’autre part, la requérante conteste le caractère nécessaire de la mesure d’inspection dès lors que celle-ci aurait porté sur des renseignements déjà en possession de la Commission ou qui auraient pu l’être sans recourir à ladite inspection.

–       Sur le grief tiré de l’existence d’une alternative moins contraignante aux décisions attaquées ainsi que d’une violation du principe de bonne administration

43      Dans la réplique, la requérante allègue « qu’il existait une manière moins contraignante pour la Commission de parvenir à son but (en s’appuyant sur la procédure nationale), moyen que la Commission a ignoré [ce qui aurait été] naturellement sans préjudice de la faculté de la Commission, une fois ces informations recueillies et examinées, de décider en toute connaissance de cause s’il était encore proportionné de procéder à une inspection ». En ce qui concerne la possibilité pour la Commission de se voir communiquer le dossier de l’Autorité, outre l’article 11, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, la requérante se réfère à l’article 18, paragraphe 6, et à l’article 20, paragraphe 4, de ce même règlement.

44      La Commission conclut au rejet de cette argumentation et soutient que l’invocation au stade de la réplique de l’article 18, paragraphe 6, et de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 est contraire à l’article 48 du règlement de procédure et doit, dès lors, être déclarée irrecevable.

45      S’agissant, en premier lieu, de la recevabilité de cette argumentation présentée au stade de la réplique, il convient de rappeler qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure que la requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige et contenir l’exposé sommaire des moyens invoqués et que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen, ou un argument, qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (voir arrêt du 14 mars 2007, Aluminium Silicon Mill Products/Conseil, T‑107/04, Rec, EU:T:2007:85, point 60 et jurisprudence citée).

46      En l’espèce, il y a lieu de relever que figuraient dans la requête de longs développements portant sur l’existence de la décision de l’Autorité, sur la circonstance que celle-ci aurait dû être prise en compte au titre du principe de « bonne administration » ainsi que sur le caractère disproportionné des décisions attaquées, en raison de l’existence même de ladite décision. Il en découle que la requérante a contesté, dès le stade de la requête, la proportionnalité des décisions attaquées dans ses différentes composantes, en se fondant sur l’existence de la décision de l’Autorité. Par conséquent, l’argumentation figurant dans la réplique et remettant en cause la nécessité de la mesure d’inspection, du fait de la possibilité pour la Commission de consulter le dossier de la procédure devant l’Autorité y compris en ce qu’elle se réfère à l’article 18, paragraphe 6, et à l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, constitue l’ampliation d’un moyen soulevé dans la requête (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2004, Ferriere Nord/Commission, T‑176/01, Rec, EU:T:2004:336, point 136 et jurisprudence citée).

47      En outre, ce n’est qu’à la lecture du mémoire en défense qu’a pu apparaître à la requérante l’éventualité que la Commission n’ait pas demandé la communication du dossier de la procédure devant l’Autorité, préalablement à l’adoption des décisions attaquées. La Commission y souligne, en effet, qu’elle ne disposait pas, à la date d’adoption des décisions attaquées, des éléments du dossier de la procédure devant l’Autorité et qu’elle n’était pas tenue de se procurer ces pièces dans le cadre de sa coopération avec l’Autorité. Dès lors, l’argumentation contenue dans la réplique doit également être considérée comme fondée sur des éléments de fait qui se sont révélés au cours de la procédure et est également, dans cette mesure, conforme à l’article 48 du règlement de procédure.

48      En second lieu et sur le fond, il convient d’apprécier si la communication à la Commission du dossier de la procédure devant l’Autorité aurait pu constituer une alternative moins contraignante, mais aussi efficace par rapport au recours à une mesure d’inspection, à même d’atteindre l’objectif légitime de la Commission, consistant en l’obtention d’informations supplémentaires sur les présomptions d’infraction sur lesquelles elle enquêtait.

49      Il convient, en outre, de souligner l’importance de cet examen au regard du devoir de diligence auquel fait référence la requérante dans ses écritures sous couvert du principe de « bonne administration », lequel implique l’obligation pour la Commission d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec, EU:C:1991:438, point 14, et du 16 septembre 2013, ATC e.a./Commission, T‑333/10, Rec, EU:T:2013:451, point 84 et jurisprudence citée).

50      Premièrement, il doit être observé que la comparaison des décisions attaquées avec celle de l’Autorité fait apparaître une grande similitude dans la nature des comportements faisant l’objet des enquêtes respectives, ceux-ci étant constitués par des pratiques consistant  dans la limitation de l’accès aux réseaux (« tromboning », restrictions de propagation de routes), la tarification de l’accès auxdits réseaux (facturation de l’octroi de capacités supplémentaires, rapports de trafics restrictifs et compression de marges) et la discrimination en faveur des contenus proposés par la requérante. Ainsi, l’enquête de la Commission se distingue de celle diligentée par l’Autorité essentiellement par ses dimensions géographique et temporelle plus larges.

51      Deuxièmement, ainsi qu’il a déjà été souligné au point 33 ci-dessus, il était loisible à la Commission, à la suite de son information au titre de l’article 11, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, de demander à l’Autorité communication des éléments figurant dans le dossier de cette dernière.

52      À cet égard, il convient de relever que, en application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, la Commission aurait été, en principe, en droit d’utiliser comme moyen de preuve les éléments figurant dans le dossier de l’Autorité. En effet, s’il est précisé au deuxième paragraphe de ce même article que « [l]es informations échangées ne peuvent être utilisées comme moyen de preuve qu’aux fins de l’application de l’article [101 TFUE] et [102 TFUE] et pour l’objet pour lequel elles ont été recueillies par l’autorité qui transmet l’information […] », il demeure que les présomptions d’infraction visées par la Commission sont essentiellement identiques et ne diffèrent de celles concernées par la décision de l’Autorité que par leurs dimensions géographique et temporelle plus larges. Ainsi, la réserve figurant à l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 n’aurait pas été constitutive d’un obstacle à l’utilisation par la Commission des documents communiqués par l’Autorité.

53      Troisièmement, il y a lieu de souligner que le respect par la Commission du devoir de diligence revêtait dans les circonstances de l’espèce une importance d’autant plus élevée que la jurisprudence lui reconnaît une marge d’appréciation à l’occasion de la mise en œuvre de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, aux fins de sauvegarder l’effet utile de cette disposition (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 17 novembre 2005, Minoan Lines/Commission, C‑121/04 P, EU:C:2005:695, point 36). En effet, dans une telle configuration, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, dont l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce, revêt une importance d’autant plus fondamentale (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, Rec, EU:T:2003:245, point 404 et jurisprudence citée, et ATC e.a./Commission, point 49 supra, EU:T:2013:451, point 84).

54      Enfin, quatrièmement, en l’espèce, le respect de cette obligation apparaît d’autant plus important que l’exercice des pouvoirs d’inspection conférés à la Commission par l’article 20, paragraphe 4, du règlement nº 1/2003 auprès d’une entreprise constitue une ingérence évidente dans le droit de cette dernière au respect de sa vie privée, de son domicile et de sa correspondance (voir, en ce sens, ordonnance du 30 mars 2006, Strintzis Lines Shipping/Commission, C‑110/04 P, EU:C:2006:211, points 32 et 33).

55      Dans la présente affaire, il peut, certes, apparaître pour le moins regrettable que la Commission ait, d’emblée, opté pour une mesure d’inspection sans vérifier au préalable les renseignements que l’Autorité avait pu obtenir à l’égard de comportements similaires.

56      Il n’en demeure pas moins que cela ne saurait entacher les décisions attaquées d’illégalités. En effet, dans les circonstances de l’espèce et ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre, l’examen du dossier en possession de l’Autorité ne constituait pas une alternative au recours à une mesure d’inspection, dès lors que l’Autorité n’avait conduit aucune inspection dans les locaux de la requérante et que sa décision n’avait donc été prise que sur la seule base d’informations volontairement soumises par celle-ci.

57      Ainsi, dans les circonstances de l’espèce, les nécessités d’une instruction adéquate et efficace étaient susceptibles de justifier le recours à une inspection, cette mesure étant seule à même de permettre  à la Commission de recueillir des informations qui, de par leur nature, avaient pu ne pas être produites volontairement par la requérante dans le cadre de la procédure devant l’Autorité.

58      À cet égard, la Commission fait valoir que l’un des objets de la mesure d’inspection était de rechercher des documents portant sur la stratégie commerciale de la requérante et éventuellement révélateurs de l’existence d’une intention ou d’un plan d’éviction de la concurrence.

59      Or, contrairement à ce que soutient la requérante de tels éléments sont potentiellement pertinents pour l’examen des infractions suspectées par la Commission.

60      Certes, ainsi que le rappelle la requérante, la notion d’abus a un contenu objectif et n’implique pas d’intention de nuire (arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T‑128/98, Rec, EU:T:2000:290, point 173).

61      Il ne saurait cependant en être déduit que des éléments portant sur l’intention de la requérante à l’occasion de l’adoption de sa stratégie commerciale sont dépourvus de pertinence. Ainsi que la Cour a eu l’occasion de le souligner, lorsque la Commission procède à une évaluation du comportement d’une entreprise en position dominante, cet examen étant indispensable aux fins d’une conclusion relative à l’existence d’un abus d’une telle position, elle est forcément amenée à apprécier la stratégie commerciale poursuivie par ladite entreprise. Dans ce cadre, il apparaît normal que la Commission évoque des facteurs de nature subjective, à savoir les mobiles qui sous-tendent la stratégie commerciale en question. Partant, si la Commission n’est nullement tenue d’établir l’existence d’une intention anticoncurrentielle de l’entreprise en position dominante aux fins de l’application de l’article 102 TFUE, une telle intention peut néanmoins être prise en compte (arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, Rec, EU:C:2012:221, points 17 à 21).

62      Pour les mêmes raisons, il convient de rejeter les arguments de la requérante contestant la nécessité de la mesure d’inspection, aux motifs que les renseignements recherchés revêtiraient un caractère public ou auraient déjà été en possession de la Commission du fait des réponses à ses demandes antérieures.

63      En effet, à supposer, ainsi que le soutient la requérante, que les présomptions d’infraction visées dans les décisions attaquées découlent toutes de la politique de « peering » de la requérante et que les spécificités de celle-ci revêtent un caractère public, il en va différemment des éventuels mobiles anticoncurrentiels qui auraient pu conduire à l’adoption de cette politique. Les éléments retraçant de tels mobiles revêtant par nature un caractère secret, il est peu probable qu’ils puissent transparaître de l’énoncé public de la politique de la requérante et il est loin d’être acquis qu’ils figuraient dans ses réponses aux demandes de renseignements que lui avait adressées la Commission.

64      Partant, au vu de tout ce qui précède, il convient de conclure que la Commission pouvait raisonnablement estimer, aux dates d’adoption des décisions attaquées, qu’il n’existait pas d’alternative moins contraignante au recours à une mesure d’inspection. Il en découle que la Commission n’a pas violé le principe de proportionnalité sous cet angle, ni, au vu des circonstances de l’espèce, le devoir de diligence.

65      Le premier grief doit, dès lors, être rejeté.

–       Sur le grief tiré de ce que la Commission n’aurait pas recherché d’éléments nouveaux

66      La requérante soutient que la Commission ne peut valablement rechercher que des éléments supplémentaires par rapport à ceux qui sont déjà en sa possession. Elle fait valoir que la Commission a effectué des recherches dont les résultats ne pouvaient aboutir qu’à des documents qui faisaient déjà partie du dossier en sa possession ou du dossier devant l’Autorité, auquel elle pouvait avoir accès. Au soutien de cette argumentation, elle fait valoir que la Commission a utilisé, dans le cadre de ses recherches sur les ordinateurs saisis, des mots clés et a saisi des documents liés à ses réponses aux questions de l’Autorité, aux demandes de renseignements antérieures de la Commission ainsi qu’à l’engagement qu’elle avait souscrit devant l’Autorité. Elle fait également observer que le seul employé ayant fait l’objet d’une audition formelle par la Commission avait déjà été auditionné par l’Autorité.

67      Ainsi, en substance, la requérante conteste le caractère nécessaire des décisions attaquées au motif que l’inspection diligentée aurait porté sur des éléments déjà en possession de la Commission ou qui auraient pu l’être par le biais d’un examen du dossier de l’Autorité.

68      En application de la jurisprudence mentionnée au point 24 ci-dessus, c’est à la Commission qu’il appartient, en principe, d’apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence, et, même si elle dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve, relatifs à l’existence d’une infraction, la Commission peut légitimement estimer nécessaire d’ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’infraction ou sa durée.

69      Or, d’une part, il convient d’observer que la requérante n’allègue et ne démontre pas que l’inspection aurait exclusivement ou essentiellement consisté en la recherche d’éléments liés à la procédure devant l’Autorité et à ses réponses aux demandes de renseignements. À cet égard, force est de constater que la requérante se limite à fournir quelques illustrations de mots clés et de documents saisis, alors que l’inspection a duré près de quatre jours et a concerné plusieurs locaux.

70      D’autre part, pour des raisons analogues à celles exposées aux points 55 à 61 ci-dessus, il y a lieu de conclure que la Commission pouvait légitimement rechercher des renseignements qui, bien que liés à la procédure devant l’Autorité ou aux réponses fournies par la requérante à ses propres demandes de renseignements, étaient peu susceptibles, de par leur nature, d’être dévoilés par la requérante, notamment parce qu’ils seraient éventuellement révélateurs de l’existence d’une intention ou d’un plan d’éviction de la concurrence.

71      Il convient, dès lors, de rejeter ce grief et, partant, la seconde branche du premier moyen.

72      Par ailleurs, en application de la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus, une mesure, même si elle est appropriée et nécessaire à la réalisation des buts légitimement poursuivis, ne doit pas causer des inconvénients démesurés par rapport auxdits buts. Plus particulièrement, il découle de la jurisprudence citée au point 23 ci-dessus que, s’agissant d’une décision ordonnant une inspection, le respect du principe de proportionnalité suppose que les mesures envisagées n’engendrent pas des inconvénients démesurés et intolérables par rapport aux buts poursuivis par l’inspection en cause.

73      En l’espèce, il ne ressort pas des écritures de la requérante que celle-ci conteste l’ampleur des inconvénients causés par l’inspection diligentée dans ses locaux. En toute hypothèse, il convient de souligner que l’ampleur de ladite inspection et les inconvénients qu’elle a pu causer, tels que rappelés dans la requête, à savoir une durée de quatre jours, sur quatre sites, la visite de 18 bureaux, la saisine de 11 ordinateurs et de 5 Smartphones, l’audition d’une personne et l’analyse et l’indexation de 34 messageries du personnel, ainsi que l’examen de copie-image de disques durs dans les locaux de la Commission en présence des représentants de la requérante – ne sauraient, en l’espèce, être considérés comme démesurés au vu des présomptions d’infraction sur lesquelles la Commission enquête.

74      Le premier moyen doit, dès lors, être rejeté dans sa totalité.

 Sur le second moyen, tiré du caractère arbitraire de la mesure d’inspection

75      Dans le cadre du second moyen, la requérante fait valoir qu’il appartient au Tribunal de s’assurer de l’absence de caractère arbitraire d’une décision d’inspection et que cet examen doit consister en la vérification du caractère suffisamment sérieux et circonstancié des indices en possession de la Commission antérieurement à l’adoption de la décision d’inspection. Elle souligne également ne pas être tenue d’apporter des éléments de preuve permettant de mettre en doute le caractère sérieux des indices en possession de la Commission pour que le Tribunal les examine. En l’espèce, la requérante estime que tant l’identité des décisions attaquées avec la décision de l’Autorité que le comportement de la Commission lors de l’enquête – tenant dans l’utilisation de mots clés en lien avec la procédure devant l’Autorité – sont révélateurs de l’absence d’indices sérieux et circonstanciés, préalablement à l’adoption de la mesure d’inspection. Dans la réplique, elle soutient avoir demandé au Tribunal, dès le stade de la requête, qu’il vérifie les indices en possession de la Commission.

76      En premier lieu, la Commission fait observer que l’obligation que lui impose l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 d’indiquer l’objet et le but de l’inspection est qualifiée par la jurisprudence d’exigence fondamentale aux fins, notamment, de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées. En second lieu, elle estime que la requérante n’a pas, dans la requête, demandé au Tribunal d’ordonner la production des indices qu’elle détenait préalablement à l’adoption des décisions attaquées. Elle fait valoir qu’une telle demande, quand elle est effectuée au stade de la réplique, doit être considérée comme étant irrecevable.

77      S’agissant de la réponse qu’il convient d’apporter au présent moyen, il y a lieu de garder à l’esprit que la procédure administrative au titre du règlement no 1/2003, qui se déroule devant la Commission, se subdivise en deux phases distinctes et successives dont chacune répond à une logique interne propre, à savoir une phase d’instruction préliminaire, d’une part, et une phase contradictoire, d’autre part. La phase d’instruction préliminaire, durant laquelle la Commission fait usage des pouvoirs d’instruction prévus par le règlement no 1/2003 et qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, est destinée à permettre à la Commission de rassembler tous les éléments pertinents confirmant ou non l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et de prendre une première position sur l’orientation ainsi que sur la suite ultérieure à réserver à la procédure. En revanche, la phase contradictoire, qui s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale, doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (voir, en ce sens, arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec, EU:C:2011:620, point 113 et jurisprudence citée, et du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, Rec, EU:T:2008:256, point 47).

78      D’une part, s’agissant de la phase d’instruction préliminaire, elle a pour point de départ la date à laquelle la Commission, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 18 et 20 du règlement no 1/2003, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées. D’autre part, ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, c’est seulement après l’envoi de la communication des griefs que l’entreprise concernée peut pleinement se prévaloir de ses droits de la défense. En effet, si ces droits étaient étendus à la phase précédant l’envoi de la communication des griefs, l’efficacité de l’enquête de la Commission serait compromise, puisque l’entreprise concernée serait, déjà lors de la phase d’instruction préliminaire, en mesure d’identifier les informations qui sont connues de la Commission et, partant, celles qui peuvent encore lui être cachées (voir, en ce sens, arrêt AC-Treuhand/Commission, point 77 supra, EU:T:2008:256, point 48 et jurisprudence citée).

79      Toutefois, les mesures d’instruction prises par la Commission au cours de la phase d’instruction préliminaire, notamment les mesures de vérification et les demandes de renseignements, impliquent par nature le reproche d’une infraction et sont susceptibles d’avoir des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées. Partant, il importe d’éviter que les droits de la défense puissent être irrémédiablement compromis au cours de cette phase de la procédure administrative dès lors que les mesures d’instruction prises peuvent avoir un caractère déterminant pour l’établissement de preuves du caractère illégal de comportements d’entreprises de nature à engager leur responsabilité (arrêt AC-Treuhand/Commission, point 77 supra, EU:T:2008:256, points 50 et 51 ; voir également, en ce sens, arrêts du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, Rec, EU:C:1989:337, point 15, et Elf Aquitaine/Commission, point 77 supra, EU:C:2011:620, points 116 et 117 et jurisprudence citée).

80      Dans ce contexte, il convient de rappeler que l’obligation imposée par l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 d’indiquer l’objet et le but d’une inspection constitue en effet une garantie fondamentale des droits de la défense des entreprises concernées et, par conséquent, la portée de l’obligation de motivation des décisions d’inspection ne peut pas être restreinte en fonction de considérations tenant à l’efficacité de l’enquête. À cet égard, s’il est vrai que la Commission n’est tenue ni de communiquer au destinataire d’une telle décision toutes les informations dont elle dispose à propos d’infractions présumées, ni de délimiter précisément le marché en cause, ni de procéder à une qualification juridique exacte de ces infractions, ni d’indiquer la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, elle doit, en revanche, indiquer, avec autant de précision que possible, les présomptions qu’elle entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection (voir, en ce sens, arrêts Hoechst/Commission, point 79 supra, EU:C:1989:337, point 41 ; du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, Rec, EU:C:1989:379, point 10, et Roquette Frères, point 23 supra, EU:C:2002:603, point 48).

81      Au vu de ce qui précède, il ne saurait être imposé à la Commission d’indiquer, au stade de la phase d’instruction préliminaire, outre les présomptions d’infraction qu’elle entend vérifier, les indices, c’est-à-dire les éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 102 TFUE. En effet, une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que la jurisprudence établit entre la préservation de l’efficacité de l’enquête et la préservation des droits de la défense de l’entreprise concernée.

82      Il ne saurait cependant en être déduit que la Commission ne doit pas être en possession d’éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 102 TFUE antérieurement à l’adoption d’une décision au titre de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003.

83      En effet, il convient de rappeler que l’exigence d’une protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée d’une personne, qu’elle soit physique ou morale, qui seraient arbitraires ou disproportionnées constitue un principe général du droit de l’Union (arrêts Roquette Frères, point 23 supra, EU:C:2002:603, point 27 ; du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, Rec, EU:T:2012:596, point 40, et Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi Energia/Commission, T‑140/09, EU:T:2012:597, point 35).

84      Or, aux fins de respecter ce principe général, une décision d’inspection doit viser à recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée de situations de fait et de droit déterminées à propos desquelles la Commission dispose déjà d’informations, constituant des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence (arrêts Nexans France et Nexans/Commission, point 83 supra, EU:T:2012:596, point 43, et Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi Energia/Commission, point 83 supra, EU:T:2012:597, point 38 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt Roquette Frères, point 23 supra, EU:C:2002:603, points 54 et 55).

85      En ce qui concerne, en premier lieu, la recevabilité de la demande présentée par la requérante visant à ce que le Tribunal vérifie les indices en possession de la Commission, contestée par cette dernière au motif qu’elle aurait été présentée pour la première fois au stade de la réplique, il ressort certes de la jurisprudence citée au point 45 ci-dessus que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure, mais qu’un moyen, ou un argument, qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable.

86      Force est de constater que si la requérante n’a pas explicitement demandé au Tribunal, dans la requête, qu’il vérifie les indices en possession de la Commission, il ressort nécessairement des développements consacrés au second moyen et plus particulièrement des points 98 à 103 de la requête, que tel était le sens de son argumentation. En outre, la demande figurant de manière plus explicite dans les points 67 à 72 de la réplique, dispose d’un lien étroit avec les développements figurant aux points 98 à 103 de la requête. Partant, en toute hypothèse, la demande figurant explicitement dans la réplique constitue une ampliation du second moyen et est donc, également à ce titre, recevable.

87      En ce qui concerne, en second lieu, le point de savoir s’il convient de faire droit, en l’espèce, à la demande présentée par la requérante, il convient de souligner que la vérification de l’existence d’indices suffisamment sérieux, en possession de la Commission, permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence préalablement à l’adoption d’une décision d’inspection ne constitue pas le seul moyen permettant au Tribunal de s’assurer de l’absence de caractère arbitraire de ladite décision.

88      D’une part, ce n’est que dans les circonstances où il est saisi d’une demande en ce sens et lorsque les entreprises destinataires d’une décision prise au titre de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 mettent en avant certains éléments susceptibles de mettre en doute le caractère suffisamment sérieux des indices dont la Commission disposait pour adopter ladite décision que le Tribunal peut estimer nécessaire de procéder à une telle vérification (voir, en ce sens, arrêts Nexans France et Nexans/Commission, point 83 supra, EU:T:2012:596, point 72, et Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi Energia/Commission, point 83 supra, EU:T:2012:597, point 70 ; voir, par analogie, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, Rec, EU:T:2014:121, point 42).

89      D’autre part, il convient de rappeler que le contrôle de la motivation d’une décision permet également au juge de veiller au respect du principe de protection contre les interventions arbitraires et disproportionnées, en ce que ladite motivation permet de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées (arrêts Hoechst/Commission, point 79 supra, EU:C:1989:337, point 29 ; Roquette Frères, point 23 supra, EU:C:2002:603, point 47 ; France Télécom/Commission, point 27 supra, EU:T:2007:80, point 57).

90      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 définit les éléments essentiels devant figurer dans une décision ordonnant une inspection, en imposant, notamment, à la Commission d’indiquer l’objet et le but de l’inspection ordonnée. Au titre de cette obligation, il ressort de la jurisprudence citée au point 80 ci-dessus qu’il appartient à la Commission d’indiquer, avec autant de précision que possible, les présomptions qu’elle entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection.

91      Partant, dans les circonstances où le Tribunal estime que les présomptions que la Commission entend vérifier et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection sont définis avec suffisamment de précision, il peut conclure à l’absence de caractère arbitraire d’une décision d’inspection, sans qu’il soit nécessaire de vérifier matériellement la teneur des indices en possession de la Commission à la date d’adoption de celle-ci.

92      Or, force est de constater que tel est le cas s’agissant des décisions attaquées. Ainsi qu’il ressort de leurs considérants 3 à 10, reproduits au point 6 ci-dessus, la nature des restrictions de concurrence suspectées est définie dans des termes suffisamment précis et détaillés. Sont ainsi concernées de possibles violations de l’article 102 TFUE en raison de pratiques consistant, d’une part, en la limitation de l’accès aux réseaux de la requérante (« tromboning », congestion de ports et restrictions de propagation de routes) et, d’autre part, en la tarification de l’accès auxdits réseaux (facturation de l’octroi de capacités supplémentaires, rapports de trafics restrictifs et compression des marges). En outre, les décisions attaquées explicitent en quoi le comportement de la requérante pourrait relever de chacune des pratiques suspectées.

93      Dans ces conditions, le Tribunal est en mesure de conclure à l’absence de caractère arbitraire des décisions attaquées sur la seule base des motifs énoncés dans les décisions attaquées, sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’examen des indices en possession de la Commission à la date de leur adoption.

94      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le second moyen et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

95      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Orange est condamnée aux dépens.

Prek

Labucka

Kreuschitz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 novembre 2014.

Signatures


* Langue de procédure : le français.