Language of document : ECLI:EU:T:2003:6

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

15 janvier 2003 (1)

«Décision d'introduire une action en justice devant la juridiction d'un État tiers - Recours en annulation - Notion de décision au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE - Recevabilité»

Dans les affaires jointes T-377/00, T-379/00, T-380/00, T-260/01 et T-272/01,

Philip Morris International, Inc., établie à Rye Brook, New York (États-Unis), représentée par Mes É. Morgan de Rivery et J. Derenne, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante dans les affaires T-377/00 et T-272/01,

R. J. Reynolds Tobacco Holdings, Inc., établie à Winston-Salem, Caroline du Nord (États-Unis),

RJR Acquisition Corp., établie à Wilmington, New Castle, Delaware (États-Unis),

R. J. Reynolds Tobacco Company, établie à Jersey City, New Jersey (États-Unis),

R. J. Reynolds Tobacco International, Inc., établie à Dover, Kent, Delaware (États-Unis),

représentées par M. P. Lomas, solicitor, et Me O. Brouwer, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes dans les affaires T-379/00 et T-260/01,

Japan Tobacco, Inc., établie à Tokyo (Japon), représentée par M. P. Lomas, solicitor, et Me O. Brouwer, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante dans l'affaire T-380/00,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. X. Lewis et C. Ladenburger, puis par MM. C. Docksey et Ladenburger, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Parlement européen, représenté par MM. R. Passos et A. Baas, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

Royaume d'Espagne, représenté par Mme R. Silva de Lapuerta, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

République française, représentée par M. G. de Bergues, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

République italienne, représentée par M. U. Leanza, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

République portugaise, représentée par MM. L. Fernandes et Â. Cortesão de Seiça Neves, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

République de Finlande, représentée par Mmes T. Pynnä et E. Bygglin, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes dans les affaires T-377/00,

T-379/00, T-380/00, T-260/01 et T-272/01,

République fédérale d'Allemagne, représentée par MM. W.-D. Plessing et M. Lumma, en qualité d'agents,

République hellénique, représentée par M. V. Kontolaimos, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes dans les affaires T-260/01 et T-272/01,

Royaume des Pays-Bas, représenté, dans les affaires T-260/01 et T-272/01, par Mme H. Sevenster et, dans l'affaire T-379/00, par Mmes Sevenster et J. van Bakel, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante dans les affaires T-379/00, T-260/01 et T-272/01,

ayant pour objet des demandes d'annulation de deux décisions de la Commission d'engager une action judiciaire à l'encontre des requérantes devant une juridiction fédérale des États-Unis d'Amérique,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de M. R. M. Moura Ramos, président, Mme V. Tiili, MM. J. Pirrung, P. Mengozzi et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 26 juin 2002,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Dans le cadre de la lutte contre la contrebande de cigarettes à destination de la Communauté européenne, la Commission a approuvé, le 19 juillet 2000, «le principe d'une action civile, au nom de la Commission, dirigée contre certains fabricants américains de cigarettes». Elle a également décidé d'en informer le Comité des représentants permanents (Coreper) par les voies appropriées et a habilité son président ainsi que le membre de la Commission responsable du budget à donner instruction au service juridique de prendre les mesures nécessaires.

2.
    Le 3 novembre 2000, une action civile a été introduite par la Communauté européenne, représentée par la Commission et «agissant en son propre nom et au nom des États membres qu'elle a la compétence de représenter», à l'encontre de plusieurs sociétés appartenant au groupe Philip Morris (ci-après «Philip Morris») et au groupe Reynolds (ci-après «Reynolds») et contre la société Japan Tobacco, Inc. devant l'United States District Court, Eastern District of New York, une juridiction fédérale des États-Unis d'Amérique (ci-après la «District Court»).

3.
    Dans le cadre de cette action (ci-après la «première action»), la Communauté alléguait la participation des requérantes, des entreprises productrices de tabac, à un système de contrebande visant à introduire et à distribuer des cigarettes sur le territoire de la Communauté européenne. La Communauté cherchait à obtenir notamment la réparation du préjudice résultant de ce système de contrebande et consistant, principalement, en la perte des droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui auraient été versés en cas d'importation légale, ainsi que des injonctions visant à faire cesser le comportement incriminé.

4.
    La Communauté fondait ses demandes sur une loi fédérale des États-Unis, le Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act de 1970 (ci-après le «RICO») ainsi que sur certaines théories de la common law, à savoir les théories de la common law fraud, de la public nuisance et du unjust enrichment. Le RICO vise à combattre la criminalité organisée, notamment en facilitant la poursuite des comportements criminels des opérateurs économiques. À cette fin, il confère un droit d'action aux parties civiles. Afin d'encourager les actions civiles, le RICO prévoit que le demandeur peut se voir attribuer des dommages-intérêts correspondant au triple du préjudice qu'il a effectivement subi (treble damages).

5.
    Par décision du 16 juillet 2001, la District Court a débouté la Communauté européenne de ses demandes.

6.
    Le 25 juillet 2001, la Commission a approuvé «le principe d'une nouvelle action civile devant les tribunaux américains, conjointement par la Communauté et un État membre au moins, dirigée contre les groupes de fabricants de cigarettes qui étaient défendeurs dans l'action antérieure». Elle a également habilité son président et le membre de la Commission chargé du budget à donner instruction au service juridique de prendre les mesures nécessaires.

7.
    Le 6 août 2001, une nouvelle action a été introduite devant la District Court à l'encontre de Philip Morris et de Reynolds par la Commission, au nom de la Communauté européenne et des États membres qu'elle avait le pouvoir de représenter ainsi que par dix États membres, à savoir le royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne, la République hellénique, le royaume d'Espagne, la République française, la République italienne, le grand-duché de Luxembourg, le royaume des Pays-Bas, la République portugaise et la république de Finlande, en leur propre nom. Dans le cadre de cette action (ci-après la «deuxième action»), la Communauté ne fondait plus ses demandes sur le RICO, mais uniquement sur les principes de common law invoqués dans le cadre de la première action. En revanche, les États membres fondaient leurs demandes tant sur le RICO que sur les principes de common law invoqués par la Communauté. En outre, il était fait état d'un préjudice économique et d'un préjudice non économique que la Communauté n'avait pas allégués dans le cadre de sa première action et il était apporté des éléments supplémentaires au sujet des théories de la public nuisance et du unjust enrichment.

8.
    La Communauté n'a pas fait appel de la décision de la District Court du 16 juillet 2001, visée au point 5 ci-dessus. Cependant, le 10 août 2001, elle a demandé au juge américain d'écarter cette dernière décision et de lui permettre de modifier sa demande (motion to vacate the judgment and to amend the complaint). Cette demande a été rejetée par décision de la District Court du 25 octobre 2001.

9.
    Le 9 janvier 2002, la Communauté, représentée par la Commission, et les dix États membres mentionnés au point 7 ci-dessus ont introduit devant la District Court une troisième action dirigée contre la requérante Japan Tobacco, Inc. et d'autres entreprises liées à celle-ci (ci-après la «troisième action»).

10.
    Le 19 février 2002, la District Court a débouté la Communauté et les États membres de la deuxième et de la troisième action, sur la base d'une règle de common law (revenue rule) en vertu de laquelle les juridictions des États-Unis s'abstiennent de mettre à exécution les lois fiscales d'autres États.

11.
    Le 20 mars 2002, la Commission a approuvé le principe de former un appel contre la décision de la District Court. Le 25 mars 2002, un acte d'appel a été déposé devant l'United States Court of Appeals for the Second Circuit (cour d'appel du second circuit) au nom de la Communauté et des dix États membres.

Procédure

12.
    Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 19 et 20 décembre 2000, les requérantes ont introduit les recours dans les affaires T-377/00, T-379/00 et T-380/00, tendant à l'annulation de la décision de la Commission d'intenter la première action ainsi que, dans les affaires T-379/00 et T-380/00, à l'annulation d'une éventuelle décision du Conseil y relative.

13.
    Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal le 29 janvier 2001, le Conseil et la Commission ont soulevé, dans chacune des affaires, une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114 du règlement de procédure du Tribunal.

14.
    Le 7 juin 2001, le Tribunal a décidé de renvoyer les trois affaires devant la chambre composée de cinq juges (deuxième chambre élargie).

15.
    Par ordonnance du 2 juillet 2001, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal, après avoir entendu les parties sur ce point, a joint les trois affaires aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt, conformément à l'article 50 du règlement de procédure.

16.
    Par ordonnance du 12 juillet 2001, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a admis le royaume d'Espagne, la République française, la République italienne, le royaume des Pays-Bas, la République portugaise, la république de Finlande et le Parlement européen, à intervenir dans les affaires jointes au soutien des conclusions du Conseil et de la Commission.

17.
    Le 27 juillet 2001, le Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations sur la décision rendue par la District Court le 16 juillet 2001. Les requérantes, la Commission, le Conseil, le Royaume d'Espagne, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, la République portugaise et la République de Finlande ont présenté leurs observations dans le délai imparti.

18.
    Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 15 octobre 2001, Reynolds et Philip Morris ont formé les recours dans les affaires T-260/01 et T-272/01, tendant à l'annulation de la décision d'introduire la deuxième action.

19.
    Le 23 novembre 2001, la Commission a transmis au Tribunal la décision de la District Court du 25 octobre 2001, rejetant la demande visant à voir écarter la décision du 16 juillet 2001. Elle a demandé au Tribunal d'inviter les parties à présenter leurs observations sur le point de savoir si cette décision avait rendu sans objet les recours dans les affaires T-377/00, T-379/00 et T-380/00. Les requérantes, la Commission, ainsi que le Royaume d'Espagne, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, la République portugaise, la République de Finlande et le Parlement européen ont déposé leurs observations sur le point de savoir s'il y a encore lieu de statuer sur ces recours dans le délai qui leur a été imparti à cet effet.

20.
    Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal les 10 et 18 décembre 2001, la Commission a soulevé, dans les affaires T-260/01 et T-272/01, une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114 du règlement de procédure.

21.
    Le 10 janvier 2002, le Tribunal a décidé de renvoyer les affaires T-260/01 et T-272/01 devant la chambre composée de cinq juges (deuxième chambre élargie).

22.
    Par ordonnance du 31 janvier 2002, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal, après avoir entendu les parties sur ce point, a joint les cinq affaires T-377/00, T-379/00, T-380/00, T-260/01 et T-272/01 pour la suite de la procédure écrite, pour la procédure orale et pour l'arrêt.

23.
    Par décision de la deuxième chambre élargie du 31 janvier 2002, la demande de statuer selon une procédure accélérée, présentée par la requérante dans l'affaire T-272/01, a été rejetée.

24.
    Le 6 février 2002, les requérantes dans les affaires T-379/00 et T-380/00 se sont désistées de leurs recours dans la mesure où ceux-ci étaient dirigés contre le Conseil. Par ordonnance du 21 mars 2002, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a prononcé la radiation de ces deux affaires dans la mesure où les recours étaient dirigés contre le Conseil.

25.
    Par ordonnance du 22 mars 2002, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a admis le Parlement européen, la République fédérale d'Allemagne, la République hellénique, le royaume d'Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, la République portugaise et la république de Finlande à intervenir dans les affaires T-260/01 et T-272/01 au soutien des conclusions de la Commission.

26.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction. Il a toutefois posé des questions à la Commission. Celle-ci y a répondu dans le délai imparti.

27.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 26 juin 2002.

Conclusions des parties

28.
    La Commission et les parties intervenantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter les recours comme irrecevables;

-    condamner les requérantes aux dépens.

29.
    Philip Morris conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    joindre l'exception d'irrecevabilité au fond;

-    alternativement, rejeter l'exception d'irrecevabilité;

-    condamner la Commission aux dépens.

30.
    Reynolds et Japan Tobacco concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    joindre sa décision sur la recevabilité à sa décision sur le fond;

-    en tout état de cause, rejeter l'exception d'irrecevabilité;

-    réserver les dépens.

En droit

Arguments des parties

31.
    Les exceptions d'irrecevabilité de la Commission sont fondées, chacune, sur un moyen unique tiré de ce que les actes attaqués ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE. Certaines parties intervenantes font, en outre, valoir que les requérantes ne sont pas directement et individuellement concernées par les actes attaqués et qu'elles n'ont pas d'intérêt à agir.

32.
    Dans le cadre du moyen unique soulevé par la Commission, les arguments des parties portent sur trois aspects de la question de la recevabilité des présents recours. En premier lieu, les parties développent des arguments relatifs à la nature des décisions de la Commission des 19 juillet 2000 et 25 juillet 2001 (ci-après les «actes attaqués»). En deuxième lieu, elles procèdent à l'analyse des différents effets que ces actes sont susceptibles de produire. En troisième lieu, elles portent le débat sur certaines considérations d'ordre général avancées par la Commission pour justifier sa position.

Sur la nature des actes attaqués

33.
    La Commission, soutenue par les parties intervenantes, affirme qu'une décision d'engager une action devant un tribunal n'est pas un acte susceptible de faire l'objet d'un recours au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE.

34.
    Selon la Commission, il existe des analogies entre les actes attaqués et certains autres actes qui, selon la jurisprudence, ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours.

35.
    En premier lieu, elle invoque l'arrêt de la Cour du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne (C-191/95, Rec. p. I-5449), dont elle déduit qu'une décision de la Commission de saisir la Cour de justice d'un recours en manquement au titre de l'article 226 CE n'est pas un acte susceptible de faire l'objet d'un recours au sens de l'article 230 CE.

36.
    En deuxième lieu, la Commission, soutenue par le royaume d'Espagne, la République fédérale d'Allemagne et la République hellénique, estime que les décisions de saisir le tribunal américain présentent toutes les caractéristiques de mesures préparatoires.

37.
    En troisième lieu, la Commission expose que l'introduction d'une action civile est équivalente à l'expression d'une opinion juridique dépourvue d'effet obligatoire, comparable aux avis que l'institution peut adresser à des autorités nationales sans lier ces dernières.

38.
    Le Parlement, la République fédérale d'Allemagne et la République hellénique sont, en outre, d'avis que les actes attaqués relèvent de l'organisation interne de l'institution défenderesse.

39.
    En réponse à une question du Tribunal, la Commission a affirmé que sont seuls attaquables les actes par lesquels l'institution modifie elle-même la situation juridique dont il s'agit, et non pas les actes par lesquels elle demande à un tiers de prendre des mesures obligatoires.

40.
    La Commission, soutenue par la République fédérale d'Allemagne, estime encore que l'absence, en l'espèce, d'acte ultérieur d'une institution communautaire susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation ne saurait permettre de considérer les actes attaqués, par le biais d'une fiction, comme des actes définitifs produisant des effets juridiques. Elle reconnaît que le principe d'une protection juridictionnelle effective est un droit fondamental, mais elle soutient que ce principe n'implique pas que tous les actes d'une institution doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, y compris ceux qui sont incapables de produire des effets juridiques obligatoires. La Commission, soutenue par la République fédérale d'Allemagne et la République italienne, ajoute que les requérantes sont suffisamment protégées, dans le cadre de la procédure devant la District Court, par les garanties procédurales du droit des États-Unis, y compris la possibilité d'inviter la District Court à examiner si elle a été saisie par des demandeurs ayant le pouvoir d'agir.

41.
    Les requérantes soulignent, liminairement, le caractère extraordinaire des actes attaqués par lesquels la Commission cherche, selon elles, à contourner tout le système de recouvrement des taxes en vigueur et notamment la répartition des compétences en la matière entre la Communauté et les États membres. Elles affirment qu'aucun organe souverain ne saurait récupérer des taxes indirectement par le biais d'une action en dommages et intérêts. Elles soulignent qu'elles n'ont jamais été averties par les autorités compétentes des États membres qu'elles étaient débitrices de taxes, de sorte qu'elles n'ont jamais eu l'occasion de présenter leur point de vue à ce sujet avant l'introduction des actions en cause.

42.
    Les requérantes considèrent que les actes attaqués peuvent faire l'objet d'un recours en annulation parce qu'ils produisent des effets juridiques, parce qu'ils constituent des mesures finales représentant la position définitive de l'institution et parce que, de ce fait, ils ont apporté une modification caractérisée à leur situation juridique. Reynolds soutient, en outre, que, pour déterminer si un acte est attaquable, la question n'est pas nécessairement de savoir si cet acte produit des effets juridiques, mais de savoir si cet acte vise à produire des effets juridiques.

43.
    Les requérantes estiment que les actes attaqués ne peuvent pas être assimilés à une décision d'introduire une procédure en manquement au titre de l'article 226 CE, situation à l'origine de l'arrêt Commission/Allemagne, cité au point 35 ci-dessus. Selon elles, la décision d'introduire un recours en manquement n'est qu'une étape d'une procédure régie par le droit communautaire visant à faire établir par la Cour, seule compétente à cet égard, un manquement d'un État membre à ses obligations. Elle n'affecterait donc pas les droits et obligations de l'État membre concerné.

44.
    Les requérantes font valoir que les actes attaqués ne peuvent pas être qualifiés d'actes préparatoires. Elles considèrent que le critère essentiel pour déterminer si une mesure a des effets juridiques ou est purement préparatoire réside dans le point de savoir si la décision adoptée constitue un règlement définitif de la question en cause dans la sphère juridique communautaire ou s'il s'agit d'une mesure dont l'objectif est de préparer la décision finale dont l'illégalité pourrait être soulevée dans le cadre d'un recours dirigé contre celle-ci. Elles insistent sur le fait que les présents recours constituent la seule occasion pour le juge communautaire de contrôler si la Commission a agi dans le cadre de ses compétences et conformément au droit communautaire en introduisant les actions devant la District Court.

45.
    Les requérantes sont d'avis que l'introduction d'une action civile devant une juridiction américaine ne saurait être assimilée à l'expression par la Commission d'une opinion juridique qui peut être acceptée ou rejetée par le juge.

46.
    Elles ajoutent que les actes attaqués ne peuvent pas non plus être assimilés à des mesures d'organisation interne.

47.
    En réponse à une question du Tribunal, les requérantes ont affirmé qu'il n'y avait pas de différence entre le fait que la Commission adopte elle-même un acte et le fait qu'elle demande à un tiers de le faire.

48.
    À titre subsidiaire, les requérantes soutiennent que les actes attaqués sont dépourvus de toute apparence de légalité, de sorte que le Tribunal doit les annuler quand bien même il s'agirait d'actes préparatoires. Elles invoquent l'arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60/81, Rec. p. 2639), et l'arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission (T-10/92 à T-12/92 et T-15/92, Rec. p. II-2667, point 49), selon lesquels le juge communautaire serait compétent pour annuler un acte préparatoire manifestement illicite.

Sur les effets des actes attaqués

49.
    La Commission, soutenue par les parties intervenantes, considère qu'il convient de faire une distinction entre les effets qu'un acte peut produire sur le plan de la procédure, effets qu'elle qualifie de factuels, et les effets juridiques obligatoires. Elle affirme que les effets de la saisine du tribunal américain invoqués par les requérantes ne sont que des effets factuels qui se produisent normalement à l'égard de tout défendeur devant une juridiction. La Commission soutient qu'il ne s'agit pas d'effets juridiques, puisque les requérantes ne sont pas tenues de modifier leurs pratiques tant qu'une juridiction ne le leur ordonne pas.

50.
    À l'audience, la Commission a affirmé que la saisine de la District Court n'avait pas pour effet d'écarter les procédures visant au recouvrement des taxes ou à la poursuite des fraudes au niveau communautaire. De telles procédures seraient en cours et la Commission y participerait dans la mesure où cela est prévu par le droit national. Il s'agirait cependant de procédures ayant un objet et des parties différents de ceux des actions en cause.

51.
    Les requérantes soutiennent que les actes attaqués et l'introduction effective des actions devant la District Court ont produit différents effets qui, selon elles, sont de nature juridique. D'une part, elles allèguent l'existence de certains effets dans l'ordre juridique communautaire. D'autre part, elles invoquent l'existence de certains effets découlant du droit procédural applicable devant la juridiction américaine saisie.

52.
    S'agissant des effets juridiques des actes attaqués dans l'ordre juridique communautaire, les requérantes font valoir, premièrement, que la Commission a arrêté, par les actes attaqués, une position définitive quant à sa compétence pour intenter les actions devant la District Court. Elles estiment qu'une telle décision unilatérale et autonome, par laquelle la Commission ajoute aux compétences que lui confère le texte du traité le pouvoir de saisir les juridictions d'un État tiers, est attaquable, conformément à la jurisprudence de la Cour (arrêt du 9 octobre 1990, France/Commission, C-366/88, Rec. p. I-3571). Elles soulignent qu'aucun acte susceptible d'affecter l'équilibre institutionnel prévu par les traités ne saurait échapper au contrôle juridictionnel. À l'appui de cette thèse, elles invoquent notamment l'arrêt de la Cour du 9 août 1994, France/Commission (C-327/91, Rec. p. I-3641), relatif à l'accord entre la Commission et les États-Unis d'Amérique concernant l'application de leur droit de la concurrence, et l'arrêt de la Cour du 12 mai 1998, Commission/Conseil (C-170/96, Rec. p. I-2763), concernant une action commune relative au régime du transit aéroportuaire ainsi que l'arrêt de la Cour du 13 novembre 1991, France/Commission (C-303/90, Rec. p. I-5315), concernant un code de conduite relatif au contrôle financier dans le cadre des interventions structurelles.

53.
    Deuxièmement, les requérantes considèrent qu'un effet juridique obligatoire des actes attaqués résulte du fait que ceux-ci les exposent à un procès civil devant les juridictions d'un État tiers et les soumettent ainsi à l'application des règles d'un autre ordre juridique. Elles précisent que les actions en justice aux États-Unis les exposent à des sanctions plus lourdes que celles prévues par les droits nationaux des États membres.

54.
    Selon les requérantes, la Commission, alors qu'elle est gardienne du traité, contourne les procédures du droit communautaire afin d'obtenir, par le biais des procédures aux États-Unis, un résultat que l'ordre juridique communautaire ne lui permettrait pas d'atteindre. Les requérantes soulignent qu'elles ne prétendent pas avoir un droit à ne pas être poursuivies en justice, mais bien d'avoir un droit constitutionnel à ce que les procédures prévues par l'ordre juridique communautaire leur soient appliquées.

55.
    Les requérantes estiment que l'incertitude du résultat de la procédure aux États-Unis ne s'oppose pas à ce que soit considéré comme un effet juridique définitif des actes attaqués le fait que ces derniers les forcent à mener des procédures devant les juridictions américaines et à subir ainsi un risque auquel elles ne seraient pas exposées dans le cadre du système communautaire.

56.
    Elles soulignent que la décision de la District Court ne peut pas faire l'objet d'un contrôle juridictionnel par le juge communautaire et qu'elle n'est pas subordonnée au respect des garanties accordées par le droit communautaire aux personnes physiques et morales accusées de violer le droit communautaire. Notamment, elles font valoir que la District Court n'est pas liée par le principe de primauté du droit communautaire sur le droit national et pourrait appliquer le droit des États-Unis, plutôt que le droit communautaire, pour déterminer si la Communauté avait compétence pour introduire une action devant elle.

57.
    Les requérantes font également valoir que la décision de la Commission de les assigner devant une juridiction aux États-Unis a modifié leur situation juridique sur le plan procédural. Elles invoquent notamment les arrêts de la Cour du 15 mars 1967, Cimenteries CBR e.a./Commission, (8/66 à 11/66, Rec. p. 93), et du 30 juin 1992, Espagne/Commission (C-312/90, Rec. p. I-4117, selon lesquels des actes produisant des effets juridiques sur le plan procédural sont attaquables. Elles font observer que les actes attaqués écartent les procédures prévues dans l'ordre juridique communautaire pour le recouvrement de taxes et de droits de douane et pour la lutte contre la fraude. En droit communautaire, seuls les États membres auraient pu réclamer des taxes non payées aux requérantes. La seule voie de recours ouverte à la Commission en la matière serait celle du recours en manquement contre les États membres. Dans le cadre d'une telle procédure, il aurait été garanti «qu'aucun jugement arbitraire ne serait porté contre [elles]». Elles estiment que les actes attaqués les ont privées aussi bien des garanties procédurales du droit national que du bénéfice de l'obligation des juridictions nationales de soulever, d'office, des questions de droit communautaire. Elles relèvent que de nombreuses questions difficiles de droit communautaire sont susceptibles de se poser en l'espèce et soulignent l'importance de la procédure préjudicielle pour les résoudre. Or, les actes attaqués auraient écarté également la possibilité, voire l'obligation, d'un renvoi préjudiciel. Elles ajoutent cependant que l'exposé détaillé des procédures qui ont été écartées et des garanties qu'elles auraient apportées relève de l'examen du fond de l'affaire.

58.
    En réponse à une question du Tribunal, Reynolds et Japan Tobacco ont déclaré qu'aucune procédure n'a été engagée contre elles par les États membres. Selon elles, le principe non bis in idem s'opposerait, en tout état de cause, à ce qu'elles soient poursuivies à la fois devant la District Court et au sein d'un État membre.

59.
    S'agissant des effets juridiques découlant du droit des États-Unis, les requérantes estiment, en premier lieu, que le simple fait d'engager une action civile devant le tribunal américain produit des effets juridiques, puisqu'elles sont désormais soumises aux règles de procédure applicables devant ce tribunal. Les requérantes invoquent notamment l'obligation de se défendre, sous peine de faire l'objet d'un jugement par défaut, et de présenter, dès le début de la procédure, tous leurs moyens, sous peine de ne plus pouvoir s'en prévaloir ensuite. Elles font état de la nécessité d'avoir recours à un avocat et des coûts très élevés en résultant qui ne leur seront pas remboursés, selon le droit des États-Unis, si elles obtiennent gain de cause. En outre, elles estiment qu'une modification de leur position juridique résulte du fait qu'elles doivent se soumettre aux règles de la «discovery» applicables à la procédure civile aux États-Unis, qui les obligent à divulguer de nombreux éléments qui seraient protégés dans le cadre d'une procédure engagée dans un État membre, et invoquent les pénalités qui peuvent leur être infligées en cas de refus de coopérer. Dès lors, elles considèrent que le fait d'engager une action en justice aux États-Unis produit des effets juridiques.

60.
    Les requérantes soutiennent qu'un autre effet juridique de la saisine de la juridiction américaine consiste en ce que la Communauté est juridiquement liée par les termes des plaintes déposées devant le juge américain.

61.
    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que l'action de la Commission les expose à des sanctions. D'une part, elles invoquent des conséquences susceptibles de découler de l'application du RICO notamment le risque de se voir condamnées à des dommages et intérêts correspondant au triple du préjudice effectivement subi (treble damages). D'autre part, elles font valoir que la Communauté demande leur condamnation à des dommages et intérêts ayant également un caractère de sanction (punitive damages) dans la mesure où ses actions sont basées sur des théories de la common law. Elles estiment que l'introduction des recours produit donc des effets comparables à ceux de la décision de lever l'immunité au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), jugée attaquable dans l'arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, cité au point 57 ci-dessus. Les requérantes ajoutent qu'elles sont accusées de comportements criminels dans le cadre des actions en cause et que le droit des États-Unis prévoit que les parties à un litige jouissent d'une immunité les protégeant d'une action en diffamation visant les affirmations calomnieuses émises dans le cadre de la procédure.

62.
    En troisième lieu, les requérantes considèrent que les décisions attaquées ont produit des effets juridiques en raison de la publication des plaintes de la Commission sur Internet par la juridiction américaine. Elles sont d'avis que ces effets sont analogues à ceux découlant de la décision examinée dans l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Postbank/Commission (T-353/94, Rec. p. II-921).

63.
    Enfin, elles invoquent les conséquences que l'introduction des actions en cause peut produire sur le plan de la publicité des sociétés cotées en bourse.

Sur les considérations d'ordre général avancées par la Commission pour justifier sa position

64.
    La Commission expose que la conception selon laquelle une décision de saisir une juridiction ne peut pas faire l'objet d'un recours en annulation devant une autre juridiction est justifiée par un certain nombre de raisons d'ordre général.

65.
    En premier lieu, la Commission, soutenue par la République italienne, affirme que cette conception repose sur le principe qu'il existe un droit fondamental à s'adresser au juge désigné par la loi et qu'il appartient à la juridiction saisie d'apprécier si elle a été saisie à bon droit.

66.
    En deuxième lieu, la Commission considère que cette conception se traduit par une économie de procédure importante, puisque tous les moyens et arguments en rapport avec l'action intentée sont soulevés et concentrés devant la juridiction effectivement saisie, qu'il s'agisse de questions de fond, de procédure ou de compétence.

67.
    En troisième lieu, la Commission soutient que, en l'absence de traité ou de convention entre la Communauté et les États-Unis d'Amérique en matière de litispendance, la conception qu'elle défend est la plus conforme au principe selon lequel les litiges ne doivent pas être scindés entre différentes juridictions.

68.
    La République italienne ajoute que les présents recours visent à transférer au juge communautaire la décision sur l'existence du droit substantiel faisant l'objet de la procédure aux États-Unis. Elle estime que les présents recours s'apparentent dès lors à un abus du droit au contrôle judiciaire des actes des institutions communautaires.

69.
    Les requérantes rappellent que la Communauté européenne est une communauté de droit et soulignent qu'en matière de recevabilité d'un recours le juge communautaire doit être guidé par le souci que le justiciable dispose d'une protection juridique suffisante. Elles affirment que la nécessité d'une protection juridictionnelle effective a été reconnue, notamment, dans l'arrêt du Tribunal du 3 mai 2002, Jégo-Quéré/Commission (T-177/01, Rec. p. II-2365).

70.
    Les requérantes contestent le caractère civil des actions en cause. Selon elles, la Commission agit, en l'espèce, en tant qu'autorité publique. Elles s'opposent à l'argument selon lequel il appartient à la District Court de déterminer si elle a été saisie à bon droit en faisant valoir que la présente affaire soulève des questions fondamentales de droit public n'entrant pas dans les compétences du juge américain. Elles estiment que la question de savoir si la Commission pouvait valablement saisir le juge américain ne relève pas du droit procédural des États- Unis mais du droit public communautaire et n'intéresse pas nécessairement le juge américain.

71.
    Les requérantes rejettent le deuxième argument de la Commission au motif que l'économie de procédure invoquée n'est concevable que lorsque les deux tribunaux saisis se trouvent sur un pied d'égalité pour se prononcer sur la question litigieuse. Notant qu'il s'agit en l'espèce du contrôle juridique d'un acte administratif étranger, les requérantes estiment que les deux tribunaux ne se trouvent pas sur un pied d'égalité, puisque le tribunal américain serait incompétent pour connaître de cette question.

72.
    Quant au troisième argument de la Commission, tiré de la litispendance, les requérantes font valoir que le présent litige et les actions devant la District Court ont un objet différent. Elles font observer que le principe de litispendance s'applique uniquement lorsque le premier tribunal saisi est compétent pour se prononcer sur les questions soulevées. Or, selon elles, la District Court n'est pas compétente pour connaître de la question de la compétence de la Commission soulevée dans le cadre des présents recours. En outre, elles invoquent le risque d'un «amalgame d'interprétations du droit communautaire» si des juridictions d'États tiers se prononçaient sur des questions de droit communautaire. Reynolds et Japan Tobacco invoquent également l'arrêt de la Cour du 22 octobre 1987, Foto-Frost (314/85, Rec. p. 4199), qui, selon les requérantes, réserve au juge communautaire le pouvoir d'invalider les actes des organes communautaires.

73.
    Les requérantes ajoutent enfin que l'autonomie du droit communautaire exige que tout acte portant atteinte à la cohérence du droit communautaire doit pouvoir être soumis au contrôle juridictionnel de la Cour ou du Tribunal.

Appréciation du Tribunal

74.
    Aux termes de l'article 230, quatrième alinéa, CE, «[t]oute personne physique ou morale peut former [...] un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement».

75.
    Les présents recours sont dirigés, d'une part, contre la décision par laquelle la Commission a approuvé, le 19 juillet 2000, «le principe d'une action civile, au nom de la Commission, dirigée contre certains fabricants américains de cigarettes» et, d'autre part, contre la décision du 25 juillet 2001, par laquelle la Commission a approuvé «le principe d'une nouvelle action civile devant les tribunaux américains, conjointement par la Communauté et un État membre au moins, dirigée contre les groupes de fabricants de cigarettes qui étaient défendeurs dans l'action antérieure».

76.
    Selon une jurisprudence constante, il y a lieu de s'attacher à la substance de la mesure dont l'annulation est demandée pour déterminer si elle est susceptible de faire l'objet d'un recours, la forme dans laquelle elle a été prise étant en principe indifférente à cet égard (arrêts de la Cour IBM/Commission, cité au point 48 ci-dessus, point 9, et du 28 novembre 1991, Luxembourg/Parlement, C-213/88 et C-39/89, Rec. p. I-5643, point 15; voir, également en ce sens, arrêt du Tribunal du 24 mars 1994, Air France/Commission, T-3/93, Rec. p. II-121, points 43 et 57).

77.
    Il est également de jurisprudence constante que ne constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation que les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (voir, notamment, arrêt IBM/Commission, cité au point 48 ci-dessus, point 9; ordonnance de la Cour du 4 octobre 1991, Bosman/Commission, C-117/91, Rec. p. I-4837, point 13; arrêt Air France/Commission, cité au point précédent, point 43; ordonnance du Tribunal du 15 mai 1997, Berthu/Commission, T-175/96, Rec. p. II-811, point 19).

78.
    Il convient donc d'examiner le point de savoir si les actes attaqués, ayant pour objet la saisine de la District Court, produisent de tels effets juridiques.

79.
    La saisine d'une juridiction n'est pas dépourvue d'effets juridiques, mais ses effets concernent principalement la procédure devant le juge saisi. La saisine est un acte indispensable pour obtenir une décision juridictionnelle contraignante, mais, en tant que telle, elle ne détermine pas de manière définitive les obligations des parties au litige. En effet, la détermination définitive de ces obligations ne saurait résulter que de la décision du juge saisi. La décision d'introduire un recours juridictionnel ne modifie donc pas par elle-même la situation juridique litigieuse (voir, concernant la décision de la Commission d'introduire un recours au titre de l'article 226, deuxième alinéa, CE, arrêt Commission/Allemagne, cité au point 35 ci-dessus, point 47). Lorsqu'elle décide d'introduire un recours, la Commission n'entend pas modifier (elle-même) la situation juridique litigieuse, mais se borne à ouvrir une procédure ayant pour but d'obtenir une modification de cette situation par une décision juridictionnelle. Une telle décision de l'institution ne saurait donc, en principe, être considérée comme une décision attaquable.

80.
    Ce raisonnement vaut non seulement pour les recours qu'une institution introduit devant la Cour de justice, mais également pour les actions qu'elle peut exercer devant les juridictions nationales. En effet, dans les deux cas, ce n'est pas l'institution qui saisit le juge communautaire ou national, mais uniquement ce dernier qui, par la décision qu'il est appelé à rendre, pourra modifier la situation juridique à l'origine du litige et déterminer de manière définitive les droits et obligations des parties.

81.
    Les conséquences qui peuvent découler de plein droit de l'introduction d'un recours juridictionnel, telles que l'interruption de la prescription ou l'obligation de payer des intérêts sur le montant réclamé, ne constituent pas, en tant que telles, des effets juridiques au sens de l'article 230 CE, tel qu'interprété par la jurisprudence. En outre, le fait que la saisine d'une juridiction ouvre la possibilité pour celle-ci d'adopter des décisions susceptibles d'affecter la situation juridique des parties ne constitue pas, en tant que tel, une modification de la situation juridique de l'intéressé imputable à la partie qui a saisi le juge.

82.
    En ce qui concerne la thèse des requérantes selon laquelle la question est de savoir si les actes attaqués visent à produire des effets juridiques, et non pas de savoir s'ils en produisent effectivement, il convient de relever que la décision de saisir une juridiction n'a pas, en principe, pour but de produire d'autres effets que ceux liés à l'introduction du recours. S'il est certes vrai que la partie qui saisit une juridiction souhaite obtenir de celle-ci une décision en sa faveur, il ne saurait cependant être retenu que la décision de saisir la juridiction vise à produire, par elle-même, les effets de la décision juridictionnelle.

83.
    Il y a lieu d'examiner, toutefois, le point de savoir si les actes attaqués en l'espèce, du fait qu'ils ne concernent pas la saisine de la Cour ou d'une juridiction d'un État membre, mais celle d'une juridiction d'un État tiers, ont produit des effets juridiques définitifs, dépassant ceux nécessairement liés à la saisine de toute juridiction, qui modifient, de façon caractérisée, la situation juridique des requérantes.

84.
    Les requérantes invoquent, d'une part, certains effets que les actes attaqués auraient produits dans l'ordre juridique communautaire et, d'autre part, certains effets que l'introduction des actions civiles a produit conformément au droit des États-Unis.

Sur les effets des actes attaqués dans l'ordre juridique communautaire

85.
    En premier lieu, il convient d'examiner la thèse des requérantes selon laquelle les actes attaqués ont produit des effets juridiques au regard de la répartition des compétences prévue par le traité, en portant atteinte à l'équilibre institutionnel.

86.
    À ce sujet, il convient de constater que les actes attaqués, à l'instar de tout acte d'une institution, impliquent accessoirement une prise de position de leur auteur quant à sa compétence pour les adopter. Une telle prise de position ne peut cependant pas être qualifiée d'effet juridique obligatoire au sens de l'article 230 CE, tel qu'interprété par la jurisprudence. En effet, cette prise de position, à supposer même qu'elle soit erronée, n'a aucune portée autonome par rapport à l'acte adopté. S'il en était autrement, l'exclusion des recommandations et des avis de la catégorie des actes attaquables ne résulterait pas de ce que ces actes ne produisent pas d'effets juridiques, puisque ces actes impliquent également une prise de position sur la compétence de leur auteur. Il convient d'ajouter qu'une telle prise de position, à la différence d'un acte ayant pour objet une attribution de compétence, tel que celui à l'origine de l'arrêt du 9 octobre 1990, France/Commission, cité au point 52 ci-dessus, n'a pas vocation à modifier la répartition des compétences prévues par le traité.

87.
    De même, il ne saurait être affirmé que l'incompétence alléguée de la Commission et l'atteinte éventuelle à l'équilibre institutionnel qui en découlerait suffisent à attribuer aux actes attaqués des effets juridiques obligatoires. En effet, un tel raisonnement reviendrait à déduire le caractère attaquable de l'acte de son illégalité éventuelle. À ce sujet il résulte de la jurisprudence de la Cour que la gravité d'un prétendu manquement de l'institution concernée ou l'importance de l'atteinte qui en découlerait quant au respect des droits fondamentaux ne permet pas d'écarter l'application des fins de non-recevoir d'ordre public prévus par le traité. Ainsi, une violation alléguée de l'équilibre institutionnel ne permet pas d'écarter les conditions de recevabilité du recours en annulation posées par le traité (voir, par analogie, ordonnance de la Cour du 10 mai 2001, FNAB e.a./Conseil, C-345/00 P, Rec. p. I-3811, points 39 à 42).

88.
    La jurisprudence invoquée par les requérantes n'est pas susceptible d'infirmer cette conclusion. S'il est vrai que la Cour et le Tribunal ont évoqué, à l'égard des actes préparatoires, la possibilité d'examiner la question de savoir si, «dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu'il s'agit de mesures dépourvues même de toute apparence de légalité, un recours juridictionnel à un stade précoce [...] peut être considéré comme compatible avec le système des voies de recours prévu par le traité» (arrêt IBM/Commission, cité au point 48 ci-dessus, point 23; voir également arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, cité au point 48 ci-dessus, point 49), les juridictions communautaires n'ont jamais confirmé la possibilité de procéder exceptionnellement à un tel contrôle des actes préparatoires ou d'autres actes dépourvus d'effets juridiques. En outre, les décisions ayant évoqué cette hypothèse sont antérieures à l'ordonnance FNAB e.a./Conseil, citée au point précédent, dans laquelle la Cour s'est clairement prononcée contre la possibilité de faire dépendre la recevabilité d'un recours de la gravité des violations du droit communautaire invoquées.

89.
    Il ne saurait non plus être déduit de l'arrêt Commission/Conseil, cité au point 52 ci-dessus, ou de l'arrêt du 13 novembre 1991, France/Commission, cité au point 52 ci-dessus, que la Cour a étendu la notion d'acte attaquable à des actes dépourvus d'effets juridiques obligatoires.

90.
    La thèse des requérantes ne peut pas non plus s'appuyer sur l'arrêt du 9 août 1994, France/Commission, cité au point 52 ci-dessus, dans lequel la Cour a jugé attaquable l'acte par lequel la Commission a entendu conclure l'accord avec les États-Unis d'Amérique concernant l'application du droit de la concurrence (voir points 15 et 17 de l'arrêt). Les requérantes soutiennent que l'acte attaqué dans cette affaire était la décision habilitant le vice-président de la Commission à signer l'accord litigieux et estiment que cette décision est analogue à celles attaquées en l'espèce, habilitant le président et un membre de la Commission à prendre les mesures nécessaires pour saisir les juridictions des États-Unis. Cependant, les effets qu'une décision d'habilitation peut produire dépendent de l'objet de l'habilitation. Dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt France/Commission, l'accord en question visait, comme cela ressortait de son libellé, à produire des effets juridiques, notamment en créant des obligations réciproques d'échange d'informations et de coopération entre la Commission et les autorités américaines. En l'espèce, les habilitations n'avaient pour objet que la saisine de la District Court et n'ont dès lors pas produit d'effets autonomes par rapport aux décisions d'introduire les actions.

91.
    Il résulte de ce qui précède que la thèse des requérantes selon laquelle les actes attaqués ont produit des effets juridiques obligatoires au regard des compétences de la Commission et de l'équilibre institutionnel n'est pas fondée.

92.
    En deuxième lieu, il convient d'examiner la thèse des requérantes selon laquelle les actes attaqués ont produit des effets juridiques obligatoires en écartant les procédures prévues par le droit communautaire et par les droits des États membres en matière de recouvrement des taxes et droits de douane et en matière de lutte contre la fraude, en privant les requérantes de garanties juridiques dont elles auraient bénéficié dans le cadre de ces procédures et en les soumettant aux règles d'un autre ordre juridique.

93.
    Liminairement, il convient de rappeler que la saisine d'une juridiction ne modifie pas, en tant que telle, la situation juridique des parties au litige au sens de l'article 230 CE, tel qu'interprété par la jurisprudence (voir, ci-dessus, point 79). Ce principe vaut aussi bien pour la saisine du juge communautaire que pour celle des juridictions des États membres et même d'États tiers, comme les États-Unis. Il n'est pas affecté par le fait que chaque juge est appelé à appliquer les règles procédurales de son propre ordre juridique et les règles de fond déterminées selon ses propres règles de conflit de lois. En effet, indépendamment des règles applicables, les conséquences juridiques qui en découlent, de plein droit ou du fait des décisions du juge saisi, ne peuvent pas être attribuées à la partie ayant saisi le juge.

94.
    Par conséquent, ni le fait que la saisine de la District Court donne lieu à l'application par celle-ci de son propre droit ni le fait que ce droit puisse présenter des différences par rapport au droit communautaire et aux droits des États membres ne suffisent, en tant que tels, à modifier, de façon caractérisée, la situation juridique des requérantes.

95.
    Les requérantes relèvent à juste titre que certaines décisions d'ordre procédural peuvent produire des effets juridiques obligatoires et définitifs au sens de l'article 230 CE, tel qu'interprété par la jurisprudence.

96.
    Il s'agit, d'une part, des décisions qui, tout en constituant des étapes d'une procédure administrative en cours, ne se bornent pas à créer les conditions pour le déroulement ultérieur de celle-ci, mais produisent des effets dépassant le cadre procédural et modifient les droits et obligations des intéressés sur le plan substantiel.

97.
    Tel est notamment le cas des décisions prises au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 ayant pour objet de lever, avec effet constitutif, l'immunité à l'égard des amendes dont jouissent des entreprises, conformément à l'article 15, paragraphe 5, dudit règlement, en raison de la notification de leur accord (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, cité au point 57 ci-dessus), des décisions de demande de renseignements au titre de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 9 novembre 1994, Scottish Football/Commission, T-46/92, Rec. p. 1039, point 13), des décisions refusant de considérer que des documents émanant d'une entreprise sont couverts par le secret des affaires (arrêt de la Cour du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission, 53/85, Rec. p. 1965) et des décisions portant ouverture de la procédure d'examen des aides d'État au titre de l'article 88, paragraphe 2, CE et qualification provisoire des aides concernées d'aides nouvelles, obligeant ainsi les États membres concernés à modifier leur comportement à l'égard de ces aides (arrêts de la Cour Espagne/Commission, cité au point 57 ci-dessus, points 12 à 24, et du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C-400/99, Rec. p. I-7303, points 55 à 63; arrêt du Tribunal du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission, T-195/01 et T-207/01, Rec. p. II-2309, points 68 à 86).

98.
    À la différence de ces cas de figure, les actes attaqués ne modifient pas, par eux-mêmes, les droits et obligations des requérantes sur le plan substantiel. Notamment, l'absence de procédure communautaire en matière de recouvrement des taxes et droits de douane ne saurait être assimilée à l'immunité expressément conférée aux parties à un accord notifié par l'article 15, paragraphe 5, du règlement n° 17. En outre, s'il est vrai que les actes attaqués impliquent une évaluation provisoire par la Commission du comportement des requérantes au regard du droit des États-Unis, ils se distinguent de la décision d'ouvrir la procédure d'examen des aides d'État par le fait que le droit communautaire ne prévoit pas de conséquences juridiques déterminées découlant de cette évaluation. La saisine des juridictions américaines n'impose donc pas de nouvelles obligations aux requérantes et, comme la Commission le relève à juste titre, elle ne les oblige pas à modifier leurs pratiques.

99.
    D'autre part, certaines décisions d'ordre procédural sont attaquables du fait qu'elles portent atteinte à des droits procéduraux des intéressés (voir, concernant la décision de suspendre une procédure administrative au titre du règlement n° 17 et d'engager une procédure en manquement, arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission, T-16/91, Rec. p. II-2417, points 39 à 57, partiellement annulé, pour d'autres motifs, par l'arrêt de la Cour du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission, C-19/93 P, Rec. p. I-3319).

100.
    En l'espèce, les requérantes n'auraient toutefois pas disposé de droits procéduraux dans le cadre de la procédure en manquement, qui, selon elles, aurait dû être mise en oeuvre par la Commission. Par conséquent, la saisine de la District Court n'a pas pu les priver de droits à cet égard. L'arrêt de la Cour du 5 mai 1977, Pretore di Cento/X (110/76, Rec. p. 851), invoqué par les requérantes, ne reconnaît pas de droits procéduraux spécifiques aux particuliers. Il se prononce simplement sur la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres en matière de recouvrement des taxes. Or, en l'absence de compétence communautaire pour le recouvrement des droits et taxes concernés, il n'existe pas non plus de procédure prévue par le droit communautaire en la matière conférant des garanties aux requérantes dont elles auraient été privées.

101.
    Les requérantes n'ont pas non plus démontré que les actes attaqués ont affecté leur situation juridique au regard des procédures de recouvrement des taxes et droits de douane existant dans les États membres. Elles ont, certes, affirmé de manière générale que les droits des États membres contiennent des règles susceptibles de limiter ou d'exclure leur responsabilité en la matière et des règles qui leur confèrent des garanties procédurales. Elles n'ont cependant pas fait valoir que des procédures concrètes, menées dans un État membre, ont été écartées ou contournées en raison de la saisine de la juridiction américaine. En effet, en réponse aux questions du Tribunal, les requérantes ont indiqué que, à leur connaissance, il n'y avait pas de procédures de recouvrement engagées contre elles dans les États membres.

102.
    L'argument des requérantes selon lequel aucun organe souverain ne saurait récupérer des taxes indirectement par le biais d'une action en dommages et intérêts n'est pas non plus susceptible d'établir une atteinte à leurs droits procéduraux. Par ailleurs, cet argument relève du fond du litige.

103.
    De même, les requérantes n'ont pas indiqué concrètement de quelle manière les actes attaqués auraient affecté leur situation juridique au regard de procédures relatives à la lutte antifraude.

104.
    Il s'ensuit que les requérantes n'ont pas établi que la Commission, par les actes attaqués, a écarté ou contourné les procédures existantes en matière de recouvrement des taxes et droits de douane ou en matière de lutte antifraude dans l'ordre juridique communautaire.

105.
    Les requérantes ont encore relevé, à juste titre, que la procédure devant la District Court se distingue des procédures qui pourraient être engagées devant les juridictions des États membres par l'absence du régime de renvoi préjudiciel au titre de l'article 234 CE. Il est cependant normal, dans des litiges présentant des éléments internationaux, que le juge doive appliquer des règles de droit étrangères et qu'il le fasse dans le cadre de ses propres règles de procédure. Or, le fait que le juge applique ses propres règles de procédure fait partie des conséquences qui s'attachent nécessairement à la saisine de toute juridiction. Il ne saurait donc être qualifié d'effet juridique au sens de l'article 230 CE, tel qu'interprété par la jurisprudence. Il convient d'ajouter que, si l'article 234 CE donne aux juridictions des États membres la faculté de poser des questions préjudicielles et qu'il impose à certaines d'entre elles une obligation de renvoi, il ne confère en revanche aux parties au litige aucun droit à la saisine de la Cour.

106.
    Il s'ensuit que les actes attaqués n'ont pas porté atteinte à des droits procéduraux des requérantes.

107.
    Par conséquent, la thèse des requérantes selon laquelle les actes attaqués ont produit des effets juridiques obligatoires en les soumettant à un autre ordre juridique ou en modifiant leur situation juridique sur le plan substantiel ou procédural n'est pas fondée.

108.
    Il s'ensuit que les actes attaqués ne produisent pas, dans l'ordre juridique communautaire, des effets juridiques obligatoires au sens de l'article 230 CE, tel qu'interprété par la jurisprudence.

Sur les effets de l'introduction des actions civiles selon le droit des États-Unis

109.
    Les requérantes relèvent à juste titre que l'introduction des actions civiles devant les juridictions fédérales aux États-Unis entraîne pour elles de nombreuses conséquences découlant, d'une part, du droit procédural applicable et, d'autre part, des règles de droit substantiel invoquées dans le cadre de ces actions.

110.
    En ce qui concerne les effets de la saisine de la District Court sur le plan procédural, force est de constater tout d'abord que les conséquences invoquées par les requérantes ne sont, en grande partie, pas différentes de celles s'attachant nécessairement à la saisine de toute juridiction et, en partie, que factuelles. Tel est notamment le cas du fait que les requérantes sont tenues, pour sauvegarder leurs intérêts, de se défendre contre les actions et du fait que cette défense entraîne des coûts élevés.

111.
    Ensuite, il ne saurait être nié que les juridictions fédérales des États-Unis peuvent, en vertu de leur droit procédural, adopter des décisions ayant des effets contraignants à l'égard des parties au litige, obligeant notamment celles-ci à divulguer des éléments de fait et des documents.

112.
    Ces effets découlent cependant de l'exercice autonome des pouvoirs dont ces juridictions sont investies selon le droit des États-Unis. Ils ne sont donc pas imputables à la Commission. Par conséquent, il ne peut pas en être conclu que les actes attaqués ont produit en tant que tels des effets juridiques obligatoires à cet égard (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 13 décembre 1990, Nefarma et Bond van Groothandelaren in het Farmaceutische Bedrijf/Commission, T-113/89, Rec. p. II-797, points 95 et 96).

113.
    Pour les mêmes raisons, il convient d'écarter la thèse des requérantes, selon laquelle un effet juridique de la saisine de la juridiction américaine consiste en ce que la Communauté est juridiquement liée par les termes des plaintes déposées devant le juge américain, parce que celui-ci peut lui infliger des sanctions, même dans le cas où elle se désiste de son action, s'il s'avère que cette dernière a été engagée de manière abusive, frivole ou vexatoire. En effet, ne saurait être assimilé à l'adoption d'un acte ayant des effets obligatoires pris par une institution communautaire le comportement frustratoire ou vexatoire d'un plaignant pouvant être sanctionné par le juge américain.

114.
    En ce qui concerne les effets de la saisine de la District Court sur le plan substantiel, les requérantes se réfèrent, tout d'abord, au contenu que pourrait avoir une décision qui les condamnerait. La décision de saisir la District Court, en tant que telle, ne modifie cependant pas leur situation juridique à cet égard en les exposant à des sanctions, qui, en son absence, ne pourraient être prononcées. Elle se borne à mettre en oeuvre une procédure visant à faire constater leur responsabilité, dont l'existence sur le plan du droit substantiel n'est pas déterminée par l'introduction de l'action. Si les actes attaqués ont donc pu avoir pour effet de révéler aux requérantes qu'elles courent un risque réel de se voir infliger des sanctions par le juge américain, ceci constitue une simple conséquence de fait et non pas un effet juridique que les actes attaqués sont destinés à produire (voir, par analogie, arrêt IBM/Commission, cité au point 48 ci-dessus, point 19). En effet, si la saisine de la juridiction est indispensable, sur le plan de la procédure, pour qu'une décision définitive du juge puisse intervenir concernant le comportement des requérantes, elle n'affecte cependant pas la substance de la situation juridique sur laquelle celui-ci est tenu de se prononcer.

115.
    S'agissant, ensuite, de la thèse des requérantes selon laquelle elles sont accusées de comportements criminels dans le cadre des actions en cause, il convient de constater qu'il s'agit là d'un effet factuel. Les requérantes invoquent, en outre, l'immunité des parties à un litige les protégeant d'une action en diffamation visant les affirmations calomnieuses émises dans le cadre de la procédure. Celle-ci résulte cependant des seules dispositions du droit des États-Unis et n'est donc pas un effet des actes attaqués, imputable à la Commission.

116.
    Il en va de même de la publication des plaintes de la Commission sur Internet par la District Court. En effet, cette publication a été effectuée par la juridiction saisie dans l'exercice de ses propres pouvoirs. Elle ne saurait donc être assimilée à une décision par laquelle la Commission lève une interdiction faite à des entreprises ayant reçu communication d'un document relatif à une affaire pendante devant elle d'utiliser ce document dans le cadre d'une procédure juridictionnelle nationale, telle que celle à l'origine de l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Postbank/Commission (T-353/94, Rec. p. II-921).

117.
    Enfin, les conséquences qui peuvent découler de l'introduction des actions en cause sur le plan de la publicité des sociétés cotées en bourse sont également de nature factuelle.

118.
    Par conséquent, les effets de l'introduction des actions civiles selon le droit des États-Unis, invoqués par les requérantes, ne peuvent pas être considérés comme des effets juridiques obligatoires au sens de l'article 230 CE, tel qu'interprété par la jurisprudence.

119.
    Il y a donc lieu de constater que les actes attaqués ne sont pas des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours au titre de l'article 230 CE. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'examiner davantage les thèses des parties concernant les points de savoir si ces actes peuvent être qualifiés de mesures préparatoires, d'actes comparables à des avis ou de mesures d'organisation interne.

Sur la nécessité d'une protection juridictionnelle effective

120.
    Les requérantes soulignent que l'irrecevabilité des présents recours aurait pour effet de les priver de toute voie de droit pour contester les actes attaqués. En effet, la juridiction saisie se trouvant dans un État tiers, et en l'absence d'acte ultérieur d'une institution communautaire, ni les juridictions communautaires ni les juridictions des États membres ne pourraient alors être amenées à statuer sur la légalité du comportement de la Commission.

121.
    À cet égard, il doit être rappelé que la Cour a affirmé que l'accès au juge est un des éléments constitutifs d'une communauté de droit et qu'il est garanti dans l'ordre juridique fondé sur le traité CE du fait que celui-ci a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêt de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23). La Cour fonde sur les traditions constitutionnelles communes aux États membres et sur les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales le droit à un recours effectif devant une juridiction compétente (arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18).

122.
    Le droit à un recours effectif pour toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a, en outre, été réaffirmé par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1), qui, bien que n'étant pas dotée de force juridique contraignante, démontre l'importance, dans l'ordre juridique communautaire, des droits qu'elle énonce.

123.
    À cet égard, il convient de relever que les justiciables ne sont pas privés d'un accès au juge du fait qu'un comportement dépourvu de caractère décisionnel ne peut pas faire l'objet d'un recours en annulation, le recours en responsabilité non contractuelle prévu aux articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE restant ouvert si un tel comportement est de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

124.
    S'il peut paraître souhaitable, en outre, que les particuliers disposent, à côté du recours en indemnité, d'une voie de recours permettant de prévenir - ou de mettre fin à - des comportements non décisionnels des institutions susceptibles de porter atteinte à leurs intérêts, force est toutefois de constater qu'une telle voie de recours, qui impliquerait nécessairement que le juge communautaire adresse des injonctions aux institutions, n'est pas prévue par le traité. Or, il n'appartient pas au juge communautaire de se substituer au pouvoir constituant communautaire en vue de procéder à une modification du système des voies de recours et des procédures établi par le traité (arrêt du Tribunal du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T-172/98, T-175/98 à T-177/98, Rec. p. II-2487, point 75).

125.
    Il résulte de ce qui précède que les recours doivent être rejetés comme irrecevables.

Sur les dépens

126.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

127.
    Les requérantes ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu de les condamner à supporter solidairement les dépens de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

128.
    Conformément à l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

déclare et arrête:

1)    Les recours sont rejetés comme irrecevables.

2)    Les parties requérantes supporteront leurs propres dépens ainsi que, solidairement, ceux exposés par la Commission.

3)    Les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.

Moura Ramos
Tiili
Pirrung

Mengozzi Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 janvier 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: l'anglais.