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Affaires jointes C663/17 P, C665/17 P et C669/17 P

Banque centrale européenne (BCE) e.a.

contre

Trasta Komercbanka AS e.a.

 Arrêt de la Cour (grande chambre) du 5 novembre 2019

« Pourvoi – Recevabilité Représentation d’une partie devant la Cour – Mandat délivré à l’avocat – Retrait du mandat par le liquidateur de la société requérante – Poursuite de l’instance par l’organe de direction de la société requérante – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit à un recours effectif  Règlement (UE) no 1024/2013 – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Décision de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne – Recevabilité  Affectation directe des actionnaires de la société dont l’agrément a été retiré »

1.        Procédure juridictionnelle – Représentation des parties – Recours d’une personne morale de droit privé – Mandat délivré à l’avocat – Établissement de crédit placé en liquidation à la suite d’une décision de retrait de son agrément par la Banque centrale européenne – Révocation du mandat de l’avocat par le liquidateur dudit établissement – Poursuite du recours en annulation contre cette décision de retrait de l’agrément introduit par l’ancien organe de direction de cet établissement – Liquidateur se trouvant en situation de conflit d’intérêts – Droit fondamental de l’établissement de crédit à une protection juridictionnelle effective – Recevabilité du recours

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47)

(voir points 57, 59-62, 69-79)

2.        Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Affectation directe – Critères – Décision de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Détermination du caractère éventuellement direct des effets de ladite décision sur la situation juridique des actionnaires dudit établissement – Absence d’affectation du droit des actionnaires de percevoir des dividendes et de participer à la gestion de cet établissement de crédit – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité

(Art. 263, 4e al., TFUE)

(voir points 102-115)


Résumé

La responsabilité de révoquer le mandat délivré à l’avocat d’un établissement de crédit, placé en liquidation à la suite d’une décision de retrait de son agrément prise par la BCE, aux fins d’introduire un recours devant le juge de l’Union contre cette décision, ne peut être confiée à un liquidateur qui se trouve dans une situation de conflit d’intérêts, sans porter atteinte au droit fondamental de cet établissement à une protection juridictionnelle effective, garantie par le droit de l’Union

Dans l’arrêt BCE/Trasta Komercbanka e.a. (affaires jointes C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P), du 5 novembre 2019, la Cour, réunie en grande chambre, a annulé une ordonnance du Tribunal (1) par laquelle ce dernier avait, d’une part, jugé que, la société requérante n’étant plus représentée par un avocat disposant d’un mandat régulièrement établi, au sens du règlement de procédure (2), il n’y avait pas lieu de statuer sur son recours tendant à l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) de retirer son agrément (3) et, d’autre part, partiellement rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BCE, en tant qu’elle concernait le recours formé par les autres requérants, à savoir plusieurs actionnaires de cette société.

La société requérante, Trasta Komercbanka, est un établissement de crédit letton fournissant des services financiers en vertu d’une autorisation qui lui a été accordée par la Commission des marchés financiers et des capitaux (ci-après la « CMFC »). Après avoir reçu une proposition de la CMFC de retirer l’agrément de la société requérante et recueilli les observations de cette dernière, la BCE a adopté, le 3 mars 2016, la décision litigieuse (4). Le 14 mars 2016, à la demande de la CMFC, la juridiction lettone compétente a adopté une décision ordonnant l’ouverture d’une procédure de liquidation de la société requérante et a désigné un liquidateur. Par un jugement non susceptible d’appel, cette juridiction a également rejeté la requête de cet établissement de crédit tendant au maintien des pouvoirs de représentation de son organe de direction en ce qui concerne l’introduction d’une demande de réexamen auprès de la commission administrative de réexamen de la BCE (5) et l’introduction d’un recours contre la décision litigieuse devant le juge de l’Union. Le 17 mars 2016, un avis d’ouverture de la procédure de liquidation de la société requérante et de remplacement de la direction de cet établissement de crédit par le liquidateur a été publié au Journal officiel de la République de Lettonie. Le même jour, ce liquidateur a adopté une décision de révocation de tous les mandats qui avaient été émis par la société requérante. Le 21 mars 2016, un notaire a fait publier, au Journal officiel, un avis de révocation de tous les mandats adoptés avant le 17 mars 2016. Après le rejet de sa demande de réexamen de la décision litigieuse, la société requérante et plusieurs de ses actionnaires ont introduit, le 13 mai 2016, un recours devant le Tribunal visant à l’annulation de la décision litigieuse. La BCE a soulevé une exception d’irrecevabilité à l’encontre de ce recours.

S’agissant du pourvoi dans l’affaire C‑669/17 P, en tant qu’il a été introduit par la société requérante, la Cour a jugé que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que l’application du droit letton n’aboutissait pas à la violation du droit de cette société à une protection juridictionnelle effective et en déduisant que l’avocat qui avait introduit le recours devant lui au nom de la société requérante ne disposait plus d’un mandat régulièrement établi, au nom de cette société, par une personne qualifiée à cet effet, dès lors que son mandat ad litem avait été révoqué par le liquidateur. À cet égard, la Cour a souligné les liens existant entre la CMFC et le liquidateur, caractérisés par une relation de confiance, de même que le rôle joué par celle-ci dans l’adoption de la décision litigieuse. Ces éléments, couplés au pouvoir de la CMFC de solliciter la révocation du liquidateur si ce dernier n’avait plus sa confiance, ont pour conséquence que ledit liquidateur se trouve dans une situation de conflit d’intérêts et que la responsabilité d’une éventuelle révocation du mandat délivré à l’avocat de la société requérante aux fins d’introduire un recours devant le juge de l’Union contre cette décision ne pourrait lui être confiée sans porter atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective de ladite société, au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le pourvoi introduit par la société requérante étant à la fois recevable et fondé, la Cour a décidé de renvoyer cette affaire devant le Tribunal afin qu’il statue sur le fond du recours introduit par Trasta Komercbanka. En ce qui concerne les pourvois dans les affaires C‑663/17 P et C‑665/17 P, introduits respectivement par la BCE et la Commission, la Cour a jugé que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que les actionnaires de la société requérante étaient directement concernés par la décision litigieuse. En effet, d’une part, en privilégiant un critère erroné, tiré de l’« intensité » des effets de la décision litigieuse, le Tribunal n’a pas procédé, ainsi qu’il lui incombait, à la détermination du caractère éventuellement direct des effets de cette décision sur la situation juridique des actionnaires de la société requérante. D’autre part, le Tribunal a, à tort, pris en considération les effets non pas juridiques mais économiques de la décision litigieuse sur la situation des actionnaires de ladite société. Or, le droit des actionnaires de percevoir des dividendes et de participer à la gestion de la société requérante, en tant que société constituée conformément au droit letton, n’a pas été affecté de manière directe par la décision litigieuse, la mise en liquidation de Trasta Komercbanca ayant résulté d’une décision judiciaire prise sur la base d’une disposition du droit letton non-prévue par la réglementation de l’Union. La Cour a dès lors considéré que, les actionnaires de cette société n’étant pas directement concernés, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par la décision litigieuse, il y avait lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité de la BCE en tant qu’elle visait le recours de ces actionnaires et, par conséquent, de rejeter ce recours comme étant irrecevable.


1      Ordonnance du 12 septembre 2017, Fursin e.a./BCE (T‑247/16, non publiée, EU:T:2017:623).


2      L’article 51, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les avocats sont tenus, lorsque la partie qu’ils représentent est une personne morale de droit privé, de déposer au greffe un mandat délivré par cette dernière.


3      Décision ECB/SSM/2016 – 529900WIP0INFDAWTJ81/1 WOANCA-2016-0005 de la Banque centrale européenne, du 3 mars 2016, portant retrait de l’agrément accordé à Trasta Komercbanka. Cet agrément consiste en une licence bancaire. Le terme « agrément » est utilisé par le règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63).


4      La décision litigieuse a été adoptée sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), et de l’article 14, paragraphe 5, du règlement no 1024/2013.


5      Cette commission est prévue à l’article 24 du règlement no 1024/2013.