Language of document : ECLI:EU:T:2004:223

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
8 juillet 2004 (1)

« Marque communautaire – Procédure d'opposition – Marque antérieure verbale HIPPOVIT – Demande de marque communautaire verbale HIPOVITON – Usage sérieux de la marque antérieure – Article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 40/94 – Droit d'être entendu »

Dans l'affaire T-334/01,

MFE Marienfelde GmbH, établie à Hambourg (Allemagne), représentée par Mes S. Rojahn et S. Freytag, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. E. Joly et G. Schneider, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l'OHMI du 26 septembre 2001 (affaire R 578/2000-4), relative à une procédure d'opposition entre MFE Marienfelde GmbH et Vétoquinol AG,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),



composé de MM. N. J. Forwood, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier : Mme D. Christensen, administrateur,

vu la requête et le mémoire en réplique, déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 24 décembre 2001 et le 29 juillet 2002,

vu le mémoire en réponse et le mémoire en duplique de l'OHMI, déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 24 avril et le 30 octobre 2002,

vu le mémoire en réponse et le mémoire en duplique de la partie intervenante, déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 22 avril et le 29 octobre 2002,

à la suite de l'audience du 11 novembre 2003,

rend le présent



Arrêt




Antécédents du litige

1
Le 30 décembre 1996, l’intervenante, agissant sous son nom antérieur, à savoir Chassot AG, a présenté une demande de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié.

2
La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal HIPOVITON.

3
Les produits pour lesquels l’enregistrement de la marque a été demandé relèvent de la classe 31 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Aliments pour animaux ».

4
Le 11 mai 1998, la demande de marque a été publiée au Bulletin des marques communautaires.

5
Le 11 août 1998, la requérante a formé une opposition, en vertu de l’article 42, paragraphe 1, du règlement n° 40/94, à l’encontre de l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits visés par la demande de marque. L’opposition était fondée sur l’existence d’une marque enregistrée en Allemagne le 17 mai 1972, avec date de priorité du 16 mai 1969. Cette marque (ci-après la « marque antérieure »), consistant en le signe verbal HIPPOVIT, a été enregistrée pour des produits relevant de la classe 31 au sens de l’arrangement de Nice et correspondant à la description suivante : « Aliments pour animaux ».

6
À l’appui de son opposition, la requérante a invoqué le motif relatif de refus visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

7
Par lettre du 15 mars 1999, l’intervenante a demandé que la requérante apporte la preuve, conformément à l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94, que la marque antérieure avait fait l’objet, au cours des cinq années précédant la publication de la demande de marque communautaire, d’un usage sérieux dans l’État membre dans lequel cette marque était protégée. Par une communication du 8 avril 1999, la division d’opposition de l’OHMI (ci-après la « division d’opposition ») a invité la requérante à apporter cette preuve dans un délai de deux mois.

8
Le 4 mai 1999, la requérante a communiqué à l’OHMI, premièrement, quatre plaquettes publicitaires sur lesquelles figurait la marque antérieure ; toutefois, la lettre « O » y était garnie de la tête et de la partie avant d’un corps de cheval. Deuxièmement, elle a produit une page de couverture intitulée « Marienfelder Tierfutter-Programm » (« Aliments pour animaux – le programme Marienfelde »), accompagnée d’un bon de commande, ainsi qu’une brochure intitulée « Ich liebe Pferde von A-Z » (« La passion des chevaux de A à Z »). Troisièmement, elle a présenté une déclaration intitulée « Eidesstattliche Versicherung » (« déclaration tenant lieu de serment ») de son gérant, M. Bode. Celui-ci y indique que le chiffre d’affaires réalisé du fait des ventes sous la marque antérieure s’élevait, pour la période allant de janvier à juin 1998, à 12 500 marks allemands (DEM) et, pour la période allant de janvier à décembre 1998, à 21 100 DEM.

9
Après plusieurs échanges de mémoires entre la requérante et l’intervenante, l’OHMI a adressé à ces parties une communication écrite, en date du 24 janvier 2000, qui était rédigée comme suit :

« L’[OHMI] vous signale qu’aucune observation supplémentaire ne peut être déposée. »

10
Par lettre du 8 février 2000, l’intervenante a, notamment, exposé, d’une part, que le chiffre d’affaires de la requérante généré par les ventes de produits sous la marque antérieure correspondait à la vente de 459 unités et, d’autre part, que le chiffre d’affaires annuel total de la requérante s’élevait à 2,8 millions de DEM en 1998.

11
Par communication écrite du 8 mars 2000, l’OHMI a, en se référant à sa communication écrite du 24 janvier 2000, indiqué à la requérante et à l’intervenante que le contenu de la lettre de l’intervenante du 8 février 2000 ne serait pas pris en compte lors de sa décision.

12
Par décision du 28 mars 2000 (décision n° 601/2000), la division d’opposition a rejeté l’opposition au titre de l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94, au motif que la requérante n’avait pas prouvé que la marque antérieure avait fait l’objet d’un usage sérieux au sens de cette disposition. À cet égard, elle a considéré que la déclaration tenant lieu de serment présentée par la requérante, n’émanant pas d’une personne ou d’une instance neutre, devait être étayée par d’autres preuves. Quant aux autres éléments de preuve présentés par la requérante, la division d’opposition a estimé que ceux-ci ne contenaient aucune indication relative au lieu, à la durée ou à l’importance de l’usage qui a été fait de la marque antérieure.

13
Le 23 mai 2000, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre de l’article 59 du règlement n° 40/94, contre la décision de la division d’opposition.

14
En annexe au mémoire exposant les motifs de ce recours, en date du 28 juillet 2000, la requérante a présenté diverses factures relatives à la participation à différentes foires en 1998, à la location de stands d’exposition et à l’achat d’étiquettes et de matériel publicitaire. En outre, elle a présenté quinze factures relatives à des ventes de produits sous la marque antérieure, effectuées entre le 6 mars 1998 et le 19 mai 1998. Dans ces factures, les noms des acheteurs des produits ont été occultés. Le chiffre d’affaires correspondant à ces factures, pour autant qu’il avait été réalisé avant le 11 mai 1998, s’élevait à 2 753,84 DEM.

15
Dans un mémoire, en date du 9 octobre 2000, l’intervenante a, en se référant à sa lettre du 8 février 2000, réitéré les allégations qui y étaient contenues relatives au chiffre d’affaires de la requérante. La lettre de l’OHMI, en date du 24 octobre 2000, par laquelle celui-ci a communiqué ce mémoire à la requérante, indiquait que cette communication était opérée exclusivement à titre d’information.

16
Par décision du 26 septembre 2001, notifiée à la requérante le 15 octobre 2001 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours. En substance, elle a exposé que la période pertinente, aux fins d’examiner l’usage sérieux de la marque antérieure, s’étendait du 12 mai 1993 au 11 mai 1998 et que la requérante ne prétendait pas avoir utilisé cette marque avant 1998. Quant à la déclaration tenant lieu de serment du gérant de la requérante, la chambre de recours a estimé qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur sa force probante. En effet, elle a considéré que, à supposer que le chiffre d’affaires réalisé en 1998 par les ventes de produits sous la marque antérieure, tel qu’il est indiqué dans cette déclaration, soit établi, il n’en ressortait pas que cette marque avait fait l’objet d’un usage sérieux pendant la période pertinente. Selon la chambre de recours, le chiffre d’affaires de 12 500 DEM, à supposer qu’il ait été réalisé au cours de la période pertinente, d’une part, ne correspondait qu’à la vente d’approximativement 450 unités des produits concernés et, d’autre part, était minime par rapport au chiffre d’affaires annuel total réalisé par la requérante, lequel s’élevait à 2,8 millions de DEM en 1998. Dans ces circonstances, la chambre de recours a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la requérante, en utilisant la marque antérieure sous une forme autre que celle sous laquelle elle a été enregistrée, avait ou non fait un usage de cette marque propre à sauvegarder ses droits.


Conclusions des parties

17
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ainsi que la décision de la division d’opposition du 28 mars 2000 ;

condamner l’OHMI aux dépens.

18
L’OHMI et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

Sur la recevabilité de la demande tendant à l’annulation de la décision de la division d’opposition

19
En l’espèce, la requérante demande aussi bien l’annulation de la décision attaquée que de celle de la division d’opposition. Le Tribunal considère que cette demande est recevable. Elle vise à ce que le Tribunal prenne la décision que, selon la requérante, la chambre de recours aurait dû légalement prendre lorsqu’elle a été saisie du recours formé auprès de l’OHMI. Or, il ressort de l’article 62, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement n° 40/94 que la chambre de recours peut annuler la décision de l’unité de l’OHMI ayant statué en première instance. Une telle annulation figure, dès lors, parmi les mesures qui peuvent être prises par le Tribunal au titre de son pouvoir de réformation, consacré par l’article 63, paragraphe 3, du règlement n° 40/94 [voir, en ce sens, s’agissant d’une demande visant au renvoi d’une affaire à l’examinateur, arrêt du Tribunal du 27 février 2002, Streamserve/OHMI (STREAMSERVE), T‑106/00, Rec. p. II‑723, point 19, confirmé par ordonnance de la Cour du 5 février 2004, Streamserve/OHMI, C‑150/02 P, non encore publiée au Recueil].

Sur le fond

20
À l’appui de son recours, la requérante soulève cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation des dispositions combinées de l’article 43, paragraphes 2 et 3, et de l’article 15 du règlement n° 40/94. Par son deuxième moyen, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir omis de prendre en compte les éléments de preuve qu’elle a produits au cours de la procédure de recours. Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Les quatrième et cinquième moyens sont tirés d’une violation, respectivement, du droit d’être entendu et de l’obligation de motivation.

Sur le moyen tiré d’une violation des dispositions combinées de l’article 43, paragraphes 2 et 3, et de l’article 15 du règlement n° 40/94 et sur le moyen tiré d’une violation du droit d’être entendu

    Arguments des parties

21
La requérante expose, de manière générale, qu’il convient d’interpréter la notion d’« usage sérieux » d’une marque dans le sens qu’elle couvre tout acte qui, en raison de sa nature, de son importance et de sa durée, constitue objectivement une utilisation normale de la marque sur le marché concerné. S’agissant de l’importance que doit revêtir un tel usage, elle souligne que celle-ci dépend des circonstances du cas d’espèce et, plus précisément, de la dimension de l’entreprise concernée et du degré de diversification des activités de celle-ci.

22
En l’espèce, la requérante affirme que, en appliquant correctement les critères d’appréciation qu’elle a énumérés, la chambre de recours aurait dû conclure au caractère sérieux de l’usage qui a été fait de la marque antérieure. À cet égard, elle fait valoir que, pendant la période pertinente, elle a effectué des ventes de produits sous cette marque sur l’ensemble du territoire allemand. Selon la requérante, il résulte de la déclaration tenant lieu de serment de son gérant que le chiffre d’affaires réalisé du fait de ces ventes, bien qu’étant relativement faible en raison du lancement des produits concernés, démontre une utilisation normale de la marque, ayant pour objet d’assurer un débouché à ces produits.

23
En outre, la requérante fait valoir que le chiffre d’affaires de 2,8 millions de DEM, qui a été retenu dans la décision attaquée pour l’année 1998, n’est pas correct.

24
Dans le cadre du moyen tiré d’une violation du droit d’être entendu, la requérante reproche à la chambre de recours de ne pas l’avoir informée, avant l’adoption de la décision attaquée, de son intention de fonder cette dernière sur le fait que, pendant la période pertinente, elle n’avait vendu, sous la marque antérieure, qu’approximativement 450 unités de produit. Dans sa réplique, elle précise que la chambre de recours a pris en compte, dans la décision attaquée, le contenu du mémoire de l’intervenante du 8 février 2000, bien que la division d’opposition lui ait indiqué que ce mémoire ne serait pas pris en compte.

25
L’OHMI fait observer qu’il ressort des différentes versions linguistiques de l’article 43, paragraphe 2, et de l’article 15 du règlement n° 40/94 que l’usage sérieux requiert un usage véritable, authentique, effectif ou réel. Dès lors, selon l’OHMI, un tel usage doit être de nature à distinguer les produits ou services désignés et non simplement viser à maintenir un droit de marque existant.

26
Selon l’OHMI, pour apprécier, dans un cas d’espèce, le caractère sérieux de l’usage qui a été fait d’une marque, il convient de procéder à une appréciation globale, en prenant en compte le marché concerné, la façon dont les produits ou les services concernés sont normalement commercialisés, les capacités de production et de commercialisation du titulaire de la marque et la part de marché que celui-ci détient.

27
S’agissant du cas d’espèce, en premier lieu, l’OHMI rappelle que, selon les éléments de preuve produits par la requérante, l’usage de la marque antérieure n’a commencé qu’au début de l’année 1998, soit un peu plus de quatre mois avant la publication de la demande de marque. En deuxième lieu, l’OHMI soutient que le chiffre d’affaires réalisé du fait des ventes de produits sous la marque antérieure, pendant la période pertinente, est dérisoire, ce qui ne saurait être expliqué par la circonstance selon laquelle la commercialisation des produits concernés n’a commencé qu’au début de l’année 1998. En effet, les ventes réalisées au cours du second semestre de cette année seraient inférieures à celles réalisées au début de celle-ci. En troisième lieu, l’OHMI affirme que le chiffre d’affaires réalisé par la requérante du fait des ventes de produits sous la marque antérieure revêtait une importance mineure par rapport au chiffre d’affaires annuel total de celle-ci.

28
Par ailleurs, l’OHMI estime que le droit de la requérante d’être entendu a été respecté par la chambre de recours.

29
L’intervenante expose que la requérante n’a pas fait un usage sérieux de la marque antérieure. À cet égard, elle affirme que le chiffre d’affaires réalisé par la requérante du fait des ventes de produits sous cette marque représente tout au plus 0,75 % de son chiffre d’affaires annuel total. À l’audience, elle a précisé que, à supposer même que le chiffre d’affaires réalisé par la vente de produits visés par la marque antérieure, mentionné dans la déclaration du gérant de la requérante, soit correct, les ventes de ces produits ne s’élèvent qu’à environ 38 unités par mois pendant la période pertinente.

    Appréciation du Tribunal

30
Ainsi qu’il découle du neuvième considérant du règlement n° 40/94, le législateur a considéré que la protection d’une marque antérieure n’est justifiée que dans la mesure où celle-ci a effectivement été utilisée. En conformité avec ce considérant, l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 prévoit que le demandeur d’une marque communautaire peut requérir la preuve que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux sur le territoire sur lequel elle est protégée au cours des cinq années qui précèdent la publication de la demande de marque ayant fait l’objet d’une opposition [arrêt du Tribunal du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison (HIWATT), T‑39/01, Rec. p. II‑5233, point 34].

31
En vertu de la règle 22, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), la preuve de l’usage doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure.

32
Dans l’interprétation de la notion d’usage sérieux, il convient de prendre en compte le fait que la ratio legis de l’exigence selon laquelle la marque antérieure doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être opposable à une demande de marque communautaire consiste à limiter des conflits entre deux marques, pour autant qu’il n’existe pas de juste motif économique découlant d’une fonction effective de la marque sur le marché [arrêt du Tribunal du 12 mars 2003, Goulbourn/OHMI –Redcats (Silk Cocoon), T‑174/01, Rec. p. II‑789, point 38]. En revanche, ladite disposition ne vise ni à évaluer la réussite commerciale ni à contrôler la stratégie économique d’une entreprise ou encore à réserver la protection des marques à leurs seules exploitations commerciales quantitativement importantes.

33
Ainsi qu’il ressort de l’arrêt de la Cour du 11 mars 2003, Ansul (C‑40/01, Rec. p. I‑2439), relatif à l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), dont le contenu normatif correspond, en substance, à celui de l’article 43 du règlement n° 40/94, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits créés par la marque (arrêt Ansul, précité, point 43). À cet égard, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle qu’elle est protégée dans le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur (arrêts Ansul, précité, point 37, et Silk Cocoon, précité, point 39).

34
L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (arrêt Ansul, précité, point 43).

35
Quant à l’importance de l’usage qui a été fait de la marque antérieure, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que la fréquence de ces actes, d’autre part.

36
Pour examiner, dans un cas d’espèce, le caractère sérieux de l’usage de la marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. Cette appréciation implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte. Ainsi, un faible volume de produits commercialisés sous ladite marque peut être compensé par une forte intensité ou une certaine constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement. En outre, le chiffre d’affaires réalisé ainsi que la quantité de ventes de produits sous la marque antérieure ne sauraient être appréciés dans l’absolu, mais doivent l’être en rapport avec d’autres facteurs pertinents, tels que le volume de l’activité commerciale, les capacités de production ou de commercialisation ou le degré de diversification de l’entreprise exploitant la marque ainsi que les caractéristiques des produits ou services sur le marché concerné. De ce fait, la Cour a précisé qu’il n’est pas nécessaire que l’usage de la marque antérieure soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux (arrêt Ansul, précité, point 39).

37
Toutefois, plus le volume commercial de l’exploitation de la marque est limité, plus il est nécessaire que la partie ayant formé l’opposition apporte des indications supplémentaires permettant d’écarter d’éventuels doutes quant au caractère sérieux de l’usage de la marque concernée.

38
C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner la décision attaquée.

39
À titre liminaire, il convient de rappeler que la demande de marque communautaire ayant été publiée le 11 mai 1998, la période de cinq années visée à l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 s’étend du 11 mai 1993 au 10 mai 1998 (ci-après la « période pertinente »).

40
Or, il ressort de l’article 15, paragraphe 1, du même règlement que tombent sous le coup des sanctions prévues par celui-ci les seules marques dont l’usage sérieux a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans. Partant, il suffit qu’une marque ait fait l’objet d’un usage sérieux pendant une partie de la période pertinente pour échapper auxdites sanctions.

41
Il est constant entre les parties que la requérante ne prétend avoir utilisé la marque antérieure qu’à partir de janvier 1998. C’est, dès lors, à juste titre que la chambre de recours a fondé la décision attaquée sur l’appréciation de l’usage allégué par la requérante pendant la période allant du début de l’année 1998 au 10 mai 1998.

42
Sans qu’il en soit explicitement fait mention dans la décision attaquée, la chambre de recours n’a pris en considération, aux fins de son appréciation, que les imprimés et la déclaration tenant lieu de serment présentés par la requérante au cours de la procédure d’opposition ainsi que les observations soumises par l’intervenante dans ses mémoires du 8 février et du 9 octobre 2000.

43
S’agissant de la déclaration tenant lieu de serment, le Tribunal note que la chambre de recours a explicitement laissé ouverte la question de savoir quelle était la valeur probante de celle-ci. Elle a cependant fondé son analyse sur la supposition que le contenu de cette déclaration était exact. Pour les besoins de la présente affaire, le Tribunal estime opportun de partir de la même prémisse.

44
S’agissant, ensuite, des imprimés présentés par la requérante, la chambre de recours a constaté, à juste titre, qu’ils ne donnent aucune indication quant à la durée ou à la date d’usage de la marque antérieure. Elle a néanmoins estimé qu’il était possible d’en déduire la nature et le lieu de cet usage, le bon de commande figurant parmi ces imprimés étant clairement destiné au marché allemand.

45
En vue de déterminer si cet usage pouvait être qualifié de sérieux, la chambre de recours s’est, en substance, appuyée sur deux éléments distincts. Elle a, d’abord, considéré que le chiffre d’affaires de 12 500 DEM, à supposer même qu’il ait été réalisé du 1er janvier au 11 mai 1998, et non pas du 1er janvier au 30 juin 1998, ainsi que la quantité de ventes réalisées, estimée à environ 450 unités, étaient trop faibles s’agissant d’un produit à prix moyen. Elle a ensuite constaté que le chiffre d’affaires réalisé du fait des ventes de produits sous la marque antérieure, qui correspond à environ 0,75 % du chiffre d’affaires annuel total de la requérante, estimé à 2,8 millions de DEM, était insuffisant.

46
Il découle des éléments factuels retenus par la chambre de recours que, du fait des ventes de produits sous la marque antérieure, la requérante a réalisé un certain chiffre d’affaires. Dès lors, la marque antérieure a fait l’objet d’actes d’usage qui, au regard de la situation du secteur économique concerné, étaient objectivement propres à créer ou à conserver un débouché pour les produits pour lesquels elle a été enregistrée.

47
Le Tribunal constate qu’il s’agit d’un chiffre d’affaires faible, réalisé au cours d’une période relativement courte de quatre mois et demi, période précédant directement la date de publication de la demande de marque communautaire.

48
Par conséquent, il convient d’examiner si des doutes quant au caractère sérieux de cet usage, découlant d’une faible importance de celui-ci ou de sa reprise juste avant la publication de la demande de marque, étaient justifiés sur la base des faits et preuves invoqués par les parties.

49
S’agissant du rapport entre le chiffre d’affaires généré par les ventes de produits sous la marque antérieure et le chiffre d’affaires annuel de la requérante, il convient de relever que le degré de diversification des activités des entreprises opérant sur un même marché est variable. De plus, l’obligation d’apporter la preuve d’un usage sérieux d’une marque antérieure ne vise pas à contrôler la stratégie commerciale d’une entreprise. Il n’est pas exclu qu’il soit économiquement et objectivement justifié pour une entreprise de commercialiser un produit ou une gamme de produits même si la part de ceux-ci dans le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise en cause est minime. De plus, dans une entreprise de taille modeste, un faible pourcentage du chiffre d’affaires annuel correspond à un faible montant exprimé en valeur absolue.

50
Il s’ensuit que, en l’espèce, le rapport entre le chiffre d’affaires global de la requérante et celui réalisé du fait des ventes de produits sous la marque antérieure, pris isolément, n’a qu’une faible valeur indicative et ne saurait, dès lors, être décisif dans l’appréciation du caractère sérieux de l’usage de cette marque.

51
S’agissant du volume des ventes de produits sous la marque antérieure et du chiffre d’affaires généré par celles-ci, exprimés en valeur absolue, l’OHMI a expliqué, lors de l’audience, que la chambre de recours a considéré que les produits à prix moyen seront, en règle générale, vendus en plus grande quantité que les produits à prix très élevé. Ainsi, il est indiqué dans la décision attaquée que de faibles chiffre d’affaires et chiffre de ventes, exprimés en valeur absolue, d’un produit de prix moyen ou peu élevé permet de conclure à un usage non sérieux de la marque en cause. Si cette considération n’est pas en soi erronée, elle reste incomplète lorsque les caractéristiques du marché concerné ne sont pas prises en compte.

52
À cet égard, la requérante a fait valoir, dans le cadre de la procédure devant la chambre de recours, que les produits vendus sous la marque antérieure ne sont utilisés qu’en faible quantité. Cette affirmation n’a pas été contestée par l’intervenante au cours de cette procédure. Elle est, par ailleurs, étayée par les plaquettes publicitaires présentées par la requérante qui contiennent des indications quant au dosage des produits concernés. Par ailleurs, cette indication n’est pas évoquée dans la décision attaquée, alors même qu’elle était susceptible d’expliquer le faible volume de ventes réalisées sous la marque antérieure.

53
La chambre de recours n’a pas non plus tenu compte de l’affirmation de la requérante, contenue tant dans la motivation de son mémoire en opposition que dans son mémoire présenté devant la chambre de recours, selon laquelle elle avait relancé la commercialisation des produits concernés et que, partant, le volume commercial représenté par ceux-ci était faible. Or, cette indication pouvait être pertinente dans l’appréciation du caractère sérieux de l’usage qui a été fait de la marque antérieure, et ce nonobstant le fait que le chiffre d’affaires prétendument réalisé au cours du deuxième semestre de l’année 1998 était moins élevé que celui du premier semestre. Il est en effet possible que la phase initiale de commercialisation d’un produit soit supérieure à quelques mois.

54
Toutefois, la requérante a omis d’apporter la preuve que les produits commercialisés sous la marque antérieure étaient en phase de lancement, bien que l’intervenante ait contesté cette affirmation – pour la première fois – dans son mémoire en réponse devant la chambre de recours du 9 octobre 2000. Cependant, cette omission ne pouvait être reprochée à la requérante que si celle-ci avait été correctement mise en mesure de réagir au mémoire de l’intervenante du 9 octobre 2000. À cet égard, le Tribunal constate qu’il ressort du dossier que l’OHMI a communiqué ledit mémoire à la requérante, par lettre du 24 octobre 2000, en lui indiquant que cette communication se faisait uniquement à titre d’information. En outre, en ce qui concerne le mémoire de l’intervenante du 8 février 2000 auquel celle-ci s’est référée dans son mémoire du 9 octobre 2000, la division d’opposition de l’OHMI avait informé la requérante, par communication du 8 mars 2000, que le contenu de ce mémoire du 8 février 2000 ne serait pas pris en compte. Il s’ensuit que, la requérante n’ayant pas été invitée à prendre position sur le mémoire du 9 octobre 2000, elle a été privée de la possibilité d’évaluer l’utilité d’apporter des éléments de preuves supplémentaires.

55
Cette constatation vaut également pour ce qui est des indications relatives au nombre de produits vendus, exprimé en valeur absolue, et au prétendu chiffre d’affaires annuel total de la requérante figurant dans le mémoire de l’intervenante du 8 février 2000 (point 10 ci-dessus), indications auxquelles l’intervenante s’est référée dans son mémoire du 9 octobre 2000 et que la chambre de recours a retenues dans la décision attaquée.

56
Il y a lieu d’ajouter que la règle 22, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, qui prévoit que la preuve de l’usage de la marque antérieure doit être fournie dans le délai imparti par l’OHMI à l’opposant, l’opposition étant rejetée si cette preuve n’est pas fournie dans ledit délai, ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à la prise en considération d’éléments de preuve supplémentaires, eu égard à l’existence d’éléments nouveaux, même s’ils sont fournis après l’expiration de ce délai.

57
En effet, le règlement n° 2868/95 ayant été adopté, par la Commission, conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement n° 40/94, ses dispositions doivent être interprétées en conformité avec les dispositions de ce dernier règlement. À cet égard, il y a lieu de tenir compte, en particulier, de l’article 43, paragraphe 1, et de l’article 74, paragraphe 2, du règlement n° 40/94. D’une part, l’article 43, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 dispose que, au cours de l’examen de l’opposition, l’OHMI invite les parties, aussi souvent que cela est nécessaire, à présenter, dans un délai qu’il leur impartit, des observations sur les communications émanant des autres parties ou de lui-même. D’autre part, l’article 74, paragraphe 2, du règlement n° 40/94, qui prévoit que l’OHMI peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile, confère aux instances de l’OHMI un pouvoir d’appréciation au regard de la prise en considération d’éléments produits après l’expiration d’un délai.

58
À la lumière de l’ensemble de ces considérations, le Tribunal constate que la chambre de recours n’a pas pris en compte tous les facteurs pertinents en vue d’apprécier si l’usage qui a été fait de la marque antérieure pouvait être qualifié de sérieux. De plus, elle s’est appuyée sur une base factuelle incomplète, en ayant omis d’inviter la requérante à prendre position sur les faits et arguments nouveaux évoqués dans le mémoire de l’intervenante du 9 octobre 2000, à savoir le prétendu chiffre d’affaires annuel total de la requérante, les arguments relatifs à la quantité de produits vendus et la contestation, par la partie intervenante, de l’allégation de la requérante selon laquelle les produits désignés par la marque antérieure étaient en phase de lancement.

59
Il s’ensuit qu’il convient d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens invoqués par la requérante.

Sur la demande tendant à la réformation de la décision attaquée

60
À l’appui de la présente demande, la requérante reproche à la chambre de recours de ne pas avoir annulé la décision de la division d’opposition en ce que cette dernière avait considéré qu’une déclaration tenant lieu de serment, émanant d’un gérant du titulaire de la marque antérieure, ne saurait constituer un élément de preuve suffisant.

61
À cet égard, il convient de relever que la continuité fonctionnelle au sein de l’OHMI implique que la chambre de recours est tenue de procéder à une nouvelle appréciation des preuves soumises par la requérante. Lorsque cet examen aboutit à un résultat différent de celui de l’unité statuant en première instance, la chambre de recours peut, en vertu de l’article 62, paragraphe 1, du règlement n° 40/94, soit se prononcer sur l’opposition, soit renvoyer l’affaire devant la division d’opposition.

62
Il s’ensuit que, même si l’on admettait l’argumentation de la requérante telle qu’elle est exposée au point 60 ci-dessus, la chambre de recours aurait pu soit statuer elle-même sur l’opposition, soit renvoyer l’affaire devant la division d’opposition.

63
Or, le Tribunal, en annulant la décision de la division d’opposition, procéderait à une réformation de la décision attaquée. Cette possibilité, prévue à l’article 63, paragraphe 3, du règlement n° 40/94, est, en principe, limitée aux situations dans lesquelles l’affaire est en état d’être jugée [arrêt du Tribunal du 2 juillet 2002, SAT.1/OHMI (SAT.2), T‑323/00, Rec. p. II-2839, sous pourvoi, point 18]. Cela implique que le Tribunal puisse établir, sur la base des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre, en vertu des dispositions applicables en l’espèce. Il ressort du point précédent que, en l’occurrence, cette condition n’est pas remplie.

64
À la lumière des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu, pour le Tribunal, de réformer la décision attaquée.


Sur les dépens

65
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supporte ses propres dépens.

66
En l’espèce, l’intervenante a succombé de la même manière que l’OHMI. Toutefois, la requérante n’a pas conclu à ce que l’intervenante soit condamnée aux dépens et l’OHMI n’a pas remis en cause le chef de conclusions tendant à ce qu’il soit exclusivement condamné aux dépens exposés par celle-ci.

67
Par conséquent, il y a lieu d’ordonner que l’OHMI supportera, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la requérante et que l’intervenante supportera ses propres dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)
La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) du 26 septembre 2001 (affaire R 578/2000-4) est annulée.

2)
Le recours est rejeté pour le surplus.

3)
L’OHMI supportera ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la requérante.

4)
L’intervenante supportera ses propres dépens.

Forwood

Pirrung

Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juillet 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Pirrung


1
Langue de procédure : l'allemand.