Language of document : ECLI:EU:T:2023:701

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

8 novembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Inscription du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Notion d’“homme d’affaires influent” – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑282/22,

Dmitry Arkadievich Mazepin, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes D. Rovetta, M. Campa, M. Moretto, V. Villante et A. Bass, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J. Rurarz et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

République de Lettonie, représentée par Mmes J. Davidoviča et K. Pommere, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, I. Gâlea et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 11 septembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Dmitry Arkadievich Mazepin, demande l’annulation de la décision (PESC) 2022/397 du Conseil, du 9 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 31), et du règlement d’exécution (UE) 2022/396 du Conseil, du 9 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), en ce que ces actes inscrivent son nom sur les listes annexées auxdits actes.

 Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité russe.

3        La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

4        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

5        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

6        Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause. Selon le considérant 11 de la décision 2022/329, le Conseil a estimé qu’il convenait de modifier les critères de désignation de façon à inclure les personnes et entités qui apportaient un soutien au gouvernement de la Fédération de Russie ou qui tiraient avantage de ce gouvernement ainsi que les personnes et entités qui lui fournissaient une source substantielle de revenus et les personnes physiques ou morales associées aux personnes et entités figurant sur la liste.

7        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée »), se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a)      à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;

[…]

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

8        Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

9        L’article 1er, paragraphe 1, sous a) et e), de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et g), de cette même décision.

10      Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), impose l’adoption des mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

11      Dans ce contexte, le 9 mars 2022, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2022/397 et, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement d’exécution 2022/396.

12      Par les actes attaqués le nom du requérant a été ajouté, respectivement, à la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et à celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 modifié (ci-après les « listes en cause »), aux motifs suivants :

« [Le requérant] est le propriétaire et [le] PDG de la société d’engrais minéraux Uralchem. Le groupe Uralchem est un fabricant russe d’un large éventail de produits chimiques, notamment d’engrais minéraux et de salpêtre d’ammonium. Selon cette entreprise, elle serait en Russie le plus grand producteur de nitrate d’ammonium et le deuxième plus grand producteur d’engrais à base d’ammoniac et d’azote. [Le requérant] exerce donc des activités dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

Le 24 février 2022, à la suite des premières phases de l’agression russe contre l’Ukraine, [le requérant], ainsi que 36 autres hommes d’affaires, ont rencontré le président […] Poutine et d’autres membres du gouvernement russe pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il a été invité à participer à cette réunion montre qu’il appartient au cercle le plus proche [du président] Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Cela montre également qu’il fait partie des hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

En décembre 2021, [le requérant] a revu l’enregistrement de ses sociétés Uralchem Holding et CI-Chemical Invest établies à Chypre, contrôlant “Uralchem”, pour le faire passer sous juridiction russe dans la région administrative spéciale de l’île Oktyabrsky située dans l’oblast de Kaliningrad. »

13      Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 10 mars 2022 (JO 2022, C 114 I, p. 1) un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes attaqués. Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes annexées aux actes attaqués, en y joignant des pièces justificatives.

14      Par courriel du 21 avril 2022, le requérant a demandé au Conseil de lui donner accès aux documents ayant servi de fondement à l’adoption des mesures restrictives le concernant.

15      Par lettre du 28 avril 2022, le Conseil a répondu à la demande du requérant visée au point 14 ci-dessus et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 3052/2022, daté du 8 mars 2022 (ci-après le « dossier WK »).

 Conclusions des parties

16      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

17      Le Conseil, soutenu par la République de Lettonie, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

18      À l’appui du recours, le requérant soulève quatre moyens, tirés, en substance, le premier, d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation et du non-respect de la charge de la preuve, le troisième, d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux et, le quatrième, d’une violation du principe d’égalité de traitement.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective et de lobligation de motivation

19      Le requérant soutient, en substance, que la motivation retenue dans les actes attaqués ne lui permettrait pas de se défendre et de comprendre les critères que le Conseil entend appliquer, ni même de quelle manière et la raison pour laquelle ces critères lui seraient applicables. La motivation serait soit quasi absente ou contradictoire, soit non conforme aux exigences de précision, et, en tout état de cause, incomplète. Par ailleurs, ni la motivation des actes attaqués ni les pièces contenues dans le dossier WK ne lui permettraient de connaître les raisons individuelles, spécifiques et concrètes de nature à lui donner une indication suffisante pour savoir si les actes attaqués sont bien fondés.

20      Premièrement, le requérant soutient que le Conseil n’a pas identifié le secteur économique qui fournirait des revenus substantiels au gouvernement de la Fédération de Russie et n’a pas apporté la preuve que de tels revenus étaient fournis. Le Conseil n’aurait pas expliqué la raison et dans quelle mesure les secteurs économiques dans lesquels le requérant exerce une activité constitueraient une « source substantielle de revenus » pour ledit gouvernement. Il ajoute ne pas percevoir de quelle manière deux sociétés privées, à savoir Uralchem et Uralkali, pourraient être considérées comme une « source substantielle de revenus » pour le gouvernement de la Fédération de Russie dès lors que la seule manière dont elles contribuent au budget national est le paiement d’impôts.

21      Deuxièmement, le requérant fait valoir qu’il ne ressort pas clairement de l’exposé des motifs à quel comportement spécifique les mesures restrictives visent à réagir et si ce comportement consiste en un soutien ou en une mise en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Il indique notamment ne pas percevoir pourquoi le fait d’être invité à une réunion avec le président Poutine signifierait qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques de la Russie en Ukraine.

22      Troisièmement, dans la réplique, le requérant fait valoir qu’il ne résulte pas de la lecture des motifs quels sont les critères qui lui ont été appliqués. Il ajoute que, dès lors que le dossier WK ne lui a été communiqué qu’après son inscription sur les listes en cause et à sa demande expresse, ce dossier ne saurait suppléer à la motivation déficiente des actes attaqués.

23      Le Conseil, soutenu par la République de Lettonie, conteste le bien-fondé de ce moyen.

24      Selon une jurisprudence constante, le droit à une protection juridictionnelle effective, affirmé à l’article 47, troisième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard, soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite à sa demande. Cela est sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider, en pleine connaissance de cause, s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 100 et jurisprudence citée ; arrêt du 21 janvier 2016, Makhlouf/Conseil, T‑443/13, non publié, EU:T:2016:27, point 38).

25      En outre, il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises aux fins d’en apprécier le bien-fondé et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 25 et jurisprudence citée).

26      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 26 et jurisprudence citée).

27      Enfin, il importe de rappeler que la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte, ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application des mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (voir arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 111 et jurisprudence citée).

28      En l’espèce, la motivation retenue à l’égard du requérant dans les actes attaqués est celle exposée au point 12 ci-dessus.

29      En premier lieu, il convient de relever que le contexte général ayant conduit le Conseil à adopter les mesures restrictives en cause est exposé aux considérants des actes attaqués. De même, il résulte desdits actes l’indication de la base juridique des mesures adoptées par le Conseil, respectivement l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE.

30      En deuxième lieu, ainsi que le souligne à juste titre le Conseil et contrairement à ce que prétend le requérant, il résulte clairement de la lecture de la motivation des actes attaqués que le Conseil a inscrit son nom sur les listes en cause en se fondant sur les critères concernant :

–        les « personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, [les] des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques » [critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée, à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 269/2014 modifié et, en substance, à l’article 1er, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145 modifiée, ci-après le « critère a) » ] ;

–        les « femmes et hommes d’affaires influents […] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine [et] les personnes physiques et morales […] qui leur sont associées » [critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 modifiée, à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014 modifié et, en substance, à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la décision 2014/145 modifiée, ci-après le « critère g) »].

31      En effet, le Conseil a mentionné que le requérant était propriétaire et PDG de la société Uralchem et qu’il avait participé le 24 février 2022 à une réunion avec le président Poutine. Or, le Conseil en a tiré la conclusion que, d’une part, le requérant « exerce donc des activités dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine » et que, d’autre part, il « soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine ». Dès lors que cela correspond au libellé des critères a) et g), le requérant ne saurait valablement soutenir que les motifs ne faisaient pas apparaître les critères qui avaient été appliqués.

32      En troisième lieu, contrairement à ce que fait valoir le requérant, il convient de constater que les raisons spécifiques et concrètes ayant conduit le Conseil à procéder à l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause sont indiquées de manière suffisamment claire pour lui permettre de les comprendre.

33      Premièrement, s’agissant du critère a), les motifs des actes attaqués soulignent que, compte tenu de sa participation à la réunion du 24 février 2022, il fait partie du cercle proche du président Poutine et soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine. Deuxièmement, s’agissant du critère g), les motifs des actes attaqués indiquent clairement que le requérant doit être considéré comme un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Or, cette qualification d’homme d’affaires influent découle sans ambiguïté possible du fait qu’il est propriétaire et PDG de la société Uralchem, eu égard à l’importance que représente cette entreprise en Russie, et du fait qu’il a été invité à participer à la réunion avec le président Poutine le 24 février 2022. Troisièmement, s’agissant du secteur économique concerné, les motifs mentionnent, tout d’abord, que le requérant est propriétaire et PDG de la société Uralchem qui est une « société d’engrais minéraux ». Ensuite, il est mentionné que le groupe Uralchem fabrique un « large éventail de produits chimiques, notamment [des] engrais minéraux et de [la] salpêtre d’ammonium ». Enfin, les motifs soulignent que la société Uralchem serait en Russie le « plus grand producteur de nitrate d’ammonium et le deuxième plus grand producteur d’engrais à base d’ammoniac et d’azote ». C’est en s’appuyant sur cette description que le Conseil en a conclu que le requérant satisfaisait au critère g) et qu’il pouvait donc être considéré comme ayant une « activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie » au sens dudit critère. Or, ainsi que l’ont relevé en substance le Conseil et la République de Lettonie, il s’agit bien d’une indication évidente du secteur économique concerné dans lequel le groupe Uralchem exerce ses activités économiques, en l’occurrence celui des engrais, ainsi que du rôle du requérant dans ce secteur.

34      Il y a lieu d’ajouter que, par lettre du 28 avril 2022, le Conseil a fait droit à la demande d’accès au dossier formulée par le requérant et lui a transmis le dossier WK (voir points 14 et 15 ci-dessus). Or, ce dossier contenait les précisions relatives aux éléments justifiant l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, y compris les fondements juridiques de celle-ci, et faisait clairement ressortir que les critères a) et g) avaient été appliqués en raison de ses activités au sein du groupe Uralchem ainsi que de sa participation à la réunion du 24 février 2022.

35      À cet égard, il importe de rappeler que le respect de l’obligation de motivation doit être apprécié en fonction des éléments d’information dont la partie requérante dispose au moment de l’introduction d’un recours (voir arrêt du 28 novembre 2019, Portigon/CRU, T‑365/16, EU:T:2019:824, point 174 et jurisprudence citée).

36      Ainsi, au moment de l’introduction de son recours, et contrairement à ce que prétend le requérant, une lecture combinée des motifs figurant au point 12 ci-dessus, du libellé des critères a) et g) ainsi que des éléments de preuve du dossier WK lui permettait aisément de comprendre ce qui lui était reproché et de pouvoir se défendre. Cela est d’ailleurs pleinement confirmé par les moyens et les arguments qu’il a soulevés dans ses écritures, dont il ressort, d’une part, qu’il a été mis en mesure de connaître les justifications des mesures prises à son égard afin de pouvoir les contester utilement devant le juge de l’Union et, d’autre part, que le contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures était connu par lui.

37      En quatrième lieu, le fait que le Conseil n’ait pas exposé de manière détaillée quels auraient été les comportements susceptibles de constituer un soutien ou une mise en œuvre des actions ou des politiques de la Russie en Ukraine ou qu’il n’ait pas expliqué la raison et dans quelle mesure les secteurs économiques dans lesquels le requérant exerce une activité constitueraient une « source substantielle de revenus » pour ledit gouvernement ne saurait conduire à constater une violation de l’obligation de motivation qui lui incombe. En effet, conformément à la jurisprudence rappelée au point 26 ci-dessus, le Conseil n’est pas tenu de spécifier tous les éléments de fait et de droit pertinents ; en outre, le requérant a été mis en mesure de comprendre la portée des mesures prises à son égard.

38      Enfin, en cinquième lieu, il convient de relever que les arguments du requérant selon lesquels il ne perçoit pas de quelle manière deux sociétés privées pourraient être considérées comme une « source substantielle de revenus » pour le gouvernement de la Fédération de Russie ni la raison pour laquelle le fait d’être invité à une réunion par le président Poutine signifierait qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques de la Russie en Ukraine ne tendent pas à remettre spécifiquement en cause le caractère suffisant de la motivation des actes attaqués, mais plutôt la légalité au fond de ces actes. Partant, ces arguments doivent être examinés dans le cadre du deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation.

39      Il convient d’en conclure que la motivation des actes attaqués est compréhensible et suffisamment précise pour permettre au requérant de connaître les raisons ayant conduit le Conseil à considérer que l’inscription de son nom sur les listes en cause était justifiée et d’en contester la légalité devant le juge de l’Union et pour permettre à ce dernier d’exercer son contrôle, conformément aux règles rappelées aux points 24 à 26 ci-dessus.

40      Il y a donc lieu de rejeter les arguments du requérant selon lesquels la motivation des actes attaqués serait soit quasi absente ou contradictoire, soit imprécise ou incomplète, violant ainsi son droit à une protection juridictionnelle effective et l’obligation de motivation.

41      Dès lors, le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré dune erreur manifeste dappréciation et du non-respect de la charge de la preuve

42      Le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil n’apporte pas, conformément à la charge de la preuve qui lui incombe, d’éléments concrets, précis et concordants permettant de constituer une base factuelle suffisante afin d’étayer l’inscription de son nom sur les listes en cause en application des critères a) et g).

43      Le Conseil, soutenu par la République de Lettonie, conteste le bien-fondé de ce moyen.

 Considérations liminaires

44      Il importe de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, points 54 et 55, et du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

45      Par ailleurs, il convient de souligner que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

46      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

47      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étaient les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

48      C’est à la lumière de ces règles jurisprudentielles qu’il convient d’examiner le bien-fondé des arguments du requérant.

 Sur les éléments de preuve produits par le Conseil

49      En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil s’est fondé sur le dossier WK comportant douze éléments de preuve. Il convient de relever qu’il s’agit d’éléments d’information publiquement accessibles, à savoir :

–        des extraits d’un compte Twitter de février 2022 (pièce no 1) et d’un article de l’agence numérique biélorusse office life de décembre 2020 (pièce no 10) ;

–        des articles de presse des sites « Corriere.it » de février 2022 (pièce no 2), « tass.ru » de février 2022 (pièce no 3), « interfax.ru » de décembre 2021 (pièce no 7), « reuters.com » de novembre 2019 (pièce no 8), « intelligenceonline.com » de juin 2021 (pièce no 9), « latifundist.com » de mai 2018 (pièce no 11) et « washingtonmonthly.com » d’octobre 2021 (pièce no 12) ;

–        des pages extraites du site Internet officiel de la société Uralchem consultées en février 2022 (pièces nos 4, 5 et 6).

 Sur l’application au requérant du critère g)

50      À titre liminaire, il y a lieu de relever que le requérant reconnaît, dans la requête, qu’il ressort du dossier WK que le critère g) lui a été appliqué. Ainsi que cela a été précisé aux points 30 et 31 ci-dessus, cela ressort également clairement des motifs des actes attaqués.

51      S’agissant de l’interprétation de ce critère, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir arrêt du 11 juin 2020, Pantochim, C‑19/19, EU:C:2020:456, point 37 et jurisprudence citée).

52      De plus, la nécessité d’une interprétation uniforme des actes de l’Union exclut que, en cas de doute, le texte d’une disposition soit considéré isolément et exige au contraire qu’il soit interprété et appliqué à la lumière des versions établies dans les autres langues officielles (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 62 et jurisprudence citée).

53      De même et enfin, si le considérant d’un règlement n’a pas de valeur juridique contraignante, il peut permettre d’éclairer l’interprétation à donner à une règle de droit et ne saurait constituer par lui-même une règle de droit (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission, T‑704/14, EU:T:2017:753, point 150 et jurisprudence citée).

54      En l’espèce, il convient de constater que le critère g) implique la notion d’influence en lien avec l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement [de la Fédération de Russie] », sans autre condition concernant un lien avec le régime. Le Conseil vise en effet, par ce critère, à exploiter l’influence que la catégorie de personnes visée est susceptible d’exercer sur le régime russe en l’espèce, en les poussant à faire pression sur ce gouvernement pour qu’il modifie sa politique. Par ailleurs, il y a lieu de considérer que la notion d’« hommes d’affaires influent » doit être comprise comme visant l’importance de ces derniers au regard, notamment, de leurs statuts professionnels, de l’importance de leurs activités économiques, de l’ampleur de leurs possessions capitalistiques ou de leurs fonctions au sein d’une ou de plusieurs entreprises dans lesquelles ils exercent ces activités.

55      Une telle interprétation est corroborée par le fait que l’objectif des mesures restrictives est de faire pression sur le gouvernement de la Fédération de Russie et d’accroître le coût des actions de ladite Fédération visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157).

56      L’objectif mentionné au point précédent implique que, par l’expression « qui fournissent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie », ce sont les secteurs économiques et non les hommes d’affaires qui sont visés, ce qui correspond à l’un des objectifs visés par les mesures restrictives, à savoir affecter les secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour la Fédération de Russie.

57      De ce fait et indépendamment, notamment, de la formulation empruntée par le considérant 11 de la décision 2022/329 invoquée par le requérant lors de l’audience, il y a lieu d’interpréter le critère g) en ce sens, d’une part, qu’il a vocation à s’appliquer à des femmes et hommes d’affaires influents dans le sens décrit au point 54 ci-dessus et, d’autre part, que ce sont les secteurs économiques dans lesquels interviennent ces personnes qui doivent constituer une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

58      C’est donc à l’aune de cette interprétation du critère g) qu’il convient d’examiner le bien-fondé du motif d’inscription retenu dans les actes attaqués.

59      Le motif retenu à l’égard du requérant qui se rattache au critère g) a trait au fait que, en raison du fait qu’il est propriétaire et PDG de la société Uralchem et qu’il a participé à la réunion du 24 février 2022, il est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie (voir point 33 ci-dessus).

60      À cet égard, il convient de rejeter d’emblée l’allégation du requérant selon laquelle, en substance, il s’avère que son inscription sur les listes en cause est principalement due au fait que le groupe Uralchem, dont fait partie la société Uralkali et auquel il est associé, fournirait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

61      En effet, il suffit de constater qu’une telle allégation procède d’une lecture erronée des motifs des actes attaqués. Il est vrai que ces motifs mentionnent la société Uralchem, ainsi que le groupe Uralchem dont fait partie la société Uralkali, comme étant en Russie le plus grand producteur de nitrate d’ammonium et le deuxième plus grand producteur d’engrais à base d’ammoniac et d’azote. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il découle sans ambiguïté desdits motifs que le requérant est considéré comme un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie du fait qu’il est propriétaire et PDG de la société Uralchem et qu’il a participé le 24 février 2022 à une réunion organisée par le président Poutine.

62      Cela étant précisé, il convient donc de vérifier si l’ensemble des éléments de preuve soumis par le Conseil aux fins d’adopter les actes attaqués satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe, et constitue un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer le motif d’inscription.

63      S’agissant de la notion d’« hommes d’affaires influents », il y a lieu de rappeler qu’elle doit être comprise comme visant l’importance de ces derniers au regard, notamment, de leurs statuts professionnels et de leurs activités économiques (voir point 53 ci-dessus).

64      À cet égard, d’une part, il est constant entre les parties que, à tout le moins au jour de l’adoption des actes attaqués, le requérant était propriétaire et PDG de la société Uralchem, qui est le plus grand producteur de nitrate d’ammonium de Russie et l’un des plus grands producteurs d’engrais à base d’ammoniac et d’azote. Par ailleurs, il n’est pas contesté que le requérant était également vice-président de la société Uralkali qui fait partie du groupe Uralchem. Ces éléments se trouvent notamment dans les pièces nos 4, 7 et 10 du dossier WK et sont confirmés par la requête.

65      D’autre part, il convient de souligner que le requérant était présent lors de la réunion du 24 février 2022 organisée par le président Poutine et réunissant plusieurs hommes d’affaires russes (pièces nos 1 à 3). Or, bien que n’étant pas à lui seul déterminant, cet élément corrobore le caractère d’homme d’affaires influent du requérant. En effet, parmi tous les hommes d’affaires actifs de Russie, seuls 37 ont été conviés à cette réunion.

66      C’est donc à bon droit que le Conseil a considéré que le requérant était un homme d’affaires influent, ce que celui-ci ne conteste d’ailleurs nullement dans ses écritures. Cette qualification d’homme d’affaires influent peut d’ailleurs se déduire de l’importance de cette entreprise en Russie, tel que cela est souligné par le requérant lui-même dans la requête notamment.

67      Il convient donc d’examiner si le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer dans les actes attaqués que le requérant était un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

68      Le requérant conteste exercer une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie au sens du critère g). En substance, il soutient principalement qu’aucun élément de preuve produit par le Conseil ne permettrait de démontrer que lui ou les deux sociétés dans lesquelles il est actif peuvent être considérés comme fournissant une source de revenus substantielle au gouvernement de la Fédération de Russie.

69      En premier lieu, il convient de souligner que si la propre contribution du groupe Uralchem au budget de la Fédération de Russie peut être utile pour déterminer son importance économique dans le secteur concerné ou la qualité d’homme d’affaires influent du requérant, elle n’est pas déterminante aux fins de répondre à la question de savoir si ce dernier peut être qualifié d’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. En effet, ainsi que cela ressort des points 51 à 57 ci-dessus, c’est le secteur économique, et non une personne physique ou une entreprise en particulier, qui doit constituer une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

70      Dans ces conditions, doit être rejetée comme étant inopérante l’argumentation du requérant selon laquelle aucun élément de preuve du dossier WK ne confirmerait que lui ou les deux sociétés dans lesquelles il est actif constituent une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

71      En deuxième lieu, s’agissant du secteur économique en cause en l’espèce, contrairement à ce que prétend le requérant, il découle clairement des motifs des actes attaqués ainsi que de l’activité du groupe Uralchem que le secteur économique concerné est celui des engrais (voir point 33 ci-dessus).

72      En troisième lieu, s’agissant de la question de savoir si ledit secteur fournit une source de revenus substantielle au gouvernement de la Fédération de Russie, il découle des pièces n os 4, 6, 7 et 12, sans que cela ne soit contesté par le requérant, que, premièrement, la Russie est un acteur mondial majeur sur le marché des engrais. De l’aveu même du requérant, elle est le premier exportateur mondial d’engrais azotés et le deuxième d’engrais phosphorés et potassiques. Deuxièmement, Uralchem est l’un des plus grands producteurs russes d’engrais minéraux et, troisièmement, Uralkali est le plus grand producteur russe de chlorure de potassium.

73      Il y a lieu d’ajouter que le secteur des engrais, dans lequel ces deux sociétés exercent leurs activités, est très important, ainsi qu’en attestent, d’une part, la pièce n o 12 relative à l’influence de l’industrie russe des engrais sur les approvisionnements mondiaux et, d’autre part, la pièce n o 4 qui est extraite du site Internet de la société Uralchem et qui relate une réunion qui s’est tenue entre le requérant et le président Poutine en janvier 2022. Lors de cette réunion, après avoir souligné que les deux sociétés accordaient une grande importance à la fois au développement des régions dans lesquelles les deux sociétés agissent, à la mise en œuvre de projets sociaux au niveau fédéral et à la construction d’infrastructures, le requérant a remercié le président Poutine et le gouvernement pour leur soutien à l’industrie chimique qu’il qualifie lui-même d’« élément clé du développement de l’agriculture en Russie et à l’étranger ». L’importance de l’activité desdites sociétés est au demeurant pleinement corroborée par l’argument du requérant avancé dans le cadre du troisième moyen de son recours. En effet, il indique lui-même, tout d’abord, que ces deux sociétés fournissent des produits tels que les engrais qui sont d’une importance cruciale pour éviter une crise alimentaire mondiale, ensuite, que de nombreux pays en développement dépendent de la Russie pour au moins 1/5e de leurs importations et, enfin, que la société Uralkali produit et fournit des engrais de haute qualité nécessaires à l’agriculture.

74      Partant, eu égard à la place de la Russie au niveau mondial dans le secteur des engrais ainsi qu’à l’importance de ce secteur dans le domaine agroalimentaire russe et mondial, qui découle tant des éléments de preuve figurant dans le dossier WK que des aveux du requérant lui-même, il y a lieu de constater que le secteur des engrais fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

75      Certes, ainsi que le soutient à juste titre le requérant, il est vrai que ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié ne définissent cette notion de « source substantielle de revenus ». Il convient cependant de relever que l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus soit significative et donc non négligeable. De même, le Conseil n’a pas fourni de données chiffrées des revenus procurés à ce gouvernement. Toutefois, il ne fait aucun doute, au vu de ce qui précède et notamment de l’importance de la Russie dans le secteur des engrais, que ce secteur d’activités dans lequel la société Uralchem est impliquée fournit, directement ou à tout le moins indirectement, une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

76      Il y a donc lieu de conclure que, dans les actes attaqués, le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence que le requérant, de par le fait qu’il est propriétaire et PDG de la société Uralchem, laquelle contrôle la société Uralkali qui fait partie du groupe Uralchem, est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

77      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par le requérant.

78      En premier lieu, le requérant allègue, en substance, que la contribution fiscale des sociétés Uralchem et Uralkali se limite au paiement des impôts obligatoires et que cette contribution est insignifiante par rapport aux recettes fiscales totales du budget de l’État russe. S’agissant des impôts sur le revenu, il souligne que, en 2021, seuls 5,95 millions de dollars des États-Unis (USD) sur 198,5 millions payés par la société Uralchem et seuls 10,62 millions d’USD sur 354,08 millions payés par la société Uralkali ont été affectés au budget fédéral, soit un montant total de 16,57 millions d’USD. Or, selon lui, cela ne représenterait qu’une goutte d’eau dans l’océan des recettes fédérales russes qui s’élevaient à environ 343,3 milliards d’USD. Il ajoute que, s’agissant de la TVA, il s’agit d’un impôt indirect supporté par les consommateurs et non par les fournisseurs, si bien qu’il n’y a pas lieu de considérer qu’il s’agisse d’une contribution versée par lesdites sociétés.

79      À cet égard, premièrement, il convient de relever que, à supposer établie l’allégation selon laquelle la contribution desdites sociétés serait insignifiante par rapport aux recettes fiscales totales du budget de l’État russe, il n’en demeure pas moins que, bien que moins importantes que d’autres recettes fiscales, telles que celles tirées du secteur de l’énergie, elles peuvent s’avérer aussi substantielles. D’ailleurs, force est de constater que l’application du critère g) n’implique pas nécessairement que le Conseil prenne en compte la totalité des recettes fiscales du budget de l’État russe, mais qu’il vérifie si le secteur économique dans lequel le requérant a ses activités constitue une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

80      Deuxièmement, il importe de rappeler que c’est le secteur économique, et non une personne physique ou une entreprise en particulier, qui doit constituer une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie (voir point 69 ci-dessus). Or, force est de considérer que le montant d’impôts sur le revenu de 16,57 millions d’USD, qu’auraient payés les sociétés Uralchem et Uralkali au budget fédéral russe en 2021, corrobore clairement le fait que le secteur des engrais, dans son ensemble, fournit nécessairement une source de revenus substantielle à ce gouvernement. Dans la requête, le requérant indique notamment, d’une part, que dans le segment du nitrate d’ammonium, il existe sept autres producteurs importants détenant des parts de marché significatives et, d’autre part, que la position de la société Uralchem est moins forte dans d’autres segments du marché, tels que la production d’ammoniac, d’urée et d’engrais azotés. Dès lors qu’il y a lieu de tenir compte des contributions de tous les acteurs du secteur concerné, il ne fait aucun doute que ce secteur constitue une source substantielle de revenus au sens du critère g).

81      Cette conclusion est d’autant plus valable que, contrairement à ce que prétend le requérant, il n’y a pas lieu de se limiter aux impôts directs pour vérifier si les conditions du critères g) sont réunies.

82      En effet, il importe de relever que, quand bien même des impôts indirects tels que la TVA seraient payés uniquement par les consommateurs, il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent être une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie, et que rien dans le libellé du critère g) ne permet d’exclure la prise en compte de tels impôts. En effet, rien ne semble s’opposer à ce qu’il soit tenu compte de toute source de revenus que le gouvernement russe tire des activités du secteur concerné, y compris la TVA, ainsi que de tout autre revenu directement ou indirectement versé au budget de l’État russe lié audit secteur.

83      En second lieu, dans la réplique, le requérant fait valoir, en substance, que si l’interprétation du critère g) faite par le Conseil était correcte, et qu’il suffirait donc qu’une personne opère dans un secteur économique déterminé pour que soit rempli le critère pertinent, quel que soit son comportement ou celui des deux sociétés dans lesquelles il est actif, son rôle et sa conduite à l’égard de la politique russe en Ukraine, il soulève un moyen tiré de l’illégalité de ce critère au titre de l’article 277 TFUE.

84      À cet égard, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la recevabilité de cet argument, soulevé pour la première fois au stade de la réplique, il ne peut être accueilli.

85      En effet, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263 TFUE, deuxième alinéa, pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

86      Le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes attaqués prévoyant les critères litigieux visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45, et du 15 septembre 2021, Boshab/Conseil, T‑107/20, non publié, EU:T:2021:583, point 201).

87      À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié n’ont institué de présomption de lien entre la qualité d’homme d’affaires influent et le gouvernement de la Fédération de Russie.

88      De ce fait, l’application du critère g) à une personne déterminée suppose que, au préalable, le Conseil rapporte la preuve, notamment par la conjonction d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, d’une part, que la personne faisant l’objet d’une mesure restrictive est un homme d’affaires influent et, d’autre part, que ce dernier intervient dans un secteur qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

89      Deuxièmement, il importe de souligner que l’objectif déclaré des actes attaqués, et donc de l’adoption de ce critère, est que l’Union continue d’apporter « un soutien sans réserve à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine » (considérant 2 des actes attaqués) et d’adopter des nouvelles mesures restrictives « qui auront des conséquences lourdes et massives pour la Russie consécutivement à ses actions » (considérant 4). L’objectif est donc d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût des actions de cette dernière visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise (arrêt du 17 septembre 2020, Rosneft e.a./Conseil, C‑732/18 P, non publié, EU:C:2020:727, point 85). Un tel objectif cadre avec celui consistant à préserver la paix et la sécurité internationales, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 115).

90      Or, le critère g) vise des « femmes et hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine », autrement dit les personnes à l’égard desquelles l’adoption des mesures restrictives en cause est de nature à accroître le coût des actions de la Fédération de Russie en Ukraine. Ledit critère répond ainsi à la volonté du Conseil d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine.

91      Il existe donc un lien logique entre le fait de cibler les femmes et les hommes d’affaires influents exerçant leurs activités dans des secteurs économiques fournissant des revenus substantiels au gouvernement, au vu de l’importance que revêtent ces secteurs pour l’économie russe, et l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût des actions de cette dernière visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157).

92      Partant, force est de considérer que, contrairement à ce que fait valoir le requérant, le critère g) contient des conditions relatives au comportement personnel des personnes visées, à savoir leur influence, due à leurs activités économiques dans certains secteurs, ce qui permet d’établir un lien suffisant entre ces personnes et le pays tiers visé, en l’occurrence la Fédération de Russie.

93      Par conséquent, au vu de tout ce qui précède, il convient de considérer que le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, en raison de sa qualité d’homme d’affaires influent au sens du critère g), est suffisamment étayé, de sorte que, au regard de ce critère, l’inscription de son nom sur ces listes est fondée.

94      Or, selon la jurisprudence, eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision [voir arrêt du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, sous pourvoi, EU:T:2022:298, point 178 (non publié) et jurisprudence citée].

95      Dès lors, il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant et visant à remettre en cause le critère a), de rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré dune violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux

96      Le requérant fait valoir, en substance, que l’inscription de son nom sur les listes en cause constitue une limitation injustifiée et disproportionnée de ses droits fondamentaux, au rang desquels figurent, notamment, le droit à la liberté d’entreprise et celui de la propriété.

97      En substance, le requérant soutient que les mesures restrictives le concernant ne seraient pas nécessaires et appropriées à la réalisation de l’objectif poursuivi par la décision 2014/145 modifiée et par le règlement no 269/2014 modifié. En effet, leur application reviendrait à considérer que toutes les personnes qui exercent une activité économique importante en Russie et qui s’acquittent de leurs obligations fiscales pourraient, de ce seul fait, être sanctionnées. En outre, le Conseil aurait dû tenir compte du fait que les deux sociétés dans lesquelles il est actif, à savoir Uralchem et Uralkali, cette dernière faisant partie du groupe Uralchem, outre qu’elles ne contribuent nullement aux actions et à la politique de la Russie en Ukraine, sont également des producteurs et des fournisseurs de produits tels que les engrais, qui sont d’une importance capitale pour éviter une crise alimentaire dans le monde. Il ajoute, à cet égard, que le fait que ces deux sociétés soient expressément mentionnées dans les motifs des actes attaqués perturbe leurs activités en ce que cela dissuade les partenaires de prendre le risque de violer le régime de sanctions, ce qui contribuerait à l’aggravation de la crise alimentaire mondiale. Par ailleurs, le requérant souligne que, en raison de l’inscription de son nom sur les listes en cause par les actes attaqués, des wagons de chemin de fer transportant des engrais de ces sociétés ont été arrêtés en Finlande en avril 2022 au motif qu’ils étaient prétendument sa propriété ou sous son contrôle. Or, cela engendrerait des coûts d’entreposage très importants qu’il devrait supporter d’après une loi finlandaise sur les sanctions. Enfin, il prétend que les conditions prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, pour que puissent être limités ses droits fondamentaux, ne sont pas réunies.

98      Le Conseil, soutenu par la République de Lettonie, conteste le bien-fondé de ce moyen.

99      Il convient de rappeler que le droit à la liberté d’entreprise fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré par l’article 16 de la Charte. Le droit à la propriété est quant à lui consacré à l’article 17 de la Charte.

100    En l’espèce, les mesures restrictives en cause constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur propriété ou de leur liberté d’entreprise. Toutefois, elles affectent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété et de la liberté d’entreprise du requérant (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 115 et jurisprudence citée).

101    Cependant, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, dans le droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société (voir arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 113 et jurisprudence citée).

102    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

103    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à quatre conditions. Premièrement, elle doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre les droits fondamentaux d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel de ces droits. Troisièmement, ladite limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 69 et 84 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, point 140 et jurisprudence citée).

104    En l’espèce, contrairement à ce que prétend le requérant, ces quatre conditions sont remplies s’agissant des actes attaqués.

105    En effet, en premier lieu, les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union ainsi que d’une motivation suffisante en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application au requérant (voir points 29 à 41 ci-dessus) (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée). De plus, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, il a été établi que la motivation des actes attaqués permettait de conclure que le Conseil pouvait légitimement inscrire le nom du requérant sur les listes en cause (voir point 93 ci-dessus).

106    En deuxième lieu, en ce qui concerne la question de savoir si la limitation en cause respecte le « contenu essentiel » desdits droits fondamentaux, il y a lieu de constater que les mesures restrictives imposées sont limitées dans le temps et sont réversibles (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Oblitas Ruzza/Conseil, T‑551/18, non publié, EU:T:2021:453, point 96 et jurisprudence citée).

107    Tout d’abord, en vertu de l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée, les listes en cause font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées.

108    Ensuite, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée ainsi que l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques. En outre, dans la mesure où les actes attaqués n’ont pas pour effet de confisquer les biens du requérant, il y a lieu de considérer que de telles mesures ne revêtent aucun caractère pénal.

109    Enfin, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

110    En troisième lieu, les mesures restrictives en cause visent à exercer une pression sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Or, il s’agit là d’un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes du droit international ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale et de la protection des populations civiles.

111    En quatrième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler que ce dernier, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 178 et jurisprudence citée).

112    La jurisprudence précise à cet égard que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 179 et jurisprudence citée).

113    En l’espèce, en ce qui concerne le caractère apte à réaliser les objectifs poursuivis des mesures en cause, il y a lieu de relever que, d’une part, au regard de l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause, des conséquences négatives telles que décrites par le requérant et résultant de leur application, ces dernières ne sont pas manifestement démesurées (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 71, et du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 116).

114    Il en est ainsi d’autant plus que, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, il a été établi que les mesures restrictives adoptées dans le cadre des actes attaqués à l’égard du requérant étaient justifiées, au motif que sa situation permettait de considérer qu’il remplissait les conditions pour l’application du critère g).

115    D’autre part, le fait que le requérant ou les deux sociétés dans lesquelles il est actif n’aient pas eu un rôle direct dans des actions menées à l’encontre de l’Ukraine est sans pertinence, puisqu’il ne s’est pas vu imposer des mesures restrictives pour cette raison, mais en raison du fait qu’il est un homme d’affaires influent intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

116    En ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures restrictives en cause, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, à savoir l’exercice d’une pression sur les décideurs russes responsables de la situation en Ukraine, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 182 et jurisprudence citée). Par ailleurs, force est de constater que le requérant est resté en défaut d’indiquer quelles mesures moins contraignantes le Conseil aurait pu adopter.

117    De plus, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée et l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

118    De même, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

119    Enfin, la présence du nom du requérant sur les listes en cause ne saurait être qualifiée de disproportionnée en raison d’un prétendu caractère potentiellement illimité. En effet, ainsi que cela est mentionné au point 107 ci-dessus, ces listes font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 185 et jurisprudence citée).

120    Il s’ensuit que, à supposer établies les conséquences négatives mises en avant par le requérant et mentionnées au point 97 ci-dessus, les restrictions de ses droits fondamentaux qui découlent des mesures restrictives en cause, adoptées dans le cadre des actes attaqués, ne sont pas disproportionnées et ne peuvent pas entraîner leur annulation.

121    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant selon lequel, en substance, l’application de mesures restrictives à son encontre reviendrait à permettre d’inscrire sur les listes en cause tous les hommes d’affaires qui exercent avec succès une activité économique en Russie. En effet, outre son caractère non étayé, il suffit de constater que le requérant a fait l’objet de mesures restrictives à la suite d’une évaluation individuelle fondée sur des éléments de preuve concrets, et que leur objectif est d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise.

122    Quant à l’argument selon lequel lesdites mesures contribueraient à l’aggravation de la crise alimentaire mondiale et auraient eu pour conséquence l’arrêt de wagons appartenant aux sociétés Uralchem et Uralkali par les autorités finlandaises, il ne peut qu’être rejeté. En effet, il suffit de constater que les actes attaqués se bornent à geler les fonds personnels du requérant et à proscrire son entrée ou son passage en transit sur le territoire des États membres sans nullement imposer de restrictions aux deux sociétés dans lesquelles il est actif ni, a fortiori, au secteur économique des engrais. Partant, le Conseil ne saurait être tenu pour responsable des décisions de certains opérateurs qui préfèrent ne plus s’adresser aux sociétés dans lesquelles le requérant est actif. Il en va de même en ce qui concerne les décisions prises par les autorités nationales finlandaises qui relèvent de l’exercice de la souveraineté des États membres et qu’il appartient au requérant de contester devant les juridictions nationales s’il le souhaite. Enfin, à l’instar du Conseil et de la République de Lettonie, il convient de considérer que si des perturbations de l’approvisionnement en denrées alimentaires ont eu lieu, elles découlent de la décision de la Russie de mener des actions en Ukraine plutôt que de l’adoption des mesures restrictives individuelles prises à l’encontre du requérant.

123    Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré dune violation du principe dégalité de traitement

124    Le requérant souligne que l’application des critères a) et g) par le Conseil est discriminatoire. D’une part, des actionnaires et des PDG d’autres grandes sociétés russes ou étrangères n’ont pas fait l’objet de mesures restrictives alors qu’ils contribuent de façon beaucoup plus importante que le groupe Uralchem au budget de la Fédération de Russie. D’autre part, le Conseil n’aurait pas non plus inscrit sur les listes de mesures restrictives tous les participants à la réunion du 24 février 2022. Dans les observations sur le mémoire en intervention de la République de Lettonie, le requérant ajoute, en se fondant sur l’article 277 TFUE, que son inscription sur les listes en cause doit être annulée dès lors que le critère g) appliqué par le Conseil est illégal.

125    Le Conseil, soutenu par la République de Lettonie, conteste le bien-fondé de ce moyen.

126    À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental du droit, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (voir arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 152 et jurisprudence citée).

127    En l’espèce, premièrement, à supposer que par son argumentation le requérant tende à faire valoir que le critère g) serait discriminatoire en ce qu’il viserait les hommes d’affaires et les sociétés de nationalité russe en ignorant les sociétés étrangères, il suffit de constater que ce critère ne vise pas la nationalité des personnes désignées mais toutes les personnes physiques influentes au sens du critère g). Ainsi, les personnes faisant l’objet de mesures restrictives peuvent être de toute nationalité, si elles remplissent ledit critère.

128    Deuxièmement, ainsi que le relève à juste titre le Conseil, s’il ne peut inscrire sur les listes des personnes qui ne satisfont pas aux critères de désignation fixés dans les actes applicables, en revanche, il n’est pas tenu d’inscrire sur ces listes toutes les personnes qui satisfont à ces critères. Le Conseil dispose en effet d’un large pouvoir d’appréciation lui permettant, le cas échéant, de ne pas soumettre une telle personne ou entité à des mesures restrictives, s’il estime que, au regard de leurs objectifs, il ne serait pas opportun de le faire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 243).

129    Enfin, troisièmement, même à supposer que le Conseil n’ait pas adopté des mesures de gel des fonds à l’égard de certaines personnes dans la même situation que le requérant et répondant aux critères a) et g), cette circonstance ne pourrait être valablement invoquée par le requérant dès lors que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination doivent se concilier avec le principe de légalité (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2016, Post Bank Iran/Conseil, T‑68/14, non publié, EU:T:2016:263, point 135 et jurisprudence citée). En tout état de cause, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’examen du deuxième moyen que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a inscrit le nom du requérant sur les listes en cause.

130    Quant à la référence faite par le requérant à l’illégalité du critère g), il suffit de constater qu’une telle illégalité a d’ores et déjà été rejetée (voir points 84 à 92 ci-dessus).

131    À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le quatrième moyen et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur la demande dadoption dune mesure dorganisation de la procédure

132    Le requérant demande au Tribunal d’ordonner au Conseil, par voie de mesure d’organisation de la procédure, de produire le dossier administratif confidentiel l’ayant conduit à inscrire son nom sur les listes en cause.

133    Le Conseil fait valoir qu’il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande au motif, en substance, que tous les éléments concernant l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause sont ceux qui lui ont été transmis et qui figurent dans le dossier WK.

134    À cet égard, il convient de rappeler que le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi (arrêts du 10 juillet 2001, Ismeri Europa/Cour des comptes, C‑315/99 P, EU:C:2001:391, point 19, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 67).

135    En l’espèce, compte tenu du fait que le Conseil affirme ne pas disposer d’autres éléments que ceux figurant dans le dossier WK transmis au requérant, il n’est pas nécessaire de faire droit à cette demande.

 Sur les dépens

136    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

137    En outre, selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

138    En l’espèce, le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier. La République de Lettonie supportera, quant à elle, ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Dmitry Arkadievich Mazepin est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil de l’Union européenne.

3)      La République de Lettonie supportera ses propres dépens.

Spielmann

Gâlea

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 novembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.