Language of document : ECLI:EU:T:2020:611

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

16 décembre 2020 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑286/19,

Mykola Yanovych Azarov, demeurant à Kiev (Ukraine), représenté par Mes G. Lansky et A. Egger, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J. Van Blaaderen et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 7), et du règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 1), dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Spielmann, président, Mme O. Spineanu‑Matei et M. R. Mastroianni (rapporteur), juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 16 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Mykola Yanovych Azarov, a été Premier ministre de l’Ukraine du 11 mars 2010 au 28 janvier 2014.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 »).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption de mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par les actes de mars 2014 apparaissent sur la liste, identique, figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste avec les informations d’identification « Premier ministre de l’Ukraine jusqu’en janvier 2014 » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑331/14, ayant pour objet, notamment, l’annulation des actes de mars 2014, en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères de désignation des personnes visées par le gel des fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

14      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, modifié l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a modifié en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « Premier ministre de l’Ukraine jusqu’en janvier 2014 » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 avril 2015, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑215/15, tendant, notamment, à l’annulation des actes de mars 2015, en ce qu’ils le visaient.

17      Par arrêt du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil (T‑331/14, EU:T:2016:49), le Tribunal a annulé les actes de mars 2014, en ce qu’ils visaient le requérant.

18      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

19      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant, telle que reprise au point 15 ci-dessus, ait été modifiée.

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 avril 2016, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑190/16, tendant à l’annulation des actes de mars 2016, en ce qu’ils le visaient.

21      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

22      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant, telle que reprise au point 15 ci-dessus, ait été modifiée.

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 avril 2017, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑247/17, tendant à l’annulation des actes de mars 2017, en ce qu’ils le visaient.

24      Par arrêt du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil (T‑215/15, EU:T:2017:479), le Tribunal a rejeté le recours en annulation du requérant contre les actes de mars 2015.

25      Le 7 septembre 2017, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour, enregistré sous le numéro d’affaire C‑530/17 P, contre l’arrêt du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil (T‑215/15, EU:T:2017:479).

26      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63, p. 5) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

27      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2019, et ce avec la motivation, légèrement modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015, qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour complicité dans un tel détournement. »

28      Par arrêt du 26 avril 2018, Azarov/Conseil (T‑190/16, non publié, EU:T:2018:232), le Tribunal a rejeté le recours en annulation contre les actes de mars 2016, en ce qu’ils visaient le requérant.

29      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 mai 2018, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑286/18, tendant à l’annulation des actes de mars 2018, en ce qu’ils le visaient.

30      Le 26 juin 2018, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour, enregistré sous le numéro d’affaire C‑416/18 P, contre l’arrêt du 26 avril 2018, Azarov/Conseil (T‑190/16, non publié, EU:T:2018:232).

31      Par arrêt du 13 décembre 2018, Azarov/Conseil (T‑247/17, non publié, EU:T:2018:931), le Tribunal a rejeté le recours en annulation contre les actes de mars 2017, en ce qu’ils visaient le requérant.

32      Par arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), la Cour a annulé l’arrêt du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil (T‑215/15, EU:T:2017:479), ainsi que les actes de mars 2015, en ce qu’ils visaient le requérant.

33      Entre novembre 2018 et janvier 2019, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») au requérant concernant les procédures pénales dont ce dernier faisait l’objet et sur lesquelles il se fondait pour envisager ladite prorogation.

34      Le 26 janvier 2019, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour, enregistré sous le numéro d’affaire C‑58/19 P, contre l’arrêt du 13 décembre 2018, Azarov/Conseil (T‑247/17, non publié, EU:T:2018:931).

35      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

36      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2020 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 27 ci-dessus, assortie d’une précision libellée dans les termes suivants : 

« Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Azarov et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoignent notamment la décision du juge d’instruction du 8 septembre 2018 autorisant l’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale par défaut, la décision du juge d’instruction du 16 août 2018 autorisant le placement de M. Azarov en détention dans le but de le faire comparaître devant le tribunal pour qu’il participe à une audience sur la demande d’application d’une mesure préventive de détention, ainsi qu’un certain nombre de décisions de justice portant sur des saisies de biens. »

37      Par courrier du 5 mars 2019, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances du 20 décembre 2018 et des 14, 25 et 31 janvier 2019 et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il lui a indiqué le délai pour présenter des observations avant la prise de la décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

38      Par courrier du 9 avril 2019, le Conseil, en réponse à une demande du requérant du 5 mars 2019, lui a communiqué certains documents le concernant.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent litige

39      Par arrêt du 11 juillet 2019, Azarov/Conseil (C‑416/18 P, non publié, EU:C:2019:602), la Cour a annulé, d’une part, l’arrêt du 26 avril 2018, Azarov/Conseil (T‑190/16, non publié, EU:T:2018:232) (voir point 28 ci-dessus), et, d’autre part, les actes de mars 2016, en ce qu’ils visaient le requérant.

40      Par arrêt du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil (T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018, en ce qu’ils visaient le requérant.

41      Par ordonnance du 22 octobre 2019, Azarov/Conseil (C‑58/19 P, non publiée, EU:C:2019:890), la Cour a annulé, d’une part, l’arrêt du 13 décembre 2018, Azarov/Conseil (T‑247/17, non publié, EU:T:2018:931) (voir point 31 ci-dessus), et, d’autre part, les actes de mars 2017, en ce qu’ils visaient le requérant.

42      Le 5 mars 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/373, modifiant la décision 2014/119 (JO 2020, L 71, p. 10), et le règlement d’exécution (UE) 2020/370, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2020, L 71, p. 1), qui ont prorogé l’application des mesures restrictives en cause jusqu’au 6 mars 2021.

43      Par la décision 2020/373 et le règlement d’exécution 2020/370, la mention relative au requérant dans la liste a été supprimée.

 Procédure et conclusions des parties

44      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2019, le requérant a introduit le présent recours.

45      Le 19 juillet 2019, le Conseil a présenté son mémoire en défense.

46      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 6 septembre 2019.

47      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, l’affaire a été attribuée à la cinquième chambre à laquelle un nouveau juge rapporteur a été affecté.

48      Le 25 octobre 2019, la duplique ainsi qu’une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés au mémoire en défense ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès ont été déposées au greffe du Tribunal. À cette même date, la phase écrite de la procédure a été close.

49      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 novembre 2019, le requérant a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries.

50      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure, a posé aux parties des questions écrites, auxquelles celles-ci ont répondu dans le délai imparti.

51      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 16 septembre 2020, qui, à la demande du Conseil, le requérant entendu, s’est déroulée partiellement à huis clos. À l’issue de l’audience, la phase orale de la procédure a été close et l’affaire mise en délibéré.

52      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

Le requérant demande également au Tribunal d’ordonner certaines mesures d’organisation de la procédure.

53      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2019/354 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2019/352 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

54      Lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, le Conseil a renoncé à son deuxième chef de conclusions.

 En droit

55      À l’appui de son recours, le requérant invoque un moyen unique, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, que le Conseil aurait commise en décidant de proroger les mesures restrictives en cause sur le fondement de lettres du BPG et de décisions judiciaires ukrainiennes, sans vérifier, tant sur le plan formel que matériel, si ces dernières avaient été prises dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective.

56      En premier lieu, le requérant reproche au Conseil d’avoir méconnu ses obligations de vérification. En effet, premièrement, le Conseil aurait violé son obligation de vérification indépendante, en ce qu’il s’en serait remis au contrôle mené par un État tiers. Deuxièmement, le Conseil n’aurait pas tenu compte du défaut de compétence du BPG pour mener les enquêtes qui constituent le fondement des lettres et des décisions sur lesquelles il s’est appuyé afin d’adopter les actes attaqués. Il n’aurait pas tenu compte, en particulier, du fait que, s’agissant des enquêtes menées contre certains titulaires de fonctions publiques, tels que le Premier ministre, la compétence appartenait au bureau national anticorruption. Ainsi, toutes les mesures prises par le BPG auraient été dépourvues de base juridique.  

57      Troisièmement, le Conseil n’aurait pas vérifié si les décisions des autorités ukrainiennes, sur lesquelles il s’est appuyé afin de proroger les mesures restrictives à l’égard du requérant, avaient été rendues dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci. Par ailleurs, les dispositions de la législation ukrainienne invoquées dans les actes attaqués empêcheraient, en substance, à elles seules que ces droits soient respectés.

58      Selon le requérant, de graves violations ont été commises au cours des cinq années d’enquêtes dans le cadre des procédures pénales à son égard. En outre, d’une part, les procédures sur lesquelles le Conseil s’est fondé ne seraient pas claires et, d’autre part, les décisions de justice indiquées dans les actes attaqués ne concerneraient que la procédure pénale [confidentiel](1) et ne porteraient que sur un aspect partiel de celle-ci.

59      Plus particulièrement,  le requérant conteste les décisions du tribunal de district de Petchersk (Kiev) (ci-après le « tribunal de Petchersk ») auxquelles se réfère le Conseil dans les actes attaqués. Tout d’abord, s’agissant de la décision du juge d’instruction dudit tribunal du 3 septembre 2018 (ci-après la « décision du juge d’instruction du 3 septembre 2018 »), laquelle est désignée erronément par le Conseil dans les actes attaqués comme étant du 8 septembre 2018, qui a été prise dans le cadre de la procédure [confidentiel] et qui est relative à l’autorisation d’ouvrir une enquête préliminaire spéciale par défaut à son égard, le requérant soutient qu’il ne possédait pas le statut de suspect en ce qu’il n’avait pas reçu personnellement l’avis de suspicion des poursuites pénales lancées par le BPG. Il fait également valoir que le BPG, ayant demandé l’ouverture de l’enquête préliminaire spéciale, n’était pas compétent dans le cadre des enquêtes menées à son égard et que l’affaire ayant donné lieu à la décision du juge d’instruction du 3 septembre 2018 avait été assignée audit juge d’instruction à la suite d’une manipulation dans le système automatisé d’attribution des affaires. En outre, le requérant met en avant le fait que le principe d’égalité des armes n’a pas été respecté en ce qu’il ne dispose d’aucune voie de recours contre cette décision, alors que tel ne serait pas le cas pour le BPG. De plus, il souligne que la condition essentielle pour adopter une telle décision, à savoir le fait d’être inscrit sur une « liste internationale des personnes recherchées », faisait défaut en l’espèce.

60      Par ailleurs, le requérant fait valoir que, au cours de la procédure ayant mené à ladite décision, le juge d’instruction du tribunal de Petchersk a rejeté certaines de ses demandes sans aucune motivation, qu’il y a eu une falsification de documents et qu’aucune preuve ne permettait de démontrer sa participation aux infractions pénales qui lui étaient reprochées.

61      Ensuite, s’agissant de la décision du juge d’instruction du tribunal de Petchersk du 16 août 2018 (ci-après la « décision du juge d’instruction du 16 août 2018 »), prise dans le cadre de la procédure [confidentiel] et relative au placement du requérant en détention à des fins de comparution devant le tribunal pour qu’il participe à une audience sur la demande d’une mesure préventive de détention, le requérant ajoute, aux arguments soulevés à l’égard de la décision du juge d’instruction du 3 septembre 2018, d’une part, qu’aucun motif ne justifiait l’application d’une telle mesure restrictive de liberté, car la demande de placement en détention, à défaut d’un mandat de recherche international, requiert le dépôt d’une demande de mise en détention préventive, qui n’a pas été présentée en l’espèce, et, d’autre part, que cette décision n’est valable qu’à titre temporaire.

62      Enfin, s’agissant des « décisions de justice portant sur des saisies de biens », le requérant soutient qu’elles ne peuvent servir à prouver le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, et ce en raison de leur régime légal, qui prévoit qu’une audience peut avoir lieu en l’absence du prévenu et de sa défense et que de telles décisions ne peuvent pas faire l’objet de recours. En tout état de cause, ces décisions ne seraient pas susceptibles, à elles seules, de démontrer que le maintien des mesures restrictives en cause ait été décidé dans le respect desdits droits.

63      Quatrièmement, le requérant soutient que les motifs du maintien de son nom sur la liste figurant dans les actes attaqués ne sont pas suffisants. En effet, d’une part, le Conseil se limiterait à reproduire le contenu de quelques dispositions du code de procédure pénale ukrainien (ci-après le « code de procédure pénale ») et, d’autre part, il n’indiquerait aucun motif démontrant que les décisions de justice ukrainiennes ont été adoptées dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective.

64      En second lieu, le requérant reproche, en substance, au Conseil de ne pas avoir apprécié l’exactitude matérielle des faits allégués à la lumière des observations qu’il a présentées et, de ce fait, de ne pas avoir respecté l’obligation d’établir le bien-fondé des motifs retenus contre lui qui ressortirait de la jurisprudence récente du juge de l’Union.

65      Le Conseil soutient que la décision de maintenir le nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide et que la seule nouvelle exigence découlant de la jurisprudence porte sur la preuve de la vérification par lui-même, au moment de l’adoption des mesures restrictives, du respect, par les autorités ukrainiennes, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre des procédures pénales engagées contre le requérant. Au demeurant, le requérant aurait lui-même confirmé qu’il avait pu exercer ses droits de la défense avec succès, dès lors que des demandes des services d’enquête auraient été rejetées ou que des autorisations en leur faveur auraient été annulées. Cela n’impliquerait pas la vérification du bien-fondé des griefs formulés à l’égard du requérant par les autorités judiciaires ukrainiennes ou de l’application correcte du droit pénal ukrainien. Ainsi, le Tribunal serait tenu d’apprécier uniquement si une erreur manifeste d’appréciation peut être reprochée au Conseil en ce qui concerne la vérification du respect desdits droits.

66      En premier lieu, le Conseil considère s’être conformé à cette exigence de vérification et de motivation en expliquant et en démontrant, par l’ajout d’une nouvelle section dans les actes attaqués, qu’il s’est assuré du respect desdits droits, en vérifiant, d’une part, si de tels droits étaient formellement inscrits dans les dispositions pertinentes du code de procédure pénale et, d’autre part, s’ils avaient été réellement respectés par les autorités judiciaires ukrainiennes dans le cadre des procédures pénales concernant le requérant.

67      Plus particulièrement, selon le Conseil, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, dans le cadre des procédures pénales sur lesquelles il s’est fondé afin de proroger les mesures restrictives en cause, est démontré par les décisions du juge d’instruction des 16 août et 3 septembre 2018 ainsi que par un « certain nombre de décisions de justice portant sur des saisies de biens » du requérant. En outre, le Conseil fait valoir qu’il a régulièrement demandé aux autorités ukrainiennes des informations et des décisions de justice relatives à l’évolution des procédures engagées à l’égard du requérant. Il aurait également examiné les objections formulées par celui-ci et aurait demandé, par conséquent, des informations supplémentaires aux autorités ukrainiennes, dont il aurait toujours informé le requérant.

68      S’agissant des procédures pénales menées contre le requérant, le Conseil fait valoir qu’il ressort des lettres du BPG que les notifications de suspicion lui ont bien été communiquées et qu’il a pu exercer pleinement ses droits de la défense, par le biais des avocats qu’il a désignés. Par ailleurs, le Conseil relève qu’il ressort desdites lettres que les mesures d’enquêtes prises en vue de l’autorisation d’une enquête préliminaire spéciale, de l’application d’une mesure préventive de détention ainsi que de la saisie des biens du requérant ont été autorisées, ordonnées ainsi que soumises au contrôle juridictionnel, conformément au code de procédure pénale, après une décision du juge d’instruction. En outre, bien que la possibilité d’interjeter un appel ait été mentionnée expressément dans chaque décision de saisie, le requérant n’en aurait pas fait usage.

69      Le Conseil conteste les arguments du requérant visant à faire valoir qu’il n’aurait pas effectué de vérifications autonomes. Premièrement, il précise, d’une part, que seul le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité conduit le dialogue avec les États tiers et, d’autre part, que le BPG est la source d’information la plus appropriée en matière pénale. Il s’ensuivrait que l’échange de lettres avec ce dernier constitue la voie la plus adéquate afin de recevoir des informations et des décisions judiciaires concernant les procédures pénales en cours en Ukraine.

70      Deuxièmement, s’agissant de la compétence du BPG, le Conseil soutient, en s’appuyant sur des courriers du bureau national de lutte contre la corruption du 6 février 2018 et du BPG du 20 juin 2018, que, en raison de dispositions transitoires du code de procédure pénale, le transfert de compétence et de procédures du BPG au bureau national de lutte contre la corruption ne s’applique pas de façon rétroactive aux enquêtes déjà commencées par le BPG. Cela démontrerait, contrairement à ce que soutient le requérant, une certaine sécurité juridique, qui éviterait la modification a posteriori d’un droit procédural tout en renforçant les droits de la défense du requérant.

71      Troisièmement, le Conseil conteste les arguments du requérant concernant le respect de ses droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre des procédures pénales menées contre lui. En premier lieu, il fait valoir qu’il n’est pas inhabituel que des décisions d’un juge d’instruction concernant le gel ou la saisie de biens d’un suspect ou concernant son arrestation, lorsqu’il est en fuite, dans le but de le faire comparaître devant un tribunal, soient prises ex parte. En outre, il réitère l’argument selon lequel une voie de recours est expressément prévue contre les décisions relatives à la saisie des biens.  En deuxième lieu, il précise qu’il s’est appuyé sur deux procédures pénales et que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant ont été respectés, dans leur contexte et à leur stade respectif, dans les deux procédures. Le rejet de la demande d’audition par vidéoconférence n’aurait pas constitué une violation de ces droits.  En troisième lieu, le Conseil souligne que le requérant avait bel et bien le statut de suspect en ce qu’il avait bien reçu, dans le cadre desdites procédures, des avis de suspicion à son adresse officielle et en temps utile avant l’adoption de mesures d’enquêtes, ce qui serait d’ailleurs démontré par le fait qu’il avait mandaté des avocats qui avaient pris contact avec le BPG et avec les juridictions afin de déposer des demandes et de former opposition. En quatrième lieu, il soutient que le fait que les décisions invoquées aient été rendues par le même juge d’instruction ne signifie pas que le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant ait été violé. Au contraire, cela démontrerait une certaine sécurité du système judiciaire ukrainien. De plus, s’agissant des allégations du requérant selon lesquelles il y aurait eu, lors de l’attribution de la demande d’ouverture d’une enquête préliminaire spéciale, une intervention illégale dans le système automatisé d’attribution, le Conseil considère qu’il n’est pas de son ressort de vérifier de telles circonstances et qu’une telle question doit être soumise aux autorités judiciaires ukrainiennes. En cinquième lieu, s’agissant de l’absence de voies de recours contre la décision du juge d’instruction du 3 septembre 2018, qui ne constituerait ni une décision définitive ni une condamnation, le Conseil relève que les questions de savoir si le rejet des arguments du requérant est dénué de fondement, si les preuves ont été qualifiées correctement et si les griefs retenus contre le requérant sont fondés, aussi bien en fait qu’en droit, n’ont pas à être examinées par lui-même et encore moins par le Tribunal, en ce que cela reviendrait à se substituer aux autorités chargées des enquêtes ou aux juridictions ukrainiennes.

72      Quatrièmement, le Conseil considère avoir démontré que la décision de maintenir le nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide.

73      En second lieu, s’agissant de l’allégation du requérant selon laquelle il n’aurait pas apprécié l’exactitude matérielle des faits allégués, le Conseil fait valoir qu’il ne lui appartient pas d’examiner les éléments sur lesquels les autorités ukrainiennes se fondent pour mener les poursuites pénales à l’encontre du requérant.

74      En définitive, le Conseil fait valoir que les mesures d’enquêtes préventives provisoires sur lesquelles il s’est fondé n’ont qu’un caractère conservatoire et ne préjugent pas d’une éventuelle condamnation du requérant. Il rappelle que celui-ci est un suspect en fuite, qui a mandaté plusieurs avocats qui l’ont défendu devant les juridictions ukrainiennes et qui avait, dès lors, connaissance des étapes de la procédure pénale. Les dispositions du code de procédure pénale, les décisions rendues par plusieurs juridictions ainsi que les renseignements fournis par les services d’enquête ukrainiens correspondraient tous à des documents officiels attestant du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant et les allégations de celui-ci, fondées sur des déclarations faites par ses propres avocats, ne seraient pas de nature à les infirmer.

75      Il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels que consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir arrêts du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 55 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 59 et jurisprudence citée).

76      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir lesdits actes, sont étayés (voir arrêts du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 56 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 60 et jurisprudence citée).

77      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers, reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêts du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 57 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 61 et jurisprudence citée).

78      Aussi, si, en vertu du critère d’inscription, tel que celui rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêts du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 58 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 62 et jurisprudence citée).

79      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel des fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de telle sorte, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêts du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 59 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 63 et jurisprudence citée).

80      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), implique un contrôle, par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 79 ci-dessus (voir arrêts du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 60 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 64 et jurisprudence citée).

81      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 61 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 65 et jurisprudence citée).

82      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives, telles que celles en l’espèce, sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part de la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 62, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 66 et jurisprudence citée).

83      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté ces obligations.

84      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, s’il est vrai que le Conseil a mentionné, dans les actes attaqués (voir point 36 ci-dessus), les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener une procédure pénale, pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour complicité dans un tel détournement, à l’égard du requérant avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que lesdites autorités avaient respecté, dans le cadre des procédures sur lesquelles les actes attaqués étaient fondés, lesdits droits.

85      En effet, l’examen du bien-fondé de la motivation, qui relève de la légalité au fond des actes attaqués et consiste, en l’occurrence, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à démontrer la vérification du respect de ces droits par les autorités ukrainiennes, doit être distingué de la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle et ne constitue que le corollaire de l’obligation du Conseil de s’assurer, au préalable, du respect desdits droits (voir arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 69 et jurisprudence citée).

86      Or, le requérant a fait l’objet de nouvelles mesures restrictives adoptées par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel qu’il a été précisé dans la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel qu’il a été précisé dans le règlement 2015/138 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Ce critère prévoit le gel des fonds des personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

87      Il convient de constater que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui-ci faisait l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives d’un détournement de fonds ou d’avoirs publics, qui aurait été établie par les lettres du BPG dont le requérant avait reçu copie (voir point 33 ci-dessus).

88      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), du 11 juillet 2019, Azarov/Conseil (C‑416/18 P, non publié, EU:C:2019:602), et du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil (T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577), ainsi qu’à l’ordonnance du 22 octobre 2019, Azarov/Conseil (C‑58/19 P, non publiée, EU:C:2019:890), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien ou de complicité dans un tel détournement.

89      Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

90      Dans la première partie figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale. En particulier, tout d’abord, sont rappelés les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale. Ensuite, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 de ce même code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction ou le tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquêtes, telles que la saisie de biens et les mesures de détention, ne sont possibles que sous réserve d’une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

91      La seconde partie de la section concerne l’application des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective à chacune des personnes inscrites sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoignaient, notamment, les décisions du juge d’instruction des 16 août et 3 septembre 2018 ainsi qu’« un certain nombre de décisions de justice portant sur des saisies de biens » du requérant (voir point 36 ci-dessus).

92      Dans la lettre du 5 mars 2019 (voir point 37 ci-dessus), d’une part, le Conseil s’est borné à indiquer que les attestations émanant du BPG établissaient que le requérant continuait à faire l’objet de procédures pénales en Ukraine pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour complicité dans un tel détournement. D’autre part, s’agissant des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, le Conseil a précisé, en se référant explicitement à la procédure [confidentiel], que le respect de ces droits découlait de la circonstance que les décisions du juge d’instruction des 16 août et 3 septembre 2018 avaient été prises à l’issue d’une audience en séance publique avec la participation de la défense. En outre, par ces décisions, il aurait été considéré que le requérant était une personne soupçonnée dans ladite procédure pénale, que son nom figurait sur une liste des personnes recherchées, que l’accusation avait prouvé des soupçons raisonnables et qu’il y avait des raisons de croire qu’il se cachait des autorités chargées de l’enquête préliminaire.

93      Il s’ensuit que, bien que, dans la lettre du 5 mars 2019, le Conseil ait mentionné d’une manière générique des procédures pénales dont le requérant faisait l’objet en Ukraine, la procédure [confidentiel] est la seule pour laquelle il atteste explicitement avoir vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

94      Toutefois, il convient de relever que, dans la seconde partie de la section des actes attaqués consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective (voir point 91 ci-dessus), le Conseil se réfère également, quoique de manière tout à fait générique, à un « certain nombre de décisions de justice portant sur des saisies de biens » du requérant.

95      À cet égard, il doit être observé, à titre liminaire, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure toutes ces décisions témoigneraient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure [confidentiel]. Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne les saisies des biens du requérant, dès lors que, d’une part, le Conseil n’indique pas quelles sont les décisions auxquelles il se réfère et, d’autre part, il ne ressort même pas des attestations du BPG que des saisies aient été effectuées dans le cadre de cette procédure.

96      En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 76 et 77 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider le maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquête pénales portant sur les infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics commises par le requérant avait été adoptée dans le respect desdits droits de celui-ci.

97      Dans cette perspective, les décisions de justice mentionnées au point 91 ci-dessus ne sauraient être identifiées comme étant des décisions d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives. Cela étant dit, il est loisible d’admettre que, d’un point de vue substantiel, dès lors qu’elles ont été adoptées par des juridictions, à tout le moins les décisions du juge d’instruction des 16 août et 3 septembre 2018, qui sont pertinentes sous l’angle temporel, ont réellement été prises en compte par le Conseil comme étant la base factuelle justifiant le maintien des mesures en cause.

98      Il y a donc lieu de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que ces deux décisions, ainsi que celles portant sur des saisies de biens du requérant, témoignaient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

99      S’agissant, en premier lieu, de la décision du juge d’instruction du 3 septembre 2018, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que prétend le Conseil, il ne ressort pas clairement de celle-ci que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été garantis au requérant en l’espèce. S’il est vrai, comme le souligne le Conseil dans sa lettre du 5 mars 2019 (voir point 92 ci-dessus), que ladite décision a été adoptée à l’issue d’une audience en séance publique avec la participation d’un représentant de la défense, il n’en reste pas moins qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil ait réellement pris en considération les informations que le requérant lui avait communiquées dans ses lettres des 30 novembre et 20 décembre 2018 ainsi que dans celles des 14 et 31 janvier 2019.

100    En effet, le requérant avait fait valoir, documents à l’appui, que son nom n’était pas inscrit sur la liste des personnes recherchées au niveau international établie par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) (ci-après la « liste des personnes recherchées par Interpol ») et que, d’une part, les conditions pour autoriser la procédure par défaut n’étaient pas remplies en l’espèce et, d’autre part, la décision du juge d’instruction du 3 septembre 2018 violait le droit à une protection juridictionnelle effective dans la mesure où elle ne pouvait pas faire l’objet d’un appel, alors que plusieurs demandes procédurales de la défense avaient été rejetées par ledit juge sans une véritable motivation. En outre, il avait contesté la compétence du BPG ainsi que, en substance, l’impartialité du juge d’instruction ayant pris lesdites décisions.

101    À cet égard, premièrement, il convient de relever qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil ait vérifié dans quelle mesure une décision telle que celle en l’espèce, qui ne pouvait pas faire l’objet d’un appel, se conciliait avec l’invocation des articles du code de procédure pénale, explicitement mentionnés dans la section des actes attaqués relative aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective (voir point 90 ci-dessus), qui établissent, notamment, le droit de la personne soupçonnée de « contester des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur, du procureur et du juge d’instruction » (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 82).

102    Deuxièmement, d’une part, les informations sur lesquelles le juge d’instruction s’est fondé pour considérer que le nom du requérant était inscrit sur une « liste des personnes recherchées », sans préciser de quel type de liste il s’agissait, et, d’autre part, les raisons pour lesquelles le Conseil s’est contenté de simples affirmations du BPG et dudit juge d’instruction à cet égard, en dépit des documents que lui avait fait parvenir le requérant démontrant que son nom ne figurait pas sur la liste des personnes recherchées par Interpol depuis le 18 avril 2017, ne ressortent pas des pièces du dossier.

103    Par ailleurs, ce dernier aspect n’est pas sans importance dans le cadre de l’appréciation du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, au regard de l’article 297-4 du code de procédure pénale, aux termes duquel le fait d’être inscrit sur une liste des personnes recherchées interétatique ou internationale est l’une des deux conditions qui doivent être établies par le procureur lorsqu’il demande l’autorisation de pouvoir procéder par défaut (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 87).

104    Or, dans sa décision du 3 septembre 2018, le juge d’instruction a évoqué les deux conditions, sans toutefois se prononcer explicitement sur celle ayant trait à l’inscription du nom du requérant sur une telle liste. Quant au BPG, force est de constater qu’il s’est limité à indiquer, dans sa lettre du 22 novembre 2018, que le nom du requérant avait été inscrit [confidentiel].

105    L’argument, avancé par le Conseil lors de l’audience, selon lequel les documents d’Interpol n’étaient pas pertinents, en ce qu’ils se référaient à la procédure [confidentiel], et non à la procédure [confidentiel], ne saurait remettre en cause ces considérations. En effet, les informations concernant l’inscription du nom du requérant sur une « liste des personnes recherchées » ne permettaient pas, en tout état de cause, au Conseil de vérifier le respect de la condition relative à l’inscription du nom du requérant sur une telle liste par le procureur et, de ce fait, le respect par le juge d’instruction, lors de l’adoption de sa décision, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant (voir point 103 ci-dessus). Par ailleurs, force est également de constater que les informations fournies [confidentiel] au regard de la procédure [confidentiel] ne faisaient pas état de la radiation du nom du requérant de la liste des personnes recherchées par Interpol, se limitant à indiquer que son nom y avait été inséré le 12 janvier 2015. Dans ces circonstances, le Conseil ne pouvait pas se contenter des informations, soit laconiques soit imprécises, dont il disposait et aurait dû, à tout le moins, solliciter des éclaircissements auprès des autorités ukrainiennes.

106    S’agissant, en deuxième lieu, de la décision du juge d’instruction du 16 août 2018, il convient de relever que, contrairement à ce que prétend le Conseil, celle-ci, qui a été adoptée dans le cadre de la procédure [confidentiel], d’une part, a été prise à l’issue d’une audience à huis clos, sans la participation d’un représentant de la défense, mais avec la présence du procureur, et, d’autre part, ne pouvait pas faire, elle non plus, l’objet d’un appel de la part du requérant. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil ait vérifié, malgré les contestations avancées par le requérant dans sa lettre du 31 janvier 2019, dans quelle mesure cette décision, qui a été prise par le même juge d’instruction que celui ayant adopté la décision du 3 septembre 2018, se conciliait avec le respect des articles du code de procédure pénale explicitement mentionnés dans la section des actes attaqués relative aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 75).

107    À cet égard, l’argument du Conseil selon lequel le fait que le code de procédure pénale prévoyait que la décision du juge d’instruction était prise à huis clos et sans possibilité d’interjeter un appel n’excluait pas la possibilité d’effectuer un contrôle juridictionnel à un stade ultérieur de la procédure doit être écarté. En effet, ce faisant, le Conseil admet implicitement que les décisions du juge d’instruction, qu’il a mentionnées dans les actes attaqués comme témoignant du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, ne sont pas, en elles-mêmes, susceptibles d’assurer un tel respect (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 76).

108    S’agissant, en troisième lieu, des décisions de justice portant sur des saisies des biens du requérant, il convient de relever, à titre liminaire, qu’il ressort des pièces du dossier que la seule procédure pénale à l’égard du requérant concernant le détournement de fonds publics, dans le cadre de laquelle de telles mesures ont été prises, est la procédure [confidentiel]. Lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, le Conseil a précisé qu’il entendait se fonder également sur cette procédure. D’après les informations fournies [confidentiel], cette procédure est suspendue [confidentiel], dans l’attente des réponses à des demandes [confidentiel].

109    Or, il ressort des pièces du dossier que ces décisions de saisie ont été prises, par le juge d’instruction du tribunal de Petchersk, entre octobre 2014 et février 2016, à savoir bien avant l’adoption des actes attaqués. Il s’ensuit qu’elles ne sauraient être invoquées afin d’établir que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne, sur laquelle le Conseil entend se fonder pour maintenir, pour la période allant de mars 2019 à mars 2020, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant, a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 84). Au demeurant, le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer à l’égard de ces mêmes décisions, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil (T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, points 54, 72 et 73), qui n’a pas été contesté par le Conseil, et a jugé qu’elles n’étaient pas susceptibles de démontrer que lesdits droits du requérant avaient été respectés dans le cadre de la procédure en cause.

110    En tout état de cause, il y a également lieu de relever que toutes les décisions de justice susmentionnées s’insèrent dans le cadre des procédures pénales ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes au regard de celles-ci, dans la mesure où elles sont de nature soit conservatoire soit procédurale. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, à savoir le fait que, conformément au critère d’inscription, le requérant faisait l’objet de procédures pénales pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour complicité dans un tel détournement, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener lesdites procédures pénales, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 73, et du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 92).

111    Au demeurant, le Conseil n’invoque aucune pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués dont il résulterait qu’il a examiné lesdites décisions des juridictions ukrainiennes et qu’il a pu en conclure que les droits procéduraux du requérant avaient été respectés dans leur substance.

112    À cet égard, il doit également être observé que le Conseil était tenu d’effectuer une telle vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, la simple existence de dispositions du code de procédure pénale n’étant pas suffisante pour démontrer en soi le respect de ces droits par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klyuyev/Conseil, T‑305/18, non publié, EU:T:2019:506, point 72).

113    D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment, en particulier, l’existence des décisions de justice portant sur des saisies des biens du requérant permet de considérer que la protection des droits en question a été garantie, alors que, comme le requérant l’avait fait valoir à maintes reprises dans les lettres envoyées au Conseil, à tout le moins la procédure [confidentiel], qui avait été initialement ouverte en 2014 (voir point 105 ci-dessus) et qui, en l’état, est suspendue, se trouvait encore au stade de l’enquête préliminaire et l’affaire en cause n’avait pas été soumise à un tribunal ukrainien sur le fond, mais l’avait été, tout au plus, seulement pour des questions procédurales, en dépit de l’adoption par le tribunal de Petchersk d’une décision, datée du 31 mai 2017, autorisant le BPG à procéder par défaut (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2018, Arbuzov/Conseil, T‑258/17, EU:T:2018:331, point 98).

114    Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective, prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi (voir arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 96 et jurisprudence citée).

115    Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus par l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH (arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 97).

116    À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant l’article 6 de la CEDH, d’une part, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, celui de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort ainsi que les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, point 126 et jurisprudence citée). D’autre part, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de phases d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, points 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, points 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, points 58 à 62).

117    Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, de la même enquête préliminaire menée par le BPG, le Conseil est tenu d’approfondir la question de la violation éventuelle des droits fondamentaux de cette personne par les autorités ukrainiennes (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Azarov/Conseil, T‑286/18, non publié, EU:T:2019:577, point 78 et jurisprudence citée).

118    Dès lors, en l’espèce, le Conseil aurait dû à tout le moins indiquer les raisons pour lesquelles, en dépit des arguments avancés par le requérant, il pouvait considérer que le droit de celui-ci à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne, qui est, à l’évidence, un droit fondamental, avait été respecté en ce qui concernait la question de savoir si sa cause avait été entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 100 et jurisprudence citée).

119    Il ne saurait donc être conclu, au vu des pièces du dossier, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne avait été prise en respectant les droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

120    Par ailleurs, il convient également de relever que, si, selon une jurisprudence bien établie, en cas d’adoption d’une décision de gel des fonds telle que celle concernant le requérant, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée, cette jurisprudence ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier si la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption de mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 102 et jurisprudence citée).

121    Enfin, il convient de rejeter l’argument du Conseil, réitéré lors de l’audience, selon lequel, en substance, il ne lui appartient pas de mettre en cause les décisions des juridictions ukrainiennes, qui bénéficieraient d’une sorte de présomption de légalité, en vertu également des accords de coopération et d’assistance dans le domaine de la justice existant entre l’Union et l’Ukraine. En effet, si, comme il a été précisé au point 110 ci-dessus, de telles décisions peuvent contribuer à la construction d’une base factuelle suffisamment solide aux fins de l’adoption des mesures restrictives en cause, cela ne signifie pas que le Conseil est exempté de son obligation de vérification du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de la personne visée par les mesures restrictives au regard de l’activité judiciaire. Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, la personne visée par lesdites mesures a soulevé des doutes quant au respect de ses droits dans le contexte de l’adoption des décisions de justice sur lesquelles le Conseil entendait se fonder. En tout état de cause, il ne saurait être exclu que, au regard notamment des observations présentées par le requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant le respect desdits droits (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 240), ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

122    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre des procédures pénales sur lesquelles il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir le nom du requérant sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

123    Dans ces circonstances, il convient d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la demande de mesures d’organisation de la procédure présentée par celui-ci.

 Sur les dépens

124    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Mykola Yanovych Azarova été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Spineanu-Matei

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 décembre 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.


1 Données confidentielles occultées.