Language of document : ECLI:EU:T:2018:934

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

13 décembre 2018 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Agriculture – Marchés des pêches et des nectarines – Perturbations subies pendant la campagne 2014 – Embargo russe – Mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des producteurs – Règlements délégués (UE) nos 913/2014 et 923/2014 – Règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers – Devoir de diligence et principe de bonne administration – Violation suffisamment caractérisée – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑290/16,

Fruits de Ponent, SCCL, établie à Alcarràs (Espagne), représentée par Mes M. Roca Junyent, J. Mier Albert, R. Vallina Hoset et A. Sellés Marco, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par Mmes I. Galindo Martín et K. Skelly, puis par Mme Galindo Martín, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par trois membres de la requérante du fait d’actes et d’omissions de la Commission, dans le contexte de l’adoption du règlement délégué (UE) no 913/2014 de la Commission, du 21 août 2014, fixant des mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des producteurs de pêches et de nectarines (JO 2014, L 248, p. 1), et du règlement délégué (UE) no 932/2014 de la Commission, du 29 août 2014, fixant des mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des producteurs de certains fruits et légumes et modifiant le règlement délégué no 913/2014 (JO 2014, L 259, p. 2),

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, I. S. Forrester (rapporteur) et E. Perillo, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 février 2018,

rend le présent

Arrêt

I.      Cadre juridique

1        Aux termes de l’article 39, paragraphe 1, sous b) et c), TFUE, la politique agricole commune (PAC) a notamment pour buts, d’une part, d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, par exemple par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture, et, d’autre part, de stabiliser les marchés.

2        Le règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671), prévoit deux mécanismes de prévention et de gestion des crises dans le secteur des fruits et légumes : un mécanisme ordinaire, sous la forme de programmes opérationnels, et un mécanisme extraordinaire, qui prescrit des mesures en cas de perturbations du marché.

3        Les programmes opérationnels, tels que définis à l’article 33 du règlement no 1308/2013, sont mis en œuvre par les organisations de producteurs de fruits et légumes (ci-après les « OPFL »), qui gèrent à cette fin les fonds opérationnels visés à l’article 32 dudit règlement, au financement desquels l’Union européenne contribue.

4        Aux termes de l’article 33, paragraphe 3, du règlement no 1308/2013, la prévention et la gestion des crises visées au paragraphe 1 dudit article ont pour objectif d’éviter et de régler les crises sur les marchés des fruits et légumes et couvrent notamment, dans ce contexte, la promotion et la communication, à titre de prévention ou pendant une période de crise, ainsi que le retrait du marché.

5        Aux termes de l’article 79, paragraphe 1, du règlement d’exécution (UE) no 543/2011 de la Commission, du 7 juin 2011, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les secteurs des fruits et légumes et des fruits et légumes transformés (JO 2011, L 157, p. 1), le soutien aux retraits du marché, qui comprend la participation de l’Union et celle de l’OPFL concernée, ne dépasse pas le montant établi à l’annexe XI dudit règlement d’exécution, soit 5 % du volume moyen de la production commercialisée par ladite OPFL au cours des trois années écoulées.

6        Les mesures extraordinaires de prévention et de gestion des perturbations du marché sont prévues aux articles 219, 227 et 228 du règlement no 1308/2013.

7        Aux termes de l’article 219, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013 :

« Afin de répondre de manière concrète et efficace aux menaces de perturbation du marché causées par des hausses ou des baisses significatives des prix sur les marchés intérieurs ou extérieurs ou par d’autres événements et circonstances perturbant significativement ou menaçant de perturber le marché, lorsque cette situation ou ses effets sur le marché sont susceptibles de se poursuivre ou de s’aggraver, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 227 en vue de prendre les mesures nécessaires pour rééquilibrer cette situation de marché [...] dès lors que toute autre mesure pouvant être appliquée en vertu du présent règlement apparaît insuffisante.

Lorsque, dans les cas de menaces de perturbations du marché visées au premier alinéa du présent paragraphe, des raisons d’urgence impérieuses le requièrent, la procédure prévue à l’article 228 s’applique aux actes délégués adoptés en application du premier alinéa du présent paragraphe.

Ces raisons d’urgence impérieuse peuvent inclure le besoin d’agir immédiatement pour corriger ou éviter la perturbation du marché, lorsque les menaces de perturbation du marché apparaissent si rapidement ou de façon si inattendue qu’une action immédiate est nécessaire pour faire face de manière concrète et efficace à la situation, ou bien lorsque l’action pourrait empêcher ces menaces de perturbation du marché de se concrétiser, de se poursuivre ou de se transformer en une crise plus grave ou prolongée, ou encore lorsque retarder l’action immédiate risquerait de provoquer ou d’aggraver la perturbation, ou pourrait porter préjudice à la production ou aux conditions du marché.

Ces mesures peuvent, dans la mesure et pour la durée nécessaires pour faire face aux perturbations du marché ou aux menaces de perturbation, étendre ou modifier la portée, la durée ou d’autres aspects d’autres mesures prévues par le présent règlement, prévoir des restitutions à l’exportation ou suspendre les droits à l’importation en totalité ou en partie, notamment pour certaines quantités et/ou périodes, selon les besoins. »

8        L’article 227 du règlement no 1308/2013 confère à la Commission européenne le pouvoir d’adopter des actes délégués et régit l’exercice de cette délégation.

9        L’article 228 du règlement no 1308/2013 prévoit une procédure d’urgence, en vertu de laquelle les actes délégués adoptés au titre de cette disposition entrent en vigueur sans délai et s’appliquent tant qu’aucune objection n’est exprimée par le Conseil de l’Union européenne ou par le Parlement européen conformément à l’article 227, paragraphe 5, dudit règlement.

II.    Contexte et antécédents du litige

10      Le secteur dit des fruits doux, concerné par le présent litige, englobe la production de pêches et de nectarines. Il s’agit de fruits de saison, dont la campagne de collecte et de commercialisation se déroule pour l’essentiel en été. La saison de la récolte commence habituellement au début du mois de juin et se termine approximativement à la fin du mois de septembre. La saison de la consommation coïncide avec celle de la récolte.

11      Les fruits doux sont particulièrement périssables et les possibilités de leur entreposage limitées. Il n’est donc possible de les stocker dans des conditions satisfaisantes que pendant les deux à quatre semaines qui en suivent la récolte et leur transport est limité à un nombre réduit de jours. Ces caractéristiques des fruits doux ont pour conséquence que leur marché est très sensible à toute perturbation, leur stockage ne pouvant être prolongé jusqu’à ce que le marché se stabilise.

12      Pendant la saison 2014, le secteur des fruits doux a connu des perturbations qui se sont traduites par une baisse significative des prix. Cette crise est la résultante de trois facteurs.

13      Premièrement, la production de fruits doux a sensiblement augmenté par rapport aux années précédentes et la collecte de ces fruits a débuté plus tôt que d’ordinaire, parfois même dès le mois de mai 2014.

14      Deuxièmement, la consommation de fruits doux, qui est étroitement liée à des températures estivales, a baissé de manière appréciable dans certains États membres pendant la saison 2014, en raison d’un climat particulièrement pluvieux et froid.

15      Troisièmement, à la suite de l’adoption par le Conseil du règlement (UE) no 833/2014, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), le président de la Fédération de Russie a adopté, le 6 août 2014, le décret no 560, portant interdiction d’importer en Russie certains types de produits agricoles en provenance de l’Union, notamment les fruits doux (ci-après l’« embargo russe »). Cette décision, qui est entrée en vigueur le 7 août 2014, a entraîné la fermeture d’un marché traditionnellement important pour les producteurs de fruits doux de l’Union.

16      Lors d’une réunion du 11 juin 2014 avec le groupe d’experts nationaux pour les pêches et les nectarines, la Commission a relevé qu’une « bonne année de récolte [était] signalée » et qu’« aucun problème n’[étai]t en vue ». Selon la requérante, Fruits de Ponent, SCCL, c’est quelques jours plus tard que des perturbations ont commencé à se manifester sur le marché des fruits doux et les prix ont particulièrement commencé à s’effondrer à partir du mois de juillet.

17      À la mi-juillet 2014, selon un rapport de la Commission au groupe d’experts nationaux pour les pêches et les nectarines du 22 août 2014, des informations en provenance d’États membres et de parties intéressées ont commencé à parvenir à cette institution, faisant état d’une chute significative des prix à la production des fruits doux et demandant une action immédiate de sa part.

18      Le jour même du décret de l’embargo russe, le mercredi 6 août 2014, la Commission a rencontré les représentants des principaux États membres producteurs de fruits doux. La mauvaise situation quant aux prix a été confirmée lors de cette réunion. Il y a en outre été question de l’incidence des stocks de fruits et de la situation en Russie et en Ukraine sur le marché.

19      Le jour de l’entrée en vigueur de l’embargo russe, le jeudi 7 août 2014, de nouvelles informations sont parvenues à la Commission par l’intermédiaire des organisations du secteur des fruits doux et des autorités nationales. En Espagne, l’organisation Unión de Uniones de Agricultores y Ganaderos (union des syndicats d’agriculteurs et d’éleveurs) s’est adressée au ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Environnement, par lettre du 8 août 2014, pour demander l’adoption par la Commission de mesures urgentes pour éviter des perturbations sur le marché des fruits doux.

20      Le vendredi 8 août 2014, la Commission a rencontré les experts nationaux du secteur des fruits doux. Le même jour, dans un communiqué de presse, le membre de la Commission chargé de l’agriculture et du développement rural a fait part de son intention d’aider les producteurs concernés.

21      Par un communiqué de presse du lundi 11 août 2014, la Commission a annoncé l’adoption prochaine de mesures exceptionnelles en ce qui concernait les pêches et les nectarines, en précisant que ces mesures s’appliqueraient à compter de ce même jour.

22      Le 21 août 2014, la Commission a adopté, sur le fondement de l’article 219, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013, en conformité avec son article 229, le règlement délégué (UE) no 913/2014, fixant des mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des producteurs de pêches et de nectarines (JO 2014, L 248, p. 1).

23      Aux termes des considérants 1 à 7 et 10 du règlement délégué no 913/2014 :

« (1)      Les niveaux saisonniers élevés de l’offre de pêches et de nectarines et le ralentissement de la consommation imputable à des conditions climatiques défavorables au moment de la pleine récolte ont créé une situation difficile sur le marché, caractérisée par des baisses de prix significatives pour ces fruits. Les possibilités limitées de stockage de ces fruits périssables ne permettent pas une amélioration rapide dans une telle situation. En outre, l’interdiction annoncée par la Russie des importations de fruits et légumes en provenance de l’Union risque d’aggraver la situation du marché des pêches et des nectarines. En conséquence, les mesures habituelles disponibles au titre du règlement no 1308/2013 semblent insuffisantes pour rééquilibrer la situation actuelle du marché.

(2)      Afin d’éviter que cette situation ne se transforme en une perturbation plus grave ou prolongée du marché, une action urgente est nécessaire pour prévoir des mesures exceptionnelles de soutien aux producteurs de pêches et de nectarines à ce stade de la récolte.

(3)      Les retraits du marché constituent une mesure de gestion efficace en cas d’excédents de fruits et légumes dus à des circonstances temporaires et imprévisibles.

(4)      Afin d’atténuer l’incidence d’une chute brutale des prix cet été, il convient d’augmenter temporairement l’aide financière accordée actuellement par l’Union pour les fruits retirés du marché en vue d’être distribués gratuitement auprès de certaines organisations, telles que les œuvres de bienfaisance et les écoles. Il convient par conséquent que l’aide financière de l’Union soit octroyée jusqu’à concurrence de 10 % du volume de la production commercialisée de chaque organisation de producteurs.

(5)      Eu égard au caractère exceptionnel des perturbations du marché et afin de faire en sorte que tous les producteurs de pêches et de nectarines soient soutenus par l’Union, il y a lieu d’étendre l’octroi de l’aide financière de l’Union aux producteurs de pêches et de nectarines qui ne sont pas membres d’une organisation de producteurs reconnue.

(6)      Il importe que les producteurs non membres d’une organisation de producteurs reçoivent 50 % des montants prévus au titre de l’aide financière de l’Union existante [...]

(7)      En outre, l’augmentation de la consommation de pêches et de nectarines devrait contribuer à stabiliser la situation sur le marché plus rapidement. Il convient de recourir à des campagnes de promotion pour encourager la consommation. Il y a donc lieu que l’Union accorde un soutien supplémentaire aux organisations de producteurs en ce qui concerne les campagnes de promotion.

[...]

(10)      Afin d’obtenir un effet immédiat sur le marché et de contribuer à stabiliser les prix, il convient que les mesures exceptionnelles de soutien temporaire prévues par le présent règlement s’appliquent dès la date de l’annonce desdites mesures par la Commission, le 11 août 2014. »

24      Le 29 août 2014, la Commission a adopté, sur le fondement de l’article 219, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013, en conformité avec son article 229, le règlement délégué (UE) no 932/2014, fixant des mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des producteurs de certains fruits et légumes et modifiant le règlement délégué no 913/2014 (JO 2014, L 259, p. 2).

25      S’agissant des pêches et des nectarines, les considérants 22 et 23 du règlement délégué no 932/2014 énoncent :

« (22)      Le règlement délégué (UE) no 913/2014 de la Commission prévoyait des mesures exceptionnelles de soutien temporaire en faveur des producteurs de pêches et de nectarines. Compte tenu de la pression exercée sur le marché des pêches et des nectarines à la suite de l’embargo sur les importations décrété par la Russie, ces mesures exceptionnelles ont été prises [pour] répondre en premier lieu à la situation spécifique des secteurs des pêches et des nectarines. En raison des récentes évolutions, il est nécessaire de traiter le marché des pêches et des nectarines de la même manière que les autres produits concernés par le présent règlement. Afin de renforcer l’effet de la mesure de soutien et sa capacité à stabiliser le marché, il convient d’autoriser les retraits à des fins autres que la distribution gratuite jusqu’à 10 % de la valeur de la production commercialisée. En outre, il est également opportun d’augmenter le pourcentage de l’aide financière de l’Union en faveur des producteurs de pêches et de nectarines qui ne sont pas membres d’organisations de producteurs et de permettre que les retraits soient gérés par les États membres sans l’intervention des organisations de producteurs.

(23)      Il y a lieu de modifier le règlement délégué (UE) no 913/2014 en conséquence. Il convient d’appliquer ces modifications rétroactivement à compter de la date d’application du règlement délégué (UE) no 913/2014. »

26      En substance, le règlement délégué no 932/2014 autorise le financement par l’Union des retraits de fruits doux du marché à des fins autres que la distribution gratuite et augmente le pourcentage de l’aide de l’Union en faveur des producteurs qui ne sont pas membres d’une OPFL.

27      La requérante est une société coopérative espagnole qui agit au nom et pour le compte de trois de ses membres producteurs de pêches et de nectarines, à savoir Escarp, SCP, Agropecuaria Sebcar, SL et Rusfal 2000, SL, en vertu d’un mandat donné par ces trois sociétés par acte notarié du 16 septembre 2015.

28      La requérante expose, en se référant à un rapport d’expertise joint à la requête (annexe A.14), que les trois membres en question ont subi des pertes au cours de la saison 2014, évaluées à 121 085,11 euros pour Escarp, à 162 540,46 euros pour Agropecuaria Sebcar et, après déduction d’un montant de 143 088,69 euros perçu au titre d’une assurance agricole, à 28 808,99 euros pour Rusfal 2000.

29      Par lettres de ses conseils des 21 octobre et 18 novembre 2015 et du 11 mars 2016 adressées à la Commission, la requérante a demandé à avoir accès, notamment, aux documents et aux travaux préparatoires relatifs aux règlements délégués nos 913/2014 et 932/2014 et, en particulier, aux documents, aux données et aux statistiques sur lesquels la Commission s’est fondée pour fixer le volume de production à retirer du marché, pour choisir le « mécanisme de cofinancement » et pour déterminer le montant de l’aide accordée pour les produits retirés du marché.

30      La Commission a répondu à ces demandes d’accès par lettres des 27 novembre et 7 décembre 2015 et du 20 mai 2016. Il ressort de ses réponses, notamment, que les données ayant servi de base à l’adoption du règlement délégué no 913/2014 sont reprises dans un document présenté le 22 août 2014 lors de la réunion du groupe d’experts nationaux pour les pêches et les nectarines. Ce document, joint à la requête (annexe A.11), comporte notamment des graphiques relatifs à la production de pêches et de nectarines dans l’Union et dans les principaux pays producteurs au cours des années 2011 à 2014, à l’évolution des prix pendant la même période ainsi qu’à l’évolution des prix des pêches et des nectarines entre le 16 juin et le 17 août 2014. Il ressort également de ces réponses que le volume des retraits effectués dans l’Union sous le couvert du mécanisme de crise prévu par les règlements délégués nos 913/2014 et 932/2014 s’est élevé à 11 284 tonnes de pêches et à 19 455 tonnes de nectarines, ce qui représente moins de 0,4 % des 2 946 000 tonnes de pêches produites dans l’Union en 2014 et moins de 1,5 % des 1 357 000 tonnes de nectarines produites dans l’Union en 2014. Il en ressort encore que le prix de retrait fixé dans les règlements délégués nos 913/2014 et 932/2014 correspond à la moyenne des prix des produits commercialisés par l’OPFL concernée  pour les années antérieures, tels qu’ils figurent à l’annexe XI du règlement d’exécution no 543/2011.

III. Procédure et conclusions des parties

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 juin 2016, la requérante a introduit le présent recours.

32      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

33      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 20 février 2018.

34      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater que la responsabilité non contractuelle de l’Union est engagée et condamner la Commission à réparer le préjudice subi par Escarp, Agropecuaria Sebcar et Rusfal 2000 en raison des interventions et des omissions de cette institution ;

–        condamner, en conséquence, la Commission à verser :

–        à Escarp, la somme de 121 058,11 euros, majorée des intérêts compensatoires et moratoires,

–        à Agropecuaria Sebcar, la somme de 162 540,46 euros, majorée des intérêts compensatoires et moratoires,

–        à Rusfal 2000, la somme de 28 808,99 euros, majorée des intérêts compensatoires et moratoires ;

–        condamner la Commission aux dépens.

35      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

IV.    En droit

36      En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

37      Selon une jurisprudence constante de la Cour, il ressort de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi dépendent de la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106 et jurisprudence citée).

38      En l’espèce, la requérante mettant en cause la responsabilité non contractuelle de l’Union du fait de prétendues interventions et omissions fautives de la Commission face aux perturbations des marchés des pêches et des nectarines survenues en 2014, lesquelles auraient directement entraîné des pertes pour les trois membres qu’elle représente, il y a lieu d’examiner en priorité la question de la prétendue illégalité du comportement reproché à la Commission.

39      S’agissant de cette condition, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers [arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 42, et du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, EU:C:2007:226, point 47].

40      En l’espèce, la requérante soutient que la Commission a commis une telle violation, ce que la Commission conteste à un double titre. Il convient donc, dans un premier temps, d’examiner si les règles de droit dont se prévaut la requérante ont pour objet de conférer des droits aux particuliers et, si tel est le cas, dans un second temps, d’examiner si la Commission a commis une violation suffisamment caractérisée desdites règles de droit.

A.      Sur la nature de « règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers » des normes et des principes dont la violation est alléguée

41      À titre liminaire, il ressort de la jurisprudence qu’une règle de droit a pour objet de conférer des droits aux particuliers lorsqu’il s’agit d’une disposition qui engendre des droits que les juridictions doivent sauvegarder, de sorte qu’elle a un effet direct, ou qui engendre un avantage susceptible d’être qualifié de droit acquis, ou qui a pour fonction de protéger les intérêts des particuliers, ou qui procède à l’attribution de droits au profit des particuliers dont le contenu peut être suffisamment identifié (voir arrêt du 16 octobre 2014, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑297/12, non publié, EU:T:2014:888, point 76 et jurisprudence citée).

42      En l’espèce, au titre des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particulier, dont elle invoque la violation par la Commission, la requérante cite l’obligation pour cette institution de rassembler, de manière diligente, les éléments factuels indispensables à l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, le devoir de diligence, l’obligation d’assistance, les principes de protection et de bonne administration, l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), le principe d’interdiction de l’arbitraire ainsi que l’obligation de motivation au titre de l’article 296 TFUE.

43      La Commission considère qu’une éventuelle violation de ces normes et principes n’est pas susceptible d’engager sa responsabilité.

44      En premier lieu, en ce qui concerne une éventuelle violation de l’obligation de motivation, il suffit de constater qu’il est de jurisprudence constante, contrairement à ce que soutient la requérante, que l’insuffisance de motivation d’un acte réglementaire n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’Union (voir arrêt du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil, C‑76/01 P, EU:C:2003:511, point 98 et jurisprudence citée). Cette jurisprudence a aussi été appliquée à des demandes d’indemnisation fondées sur un prétendu défaut de motivation d’actes de portée individuelle de nature administrative (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2007, Nikolaou/Commission, T‑259/03, non publié, EU:T:2007:254, point 271, et du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 243) ou de nature législative (arrêt du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié, EU:T:2007:207, point 238), et il convient de considérer qu’il n’y a pas d’obstacle à son application à des mesures d’urgence comme les actes en cause.

45      Par conséquent, il convient de rejeter le recours en indemnité en ce qu’il est fondé sur une prétendue violation de l’obligation de motivation au titre de l’article 296 TFUE.

46      En deuxième lieu, en l’espèce, la requérante invoque une méconnaissance du principe de bonne administration, qu’elle associe au devoir de diligence, aux principes d’assistance, de protection et d’interdiction de l’arbitraire ainsi qu’à l’article 41 de la Charte, essentiellement en raison d’une négligence ou d’un manque de diligence de la Commission dans la gestion de la crise de 2014.

47      Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, la notion de négligence implique une action ou une omission par laquelle la personne responsable viole l’obligation de diligence qu’elle aurait dû et aurait pu respecter compte tenu de ses qualités, de ses connaissances et de ses aptitudes [voir arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, point 90 et jurisprudence citée]. Dès lors, il se peut que l’administration de l’Union engage sa responsabilité non contractuelle pour comportement illicite lorsqu’elle n’agit pas avec toute la diligence requise et cause, de ce fait, un préjudice [voir arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, point 91 et jurisprudence citée]. Selon la Cour, cette obligation de diligence est inhérente au principe de bonne administration et elle s’applique de manière générale à l’action de l’administration de l’Union dans ses relations avec le public [arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, point 92].

48      Par ailleurs, bien qu’il soit exact que le Tribunal a reconnu le caractère protecteur du devoir de sollicitude à l’égard des parties à une procédure administrative ou intéressées par une décision individuelle (arrêts du 18 septembre 1995, Nölle/ Conseil et Commission, T‑167/94, EU:T:1995:169, point 76, et du 9 juillet 1999, New Europe Consulting et Brown/Commission, T‑231/97, EU:T:1999:146, point 39), il ne résulte pas de cette jurisprudence que le devoir de sollicitude ou le devoir de diligence n’est pas susceptible de conférer des droits aux particuliers dans le contexte de l’adoption d’un acte de portée générale.

49      En effet, contrairement à ce qu’avance la Commission, la portée générale ou individuelle d’un acte n’est pas un critère déterminant quant à la question de savoir si le devoir de diligence ou le devoir de sollicitude est susceptible de conférer des droits aux particuliers. À cet égard, il y a lieu de constater qu’il s’agissait bien d’actes de portée générale dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 16 septembre 2013, ATC e.a./Commission (T‑333/10, EU:T:2013:451, points 84 et suivants), et à l’arrêt du 29 novembre 2016, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission (T‑279/11, non publié, EU:T:2016:683, points 61 et 62).

50      Il résulte de ce qui précède, à tout le moins, que certaines des normes et certains des principes dont la violation est alléguée, pris ensemble ou séparément, ont bien la nature de règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers et que leur violation est donc susceptible d’engager la responsabilité de l’Union.

51      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier si, ainsi que le soutient la requérante, la Commission a commis, en l’espèce, une violation suffisamment caractérisée du devoir de diligence.

B.      Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du devoir de diligence

1.      Considérations liminaires

52      Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, seule une violation suffisamment caractérisée, et non toute violation quelconque, d’une règle de droit de l’Union protégeant les particuliers est susceptible de faire naître une responsabilité non contractuelle de l’Union. Par ailleurs, lorsqu’une institution ou un organe de l’Union se trouve investi d’un pouvoir d’appréciation, seule une méconnaissance manifeste et grave, par l’instance concernée, des limites qui s’imposent à ce pouvoir est susceptible de constituer une telle violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union (voir arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 37 et jurisprudence citée).

53      Néanmoins, il convient de rappeler que l’exigence d’une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union vise, quelle que soit la nature de l’acte illicite en cause, à éviter que le risque d’avoir à supporter les dommages allégués par les entreprises concernées n’entrave la capacité de l’institution concernée à exercer pleinement ses compétences dans l’intérêt général, tant dans le cadre de son activité à portée normative ou impliquant des choix de politique économique que dans la sphère de sa compétence administrative, sans pour autant laisser peser sur des particuliers la charge des conséquences de manquements flagrants et inexcusables (voir arrêt du 16 septembre 2013, ATC e.a./Commission, T‑333/10, EU:T:2013:451, point 65 et jurisprudence citée).

54      Selon la jurisprudence, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par une institution de l’Union, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation (voir arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 31 et jurisprudence citée). Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée [arrêts du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, EU:C:2002:736, point 54, et du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, EU:C:2007:226, point 47]. Ce qui est donc déterminant pour établir l’existence d’une telle violation, c’est la marge d’appréciation dont disposait l’institution en cause (arrêt du 12 juillet 2005, Commission/CEVA et Pfizer, C‑198/03 P, EU:C:2005:445, point 66).

55      En revanche, il est de jurisprudence constante, et ce depuis l’arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission (C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 46), que la nature générale ou individuelle d’un acte n’est actuellement plus considérée comme déterminante par la jurisprudence pour identifier les limites du pouvoir d’appréciation dont dispose l’institution en cause ni, dès lors, pour établir l’existence d’une telle violation [voir arrêt du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, EU:C:2007:226, point 48 et jurisprudence citée].

56      En l’espèce, il est donc indifférent, à cette fin, que les actes de la Commission mis en cause par la requérante soient des actes de portée générale, adoptés sous la forme de règlements délégués en vertu de l’article 219, paragraphe 1, et de l’article 227 du règlement no 1308/2013.

57      Ainsi, afin d’apprécier si la Commission a commis une violation suffisamment caractérisée du devoir de diligence, il y a lieu, dans un premier temps, de déterminer l’étendue du pouvoir d’appréciation dont elle disposait en l’espèce et, dans un second temps, d’examiner si cette institution a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation (arrêt du 29 novembre 2016, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, T‑279/11, non publié, EU:T:2016:683, point 66). Dans la détermination de l’étendue de ce pouvoir d’appréciation tout comme dans l’appréciation d’une éventuelle méconnaissance de ses limites, il y a également lieu de prendre en considération la nature juridique particulière du devoir de diligence, lequel n’a pas de contenu normatif précis et s’apparente plutôt à une règle générale de prudence et de bonne conduite, relevant de la catégorie des obligations de moyens.

2.      Sur la marge d’appréciation de la Commission dans le domaine de la PAC

58      Il est de jurisprudence constante que le législateur de l’Union dispose en matière de PAC d’un large pouvoir d’appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 et 43 TFUE lui attribuent (voir arrêt du 14 mai 2009, Azienda Agricola Disarò Antonio e.a., C‑34/08, EU:C:2009:304, point 44 et jurisprudence citée). Ce pouvoir doit permettre aux institutions de l’Union, notamment, d’assurer la conciliation permanente que peuvent exiger d’éventuelles contradictions entre les objectifs de la PAC considérés séparément et, le cas échéant, d’accorder à tel ou tel d’entre eux la prééminence temporaire qu’imposent les faits ou les circonstances économiques au vu desquels elles arrêtent leurs décisions (voir arrêt du 14 juillet 1998, Hauer/Conseil et Commission, T‑119/95, EU:T:1998:161, point 40 et jurisprudence citée).

59      Dans le cadre de la PAC, le Conseil peut également être amené à conférer à la Commission de larges pouvoirs d’exécution, cette dernière étant la seule à même de suivre de manière constante et attentive l’évolution des marchés agricoles et d’agir avec l’urgence que requiert la situation. Les limites de ces pouvoirs doivent être appréciées, notamment, en fonction des objectifs généraux essentiels de l’organisation du marché (voir arrêt du 27 novembre 1997, Somalfruit et Camar, C‑369/95, EU:C:1997:562, point 62 et jurisprudence citée).

60      Ce pouvoir ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base (voir arrêt du 29 novembre 2016, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, T‑279/11, non publié, EU:T:2016:683, point 69 et jurisprudence citée).

61      En l’espèce, il ressort du libellé de l’article 219, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 1308/2013 que la Commission est habilitée par le Conseil à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 227 dudit règlement en vue de prendre des mesures extraordinaires de prévention et de gestion des perturbations du marché, dès lors que toute autre mesure pouvant être appliquée en vertu du même règlement apparaît insuffisante.

62      Ainsi, il y a lieu de considérer que, en cas de perturbation ou de menace de perturbation du marché des fruits et légumes provoquée par des hausses ou des baisses significatives des prix sur les marchés intérieurs ou extérieurs ou par d’autres événements et circonstances perturbant significativement ou menaçant de perturber le marché, la Commission jouit d’une large marge d’appréciation, exclusive de tout automatisme, qui doit s’exercer à la lumière des objectifs de politique économique fixés par l’article 39 TFUE et par le règlement no 1308/2013 (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2016, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, T‑279/11, non publié, EU:T:2016:683, point 72).

63      C’est à la lumière de ces considérations qu’il conviendra d’apprécier si, en l’espèce, la Commission a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation.

3.      Sur la nature juridique particulière du devoir de diligence

64      Selon la jurisprudence, la notion de négligence implique une action ou une omission par laquelle la personne responsable viole l’obligation de diligence qu’elle aurait pu respecter compte tenu de ses qualités, de ses connaissances et de ses aptitudes [arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, point 90].

65      Dès lors, il se peut qu’une institution de l’Union engage la responsabilité non contractuelle de cette dernière pour comportement illicite lorsqu’elle n’agit pas avec toute la diligence requise et cause, de ce fait, un préjudice [arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, point 91].

66      Par ailleurs, le devoir de diligence, qui est inhérent au principe de bonne administration et s’applique de manière générale à l’action de l’administration de l’Union dans ses relations avec le public, exige de celle-ci qu’elle agisse avec soin et prudence [arrêts du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, points 92 et 93, et du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 34]. En revanche, il n’incombe pas à l’administration d’écarter tout préjudice qui découle pour des opérateurs économiques de la réalisation de risques commerciaux normaux [arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, point 93].

67      En outre, il ressort de la jurisprudence que, en cas de violation du devoir de diligence, celle-ci n’est pas automatiquement de nature à constituer un comportement illicite propre à engendrer une responsabilité de l’Union, mais doit être appréciée en tenant compte du domaine, des conditions et du contexte dans lesquels le devoir de diligence pèse sur l’institution de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C‑363/88 et C‑364/88, EU:C:1992:44, point 24, et du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 40). En particulier, il faut notamment prendre en compte le fait que l’institution concernée n’est tenue qu’à une obligation de moyens dans l’exercice de sa fonction ainsi que la marge d’appréciation dont elle dispose.

68      Aux fins de la présente espèce, le devoir de diligence se confond dans une large mesure avec l’obligation qui incombe à l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2016, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, T‑279/11, non publié, EU:T:2016:683, point 142 et jurisprudence citée).

69      Il a par ailleurs été jugé que, pour que la méconnaissance du devoir de diligence puisse être qualifiée de méconnaissance manifeste et grave des limites du pouvoir d’appréciation d’une institution, il devait avoir été « totalement méconnu », une simple appréciation erronée de l’étendue des obligations découlant de ce devoir ne suffisant pas (voir arrêt du 29 novembre 2016, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, T‑279/11, non publié, EU:T:2016:683, point 143 et jurisprudence citée).

70      Il convient également de rappeler que, lorsque, pour adopter une réglementation, le législateur de l’Union est amené à apprécier les effets futurs de cette réglementation et que ces effets ne peuvent être prévus avec exactitude, cette appréciation ne peut être censurée que si elle apparaît manifestement erronée au vu des éléments dont il disposait au moment de l’adoption de la réglementation (arrêts du 21 février 1990, Wuidart e.a., C‑267/88 à C‑285/88, EU:C:1990:79, point 14, et du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C‑280/93, EU:C:1994:367, point 90).

71      En conclusion, à la lumière de la jurisprudence exposée ci-dessus, pour conclure à l’existence d’une violation suffisamment caractérisée de l’obligation de diligence s’imposant à la Commission, il est nécessaire d’établir que, en n’agissant pas avec tout le soin et toute la prudence requis, cette dernière a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation dans le contexte de l’exercice des pouvoirs de prévention et de gestion des perturbations du marché dont elle disposait au titre des articles 219, 227 et 228 du règlement no 1308/2013. Il s’impose, à cette fin, de tenir compte, tout en ayant égard audit contexte, de tous les éléments qui caractérisent la situation en cause, parmi lesquels figurent, notamment, le caractère manifeste du manque de diligence dont aurait fait preuve la Commission dans l’exercice de ses pouvoirs (voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C‑363/88 et C‑364/88, EU:C:1992:44, point 22 ; du 10 juillet 2003, Commission/Fresh Marine, C‑472/00 P, EU:C:2003:399, point 31, et du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 41), son caractère excusable ou inexcusable (voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C‑363/88 et C‑364/88, EU:C:1992:44, point 22 ; du 4 juillet 2000, Haim, C‑424/97, EU:C:2000:357, points 42 et 43, et du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 41), ou encore le caractère non approprié et déraisonnable des conclusions tirées de l’examen de la situation du marché mené par celle-ci et des actions décidées en conséquence par elle (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 1991, Nölle, C‑16/90, EU:C:1991:402, point 13, et du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 41).

4.      Sur l’existence, en l’espèce, d’une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission

a)      Considérations liminaires

72      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 40, paragraphe 2, TFUE, l’organisation commune des marchés agricoles peut comporter toutes les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs définis à l’article 39 TFUE, notamment des réglementations de prix, des subventions tant à la production qu’à la commercialisation des différents produits, des systèmes de stockage et de report, des mécanismes de stabilisation à l’importation ou à l’exportation.

73      S’agissant de la fixation des prix, en l’absence de mécanisme de fixation des prix, la libre détermination des prix de vente sur la base du libre jeu de la concurrence est une composante du règlement no 1308/2013 et constitue l’expression du principe de la libre circulation des marchandises dans des conditions de concurrence effective (arrêt du 23 décembre 2015, Scotch Whisky Association e.a., C‑333/14, EU:C:2015:845, point 20).

74      Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, les organisations communes de marché sont fondées sur le principe d’un marché ouvert, auquel tout producteur a librement accès, dans des conditions de concurrence effective (voir arrêt du 23 décembre 2015, Scotch Whisky Association e.a., C‑333/14, EU:C:2015:845, point 22 et jurisprudence citée).

75      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’un des objectifs de la PAC est le maintien d’une concurrence effective sur les marchés des produits agricoles, ce qui est reflété dans plusieurs des considérants du règlement no 1308/2013, tels que les considérants 15, 43, 172 et 174 (arrêt du 23 décembre 2015, Scotch Whisky Association e.a., C‑333/14, EU:C:2015:845, point 23).

76      Pour autant que la requérante invoque la spécificité de la PAC et des règles qui lui sont applicables, il est, certes, vrai que les marchés des produits agricoles sont régis par des règles différentes de celles applicables aux autres marchés de produits et de services, caractérisées par un interventionnisme accru des autorités publiques, telles que les mesures d’intervention spéciales en vue de répondre de manière concrète et efficace aux menaces de perturbation du marché, visées au considérant 184 du règlement no 1308/2013.

77      Plus particulièrement, ainsi que l’énonce le considérant 185 du règlement no 1308/2013, afin de répondre de manière concrète et efficace aux menaces de perturbation du marché causées par des hausses ou des baisses significatives des prix sur les marchés intérieurs ou extérieurs ou par d’autres événements et circonstances perturbant significativement ou menaçant de perturber le marché, lorsque cette situation ou ses effets sur le marché risquent de se prolonger ou de se dégrader, la Commission s’est vue délégué le pouvoir d’adopter certains actes en ce qui concerne les mesures nécessaires pour rééquilibrer cette situation du marché tout en respectant les obligations découlant des accords internationaux et pour autant que toute autre mesure pouvant être appliquée en vertu dudit règlement apparaisse insuffisante, y compris des mesures visant à étendre la portée, la durée ou d’autres aspects d’autres mesures prévues par ce règlement, ou à prévoir des restitutions à l’exportation, ou à suspendre les droits à l’importation en totalité ou en partie, notamment pour certaines quantités ou périodes si besoin est.

78      Il est vrai également que, ainsi que l’énonce le considérant 191 du règlement no 1308/2013, si certains types d’actions collectives de la part d’opérateurs privés peuvent être souhaitables à titre de mesures exceptionnelles afin de stabiliser les secteurs concernés lors des périodes de déséquilibres graves sur les marchés, ces actions doivent toutefois avoir un caractère complémentaire au regard de l’intervention de l’Union dans le cadre de l’intervention publique et du stockage privé ou des mesures exceptionnelles envisagées par ledit règlement et ne peuvent nuire au fonctionnement du marché intérieur.

79      Enfin, il y a lieu de constater que la Commission est tenue tout au plus à une obligation de moyens, relevant de son devoir général de diligence et du principe de bonne administration, lorsqu’elle adopte de telles mesures. À cet égard, il convient de rappeler que l’article 39 TFUE se limite à fixer les buts de la PAC, sans définir une obligation légale d’agir dans un sens déterminé. En particulier, il ne ressort ni de cette disposition ni de l’arrêt du 14 juillet 1998, Hauer/Conseil et Commission (T‑119/95, EU:T:1998:161), invoqué par la requérante, que la Commission serait tenue de garantir en toutes circonstances le maintien du niveau de vie de la population agricole ou de préserver celle-ci des conséquences d’une perturbation du marché.

80      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier si, ainsi que le soutient la requérante, la Commission a commis, en l’espèce, une violation suffisamment caractérisée du devoir de diligence.

b)      Sur les griefs spécifiques avancés par la requérante

81      En espèce, la requérante soutient que la Commission, premièrement, a utilisé un mécanisme de gestion de crise qu’elle avait auparavant jugé inadéquat et inefficace, deuxièmement, n’a pas recueilli les informations adéquates sur le marché, troisièmement, a tardé à intervenir, quatrièmement, a pris une mesure objectivement inadéquate, sous la forme d’opérations de retraits cofinancés, cinquièmement, a organisé la distribution gratuite sous une forme objectivement inadéquate et, sixièmement, a pris des mesures de promotion objectivement inadéquates et arbitraires.

1)      Sur le grief selon lequel la Commission aurait utilisé un mécanisme de gestion de crise qu’elle avait auparavant jugé inefficace et inadéquat

82      Premièrement, il convient de replacer les observations faites par la Commission dans son rapport au Parlement et au Conseil du 4 mars 2014, relatif à la mise en œuvre des dispositions concernant les organisations des producteurs, les fonds d’exploitation et les programmes opérationnels dans le secteur des fruits et légumes, en vigueur depuis la réforme de 2007 [COM(2014) 112 final] (ci-après le « rapport du 4 mars 2014 »), dans leur contexte.

83      À cet égard, il y a lieu de constater que les OPFL sont libres de choisir si elles incluent ou non des mesures de gestion de crise dans leurs programmes opérationnels. En conséquence, il ressort des extraits du rapport cités par la requérante que la Commission a constaté, en 2014, que les OPFL avaient préféré mettre en œuvre, dans leurs programmes opérationnels, d’autres mesures que celles destinées à prévenir et à gérer les crises pour la période étudiée (2008 à 2010) et qu’elle a tout simplement tenté d’analyser les raisons de ce choix. De plus, il importe de souligner que les observations faites par la Commission dans ce rapport concernent toutes les mesures de gestion de crise, et non uniquement les mesures de retrait.

84      Deuxièmement, le rapport du 4 mars 2014 concerne le secteur des fruits et légumes en général pour la période étudiée (2008 à 2010), et non uniquement le secteur des pêches et des nectarines. Or, s’agissant de l’observation faite par la Commission, dans le rapport du 4 mars 2014, quant à la petite taille de nombreuses OPFL et aux faibles volumes de produits couverts par celles-ci, force est de constater que cette appréciation n’est pas valable pour le secteur des pêches et des nectarines. En effet, il ressort des explications fournies par la Commission que, pour les quatre plus grands producteurs de ce secteur dans l’Union, à savoir l’Espagne, la France, l’Italie et la Grèce, le pourcentage de la valeur de production commercialisée par l’intermédiaire des OPFL en 2012 aurait été de, respectivement, 63 %, 50 %, 59 % et 12 %.

85      Troisièmement, le fait que le règlement délégué no 913/2014 a été modifié huit jours seulement après son adoption ne démontre pas que le mécanisme de retrait géré par les OPFL était inadéquat. En effet, le règlement délégué no 932/2014 avait pour objectif principal d’établir des mesures exceptionnelles pour de nombreux produits visés par l’embargo russe, dont certains présentaient des faibles taux d’écoulement par le biais des OPFL, d’où la possibilité de prévoir, dans des circonstances dûment justifiées, notamment le nombre limité d’OPFL sur le territoire d’un État membre, que ce dernier autorise le retrait de produits sans passer par les OPFL. Le règlement délégué no 913/2014 aurait dès lors été modifié afin d’établir le même régime pour tous les produits.

86      Quatrièmement, et contrairement à ce que suggère la requérante, il ressort des dispositions des règlements délégués nos 913/2014 et 932/2014 que la Commission a pris en considération les circonstances soulevées dans son rapport du 4 mars 2014 et a introduit, en conséquence, d’importantes dérogations au regard du mécanisme ordinaire de gestion de crise afin de rendre celui-ci plus efficace.

87      Dans ce sens, tout d’abord, il y a lieu de souligner que l’article 2 du règlement délégué no 913/2014 a augmenté de 5 à 10 % les quantités qui pouvaient être retirées par les OPFL en vue d’une distribution gratuite.

88      De plus, il ressort de l’article 2, paragraphe 2, du règlement délégué no 913/2014 et de l’article 3, paragraphe 6, du règlement délégué no 932/2014 que les OPFL, dont les programmes opérationnels ne prévoyaient pas d’opérations de retrait en vue de distribution gratuite ou d’opérations de retrait destinées à d’autres fins, pouvaient également bénéficier de l’aide octroyée par l’Union. Ainsi, il s’agissait là d’une dérogation au regard du mécanisme ordinaire.

89      Ensuite, concernant les opérations de retrait en vue de distribution gratuite, la dérogation introduite par la Commission au regard du mécanisme ordinaire était d’autant plus importante que, conformément à l’article 34, paragraphe 4, du règlement no 1308/2013, les retraits destinés à la distribution gratuite étaient à la charge exclusive de l’Union. Ainsi, et contrairement à ce qu’avance la requérante, il ne s’agissait pas de retraits cofinancés par les OPFL. Par ailleurs, en ce qui concerne les retraits destinés à des fins autres que la distribution gratuite, il convient de souligner que l’article 3, paragraphe 5, du règlement délégué no 932/2014 a augmenté l’aide financière accordée par l’Union à ces retraits de 50 à 75 % des montants prévus par le règlement d’exécution no 543/2011.

90      Enfin, s’agissant des producteurs qui n’étaient pas membre d’une OPFL, l’article 3 du règlement délégué no 913/2014 prévoyait la possibilité pour ceux-ci de recevoir 50 % de l’aide prévue par le règlement d’exécution no 543/2011 si leurs produits étaient retirés en vue d’une distribution gratuite. De plus, l’article 4, paragraphe 1, du règlement délégué no 932/2014 a fixé à 100 % le montant de l’aide accordée par l’Union aux producteurs non-membres pour les retraits destinés à la distribution gratuite et leur a permis de bénéficier de 50 % de cette aide si leurs produits étaient retirés à d’autres fins. Ces aides aux producteurs non-membres d’une OPFL n’étaient pas, pourtant, prévues par le mécanisme ordinaire et représentaient par la suite, pour ceux-ci, une incitation raisonnable à traiter avec les OPFL, car celles-ci étaient responsables du paiement de l’aide financière aux producteurs non-membres. De plus, l’article 14, paragraphe 3, du règlement délégué no 932/2014 prévoyait également que, dans des cas exceptionnels, les producteurs individuels puissent même retirer leurs produits sans passer par les OPFL.

91      Ainsi, il résulte des considérations précédentes que la Commission n’a pas utilisé un mécanisme qu’elle aurait auparavant jugé inadéquat et inefficace.

2)      Sur le grief selon lequel la Commission n’a pas recueilli les informations adéquates sur le marché

92      À titre liminaire, il convient de noter que, en vertu des articles 97 et 98 ainsi que de l’annexe XIV du règlement d’exécution no 543/2011, la Commission reçoit des données sur les prix des fruits et légumes et sur les OPFL. En particulier, il ressort de ces dispositions que la Commission reçoit des États membres des informations sur les prix hebdomadaires, les organisations de producteurs, le nombre d’affiliés à ces organisations, la superficie consacrée à la production, la valeur et le volume des produits finaux vendus, les fonds opérationnels, les dépenses pour les programmes opérationnels, ventilées par mesure, et le volume de produits retirés.

93      En espèce, il ressort des explications fournies par la Commission pendant la phase écrite de la procédure que celle-ci s’est fondée non seulement sur les données mentionnées au point 92 ci-dessus, mais également sur les statistiques de l’office statistique de l’Union européenne (Eurostat), sur les autres informations transmises par les représentants du secteur et par les États membres ainsi que sur l’expérience qu’elle a acquise dans le cadre de son activité de suivi des marchés agricoles. À cet égard, il importe de relever qu’il ressort clairement des réponses fournies par la Commission aux demandes d’accès aux documents présentées par la requérante que la Commission a participé à des réunions avec des experts du secteur et des États membres et qu’elle a également obtenu des informations sur le marché de la part de ceux-ci. Dès lors, l’argument de la requérante selon lequel la Commission se serait fondée uniquement sur les données prévues à l’article 98 du règlement d’exécution no 543/2011 ne saurait prospérer.

94      De plus, il ressort de ce qui précède que la Commission a indéniablement une connaissance des marchés concernés en l’espèce. En conséquence, et eu égard à l’absence d’obligation réglementaire pour la Commission de recueillir d’autres données, l’argument de la requérante selon lequel celle-ci aurait dû recueillir des données additionnelles relève, dès lors, de l’examen de l’utilisation que la Commission a faite de sa marge d’appréciation, et non d’une question de diligence.

95      S’agissant de l’argument soulevé par la requérante selon lequel les prix utilisés par la Commission étaient inadéquats, il y a lieu de constater que l’objet de l’article 98 du règlement d’exécution no 543/2011 est, comme son titre l’indique, de connaître les prix de production. Toutefois, pour que les données sur les prix payés aux producteurs soient comparables entre les différentes régions et les États membres, il est indispensable de définir des conditions communes pour l’enregistrement et la notification des prix. Ainsi, en faisant référence à des prix « à la sortie de stations de conditionnement » qui peuvent être relativement facilement enregistrés et contrôlés par les États membres, l’article 98 du règlement d’exécution no 543/2011 garantit que les prix notifiés sont un paramètre fiable pour connaître l’évolution du marché. L’usage de ces prix permet à la Commission de disposer de prix validés par les administrations nationales conformément à des procédures normalisées.

96      Par ailleurs, s’il est certain que les prix perçus par les agriculteurs individuels sont inférieurs aux prix « à la sortie des stations de conditionnement », les baisses et les hausses qui touchent les premiers se répercutent sur les secondes. En outre, étant donné, d’une part, qu’un suivi du marché sur la base d’informations relatives à des producteurs individuels ne peut être effectué en pratique, de sorte qu’il est nécessaire de recourir à des données statistiques, et, d’autre part, que la Commission réalise le suivi permanent des marchés dans chaque État membre et pour chaque semaine de l’année sur la base des prix visés à l’article 98 du règlement d’exécution no 543/2011, ces prix sont appropriés pour déceler des variations du marché.

97      Il découle des considérations précédentes que rien ne permet d’affirmer que la Commission a méconnu de manière manifeste et grave son devoir de diligence en ne rassemblant pas les informations adéquates et, plus particulièrement, en se fondant sur les prix notifiés par les États membres en vertu de l’article 98 du règlement d’exécution no 543/2011.

3)      Sur le grief selon lequel la Commission est intervenue tardivement

98      Il importe de souligner qu’il ressort du libellé de l’article 219 du règlement no 1308/2013 que la Commission peux adopter des mesures exceptionnelles pour répondre à des perturbations du marché, mais seulement si les autres mesures prévues dans ce règlement se révèlent insuffisantes. Ainsi, il ne s’agit pas de mesures que la Commission peut adopter pour répondre à toute perturbation du marché. Or, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission, celle-ci doit prendre en considération, lorsqu’elle décide d’intervenir ou non, le fait que, dans la conception de l’organisation commune du marché, ces mesures présentent un caractère exceptionnel.

99      En l’espèce, il convient de rappeler que les prix ont commencé à baisser significativement seulement à partir de la mi-juillet 2014, après que, en juin, la récolte a été qualifiée de « bonne » et qu’aucune difficulté apparente n’était à signaler. S’il est vrai que, selon le rapport de la Commission au groupe d’experts nationaux pour les pêches et les nectarines du 22 août 2014, des demandes d’intervention immédiate lui ont été adressées à compter de cette époque, rien ne permet d’établir que, dès ce moment, les mesures prévues par le mécanisme ordinaire de gestion des crises n’étaient pas suffisantes pour remédier à cette baisse des prix. De plus, il y a lieu de constater qu’il ressort des documents produits par la Commission que ces difficultés étaient inhérentes au fonctionnement du marché. En effet, d’une part, la concurrence entre producteurs a conduit à une augmentation significative de la production. D’autre part, les conditions climatiques ont provoqué le chevauchement de la récolte dans les deux plus grands pays producteurs (à savoir l’Espagne et le Portugal) et un affaiblissement de la demande dans certains État membres.

100    Or, même s’il ressort du considérant 1 du règlement délégué no 913/2014 que la Commission avait reconnu l’existence de difficultés sur le marché des pêches et des nectarines avant l’embargo russe, il ne s’ensuit pas que ces difficultés avaient un caractère exceptionnel justifiant l’application de l’article 219 du règlement no 1308/2013.

101    En outre, rien ne permet d’établir que la requérante ou ses trois membres concernés se seraient alarmés de la situation et auraient entrepris des démarches auprès des autorités publiques dès cette époque, en vue d’obtenir une intervention d’urgence de la Commission. Le caractère complexe et incertain des phénomènes observés est au contraire confirmé par certains éléments du dossier produit par la requérante et, notamment, par la circonstance que c’est seulement le 8 août 2014, soit au lendemain de l’instauration de l’embargo russe, que l’union des syndicats d’agriculteurs et d’éleveurs s’est adressée au ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Environnement espagnol pour demander l’adoption par la Commission de mesures urgentes dans le secteur des fruits doux. Partant, la Commission a relevé, à juste titre, qu’une telle situation ne justifiait pas son intervention dès les premiers signes de difficultés.

102    En revanche, l’embargo russe était une circonstance exceptionnelle qui ne dépendait pas des décisions des producteurs ou qui ne pouvait pas être prévue par ceux-ci. De plus, comme il ressort des considérants 1 et 2 du règlement délégué no 913/2014, la Commission avait reconnu que l’embargo russe menaçait manifestement d’aggraver la situation du marché des pêches et des nectarines et que les mesures disponibles « au titre du règlement no 1308/2013 sembl[ai]ent insuffisantes pour rééquilibrer la situation actuelle du marché ».

103    Par ailleurs, quant à la réaction de la Commission à l’embargo russe, il ressort de la chronologie des faits qu’elle a été quasiment immédiate, puisqu’elle a organisé une réunion avec les États membres dès le lendemain de son décret, soit le vendredi 8 août 2014, et qu’elle a publié un premier communiqué de presse annonçant l’adoption de mesures exceptionnelles de crise le lundi 11 août 2014, en précisant que ces mesures s’appliqueraient à compter de cette même date.

104    Enfin, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la mise en œuvre des mesures était difficile étant donné que celles-ci avaient été annoncées par un communiqué de presse et que la procédure pour leur application n’était pas connue, premièrement, force est de constater que la requérante n’apporte aucune preuve ou explication précise à l’appui de son argument. Deuxièmement, et comme l’a fait valoir la Commission, les mécanismes existaient déjà avant la réforme de la PAC de 2007 et avaient déjà été utilisés dans le cadre d’autres mesures exceptionnelles, telles que celles prévues par le règlement d’exécution (UE) no 585/2011 de la Commission, du 17 juin 2011, fixant des mesures exceptionnelles de soutien en faveur du secteur des fruit et légumes (JO 2011, L 160, p. 71), adoptées pour lutter contre la crise déclenchée par la présence de la bactérie Escherichia coli dans certains produits. Troisièmement, les différences entre les mécanismes ordinaire et extraordinaire étaient expliquées de façon claire dans le communiqué de presse du 11 août 2014. Dès lors, il pouvait être fait une application immédiate de ces mesures par les OPFL dès le jour de leur annonce.

105    Par conséquent, il découle des considérations précédentes que le grief selon lequel la Commission serait intervenue tardivement ne saurait prospérer.

4)      Sur le grief selon lequel le mécanisme extraordinaire de retraits cofinancés était manifestement inadéquat, arbitraire et contraire au principe de bonne administration ainsi qu’à l’article 41 de la Charte

106    Premièrement, il y a lieu de souligner que les opérations de retraits en vue de distribution gratuite n’étaient pas « cofinancées », contrairement à ce qu’avance la requérante. En effet, et comme cela a déjà été évoqué au point 89 ci-dessus, ces opérations de retraits étaient à la charge exclusive de l’Union, avec un financement à 100 % en outre des frais connexes de triage et de transport.

107    Deuxièmement, comme il a été expliqué au point 104 ci-dessus, les mesures exceptionnelles adoptées en l’espèce se fondent sur des modifications des instruments ordinaires de gestion de crise déjà connus des États membres et des OPFL. Dès lors, il s’agissait de mesures permettant une application immédiate par les OPFL dès le jour de leur annonce.

108    De plus, comme cela est exposé aux points 86 à 90 ci-dessus, il ressort des règlements délégués adoptés en l’espèce que ceux-ci ont introduit d’importantes modifications au regard du mécanisme ordinaire de gestion de crise. Dans ces circonstances, la Commission pouvait à juste titre considérer que ces modifications rendraient l’instrument du retrait plus attrayant.

109    Troisièmement, et contrairement à ce que la requérante a fait valoir, la résolution du Parlement européen du 7 juillet 2015 sur le secteur des fruits et des légumes depuis la réforme de 2007 [2014/2147(INI)] ne remet pas en question le caractère adéquat des mesures adoptées en l’espèce. En effet, il importe de relever à cet égard que ladite résolution fait référence à l’ensemble du régime de l’Union pour les fruits et les légumes et, dans ce cadre, au mécanisme ordinaire de crise. Or, elle ne démontre pas que les mesures prévues par le règlement délégué no 913/2014 sont manifestement inadéquates. De plus, il convient de souligner qu’il ressort des points H et N de la même résolution que le Parlement soutenait une politique reposant sur les OPFL

110    Quatrièmement, s’agissant de la seule autre mesure exceptionnelle qui, selon la requérante, aurait été plus efficace, à savoir l’intervention, il suffit d’observer qu’une telle mesure n’aurait pas pu être appliquée rapidement dans le secteur des fruits et légumes, puisqu’il aurait fallu en préciser son fonctionnement et que sa mise en œuvre aurait été plus compliquée qu’une simple modification ponctuelle des mécanismes ordinaires.

111    Cinquièmement, les données sur les prix notifiés par les États membres à la Commission au cours de la semaine 34 de l’année 2014, en vertu de l’article 98 du règlement d’exécution no 543/2011, confirment que les mesures adoptées ont eu un impact positif. En effet, il ressort de ces données que les prix ont commencé à augmenter immédiatement après l’annonce de ces mesures le 11 août 2014.

112    Cette conclusion n’est pas remise en question par l’argument de la requérante selon lequel les volumes retirés du marché étaient faibles. Effectivement, cette circonstance est dénuée de pertinence, les mesures ayant permis d’éviter que les prix baissent à la suite de la perte du marché russe, et même que ceux-ci augmentent légèrement.

113    Il y a donc lieu de rejeter le grief selon lequel le mécanisme de retrait était objectivement inadéquat, arbitraire et contraire à l’article 41 de la Charte.

5)      Sur le grief selon lequel la distribution gratuite était objectivement inadéquate

114    S’agissant du grief selon lequel la distribution gratuite était objectivement inadéquate, tout d’abord, il y a lieu de constater que cette mesure est prévue à l’article 33, paragraphe 2, sous f), et à l’article 34, paragraphe 4, du règlement no 1308/2013.

115    En outre, comme cela est exposé au point 107 ci-dessus, les mesures adoptées en l’espèce permettaient une application immédiate à partir de la date de leur annonce, le 11 août 2014. En effet, contrairement à ce qu’affirme la requérante, à partir de cette date, les État membres et les OPFL savaient déjà quelles mesures étaient éligibles et pouvaient commencer à les appliquer en sachant que la Commission prendrait l’aide à sa charge.

116    De plus, il convient également de rejeter l’argument de la requérante selon lequel la distribution gratuite était inadéquate, car elle était principalement destinée à des institutions qui étaient fermées à l’époque, à savoir les écoles. À cet égard, d’une part, il y a lieu de relever que la requérante n’apporte aucun élément pour soutenir son affirmation. D’autre part, il ressort clairement de l’article 34, paragraphe 4, du règlement no 1308/2013 que la distribution gratuite est destinée non seulement à des écoles, mais aussi à des œuvres de bienfaisance ou à des fondations charitables, à des institutions pénitentiaires, à des colonies de vacances, à des hôpitaux ou à des établissements d’hébergement pour personnes âgées. En outre, même si les produits avaient un caractère périssable et même si les écoles étaient fermées pendant le mois d’août, il suffit de noter que la possibilité de transformation de ces produits en jus prévue à l’article 80 du règlement d’exécution no 543/2011 aurait permis une consommation différée.

117    Par ailleurs, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission aurait dû recueillir des informations sur l’efficacité ou l’applicabilité de la distribution gratuite, il y a lieu de relever que la Commission n’est pas soumise à une obligation réglementaire dans ce sens. De plus, la requérante n’apporte pas d’éléments précis permettant de démontrer que des difficultés sont apparues dans le cadre des retraits aux fins de distribution gratuite qui exigeraient que la Commission recueille lesdites informations. Par conséquent, l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû recueillir ces informations avant d’adopter les mesures en question ne saurait être accueilli.

118    Enfin, et contrairement à ce qu’a soulevé la requérante, il ressort de la réponse du 20 mai 2016 fournie par la Commission à la requérante que celle-ci lui a bien communiqué les volumes de produits qui ont été retirés à des fins de distribution gratuite. En tout état de cause, l’argument de la requérante à cet égard est dénué de pertinence, puisque, comme il a été exposé au point 112 ci-dessus, c’est l’effet des mesures sur les marchés et non la quantité de produits retirés qui détermine l’efficacité des mesures.

119    Il résulte de tout ce qui précède que le grief selon lequel la distribution gratuite était objectivement inadéquate doit être écarté.

6)      Sur le grief selon lequel les mesures de promotion étaient objectivement inadéquates et arbitraires

120    S’agissant du grief selon lequel les mesures de promotion étaient objectivement inadéquates et arbitraires, tout d’abord, il y a lieu de noter que ces mesures étaient prévues dans le règlement délégué no 913/2014, qu’elles ont également été annoncées le 11 août 2014 et qu’elles étaient donc applicables à partir de ce même jour, et non, comme le soutient la requérante, le 29 août 2014.

121    Ensuite, et contrairement à ce qu’avance la requérante, le fait que le soutien puisse être reçu a posteriori ne rend pas cette mesure objectivement inadéquate. En effet, à partir du 11 août 2014, les OPFL pouvaient entreprendre ces activités de promotion en sachant qu’elles recevraient un soutien de la part de l’Union postérieurement.

122    Enfin, même si les mesures de promotion ne sont pas aussi efficaces à court terme que les retraits, cela n’implique pas qu’il ait été objectivement inadéquat de compléter ceux-ci, qui ciblaient la réduction de l’offre, avec des mesures qui ciblaient l’augmentation de la demande. Quant à l’argument soulevé par la requérante selon lequel il ne pouvait être attendu que les OPFL contribuent à des activités de promotion compte tenu des ressources limitées de celles-ci, il suffit de souligner qu’il ressort de l’article 5 du règlement délégué no 913/2014 que les activités de promotion pouvaient être financées à 100 % par l’Union.

123    Par conséquent, il découle des considérations précédentes qu’il y a lieu de rejeter ce grief.

c)      Conclusions

124    Il ressort de tout ce qui précède que, en l’espèce, la requérante se borne, pour l’essentiel, à exposer, de façon générale, son désaccord avec les mesures exceptionnelles de gestion de crise prises par la Commission, sans pour autant prouver que ces mesures étaient, au moment de leur adoption, manifestement erronées. Ce faisant, elle n’établit pas l’existence d’une violation manifeste et grave de son devoir de diligence par la Commission.

125    En outre, il ne ressort d’aucun des éléments du dossier soumis à l’appréciation du Tribunal que les mesures exceptionnelles de gestion de crise concrètement prises par la Commission aient fait l’objet de critiques quant à leur opportunité ou quant à leur adéquation à la situation au moment de leur adoption, que ce soit de la part des États membres ou de la part des OPFL. Il en va de même en ce qui concerne le caractère adéquat et suffisant, ou non, des éléments d’information pris en compte par la Commission aux fins de son évaluation de la situation. Or, comme il a déjà été exposé, les retraits de produits du marché sont expressément prévus par la réglementation existante et il en va de même des informations recueillies par la Commission auprès des États membres et des organisations de producteurs.

126    Dans un contexte international particulier, caractérisé par l’embargo russe, venu se greffer sur un contexte interne complexe, fluctuant et incertain, caractérisé notamment par des conditions météorologiques et de récolte devenues défavorables après avoir été dans un premier temps positives, il ressort du dossier que la Commission a adopté une approche rapide, prudente et diligente et qu’elle a examiné tous les éléments pertinents qui étaient en sa possession avant d’adopter le règlement délégué no 913/2014, en application de l’article 219 du règlement no 1308/2013.

127    Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que le comportement de la Commission ne laisse pas apparaître une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation, ni, par suite, une violation suffisamment caractérisée de son devoir de diligence, ni, dès lors, une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Il s’ensuit que la condition relative à l’illégalité du comportement reproché à la Commission n’est pas établie en l’espèce.

128    Or, selon une jurisprudence constante, dès lors que l’une des conditions de l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de ladite responsabilité (voir arrêt du 29 novembre 2016, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, T‑279/11, non publié, EU:T:2016:683, point 156 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

129    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Fruits de Ponent, SCCL est condamnée aux dépens.

Frimodt Nielsen

Forrester

Perillo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.