Language of document : ECLI:EU:F:2008:51

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L'UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

30 avril 2008 *(1)

« Fonction publique – Concours – Jury – Principe d'impartialité du jury – Article 11 bis du statut – Égalité de traitement entre candidats internes et externes – Élimination d'un candidat – Obligation de motivation – Portée – Respect du secret des travaux du jury »

Dans l'affaire F‑16/07,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

Adriana Dragoman, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Me G.-F. Dinulescu, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes K. Herrmann, F. Telea et M. Velardo, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. P. Mahoney (rapporteur), président, H. Kanninen et S. Gervasoni, juges,

greffier : Mme C. Schilhan, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 12 décembre 2007,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 27 février 2007 par télécopie (le dépôt de l'original étant intervenu le 5 mars suivant), Mme Dragoman demande, notamment, l'annulation de la décision du 12 décembre 2006 par laquelle le jury du concours général EPSO/AD/34/05 pour la constitution d'une réserve de recrutement d'administrateurs linguistes (interprètes de conférence – AD 5) pour la langue roumaine (ci-après le « concours ») a décidé de ne pas l'inscrire sur ladite liste de réserve.

 Cadre juridique

A –  Cadre statutaire

2        L'article 1er quinquies, paragraphes 1 et 5, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut ») énonce :

« 1. Dans l'application du présent statut est interdite toute discrimination, telle qu'une discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.

[…]

5. Dès lors qu'une personne relevant du présent statut, qui s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement tel que défini ci-dessus, établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l'institution de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement. […] »

3        Aux termes de l'article 11, premier alinéa, du statut :

« Le fonctionnaire doit s'acquitter de ses fonctions et régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés, sans solliciter ni accepter d'instructions d'aucun gouvernement, autorité, organisation ou personne extérieure à son institution. Il remplit les fonctions qui lui sont confiées de manière objective et impartiale et dans le respect de son devoir de loyauté envers les Communautés. »

4        L'article 11 bis, paragraphes 1 et 2, du statut dispose comme suit :

« 1. Dans l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire ne traite aucune affaire dans laquelle il a, directement ou indirectement, un intérêt personnel, notamment familial ou financier, de nature à compromettre son indépendance, sous réserve du paragraphe 2.

2. Le fonctionnaire auquel échoit, dans l'exercice de ses fonctions, le traitement d'une affaire telle que visée au paragraphe 1 en avise immédiatement l'autorité investie du pouvoir de nomination. Celle-ci prend les mesures qui s'imposent et peut notamment décharger le fonctionnaire de ses responsabilités dans cette affaire. »

5        L'article 6 de l'annexe III du statut prévoit que les travaux d'un jury de concours sont secrets.

B –  Avis de concours

6        L’avis du concours, publié au Journal officiel de l’Union européenne du 4 novembre 2005 (JO C 273 A, p. 3, ci-après l’« avis de concours »), énonce, en son point A II 4, que le concours est ouvert aux candidats qui sont ressortissants d'un des États membres de l'Union européenne ou, en vertu de l'article 28, sous a), du statut, d'un des pays en voie d'adhésion (Bulgarie, Roumanie).

7        Le point C de l'avis de concours, relatif au déroulement du concours, est ainsi libellé :

« 1. Épreuves orales d'interprétation – notation

Chaque épreuve orale sera notée de 0 à 20 points (minimum requis pour chaque épreuve : 10 points). La durée maximale de chaque exposé sera de [six] minutes pour l'épreuve consécutive et de [douze] minutes pour l'épreuve simultanée. Dès que le candidat n'atteint pas le minimum requis pour l'une des épreuves, il est éliminé.

[…]

2. Épreuve générale – notation

Entretien avec les membres du jury sur les connaissances du candidat de l'Union européenne, ses institutions et ses politiques, sur ses connaissances générales ainsi que sur ses motivations, ses capacités à travailler, tant de manière indépendante qu'en équipe, au sein de la fonction publique européenne, dans un environnement multiculturel. Le candidat sera questionné et s'exprimera en allemand, en anglais ou en français, conformément au choix effectué lors de l'inscription électronique.

Durée maximale de l'épreuve : 30 minutes.

Épreuve notée de 0 à 40 points (minimum requis : 20). »

8        Le point D 2 de l'avis de concours exige notamment que le candidat joigne à son acte de candidature une copie d'un document prouvant sa citoyenneté.

9        L’annexe de l’avis de concours, intitulée « Demandes de réexamen – Voies de recours – Plaintes auprès du Médiateur européen », prévoit :

« À tous les stades du concours, les candidats qui estiment qu’une décision leur fait grief peuvent utiliser les moyens suivants :

–      Demande de réexamen

Introduire, dans un délai de vingt jours de calendrier à compter de la date d’envoi de la lettre notifiant la décision, une demande de réexamen sous forme d’une lettre motivée à l’adresse suivante :

[…]

[L’Office européen de sélection du personnel] la transmet au président du jury lorsque cela relève de la compétence de celui-ci, et une réponse sera envoyée au candidat dans les meilleurs délais.

[…] »

 Faits à l'origine du litige

10      La requérante, qui possède les nationalités roumaine et belge, a créé son dossier d'inscription auprès de l'Office de sélection du personnel des Communautés européennes (EPSO) à une date antérieure au 25 janvier 2005. Le système EPSO ne permettant pas l'encodage de deux nationalités, la requérante a indiqué dans ledit dossier qu'elle possédait la nationalité belge.

11      Le 14 novembre 2005, la requérante s’est portée candidate au concours.

12      La requérante a été convoquée aux tests d'accès au concours le 11 avril 2006.

13      À une date antérieure au 30 juin 2006, la requérante a créé un deuxième dossier EPSO, dans lequel elle a indiqué qu'elle possédait la nationalité roumaine.

14      Par courrier du 30 juin 2006, EPSO a invité la requérante à fournir la « copie d'un document prouvant [sa] citoyenneté », en lui indiquant que l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'« AIPN ») venait de procéder à l'examen de sa candidature et qu'elle avait constaté que certaines informations contenues dans son dossier n'étaient pas suffisamment claires pour permettre de décider de son admission au concours.

15      À la suite de cette demande, la requérante a fourni la copie d'un document justifiant de sa citoyenneté.

16      Le 17 juillet 2006, la requérante a été admise à passer les épreuves du concours.

17      Par courrier du 14 septembre 2006, la requérante a été convoquée aux épreuves orales d'interprétation et à l'épreuve orale générale, devant se dérouler le 28 novembre 2006.

18      Le 28 novembre 2006, avant le début de la première épreuve d'interprétation de la requérante et après la présentation des membres du jury, il a été demandé à l'intéressée de bien vouloir se présenter brièvement. La requérante a ensuite passé la première épreuve orale d'interprétation. Immédiatement après celle-ci, le jury a informé oralement la requérante qu'elle n'avait pas obtenu le minimum requis à cette épreuve, et qu'elle n'était en conséquence pas autorisée à présenter la seconde épreuve orale d'interprétation, en vertu du point C 1 de l'avis de concours.

19      Par courrier électronique de ce même 28 novembre 2006, et avant même que le jury lui ait notifié officiellement sa décision de ne pas l'inscrire sur la liste de réserve, la requérante a demandé le réexamen de la décision de ne pas l'admettre au concours.

20      Par courrier du 12 décembre 2006, le président du jury a notifié à la requérante sa décision de ne pas l'inscrire sur la liste de réserve, l'intéressée ayant obtenu la note éliminatoire de 7/20 à la première épreuve orale d'interprétation.

21      Par courrier du 14 décembre 2006, le président du jury a confirmé à la requérante sa décision de ne pas l'inscrire sur la liste de réserve.

22      Par courrier électronique du 18 décembre 2006, la requérante a demandé au président du jury de bien vouloir motiver sa décision du 12 décembre 2006.

23      Par courrier du 12 janvier 2007, le président du jury a indiqué à la requérante les critères d'évaluation de l'épreuve orale d'interprétation. Il lui a également précisé que sa prestation contenait de graves omissions et distorsions, lesquelles rendaient le discours non fidèle à l'original, et que sa technique d'interprétation était déficiente.

 Conclusions des parties

24      La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision verbale du jury, du 28 novembre 2006, par laquelle celui-ci lui a attribué une « note éliminatoire » à la première épreuve orale d'interprétation, note qui, comme le prévoit l'avis de concours, ne lui a pas permis de présenter les épreuves orales d'interprétation suivantes et l'épreuve orale générale ;

–        annuler la décision écrite confirmant la décision précitée, qui a été jointe à son dossier EPSO le 12 décembre 2006 ;

–        réorganiser le concours spécialement pour elle, dans le strict respect de toutes les dispositions du droit communautaire et de l'avis de concours ;

–        constater et prendre acte de l'illégalité de l'article 6 de l'annexe III du statut ;

–        condamner la Commission des Communautés européennes aux dépens.

25      La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        statuer sur les dépens comme de droit.

 En droit

26      Par le présent recours, la requérante demande l'annulation de la décision verbale du jury, du 28 novembre 2006, par laquelle celui-ci lui a attribué une « note éliminatoire » à la première épreuve orale d'interprétation, ainsi que l'annulation de la décision écrite confirmant la décision précitée, jointe à son dossier EPSO le 12 décembre 2006.

27      Or, lorsqu’une partie dont la demande d’admission à un concours communautaire a été rejetée sollicite le réexamen de cette décision sur la base d’une disposition précise liant l’administration, c’est la décision prise par le jury, après réexamen, qui constitue l’acte faisant grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, ou, le cas échéant, de l’article 91, paragraphe 1, du statut (arrêt du Tribunal du 13 décembre 2007, Van Neyghem/Commission, F‑73/06, non encore publié au Recueil, point 39, et la jurisprudence citée).

28      Les conclusions de la requérante doivent donc être interprétées comme dirigées contre la décision prise par le jury le 14 décembre 2006 à la suite de la demande de réexamen de l'intéressée.

29      La requérante soulève trois moyens à l'appui de son recours en annulation. Le premier est tiré d'une violation des principes d'égalité de traitement et de non-discrimination, le deuxième d'une violation de l'avis de concours, et le troisième d'une insuffisance de motivation de la décision attaquée.

30      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les appréciations auxquelles se livre un jury de concours lorsqu'il évalue les connaissances et les aptitudes des candidats ainsi que les décisions par lesquelles ledit jury constate l'échec d'un candidat à une épreuve constituent l'expression d'un jugement de valeur. Elles s'insèrent dans le large pouvoir d'appréciation dont dispose le jury et ne sauraient être soumises au contrôle du juge communautaire qu'en cas de violation évidente des règles qui président aux travaux du jury (arrêt du Tribunal de première instance du 5 avril 2005, Christensen/Commission, T‑336/02, RecFP p. I‑A‑75 et II‑341, point 25).

A –  Sur le premier moyen

31      Dans la première branche du premier moyen, la requérante estime avoir été victime d'une discrimination en raison de sa nationalité, tandis que dans la seconde branche de ce moyen, elle dénonce une discrimination entre les candidats travaillant déjà pour les institutions européennes et les autres candidats.

1.     Sur la première branche du premier moyen

a)     Arguments des parties

32      La requérante fait valoir qu'elle aurait été victime d'une discrimination fondée sur sa nationalité belge, et avance deux arguments au soutien de sa thèse. Premièrement, après avoir fourni la preuve de sa nationalité belge, elle aurait été invitée par EPSO à justifier de sa nationalité roumaine. Deuxièmement, lors de l'épreuve orale, lorsqu'elle aurait indiqué qu'elle travaillait en Belgique, un des membres du jury aurait eu « une inflexion de la voix très éloquente, du genre ‘ah donc vous habitez en fait en Belgique!?’ », qui aurait sous-entendu qu'elle « n'était pas une roumaine pure ».

33      La Commission conteste la recevabilité de la première branche du premier moyen, en faisant valoir que la demande faite à la requérante de fournir un document justifiant de sa nationalité ne ferait pas grief à l'intéressée, puisqu'elle a été autorisée à participer au concours. Elle précise, en outre, que la requérante, en méconnaissance des instructions aux candidats selon lesquelles ceux-ci ne doivent créer qu'un seul dossier EPSO, avait créé deux dossiers EPSO, suscitant ainsi une possibilité de confusion quant à son identité.

34      S'agissant du second argument soulevé par la requérante, la Commission, à l'audience, a cité un passage de l'épreuve orale de l'intéressée, enregistré et conservé par EPSO sur une cassette audio, afin d'établir qu'aucun membre du jury n'aurait prononcé la phrase litigieuse.

35      À la demande du Tribunal, la Commission a produit la cassette audio en cause, laquelle a été communiquée à la requérante. Cette dernière n'a pas formulé d'observations sur le contenu de la cassette.

b)     Appréciation du Tribunal

36      Tout d'abord, l'affirmation à la base de l'argumentation de la requérante selon laquelle, après avoir fourni la preuve de sa nationalité belge, elle aurait été invitée par l'AIPN à justifier de sa nationalité roumaine, est inexacte. En effet, il résulte du courrier du 30 juin 2006 que l'AIPN a tout au plus invité la requérante à fournir « la copie d'un document prouvant sa citoyenneté ». Dès lors que, d'une part, en vertu du point A II 4 de l'avis de concours, le concours était ouvert à tous les ressortissants des États membres de l'Union européenne et aux pays en voie d'adhésion (Bulgarie et Roumanie), et, d'autre part, la requérante possédait les nationalités belge et roumaine, il était loisible à cette dernière de fournir une copie soit d'un document prouvant sa citoyenneté belge, soit d'un document prouvant sa citoyenneté roumaine. La demande faite à la requérante de fournir un document attestant de sa nationalité était donc conforme à l'avis de concours et ne saurait, dès lors, être considérée comme une discrimination fondée sur sa nationalité. En outre, il convient de souligner que la requérante avait créé deux dossiers EPSO, suscitant ainsi une possibilité de confusion quant à son identité. C'est dans ce contexte que l'AIPN, afin de clarifier la situation, a demandé à la requérante de bien vouloir fournir un document prouvant sa citoyenneté.

37      S'agissant du second grief soulevé par la requérante, il résulte de l'enregistrement audio de l'épreuve orale de celle-ci que la phrase litigieuse n'a jamais été prononcée par aucun membre du jury. Ainsi, l'affirmation de la requérante selon laquelle un des membres du jury aurait eu une « inflexion de voix éloquente », qui aurait sous-entendu qu'elle « n'était pas une roumaine pure », est purement subjective, et ne permet pas de présumer qu'une discrimination fondée sur sa nationalité aurait été commise à son égard lors de l'épreuve orale d'interprétation.

38      La première branche du premier moyen doit donc être rejetée comme non fondée. Dès lors, il n'est pas nécessaire de statuer sur les arguments de la Commission contestant la recevabilité de ladite branche.

2.     Sur la seconde branche du premier moyen

a)     Arguments des parties

39      La requérante soutient que le jury aurait procédé à une discrimination au détriment des candidats qui ne travaillaient pas déjà pour les institutions communautaires en qualité d'agent temporaire, d'agent contractuel, de collaborateur « freelance » ou d'agent intérimaire (ci-après les « candidats externes »). Les épreuves orales se seraient déroulées dans une atmosphère de partialité et de « copinage » entre certains membres du jury et les candidats travaillant déjà pour les institutions communautaires (ci-après les « candidats internes »). En particulier, l'une des candidates, Mme T., aurait porté un badge de service, alors qu'elle se présentait non pas en tant qu'agent contractuel, mais en tant que candidate à un concours général, tandis que les candidats externes auraient reçu un badge pour visiteurs. Dans sa requête, la requérante a affirmé que cette même candidate aurait semblé très bien connaître le président du jury, « un homme aux cheveux longs ». Elle aurait discuté amicalement avec lui, et lui aurait même dit, lorsqu'on l'informait de sa réussite aux épreuves : « Je t'appellerai[ ; j]e ne serai pas en ville pendant environ deux jours ». Lors de l'audience, la requérante a modifié sa version des faits, en soutenant que la candidate en cause aurait eu une conversation amicale avec non le président mais un membre du jury.

40      La Commission fait valoir que, en l'espèce, les membres du jury du concours auraient signé une déclaration de confidentialité qui imposerait le respect des obligations prévues à l'article 11 bis du statut. Elle souligne que, dans le cadre des concours pour le recrutement d'interprètes de conférence, il serait fréquent que des candidats ayant déjà travaillé pour les institutions communautaires en tant qu'agent temporaire ou collaborateur « freelance » soient ou aient été des collègues de travail d'un des membres du jury. S'agissant de la conversation litigieuse, elle précise qu'elle aurait interrogé le président du jury, qui aurait affirmé ne jamais avoir eu les cheveux longs, et nié avoir eu avec Mme T. la conversation relatée par la requérante.

b)     Appréciation du Tribunal

41      Le principe d'impartialité d'un jury de concours constitue une expression du principe d'égalité de traitement et figure parmi les garanties conférées par l'ordre juridique communautaire.

42      Afin de démontrer qu'il y aurait eu au cours des épreuves orales du concours violation des principes d'impartialité du jury et d'égalité de traitement entre candidats internes et externes, la requérante avance deux faits. Premièrement, une conversation inappropriée aurait eu lieu entre une candidate, Mme T., et un membre du jury. Deuxièmement, cette même candidate se seraient présentée avec un badge de service, et non avec un badge pour visiteur, montrant ainsi ostensiblement qu'elle travaillait déjà pour une institution communautaire.

43      S'agissant du premier argument soulevé par la requérante, il est exact qu'une conversation qui aurait la teneur qu'elle allègue et qui se serait déroulée entre un des membres d'un jury de concours et une des candidates témoignerait d'une relation de connaissance entre ledit membre du jury et ladite candidate.

44      Toutefois, un tel lien entre un membre d'un jury de concours et un candidat ne suffit pas, à lui seul, à démontrer que ledit membre du jury a un « intérêt personnel, notamment familial ou financier, » au sens de l'article 11 bis du statut, qui serait susceptible en tant que tel de remettre en cause son impartialité. En effet, le fait qu'un membre du jury connaisse personnellement un des candidats n'implique pas nécessairement que ledit membre aura un préjugé favorable à l'égard de la prestation dudit candidat. En outre, exiger qu'un membre d'un jury de concours ne possède aucun lien avec l'un des candidats aurait pour conséquence de rendre extrêmement difficile, voire quasi-impossible, dans certains domaines spécialisés, de trouver des personnes à même de siéger dans un jury de concours.

45      En tout état de cause, quand bien même il serait établi que les phrases rapportées par la requérante (voir point 39 du présent arrêt) auraient été prononcées, il résulte des allégations de l'intéressée elle-même que lesdites phrases émanaient de Mme T., et non du membre du jury. Ainsi, si l'on peut regretter l'attitude de Mme T., telle que décrite par la requérante, on ne saurait reprocher au membre du jury de s'être départi de son attitude d'impartialité.

46      S'agissant du second argument selon lequel Mme T. se serait présentée avec un badge de service et non avec un badge pour visiteur, il convient de constater qu'une épreuve orale ne peut, par nature, être anonyme. Ainsi, le fait que ladite candidate ait porté un badge de service, et non un badge pour visiteur, n'a fourni au jury aucune information que celui-ci n'était pas autorisé à connaître.

47      Ainsi, il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la seconde branche du premier moyen, tirée d'une violation des principes d'impartialité du jury et d'égalité de traitement, est non fondée.

48      Dès lors, le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble.

B –  Sur le deuxième moyen

1.     Arguments des parties

49      La requérante invoque une violation de l'avis de concours ainsi que du principe de bonne administration. En effet, d'une part, elle aurait été invitée à se présenter et à parler de son expérience professionnelle, au début de son épreuve orale d'interprétation, alors qu'aucune expérience professionnelle n'était requise par l'avis de concours. D'autre part, des « quotas de réussite » en fonction des combinaisons linguistiques choisies par les candidats auraient été « sans doute établis et appliqués en secret » par le jury, et ce, sans que l'avis de concours ne prévoie une telle possibilité.

50      La Commission précise que, au début de la première épreuve d'interprétation, le jury s'est présenté et a demandé à la requérante de se présenter brièvement, ainsi qu'il l'a fait pour tous les candidats, dans un souci de les mettre à l'aise. L'expérience professionnelle de la requérante n'aurait toutefois pas été évaluée, ainsi que cela ressortirait de la fiche d'évaluation établie par le jury et relative à la première épreuve orale d'interprétation de la requérante.

2.     Appréciation du Tribunal

51      Selon une jurisprudence constante, un jury de concours est investi d'un large pouvoir d'appréciation quant à la détermination des modalités et du contenu détaillé des épreuves orales, sous réserve qu'il observe scrupuleusement les règles régissant l'organisation de ces épreuves (voir arrêts du Tribunal de première instance du 24 septembre 2002, Girardot/Commission, T‑92/01, RecFP p. I‑A‑163 et II‑859, point 24, et Christensen/Commission, précité, point 38).

52      En l'espèce, il résulte du point C 2 de l'avis de concours que l'épreuve orale générale consistait en un entretien avec les membres du jury, visant à évaluer, notamment, les motivations du candidat, ses capacités à travailler, tant de manière indépendante qu'en équipe, au sein de la fonction publique européenne, dans un environnement multiculturel.

53      La demande faite aux candidats de se présenter n'était donc pas dénuée de pertinence pour l'évaluation des compétences visées au point C 2 de l'avis de concours, et notamment pour l'évaluation des motivations des candidats, de leurs capacités à travailler, tant de manière indépendante qu'en équipe, au sein de la fonction publique européenne, dans un environnement multiculturel.

54      En conséquence, le jury pouvait légitimement, dans le cadre de l'épreuve orale générale, et ce bien que l'avis de concours n'exigeât pas d'expérience professionnelle, demander aux candidats de se présenter brièvement, en indiquant notamment quelle était leur expérience professionnelle antérieure.

55      Le fait que le jury, ainsi qu'il l'a fait pour tous les candidats, ait demandé à la requérante de se présenter au début de la première épreuve d'interprétation, qui précédait l'épreuve orale générale, et non au début de l'épreuve orale générale, comme cela lui aurait également été loisible de le faire, ne saurait infirmer cette conclusion.

56      En effet, il ressort de la fiche d'évaluation de la requérante que son expérience professionnelle n'a fait l'objet d'aucune évaluation dans le cadre de la première épreuve d'interprétation.

57      Ainsi, en choisissant de demander à la requérante de se présenter au début de la première épreuve d'interprétation, qui précédait l'épreuve orale générale, et ce afin de la mettre à l'aise, le jury n'a pas méconnu les limites du large pouvoir d'appréciation dont il est investi quant à la détermination des modalités et du contenu détaillé des épreuves orales.

58      Dès lors, l'argument tiré d'une violation de l'avis de concours doit être rejeté.

59      S'agissant du second argument soutenu par la requérante, il suffit de constater que l'affirmation selon laquelle des « quotas de réussite » en fonction des combinaisons linguistiques choisies par les candidats auraient été « sans doute établis et appliqués en secret » par le jury n'est pas étayée du moindre commencement de preuve.

60      Il suit de là que le deuxième moyen doit être rejeté comme dénué de fondement.

C –  Sur le troisième moyen

1.     Arguments des parties

61      La requérante critique l'insuffisance de motivation de la décision attaquée, en excipant de l'illégalité de l'article 6 de l'annexe III du statut. Elle considère que cette disposition serait illégale, dans la mesure où elle interdirait la communication par le jury des critères de notation.

62      La Commission fait valoir que, compte tenu du secret qui doit entourer les travaux du jury, la communication des notes obtenues aux différentes épreuves constituerait une motivation suffisante de la décision du jury.

2.     Appréciation du Tribunal

63      Selon une jurisprudence constante, l'obligation de motivation d'une décision faisant grief a pour but, d'une part, de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est ou non fondée et, d'autre part, d'en rendre possible le contrôle juridictionnel. En ce qui concerne les décisions prises par un jury de concours, cette obligation doit néanmoins être conciliée avec le respect du secret qui entoure les travaux du jury en vertu de l'article 6 de l'annexe III du statut. Ce secret a été institué en vue de garantir l'indépendance des jurys de concours et l'objectivité de leurs travaux, en les mettant à l'abri de toutes ingérences et pressions extérieures, qu'elles proviennent de l'administration communautaire elle-même, des candidats intéressés ou de tiers. Le respect de ce secret s'oppose dès lors tant à la divulgation des attitudes prises par les membres individuels des jurys qu'à la révélation de tous éléments ayant trait à des appréciations de caractère personnel ou comparatif concernant les candidats. L'exigence de motivation des décisions d'un jury de concours doit, dans ces conditions, tenir compte de la nature des travaux en cause qui comportent, en général, au moins deux stades distincts, à savoir, en premier lieu, l'examen des candidatures pour faire le tri des candidats admis au concours et, en second lieu, l'examen des aptitudes des candidats à l'emploi à pourvoir, afin de dresser une liste d'aptitude. Le second stade des travaux du jury de concours est avant tout de nature comparative et, de ce fait, couvert par le secret inhérent à ces travaux. Les critères de correction adoptés par le jury préalablement aux épreuves font partie intégrante des appréciations de nature comparative auxquelles se livre le jury sur les mérites respectifs des candidats. Ces critères sont donc couverts par le secret des délibérations, au même titre que les appréciations du jury. Les appréciations de nature comparative auxquelles se livre le jury sont reflétées par les notes que ce dernier attribue aux candidats. Compte tenu du secret qui doit entourer les travaux du jury, la communication des notes obtenues aux différentes épreuves constitue une motivation suffisante des décisions du jury, ce dernier n'étant pas tenu de préciser les réponses des candidats qui ont été jugées insuffisantes ou d'expliquer pourquoi ces réponses ont été jugées insuffisantes (arrêt de la Cour du 4 juillet 1996, Parlement/Innamorati, C‑254/95 P, Rec. p. I‑3423, points 23 à 31 ; arrêt du Tribunal de première instance du 27 mars 2003, Martínez Páramo e.a./Commission, T‑33/00, RecFP p. I‑A‑105 et II‑541, points 43 à 52).

64      Il résulte de ce qui précède que, premièrement, l'exception tirée de l'illégalité de l'article 6 de l'annexe III du statut doit être écartée comme non fondée, et deuxièmement, le jury ayant communiqué à la requérante, dans sa décision du 12 décembre 2006, la note qu'elle avait obtenue à la première épreuve orale d'interprétation, ladite décision doit être considérée comme suffisamment motivée. À cet égard, il y a lieu de préciser, en outre, que, suite à la demande de la requérante du 18 décembre 2006, le jury lui a communiqué, par courrier du 12 janvier 2007, les critères de notation appliqués à la première épreuve d'interprétation.

65      Le troisième moyen doit donc être rejeté comme dénué de fondement.

66      Dès lors, le recours tendant à l'annulation de la décision du jury du 12 décembre 2006 doit être rejeté comme non fondé.

 Sur les dépens

67      En vertu de l’article 122 du règlement de procédure, les dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, relatives aux dépens et frais de justice, ne s’appliquent qu’aux affaires introduites devant le Tribunal à compter de l’entrée en vigueur de ce règlement de procédure, à savoir le 1er novembre 2007. Les dispositions du règlement de procédure du Tribunal de première instance pertinentes en la matière continuent à s’appliquer mutatis mutandis aux affaires pendantes devant le Tribunal avant cette date.

68      Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé en son recours, il y a lieu de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chaque partie supporte ses propres dépens.

Mahoney

Kanninen

Gervasoni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 2008.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       P. Mahoney

Les textes de la présente décision ainsi que des décisions des juridictions communautaires citées dans celle-ci et non encore publiées au Recueil sont disponibles sur le site internet de la Cour de justice : www.curia.europa.eu


1 Langue de procédure : le roumain.