Language of document : ECLI:EU:T:2011:728

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

12 décembre 2011 (*)

« Référé – Demande de remise de droits à l’importation de certains produits alimentaires – Décision de renvoi d’un dossier aux autorités nationales – Demandes de mesures provisoires – Irrecevabilité – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑402/11 R,

Preparados Alimenticios del Sur, SL, établie à Murcie (Espagne), représentée par Me I. Acero Campos, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Baquero Cruz et Mme L. Bouyon, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires, dont le sursis à l’exécution de la lettre de la Commission du 29 juin 2011 informant la requérante du renvoi, aux autorités espagnoles, du dossier relatif à sa demande de remise de droits à l’importation, afin que ces autorités se prononcent sur ladite demande,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, Preparados Alimenticios del Sur, SL, est une entreprise active dans l’importation et l’exportation de produits alimentaires. Entre octobre 2005 et mars 2006, elle a importé différents produits du secteur du sucre et les a classés, à des fins de droits à l’importation, dans un régime tarifaire préférentiel, conformément à la nomenclature combinée établie par le règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil du 23 juillet 1987 (JO L 256, p. 1), tel que modifié. L’administration douanière espagnole a initialement accepté ce classement effectué par la requérante et a calculé en conséquence les droits à l’importation à verser. Ultérieurement, ladite administration nationale est cependant revenue sur le classement initial, au motif que ces produits relevaient d’une autre position tarifaire de la nomenclature combinée, et a émis des avis provisoires ordonnant à la requérante de s’acquitter de droits à l’importation supplémentaires d’un montant de plus de 2,3 millions d’euros.

2        La requérante a réagi, en mars 2009, par l’introduction auprès des autorités espagnoles d’une demande de remise des droits à l’importation fixés dans les avis d’imposition en cause.

3        En avril 2010, les autorités espagnoles ont transmis à la Commission européenne le dossier de remise des droits à l’importation, tout en estimant que les conditions d’une saisie de la Commission – prévues à l’article 220, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1) et à l’article 871, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement n° 2913/92 (JO L 253, p. 1) – n’étaient pas remplies, du fait que le montant des droits à l’importation litigieux n’avait pas été fixé « par suite d’une erreur des autorités douanières elles-mêmes ».

4        En septembre 2010, la Commission a demandé un complément d’information aux autorités espagnoles. Cette demande étant restée sans réponse, elle a informé ces autorités que, à défaut d’une réponse pour le 20 mai 2011, le dossier leur serait renvoyé et la procédure serait considérée comme n’ayant jamais débuté, conformément à l’article 871, paragraphe 6, du règlement n° 2454/93. N’ayant pas obtenu de réponse à la date prévue, elle a notifié le renvoi du dossier aux autorités espagnoles, afin que celles-ci se prononcent sur la demande de remise, et a transmis, le 25 mai 2011, à la représentation permanente du Royaume d’Espagne à Bruxelles l’ensemble du dossier en cause, en vue de son transfert à Madrid (Espagne).

5        Par lettre du 29 juin 2011, la Commission a informé la requérante du renvoi de son dossier aux autorités espagnoles (ci-après l’« acte attaqué »). La requérante a réceptionné cette lettre le 5 juillet 2011.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juillet 2011, la requérante a introduit un recours visant, en substance, à ce que l’acte attaqué soit annulé et qu’il soit ordonné à la Commission de statuer sur sa demande de remise des droits à l’importation litigieux. À l’appui de ce recours, elle conteste, notamment, l’interprétation faite par la Commission de l’article 220, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2913/92, en ce qu’elle ferait dépendre de la volonté de l’administration douanière espagnole la reconnaissance d’une erreur qu’il incombe à la Commission d’apprécier, alors que cette disposition ne donne pas ce pouvoir à l’administration nationale, qui est celle qui cause l’erreur et qui fait obstacle à son investigation.

7        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 11 novembre 2011, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de l’acte attaqué ;

–        ordonner à l’administration douanière espagnole de ne pas se prononcer sur la demande de remise des droits à l’importation en cause tant que le recours en annulation introduit devant le Tribunal contre l’acte attaqué sera pendant et, le cas échéant, jusqu’à ce qu’il soit statué sur le pourvoi qui pourrait être introduit contre l’arrêt dudit Tribunal, s’il ne faisait pas droit à ses prétentions.

 En droit

8        Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

9        En l’espèce, il y a lieu d’examiner d’abord la recevabilité de la présente demande en référé. En effet, les conditions de recevabilité de toute demande en référé étant d’ordre public, il appartient au juge des référés de les vérifier d’office in limine litis [ordonnances du président du Tribunal du 18 février 2008, Jurado Hermanos/OHMI (JURADO), T‑410/07 R, non publiée au Recueil, point 25, et du 25 avril 2008, Vakakis/Commission, T‑41/08 R, non publiée au Recueil, point 41].

 Sur la recevabilité

10      Selon une jurisprudence bien établie, la partie qui demande le sursis à l’exécution de l’acte qu’elle a attaqué par un recours en annulation doit justifier d’un intérêt à l’obtention du sursis sollicité, étant précisé qu’un tel intérêt suppose que ledit sursis soit susceptible, par lui-même, de procurer, par son résultat, un bénéfice direct à la partie demanderesse (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 57, et du 12 mai 2006, Gollnisch/Parlement, T‑42/06 R, non publiée au Recueil, point 28 ; arrêt du Tribunal du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, Rec. p. II‑3253, point 44, et la jurisprudence citée).

11      S’agissant du premier chef de conclusions figurant dans la demande en référé, visant à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte attaqué, il convient de rappeler que, par cet acte, la Commission a informé la requérante du renvoi aux autorités espagnoles du dossier relatif à sa demande de remise des droits à l’importation en cause. Or, ainsi que la Commission l’a souligné et que la requérante l’a expressément admis, ledit dossier se trouve en possession des autorités espagnoles, la Commission l’ayant entre-temps renvoyé à ces autorités.

12      Dans ces circonstances, un sursis à l’exécution de l’acte attaqué ne serait plus d’aucune utilité pratique pour la requérante, étant donné que cet acte a déjà été exécuté.

13      Il s’ensuit que le premier chef de conclusions figurant dans la demande en référé, visant à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte attaqué, doit être déclaré irrecevable, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si cet acte est attaquable, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

14      Quant à la recevabilité du second chef de conclusions figurant dans la demande en référé, visant à ce que le juge des référés ordonne aux autorités espagnoles de ne pas se prononcer sur la demande de remise des droits à l’importation en cause, il convient de relever que, eu égard au libellé large de l’article 279 TFUE, il ne saurait être exclu que le juge des référés puisse, dans des circonstances exceptionnelles, adresser des injonctions directement à un tiers, même si ce dernier n’a pas eu la possibilité d’être entendu dans le cadre de la procédure de référé, s’il apparaît que, sans ces mesures, la partie requérante serait exposée à une situation mettant en péril son existence même (ordonnance du président du Tribunal du 18 mars 2008, Aer Lingus Group/Commission, T‑411/07 R, Rec. p. II‑411, point 56).

15      Il s’ensuit que le second chef de conclusions figurant dans la demande en référé doit être déclaré recevable.

16      Il convient donc d’examiner si l’injonction sollicitée apparaît urgente en ce sens qu’elle serait nécessaire pour éviter que la requérante soit exposée à une situation mettant en péril son existence même.

 Sur le fond

17      Il ressort d’une lecture combinée de l’article 278 TFUE et de l’article 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent.

18      Le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite des mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure principale, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes permettant d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées. Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite des mesures provisoires est ainsi tenue de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, points 30 et 32).

19      En l’espèce, afin d’établir qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure principale, sans avoir à subir un préjudice grave et irréparable, la requérante invoque le risque que les autorités douanières espagnoles puissent commencer les démarches d’exécution de sa dette douanière, alors que la décision du Tribunal relativement au recours en annulation contre l’acte attaqué est pendante. Elle fait valoir que, si cette décision la confortait dans ses prétentions, la Commission devrait se prononcer sur la demande de remise des droits à l’importation en cause et pourrait, le cas échéant, y faire droit. Elle soutient également que le montant total de sa dette dont la remise a été demandée s’élève à 2 753 744,89 euros et que la possibilité qu’il puisse être « procédé à une exécution » de cette dette lui causerait un grave préjudice.

20      La requérante ajoute, en substance, qu’elle ne saurait faire face au paiement de la dette dont la remise a été demandée et que cela est attesté tant par son gérant dans un rapport du 6 novembre 2009 que par une société d’audit qui, dans un rapport de la même date, concluait que l’entreprise était en « faillite technique ». À cet égard, elle précise être inactive depuis décembre 2007 et ne pas posséder de biens patrimoniaux.

21      Or, force est de constater que la requérante s’est limitée à fournir les indications mentionnées aux points 19 et 20 ci-dessus, qui ne sont étayées que par un document décrivant les sommes dues et par deux « rapports », consistant chacun en une seule page. Dans ces circonstances, la requérante est restée en défaut de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière, au sens de la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus, alors que cette image fidèle et globale aurait dû être fournie dans le texte même de la demande en référé. En effet, une telle demande doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé [ordonnance du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 17 ; voir, également, ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13].

22      En tout état de cause, dans la mesure où la requérante craint que les autorités douanières espagnoles puissent commencer les démarches d’exécution de sa dette dont la remise a été demandée, il convient de rappeler dans le cadre du régime instauré par les règlements nos 2913/92 et 2454/93, l’application du droit matériel douanier de l’Union, y compris l’adoption de décisions exigeant le paiement a posteriori des droits non perçus, relève de la compétence exclusive des autorités douanières nationales, dont les décisions peuvent être attaquées devant les juridictions nationales (arrêt du Tribunal du 11 juillet 2002, Hyper/Commission, T‑205/99, Rec. p. II‑3141, point 98 ; voir également ordonnance du président du Tribunal du 25 mai 2009, Biofrescos/Commission, T‑159/09 R, non publiée au Recueil, point 29).

23      Ainsi qu’il a été jugé dans le contexte d’une procédure nationale de récupération d’une aide d’État, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que le juge national ordonne un sursis à l’exécution d’une demande de recouvrement en attendant le règlement de l’affaire au fond devant le Tribunal ou que la Cour se prononce sur la question préjudicielle dont elle est saisie au titre de l’article 267 TFUE. En effet, dans la mesure où le requérant a contesté la légalité de l’acte de l’Union litigieux au titre de l’article 263 TFUE, le juge national n’est pas lié par le caractère définitif de cet acte. En outre, le fait qu’une demande de sursis à exécution n’a pas abouti devant le juge de l’Union n’empêche pas qu’un sursis soit ordonné par le juge national. Il s’ensuit que, dans le cadre d’une procédure de référé, il appartient au requérant de démontrer que les voies de recours internes que lui offre le droit national pour s’opposer à la récupération d’une aide d’État ne lui permettent pas d’éviter de subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance Biofrescos/Commission, précitée, point 30, et la jurisprudence citée).

24      La jurisprudence résumée au point précédent s’applique également à la problématique du recouvrement de droits à l’importation. Or, la requérante s’est abstenue de démontrer que les voies de recours internes que lui offre le droit national espagnol pour s’opposer à une éventuelle récupération des droits à l’importation en cause ne lui permettraient pas d’éviter de subir un préjudice grave et irréparable.

25      Il s’ensuit que le préjudice invoqué par la requérante ne présente ni un degré de certitude suffisant, ni un caractère grave et irréparable, étant donné que la survenance de ce préjudice ne résulterait pas automatiquement de l’acte attaqué, mais supposerait une intervention supplémentaire des autorités nationales espagnoles [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 8 mai 2003, Commission/Artegodan e.a., C‑39/03 P(R), Rec. p. I‑4485, points 46 à 52, et du 20 juin 2003, Commission/Laboratoires Servier, C‑156/03 P(R), Rec. p. I‑6575, points 41 à 44], la requérante ayant omis d’établir qu’elle ne disposerait pas d’une protection juridique efficace sur le plan national pour s’opposer à cette intervention.

26      Il s’ensuit que le second chef de conclusions doit être rejeté pour défaut d’urgence.

27      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris est remplie.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 12 décembre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’espagnol.