Language of document : ECLI:EU:T:2000:124

ARRÊT DU TRIBUNAL (juge unique)

10 mai 2000 (1)

«Fonctionnaires - Revendication du statut d'agent temporaire»

Dans l'affaire T-177/97,

Odette Simon, demeurant à Luxembourg, représentée par Mes J.-N. Louis, T. Demaseure et F. Parmentier, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la Société de gestion fiduciaire, 2-4, rue Beck,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Valsesia, conseiller juridique principal, et J. Curral, conseiller juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. G. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission portant rejet de la demande de la requérante visant à la régularisation de sa situation administrative, ainsi qu'une demande de réparation, par l'attribution d'un euro symbolique, du préjudice moral causé à la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

(juge unique)

juge: M. M. Vilaras,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 12 janvier 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Dans le cadre des programmes quinquennaux de recherche ergonomique pour les industries charbonnières et sidérurgiques, effectués au titre de l'article 55 du traité CECA, la Commission a eu recours, jusqu'en 1995, à des sociétés ou à des associations extérieures auxquelles était confiée, par voie contractuelle, la tâche de coordonner et de diffuser, dans les industries nationales concernées, les résultats des études menées par différents experts scientifiques au titre de ces programmes. En vertu desdits contrats, la société ou l'association retenue devenait, pendant la durée du programme, l'organisme de tutelle d'un Bureau d'information et de coordination des programmes de l'action communautaire ergonomique de la CECA (ci-après le «Bureau d'information et de coordination» ou «Bureau»), établi au Luxembourg.

2.
    La requérante, ancienne fonctionnaire communautaire de catégorie C, de 1957 à 1960, date de sa démission, a été employée, à partir de 1966 et jusqu'en 1993, au Bureau d'information et de coordination par les organismes de tutelle successifs, à savoir la Société des sciences médicales, la Ligue luxembourgeoise contre la tuberculose, la Société d'ergonomie de langue française, la Gesellschaft fürArbeitswissenschaft puis, à partir de 1980, la Gesellschaft für Sicherheitswissenschaft (ci-après la «GFS»).

3.
    Entre le 1er mars 1993 et le 14 janvier 1994, puis entre le 1er juillet et le 30 novembre 1994, la requérante a été directement employée par la Commission sous couvert de contrats de travail à durée déterminée de droit luxembourgeois afin d'assister cette dernière dans la préparation de rapports relatifs aux programmes ergonomiques communautaires.

4.
    À la suite de la conclusion d'une nouvelle convention entre la Commission et la GFS, pour la période allant du 1er décembre 1994 au 31 août 1995, cette dernière s'est vu confier la tâche de coordonner et de diffuser les résultats des études menées dans le cadre du sixième programme ergonomique. La requérante quant à elle a, de nouveau, été engagée par la GFS en qualité de chef du Bureau d'information et de coordination, pour la période correspondant à la durée de la convention, laquelle, ainsi que le contrat de la requérante, ont ensuite été prorogés jusqu'au 25 octobre 1995. La Commission n'ayant pas renouvelé cette convention, le contrat de la requérante a pris fin à la date prévue.

5.
    Le 16 janvier 1996, la requérante a assigné la GFS et son dirigeant devant le tribunal du travail de Luxembourg, en vue de les faire condamner au paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

6.
    Parallèlement à cette assignation, la requérante a, par lettre du 28 juin 1996, introduit une demande, au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), visant à ce que les activités accomplies par elle, depuis 1966, au service des différents organismes ayant conclu des contrats avec la Commission soient considérées comme ayant été exercées en qualité d'agent temporaire des Communautés. À l'appui de sa demande, elle a fait valoir que les contrats de travail qu'elle avait conclus avec ces organismes avaient eu pour seul but d'échapper à l'application des dispositions du statut et du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après le «RAA»). Elle a demandé, en outre, le paiement d'un euro symbolique à titre de dommages et intérêts pour violation des devoirs de sollicitude et d'assistance.

7.
    En l'absence de réponse de la Commission, la requérante a, le 2 décembre 1996, introduit une réclamation, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision implicite de rejet de sa demande.

8.
    Par décision du 2 avril 1997, notifiée à la requérante le 8 avril suivant, le membre de la Commission en charge des questions de personnel a, en sa qualité d'autorité habilitée à conclure des contrats d'engagement, rejeté la réclamation.

9.
    Le 12 mars 1997, le tribunal du travail de Luxembourg a déclaré irrecevable la demande de la requérante au motif qu'elle n'avait pas rapporté la preuve de la qualité d'employeur de la GFS ou de son dirigeant.

Procédure

10.
    C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 juin 1997, la requérante a introduit le présent recours.

11.
    Par acte séparé, déposé au greffe le 25 septembre 1997, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité, au titre de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

12.
    Par ordonnance du Tribunal (deuxième chambre) du 17 juin 1998, l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission a été rejetée et les dépens ont été réservés.

13.
    Par décision du Tribunal du 21 septembre 1998, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle l'affaire a, par conséquent, été attribuée.

14.
    Conformément aux dispositions des articles 14, paragraphe 2, et 51, paragraphe 2, du règlement de procédure, la première chambre a attribué l'affaire à M. Vilaras, siégeant en qualité de juge unique.

15.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 12 janvier 2000, au terme de laquelle la procédure orale a été clôturée.

Conclusions des parties

16.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision portant rejet de la demande de régularisation de sa situation administrative;

-    condamner la partie défenderesse au paiement d'un euro symbolique;

-    condamner la partie défenderesse aux dépens.

17.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

18.
    La Commission expose que, dans la mesure où il est impossible de convertir a posteriori une relation non statutaire en une relation statutaire, le présent recours ne peut être compris que comme un recours indemnitaire bien qu'il vise, notamment, à l'annulation de la décision rejetant la demande de régularisation. Elle en déduit que l'intérêt à agir de la requérante serait mis en cause dans l'hypothèse où, après examen des faits, le Tribunal devrait conclure que cette dernière n'a subi aucun préjudice.

19.
    La requérante ne formule aucune observation à cet égard.

Appréciation du Tribunal

20.
    Le présent recours a notamment pour objet l'annulation de la décision de la Commission par laquelle cette dernière a rejeté la demande de la requérante tendant à se voir reconnaître la qualité d'agent temporaire des Communautés européennes depuis son engagement, en 1966, par les associations et sociétés ayant successivement conclu des conventions avec la Commission en vue de l'exécution des programmes communautaires ergonomiques.

21.
    Selon une jurisprudence constante, déjà rappelée dans l'ordonnance relative à l'exception d'irrecevabilité dans la présente affaire, lorsqu'un requérant réclame la reconnaissance de la qualité de fonctionnaire ou d'agent temporaire, le recours en annulation dirigé contre la décision refusant de lui faire application du statut ou du RAA, et introduit conformément aux conditions prévues par les articles 90 et 91 du statut, peut être considéré comme recevable (arrêts de la Cour du 11 juillet 1985, Salerno e.a./Commission et Conseil, 87/77, 130/77, 22/83, 9/84 et 10/84, Rec. p. 2523, point 24, et du 13 juillet 1989, Alexis e.a./Commission, 286/83, Rec. p. 2445, point 9, et arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Altmann et Casson/Commission, T-177/94 et T-377/94, Rec. p. II-2041, point 44).

22.
    À supposer même que, en l'espèce, l'exécution d'un éventuel arrêt d'annulation ne puisse prendre la forme que d'un dédommagement, une telle circonstance ne saurait toutefois conduire à requalifier l'objet du présent recours en annulation.

23.
    En effet, il est admis par la jurisprudence que, lorsque l'exécution d'un arrêt d'annulation présente des difficultés particulières, l'institution concernée peut satisfaire à l'obligation découlant de l'article 176 du traité CE (devenu article 233 CE) en prenant toute décision qui serait de nature à compenser équitablement le désavantage étant résulté pour les intéressés de la décision annulée. Dans ce contexte, l'autorité investie du pouvoir de nomination peut établir un dialogue avec eux en vue de chercher à parvenir à un accord leur offrant une compensation équitable de l'illégalité dont ils ont été les victimes (voir, par exemple, arrêts du Tribunal du 26 juin 1996, de Nil et Impens/Conseil, T-91/95,RecFP p. I-A-327 et II-959, point 34, et du 10 juillet 1997, Apostolidis e.a./Commission, T-81/96, RecFP p. I-A-207 et II-607, point 42).

24.
    Dans ces conditions, l'intérêt de la requérante à obtenir l'annulation de la décision attaquée ne saurait être mis en cause. Partant, son recours est recevable.

Sur le fond

Sur les conclusions en annulation

Arguments des parties

25.
    La requérante, à l'appui de son unique moyen d'annulation tiré d'un détournement de pouvoir et de procédure, expose que, selon la jurisprudence, la conclusion de contrats de travail ou de prestation de services soumis au droit d'un État membre est considérée comme illégale si la Communauté choisit ce mode contractuel non pas en fonction des besoins du service, mais en vue d'échapper à l'application des dispositions du statut ou du RAA (arrêt de la Cour du 6 décembre 1989, Mulfinger e.a./Commission, C-249/87, Rec. p. 4127). À cet égard, il conviendrait de rechercher dans quelle mesure les tâches assumées sont des tâches permanentes définies de service public communautaire (arrêt de la Cour du 1er février 1979, Deshormes/Commission, 17/78, Rec. p. 189).

26.
    La requérante déduit de cette jurisprudence que les contrats de travail qu'elle a conclus, depuis le 15 mai 1966, avec les diverses sociétés et associations ayant fait fonction d'organisme de tutelle doivent être considérés comme des contrats d'agent temporaire, au sens de l'article 1er du RAA, et qu'il y a lieu, en conséquence, de régulariser sa situation administrative depuis cette date.

27.
    À cet égard, elle fait valoir, en premier lieu, que, sous couvert de contrats de travail conclus avec les organismes de tutelle successifs, elle a en fait continuellement exercé ses fonctions sous l'autorité directe des fonctionnaires de la Commission responsables des programmes ergonomiques au sein de la direction générale des affaires sociales. Cela serait démontré par les diverses attestations des fonctionnaires concernés et par le fait que, en vertu des contrats conclus avec les organismes de tutelle, la Commission fixait unilatéralement ses conditions d'emploi, à savoir sa rémunération, son affectation et la définition de ses tâches. Il ressortirait également des contrats conclus à partir de 1980 avec la GFS que la Commission imposait l'engagement de la requérante par les organismes de tutelle. Enfin, le Bureau, qu'elle dirigeait depuis 1972, aurait été établi dans l'enceinte de la Commission jusqu'en 1995, cette dernière s'étant engagée auprès de la GFS à mettre des locaux adéquats à sa disposition. La requérante en conclut que les organismes tiers qui, formellement, l'employaient n'étaient qu'un simple écran entre elle et la Commission, comme le confirmerait d'ailleurs le jugement rendu par le tribunal du travail de Luxembourg.

28.
    En second lieu, son emploi aurait contribué à la réalisation de l'un des buts assignés à la Commission par le traité CECA, à savoir la sécurité du travail dans les industries charbonnières et sidérurgiques et l'organisation, à cet effet, d'une coopération entre les organismes de recherche existants. Le coût des activités d'information et de coordination assumées par le Bureau était en outre imputé sur le budget de la CECA. Loin de pouvoir être qualifiées d'accessoires, les responsabilités qui étaient confiées à la requérante devraient donc être considérées comme faisant partie intégrante de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique communautaire ergonomique. Par conséquent, elle aurait accompli des tâches permanentes, définies comme étant de service public communautaire, au sens de la jurisprudence.

29.
    Le traitement que la requérante percevait démontrerait, en outre, que ses activités correspondaient à celles d'un agent de grade A 5. À cet égard, il serait inexact de prétendre que le montant de sa rémunération ne serait que le résultat de négociations librement menées avec ses employeurs. De l'avis de la requérante, la Commission fixait unilatéralement le niveau de son traitement, en relation avec la nature de ses fonctions, comme l'attesterait le fait que tous ses contrats de travail comportaient, à partir de 1972, une stipulation en vertu de laquelle ses conditions de rémunération devaient recevoir l'agrément de la Commission.

30.
    La Commission estime qu'il résulte de la jurisprudence qu'une personne telle que la requérante, qui n'a aucun lien avec la Commission, ne peut pas revendiquer a posteriori la qualité de fonctionnaire ou d'agent temporaire.

31.
    À cet égard, elle soutient tout d'abord que l'interprétation, par la requérante, des arrêts Mulfinger e.a./Commission et Deshormes/Commission, précités, est erronée. Le premier de ces arrêts ne ferait que reconnaître la possibilité pour la Commission d'engager directement des personnes en dehors du cadre réglementaire établi par le statut et le RAA, et, à cet effet, de conclure des contrats soumis au droit national. Quant à l'arrêt Deshormes/Commission, précité, il ne concernerait pas la conclusion d'une relation statutaire a posteriori, mais la prise en considération, dans le cadre du calcul des droits à pension, d'une période d'emploi accomplie par une personne qui, à l'inverse de la requérante, était employée directement par la Commission et déjà soumise au RAA avant l'introduction de son recours (voir arrêt de la Cour du 23 février 1983, Toledano Laredo et Garilli/Commission, 225/81 et 241/81, Rec. p. 347).

32.
    La Commission souligne ensuite que, selon l'arrêt de la Cour du 20 juin 1985, Klein/Commission (123/84, Rec. p. 1907), les dispositions du statut et du RAA ne peuvent pas être appliquées, par analogie, à des cas non visés de façon explicite par lesdits textes et, notamment, au personnel engagé par la Commission dans le cadre de contrats soumis au droit national. Le RAA ne pouvant pas être invoqué par de telles personnes, il en irait de même, à plus forte raison, s'agissant de personnes qui, comme la requérante, n'avaient pas de lien contractuel direct avecla Commission mais étaient employées par des tiers. L'arrêt de la Cour du 3 octobre 1985, Tordeur e.a. (232/84, Rec. p. 3223), démontrerait, par ailleurs, que l'engagement d'un agent temporaire ou auxiliaire ne peut découler que d'une décision de l'autorité habilitée à conclure des contrats d'engagement, conformément aux conditions prévues par le RAA, de sorte qu'un juge national n'est pas compétent pour imposer a posteriori une relation de travail statutaire avec une personne réclamant cette qualité. L'adoption d'un tel acte ne pourrait pas, non plus, être requise auprès du juge communautaire.

33.
    À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que les tâches accomplies par la requérante, en tant que chef du Bureau d'information et de coordination, n'étaient pas des tâches essentielles, caractéristiques de la fonction publique communautaire. En effet, les activités de la requérante ne consistaient pas à élaborer et à mettre en oeuvre des politiques communautaires, mais à assurer la diffusion des résultats de la recherche ergonomique et la coordination des travaux des experts nationaux et des consultants extérieurs. De telles activités de collecte et de diffusion d'informations, bien qu'utiles pour la mise en oeuvre des programmes ergonomiques communautaires, ne seraient qu'accessoires par rapport aux fonctions principales de l'institution qui, seule, concevait la politique ergonomique et définissait l'objet des programmes de recherche.

34.
    S'agissant du jugement du tribunal du travail de Luxembourg, la Commission rétorque qu'il a été rendu à l'issue d'une procédure à laquelle elle n'était pas partie et au cours de laquelle la requérante défendait une thèse contraire à celle du présent recours, à savoir qu'elle était l'employée de la GFS.

35.
    La Commission conteste également l'argument selon lequel il existait un lien de subordination entre la requérante et les fonctionnaires de la Commission. En particulier, aucune des attestations émanant des administrateurs de la Commission, alors en charge des programmes ergonomiques, ne ferait état d'instructions précises, de nature à révéler l'existence d'une relation hiérarchique. Il ressortirait, au contraire, du dossier que la Commission s'est limitée à donner des directives générales aux prestataires ayant employé successivement la requérante, sans pour autant se comporter comme un employeur de fait de cette dernière.

36.
    La Commission fait valoir, enfin, sur la base d'une comparaison des traitements perçus par des agents temporaires de catégorie B et des salaires perçus par la requérante pendant la période considérée, que celle-ci n'a, en tout état de cause, pas subi de préjudice pécuniaire, les montants versés dans chaque cas étant équivalents.

Appréciation du Tribunal

37.
    En vertu de l'article 1er du RAA, ce dernier s'applique «à tout agent engagé par contrat par les Communautés». Aux termes de l'article 6 dudit régime, chaqueinstitution détermine les autorités habilitées à conclure les contrats d'engagement visés à l'article 1er.

38.
    Il résulte, notamment, de ces dispositions que la qualité d'agent des Communautés ne saurait être reconnue à une personne dont l'employeur était non pas la Commission ou une autre institution des Communautés, mais une personne morale soumise au droit d'un État membre, qui ne peut être assimilée à une entité administrative de l'institution en cause (voir arrêts Salerno e.a./Commission et Conseil, précité, et Alexis e.a./Commission, précité, point 11).

39.
    En l'espèce, la requérante fait valoir que les contrats qu'elle a conclus avec les diverses associations ou sociétés ayant fait fonction d'organisme de tutelle du Bureau d'information et de coordination doivent être considérés comme des contrats d'agents temporaires au sens de l'article 1er du RAA.

40.
    Toutefois, à la différence de ce qui est exigé par cette disposition, il est constant que les activités exercées par la requérante, au sein du Bureau d'information et de coordination, l'ont été sur la base de contrats de travail, ou de prestation de services, conclus par elle-même avec les associations et sociétés ayant successivement assuré la gestion de ce Bureau. Ces contrats étaient régis par la législation luxembourgeoise et par les stipulations y figurant.

41.
    Par ailleurs, ainsi que la requérante l'a confirmé lors de l'audience, il ressort du dossier que les diverses associations et sociétés l'ayant employée étaient des personnes morales régies soit par le droit allemand, soit par le droit luxembourgeois.

42.
    Il découle de ces éléments que, durant la période comprise entre 1966 et 1993, puis entre le 1er décembre 1994 et le 25 octobre 1995, les employeurs successifs de la requérante étaient les associations ou sociétés susvisées, et non pas la Commission.

43.
    L'argument tiré de ce que l'engagement de la requérante était imposé par la Commission ne saurait être accueilli. À cet égard, il ressort seulement des contrats qu'elle a conclus avec la GFS que son engagement devait être préalablement approuvé par la Commission. Or, selon la jurisprudence de la Cour, une telle circonstance n'empêche pas que l'employeur est la personne morale avec laquelle a été conclu le contrat d'engagement, et non pas une institution des Communautés (arrêt Salerno e.a./Commission et Conseil, précité, point 43). En outre, contrairement aux allégations de la requérante, il ne ressort nullement du dossier que la Commission fixait ses conditions de rémunération, mais simplement qu'elles étaient aussi soumises, jusqu'en 1987, à son agrément.

44.
    Sont également dépourvus de pertinence les divers arguments de fait invoqués par la requérante, fondés sur une prétendue dépendance à l'égard de la Commission et sur l'identité de sa situation avec celle d'un agent temporaire. Ainsi qu'il résultede l'arrêt Salerno e.a./Commission et Conseil, précité, le fait qu'une personne morale soumise au droit d'un État membre entretienne des liens étroits avec la Commission et en soit, en fait, largement dépendante n'a pour effet ni de la transformer en unité administrative de cette dernière, ni de conférer à ses agents la qualité de fonctionnaire ou d'agent des Communautés. Par ailleurs, des circonstances factuelles, invoquées pour démontrer l'identité des conditions de travail ou de rémunération, ne permettent pas de passer outre à la différence juridique entre la situation d'agents engagés par une association de droit privé et celle des fonctionnaires et agents de la Commission nommés conformément aux dispositions statutaires (arrêt Salerno e.a./Commission et Conseil, précité, point 50).

45.
    Le jugement invoqué par la requérante, rendu par une juridiction nationale dans le cadre du contentieux l'ayant opposé à la GFS, ne peut pas non plus conduire à lui reconnaître la qualité d'agent des Communautés. Selon une jurisprudence constante, il est en effet exclu que la conclusion d'un contrat d'agent d'une institution puisse découler, non pas d'une décision de l'autorité désignée comme compétente à cet égard, mais d'une décision d'un juge national (arrêts de la Cour du 11 mars 1975, Porrini e.a., 65/74, Rec. p. 319, point 15, et Tordeur e.a., précité, point 28). En l'espèce, il y a lieu d'ailleurs de relever que, dans son jugement, la juridiction nationale s'est limitée à considérer que la requérante «n'avait pas rapporté la preuve que la GFS était son employeur», sans pour autant conclure qu'elle avait la qualité d'agent des Communautés.

46.
    Enfin, il convient de souligner que la jurisprudence sur laquelle se fonde la requérante, au soutien de son moyen tiré d'un détournement de pouvoir et de procédure, concerne des affaires dans lesquelles était mise en cause la qualification des contrats de travail, ou de prestation de services, conclus par les requérants, non pas avec des personnes morales tierces, mais avec la Commission elle-même (voir arrêts Mulfinger e.a./Commission et Deshormes/Commission, précités). Dans ce contexte, la Cour a jugé que la Commission commettrait un détournement de procédure si elle définissait les conditions d'emploi d'une personne qu'elle a recrutée sur la base d'un contrat soumis au droit d'un État membre non pas en fonction des besoins du service, mais en vue d'échapper à l'application des dispositions du RAA (arrêt Klein/Commission, précité, point 24).

47.
    Cette jurisprudence est toutefois dénuée de pertinence en l'espèce.

48.
    En effet, les activités exercées par la requérante au sein du Bureau d'information et de coordination l'ont été sur la base de contrats de travail ou de prestation de services conclus avec des personnes morales tierces. La Commission n'ayant pas été partie auxdits contrats, elle ne saurait donc être susceptible de commettre un détournement de procédure dans ce cadre.

49.
    Il convient certes de rappeler que, hormis les périodes de travail accomplies au sein du Bureau d'information et de coordination, la requérante a également été engagée directement par la Commission entre 1993 et 1994 en application de contrats àdurée déterminée soumis au droit luxembourgeois (voir ci-dessus point 3). Cependant, la requérante n'a soulevé aucun grief à l'encontre de ces contrats dans le cadre du présent recours. Or, en l'absence de tout élément démontrant l'existence d'un détournement de procédure à l'égard de ces contrats, leurs conclusions ne sauraient être considérées comme illégales (arrêts de la Cour Klein/Commission, précité, point 24, Mulfinger e.a./Commission, précité, point 11, et du Tribunal du 19 juillet 1999, Mammarella/Commission, T-74/98, non encore publié au Recueil, point 40).

50.
    Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la requérante ne saurait se voir reconnaître a posteriori la qualité d'agent temporaire des Communautés.

51.
    Dès lors, le moyen et, par suite, les conclusions en annulation doivent être rejetés.

Sur les conclusions en indemnité

Arguments des parties

52.
    La requérante soutient que la Commission a commis plusieurs fautes lui ayant causé un préjudice moral dont la réparation sera satisfaite par l'attribution d'un euro symbolique.

53.
    En premier lieu, la Commission aurait manqué à son devoir de sollicitude et d'assistance et violé l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme, interdisant, notamment, les traitements dégradants. À cet égard, la requérante lui reproche, tout d'abord, de l'avoir contrainte, ainsi que l'ensemble du personnel de la GFS affecté au Bureau d'information et de coordination, à quitter les locaux de la Commission à partir de 1995, et de l'avoir exposée à des conditions de travail précaires en mettant à la disposition de la GFS des locaux loués inadaptés. Après l'expiration du contrat conclu avec cette dernière, la Commission aurait également commis une faute en n'intervenant pas pour empêcher les voies de fait dont les employés du Bureau auraient été victimes en raison du refus opposé par la société propriétaire des locaux de leur y donner accès pour récupérer leurs effets personnels.

54.
    En second lieu, le comportement de la Commission aurait porté atteinte à la confiance légitime que la requérante avait en elle quant à la pérennité de sa situation, cette dernière étant restée au service de cette institution pendant près de 30 ans. La Commission l'aurait laissée dans une incertitude totale quant à son avenir professionnel et n'aurait pas pris soin de l'informer de la cessation des activités du Bureau d'information et de coordination à la date d'expiration du contrat conclu avec la GFS.

55.
    La Commission rétorque que, selon une jurisprudence constante, le devoir d'assistance de l'administration ne peut être invoqué contre les actes del'administration elle-même. Par conséquent, il serait inopérant d'invoquer une violation de cette obligation et d'affirmer, par ailleurs, que c'est l'administration qui a contraint la requérante à occuper d'autres locaux. En tout état de cause, la Commission ne pourrait être tenue pour responsable, vis-à-vis de la requérante, des prétendues mauvaises conditions de travail dans les locaux mis à la disposition de la GFS. La Commission n'ayant de lien contractuel qu'avec cette société, il ne pourrait lui être reproché un manquement à ses devoirs d'assistance et de sollicitude à l'égard de la requérante, d'autant plus que de tels devoirs n'existent qu'envers des personnes relevant du statut ou du RAA.

Appréciation du Tribunal

56.
    Selon une jurisprudence constante, la responsabilité de la Communauté suppose que la requérante prouve l'illégalité du comportement reproché à l'institution concernée, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice allégué (arrêts du Tribunal du 11 octobre 1995, Baltsavias/Commission, T-39/93 et T-553/93, RecFP p. I-A-233 et II-695, point 80, et du 6 juillet 1999, Forvass/Commission, T-203/97, non encore publié au Recueil, point 88).

57.
    Concernant, tout d'abord, un prétendu manquement de la Commission à ses devoirs de sollicitude et d'assistance, il y a lieu de rappeler que la requérante ne peut valablement prétendre à la qualité d'agent temporaire. En l'espèce, une violation de ces obligations, de nature statutaire, ne peut donc être reprochée à la Commission.

58.
    En tout état de cause, il importe de constater que la requérante n'apporte pas la preuve qu'un traitement dégradant lui aurait été infligé par la Commission. Ne saurait, en particulier, être considéré comme fautif le fait d'avoir mis à la disposition de la GFS, et de ses employés, des locaux autres que ceux en principe réservés au personnel engagé par la Commission. S'agissant du caractère prétendument inadapté des locaux professionnels fournis à la GFS en application de l'article 4 de la convention conclue par cette dernière avec la CECA, il suffit de relever que la requérante n'est pas fondée à se prévaloir, à l'encontre de la Commission, de la violation alléguée de cette convention à laquelle elle n'était pas partie. Par ailleurs, les voies de fait dont se serait rendu coupable le propriétaire desdits locaux ne sauraient, en aucun cas, être imputées à la Commission.

59.
    Enfin, il convient de rappeler que, contrairement à ce qu'elle allègue, la requérante n'était pas au service de la Commission lorsqu'elle exerçait ses activités au sein du Bureau d'information et de coordination. En l'absence de quelconques assurances de son éventuel recrutement par la Commission, elle ne saurait, dès lors, invoquer une violation du principe de protection de la confiance légitime à son égard, d'autant que la cessation des activités de la GFS pour le compte de la CECA était simplement causée par l'expiration de la convention conclue entre ces dernières.

60.
    Il résulte de ces éléments que les conclusions en indemnité doivent être rejetées.

61.
    Dès lors, le recours doit être rejeté comme non fondé.

Sur les dépens

62.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Il y a lieu d'appliquer cette règle à la requérante dans la mesure où son recours visait à lui reconnaître la qualité d'agent des Communautés (arrêt Mulfinger e.a./Commission, précité, point 22). La requérante ayant succombé en ses conclusions et la Commission ayant conclu à ce que le Tribunal statue sur les dépens comme de droit, chacune des parties supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (juge unique)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 mai 2000.

Le greffier

Le juge

H. Jung

M. Vilaras


1: Langue de procédure: le français.