Language of document : ECLI:EU:T:2000:130

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

17 mai 2000 (1)

«Fonctionnaires - Procédure disciplinaire - Révocation - Motivation - Réalité des faits - Erreur manifeste d'appréciation»

Dans l'affaire T-203/98,

Yannis Tzikis, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Boortmeerbeek (Belgique), représenté par Mes G. Vandersanden et L. Levi, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la Société de gestion fiduciaire, 2-4, rue Beck,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Valsesia, conseiller juridique principal, et J. Currall, conseiller juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision du 27 octobre 1998, par laquelle l'autorité investie du pouvoir de nomination a infligé au requérant la sanction disciplinaire de la révocation sans suppression ni réductiondu droit à pension d'ancienneté et, d'autre part, une demande de dommages-intérêts,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, MM. R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 10 décembre 1999,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le requérant était fonctionnaire de grade C 3 à la direction générale «Information, communication, culture et audiovisuel» de la Commission (DG X) lorsqu'il a participé, le 28 juin 1997, aux épreuves du concours interne COM/B/18/96 de passage de la catégorie C vers la catégorie B (ci-après le «concours»). Ces épreuves comportaient, notamment, le traitement d'un dossier dans le domaine de l'assistance administrative. Les questions posées sous cette rubrique concernaient la directive 94/33/CE du Conseil, du 22 juin 1994, relative à la protection des jeunes au travail (JO L 216, p. 12).

2.
    Le 4 juillet 1997, le directeur général de la direction générale du personnel et de l'administration de la Commission (DG IX) a informé le personnel que, «suite à de fortes présomptions d'une fuite qui se serait produite préalablement au déroulement des épreuves écrites du concours [COM/B/18/96] le samedi 28 juin 1997 et afin de protéger les intérêts légitimes des candidats quant à l'égalité des chances et de traitement, il a été décidé d'annuler les épreuves écrites dudit concours».

3.
    Une enquête administrative a été ouverte afin d'apporter la clarté sur les faits et, au cours de celle-ci, le requérant a été entendu à deux reprises. Lors de l'audition du 11 juillet 1997 (ci-après la «première audition»), il a nié avoir obtenu un quelconque document en version grecque se rapportant à l'épreuve écrite du concours avant son déroulement.

4.
    Lors d'une audition qui s'est tenue le 16 juillet 1997 (ci-après la «seconde audition»), le requérant est revenu sur ses premières déclarations et a reconnu avoir eu connaissance de la directive 94/33 avant le déroulement de l'épreuve écrite. Il a indiqué qu'un interlocuteur anonyme lui avait conseillé par téléphone, dans la matinée du 26 juin 1997, aux alentours de 10h30, de «regarder» la directive 94/33 dans la perspective du concours.

5.
    Le rapport de l'enquête administrative, daté du 25 juillet 1997, remis par le rapporteur au directeur général de la DG IX, indique que la première information concernant la fuite provenait de M. Zorbas, secrétaire politique de l'organisation syndicale «Renouveau et démocratie», dont la note confidentielle du 26 juin 1997 adressée au directeur général de la DG IX atteste qu'il connaissait l'un des sujets du concours. Dans cette note, il faisait référence à des questions portant sur une directive et critiquait le caractère inapproprié de la nature des épreuves. Lors de son audition au cours de l'enquête administrative, M. Zorbas a déclaré avoir reçu, le 26 juin 1997, entre 10 et 11 heures, un appel téléphonique anonyme, au cours duquel un homme, vraisemblablement francophone, a critiqué la décision prise par des fonctionnaires de la Commission de proposer l'analyse de la directive 94/33 dans le concours.

6.
    L'auteur du rapport affirme également:

«Sur la base des informations que j'ai obtenues, je suis d'avis que plusieurs candidats travaillant à Bruxelles et à Luxembourg avaient connaissance de la directive [utilisée comme sujet de l'épreuve]. J'en évaluerais le nombre à 10 au moins et à 50 au plus.

Toutefois, un seul candidat a été jusqu'à présent identifié comme possédant de façon certaine une copie de la directive avant le 28 juin, jour de l'épreuve. Il s'agit de M. Yannis Tzikis, de la DG X, qui a reconnu avoir obtenu le texte avec l'aide d'un chef d'unité de la DG VI [direction générale 'Agriculture‘], M. Dionyssios Dessylas, lequel a demandé à sa secrétaire de procurer le document en grec; celle-ci l'a copié à la bibliothèque de la DG VI. M. Dessylas confirme qu'il a demandé à sa secrétaire, Mlle Isabelle Heilier, de faire cela le 26 juin et son témoignage est confirmé par Mlle Heilier et par le personnel de la bibliothèque de la DG VI. Il semble probable que M. Dessylas n'était pas au courant de la signification de la directive.

Nous recommandons que M. Yannis Tzikis fasse l'objet d'une procédure disciplinaire pour avoir cherché à obtenir un avantage indu en se procurant et en étudiant le texte avant le concours. Il est à espérer que, au cours de cette procédure, M. Yannis Tzikis modifiera la version absurde qu'il a avancée après avoir reconnu que sa première déclaration signée était fausse [...]. Il ne s'agit là manifestement de rien d'autre que de l'habituelle 'loi du silence‘ concernant la source réelle de l'information.

À mon avis, il n'existe pas à l'heure actuelle suffisamment de preuves pour agir à l'encontre d'autres candidats, alors même que, dans certains cas, on peut raisonnablement supposer que certains candidats puissent avoir eu des informations similaires.»

7.
    À l'issue de l'enquête administrative, le directeur général de la DG IX a informé le requérant, dans sa note du 25 juillet 1997, de sa décision d'ouvrir une procédure disciplinaire contre lui. Il lui reprochait un «manquement aux obligations statutaires, eu égard au fait [qu'il avait] aspiré à obtenir un avantage injuste en [se] procurant et [en] étudiant le texte utilisé comme base des épreuves écrites du concours COM/B/18/96 deux jours avant les épreuves».

8.
    Le 19 septembre 1997, le requérant a été entendu conformément à l'article 87 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»). Il a maintenu la déclaration qu'il avait faite lors de la seconde audition.

9.
    Saisi par un rapport de l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l' «AIPN») du 10 novembre 1997, le conseil de discipline, après avoir entendu le requérant le 4 juin 1998, a rendu un avis motivé le 19 juin 1998. Dans ce dernier, le conseil de discipline recommande, à l'unanimité, à l'AIPN d'infliger à M. Tzikis la sanction de suspension temporaire de l'avancement d'échelon pour une période de deux ans, et ce sur le fondement des considérants suivants:

«Considérant que M. Tzikis, de par son comportement, a fait preuve de déloyauté envers l'institution et envers ses collègues qui étaient également candidats au concours,

Considérant que M. Tzikis, lors de sa première audition dans le cadre de l'instruction de ce dossier, a fait des déclarations mensongères, contrairement à son devoir d'honnêteté et à l'obligation de collaborer avec l'institution en vue de l'établissement de la vérité,

Considérant que de l'ensemble du dossier il résulte de fortes présomptions sur l'existence de fuites qui auraient pu avantager d'autres candidats,

Considérant ainsi que la gravité des fautes de M. Tzikis doit être appréciée dans un contexte où il n'est pas exclu que d'autres comportements fautifs aient pu se produire malgré le fait qu'il soit le seul à faire actuellement l'objet d'une procédure disciplinaire [...]»

10.
    Après avoir entendu le requérant, l'AIPN a adopté, le 27 octobre 1998, une décision de révocation de M. Tzikis sans suppression ni réduction du droit à pension d'ancienneté (ci-après la «décision attaquée») avec effet à compter du 1er novembre 1998. Cette décision, notifiée au requérant le 28 octobre 1998, était basée, notamment, sur les considérants suivants:

«Considérant que le dernier considérant de l'avis du Conseil de discipline selon lequel la gravité des fautes de M. Tzikis doit être appréciée dans un contexte où il n'est pas exclu que d'autres comportements fautifs aient pu se produire malgré le fait qu'il soit le seul à faire actuellement l'objet d'une procédure disciplinaire n'est pas de nature à constituer une circonstance atténuante à l'égard de M. Tzikis;

Considérant que les actes de M. Tzikis ont causé un préjudice matériel important à l'institution du fait de l'annulation du concours en question et de l'organisation de nouvelles épreuves;

Considérant que les actes de M. Tzikis ont porté atteinte gravement à l'image et à la réputation de l'institution, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de celle-ci;

Considérant que les actes de M. Tzikis ont causé un préjudice moral important aux participants qui ont vu leurs épreuves annulées et ont dû se préparer à de nouvelles épreuves, ainsi que matériel en retardant la nomination des lauréats et le déroulement de leur carrière de sept mois;

Considérant que, par ses déclarations mensongères et son absence de collaboration à l'enquête, M. Tzikis a fait obstruction à celle-ci et a empêché l'AIPN de poursuivre et de sanctionner les autres personnes qui ont également pu bénéficier de la fuite, et les laisser ainsi impunies; et qu'en agissant de la sorte M. Tzikis a définitivement rompu les liens de confiance qu'est en droit d'attendre l'institution de la part de ses fonctionnaires; [...]

Considérant que l'ensemble des éléments ci-dessus justifie l'adoption par l'AIPN d'une sanction disciplinaire allant au-delà de celle recommandée par le Conseil de discipline dans son avis du 19 juin 1998 [...]»

11.
    Le 10 novembre 1998, le requérant a adressé une demande gracieuse au président de la Commission afin que soit retirée la décision attaquée. Cette demande a été rejetée par lettre du 3 décembre 1998.

12.
    Le 18 décembre 1998, le requérant a introduit une réclamation contre la décision attaquée. Le 19 avril 1999, cette réclamation a fait objet d'un rejet explicite.

Procédure et conclusions des parties

13.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 1998, le requérant a introduit le présent recours.

14.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a également introduit une demande de suspension de la décision attaquée.

15.
    Le 26 février 1999, le président du Tribunal a ordonné le sursis à exécution de la décision attaquée jusqu'au prononcé de l'arrêt du Tribunal concernant l'affaire au principal. Le requérant a été réintégré dans ses anciennes fonctions à compter du 8 mars 1999 pour être, ensuite, affecté au sein d'une autre unité de la même direction générale à compter du 16 juin 1999.

16.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, les parties ont été invitées à répondre par écrit à certaines questions avant l'audience.

17.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 10 décembre 1999.

18.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision de révocation prise par l'AIPN, le 27 octobre 1998, avec effet à compter du 1er novembre 1998;

-    condamner la Commission à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision attaquée, pour un montant de 15 000 euros, majorés d'intérêts moratoires au taux de 8 % l'an à partir du 1er novembre 1998;

-    condamner la Commission aux dépens.

19.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

Sur les conclusions en annulation

20.
    À l'appui de ses conclusions en annulation, le requérant invoque quatre moyens tirés, premièrement, d'une violation de l'obligation de motivation, deuxièmement, de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation, du caractère disproportionné de la sanction et de la violation du principe de non-discrimination, troisièmement, d'une violation du devoir de sollicitude et, quatrièmement, d'une violation de la procédure et des droits de la défense.

Sur le premier moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation

Arguments des parties

21.
    Le requérant rappelle que la motivation d'un acte d'une institution communautaire doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'autoritédécisionnelle, afin de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour vérifier si la décision est bien fondée et pour permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de l'acte entrepris (arrêt du Tribunal du 16 juillet 1998, Y/Parlement, T-144/96, RecFP p. I-A-405 et II-1153, point 21). De plus, le requérant soutient que, en matière disciplinaire, lorsque la sanction infligée par l'AIPN est plus sévère que celle proposée par le conseil de discipline, la décision doit préciser de façon circonstanciée les motifs qui ont conduit l'AIPN à s'écarter de l'avis émis par le conseil de discipline (arrêt de la Cour du 29 janvier 1985, F./Commission, 228/83, Rec. p. 275, point 35).

22.
    À cet égard, il allègue, en premier lieu, que les considérants complémentaires introduits par l'AIPN dans la décision attaquée par rapport à l'avis motivé du conseil de discipline ne sont pas de nature à remplir l'obligation de motivation qui s'impose à l'AIPN et qu'ils reposent sur des faits inexacts. Le requérant conteste formellement avoir fait, de façon systématique, des déclarations mensongères, ne pas avoir collaboré à l'enquête et avoir empêché la poursuite des responsables. L'AIPN n'avancerait à cet égard aucun élément de preuve, ne ferait aucune référence aux éléments du dossier et n'expliquerait pas les raisons pour lesquelles elle s'écarte de l'avis motivé du conseil de discipline.

23.
    En deuxième lieu, le requérant soutient que l'AIPN n'explique pas non plus pourquoi la prise en considération d'autres comportements ne pourrait être retenue comme une circonstance atténuante, ainsi que le proposait le conseil de discipline.

24.
    En troisième lieu, le requérant rappelle que l'AIPN fait état du préjudice matériel important occasionné à l'institution du fait de l'annulation du concours et de l'organisation de nouvelles épreuves, de l'atteinte grave portée à l'image et à la réputation de l'institution tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de celle-ci et du préjudice moral important infligé aux participants au concours. Le requérant souligne que la cause première de ces différents préjudices ainsi que de la nécessité d'annuler le concours et d'organiser de nouvelles épreuves réside bien dans l'existence d'une fuite relative au texte ayant servi de base aux épreuves qui ont eu lieu le 28 juin 1997 et non pas dans le fait qu'il a pu bénéficier, vraisemblablement à l'instar d'autres candidats, de cette fuite. Il prétend ne pas avoir organisé la fuite et n'avoir rien fait pour obtenir des informations indues sur le concours.

25.
    La Commission fait valoir que l'AIPN était en droit d'estimer que les circonstances considérées comme atténuantes par le conseil de discipline n'étaient pas, en fait, de nature à diluer la responsabilité personnelle du requérant. L'AIPN aurait eu la preuve irréfutable, car les faits ne sont pas contestés, de la tentative du requérant de profiter des informations obtenues illicitement.

26.
    Selon la défenderesse, le fait qu'il n'a pas été possible d'identifier et de poursuivre d'autres personnes ayant bénéficié de la fuite n'enlèverait rien au comportement fautif du requérant, par lui reconnu.

27.
    La Commission soutient qu'il ressort de la décision attaquée que l'AIPN était convaincue, au vu des faits connus, que, contrairement aux explications fournies par le requérant lors de l'enquête, celui-ci disposait nécessairement d'informations sur la fuite dont il avait bénéficié et qu'il avait délibérément choisi de les dissimuler lorsqu'il lui avait été demandé de les fournir.

28.
    De plus, la Commission allègue que l'analyse de l'AIPN a bien mis en exergue l'aspect matériel et moral des conséquences de cette affaire, alors que le conseil de discipline s'est limité à la question de l'attitude déloyale du requérant à l'encontre de son institution. La décision attaquée exposerait donc bien des éléments aggravants justifiant la sanction prononcée.

29.
    En ce qui concerne l'argument du requérant selon lequel les fortes présomptions de fuites ont obligé l'institution à annuler le concours, la Commission considère que, s'il est vrai que le concours a effectivement été annulé avant même que la décision soit prise à l'encontre du requérant, il n'en demeure pas moins que son implication dans cette affaire a pu être démontrée lors de l'enquête administrative. De ce fait, le requérant porterait nécessairement une responsabilité quant aux conséquences de la découverte de ces fuites. Le fait que l'AIPN se soit vue contrainte d'annuler le concours à titre de mesure conservatoire et pour préserver les intérêts des autres participants n'enlèverait rien à la responsabilité démontrée du requérant.

Appréciation du Tribunal

30.
    Selon une jurisprudence constante, la motivation d'un acte faisant grief doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'auteur de l'acte incriminé, afin de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est bien fondée et de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur sa légalité (voir, notamment, arrêt de la Cour du 20 février 1997, Commission/Daffix, C-166/95 P, Rec. p. I-983, point 23).

31.
    La question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences du statut doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais également de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. À cet égard, si le conseil de discipline et l'AIPN sont tenus de mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de leurs décisions et les considérations qui les ont amenés à les prendre, il n'est pas pour autant exigé qu'ils discutent tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par l'intéressé au cours de la procédure (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19, point 22).

32.
    La motivation de la décision infligeant une sanction disciplinaire à un fonctionnaire doit indiquer de manière précise les faits retenus à la charge de l'intéressé, ainsi que les considérations qui ont amené l'AIPN à adopter la sanction choisie. Enoutre, si la sanction infligée est plus sévère que celle suggérée par le conseil de discipline, la décision doit préciser de façon circonstanciée les motifs qui ont conduit ladite autorité à s'écarter de l'avis émis par ce conseil (arrêt F./Commission, précité, point 35).

33.
    En l'espèce, il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, l'AIPN se fonde sur les considérations suivantes:

-    le dernier considérant de l'avis du conseil de discipline, selon lequel la gravité des fautes de M. Tzikis devait être appréciée dans un contexte où il n'est pas exclu que d'autres comportements fautifs aient pu se produire malgré le fait qu'il soit le seul à faire actuellement l'objet d'une procédure disciplinaire, n'est pas de nature à constituer une circonstance atténuante à l'égard de M. Tzikis;

-    les actes de M. Tzikis ont causé un préjudice matériel important à l'institution du fait de l'annulation du concours en question et de l'organisation de nouvelles épreuves;

-    les actes de M. Tzikis ont porté atteinte gravement à l'image et à la réputation de l'institution, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de celle-ci;

-    les actes de M. Tzikis ont causé un préjudice moral important aux participants qui ont vu leurs épreuves annulées et ont dû se préparer à de nouvelles épreuves, ainsi qu'un préjudice matériel en retardant la nomination des lauréats et le déroulement de leur carrière de sept mois;

-    par ses déclarations mensongères et son absence de collaboration à l'enquête, M. Tzikis a fait obstruction à celle-ci et a empêché l'AIPN de poursuivre et de sanctionner les autres personnes qui ont également pu bénéficier de la fuite, les laissant ainsi impunies, et en agissant de la sorte M. Tzikis a définitivement rompu les liens de confiance qu'est en droit d'attendre l'institution de la part de ses fonctionnaires.

34.
    Dans ces circonstances, il convient de constater que les raisons pour lesquelles l'AIPN s'est écartée de l'avis du conseil de discipline et a décidé d'aggraver la sanction infligée au requérant découlent suffisamment de la décision attaquée.

35.
    L'ensemble des motifs mentionnés dans la décision attaquée constitue, donc, une motivation suffisante pour fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est bien fondée et pour permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur sa légalité (voir arrêts de la Cour du 20 février 1997, Commission/Daffix, C-166/95 P, Rec. p. I-983, points 33 à 38, et du 20 novembre 1997, Commission/V, C-188/96, Rec. p. I-6561, points 26 à 29).

36.
    Par conséquent, le premier moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen, tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, du caractère disproportionné de la sanction et de la violation du principe de non-discrimination

Arguments des parties

37.
    Selon le requérant, s'il est vrai que le juge communautaire ne saurait substituer son appréciation à celle de l'AIPN, il peut, toutefois, contrôler l'exactitude matérielle des faits retenus et l'existence d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou d'un détournement de pouvoir (arrêt du Tribunal du 15 mai 1997, N/Commission, T-273/94, RecFP p. I-A-97 et II-289, point 125). En outre, en invoquant l'arrêt du Tribunal du 17 février 1998, E/CES (T-183/96, RecFP p. I-A-67 et II-159, points 59 et 60), le requérant soutient que le caractère disproportionné d'une sanction doit conduire à l'annulation de la décision contenant cette sanction.

38.
    En premier lieu, le requérant allègue que les griefs tirés d'une absence de collaboration et donc d'une obstruction à l'enquête, ainsi que du fait que l'AIPN n'a pu, dès lors, poursuivre et sanctionner les autres personnes ayant bénéficié de la fuite, sont inexacts, non établis et constituent de nouveaux griefs qui ne figuraient pas dans le rapport par lequel l'AIPN a saisi le conseil de discipline. À supposer que ces éléments puissent être qualifiés de circonstances aggravantes, ce que l'AIPN ne précise pas, il n'en demeure pas moins, selon le requérant, que la défenderesse n'en a pas rapporté la preuve.

39.
    Vu son rôle passif et, plus particulièrement, le fait qu'il n'est pas à l'origine de la fuite, le requérant soutient que la sanction infligée par l'AIPN est trop sévère. Or, la validité de la sanction de révocation aurait été reconnue par la jurisprudence à l'égard de faits manifestement plus graves que ceux reprochés au requérant (arrêts de la Cour du 27 mai 1970, X/Commission de contrôle, 12/68, Rec. p. 291, et du 5 février 1987, F./Commission, 403/85, Rec. p. 645; arrêt du Tribunal du 26 janvier 1995, D/Commission, T-549/93, RecFP p. I-A-13 et II-43).

40.
    En deuxième lieu, le requérant allègue qu'aucune des circonstances atténuantes qu'il a avancées et qui ont été retenues par le conseil de discipline n'a été prise en considération par l'AIPN. Celle-ci, sans s'en expliquer, ne tirerait aucune conséquence du fait que d'autres comportements fautifs sont intervenus dans le cadre du déroulement des épreuves. Les excellents rapports de notation du requérant et l'absence de tout passé disciplinaire n'auraient pas davantage été pris en considération. Selon le requérant, si l'AIPN dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans le choix de la sanction et peut également modifier sa politique disciplinaire, l'exercice de la compétence qui lui est reconnue ne peut conduire au choix d'une sanction disciplinaire qui s'écarte fondamentalement de celui effectué dans le cadre d'autres dossiers similaires.

41.
    En troisième lieu, le requérant soutient que le principe de proportionnalité commande que le choix d'une sanction s'effectue également par rapport aux faits retenus et établis à l'encontre d'autres fonctionnaires impliqués dans le même dossier. La circonstance que les personnes à l'origine de la fuite n'ont pas été identifiées ne suffirait pas à justifier la sévérité de la sanction.

42.
    En quatrième lieu, le requérant souligne aussi que le choix de cette sanction constitue une violation du principe de non-discrimination. Il serait, en effet, discriminatoire de sanctionner par la révocation des faits de la nature de ceux reprochés au requérant alors que ces derniers sont normalement sanctionnés moins sévèrement et que la révocation est réservée à des cas de fautes plus graves.

43.
    La défenderesse souligne qu'il est constant que le requérant a eu connaissance du texte ayant servi de base aux épreuves écrites avant la tenue de celles-ci et qu'après avoir découvert l'existence de la fuite elle a été amenée à annuler le concours. Le manquement établi et ses conséquences, tant pour l'institution que pour les autres candidats, seraient suffisamment graves pour entraîner une sanction particulièrement sévère, l'AIPN s'attachant particulièrement à ce que les fonctionnaires fassent preuve de loyauté vis-à-vis de l'institution et vis-à-vis de leurs collègues, ainsi que d'une probité exemplaire tout au long de leur carrière.

44.
    Aucun élément du dossier ne permettrait de conclure que la sanction infligée était manifestement disproportionnée par rapport aux manquements en cause ou que la Commission aurait usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés (arrêt N/Commission, précité, point 148).

45.
    La défenderesse soutient également qu'aucune comparaison ne peut être établie entre des faits ou des manquements différents. En outre, elle considère que l'AIPN est en droit de modifier sa politique disciplinaire en fonction de l'évolution des situations factuelles.

46.
    En ce qui concerne l'allégation du requérant selon laquelle l'AIPN n'a pas établi la réalité de la circonstance aggravante constituée par une attitude d'obstruction à l'enquête, la Commission expose que l'AIPN s'est fondée sur le caractère peu crédible de l'explication donnée par le requérant quant aux conditions dans lesquelles il a pu bénéficier de la fuite pour affirmer que ce dernier a entravé l'enquête. Cela figurait déjà dans le rapport au conseil de discipline, qui indique en page 2, paragraphe 4, que cette explication «est une pure invention». Selon la défenderesse, l'AIPN a simplement estimé que le conseil de discipline n'avait pas suffisamment tenu compte de cet aspect du dossier.

47.
    La défenderesse prétend que, eu égard aux déclarations mensongères du requérant, il n'est guère étonnant que l'enquêteur n'ait pas pu croire en la version d'un informateur anonyme.

Appréciation du Tribunal

48.
    Selon une jurisprudence établie, l'AIPN dispose du pouvoir de procéder à une appréciation de la responsabilité du fonctionnaire, différente de celle portée par le conseil de discipline, ainsi que de choisir, par la suite, la sanction disciplinaire qu'elle estime adéquate pour sanctionner les fautes disciplinaires retenues (arrêt du Tribunal du 28 juin 1996, Y/Cour de justice, T-500/93, RecFP p. I-A-335 et II-0977, point 56).

49.
    Les articles 86 à 89 du statut ne prévoyant pas de rapports fixes entre les sanctions disciplinaires y indiquées et les différentes sortes de manquements commis par les fonctionnaires et ne précisant pas dans quelle mesure l'existence de circonstances aggravantes ou atténuantes intervient dans le choix de la sanction, la détermination de la sanction à infliger doit être fondée sur une évaluation globale par l'AIPN de tous les faits concrets et circonstances propres à chaque cas individuel (arrêt Y/Parlement, précité, point 34).

50.
    En ce qui concerne une décision infligeant une sanction de révocation, elle implique nécessairement des considérations délicates de la part de l'institution, compte tenu des conséquences particulièrement sérieuses qui en découlent. L'institution dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation et le Tribunal ne saurait substituer son appréciation à celle de l'AIPN, le contrôle juridictionnel se limitant à une vérification de l'exactitude matérielle des faits retenus, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation des faits et de l'absence de détournement de pouvoir (voir arrêt Y/Parlement, précité, point 34).

51.
    En outre, la légalité de toute sanction disciplinaire présuppose que la réalité des faits reprochés à l'intéressé soit établie (arrêts du Tribunal du 18 décembre 1997, Daffix/Commission, T-12/94, RecFP p. I-A-453 et II-1197, point 64, et du 16 octobre 1998, V/Commission, T-40/95, RecFP p. I-A-587 et II-1753, point 49).

52.
    En l'espèce, la procédure disciplinaire a été ouverte à l'encontre du requérant à qui il était reproché d'avoir prétendu obtenir un avantage illicite en se procurant et en étudiant le texte utilisé comme sujet des épreuves écrites du concours pour lequel il était candidat, deux jours avant la tenue de celles-ci.

53.
    Il ressort du dossier que, à la suite de l'enquête administrative, la défenderesse a établi à suffisance de droit les faits suivants:

a)    deux jours avant le concours, le requérant a su que ce dernier comporterait des questions sur la directive 94/33;

b)    le requérant a cherché et obtenu le texte de ladite directive en grec;

c)    le requérant n'a pas informé l'administration de ces faits, ni au moment où ils se sont produits, ni après sa participation aux épreuves écrites duconcours lorsqu'il s'est rendu compte qu'elles portaient effectivement sur le texte dont il avait eu indûment connaissance;

d)    lors de sa première audition, le requérant a nié les faits mentionnés sous a) et b), puis les a admis lors d'une seconde audition;

e)    lors de sa seconde audition, le requérant a déclaré avoir reçu un coup de téléphone anonyme dans la matinée du 26 juin 1997 d'une personne parlant français qui lui a conseillé de «regarder» la directive 94/33 dans la perspective du concours précité.

54.
    Dans ces circonstances, il convient de vérifier si la réalité des faits reprochés à l'intéressé dans la décision attaquée a été établie et si cette dernière n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. À cet égard, il y a lieu d'analyser, en particulier, les sixième, huitième et neuvième considérants de ladite décision.

55.
    Dans les sixième et huitième considérants de la décision attaquée, il est reproché au requérant le fait que ses actes ont causé plusieurs préjudices, à savoir un préjudice matériel important à l'institution du fait de l'annulation du concours et de l'organisation de nouvelles épreuves, un préjudice moral important aux participants qui ont vu leurs épreuves annulées et ont dû se préparer à de nouvelles épreuves et un préjudice matériel aux lauréats en retardant leur nomination et le déroulement de leur carrière de sept mois.

56.
    Il y a lieu de considérer que l'auteur de tous ces préjudices est la personne ou les personnes responsables de la fuite quant au sujet des épreuves écrites du concours. Or, s'il est constant que le requérant a bénéficié de celle-ci, il n'est nullement établi qu'il en est à l'origine, étant observé que la défenderesse n'a pas découvert quels étaient les responsables de cette fuite. Ainsi, elle ne pouvait reprocher au requérant d'être à l'origine de préjudices pour lesquels la responsabilité de celui-ci n'avait pas été établie.

57.
    Dans le neuvième considérant de la décision attaquée, il est reproché au requérant le fait que, par ses déclarations mensongères et son absence de collaboration à l'enquête, il a fait obstruction à celle-ci et a empêché l'AIPN de poursuivre et de sanctionner les autres personnes qui ont également pu bénéficier de la fuite, les laissant ainsi impunies. En outre, en agissant de la sorte, M. Tzikis aurait définitivement rompu les liens de confiance que l'institution est en droit d'attendre de la part de ses fonctionnaires.

58.
    Il est constant que l'AIPN ne disposait pas de preuve certaine de ce que le requérant, après la première audition, avait fait des déclarations mensongères et n'avait pas collaboré à l'enquête. Elle a simplement déduit ces griefs de son analyse des déclarations du requérant, lors de sa seconde audition, ces dernières ayant été considérées, en l'occurrence, comme peu crédibles.

59.
    Or, il y a lieu de considérer que les différentes investigations menées par la défenderesse n'ont pas permis d'établir à suffisance de droit l'existence d'une attitude d'obstruction à l'enquête de la part du requérant. Par ailleurs, en ce qui concerne l'origine des informations dont il disposait sur le sujet des épreuves écrites du concours, M. Zorbas a fait des déclarations analogues à celles du requérant, sans que, pour autant, la défenderesse ait considéré qu'il faisait obstruction à l'enquête.

60.
    Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché au requérant des déclarations mensongères autres que celles retenues par le conseil de discipline et une absence de collaboration à l'enquête, postérieurement à sa première audition.

61.
    Il résulte de ce qui précède que la défenderesse a commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant, sur la base d'éléments dont la réalité n'a pas été établie, que la sanction du requérant devait être aggravée et qu'il devait ainsi lui être infligé une sanction de révocation sans suppression ni réduction du droit à pension d'ancienneté.

62.
    Il s'ensuit que le deuxième moyen du requérant, en ce qu'il y invoque l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation, doit être accueilli.

63.
    Il y a donc lieu d'annuler la décision attaquée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens et arguments avancés par le requérant.

Sur les conclusions en indemnité

Arguments des parties

64.
    Le requérant déclare que, à la suite de l'ordonnance portant sursis à exécution de la décision de révocation, il ne subit plus de préjudice matériel. Cependant, cette dernière lui aurait causé un préjudice moral en raison des répercussions négatives de cette décision sur son environnement familial, social et professionnel. Outre une remise en cause de sa confiance dans l'institution, le requérant affirme qu'il vit dans un état d'incertitude source d'un stress constant et qu'il a été contraint de suivre un traitement médical. Le requérant évalue son préjudice moral à 15 000 euros, avec intérêts moratoires au taux de 8 % l'an à partir du 1er novembre 1998, date de prise d'effet de la décision attaquée.

65.
    La Commission fait valoir que la demande doit être rejetée, car elle ne peut être dissociée de la demande en annulation, elle-même non fondée.

Appréciation du Tribunal

66.
    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 21 mars 1996, Otten/Commission, T-376/94, RecFP p. I-A-129et II-401, point 55), l'annulation d'un acte attaqué par un fonctionnaire constitue en elle-même une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice que celui-ci peut avoir subi.

67.
    À supposer que le requérant ait subi un préjudice moral, il y a lieu de considérer, au regard de toutes les circonstances de l'affaire, que l'annulation de la décision attaquée constituerait, en tout état de cause, une réparation intégrale dudit préjudice.

68.
    Il s'ensuit que la demande en indemnité doit être rejetée.

Sur les dépens

69.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)     La décision de l'AIPN du 27 octobre 1998 infligeant au requérant la sanction disciplinaire de la révocation sans suppression ni réduction du droit à pension d'ancienneté est annulée.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)     La Commission supportera l'ensemble des dépens.

Tiili Moura Ramos Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 mai 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

V. Tiili


1: Langue de procédure: le français.