Language of document : ECLI:EU:T:2008:315

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

9 septembre 2008 (*)

« Responsabilité non contractuelle de la Communauté – Concurrence – Décision déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun – Annulation de la décision par un arrêt du Tribunal – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers »

Dans l’affaire T-212/03,

MyTravel Group plc, établie à Rochdale, Lancashire (Royaume‑Uni), représentée par MM. D. Pannick, QC, M. Nicholson et Mme S. Cardell, solicitors, MM. A. Lewis, barrister, et R. Gillis, QC,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. R. Lyal, A. Whelan et P. Hellström, puis par MM. Lyal et F. Arbault, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. W.-D. Plessing et M. Lumma, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet un recours en indemnisation du dommage prétendument subi par la requérante en raison d’illégalités entachant la procédure de contrôle de la compatibilité avec le marché commun de l’opération de concentration entre elle-même et First Choice plc,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. J. Azizi, président, J. D. Cooke, Mmes E. Cremona, I. Labucka et M. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Kantza, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 29 avril et 20 mai 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Le 29 avril 1999, la requérante, voyagiste au Royaume-Uni, Airtours plc, devenu depuis MyTravel Group plc, a annoncé son intention d’acquérir la totalité du capital de First Choice plc, l’un de ses concurrents au Royaume-Uni, sur le marché boursier. Le même jour, la requérante a notifié à la Commission ce projet de concentration afin d’obtenir une décision d’autorisation sur la base du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (version rectifiée JO 1990, L 257, p. 13), modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1).

2        Par décision du 3 juin 1999, la Commission a estimé que l’opération de concentration soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun et a décidé d’engager la procédure d’examen approfondi, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89.

3        Le 9 juillet 1999, la Commission a transmis à la requérante une communication des griefs, conformément à l’article 18 du règlement n° 4064/89, dans laquelle elle exposait les raisons pour lesquelles elle estimait, à première vue, que l’opération envisagée créerait une position dominante collective au Royaume-Uni sur le marché des vacances à forfait à l’étranger vers des destinations proches. La requérante a répondu à cette communication des griefs le 25 juillet 1999.

4        Le 6 septembre 1999, la Commission a sollicité l’avis des tiers intéressés sur une série de propositions d’engagements présentée par la requérante, lesquelles ont été formalisées par cette dernière le 7 septembre 1999. Ces tiers avaient jusqu’au 8 septembre 1999 pour répondre et leurs réponses n’ont pas permis à la Commission d’éliminer ses préoccupations.

5        Le 9 septembre 1999, la majorité des membres du comité consultatif en matière de concentration a considéré que les engagements présentés par la requérante n’étaient pas de nature à éliminer les problèmes de concurrence identifiés à ce stade par la Commission.

6        Les engagements précités ont été présentés dans le délai de trois mois, à compter de l’ouverture de la procédure d’examen approfondi, prévu à l’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 447/98 de la Commission, du 1er mars 1998, relatif aux notifications, aux délais et aux auditions prévus par le règlement n° 4064/89 (JO L 61, p. 1), pour permettre aux entreprises concernées de soumettre à la Commission les engagements qu’elles voulaient faire prendre en considération dans une décision fondée sur l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89. Ce délai de trois mois prenait fin le 7 septembre 1999.

7        Le 14 septembre 1999, la requérante a communiqué à la Commission une nouvelle série de propositions d’engagements inspirée de la précédente. Une réunion s’est tenue à la Commission le 15 septembre 1999 afin de discuter de ces propositions, à l’issue de laquelle la requérante a soumis une proposition ferme d’engagements révisés à la Commission.

8        Le 16 septembre 1999, la requérante a demandé une prolongation du délai de trois mois prévu à l’article 18, paragraphe 2, du règlement n° 447/98, qui peut, dans des cas exceptionnels, être accordée par la Commission. En l’espèce, la requérante invoquait trois cas exceptionnels au titre de cette disposition : les difficultés liées à la recherche d’une solution adéquate ; le fait d’avoir poursuivi un dialogue constructif au cours de la procédure administrative ; le renouvellement en cours de la Commission.

9        Le 22 septembre 1999, c’est-à-dire quinze jours avant la fin du délai légal de quatre mois à compter de l’ouverture de la procédure d’examen approfondi prévu à l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 comme délai maximal pour adopter une décision en application de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 – lequel prenait fin le 5 octobre 1999 – la Commission a déclaré cette opération de concentration incompatible avec le marché commun et avec l’accord EEE par la décision 2000/276/CE (Affaire IV/M.1524 – Airtours/First Choice) (JO 2000 L 93, p. 1, ci-après la « décision Airtours »).

10      La Commission indique au considérant 193 de la décision Airtours que cette entreprise a présenté des engagements à un stade très tardif de la procédure, le 15 septembre 1999. Elle y relève également que ces engagements ne contenaient aucun élément que la requérante n’aurait pu inclure dans un engagement présenté dans le délai de trois mois prévu à l’article 18, paragraphe 2, du règlement n° 447/98, que la requérante n’a avancé aucune raison pouvant être considérée comme un « cas exceptionnel » susceptible de rouvrir ce délai de trois mois au sens de la disposition précitée et qu’elle-même ne disposait plus de suffisamment de temps pour examiner ces engagements de manière satisfaisante.

11      La requérante a introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision Airtours. Par arrêt du 6 juin 2002, Airtours/Commission (T‑342/99, Rec. p. II‑2585, ci-après l’« arrêt Airtours »), le Tribunal a annulé cette décision, en déclarant fondé le troisième moyen, qui portait sur la légalité de l’appréciation par la Commission des effets de l’opération Airtours/First Choice sur la concurrence dans le marché commun, sans avoir jugé nécessaire d’examiner le quatrième moyen, qui concernait la légalité de l’appréciation par la Commission des engagements présentés lors de la procédure administrative.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée le 18 juin 2003, la requérante a introduit le présent recours.

13      Par décision du 22 juillet 2003, l’affaire a été attribuée à une formation élargie.

14      Par ordonnance du 13 novembre 2003, la République fédérale d’Allemagne a été admise à intervenir au litige à l’appui des conclusions de la Commission.

15      Par lettre du 22 mars 2004, la Commission a demandé au Tribunal qu’il exige de la requérante qu’elle garantisse le paiement éventuel des dépens de la Commission pour un montant de 1,5 million d’euros. Le Tribunal a informé la Commission qu’il n’y avait pas de base légale pour une telle garantie.

16      Par lettre du 14 juillet 2004, la requérante a demandé au Tribunal d’adopter des mesures d’organisation de la procédure afin que lui soit communiqué le rapport du groupe de travail instauré par la Commission pour apprécier les répercussions de l’arrêt Airtours, point 11 supra, ainsi que les documents qui y sont cités. Par lettre du 9 décembre 2004, la Commission a fait part de ses observations sur cette demande en indiquant que ces documents pouvaient faire l’objet d’une demande présentée sur la base du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43).

17      À la suite d’une telle demande d’accès aux documents, la requérante a de nouveau demandé au Tribunal, par lettre du 9 janvier 2006, d’adopter des mesures d’organisation de la procédure dans le cadre du présent recours afin notamment d’ordonner la divulgation par la Commission du rapport du groupe de travail et des documents afférents. Dans cette lettre, la requérante proposait également de limiter la question de l’évaluation des dommages dont il était demandé réparation à la période de trois ans séparant la décision Airtours de l’arrêt Airtours, point 11 supra. Par lettre du 17 février 2006, la Commission a fait part de ses observations sur cette seconde demande.

18      En parallèle, par décisions des 5 septembre et 12 octobre 2005, la Commission a refusé d’accorder à la requérante l’accès, au titre du règlement n° 1049/2001, à certains documents préparatoires de la décision Airtours ainsi qu’à des documents rédigés par ses services à la suite de l’annulation de cette décision par l’arrêt Airtours, point 11 supra. La requérante a introduit un recours en annulation contre ces décisions (affaire T-403/05, MyTravel Group/Commission).

19      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, les parties ont été invitées à répondre à une série de questions.

20      Par lettre de la République fédérale d’Allemagne du 25 février 2008 et par lettres de la requérante et de la Commission du 14 mars 2008, les parties ont présenté leurs réponses aux questions du Tribunal.

21      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience des 29 avril et 20 mai 2008.

22      Lors de l’audience du 29 avril 2008, le Tribunal a ordonné à la Commission, en application de l’article 65, sous b), et de l’article 67, paragraphe 3, troisième alinéa, de son règlement de procédure, de produire tous les documents en sa possession, relatifs à l’appréciation des engagements présentés le 15 septembre 1999, qui ont été rédigés entre cette date et la date à laquelle la décision Airtours a été adoptée, à savoir le 22 septembre 1999.

23      La Commission a déféré à cette demande en produisant deux documents lors de l’audience du 29 avril 2008 et plusieurs autres documents à la suite de cette dernière.

24      Dans le délai prévu à cet effet par le Tribunal, la requérante a présenté ses commentaires sur les différents documents produits par la Commission à la suite de la demande du Tribunal.

25      La requérante concluait initialement à ce qu’il plaise au Tribunal, notamment, de condamner la Communauté à lui verser la somme de 517 900 000 livres sterling (GBP) en réparation des dommages suivants : la perte des bénéfices de First Choice, la perte des économies imputables aux synergies et les frais afférents à l’offre manquée, déduction faite des frais afférents au succès de l’offre.

26      Ce chef de conclusions a été modifié au cours de la procédure devant le Tribunal, en considération notamment des éléments fournis dans la réplique en réponse à la défense, dans la lettre au Tribunal du 9 janvier 2006 (voir point 17 ci‑dessus) et lors de l’audience du 20 mai 2008 en présence des experts désignés par la requérante et la Commission.

27      La requérante conclut, en dernier lieu, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Communauté à lui verser la somme déterminée par le Tribunal dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation des éléments présentés par les parties en réparation des dommages subis pour ce qui est de la période qui sépare l’adoption de la décision Airtours (22 septembre 1999) au moment où elle aurait pu, en principe, acquérir First Choice à la suite de l’arrêt Airtours (évalué au 31 octobre 2002) ;

–        ordonner que des intérêts soient exigibles en ce qui concerne l’indemnisation précitée à compter de la date de l’arrêt établissant l’obligation de réparer le dommage dans cette affaire, au taux de 8 % par an ou tout autre taux que le Tribunal pourra fixer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation ;

–        condamner la Commission aux dépens.

28      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Considérations liminaires sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté

29      À titre liminaire, le Tribunal estime approprié d’examiner les arguments des parties relatifs aux conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, et plus particulièrement à la condition du comportement illégal des institutions communautaires qui requiert la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, ainsi qu’à l’existence d’une prétendue symétrie entre le recours en annulation et le recours en responsabilité non contractuelle.

1.     Argumentation générale des parties

30      Les parties s’accordent sur la définition des conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en se référant à l’arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergarderm et Goupil/Commission (C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, ci‑après l’« arrêt Bergaderm »), mais s’opposent sur la signification à donner à la condition relative à l’identification d’un « comportement illégal » en présence d’un arrêt d’annulation ainsi que sur l’importance à donner aux insuffisances identifiées par le Tribunal dans l’arrêt Airtours, point 11 supra, dans le cadre de la présente affaire.

a)     Sur la notion de violation suffisamment caractérisée

31      La requérante fait valoir, à titre principal, que la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits au profit des particuliers requise en matière de responsabilité non contractuelle est assimilable à l’erreur manifeste d’appréciation définie dans un arrêt d’annulation. Dans ces conditions, le Tribunal aurait dûment tenu compte du pouvoir d’appréciation de la Commission quand il a décidé d’annuler la décision Airtours du fait des erreurs commises par cette institution, et cette analyse suffirait en tant que telle pour constater l’existence d’un comportement illégal au titre de l’article 288 CE.

32      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, rejette cette argumentation prise de la symétrie entre recours en annulation et recours en responsabilité non contractuelle au motif qu’un arrêt d’annulation ne suffit pas pour établir une violation suffisamment caractérisée au sens de l’arrêt Bergaderm, point 30 supra.

b)     Sur la notion de règle ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers

33      Pour alléguer l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits au profit des particuliers au sens de l’arrêt Bergaderm, point 30 supra, la requérante invoque essentiellement l’article 2 du règlement n° 4064/89, qui définit les critères aux termes desquels la Commission doit déclarer une concentration compatible ou incompatible avec le marché commun. Cette disposition conférerait des droits aux particuliers au sens de l’arrêt Bergaderm, point 30 supra, dans la mesure où les décisions adoptées sur cette base au titre de l’article 8 du règlement n° 4064/89 concernent l’opération notifiée. En l’absence de décision de compatibilité de la part de la Commission, l’entreprise qui a notifié l’opération en cause ne pourrait pas la réaliser et cela porterait atteinte à sa liberté d’entreprendre. Le règlement n° 4064/89 devrait être placé dans le contexte du traité CE, qui repose sur le libéralisme économique et entend favoriser l’intégration du marché commun. Par ailleurs, la requérante soutient que la Commission doit agir conformément au principe de bonne administration et à l’obligation de diligence, lesquels confèrent des droits aux particuliers.

34      La Commission soutient que l’article 2 du règlement n° 4064/89 n’est pas en lui-même une règle de droit visant à protéger les particuliers, mais une règle de droit énonçant les critères sur la base desquels une opération de concentration doit être déclarée compatible ou incompatible avec le marché commun dans l’intérêt des consommateurs. Les règles visant à assurer la protection des particuliers seraient celles qui, telle l’obligation de diligence, régissent le comportement de la Commission lorsqu’elle applique des règles semblables à celle de l’article 2 du règlement n° 4064/89.

2.     Appréciation du Tribunal

35      Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, Beamglow/Parlement e.a., T‑383/00, Rec. p. II‑5459, point 95).

36      Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les deux autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81, et arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37).

a)     Sur la notion de violation suffisamment caractérisée

37      Lorsque, comme en l’espèce, est invoquée comme fondement de l’action indemnitaire l’illégalité d’un acte juridique, celle-ci, pour pouvoir être de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté, doit être constitutive d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Le critère décisif à cet égard est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par une institution communautaire, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation [arrêts de la Cour Bergaderm, point 30 supra, points 42 et 43, et du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec. p. I‑2941, point 47].

38      Le régime dégagé par la Cour en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté prend notamment en compte la complexité des situations à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes et, plus particulièrement, la marge d’appréciation dont dispose l’auteur de l’acte mis en cause [arrêts Bergaderm, point 30 supra, point 40, et Holcim (Deutschland)/Commission, point 37 supra, point 50].

39      Lorsque l’institution mise en cause ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire [arrêts Bergaderm, point 30 supra, point 44, et Holcim (Deutschland)/Commission, point 37 supra, point 47]. Il en va de même lorsque l’institution défenderesse se livre à une application abusive des normes substantielles ou procédurales pertinentes (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission, 5/66, 7/66 et 13/66 à 24/66, Rec. p. 317, 339 et 340).

40      À la suite d’une mesure d’organisation de la procédure décidée par le Tribunal, qui demandait aux parties d’envisager l’incidence de l’arrêt du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission (T‑351/03, non encore publié au Recueil, sous pourvoi, affaire C‑440/07 P, Commission/Schneider Electric), sur la présente affaire au regard notamment des principes consacrés par l’arrêt Bergaderm, point 30 supra, les parties ont reconnu qu’il ressort de la jurisprudence que la notion de violation suffisamment caractérisée ne comprend pas les erreurs ou les fautes qui, même si elles présentent un degré de gravité certain, ne sont pas étrangères au comportement normal d’une institution chargée de veiller à l’application des règles de concurrence, lesquelles sont complexes, délicates et sujettes à une importante marge d’interprétation.

41      Interrogée sur ce point lors de l’audience du 29 avril 2008, la requérante a également indiqué que le fait que le Tribunal avait annulé la décision Airtours – en considérant que l’analyse prospective de la situation de concurrence qui y était exposée, loin d’être fondée sur des preuves solides, était entachée d’un ensemble d’erreurs d’appréciation concernant des éléments importants pour l’évaluation de l’éventuelle création d’une position dominante collective – n’était pas suffisant, en soi, pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté, dans la mesure où d’autres critères étaient requis par la jurisprudence relative aux recours en indemnité.

42      Accepter qu’il en soit autrement en assimilant sans autre forme d’analyse l’annulation constatée dans l’arrêt Airtours, point 11 supra, à une violation suffisamment caractérisée au sens de l’arrêt Bergaderm, point 30 supra, risquerait, en effet, de compromettre la capacité de la Commission à exercer pleinement la fonction de régulateur de la concurrence que lui confie le traité CE en raison de l’effet inhibant sur le contrôle des concentrations que pourrait engendrer le risque d’avoir à supporter les dommages allégués par les entreprises concernées dans de telles circonstances.

43      Pour tenir compte d’un tel effet, contraire à l’intérêt général communautaire, le manquement à une obligation légale, qui, pour regrettable qu’il soit, peut être expliqué par les contraintes objectives qui pèsent sur l’institution et sur ses agents en matière de contrôle des concentrations ne peut être tenu pour constitutif d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire aux fins de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté. En revanche, le droit à la réparation des dommages qui résultent du comportement de l’institution est ouvert lorsque celui-ci se traduit par un acte manifestement contraire à la règle de droit et gravement préjudiciable aux intérêts de tiers qui ne saurait trouver ni justification ni explication dans les contraintes particulières qui s’imposent objectivement au service dans le cadre d’un fonctionnement normal.

b)     Sur la notion de règles ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers

44      En premier lieu, la requérante se prévaut de la violation des règles matérielles appliquées par la Commission dans la décision Airtours pour établir son droit à être indemnisée.

45      Il s’agit, d’une part, de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, aux termes duquel « les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun ». Si ce critère est satisfait, la Commission doit alors adopter une décision sur la base de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 pour déclarer une telle concentration incompatible avec le marché commun.

46      Il s’agit, d’autre part, de l’article 2, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, aux termes duquel « les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées compatibles avec le marché commun ». Si ce critère est satisfait, la Commission doit alors adopter une décision sur la base de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 pour déclarer une telle concentration compatible avec le marché commun. Cette décision pourra être éventuellement assortie de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu’elles ont pris à l’égard de la Commission en vue de rendre la concentration compatible avec le marché commun.

47      Tout comme l’article 2, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, qui vise l’hypothèse d’une décision d’autorisation, l’article 2, paragraphe 3, dudit règlement, qui vise l’hypothèse d’une décision d’interdiction, s’interprète au regard de l’article 2, paragraphe 1, de ce même règlement, qui expose les éléments qui doivent concrètement être pris en compte par la Commission pour apprécier la compatibilité ou l’incompatibilité d’une opération de concentration de dimension communautaire avec le marché commun.

48      Prises ensemble, ces dispositions ont pour objet de conférer des droits aux particuliers en ce sens que la Commission, lorsqu’elle est saisie d’une opération de concentration en application du règlement n° 4064/89, est, en principe, tenue de prendre position soit dans le sens de l’autorisation de cette opération, soit dans celui de l’interdiction de celle-ci, selon son appréciation de l’évolution économique attribuable à l’opération en cause dont la probabilité est la plus forte. Ainsi, si les conditions énoncées à l’article 2, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 sont remplies, une entreprise ayant notifié une opération de concentration de dimension communautaire a le droit de voir cette opération déclarée compatible avec le marché commun. Cette entreprise ne peut, toutefois, réaliser cette opération en l’absence d’une autorisation de la part de la Commission (voir article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89) et une décision d’interdiction adoptée sur la base de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 emporte d’importantes conséquences. Une telle intervention de la Communauté dans la vie des affaires, qui exige d’une entreprise qu’elle obtienne une autorisation avant de réaliser la concentration envisagée et qui oblige la Commission à interdire la réalisation de cette opération si elle se révèle incompatible avec le marché commun, implique nécessairement que les entreprises auxquelles une autorisation est refusée puissent demander à être indemnisées des conséquences dommageables d’une telle décision s’il s’avère qu’elle repose sur une violation suffisamment caractérisée des règles matérielles appliquées par la Commission pour apprécier la compatibilité de l’opération en cause avec le marché commun.

49      En second lieu, la requérante se prévaut de l’obligation de diligence pour établir l’existence d’un comportement illicite de la part de la Commission. Sur ce point, il suffit de relever que la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet de conclure que le comportement de l’institution a constitué une illégalité de nature à engager la responsabilité de la Communauté au titre de l’article 288 CE (arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134, et du 17 mars 2005, Agraz e.a./Commission, T‑285/03, Rec. p. II‑1063, point 40, non remis en cause sur pourvoi par arrêt de la Cour du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, Rec. p. I‑10833). Ce caractère protecteur de l’obligation de diligence à l’égard des particuliers, lequel impose à l’institution compétente, lorsque celle-ci dispose d’un pouvoir d’appréciation, d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce, a été reconnu par la jurisprudence, y compris dans le cadre de recours en indemnité (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14 ; arrêt du Tribunal du 18 septembre 1995, Nölle/Conseil et Commission, T‑167/94, Rec. p. II‑2589, points 73 à 76 ; ordonnance du Tribunal du 14 décembre 2005, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03, Rec. p. II‑5839, point 88, et arrêt Agraz e.a./Commission, précité, point 49 ; voir également arrêt du Tribunal du 9 juillet 1999, New Europe Consulting et Brown/Commission, T‑231/97, Rec. p. II‑2403, points 37 à 45, qui se réfère au principe de bonne administration).

50      Il ressort de ce qui précède que l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, lu conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de cette disposition et avec l’article 8, paragraphes 2 et 3, dudit règlement, ainsi que l’obligation de diligence consacrent des règles qui ont pour objet de conférer des droits aux entreprises concernées par une décision qui interdit la réalisation d’une opération de concentration.

51      C’est au vu de ces principes qu’il convient de vérifier si l’illégalité qui entache la décision Airtours annulée par l’arrêt Airtours, point 11 supra, est de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté du fait d’une violation suffisamment caractérisée des règles matérielles et procédurales susceptibles d’être invoquées par une entreprise qui demande l’autorisation de son opération de concentration. Il y a lieu, à cet égard, de distinguer les allégations relatives à l’existence d’une violation suffisamment caractérisée au stade de l’appréciation par la Commission des effets de l’opération sur la concurrence des allégations relatives à l’existence d’une violation suffisamment caractérisée au stade de l’analyse des engagements proposés lors de la procédure administrative.

B –  Sur l’existence d’une « violation suffisamment caractérisée » au stade de l’appréciation par la Commission des effets de l’opération Airtours/First Choice sur la concurrence dans le marché commun

1.     Arguments des parties

52      La requérante soutient que le comportement illicite requis par la jurisprudence issue de l’arrêt Bergaderm ressort de l’arrêt Airtours, point 11 supra, qui révèle la mesure dans laquelle le comportement de la Commission correspond à une violation suffisamment caractérisée. En adoptant la décision Airtours, la Commission aurait commis une violation suffisamment caractérisée pour engager la responsabilité de la Communauté au titre de l’article 288, deuxième alinéa, CE du fait de la méconnaissance manifeste et grave des limites de son pouvoir d’appréciation au titre de l’article 2 du règlement n° 4064/89 ainsi que de l’obligation générale de diligence. Ces deux fondements distincts seraient inextricablement liés et se traduiraient par la question unique de savoir si, en appréciant la compatibilité de l’opération Airtours/First Choice avec le marché commun, la Commission s’est acquittée à suffisance de droit de sa mission et de ses obligations en sa qualité d’autorité de concurrence.

53      À l’appui de cette argumentation, la requérante distingue deux types de failles dans le raisonnement utilisé pour apprécier les effets de l’opération. D’une part, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas satisfait au niveau de compétence requis en matière de contrôle des concentrations, lequel exigerait au minimum la connaissance du droit applicable et l’identification d’éléments suffisants pour comprendre la situation de concurrence et caractériser une position dominante collective. La requérante qualifie les manquements commis par la Commission à ce stade de failles de premier niveau (voir points 54 à 71 ci-après). D’autre part, la requérante soutient que ces failles ont été aggravées et confirmées par un grand nombre de failles de second niveau, liées au fait que la Commission n’a pas tenu compte des preuves fournies et n’a pas dûment motivé la décision Airtours. Ces failles de second niveau, à elles seules ou en liaison avec les failles de premier niveau, démontreraient que la Commission a été manifestement incompétente en examinant les éléments de preuve pertinents et qu’elle a méconnu ces éléments de preuve parce qu’ils allaient à l’encontre de la théorie qu’elle avait développée (voir points 72 et 73 ci-après).

a)     Sur l’obligation de reconnaître le champ d’application limité de l’article 2 du règlement n° 4064/89

54      En ce qui concerne le droit applicable, la requérante souligne que, dans son recours en annulation, elle faisait valoir que la décision Airtours était fondée au moins partiellement sur des effets unilatéraux, ce qui constituait, selon elle, une interprétation inexacte de l’article 2 du règlement n° 4064/89 et la méconnaissance manifeste de la marge d’appréciation dont disposait la Commission pour appliquer cette disposition.

55      La Commission rappelle que la décision Airtours était fondée sur l’appréciation d’une position dominante collective et non sur la théorie des effets unilatéraux. Il importerait peu de savoir dans le cadre du présent recours en indemnité si la théorie des effets unilatéraux pouvait être appliquée dans le cadre de l’article 2 du règlement n° 4064/89.

b)     Sur l’obligation de définir la situation du marché en l’absence de concentration

56      En ce qui concerne l’analyse factuelle des effets de l’opération sur la concurrence, la requérante soutient que la Commission a méconnu gravement son pouvoir d’appréciation en ne précisant pas quelle était la situation de la concurrence avant la réalisation de l’opération envisagée, ce qui constitue pourtant le point de départ de l’analyse des effets de l’opération sur la concurrence (arrêt Airtours, point 11 supra, point 84). Le manquement de la Commission à son obligation de prendre position sur ce point aurait entaché l’ensemble de la décision Airtours (arrêt Airtours, point 11 supra, point 75). La Commission aurait ainsi cherché à faire valoir que les évolutions du marché au cours des 18 mois qui ont suivi la publication des conclusions du rapport de la Monopolies and Mergers Commission, une des autorités de la concurrence au Royaume-Uni, étaient de nature à ôter tout fondement aux conclusions de ce rapport selon lesquelles le marché était largement concurrentiel à la fin de l’année 1997 (arrêt Airtours, point 11 supra, points 96 à 108).

57      La Commission relève qu’elle a examiné les changements survenus sur le marché des voyagistes au Royaume-Uni entre 1997, lorsque le rapport de la Monopolies and Mergers Commission a été publié, et 1999, lorsque la concentration a été notifiée. Elle souligne qu’elle a conclu que le niveau de concentration s’était fortement accru, en fondant cette conclusion sur les éléments de preuve émanant de tiers intéressés, ce qui a influencé l’appréciation des effets de l’opération. Cependant, la Commission fait valoir qu’elle a considéré dans la décision Airtours qu’il n’existait pas de position dominante avant l’opération, comme le Tribunal l’a constaté au point 88 de l’arrêt Airtours, point 11 supra, bien qu’il ait critiqué au point 75 de celui-ci le caractère « elliptique » de sa description. Selon la Commission, il fallait donc bien démontrer la création d’une telle position et non son renforcement. Personne n’aurait mis ainsi en cause le besoin d’identifier la situation du marché en l’absence de concentration. La question qui se serait posée était seulement celle de savoir s’il existait déjà une tendance à la domination collective, auquel cas l’opération risquait de rompre un équilibre fragile et, partant, de restreindre considérablement la portée de la concurrence effective. La Commission n’aurait donc pas commis d’erreur en ne comprenant pas quelle était la situation du marché, mais seulement en considérant que des aspects de la situation existante du marché considérés globalement, à savoir, les caractéristiques du marché décrites aux considérants 87 à 126 de la décision Airtours, étaient susceptibles de favoriser la création d’une position dominante collective à la suite de la concentration.

c)     Sur l’obligation d’établir les conditions d’une collusion tacite

58      La requérante rappelle que, pour établir la création d’une position dominante collective, la Commission devait vérifier que les trois conditions définies au point 62 de l’arrêt Airtours, point 11 supra, étaient réunies, à savoir : premièrement, la capacité de chaque membre de l’oligopole dominant de savoir si les autres membres se rallient à la ligne de conduite commune, ce qui est tributaire d’une transparence suffisante du marché ; deuxièmement, la viabilité dans le temps d’une telle coordination tacite, ce qui implique l’existence d’une incitation à ne pas s’écarter de la ligne de conduite commune ; troisièmement, la réaction prévisible des concurrents et des consommateurs actuels et futurs qui ne serait pas à même de remettre en cause cette ligne de conduite commune. Or, plusieurs éléments mis en avant par la Commission dans la décision Airtours pour démontrer l’existence de telles conditions reposeraient sur une appréciation erronée des faits.

59      La Commission précise qu’elle a abordé les différentes conditions évoquées par la requérante, comme cela ressort du considérant 87 de la décision Airtours, qui énumère les éléments en question. Sa connaissance des conditions nécessaires à la constatation de l’existence d’une position dominante collective ne serait donc pas ici en cause.

 Sur l’instabilité des parts de marché

60      La requérante souligne que les fluctuations de parts de marché sont un élément pertinent pour l’appréciation de la Commission (arrêt Airtours, point 11 supra, point 111). En l’espèce, la requérante fait valoir que la difficulté résidait en ce que les parts de marché des différents opérateurs présents sur le marché en cause avaient été sensiblement instables par le passé, ce qui pouvait laisser entendre que ce marché ne faisait pas l’objet d’une position dominante collective. Or, ce fait n’aurait pas été pris en considération dans la décision Airtours, la Commission considérant vraisemblablement qu’il ne cadrait pas avec sa thèse.

61      La Commission fait valoir que la grande instabilité des parts de marché repose sur la prise en compte des acquisitions réalisées par certains opérateurs. Au contraire, les parts de marché seraient très stables si ces acquisitions étaient exclues. La Commission souligne que, dans la décision Airtours, elle a considéré que l’importance de la croissance interne était le critère le plus pertinent aux fins de l’appréciation des incitations à adopter un comportement parallèle oligopolistique, dans la mesure où, lorsqu’il y a peu de chances d’accroître sa part de marché en augmentant sa capacité, l’adoption d’un comportement parallèle est plus probable. Cette analyse n’aurait pas été retenue par le Tribunal, qui aurait considéré que la Commission n’avait pas démontré en quoi la possibilité de faire concurrence par le biais des acquisitions était dénuée de pertinence. Cela ne signifierait toutefois pas que ladite analyse reposait sur une méconnaissance flagrante des éléments de preuve obtenus dans le cadre de la procédure administrative, étant donné que certains de ces éléments de preuve montreraient que les perspectives d’acquisitions étaient limitées après 1998.

 Sur l’instabilité de la demande

62      La requérante souligne que la stabilité de la demande est un facteur propice à la formation d’une position dominante (arrêt Airtours, point 11 supra, point 139). Or, ce point serait méconnu au considérant 97 de la décision Airtours, dans lequel la Commission indiquerait que la volatilité de la demande rendrait le marché plus favorable à la création d’une position dominante collective. Ce ne serait qu’au cours des débats dans le cadre du recours en annulation que la Commission aurait admis que la théorie économique avait l’importance qui lui a été reconnue dans l’arrêt Airtours, point 11 supra, et qu’elle aurait cherché sans succès à défendre sa thèse en avançant des faits propres à l’affaire. Ce ne serait pas là une position correcte. Si l’importance de la théorie économique était incompatible avec l’approche retenue par la Commission dans la décision Airtours, celle-ci avait l’obligation d’y faire valoir une thèse cohérente, étayée par une théorie économique défendable, à l’appui de sa position.

63      La Commission indique que, lors de la procédure administrative, elle a examiné le rapport Binmore, communiqué par la requérante, sur l’importance à accorder à l’instabilité de la demande. Elle lui aurait même demandé de présenter des observations complémentaires sur ce rapport. Ce rapport n’aurait donc pas été ignoré par la Commission, qui relève toutefois qu’il ne mentionnait pas de données relatives au marché en cause et portait essentiellement sur la possibilité de coordination des prix plutôt que des capacités. La Commission souligne également que ce rapport reconnaissait même que la coordination des capacités était possible, mais doutait que l’on puisse réellement dissuader les voyagistes de tricher.

 Sur la faible croissance de la demande

64      La requérante souligne que la faible croissance de la demande est un élément propice à une collusion tacite. Or, elle indique que, lors de la procédure administrative, elle avait relevé que la demande s’était accrue dans le passé à un rythme plus rapide que celui du produit intérieur brut au Royaume-Uni, que, nonobstant un bref accroc en 1995 et en 1996, la demande s’était à nouveau accrue, selon le principal rapport sectoriel, et qu’il fallait s’attendre à ce que sa croissance se poursuive au cours des deux années suivantes. Cependant, la Commission n’aurait pas tenu compte de ces éléments. Selon la requérante, ainsi que les débats devant le Tribunal l’ont fait ressortir, la Commission a préféré se fonder sur un extrait isolé, non daté, d’une page d’un rapport élaboré par Ogilvy & Mather et dont elle n’a jamais vu ni examiné l’intégralité. Cette pièce lui aurait été communiquée par la société cible, First Choice, opposée à l’opération. Ce document, cité sélectivement et inexactement par la Commission, n’aurait jamais été présenté à la requérante aux fins d’observation lors de la procédure administrative et serait contredit par d’autres éléments communiqués à la Commission. Il s’agirait là d’un exemple flagrant de méconnaissance manifeste de l’obligation générale de diligence.

65      La Commission rappelle que la question qui se pose est celle de savoir si la croissance de la demande était suffisamment élevée pour exclure tout comportement parallèle après la concentration. Elle souligne que, en appréciant cet aspect dans l’affaire Airtours, elle a demandé aux principaux opérateurs leurs estimations de la croissance passée et future de la demande et c’est dans ce contexte qu’il lui est reproché de ne pas avoir correctement cité le rapport d’Ogilvy & Mather. À cet égard, la Commission fait valoir que le taux de croissance du marché cité dans ce rapport était de 3,7 % alors que le taux de croissance invoqué par la requérante sur la base des statistiques du British National Travel Survey (BNTS) équivalait à 3,4 %. Ce débat serait d’autant plus incompréhensible que les chiffres d’Ogilvy & Mather sont censés être fondés sur les statistiques du BNTS. Il n’y aurait donc pas de réel conflit de preuves. En tout état de cause, la Commission fait valoir que la requérante n’aborde pas la question des prévisions de croissance de la demande. Sur ce point, la Commission indique qu’elle pouvait se prévaloir des observations que la requérante avait présentées au cours de la procédure administrative, selon lesquelles le taux de croissance annuel de la demande en 2000/2002 était estimé à environ 3,3 %.

 Sur la transparence du marché

66      La requérante souligne que la transparence du marché est un élément essentiel dans l’appréciation d’une position dominante collective, dans la mesure où, en l’absence de transparence, les opérateurs économiques ont plus de mal à conclure des accords tacites, à identifier et à sanctionner ceux qui ne respectent pas de tels accords (arrêt Airtours, point 11 supra, points 156 et 159). Selon elle, en l’espèce, la difficulté pour la Commission tenait à la quasi infinie variété des vacances au niveau de l’offre. Une telle hétérogénéité du produit aurait rendu la collusion tacite bien plus difficile. Or, confrontée à cette difficulté de faire valoir sa thèse sur la coordination tacite, la Commission aurait simplement décidé de ne pas en tenir compte. Elle aurait simplement préféré soutenir que les membres de l’oligopole coordonneraient la capacité et non le prix et qu’« (il) import[ait] uniquement de connaître la capacité globale (nombre de séjours) offerte par chaque voyagiste intégré » (considérant 91 de la décision Airtours). Elle aurait également soutenu que, puisque la planification portant sur une saison ultérieure était fondée sur le chiffre d’affaires pour la saison antérieure, le marché était transparent. Ce faisant, la Commission aurait méconnu les éléments de preuve produits lors de la procédure administrative. Par ailleurs, la Commission dénaturerait l’analyse du Tribunal dans l’arrêt Airtours, point 11 supra, en soutenant qu’elle a dû analyser des informations très nombreuses pour se forger une opinion sur la question. Néanmoins, selon la requérante, ce n’était pas là la véritable difficulté : la Commission a simplement refusé d’aborder le point précis de l’hétérogénéité du produit et de la nature complexe du travail d’organisation de la capacité, ou de réaliser par elle-même le travail que le Tribunal avait entrepris, nonobstant son importance capitale dans le contexte de toute affaire relative à une position dominante collective.

67      La Commission fait valoir que ce n’est pas parce que le Tribunal a considéré qu’une conclusion n’avait pas été établie à suffisance de droit qu’elle avait fait preuve d’une méconnaissance manifeste et grave de son devoir d’examiner soigneusement les éléments de preuve. En l’espèce, la Commission soutient que, lorsque des voyagistes adoptent un comportement parallèle sur l’ensemble du marché en cause, ils doivent être en mesure de déceler suffisamment tôt tout écart par rapport à ce comportement sur ce marché pour sanctionner le comportement déviant. La transparence en question devrait donc porter sur le paramètre auquel la collusion peut se rapporter, à savoir la capacité totale du marché et non la répartition de cette capacité entre les différentes destinations qui intéressent les consommateurs. La question centrale serait donc de savoir s’il existait une transparence suffisante pour que les augmentations anormales de capacité puissent être décelées assez tôt et que les autres voyagistes puissent user de représailles. Sur ce point, la Commission indique qu’elle a conclu qu’il existait une assez grande continuité d’une saison à l’autre. Elle ajoute que, s’il est vrai que la capacité totale recouvre une myriade de décisions, ces décisions sont prises dans les limites d’une enveloppe déterminée par la demande prévue. Selon la Commission, le fait de connaître les offres passées des autres permettait aux voyagistes de constater rapidement des modifications des offres en cours. Du fait de la publication des premières brochures douze à quinze mois avant les vacances elles‑mêmes, les décisions en matière de transport aérien et, dans une certaine mesure, en matière de capacité hôtelière auraient été visibles de tous.

 Sur l’obligation d’examiner l’existence d’un mécanisme dissuasif

68      La requérante relève que, même si la nécessité de mettre en place un mécanisme dissuasif est reconnue pour ce qui est de l’identification d’une situation de position dominante collective (arrêt Airtours, point 11 supra, points 192 et 193), la position de la Commission dans la décision Airtours est ambiguë en ce qui concerne la nécessité d’un tel mécanisme (arrêt Airtours, point 11 supra, point 191). Le Tribunal aurait également rejeté les arguments invoqués par la Commission pour faire valoir l’existence d’un tel mécanisme et la Commission tenterait désormais d’expliquer ces erreurs en alléguant qu’elles s’expliquent par le fait que l’appréciation de la transparence et de l’instabilité de la demande faite par le Tribunal n’est pas celle qu’elle avait retenue dans la décision Airtours. Une telle explication ne serait pas satisfaisante, dans la mesure où il ne serait pas possible d’invoquer une erreur antérieure pour excuser une erreur plus tardive.

69      La Commission rappelle que les observations formulées aux considérants 55 et 150 de la décision Airtours à propos de la nécessité d’un « mécanisme strict de représailles » concernaient le type de mécanisme que la requérante avait prétendu nécessaire, essentiellement, un mécanisme du type de ceux trouvés généralement dans une entente plutôt que dans une situation d’oligopole. Le fait que le Tribunal ait rejeté les constatations de la Commission sur les différents moyens d’exercer des représailles (arrêt Airtours, point 11 supra, points 200 à 207) ne signifierait pas que la Commission n’a pas pris en considération les éléments de preuve pertinents. En effet, il ressortirait des considérants 148 et suivants de la décision Airtours que ce sont précisément les points soulevés par la requérante qui ont été examinés par la Commission.

 Sur l’obligation d’accorder l’importance due à la réaction des concurrents et des consommateurs actuels et éventuels

70      La requérante relève que le Tribunal a reproché à la Commission de ne pas avoir examiné à suffisance de droit la réaction éventuelle des petits voyagistes et des autres concurrents ainsi que des consommateurs potentiels à la réalisation de l’opération (arrêt Airtours, point 11 supra, points 213, 266, 273 et 274). La Commission aurait méconnu sur ces points les éléments de preuve invoqués par la requérante lors de la procédure administrative.

71      La Commission relève que, selon la décision Airtours, la principale entrave à la capacité des petits voyagistes de réagir à la limitation des capacités imposée par les grands voyagistes résidait dans l’accès aux sièges d’avions. Le Tribunal aurait toutefois conclu qu’il existait un certain nombre de sources susceptibles d’offrir des sièges aux petits voyagistes à des conditions satisfaisantes. Il s’agirait d’une appréciation différente des éléments de preuve et non d’une méconnaissance de ceux‑ci par la Commission. Cela vaudrait également pour l’accès aux canaux de distribution. Le fait que l’analyse de la Commission n’ait pas été acceptée par le Tribunal ne suffirait pas à démontrer qu’elle a commis une faute ou méconnu les éléments de preuve. Pour ce qui est des concurrents potentiels, la Commission relève que ses conclusions reposaient sur les considérations relatives à l’accès aux sièges d’avions et aux canaux de distribution mentionnées en ce qui concerne les petits voyagistes. Il en serait de même de l’argument pris de l’absence de prise en considération de la réaction possible des consommateurs, dans la mesure où la capacité des consommateurs d’acheter des vacances aux petits voyagistes dépendrait de la capacité de ces derniers d’en offrir. La Commission estime que, si ces appréciations ont été jugées erronées, elles n’étaient toutefois pas déraisonnables.

d)     Sur l’effet cumulatif des cas de méconnaissance des éléments de preuve et sur l’insuffisance de la motivation

72      La requérante relève que la décision Airtours est révélatrice d’une série de manquements de second niveau, qui aggravent et confirment les manquements précités. Une série d’erreurs, considérée globalement, pourrait engager la responsabilité de la Communauté au titre de l’article 288, deuxième alinéa, CE (arrêt du Tribunal du 28 novembre 2002, Scan Office Design/Commission, T‑40/01, Rec. p. II‑5043, point 107). Ainsi, en ce qui concerne chaque aspect de l’argumentation relative à la position dominante collective, la requérante aurait invoqué des éléments de preuve qui ont été méconnus pas la Commission. Il y aurait sur ce point une quarantaine de cas de méconnaissance par la Commission de tels éléments. Il ne pourrait être allégué par la Commission que sa position sur ces points n’était pas déraisonnable. En outre, la Commission soutiendrait que la décision Airtours est suffisamment motivée, ce qui serait erroné, dès lors que le troisième moyen du recours en annulation portait non seulement sur la violation de l’article 2 du règlement n° 4064/89, mais aussi sur la violation de l’article 253 CE. De même, l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1), prévoirait que le droit à une bonne administration implique l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions. En l’espèce, la Commission aurait manqué à son obligation de faire valoir des preuves solides de nature à classer la décision Airtours dans la série des décisions qu’il lui est loisible d’arrêter compte tenu de la latitude qui lui est accordée. Il existerait 22 exemples d’une telle motivation insuffisante.

73      La Commission fait valoir que le fait de préférer certains éléments de preuve à d’autres éléments de preuve ne constitue pas une méconnaissance manifeste des éléments de preuve dans leur ensemble ni même une méconnaissance manifeste de chacun de ces éléments. Une telle conclusion ne serait acceptable que si le résultat atteint sur la base des éléments de preuve est clairement et manifestement en contradiction avec ces éléments. La Commission expose dans l’une des annexes de sa duplique tous les éléments de preuve qui étaient en sa possession et qui ont été examinés avec soin et conscience lors de la procédure administrative. Par ailleurs, la Commission relève qu’une violation de l’article 253 CE n’engage pas la responsabilité de l’institution parce que l’obligation de motivation ne constitue pas une règle de droit protégeant les particuliers. De plus, l’arrêt Airtours, point 11 supra, ne comporterait aucune appréciation à même d’identifier l’existence d’une violation de l’obligation de motivation. En outre, la référence à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne serait pas pertinente, dans la mesure où cette disposition n’indiquerait pas qu’un défaut de motivation justifie un recours en indemnité.

2.     Appréciation du Tribunal

a)     Sur l’argument relatif à l’obligation de reconnaître le champ d’application limité de l’article 2 du règlement n° 4064/89

74      À titre liminaire, en réponse à l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission aurait méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation en se référant au moins partiellement à la théorie économique dite des effets unilatéraux pour déclarer l’opération Airtours/First Choice incompatible avec le marché commun en application de l’article 2 du règlement n° 4064/89, il convient de constater, comme l’a fait le Tribunal aux points 49 à 54 de l’arrêt Airtours, point 11 supra, que la Commission nie avoir eu une nouvelle approche de cette disposition et soutient avoir appliqué l’approche précédemment utilisée et approuvée par le Tribunal dans son arrêt du 25 mars 1999, Gencor/Commission (T‑102/96, Rec. p. II‑753).

75      Or, compte tenu de cette contestation par la Commission et en l’absence d’indications suffisamment détaillées de la part de la requérante permettant d’indiquer si et dans quelle mesure cette prétendue nouvelle approche a pu avoir la moindre incidence sur l’appréciation par la Commission des effets de l’opération Airtours/First Choice sur la concurrence, il n’y a pas lieu de se prononcer sur le prétendu manquement à l’obligation de reconnaître le champ d’application limité de l’article 2 du règlement n° 4064/89.

b)     Sur les arguments relatifs à l’obligation de définir la situation de marché en l’absence de concentration et à l’obligation d’établir les conditions d’une collusion tacite

76      Pour ce qui est des allégations de la requérante relatives à la méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission dans le cadre de son analyse de l’opération Airtours/First Choice au regard des critères relatifs à la création d’une position dominante collective, il convient de rappeler en quoi consiste une telle analyse.

77      Une situation de position dominante collective entravant de manière significative la concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci peut intervenir à la suite d’une opération de concentration lorsque, compte tenu des caractéristiques mêmes du marché en cause et de la modification qu’apporterait à sa structure la réalisation de l’opération, celle-ci aurait comme résultat que, prenant conscience des intérêts communs, chaque membre de l’oligopole dominant considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d’adopter durablement une même ligne d’action sur le marché dans le but de vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d’un accord ou recourir à une pratique concertée au sens de l’article 81 CE, et ce sans que les concurrents actuels ou potentiels, ou encore les clients et les consommateurs, puissent réagir de manière effective (arrêt Airtours, point 11 supra, point 61).

78      La création d’une situation de position dominante collective ainsi définie nécessite trois conditions. En premier lieu, chaque membre de l’oligopole dominant doit pouvoir connaître le comportement des autres membres, afin de vérifier s’ils adoptent ou non la même ligne d’action. En deuxième lieu, il est nécessaire que la situation de coordination tacite puisse se maintenir dans la durée, c’est-à-dire qu’il doit exister une incitation à ne pas s’écarter de la ligne de conduite commune sur le marché. En troisième lieu, pour démontrer à suffisance de droit l’existence d’une position dominante collective, la Commission doit également établir que la réaction prévisible des concurrents actuels et potentiels ainsi que des consommateurs ne remettrait pas en cause les résultats attendus de la ligne d’action commune (arrêt Airtours, point 11 supra, point 62).

79      Dans le cadre du recours en annulation, le Tribunal a conclu que, au vu de tout ce qui précédait, force était de conclure que la Commission, dans la décision Airtours, loin d’avoir fondé son analyse prospective sur des preuves solides, avait commis un ensemble d’erreurs d’appréciation concernant des éléments importants pour l’évaluation de l’éventuelle création d’une position dominante collective. La Commission avait donc interdit l’opération sans avoir établi à suffisance de droit que l’opération de concentration engendrerait une position dominante collective des trois grands voyagistes en résultant susceptible de constituer une entrave significative à une concurrence effective sur le marché en cause (arrêt Airtours, point 11 supra, point 294).

80      En matière de responsabilité non contractuelle, il ne saurait être en principe exclu que des vices manifestes et graves affectant l’analyse économique sous-jacente à une décision, adoptée sur la base de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun en application de l’article 2, paragraphes 1 et 3, dudit règlement puissent constituer des violations suffisamment caractérisées pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de la jurisprudence (voir points 37 à 43 ci-dessus)

81      Une telle détermination impose toutefois de tenir compte de ce que les analyses économiques nécessaires à la qualification d’une situation ou d’une opération en droit de la concurrence sont généralement, tant sur le plan des faits que sur celui du raisonnement élaboré à partir de leur description, des énoncés intellectuels complexes et difficiles, dans lesquels peuvent se glisser certaines insuffisances, telles que des approximations, des incohérences, voire certaines omissions. Cela est d’autant plus vrai dans la cadre du contrôle des concentrations compte tenu notamment des contraintes de délai qui s’imposent à l’institution. Il importe de relever, en effet, que, pour des raisons de sécurité juridique liées à la nécessité de permettre aux opérateurs économiques d’obtenir une décision de la Commission le plus rapidement possible pour pouvoir réaliser leur opération, celle-ci intervient dans le cadre de délais courts et stricts. En cas de doutes sérieux sur les effets de l’opération notifiée sur la concurrence, la Commission ne dispose que de quatre mois pour enquêter sur cette opération et obtenir l’avis de toutes les parties concernées ou intéressées.

82      De telles insuffisances dans l’analyse économique risquent d’autant plus de se produire lorsque, comme c’est le cas dans le contrôle des concentrations, l’analyse comporte un aspect prospectif. La gravité d’une insuffisance documentaire ou logique peut, dans ces conditions, ne pas toujours constituer une circonstance suffisante pour entraîner l’engagement de la responsabilité communautaire. En l’espèce, il y a lieu de relever que la difficulté intrinsèque propre à l’aspect prospectif de l’analyse des effets de l’opération sur la situation de concurrence, à la suite de sa réalisation, est encore renforcée par le fait que la situation économique en cause était particulièrement complexe, dans la mesure où il s’agissait, pour la Commission, d’apprécier l’éventuelle création d’une position dominante collective, de nature oligopolistique et non simplement duopolistique, sur un marché qui concerne un produit combinant une vente en agence de voyage, un transport aérien et un séjour en hôtel et où la concurrence s’exerce plutôt sur la capacité que sur les prix.

83      Il est, également, nécessaire de rappeler que la Commission dispose d’une marge d’appréciation aux fins de conserver la maîtrise de la politique communautaire de la concurrence, ce qui implique qu’une pratique rigoureusement constante et invariable dans la mise en œuvre des règles pertinentes ne saurait être attendue d’elle et, corrélativement, qu’elle jouit d’une certaine latitude dans le choix des instruments économétriques à sa disposition, ainsi que dans celui des angles d’approche appropriés pour l’étude d’un phénomène (voir, en ce sens, s’agissant de la définition du marché pertinent, arrêts du Tribunal du 17 décembre 2003, British Airways/Commission T‑219/99, Rec. p. II‑5917, points 89 et suivants, et du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, non encore publié au Recueil, point 482), pour autant que ces choix ne soient pas manifestement contraires aux règles admises de la discipline économique et soient mis en œuvre de manière conséquente.

84      La complexité des situations à régler en matière de contrôle des concentrations, les difficultés d’application liées aux contraintes de temps qui s’imposent à l’administration dans ce cadre, ainsi que la marge d’appréciation qu’il convient de reconnaître à la Commission doivent être prises en considération pour apprécier l’existence d’une éventuelle violation suffisamment caractérisée commise par la Commission dans le cadre de son analyse des effets de l’opération Airtours/First Choice sur la concurrence.

85      En conséquence, l’analyse du Tribunal dans le cadre du recours en indemnité doit nécessairement prendre en considération les contingences et les difficultés propres au contrôle des concentrations en général et aux structures d’oligopoles complexes en particulier. C’est en ce sens qu’il convient d’interpréter le pouvoir d’appréciation de l’administration au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Bergaderm, point 30 supra. Cet exercice est en soi plus exigeant que celui qui s’impose dans le cadre d’un recours en annulation, dans le cadre duquel le Tribunal se contente, dans les limites des moyens présentés par la partie requérante, d’examiner la légalité de la décision attaquée pour s’assurer que la Commission a correctement apprécié les différents éléments lui permettant de déclarer l’opération notifiée incompatible avec le marché commun au sens de l’article 2, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 4064/89. Dès lors, contrairement à ce qu’affirme la requérante, de simples erreurs d’appréciation et l’absence de présentation de preuves pertinentes retenues dans le cadre de l’arrêt Airtours, point 11 supra, ne sauraient suffire en tant que telles à qualifier une violation manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission en matière de contrôle des concentrations et en présence d’une situation d’oligopole complexe.

86      Dans ce contexte, l’argumentation relative à la faible croissance de la demande nécessite un examen particulier, dans la mesure où les appréciations de la Commission reposent sur ce point sur une appréciation incomplète et erronée des données qui lui ont été communiquées dans le cadre de la procédure administrative et dont il est fait état dans la décision Airtours (voir point 64 ci‑dessus, arrêt Airtours, point 12 supra, point 127). Néanmoins, les contraintes propres au contrôle des concentrations sont telles que le seul fait que la Commission a interprété un document sans respecter sa teneur littérale et sa portée téléologique, alors même qu’elle a décidé de le retenir comme un document essentiel dans son appréciation selon laquelle le taux de croissance du marché a été modéré dans les années 90 et le restera (arrêt Airtours, point 11 supra, point 130), ne constitue pas une circonstance suffisante pour entraîner l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté (voir point 82 ci-dessus). Il en est de même en ce qui concerne le fait, pour la Commission, d’avoir ignoré certaines données présentes dans le dossier auxquelles se référait le document dont il est ici question (arrêt Airtours, point 11 supra, point 132).

87      En l’espèce, la Commission disposait en effet d’éléments de preuve dans le dossier administratif qui pouvait lui laisser raisonnablement penser que la croissance allait augmenter faiblement dans les années à venir. Le fait que l’appréciation retenue dans la décision Airtours ait été remise en cause par le Tribunal s’inscrit dans le cadre du contentieux de la légalité, dans lequel le Tribunal examine les conclusions en droit et en fait effectuées par la Commission au vu des arguments présentés par la requérante dans son recours et des éléments repris dans ladite décision. Cette circonstance ne signifie pas, toutefois, que la Commission a commis une violation manifeste et grave de son pouvoir d’appréciation en matière de contrôle des concentrations, à compter du moment où, comme en l’espèce, elle est capable d’expliquer les raisons pour lesquelles elle pouvait raisonnablement penser que son appréciation était fondée. Il ressort, à cet égard, du dossier administratif, que la requérante elle-même avait fourni à la Commission des données envisageant un faible taux de croissance annuel de la demande pour les années 2000 à 2002.

88      En ce qui concerne l’argumentation relative à la transparence du marché, il ne peut être contesté que la Commission n’a pas pris en compte sur ce point un élément clé pour caractériser une position dominante collective restrictive de concurrence (voir point 66 ci-dessus et arrêt Airtours, point 11 supra, points 156 à 180). Pour autant, à l’instar de la croissance de la demande, le raisonnement exposé sur ce point dans la décision Airtours montre que si les conclusions auxquelles arrive la Commission n’ont pas convaincu le Tribunal, dans la mesure où ce raisonnement n’était pas suffisamment étayé par des preuves ou a été mal expliqué, il n’en demeure pas moins que celle-ci s’est prononcée à la suite d’un examen attentif des données fournies dans le cadre de la procédure administrative. Même si une illégalité a été établie dans le cadre du recours en annulation, cette erreur d’appréciation peut être expliquée par les contraintes objectives qui pèsent sur l’institution et ses agents par l’effet des dispositions régissant le contrôle des concentrations (voir point 43 ci-dessus).

89      En effet, même si l’approche retenue par la Commission dans la décision Airtours, qui se limitait à prendre globalement en considération le nombre total de vacances à forfait proposé par chaque opérateur, n’a pas été retenue par le Tribunal, qui lui a préféré l’approche défendue par la requérante, selon laquelle ce processus complexe ne consiste pas simplement à reconduire la capacité estimée ou vendue par le passé, mais à adopter une myriade de décisions hétérogènes au niveau microéconomique en considération d’estimations relatives à la volatilité du marché et à la croissance de la demande, il n’en demeure pas moins que, au vu des éléments présents dans le dossier administratif, la thèse développée par la Commission, pour erronée qu’elle soit au regard du contrôle de légalité, ne constitue pas une erreur suffisamment caractérisée pour être considérée comme étrangère au comportement normal d’une institution chargée de veiller à l’application des règles de concurrence.

90      Par ailleurs, force est de relever que les autres erreurs constatées dans le cadre de l’arrêt Airtours, point 11 supra, ne sont pas non plus suffisamment caractérisées pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

91      Il en est ainsi du prétendu manquement à l’obligation de définir la situation du marché en l’absence de concentration (voir point 56 ci-dessus), dès lors qu’il ressort à suffisance de droit des arguments présentés par la Commission que ladite situation a été examinée par ses services sur la base des éléments de preuve disponibles afin d’identifier quelles seraient les modifications apportées à la structure de concurrence à la suite de la réalisation de l’opération.

92      Il en est de même des arguments pris de l’instabilité des parts de marché (voir point 60 ci-dessus), du prétendu manquement à l’obligation d’examiner l’existence d’un mécanisme dissuasif (voir point 68 ci-dessus) et du prétendu manquement à l’obligation d’accorder de l’importance à la réaction des concurrents et des consommateurs actuels et éventuels (voir point 70 ci-dessus), dans la mesure où la thèse défendue sur ces points par la Commission, laquelle n’a pas convaincu le Tribunal, ne correspond pas à une méconnaissance manifeste et grave des éléments présents dans le dossier administratif.

93      Le même raisonnement vaut pour ce qui concerne l’argument pris de l’instabilité de la demande (voir point 62 ci-dessus), dès lors que l’insuffisance invoquée par la requérante n’a pas eu une importance telle qu’elle puisse être considérée comme suffisamment caractérisée pour engager la responsabilité de la Communauté. La Commission relève d’ailleurs, à cet égard, que les éléments de preuve avancés sur ce point par la requérante n’étaient pas en soi suffisants pour démontrer l’instabilité de la demande.

c)     Sur les arguments relatifs à l’effet cumulatif des cas de méconnaissance des éléments de preuve et à l’insuffisance de motivation

94      Prises individuellement, les erreurs d’appréciation relevées par le Tribunal dans l’arrêt Airtours, point 11 supra, peuvent être expliquées par les contraintes objectives propres au contrôle des concentrations et à la complexité particulière de la situation de concurrence examinée en l’espèce. Cette analyse n’est pas remise en cause par l’effet cumulatif invoqué par la requérante, qui soutient qu’une série d’erreurs, considérée globalement, peut suffire à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

95      À cet égard, il convient de relever que le point 107 de l’arrêt Scan Office Design/Commission, point 72 supra, ne peut être invoqué au soutien d’une telle argumentation, dans la mesure où le Tribunal y relève que la Commission a commis dans cette affaire une « série de fautes graves, qui, individuellement ou à tout le moins prises ensemble, sont à considérer comme remplissant la première des trois conditions nécessaires pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté ». Ces fautes sont d’une nature très différente de celle des erreurs d’appréciation relevées par le Tribunal dans l’arrêt Airtours, point 11 supra. Il s’agissait, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Scan Office Design/Commission, point 72 supra, de fautes caractérisées commises dans le cadre de l’évaluation d’un marché public, à savoir le refus par la Commission de communiquer des documents au motif erroné qu’ils n’existaient pas, l’acceptation d’une offre relative à un marché public présentée hors délai, la prise en compte d’une évaluation non signée et non commentée ou d’évaluations irrégulières et le choix d’une offre non conforme au cahier des charges. Dans la présente affaire, les erreurs d’appréciation ont été réalisées par les services de la Commission lorsqu’ils ont été amenés à examiner de nombreux éléments de preuve pour analyser une situation de concurrence particulièrement difficile à qualifier. La marge d’appréciation qu’il convient de reconnaître à la Commission dans le cadre des questions de responsabilité non contractuelle intéressant le contrôle des concentrations s’applique tant au niveau de l’examen individuel des erreurs susceptibles d’être commises au stade de l’analyse des effets de l’opération sur la concurrence qu’au stade de l’examen global de telles erreurs. En conséquence, il n’y a pas lieu en l’espèce de considérer que le simple fait que de nombreuses erreurs d’appréciation ont été recensées dans l’arrêt Airtours, point 11 supra, entraîne nécessairement l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

96      Enfin, en ce qui concerne l’argument pris de l’insuffisante motivation de la décision Airtours, il convient de relever que celui-ci n’est pas susceptible en l’espèce d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté. Il ressort, en effet, de l’arrêt Airtours, point 11 supra, que l’analyse par le Tribunal du troisième moyen, tiré tant de la violation de l’article 2 du règlement n° 4064/89 que de la violation de l’article 253 CE, se concentre sur les seuls arguments relatifs à la violation de l’article 2 du règlement n° 4064/89. L’annulation de la décision Airtours repose ainsi sur le fait que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit, au vu des preuves dont il est fait état dans ladite décision, que l’opération de concentration engendrerait une position dominante collective susceptible de constituer une entrave significative à une concurrence effective sur le marché en cause (arrêt Airtours, point 11 supra, point 294). La décision Airtours comportait ainsi une motivation suffisante ayant permis au Tribunal de contrôler sa légalité, même si, sur le fond, cette motivation s’est révélée erronée au terme de ce contrôle.

97      Il ressort de ce qui précède que la Commission n’a pas commis de violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers au sens de la jurisprudence dans le cadre de son analyse de l’opération Airtours/First Choice au regard des critères relatifs à la création d’une position dominante collective.

C –  Sur l’éventuelle illégalité commise au stade de l’analyse des engagements

1.     Sur la recevabilité de l’argumentation relative à une éventuelle illégalité commise au stade de l’analyse des engagements

a)     Arguments des parties

98      La Commission soutient que l’argumentation relative à une éventuelle illégalité commise au stade de l’analyse des engagements est irrecevable, parce que la requête ne développe pas, ne serait-ce que sommairement, ce moyen et que la requérante ne peut se contenter de renvoyer sur ce point à des annexes qui reprennent des arguments exposés dans le cadre du recours en annulation.

99      La requérante relève qu’il importe seulement en l’espèce de savoir si la Commission peut prendre position sur le moyen invoqué et si le Tribunal est en mesure d’exercer son pouvoir de contrôle. Les éléments présentés sur ce point dans la requête satisfont à ce critère et sont développés dans les annexes 15 et 16 de ce mémoire, qui contiennent les éléments de preuve nécessaires.

b)     Appréciation du Tribunal

100    En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnances du Tribunal du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T-85/92, Rec. p. II‑523, point 20, et du 11 juillet 2005, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑294/04, Rec. p. II‑2719, point 23).

101    Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que la requérante reproche à celle-ci (ordonnance Internationaler Hilfsfonds/Commission, point 100 supra, point 24).

102    En l’espèce, la requérante indique, dans sa requête, que le refus de la part de la Commission d’accepter et même d’examiner les engagements présentés lors de la procédure administrative constitue une violation suffisamment caractérisée de plusieurs règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. À cet égard, les renvois effectués dans la requête à l’argumentation avancée au soutien du quatrième moyen dans le cadre du recours en annulation dans l’affaire T-342/99, sur la légalité de la décision Airtours au regard des règles relatives aux engagements, présentée en détail dans les annexes 15 et 16 de ce mémoire, sont à considérer comme une simple ampliation de l’exposé figurant dans la requête de l’illégalité censée entacher le comportement reproché à la Commission en ce qui concerne l’analyse des engagements proposés.

103    Au vu de ces indications, la Commission a été en mesure de préparer sa défense sur le fond de ce moyen.

104    Il convient donc de rejeter les observations de la Commission sur la recevabilité du moyen relatif à l’existence d’une éventuelle illégalité commise au stade de l’analyse des engagements.

2.     Sur le fond

a)     Arguments des parties

 Sur l’argumentation présentée dans les mémoires des parties

105    Dans ses mémoires, la requérante fait valoir que, en refusant d’accepter et même d’envisager les engagements qu’elle avait proposés lors de la procédure administrative, la Commission a violé l’article 2 et l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, le principe de proportionnalité, le principe de bonne administration, l’obligation de diligence ainsi que l’obligation d’appliquer correctement ses propres procédures pour l’examen des engagements. Ces violations constitueraient une violation suffisamment caractérisée au sens de la jurisprudence. En particulier, la requérante fait valoir que, si la Commission avait accepté et non rejeté à tort les engagements qu’elle avait proposés, l’opération aurait été autorisée, conformément à l’article 2, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89, et qu’il en serait ainsi même si de tels engagements n’étaient pas nécessaires, dans la mesure où l’opération n’entraînait pas de problèmes de concurrence. La requérante soutient également que la Commission aurait dû tenir compte de la seconde série d’engagements nonobstant le fait qu’ils étaient proposés en dehors du délai prévu par le règlement n° 4064/89.

106    La Commission relève qu’il ressort de la décision Airtours que la première série d’engagements n’était pas suffisante pour rendre l’opération notifiée compatible avec le marché commun, dans la mesure où la création d’un seul voyagiste de taille moyenne dépendant des chaînes d’agences de voyage contrôlées par les grands voyagistes n’aurait pas garanti une concurrence suffisante sur le marché en cause (considérants 186 à 192 de la décision Airtours). S’agissant de la seconde série d’engagements, présentée après l’expiration du délai prévu à l’article 18, paragraphe 2, du règlement n° 447/98, la Commission précise que, même si ce délai peut être prolongé dans des cas exceptionnels, la requérante n’a ni demandé une prolongation, ni fait état de circonstances susceptibles de justifier une telle mesure avant l’expiration dudit délai. De plus, la seconde série d’engagements n’aurait contenu aucun élément ne pouvant être inclus dans la première série d’engagements. En outre, le temps aurait manqué pour examiner correctement les nouveaux engagements (considérant 193 de la décision Airtours). Le rejet des engagements proposés serait donc justifié et ne constituerait pas une violation suffisamment caractérisée à même d’engager la responsabilité de la Communauté.

 Sur la possibilité d’examiner les engagements du 15 septembre 1999 dans le délai restant à courir

107    En réponse aux mesures d’organisation de la procédure décidées par le Tribunal, qui visaient à savoir pour quelles raisons la Commission n’était pas en mesure d’évaluer utilement les engagements présentés le 15 septembre 1999 dans le « court délai qui restait » et quelles étaient les investigations supplémentaires qui auraient été requises pour évaluer ces engagements, la requérante fait valoir que la Commission était pleinement en mesure d’examiner ces engagements et que son refus de le faire ne saurait trouver ni justification ni explication dans les contraintes particulières qui s’imposent objectivement au service dans un fonctionnement normal.

108    La Commission expose les raisons pour lesquelles, même si le délai pour se prononcer sur l’opération Airtours expirait le 5 octobre 1999, le projet de décision devait être terminé le mardi 21 septembre 1999 avant midi. En effet, la pratique de la Commission serait de préparer le projet de décision pour la réunion du collège de ses membres qui est organisée la semaine qui précède la semaine au cours de laquelle le délai prend fin afin de tenir compte de la possibilité qu’une majorité d’entre eux demande des modifications. En l’espèce, les services de la Commission n’auraient donc disposé que de trois jours et demi ouvrés pour examiner les engagements présentés le mercredi 15 septembre 1999, soit le jeudi 16, le vendredi 17, le lundi 20 et la matinée du mardi 21 septembre 1999. Compte tenu du fait qu’il restait encore d’importantes incertitudes, qu’un nouveau test de marché et une nouvelle consultation du comité consultatif devaient être réalisés en trois jours et demi, que les commentaires reçus en ce qui concerne le premier test de marché étaient très négatifs, que tout ce qui était dans la seconde série d’engagements aurait pu être présenté initialement et que la requérante n’avait pas demandé de dérogation ni présenté de circonstances exceptionnelles convaincantes pour en bénéficier, la Commission estime que les engagements présentés le 15 septembre 1999 ne devaient pas être examinés.

 Sur le caractère suffisant ou non des engagements présentés le 15 septembre 1999 et les suites données à la demande du Tribunal sur la production de documents relatifs à cette appréciation

109    En réponse à la mesure d’organisation de la procédure décidée par le Tribunal, qui visait à savoir dans quelle mesure les engagements présentés le 15 septembre 1999 permettaient ou non de répondre aux problèmes identifiés par la Commission à ce stade de la procédure, la requérante fait valoir que la Commission avait fait état de deux préoccupations, à savoir la nécessité de constituer une quatrième force avec au moins 10 % du marché pertinent et l’accès de cette entité à un réseau de distribution. Ces deux points seraient satisfaits par les engagements proposés : la quatrième force, Cosmos, soit 0,8 million de forfaits vendus en 1998, recevrait une activité représentant 0,7 million de forfaits vendus, ce qui lui permettrait avec 1,5 million de représenter plus de 10 % du marché pertinent évalué en 1998 à 13,9 millions de passagers, et le réseau de distribution de First Choice lui serait cédé ainsi qu’un accès à une partie du réseau de la requérante pendant cinq ans.

110    La Commission fait valoir que ses préoccupations visaient, d’une part, à permettre la reconstitution d’une quatrième force avec un accès à un réseau de distribution et, d’autre part, à garantir le maintien de la concurrence exercée par les petits voyagistes. Elle indique que ces préoccupations ressortaient principalement des observations effectuées par les entreprises et associations qui avaient répondu au test de marché effectué en ce qui concerne la première série d’engagements.

111    Dans ce contexte, la Commission soutient que les engagements présentés le 15 septembre 1999, après une réunion avec la Commission le même jour, étaient nouveaux et substantiellement modifiés par rapport à la version antérieure et qu’ils ne permettaient pas de répondre clairement et de manière définitive aux problèmes identifiés à ce stade. Ainsi, même si elle a formellement rejeté lesdits engagements pour des raisons procédurales, la Commission indique qu’elle a tout de même réalisé une appréciation préliminaire de ces engagements afin de déterminer si la possibilité d’interroger les parties intéressées et le comité consultatif pouvait donner lieu à une réponse positive. Or, selon la Commission, plusieurs zones d’incertitudes demeuraient et elle ne pouvait conclure avec confiance à la disparition de ses préoccupations en ce qui concerne la création d’une position dominante collective.

112    Lors de l’audience du 29 avril 2008, le Tribunal a ordonné à la Commission, en application de l’article 65, sous b), et de l’article 67, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement de procédure, de produire tous les documents en sa possession relatifs à l’appréciation des engagement présentés le 15 septembre 1999, qui ont été rédigés entre cette date et la date à laquelle la décision Airtours a été adoptée, à savoir le 22 septembre 1999.

113    En réponse à cette demande, la Commission a produit deux documents dans le cadre de l’audience du 29 avril 2008. Le premier document est une note au dossier, non datée, qui résume le contenu des discussions intervenues avant et lors de la réunion organisée à la Commission le 15 septembre 1999 en ce qui concerne les engagements et, tout spécialement, la proposition d’engagements présentée à titre informelle le 14 septembre 1999. Le second document est une note datée du 16 septembre 1999, préparée par le directeur de la Merger Task Force (ci-après la « MTF ») à l’attention du membre de la Commission chargé des questions de concurrence, qui se prononce sur les engagements présentés le 15 septembre 1999 sous l’angle procédural et sous l’angle du fond. Ce second document expose en substance, aux points 11 à 13, le contenu des observations présentées par la Commission en réponse à la question du Tribunal sur l’appréciation des engagements.

114    Dans le délai prévu à cet effet par le Tribunal, la Commission a également produit d’autres documents :

–        une note au dossier, datée du 16 septembre 1999, préparée par un chef d’unité de la MTF et relative aux principes applicables à la présentation d’engagements hors délai ;

–        une note datée du 17 septembre 1999, préparée par le même chef d’unité à l’attention d’un fonctionnaire du secrétariat général, ainsi qu’une version révisée de cette note, qui contiennent le texte de la communication à venir du membre de la Commission chargé des questions de concurrence et qui font état de doutes et d’incertitudes en ce qui concerne l’appréciation de la substance des engagements proposés le 15 septembre 1999 ;

–        des notes de discours du membre de la Commission chargé des questions de concurrence destinées à être utilisées lors de la réunion de la Commission sur le projet de décision Airtours, lesquelles font état de doutes et d’incertitudes en ce qui concerne l’appréciation de la substance des engagements proposés le 15 septembre 1999 ;

–        un projet de décision Airtours, lequel ne mentionne pas d’éléments relatifs à l’appréciation de la substance des engagements proposés le 15 septembre 1999, mais fait seulement valoir que ces engagements ont été présentés trop tardivement ;

–        une note reprenant des éléments de langage intitulée « Points défensifs – offre d’engagements » préparée par la MTF à l’attention du membre de la Commission chargé de la concurrence afin de présenter des arguments relatifs notamment à l’appréciation de la substance des engagements proposés le 15 septembre 1999.

115    Dans le délai prévu à cet effet par le Tribunal, la requérante a présenté ses commentaires sur les différents documents produits par la Commission à la suite de la demande du Tribunal.

b)     Appréciation du Tribunal

116    Le contrôle des concentrations a pour objet de fournir aux entreprises concernées l’autorisation nécessaire et préalable à la réalisation de toute opération de concentration de dimension communautaire. Dans le cadre de ce contrôle, ces entreprises peuvent proposer des engagements à la Commission afin d’obtenir une décision constatant la compatibilité de leur opération avec le marché commun.

117    Selon l’état d’avancement de la procédure administrative, les engagements proposés doivent permettre à la Commission ou de considérer que l’opération notifiée ne soulève plus de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun au stade de l’enquête préliminaire (article 6, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89) ou de répondre aux objections retenues dans le cadre de l’enquête approfondie (article 18, paragraphe 3, lu conjointement avec article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89). Ces engagements permettent donc, tout d’abord, d’éviter l’ouverture d’une phase d’enquête approfondie ou, par la suite, d’éviter l’adoption d’une décision déclarant l’incompatibilité de l’opération avec le marché commun.

118    L’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 permet, en effet, à la Commission d’assortir une décision déclarant une concentration compatible avec le marché commun, en application du critère défini à l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement, de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu’elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le marché commun.

119    Compte tenu tant de l’importance des intérêts financiers et des enjeux industriels ou commerciaux inhérents à ce type d’opérations que des pouvoirs dont dispose la Commission en la matière, il est possible de s’attendre à ce que les entreprises concernées fassent tout pour faciliter le travail de l’administration. Ces mêmes raisons obligent également la Commission à faire preuve de la plus grande diligence dans l’exercice de sa mission de contrôle des concentrations.

120    En l’espèce, il ressort de la décision Airtours et des réponses des parties aux questions du Tribunal que la Commission a décidé d’engager la procédure d’enquête approfondie le 3 juin 1999. Elle a également donné à la requérante la possibilité de faire connaître ses observations sur les objections soulevées par ses services en lui adressant une communication des griefs le 9 juillet 1999 et ces questions ont été abordées lors de l’audition qui s’est tenue les 28 et 29 juillet 1999. Afin de répondre à ces objections, la requérante a proposé le 19 août 1999 plusieurs engagements à la Commission. Initialement, les engagements envisagés visaient seulement à garantir le maintien de la concurrence par les petits voyagistes. La Commission a indiqué, toutefois, à la requérante que la reconstitution d’une quatrième force était de nature à constituer une mesure corrective effective pour répondre aux problèmes de concurrence identifiés à ce stade. Ce point a été abordé par la requérante lors d’une réunion qui s’est tenue avec la Commission le 24 août 1999 à propos des engagements proposés le 19 août 1999. Par la suite, il a fait l’objet de la première série d’engagements, présentés formellement le 7 septembre 1999 après discussions avec les services de la Commission, et de la seconde série d’engagements, qui révisaient les précédents, présentés formellement le 15 septembre 1999 à la suite d’une réunion qui s’est tenue le même jour avec la Commission.

121    Par ailleurs, il y a lieu de relever que, au considérant 193 de la décision Airtours, la Commission considère que les engagements présentés le 15 septembre 1999 n’avaient pas à être pris en considération par ses services, parce qu’ils étaient présentés en dehors du délai de trois mois prévu à l’article 18, paragraphe 2, du règlement n° 447/98, lequel prenait fin le 7 septembre 1999, en l’absence de circonstances exceptionnelles pertinentes et qu’il n’était pas possible de les « évaluer utilement dans le court délai qui restait avant l’expiration du délai fixé à l’article 10, paragraphe 3, du règlement [n° 4064/89] », à savoir le 5 octobre 1999. Ce point n’est pas contesté par les parties.

122    Il n’est également pas contesté par les parties que, de sa propre initiative, la requérante a présenté de nouveaux engagements le 15 septembre 1999 afin de remplacer ceux qui avaient été présentés le 7 septembre 1999. Cette proposition d’engagements révisés a été faite, sur la base des objections identifiées dans la communication des griefs et du résultat du premier test de marché réalisé à propos des engagements initiaux, en vue de répondre aux problèmes de concurrence identifiés à ce stade par la Commission. C’est cette dernière proposition d’engagements qu’il convient en l’espèce de prendre en considération.

123    En effet, le fait que le Tribunal ait déclaré illégale l’appréciation des effets de l’opération sur la concurrence exposée par la Commission dans la décision Airtours ne signifie pas que le refus d’accepter les engagements proposés le 15 septembre 1999 soit de ce seul fait illégal. Au stade où s’exerce l’analyse du Tribunal, la décision Airtours n’a pas encore été adoptée et c’est librement et en connaissance de cause que la requérante a décidé de proposer à la Commission des solutions permettant de répondre aux objections identifiées alors afin d’obtenir une décision de compatibilité. C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier l’existence d’une éventuelle violation suffisamment caractérisée au stade de l’analyse des engagements proposés et non au vu d’éléments qui n’étaient pas encore connus des parties dans le cadre de la discussion sur les engagements.

124    Lors de l’audience du 29 avril 2008, la Commission a précisé que, à l’époque des faits, en septembre 1999, sa pratique relative à l’examen des engagements présentés hors délai était d’accepter de tels engagements seulement s’ils étaient de nature à répondre clairement aux objections soulevées à ce stade en ce qui concerne la compatibilité de l’opération avec la concurrence sur le marché commun. Ce comportement est conforme à l’obligation de diligence qui incombe à l’administration dans le cadre de la mise en œuvre des pouvoirs de décision qui lui sont confiés en vertu de l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89 (voir point 49 ci-dessus).

125    Selon les indications fournies en réponse à une question du Tribunal sur ce point, la Commission a relevé que son attitude initiale, relativement indulgente et conciliante, avait rapidement montré ses limites. Les entreprises concernées avaient tendance à attendre le dernier moment pour présenter leurs engagements et cela menaçait la bonne conduite de la procédure décisionnelle en matière de contrôle des concentrations en empêchant la Commission d’examiner ces engagements et de consulter les tiers et les représentants des États membres dans de bonnes conditions. À compter du 27 mai 1998, la Commission a décidé d’appliquer plus strictement le délai de trois mois prévu à l’article 18, paragraphe 2, du règlement n° 447/98 afin de limiter la possibilité d’examiner les engagements tardifs aux seuls cas pour lesquels elle est encore en mesure d’effectuer une évaluation valable.

126    Cette pratique a d’ailleurs été reprise, par la suite, dans sa communication concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement n° 4064/89 et au règlement n° 447/98 (JO 2001, C 68, p. 3), afin d’exposer les enseignements qui résultaient de l’expérience acquise en matière d’engagements depuis l’entrée en vigueur du règlement n° 4064/89. Cette communication indique au point 43 que la Commission accepte d’examiner des engagements modifiés, lorsqu’ils lui sont soumis après la limite prévue par le règlement n° 447/98, « si elle peut établir clairement – sur la base de son appréciation des informations déjà obtenues dans le cadre de l’enquête, notamment des résultats de la consultation antérieure des acteurs du marché et sans avoir recours à une autre consultation du même type – que, une fois mis en œuvre, de tels engagements élimineront les problèmes de concurrence constatés et qu’ils laissent suffisamment de temps pour la consultation des États membres ».

127    Dans une affaire intéressant une opération de concentration notifiée en 2004, le Tribunal a considéré qu’il résultait de cette communication, qui engageait de manière volontaire la Commission, que les parties à une opération de concentration notifiée peuvent voir pris en compte leurs engagements soumis tardivement à deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, que ces engagements résolvent clairement et sans besoin d’enquête supplémentaire les problèmes concurrentiels préalablement identifiés et, d’autre part, qu’il existe un temps suffisant pour consulter les États membres sur ces engagements (arrêt du Tribunal du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T‑87/05, Rec. p. II‑3745, points 162 et 163).

128    Force est de constater que, certes contrairement à ce qui est indiqué dans la décision Airtours, la Commission n’a pas rejeté les engagements du 15 septembre 1999 sans s’être demandée s’ils n’étaient pas en mesure de répondre clairement aux objections soulevées à ce stade de la procédure.

129    À cet égard, les documents présentés en réponse à la demande du Tribunal exposent les raisons pour lesquelles la Commission pouvait considérer que ces engagements n’étaient pas satisfaisants pour répondre à ces objections. La note du directeur de la MTF du 16 septembre 1999 et la note sur les points défensifs préparée par la MTF à l’attention du membre de la Commission chargé de la concurrence font ainsi état des doutes de la Commission en ce qui concerne l’allégation selon laquelle la part de marché du nouvel ensemble proposé par la requérante, la quatrième force, était de 10 %. En effet, non seulement la part de marché de First Choice était plus importante que celle de la quatrième force qui était proposée par la requérante en remplacement, 11 % selon les données les plus basses, mais aussi et surtout ce chiffre de 10 % était atteint en présupposant que Cosmos, qui constituait l’un des éléments de cette quatrième force, connaisse une croissance interne significative d’une année sur l’autre, de 0,55 million de forfaits vendus en 1998/1999 à 0,8 million de forfaits vendus en 1999/2000 soit 45 % en un an. Or, une telle croissance interne n’était guère envisageable compte tenu des caractéristiques du marché. De même, ces documents font état des doutes et des incertitudes en ce qui concerne plusieurs points, tels la composition exacte des forfaits transférés à la nouvelle activité, l’intérêt que pouvait avoir Cosmos, qui n’attachait pas une grande importance à l’utilisation d’un réseau d’agences, à reprendre le réseau d’agences de First Choice, et l’indépendance de Cosmos vis-à-vis des trois principaux opérateurs qui restaient sur le marché après l’opération et qui achetaient l’essentiel des sièges d’avions vendus par Cosmos. Les engagements présentés le 15 septembre 1999 ont donc bien été examinés par les services de la Commission, qui ont relevé plusieurs éléments à même de faire douter du fait qu’ils permettaient de répondre clairement aux objections identifiées à ce stade de la procédure.

130    Le fait que la Commission, dans la décision Airtours, ne fasse pas état de l’analyse des engagements présentés le 15 septembre 1999, à laquelle ses services se sont livrés, ne saurait empêcher le Tribunal de tenir compte des documents pertinents et suffisamment probants présentés en ce sens dans le cadre du présent recours, lesquels démontrent la réalité de cette analyse à suffisance de droit.

131    Sans qu’il soit nécessaire de prendre position sur la possibilité pour la Commission d’examiner dans la période de temps disponible les engagements révisés présentés le 15 septembre 1999, il ressort de ce qui précède qu’il s’avère que ces engagements n’étaient pas de nature à répondre clairement aux objections soulevées à ce stade en ce qui concerne la compatibilité de l’opération avec la concurrence dans le marché commun. Le comportement de la Commission n’a donc pas eu pour conséquence de priver la requérante de toute chance que l’opération soit déclarée compatible avec le marché commun. La Commission n’a donc pas violé son obligation de diligence sur ce point.

132    En conséquence, la Commission n’a pas commis de violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits au profit des particuliers à même d’engager la responsabilité de la Communauté dans le cadre de l’analyse des engagements présentés par la requérante à l’issue de la procédure administrative.

133    Il s’ensuit que le recours doit être rejeté.

134    Il en est de même des différentes demandes de mesures d’organisation de la procédure présentées par la requérante afin d’obtenir certains documents ou de procéder à certaines clarification en termes de faits ou de procédure.. En effet, à la lumière des réponses aux questions posées aux parties et après un examen des documents communiqués par la Commission concernant l’analyse des engagements du 15 septembre 1999 (voir points 113 et 114 ci-dessus), il convient de considérer que les mesures demandées ne sont pas nécessaires pour statuer sur le présent litige et, partant, qu’il n’y a pas lieu de donner une suite favorable à ces demandes.

 Sur les dépens

135    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Cependant, aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du même règlement, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

136    En l’espèce, le Tribunal relève que la Commission fait valoir dans la décision Airtours que, en raison de leur présentation tardive et du manque de temps disponible, elle n’a pas examiné les engagements présentés par la requérante le 15 septembre 1999. Ce faisant, la requérante comme le Tribunal ont pu penser que ces engagements révisés, présentés à l’issue d’une réunion avec les services de la Commission afin de modifier la proposition d’engagements initiale pour mieux répondre aux préoccupations identifiées à ce stade de la procédure, n’avaient pas été examinés par cette institution pour des raisons purement procédurales. Or, il ressort des mesures d’organisation de la procédure et d’instruction, décidées par le Tribunal, d’une part, en vue de préparer l’audience du 29 avril 2008 et, d’autre part, lors de cette audience, que les services de la Commission ne s’étaient pas contentés d’écarter comme tardifs les engagements proposés le 15 septembre 1999, mais qu’ils avaient également réalisé un examen préliminaire de ces engagements pour constater qu’ils n’étaient pas suffisants à ce stade.

137    La démonstration par la Commission du fait qu’un examen approprié des engagements présentés le 15 septembre 1999 a bien été effectué par ses services conformément à la pratique qui était la sienne à cette époque, laquelle constitue un point décisif pour la solution du litige, n’a ainsi été connue de la requérante et du Tribunal qu’à un stade très avancé de la procédure contentieuse.

138    Le caractère tardif de cette information est d’autant plus regrettable que, à plusieurs reprises dans le cadre de la présente affaire et dans le cadre de l’affaire T-403/05 (voir point 18 ci-dessus), la requérante a demandé à la Commission de lui transmettre tous les documents à même, en substance, de lui permettre de faire valoir ses arguments devant le Tribunal. Même s’il peut être considéré a priori que les documents en cause ne sont pas de nature à permettre à une partie à une concentration d’y accéder dans le cadre d’une procédure administrative au titre du règlement n° 4064/89 ou à un membre du public d’y avoir accès à la suite d’une demande au titre du règlement n° 1049/2001, il n’en demeure pas moins que ces documents étaient importants pour permettre à la requérante de faire valoir ses arguments dans le cadre de la présente procédure et au Tribunal d’apprécier la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

139    Ainsi, et même si cela n’a pas eu d’incidence sur la présente affaire dans la mesure où lesdits documents ont été soumis au contradictoire, les documents produits lors de l’audience du 29 avril 2008 et ultérieurement auraient dû être communiqués dès le dépôt par la Commission de son mémoire en défense, dans lequel celle-ci contestait tant la recevabilité que le fond du moyen pris de l’existence d’une éventuelle illégalité commise au stade de l’analyse des engagements. En conséquence, le Tribunal considère qu’il est fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que la Commission supportera ses propres dépens.

140    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dès lors, la République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      MyTravel Group plc supportera ses propres dépens.

3)      La Commission supportera ses propres dépens.

4)      La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

Azizi

Cooke

Cremona

Labucka

 

      Frimodt Nielsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 septembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      J. Azizi

Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Considérations liminaires sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté

1.  Argumentation générale des parties

a)  Sur la notion de violation suffisamment caractérisée

b)  Sur la notion de règle ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Sur la notion de violation suffisamment caractérisée

b)  Sur la notion de règles ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers

B –  Sur l’existence d’une « violation suffisamment caractérisée » au stade de l’appréciation par la Commission des effets de l’opération Airtours/First Choice sur la concurrence dans le marché commun

1.  Arguments des parties

a)  Sur l’obligation de reconnaître le champ d’application limité de l’article 2 du règlement n° 4064/89

b)  Sur l’obligation de définir la situation du marché en l’absence de concentration

c)  Sur l’obligation d’établir les conditions d’une collusion tacite

Sur l’instabilité des parts de marché

Sur l’instabilité de la demande

Sur la faible croissance de la demande

Sur la transparence du marché

Sur l’obligation d’examiner l’existence d’un mécanisme dissuasif

Sur l’obligation d’accorder l’importance due à la réaction des concurrents et des consommateurs actuels et éventuels

d)  Sur l’effet cumulatif des cas de méconnaissance des éléments de preuve et sur l’insuffisance de la motivation

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Sur l’argument relatif à l’obligation de reconnaître le champ d’application limité de l’article 2 du règlement n° 4064/89

b)  Sur les arguments relatifs à l’obligation de définir la situation de marché en l’absence de concentration et à l’obligation d’établir les conditions d’une collusion tacite

c)  Sur les arguments relatifs à l’effet cumulatif des cas de méconnaissance des éléments de preuve et à l’insuffisance de motivation

C –  Sur l’éventuelle illégalité commise au stade de l’analyse des engagements

1.  Sur la recevabilité de l’argumentation relative à une éventuelle illégalité commise au stade de l’analyse des engagements

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur le fond

a)  Arguments des parties

Sur l’argumentation présentée dans les mémoires des parties

Sur la possibilité d’examiner les engagements du 15 septembre 1999 dans le délai restant à courir

Sur le caractère suffisant ou non des engagements présentés le 15 septembre 1999 et les suites données à la demande du Tribunal sur la production de documents relatifs à cette appréciation

b)  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.