Language of document : ECLI:EU:T:2010:316

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

22 juillet 2010 (*)

« Référé – Sixième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration – Lettre confirmant les conclusions d’un audit financier – Demande de sursis à exécution et de mesures provisoires – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑286/10 R,

Fondation de l’Institut de recherche IDIAP, établie à Martigny (Suisse), représentée par MG. Chapus-Rapin, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. F. Dintilhac et A. Sauka, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, en substance, une demande de sursis à l’exécution de la lettre de la Commission du 11 mai 2010 confirmant les conclusions de l’audit ayant porté sur les relevés de coûts soumis par la requérante pour la période allant du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007 en ce qui concerne le projet Amida ainsi que pour la période allant du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2007 en ce qui concerne les projets Bacs et Dirac,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente


Ordonnance

 Faits à l’origine du litige, procédure et conclusions des parties

1        La requérante, la Fondation de l’Institut de recherche IDIAP, est une fondation de droit suisse qui a pour objet de conduire des recherches fondamentales et appliquées dans les domaines de l’informatique avancée ainsi que de contribuer à la formation supérieure et au transfert de technologies dans ces domaines. Elle participe, depuis des années, à des projets de recherche subventionnés par la Communauté européenne ou par l’Union européenne.

2        La requérante a conclu avec la Commission des Communautés européennes, agissant pour le compte de la Communauté européenne, plusieurs contrats dans le cadre du sixième programme-cadre de la Communauté pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration contribuant à la réalisation de l’espace européen de la recherche et de l’innovation (2002-2006) établi par la décision n° 1513/2002/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2002 (JO L 232, p. 1), à savoir le contrat n° 033812 relatif au projet Amida, le contrat n° 027140 relatif au projet Bacs et le contrat n° 027787 relatif au projet Dirac. Ces contrats comportent tous une clause compromissoire prévoyant que le Tribunal de première instance des Communautés européennes est compétent pour régler les litiges survenant entre les parties relatifs à la validité, à l’exécution ou à toute interprétation desdits contrats.

3        Au cours de l’année 2008, un audit financier portant sur les relevés de coûts soumis par la requérante pour la période allant du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007 en ce qui concerne le projet Amida ainsi que pour la période allant du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2007 en ce qui concerne les projets Bacs et Dirac a été effectué par une société suisse, qui avait été mandatée par la Commission à cet effet. Le rapport d’audit établi par cette société concluait à l’inéligibilité de certains des coûts que la requérante avait déclarés à la Commission aux fins de leur remboursement.

4        Par lettre du 9 décembre 2009, la Commission a informé la requérante qu’elle confirmait les conclusions de l’audit susmentionné. Elle a précisé les régularisations nécessaires pour les périodes auditées, en indiquant que les erreurs constatées donneraient lieu à une procédure d’extrapolation des résultats de l’audit aux périodes non auditées et aux autres projets du sixième programme-cadre auxquels la requérante a participé. Par lettre du 26 février 2010, la requérante s’est opposée à ces appréciations de la Commission et lui a demandé de les reconsidérer.

5        En réponse à cette dernière lettre, la Commission a indiqué, par lettre du 11 mai 2010, signée par le chef de l’unité « Audit externe » de la direction générale « Société de l’information et médias », que, après avoir examiné les contestations et les observations de la requérante, elle confirmait les conclusions de l’audit susmentionné. Dans cette lettre, la Commission vise, notamment, à clarifier lesdites conclusions en ce qui concerne l’inéligibilité des coûts du personnel employé par la requérante à titre permanent, compte tenu du droit suisse du travail, en attirant l’attention sur le risque financier encouru par tout cocontractant qui participe à un projet de subvention lancé par l’Union. La Commission conclut en invitant la requérante à lui transmettre, pour le 30 juin 2010 au plus tard, des relevés de coûts révisés.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 juin 2010, la requérante a introduit un recours fondé sur l’article 272 TFUE – et, à titre subsidiaire, sur l’article 263 TFUE – par lequel elle demande, en substance, d’annuler la lettre de la Commission du 11 mai 2010 (ci-après l’« acte attaqué ») et de déclarer éligibles les coûts litigieux ; à titre subsidiaire, elle demande d’ordonner à la Commission de diligenter un nouvel audit à son égard qui devrait être confié à une autre société que la société ayant effectué l’audit susmentionné.

7        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de l’acte attaqué et constater qu’elle n’est pas tenue de restituer les sommes réclamées par la Commission, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours principal ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        Dans ses observations écrites déposées au greffe du Tribunal le 14 juillet 2010, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

9        Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

10      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

11      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

12      Enfin, il importe de souligner que l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

13      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

14      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

 Arguments des parties

15      La requérante fait valoir que l’exécution de la décision contenue dans l’acte attaqué a pour conséquence immédiate l’obligation pour elle de restituer, pour le 30 juin 2010, les sommes prétendument indûment versées par la Commission en application des contrats susmentionnés. Passé ce délai, la Commission serait en mesure d’intenter toutes procédures de recouvrement qu’elle jugerait utile à l’encontre de la requérante, ce qui aurait nécessairement des conséquences graves et irréparables tant sur le fonctionnement de la requérante que sur son image et sa crédibilité, voire même sur son existence. Selon la requérante, les circonstances de la cause établissent donc l’urgence, le bref délai accordé pour restituer les sommes litigieuses justifiant que des mesures d’urgence soient prises.

16      La requérante souligne que la restitution des sommes perçues entraînerait inévitablement des conséquences irréparables et d’une extrême gravité pour elle et pour son personnel. La société ayant effectué l’audit susmentionné aurait reconnu qu’elle n’existait que grâce au versement de fonds de tiers et notamment des fonds versés par la Commission, ces derniers étant intégralement utilisés pour le paiement des coûts relatifs aux chercheurs affectés aux « recherches de l’Union » en cours. Par ailleurs, l’adéquation existant entre les sommes perçues et les frais générés l’empêcherait de constituer une trésorerie conséquente et suffisante pour faire face à une telle demande de restitution.

17      La requérante précise que, en tant qu’institut de recherche qui, de par son objet social, est actif dans le domaine des technologies de pointe, elle doit faire appel à du personnel international ultraqualifié afin de réunir une équipe des plus performantes. Or, la rémunération de son personnel étant exclusivement financée par des fonds externes, elle ne disposerait pas des fonds nécessaires pour rémunérer ses salariés et pour rembourser les sommes prétendument indûment versées par la Commission. La restitution de ces sommes aurait donc un impact dévastateur sur sa trésorerie. Ainsi, la première conséquence de l’exécution de l’acte attaqué serait l’impossibilité pour la requérante de rémunérer les chercheurs travaillant sur les projets de l’Union, ce qui l’obligerait tant de licencier ses chercheurs dans l’attente d’une décision dans la procédure principale que d’interrompre certains projets en cours.

18      La requérante conclut que, faute de fonds et de personnels qualifiés suffisants, et outre l’interruption de certains projets en cours, elle sera dans l’impossibilité d’accepter des projets de recherches et de réaliser son objet. Étant donné l’importance des sommes à restituer et à défaut de trésorerie suffisante, sa faillite pourrait devenir inévitable. Cette faillite et sa disparition consécutive interviendraient de toute évidence avant même l’adoption de la décision dans le litige principal et constitueraient un préjudice grave et irréparable.

19      Selon la requérante, il relève non seulement de son intérêt personnel, mais également de l’intérêt général de suspendre l’exécution de l’acte attaqué lui imposant de restituer les sommes en cause. En revanche, la Commission ne disposerait d’aucun intérêt prépondérant à disposer immédiatement des sommes réclamées. Elle pourrait, sans préjudice grave et irréparable, attendre l’issue du litige principal pour, le cas échéant, obtenir le remboursement des sommes demandées.

20      La Commission conteste les arguments présentés par la requérante et estime que celle-ci n’a ni établi l’urgence ni démontré que la balance des intérêts en présence devait pencher en sa faveur.

 Appréciation du juge des référés

21      Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. C’est à cette dernière partie qu’il appartient d’établir qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure principale sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnances du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 187, et du 25 avril 2008, Vakakis/Commission, T‑41/08 R, non publiée au Recueil, point 52), ce qui suppose qu’elle fournisse des indications concrètes permettant au juge des référés d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (ordonnance du président de la Cour du 22 janvier 1988, Top Hit Holzvertrieb/Commission, 378/87 R, Rec. p. 161, point 18, et ordonnance du président du Tribunal du 18 octobre 2001, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01 R, Rec. p. II‑3107, point 32).

22      En outre, le préjudice allégué doit être certain ou, à tout le moins, établi avec une probabilité suffisante, étant précisé que la partie requérante demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective de ce préjudice. Un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 101, et du 10 juillet 2009, TerreStar Europe/Commission, T‑196/09 R, non publiée au Recueil, point 54].

23      En l’espèce, la requérante soutient, en substance, que, en raison de l’état de sa trésorerie, l’acte attaqué l’obligera immédiatement à licencier son personnel ultraqualifié, à interrompre certains projets de recherche en cours et à refuser de nouveaux projets, ce qui pourrait entraîner sa faillite et sa disparition consécutive. Selon elle, le bref délai accordé dans ledit acte pour restituer les sommes qu’elle aurait indûment reçues, à savoir jusqu’au 30 juin 2010, justifie l’octroi des mesures provisoires sollicitées.

24      Force est cependant de constater, d’une part, que l’acte attaqué ne contient aucun ordre de paiement, tel que la requérante semble le redouter. Dans cet acte, les services compétents de la Commission se sont bornés, en substance, à expliciter l’inéligibilité de certains coûts déclarés par la requérante aux fins de leur remboursement et à inviter la requérante à leur transmettre, pour le 30 juin 2010 au plus tard, des relevés de coûts révisés. Au demeurant, selon les allégations explicites de la Commission, la date du 30 juin 2010 a uniquement été fixée à titre indicatif pour des raisons de bonne gestion administrative, de sorte que l’éventuel non-respect du délai imparti n’aura, selon elle, aucune conséquence immédiate pour la requérante.

25      D’autre part, la requérante elle-même ne fait état, dans la demande en référé, d’aucune somme d’argent précise qu’elle serait tenue de restituer en vertu de l’acte attaqué. Elle se limite à souligner l’importance des sommes prétendument réclamées par ce dernier.

26      Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi la survenance probable du préjudice grave et irréparable allégué, en ce que celui-ci serait causé par l’obligation pour elle de restituer, avant le 30 juin 2010, des sommes qui lui auraient été indûment versées par la Commission.

27      Il convient d’ajouter que la requérante reste silencieuse sur la suite réservée à l’invitation qui lui a été adressée dans l’acte attaqué, consistant à transmettre des relevés de coûts révisés. Elle s’est, notamment, abstenue de préciser la nature et l’étendue des révisions demandées et d’indiquer si elle a respecté tant l’obligation de révision que le délai imparti à cet effet. La requérante a ainsi même omis d’exposer, chiffres à l’appui, l’impact financier hypothétique de la demande de révision figurant dans cette lettre.

28      Or, de telles informations précises auraient dû être fournies dans la demande en référé. En effet, selon une jurisprudence constante, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir du texte même de la demande en référé [ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13].

29      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire de vérifier, d’une part, les questions de recevabilité soulevées par la Commission et, d’autre part, si les autres conditions d’octroi des mesures provisoires sollicitées, notamment celle de l’existence d’un fumus boni juris, sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 22 juillet 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.