Language of document : ECLI:EU:T:2012:489

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

27 septembre 2012 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché néerlandais du bitume routier – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Charge de la preuve – Amendes – Gravité de l’infraction – Imputabilité du comportement infractionnel – Obligation de motivation – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑359/06,

Heijmans Infrastructuur BV, établie à Rosmalen (Pays-Bas), représentée initialement par Mes M. Smeets et A. Van den Oord, puis par Me Smeets, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouquet et A. Nijenhuis, en qualité d’agents, assistés de Mes F. Wijckmans, F. Tuytschaever et L. Gyselen, avocats, puis par MM. Bouquet, Nijenhuis et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents, assistés de Mes Wijckmans et Tuytschaever,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C (2006) 4090 final de la Commission, du 13 septembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] [Affaire COMP/F/38.456 – Bitume (Pays‑Bas)], en tant qu’elle concerne la requérante, et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende infligée à celle-ci par ladite décision, 

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, président, N. Wahl et S. Soldevila Fragoso (rapporteur), juges,

greffier : M. N. Rosner, puis M. J. Plingers, administrateurs,

vu la procédure écrite et à la suite des audiences du 28 juin 2011 et du 25 janvier 2012,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Le groupe Heijmans exerce ses activités dans divers secteurs de la construction. Heijmans NV est la société mère dudit groupe, actionnaire à 100 % de Heijmans Nederland BV, qui détient elle-même 100 % de Heijmans Infrastructuur BV, la requérante, anciennement Heijmans Infrastructuur en Milieu BV. La requérante détient 100 % de Wegenbouwmaatschapppij J. Heijmans BV (ci-après « Wegenbouw Heijmans »), filiale d’exploitation qui possède des parts dans une série de centrales d’enrobage.

2        Par lettre du 20 juin 2002, la société British Petroleum (ci-après « BP ») a informé la Commission des Communautés européennes de l’existence alléguée d’une entente relative au marché du bitume routier aux Pays-Bas et a présenté une demande visant à obtenir une immunité d’amende au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

3        Les 1er et 2 octobre 2002, la Commission a procédé à des vérifications surprises dans les locaux de certaines sociétés. La Commission a adressé une demande de renseignements à la requérante, le 30 juin 2003, à laquelle celle-ci a répondu le 12 septembre 2003.

4        Le 18 octobre 2004, la Commission a engagé une procédure et a adopté une communication des griefs, adressée le 19 octobre 2004 à plusieurs sociétés, dont la requérante, Heijmans et Wegenbouw Heijmans. Ces trois sociétés y ont répondu conjointement le 18 mai 2005. Une audition a eu lieu les 15 et 16 juin 2005.

5        Le 13 septembre 2006, la Commission a adopté la décision C (2006) 4090 final, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] [Affaire COMP/F/38.456 – Bitume (Pays-Bas)] (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 28 juillet 2007 (JO L 196, p. 40) et qui a été notifiée à la requérante et à Heijmans le 25 septembre 2006.

6        Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE, consistant à fixer ensemble régulièrement, durant les périodes concernées, le prix brut pour la vente et l’achat de bitume routier aux Pays-Bas (ci-après le « prix brut »), une remise uniforme sur le prix brut pour les constructeurs routiers participant à l’entente (ci-après le « W5 » ou les « grands constructeurs ») et une remise maximale réduite sur le prix brut pour les autres constructeurs routiers (ci-après les « petits constructeurs »).

7        La requérante a été reconnue coupable, avec Heijmans, de cette infraction, pour la période du 1er avril 1994 au 15 avril 2002 et s’est vu infliger, solidairement avec Heijmans, une amende de 17,1 millions d’euros.

8        S’agissant du calcul du montant des amendes, la Commission a qualifié l’infraction de très grave, eu égard à sa nature, et ce même si le marché géographique concerné était limité.

9        Afin de tenir compte de l’importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans l’entente et de son impact réel sur la concurrence, la Commission a opéré une distinction entre les entreprises concernées en fonction de leur importance relative sur le marché en cause, mesurée par leurs parts de marché, et les a regroupées en six catégories. Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ de 9,5 millions d’euros pour la requérante. Elle a considéré, compte tenu de la taille et du chiffre d’affaires du groupe Heijmans, qu’il n’était pas nécessaire de lui appliquer un coefficient multiplicateur afin de garantir l’effet dissuasif de l’amende (considérants 322 et 325 de la décision attaquée).

10      En ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission a estimé que la requérante avait commis une infraction de longue durée, celle-ci étant supérieure à cinq ans, et a retenu une durée totale de huit ans, du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, augmentant ainsi le montant de départ de 80 %. Le montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, a donc été fixé à 17,1 millions d’euros pour la requérante (considérant 326 de la décision attaquée).

11      La Commission n’a fait application d’aucune circonstance aggravante à l’égard de la requérante. La Commission a par ailleurs estimé qu’aucune circonstance atténuante ne pouvait être retenue à l’égard de la requérante, et notamment que cette dernière ne saurait se prévaloir du fait qu’elle se serait déjà vu infliger une amende par la Nederlandse mededingingsautoriteit (NMa, Autorité néerlandaise de la concurrence) pour sa participation à une entente sur le marché néerlandais en aval de la production de bitume et de la construction routière et qu’elle aurait introduit une demande de clémence devant cette autorité (considérant 322 de la décision attaquée). De même, la Commission a refusé de considérer que le fait que les accords de copropriété des centrales d’enrobage aient été tolérés par la législation nationale de 1998 à 2003 et que la requérante ait mis fin à ses achats collectifs de bitume en 2003 constituent des circonstances atténuantes.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2006, la requérante a introduit le présent recours.

13      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 28 juin 2011.

14      Un membre de la sixième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s’est désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, pour compléter la chambre.

15      Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu’elles seraient entendues lors d’une nouvelle audience.

16      Les parties ont été entendues lors de celle-ci le 25 janvier 2012.

17      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler totalement ou partiellement la décision attaquée pour autant qu’elle est dirigée contre elle ;

–        subsidiairement, annuler ou réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

19      À titre principal, la requérante demande l’annulation de la décision attaquée. À titre subsidiaire, elle demande la suppression ou la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par ladite décision. La requérante soulève cinq moyens à l’appui de sa requête. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 81 CE ainsi que de l’article 7 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1). Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’article 81 CE, des articles 11 et 16 du règlement n° 1/2003 et des principes de sollicitude, de bonne administration, d’égalité, de l’accès au dossier et de la présomption d’innocence. Par son troisième moyen, la requérante soutient que la Commission a méconnu son obligation de motivation. Le quatrième moyen est tiré de l’appréciation erronée de la durée de l’infraction. Enfin, par son cinquième moyen, la requérante soutient que la Commission a apprécié de manière erronée l’importance et la gravité de l’infraction.

1.     Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 81 CE ainsi que de l’article 7 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003

20      Le premier moyen, tiré d’une une violation de l’article 81 CE ainsi que de l’article 7 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, comporte deux branches. La requérante soutient, en premier lieu, que la Commission a effectué une appréciation erronée du cadre économique pertinent pour déterminer l’existence d’une entente et, en second lieu, que la Commission a conclu à tort qu’elle avait adhéré à un accord de coopération et participé aux réunions de concertations de l’entente.

 Sur l’appréciation du cadre économique des accords

 Arguments des parties

21      La requérante rappelle que, afin d’apprécier si un accord a pour but de restreindre la concurrence, la Commission doit l’examiner dans son cadre juridique et économique, en déterminant, quelle que soit sa nature, s’il a pour effet de priver l’utilisateur final d’avantages (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission, T‑168/01, Rec. p. II‑2969, point 121). À cet égard, l’examen du contexte économique ne saurait être assimilé à la simple définition du marché pertinent.

22      Par ailleurs, l’appartenance à un groupe d’acheteurs n’aurait pas en elle-même pour objectif de restreindre la concurrence (arrêt de la Cour du 15 décembre 1994, DLG, C‑250/92, Rec. p. I‑5641) et les lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81 [CE] aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale ») préciseraient que de tels accords ne sont contraires à l’article 81 CE que lorsque les entreprises en cause exercent un pouvoir sur le marché ou qu’ils sont utilisés afin de parvenir à une entente déguisée (point 124). Dès lors, la Commission aurait dû examiner uniquement les conséquences de la participation de la requérante aux achats groupés effectués avec les autres membres du W5 sur le seul marché de la construction routière.

23      Dans l’exercice de son contrôle, il appartiendrait en outre au Tribunal de vérifier si les éléments de preuve invoqués par la Commission constituent le cadre factuel pertinent pour apprécier une situation économique complexe (arrêt du Tribunal du 14 octobre 2004, Dresdner Bank/Commission, T‑44/02, non publié au Recueil, point 67), l’existence d’un doute dans l’esprit du juge devant profiter aux entreprises (arrêt de la Cour du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, points 60 et 61).

24      La requérante estime que la Commission a procédé en l’espèce à une appréciation erronée du contexte économique de l’infraction en cause en omettant de délimiter le marché pertinent pour la formation du prix du bitume.

25      Ainsi, d’une part, plusieurs éléments de preuve permettraient d’établir qu’il existait déjà, avant même le début de l’infraction en cause, une entente aux Pays-Bas et en Belgique entre les fournisseurs de bitume routier (ci-après les « fournisseurs »), fondée sur des contrats d’échange et d’approvisionnement réciproques. Ces contrats auraient permis aux fournisseurs d’imposer un prix plancher pour le bitume en réduisant les capacités de production et d’évincer des concurrents potentiels et ils ne sauraient, en tout état de cause, être considérés comme des contrats légitimes dès lors qu’ils n’auraient pas été notifiés de manière préalable à la Commission. Des documents provenant des fournisseurs permettraient d’établir le lien existant entre ces contrats d’échange et l’infraction en cause ainsi que celui existant entre les différents accords collusoires mis en place dans différents États membres.

26      D’autre part, dans les années 1990, les centrales d’enrobage auraient été détenues conjointement par les grands constructeurs, ce qui expliquerait l’existence d’une concertation entre eux relative à l’exploitation desdites centrales et aux achats s’y rapportant. La requérante précise cependant que, si ces grands constructeurs bénéficiaient ainsi de remises intéressantes, les négociations avec les fournisseurs laissaient cependant une marge suffisante pour une négociation bilatérale ultérieure en fonction des quantités achetées et que certains petits constructeurs pouvaient parfois obtenir des remises supérieures à celles accordées au W5. En outre, elle souligne que le prix d’achat du bitume ne constituait qu’une faible part du prix total des projets de construction routière et que le mécanisme d’indexation des prix des marchés publics de construction routière sur celui du bitume, qui ne s’appliquait qu’à un nombre limité de projets, n’était pas pertinent pour la formation du prix du bitume.

27      Si la Commission avait analysé la collaboration des grands constructeurs en matière d’achat comme étant un contrepoids à l’entente existant entre les fournisseurs, elle en aurait conclu que la requérante n’avait pas violé l’article 81 CE et que seuls les fournisseurs avaient pu porter préjudice aux consommateurs finals en bouleversant la structure de concurrence effective. En revanche, la Commission ne saurait se limiter à s’appuyer sur des éléments prouvant l’existence d’une entente entre les grands constructeurs pour établir que ceux-ci ont bouleversé cette structure de concurrence effective.

28      La Commission rejette l’ensemble des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale

29      La requérante reproche en substance à la Commission d’avoir refusé de faire application des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale et de ne pas avoir procédé, dans ce cadre, à une analyse du pouvoir de marché des membres du W5.

30      À titre liminaire, le Tribunal rappelle qu’il résulte d’une jurisprudence constante qu’il appartient aux entreprises demandant le bénéfice d’une exemption au titre de l’article 81, paragraphe 3, CE d’établir, sur la base de preuves documentaires, le caractère justifié d’une exemption. Dans cette perspective, il ne saurait être fait grief à la Commission de n’avoir pas proposé d’autres solutions, ni indiqué ce qu’elle considérait comme justifiant l’octroi d’une exemption (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19, point 52). Il appartient uniquement à la Commission, au titre de son obligation de motivation, de mentionner les éléments de fait et de droit et les considérations qui l’ont amenée à prendre une décision rejetant la demande d’exemption, sans que la requérante puisse exiger qu’elle discute tous les points de fait et de droit qu’elle a soulevés au cours de la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T‑29/92, Rec. p. II‑289, points 262 et 263). Il s’ensuit qu’il appartient à la requérante d’établir que la Commission a commis une erreur de droit ou de fait en refusant de lui octroyer une exemption au titre de l’article 81, paragraphe 3, CE.

31      En l’espèce, la Commission a exposé aux considérants 162 à 168 de la décision attaquée les raisons pour lesquelles elle a considéré que la participation du W5 aux accords ne constituait pas des achats collectifs au sens des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Ainsi, tout d’abord, elle a rappelé que ces dispositions n’ont pas pour objet d’autoriser les accords de coopération horizontale de manière générale, mais exposent les principes permettant de les apprécier au regard des dispositions de l’article 81 CE, de tels accords pouvant créer des problèmes de concurrence. Elle a estimé que, en l’espèce, les accords en cause visaient à restreindre la concurrence, dès lors qu’ils avaient des conséquences pour des entreprises n’y participant pas, à savoir la fixation des prix pour l’ensemble des constructeurs aux Pays-Bas et la détermination de plafonds de remise pour les petits constructeurs. Elle a en outre indiqué que, en tout état de cause, le W5 ne procédait pas à des achats lors de ces négociations avec les fournisseurs, lesquelles n’avaient pour objet que de fixer des prix et des remises, comportement que le point 124 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale qualifie d’entente déguisée. De plus, elle a souligné que le W5 a conclu ces accords avec un groupe de fournisseurs qui adoptait également un comportement collusoire et qu’il ne l’a pas signalé aux autorités compétentes. Enfin, les dispositions de l’article 81, paragraphe 3, CE ne sont pas applicables dès lors que les accords d’achat ne sauraient être exemptés s’ils imposent des restrictions qui ne sont pas indispensables aux bénéfices économiques apportés par les accords, comme l’indique le point 133 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. En effet, en l’espèce, la Commission a rappelé que les accords en cause imposaient des restrictions à des tiers non indispensables à la réalisation des avantages économiques recherchés.

32      Il convient également de relever que la requérante ne saurait se prévaloir de l’arrêt DLG, point 22 supra, selon lequel l’appartenance à un groupe d’acheteurs n’aurait pas pour objectif de restreindre la concurrence par rapport à d’autres groupes d’acheteurs, dès lors que la situation factuelle et juridique en cause était absolument différente de celle du W5.

33      La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir procédé, comme le prévoient les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, à une analyse du pouvoir de marché des membres du W5 afin de déterminer si les accords en cause pouvaient effectivement restreindre la concurrence. Il convient cependant de relever que, aux termes des dispositions du point 18 desdites lignes directrices, il n’est pas nécessaire d’examiner les effets réels sur la concurrence et le marché des accords qui ont pour objet de restreindre la concurrence par la fixation des prix, la limitation de la production ou encore la répartition des marchés ou des clients et qui sont présumés produire des effets négatifs sur le marché. La Commission ayant considéré que les accords en cause visaient par nature à restreindre la concurrence (considérant 165 de la décision attaquée), il ne lui appartenait dès lors pas de procéder à une analyse approfondie du pouvoir de marché des membres du W5.

34      La requérante conteste en outre l’affirmation de la Commission selon laquelle les accords auraient eu pour objet de restreindre la concurrence. Elle estime que ces accords, d’une part, ne visaient pas à restreindre la concurrence entre les grands constructeurs, car ceux-ci bénéficiaient d’une remise supplémentaire individuelle en fonction des quantités achetées, et, d’autre part, ne limitaient pas la concurrence entre l’ensemble des constructeurs, car les petits constructeurs bénéficiaient également de remises parfois supérieures à celles accordées au W5, car le bitume ne représentait qu’une part négligeable des coûts totaux des projets de construction routière et car le mécanisme d’indexation des prix des marchés publics de construction routière sur celui du bitume ne s’appliquait qu’à un nombre limité de projets.

35      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que l’article 81, paragraphe 1, CE mentionne expressément comme accord interdit le fait de « fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction » et d’« appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ».

36      En premier lieu, il y a lieu de souligner qu’il ressort du dossier que, en fixant conjointement avec les fournisseurs, qui couvraient 80 % du marché, le prix brut et la remise pour l’ensemble de leurs achats futurs, les membres du W5 avaient pour objet de limiter la concurrence qui pouvait exister entre eux. La circonstance, reconnue par la Commission aux considérants 51 et 157 de la décision attaquée, selon laquelle les grands constructeurs négociaient en général une remise supplémentaire à la remise négociée dans le cadre des accords, en fonction des quantités achetées individuellement, ne saurait suffire à considérer que les accords ne portaient pas atteinte à la concurrence.

37      En second lieu, plusieurs éléments permettent d’établir que la remise spécifique accordée au W5 visait à influer sur la concurrence dans le secteur de la construction routière, compte tenu du mécanisme des appels d’offres existant dans ce secteur. En effet, sans chiffrer la part du coût du bitume dans la construction routière, la Commission a considéré que « l’important pour le W5 était moins le niveau absolu du prix net du bitume que le fait qu’il bénéficiait d’un avantage relatif par rapport aux constructeurs routiers ne faisant pas partie du W5 », cet avantage relatif pouvant « lui permettre de remporter des appels d’offres publics pour les travaux nécessitant une consommation relativement élevée de bitume » (considérants 70 et 153 de la décision attaquée). Cette considération est fondée sur plusieurs documents concordants du dossier administratif. Premièrement, dans sa réponse du 20 mai 2005 à la communication des griefs, Koninklijke Wegenbouw Stevin (ci-après « KWS ») a indiqué que « les prix nets du bitume représentent par conséquent le coût de revient réel du bitume pour le constructeur routier individuel » et que, « pour ce dernier, ces prix sont donc le point de départ du calcul du coût de revient d’une tonne de bitume en tant que composant d’un chantier de construction routière ». Deuxièmement, dans une note interne du 9 février 1995, Shell Nederland Verkoopmaatschappij BV (ci-après « SNV ») a souligné que le W5 « attachait une grande importance à la possibilité d’avoir les prix d’achat les plus bas par rapport à la concurrence », le niveau absolu de prix étant beaucoup moins important. Troisièmement, dans sa déclaration du 9 octobre 2003, Kuwait Petroleum (Nederland) BV (ci-après « KPN ») a précisé que les grands constructeurs pouvaient savoir si un fournisseur avait méconnu les accords de l’entente en offrant une remise plus importante à un petit constructeur grâce à un quotidien néerlandais, Cobouw, répertoriant les appels d’offres et les résultats des adjudications dans le secteur de la construction aux Pays-Bas (considérant 70 de la décision attaquée). Quatrièmement, dans un compte rendu du 31 octobre 2001 d’une visite à Van Kessel, un petit constructeur, Veba, un fournisseur, a confirmé que, pour ce constructeur, le plus important n’était pas le prix absolu, mais d’obtenir le prix le plus bas possible.

38      Il convient en outre de rappeler le fonctionnement du Centrum voor regelgeving en onderzoek in de grond-, water- en wegenbouw en de Verkeerstechniek (CROW, Centre pour la régulation et la recherche en matière d’ingénierie civile et de trafic), organisme sans but lucratif qui était notamment chargé de publier mensuellement les prix du bitume routier depuis les années 1970, à partir des éléments du dossier (considérants 25 et 26 de la décision attaquée).

39      La publication d’un indice des prix du bitume routier par le CROW (ci-après l’« indice CROW ») s’effectuait, jusqu’au 1er novembre 1995, après consultation des producteurs de bitume. Après cette date, le calcul était effectué par le Centraal bureau voor de statistiek (CBS, Bureau central de la statistique), organe gouvernemental, à partir d’une étude de marché portant sur plusieurs centrales d’enrobage, soit avant l’application d’une éventuelle remise aux constructeurs. Cet indice CROW servait de référence pour les marchés de construction routière à long terme comportant une clause de règlement des risques. En effet, il ressort du dossier que, pour ces marchés, en cas d’augmentation de l’indice CROW au-delà d’un certain seuil, à savoir 1 000 florins néerlandais (NLG), les pouvoirs adjudicateurs étaient tenus d’indemniser les constructeurs. À l’inverse, en cas de baisse de l’indice CROW en-deça de ce seuil, les constructeurs devaient dédommager les pouvoirs adjudicateurs. Les constructeurs n’étaient dès lors pas défavorisés par une hausse des prix lorsque ceux-ci augmentaient de manière simultanée, faisant ainsi augmenter l’indice CROW. En revanche, les constructeurs n’avaient pas intérêt à une baisse des prix, qui, si elle entraînait une baisse de l’indice CROW, les obligeait à rembourser leur cocontractant du différentiel de prix.

40      La requérante tente de minimiser l’importance de l’indice CROW en indiquant qu’il ne concernait que les grands projets et que ceux-ci ne représentaient qu’une faible part de son chiffre d’affaires. Sans qu’il soit besoin de déterminer le nombre de projets concernés par cette clause, le Tribunal relève qu’il ressort de plusieurs documents que cette question faisait l’objet de discussions lors des réunions de l’entente [considérant 94, note de Hollandsche Beton Groep (ci-après « HBG ») du 8 juillet 1994, considérant 101, note interne de BP de 1996, considérant 107, rapport de HBG du 14 septembre 1999, considérant 111, notes de KWS du 12 avril 2000, et considérant 115 de la décision attaquée, notes de HBG du 16 février 2001], ce qui permet de la considérer comme un élément central des négociations.

41      Le Tribunal estime ainsi que plusieurs éléments permettent d’établir que les accords fixant le prix brut, une remise spécifique minimale accordée au W5 ainsi qu’une remise maximale accordée aux petits constructeurs visaient à porter atteinte à la concurrence dans le secteur de la construction routière, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la part exacte du coût du bitume dans le coût total d’un chantier routier ou sur le nombre exact de marchés publics de construction routière comportant une clause d’indexation du prix du bitume.

42      Il convient enfin de préciser que la requérante ne saurait se prévaloir de la circonstance selon laquelle les petits constructeurs se comportaient de la même manière que les grands constructeurs dans leurs négociations avec les fournisseurs, en tentant d’obtenir les prix les plus bas, et qu’ils y parvenaient parfois, dès lors que, au regard du droit de la concurrence, la situation d’une entreprise qui négocie individuellement ses prix avec un fournisseur est différente de celle où des entreprises agissent de manière collective.

–       Sur l’absence d’examen de l’impact des comportements allégués sur les consommateurs finals

43      Il y a lieu de rappeler que, pour relever de l’interdiction énoncée à l’article 81, paragraphe 1, CE, un accord doit avoir « pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun ». Selon une jurisprudence constante, le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction « ou », conduit à examiner tout d’abord l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué. Au cas cependant où l’analyse des clauses de cet accord ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait alors d’en examiner les effets et, pour le frapper d’interdiction, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible (arrêt de la Cour du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, Rec. p. I‑8637, point 15, et arrêt du Tribunal du 9 juillet 2009, Peugeot et Peugeot Nederland/Commission, T‑450/05, Rec. p. II‑2533, point 43). Pour apprécier si un accord est prohibé par l’article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération de ses effets concrets est donc superflue lorsqu’il apparaît que celui-ci a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec. p. I‑8725, point 125). Cet examen doit être effectué à la lumière du contenu de l’accord et du contexte économique dans lequel il s’inscrit (arrêts de la Cour du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 26 ; du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C‑551/03 P, Rec. p. I‑3173, point 66, et Beef Industry Development Society et Barry Brothers, précité, point 16). Enfin, cette méthode d’analyse est d’application générale et n’est pas réservée à une catégorie d’accords [arrêt du Tribunal du 2 mai 2006, O2 (Germany)/Commission, T‑328/03, Rec. p. II‑1231, point 67].

44      La requérante ne saurait se prévaloir de l’arrêt GlaxoSmithKline Services/Commission, point 21 supra (point 121), dès lors que, selon la Cour, l’article 81 CE vise, à l’instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle, et que, dès lors, la constatation de l’existence de l’objet anticoncurrentiel d’un accord ne saurait être subordonnée à ce que les consommateurs finals soient privés des avantages d’une concurrence efficace en termes d’approvisionnement ou de prix (arrêt de la Cour du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, Rec. p. I‑9291, points 62 à 64).

45      Or, il ressort des points 34 à 42 ci-dessus que les accords en cause avaient un objet anticoncurrentiel, comme l’a estimé à juste titre la Commission aux considérants 155 à 161 de la décision attaquée.

46      Il en découle qu’il convient de rejeter l’argument de la requérante.

–       Sur les erreurs relatives au contexte dans lequel se sont inscrits les accords

47      En premier lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir pris en compte l’existence d’une entente préalable entre les fournisseurs, aux Pays-Bas et en Belgique, fondée sur des contrats d’échange et d’approvisionnement réciproques.

48      Il y a lieu de souligner à cet égard que l’existence d’éventuelles autres ententes entre les fournisseurs n’est pas incompatible avec l’existence d’une entente bilatérale entre les fournisseurs et le W5 et que la Commission n’a pas exclu que les grands constructeurs aient participé à d’autres accords avec les fournisseurs (points 174 et 175 de la communication des griefs).

49      Par ailleurs, il ne saurait être fait grief à la Commission, dans le cadre de ce recours, de ne pas avoir inclus certains accords dans sa décision. En effet, un tel argument, à le supposer fondé, ne saurait avoir une quelconque influence sur la légalité de la décision attaquée.

50      La requérante ne saurait par ailleurs se prévaloir d’une dépendance des grands constructeurs vis-à-vis des fournisseurs pour justifier l’existence des accords en cause. En effet, à supposer même cette circonstance établie, la jurisprudence considère qu’une entreprise ne saurait se prévaloir du fait qu’elle ait participé à l’entente sous la contrainte des autres participants, étant donné qu’elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l’objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), et  de l’article 7 du règlement n° 1/2003 plutôt que de participer aux activités en question (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 367 à 370).

51      En second lieu, la requérante souligne que les centrales d’enrobage étant détenues conjointement par les grands constructeurs depuis les années 1980, ceux-ci devaient nécessairement mettre en place une concertation relative à leur exploitation et aux achats qui y étaient liés. Cependant, il y a lieu de considérer que la seule détention commune par les grands constructeurs des centrales d’enrobage ne saurait suffire à justifier la mise en place d’accords ayant pour objet de restreindre la concurrence, dans la mesure où cette propriété commune n’explique pas la nécessité pour les grands constructeurs de se concerter sur les prix bruts, la remise à accorder aux grands constructeurs et, surtout, la fixation d’une remise maximale aux petits constructeurs.

52      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède qu’aucun des arguments de la requérante relatifs au contexte économique des accords ne permet de justifier les accords sur la fixation des prix auxquels elle a participé.

–       Sur l’absence de définition du marché pertinent

53      Selon la jurisprudence, la définition du marché pertinent, dans le cadre de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, a pour seul objet de déterminer si l’accord en cause est susceptible d’affecter le commerce entre les États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (ordonnance de la Cour du 16 février 2006, Adriatica di Navigazione/Commission, C‑111/04 P, non publiée au Recueil, point 31, et conclusions de l’avocat général M. Mengozzi sous l’arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, Rec. p. I‑5843, I‑5848, points 196 et 197).

54      Par ailleurs, l’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article 81 CE n’est pas absolue, mais s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’entente en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (arrêts du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 230 ; du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 206, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 99).

55      La définition du marché pertinent apparaît en outre nécessaire pour vérifier si, dans une situation déterminée, la condition prévue à l’article 81, paragraphe 3, sous b), CE pour déclarer l’inapplicabilité du paragraphe 1 du même article est remplie [voir, en ce sens, communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5) et arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 54 supra, point 226], alors qu’elle ne l’est pas pour vérifier si les trois autres conditions prévues à l’article 81, paragraphe 3, CE sont remplies (arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 54 supra, point 226).

56      En l’espèce, d’une part, il convient de relever que la Commission a refusé à juste titre de faire application des dispositions de l’article 81, paragraphe 3, CE (points 29 à 42 ci-dessus). D’autre part, il ressort des points 34 à 42 ci-dessus que les accords en cause étaient susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres et avaient pour objet de restreindre et de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun.

57      Par conséquent, l’application faite par la Commission de l’article 81 CE n’exigeant pas, en l’espèce, une définition préalable du marché pertinent, celle-ci pouvait se borner à faire référence au produit concerné par l’entente ainsi qu’au territoire géographique visé.

58      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur dans l’appréciation du cadre économique de l’infraction et il convient, dès lors, de rejeter la première branche du premier moyen.

 Sur la preuve de la participation de la requérante à l’entente

 Arguments des parties

59      La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir disposé de preuves suffisantes pour établir sa participation aux réunions de concertations de l’entente et aux accords qui y étaient conclus.

60      Ainsi, la Commission aurait elle-même admis dans la décision attaquée qu’elle disposait de peu d’éléments de preuve directs contre la requérante, mais aurait considéré que les fournisseurs comme les grands constructeurs avaient reconnu le rôle de chaque partie dans l’entente. La requérante estime cependant qu’elle n’a jamais expressément confirmé le contenu des réunions de l’entente.

61      Elle reproche en outre à la Commission d’avoir omis d’apprécier les éléments de preuve dont elle disposait eu égard aux contextes économiques distincts, d’une part, des fournisseurs et, d’autre part, des grands constructeurs. Elle aurait ainsi erronément accordé la même valeur à tous les éléments de preuve, sans tenir compte de leur date, ni de la période à laquelle ils se rapportaient. Ces erreurs auraient empêché la Commission de reconnaître que la coopération en matière d’achats entre les membres du W5 ayant existé pendant plusieurs années n’avait pas pour objectif de restreindre la concurrence, mais de constituer un contrepoids à une entente préexistante entre les fournisseurs.

62      La Commission se serait en outre fondée sur un ensemble de preuves insuffisant pour établir la participation de la requérante à l’infraction. Elle aurait ainsi estimé de manière erronée que la requérante avait commencé à participer aux réunions de l’entente le 19 février 1996 en se fondant sur deux documents que leurs auteurs eux-mêmes n’auraient pas considérés comme concluants. De même, sa participation à une réunion le 12 mars 1999 ne serait pas établie, l’agenda de son salarié mentionnant seulement une « réunion pétroliers » dans ses notes en marge. En outre, la Commission se serait uniquement fondée sur des éléments de preuve indirects pour établir sa participation à l’entente à partir de 1994. Enfin, les documents postérieurs au 13 septembre 1999 feraient apparaître que les grands constructeurs avaient pris conscience, à l’occasion de gros travaux d’infrastructure effectués en commun, de ce que les remises qui leur étaient accordées par les fournisseurs l’étaient sur un prix de vente supérieur à celui de la concurrence et que, à partir de cette date, ils ont tenté de s’opposer aux augmentations de prix que voulaient leur imposer les fournisseurs.

63      La seule circonstance selon laquelle le W5 n’aurait pas informé les autorités de la concurrence de l’entente des fournisseurs ne suffirait pas à établir sa participation à une infraction visant à influencer la formation du prix du bitume au détriment des petits constructeurs. La requérante relève en outre à cet égard qu’il n’existait au cours de la période antérieure à la concertation aucune réglementation relative à la clémence et que le dépôt d’une plainte lui aurait été préjudiciable car la Commission effectuait alors une enquête sur les règlements néerlandais d’attribution des marchés de construction routière. Enfin, elle souligne que les fournisseurs avaient refusé de lui procurer du bitume en provenance d’autres États membres et qu’elle ne disposait dès lors d’aucune source d’approvisionnement autre.

64      La Commission réfute l’ensemble des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

–       Principes généraux relatifs à la preuve de l’existence d’une infraction à l’article 81 CE

65      Afin d’examiner la seconde branche du premier moyen, il convient, à titre préalable, de rappeler les principes régissant la charge de la preuve de l’existence d’une infraction à l’article 81 CE.

66      Conformément aux dispositions de l’article 2 du règlement n° 1/2003, « [d]ans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles 81 [CE] et 82 [CE], la charge de la preuve d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, [CE] ou de l’article 82 [CE] incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue ». Ainsi, en ce qui concerne l’administration de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, la Commission doit apporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction, et il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise. Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, points 173, 179 et 180, et la jurisprudence citée). Enfin, compte tenu du caractère notoire de l’interdiction des accords anticoncurrentiels, des éléments de preuve fragmentaires et épars peuvent être complétés par des déductions permettant la reconstitution des circonstances pertinentes et l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel peut être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 55 à 57).

67      Dans le cadre d’un recours en annulation introduit en vertu de l’article 230 CE, il n’appartient au juge de l’Union que de contrôler la légalité de l’acte attaqué. Ainsi, le rôle du juge saisi de conclusions en annulation dirigées contre une décision de la Commission constatant l’existence d’une infraction aux règles de concurrence consiste à apprécier si les preuves et les autres éléments invoqués par la Commission dans sa décision sont suffisants pour établir l’existence de l’infraction reprochée. L’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question (voir arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 66 supra, points 174, 175 et 177, et la jurisprudence citée).

68      Selon l’article 1er de la décision attaquée, la requérante a participé à l’infraction du 1er avril 1994 au 15 avril 2002. Il appartient donc au Tribunal d’examiner, à la lumière de ces principes, si la Commission détenait suffisamment de preuves de la participation de la requérante à l’infraction en cause.

–       Période du 1er avril 1994 au 18 février 1996

69      En ce qui concerne la période du 1er avril 1994 au 18 février 1996, la requérante estime que la Commission n’a pas établi qu’elle était impliquée dans l’infraction en cause.

70      La requérante n’a cependant pas contesté avoir fait partie du W5 pendant l’ensemble de la période infractionnelle (considérant 57 de la décision attaquée). Or, il ressort de cinq séries de documents du dossier, qui proviennent à la fois des fournisseurs et des grands constructeurs, que, pendant la période du 1er avril 1994 au 18 février 1996, le W5 participait déjà à l’entente, laquelle portait déjà sur la fixation du prix brut, la remise spécifique accordée au W5 et la remise maximale accordée aux petits constructeurs (considérants 175 à 178 de la décision attaquée) et comportait un mécanisme de sanctions en cas de non respect de ces accords.

71      En premier lieu, deux notes des 28 mars et 8 juillet 1994 saisies chez HBG (considérants 93 et 94 de la décision attaquée) font mention d’un accord entre le W5 et les fournisseurs sur le niveau du prix brut qui entrait en vigueur le 1er avril 1994 et serait appliqué jusqu’au 1er janvier 1995 ainsi que sur la remise spécifique accordées au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs. La première note comporte ainsi une référence à « l’accord que les sociétés pétrolières ont conclu avec le W5 » et indique que HBG a été informée au téléphone par SNV que « les prix seraient arrangés comme suit pour 1994 » : prix standard de 520 NLG, remise pour le W5 de 320 NLG et remise de 270 NLG au maximum pour les autres entreprises non membres du W5. La seconde note du 8 juillet 1994 fait également mention du fait que, à cette époque, les accords étaient conclus entre un représentant de KWS et un représentant de SNV.

72      En deuxième lieu, un document saisi par la Commission lors des vérifications permet de confirmer que le système de remises spécifiques au W5 et de sanctions concernait directement la requérante. Ainsi, un rapport interne du 4 mars 1996 de Wintershall AG, producteur de bitume routier destinataire de la décision attaquée qui lui inflige une amende de 11,625 millions d’euros, est relatif à une entrevue avec la requérante. Il fait mention du « montant de la remise dû à la société Heijmans pour 1995 » (considérant 98 de la décision attaquée). Ce même document indique également que la requérante a relevé que, « en 1995, il a été constaté que, dans certains cas, les fournisseurs de bitume avaient également accordé des remises réservées aux grands utilisateurs à des entreprises plus petites » et que « dans certains cas, des sanctions ont été prises à l’égard de ces fournisseurs » (considérant 82 de la décision attaquée).

73      En troisième lieu, les deux notes internes de SNV des 6 et 9 février 1995 font également référence au contexte dans lequel se sont inscrits les accords sur les prix et les remises spéciales conclus entre le W5 et les fournisseurs (considérants 88 et 89 de la décision attaquée).

74      En effet, dans la note de SNV du 6 février 1995, un salarié effectuant une synthèse relative au marché de la construction routière aux Pays-Bas décrit la situation de surcapacité du marché et les « origines du cartel » depuis 1980. Il mentionne ainsi la création de « Nabit », une organisation professionnelle des entreprises de bitume, en 1980, période d’instabilité du prix du bitume, puis la mise en place du projet « Star », une entente composée des cinq principaux constructeurs et des principaux fournisseurs, qui aurait pris fin en 1993, et, enfin, le fait que les grands constructeurs ont exigé une plus grande stabilité du prix du bitume en 1995 afin que les volumes et la répartition des marchés retrouvent approximativement leur niveau de 1993. Le document souligne en conclusion la part de responsabilité tant des pouvoirs publics que des grands constructeurs et des fournisseurs dans l’apparition de certains accords.

75      Par ailleurs, dans la note interne de SNV du 9 février 1995, deux salariés exposent la situation du marché de la construction routière aux Pays-Bas et soulignent notamment l’existence d’accords sur les prix et les marchés entre les grands constructeurs, qui bénéficiaient d’une remise spécifique, et les fournisseurs, au détriment des entités adjudicatrices et des petits constructeurs. Ils qualifient la situation de « coopération entre deux cartels » et il ressort de ce document qu’ils sont conscients de l’existence d’un risque de sanction par la Commission. Ils indiquent par ailleurs que SNV a tenté de mettre fin à cette situation à partir de 1992, sans y parvenir, et examinent les possibilités d’évolution de la situation, à savoir le maintien de la coopération et la suppression partielle ou totale de la coopération, et les risques qui y sont liés. Ce document permet également de confirmer le caractère bilatéral de l’entente dès le début de l’année 1995 (considérant 91 de la décision attaquée).

76      En quatrième lieu, la réponse de KWS à la communication des griefs indique également que les accords entre les fournisseurs et les grands constructeurs existaient dès 1993 et avaient pour objet la fixation d’un prix brut, d’une remise minimale pour le W5 et d’une remise maximale pour les petits constructeurs (considérants 96 et 97 de la décision attaquée).

77      En cinquième lieu, les demandes de clémence de trois entreprises permettent de confirmer que les accords existaient depuis au moins le 1er avril 1994. Il s’agit de la déclaration de KPN du 9 octobre 2003, de la réponse de Nynas du 2 octobre 2003 à une demande de renseignements et de la déclaration de BP du 12 juillet 2002.

78      Il convient également de rejeter l’argument selon lequel ces documents ne seraient pas pertinents pour établir la participation directe de la requérante aux réunions de l’entente. En effet, l’absence d’éléments de preuve concernant sa participation directe à ces réunions avant 1996 s’explique par le fait que, du 1er avril 1994 au 19 février 1996, seules deux personnes participaient aux réunions de l’entente, un représentant de SNV pour les fournisseurs et un représentant de KWS pour le W5 (considérants 96 et 100 de la décision attaquée).

79      Il ressort néanmoins du considérant 57 de la décision attaquée que la requérante était membre du W5, ce qu’elle ne conteste pas, et que, en tant que membre du W5, les accords conclus par SNV et KWS lui étaient applicables (voir points 70 à 77 ci-dessus).

80      De plus, la requérante a elle-même reconnu lors des audiences qu’elle avait bénéficié, pendant cette période, des remises accordées aux membres du W5. En l’absence de toute autre explication cohérente sur l’origine de ces remises, le Tribunal estime que cette circonstance confirme la participation de la requérante à l’entente pendant la période en cause.

81      Dès lors, il y lieu de considérer que la Commission a établi la participation de la requérante à l’entente entre le 1er avril 1994 et le 18 février 1996, sans qu’elle ait été tenue de fournir des preuves de la participation directe de la requérante aux réunions de l’entente.

–       Période du 19 février 1996 au 13 septembre 1999

82      En ce qui concerne la période comprise entre le 19 février 1996 et le 13 septembre 1999, la requérante estime que la Commission n’a pas établi sa participation aux réunions de l’entente, car elle se serait fondée sur deux documents que leurs auteurs eux-mêmes n’auraient pas considérés comme concluants.

83      Il convient de rappeler que la Commission a estimé que, à partir de 1996, le mécanisme de conclusion des accords avait été modifié, les réunions ne se déroulant plus uniquement avec un représentant de SNV et un représentant de KWS, mais avec l’ensemble des membres du W5 et au moins deux représentants des fournisseurs (considérant 100 de la décision attaquée).

84      Il ressort de la décision attaquée que la Commission s’est fondée sur plusieurs documents concordants pour considérer que la requérante avait ainsi directement participé, en tant que membre du W5, à ces réunions à partir du 19 février 1996, à savoir une note interne de KWS du 25 juillet 2000 qui dresse la liste des participants habituels à ces réunions, les déclarations de BP du 12 juillet 2002, de KPN des 12 septembre, 1er octobre et 9 octobre 2003, de SNV du 10 octobre 2003, et les réponses à des demandes de renseignement de KPN du 16 septembre 2003 et de Nynas du 2 octobre 2003 (considérant 57 de la décision attaquée, note en bas de page n° 143).

85      La requérante ne fournit par ailleurs aucun élément qui permettrait de considérer, malgré ces éléments de preuve concordants, que, tout en étant membre du W5, elle n’aurait pas participé aux réunions de l’entente pendant cette période.

86      L’argument de la requérante selon lequel elle n’aurait pas participé à la réunion du 12 mars 1999 doit par ailleurs être écarté, l’agenda du salarié de la requérante participant régulièrement aux réunions de l’entente mentionnant à cette date « 9h00 KWS Utrecht discussion compagnies pétrolières ». De plus, des documents de KWS montrent qu’une réunion s’est bien tenue ce jour-là (considérant 104 de la décision attaquée).

87      Dès lors, il y lieu de considérer que la Commission a établi la participation de la requérante à l’entente pour la période du 19 février 1996 au 13 septembre 1999.

–       Période du 14 septembre 1999 au 15 avril 2002

88      En ce qui concerne la période postérieure au 13 septembre 1999, la requérante reconnaît sa participation aux réunions visant à fixer le prix brut, la remise accordée au W5 et la remise accordée aux petits constructeurs, mais estime qu’il ne s’agissait pas d’une infraction à l’article 81 CE, le W5 s’étant limité à essayer de s’opposer aux augmentations de prix que voulaient lui imposer les fournisseurs.

89      Il ressort cependant des points 36 à 42 ci-dessus que les fournisseurs comme le W5 avaient un intérêt commun à l’existence d’accords sur le prix brut et sur les remises et que l’intérêt des grands constructeurs s’expliquait à la fois par le mécanisme des clauses de règlement des risques dans les marchés publics et par la remise spécifique dont ils bénéficiaient, qui leur procuraient un avantage concurrentiel eu égard aux petits constructeurs pour l’obtention des marchés publics.

90      Enfin, la requérante ne saurait soutenir que le W5 n’a exigé l’attribution de remises spécifiques qu’à partir du 14 septembre 1999, date à laquelle il se serait rendu compte que les remises qui lui étaient accordées par les fournisseurs l’étaient sur un prix de vente supérieur à celui de la concurrence. La décision attaquée fait en effet référence à de nombreux documents qui attestent que les négociations entre les fournisseurs et les grands constructeurs portaient également sur la remise accordée au W5 dès le début de l’entente.

91      C’est ainsi le cas d’une note interne de HBG du 28 mars 1994, qui fait état du prix standard, de la remise accordée au W5 et d’une remise maximale accordée aux petits constructeurs (considérant 93 de la décision attaquée), et d’une autre note interne de HBG du 24 février 1994, qui montre également l’importance que les grands constructeurs accordaient au fait d’obtenir une remise non concédée aux petits constructeurs et d’éviter que la remise soit appliquée à l’ensemble des constructeurs (considérant 95 de la décision attaquée). La réponse de Kuwait Petroleum du 16 septembre 2003 à une demande de renseignements indique également que la réunion de concertation du 27 mars 1998 avait permis de traiter du prix brut et des remises (considérant 103 de la décision attaquée). Une note interne de KWS relative à une réunion du 12 mars 1999 fait également référence au prix brut et à la remise convenue pour le W5 (considérant 104 de la décision attaquée). Enfin, une note interne de SNV du 9 février 1995 indique l’importance pour le W5 de bénéficier d’une remise plus importante que celle accordée aux petits constructeurs (considérant 153 de la décision attaquée).

92      En tout état de cause, en ce qui concerne la période comprise entre le 30 janvier 2002 et le 15 avril 2002, il ressort de la décision attaquée que le prix du bitume valable jusqu’au 15 avril 2002 avait été fixé lors de la réunion de concertation du 29 janvier 2002, à laquelle la requérante ne conteste pas avoir participé (considérant 181 de la décision attaquée). La Commission pouvait dès lors conclure à juste titre que l’entente avait continué à exister jusqu’au 15 avril 2002, date à laquelle a été modifié le prix du bitume fixé lors de la réunion du 29 janvier 2002. 

–       Sur l’absence de dénonciation de l’entente par la requérante

93      La requérante reproche à la Commission d’avoir tenu compte de la circonstance selon laquelle elle n’a pas informé les autorités de la concurrence de l’existence d’une entente pour prouver sa participation à cette dernière, alors même qu’elle ne se trouvait pas en mesure de le faire, car elle ne disposait d’aucune autre source d’approvisionnement en bitume, et que la Commission effectuait une enquête sur les règlements néerlandais d’attribution des marchés publics de construction routière.

94      Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, afin d’établir la participation d’une entreprise à un accord contraire à l’article 81 CE, la Commission doit prouver que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque. À cet égard, l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromet sa découverte. Cette complicité constitue un mode passif de participation à l’infraction qui est donc de nature à engager la responsabilité de l’entreprise (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 66 supra, points 83 et 84).

95      Par ailleurs, la requérante ne saurait se prévaloir d’une prétendue dépendance des grands constructeurs vis-à-vis des fournisseurs. Il découle en effet de la jurisprudence en la matière que, à supposer même que la requérante se soit trouvée dans une situation de dépendance et ait souffert de pressions, elle ne pourrait se prévaloir du fait qu’elle a participé à l’entente sous la contrainte des autres participants, étant donné qu’elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l’objet aux autorités compétentes et introduire une plainte auprès de la Commission (voir arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, KE KELIT/Commission, T‑17/99, Rec. p. II‑1647, point 50, et la jurisprudence citée).

96      Il convient par ailleurs de souligner que la requérante n’a fourni aucun élément permettant d’établir qu’elle aurait cherché à acheter du bitume à l’étranger et que, en tout état de cause, cette affirmation semble peu compatible avec les éléments du dossier, qui permettent de considérer que le W5 s’inquiétait des différences de prix existant avec les pays voisins. Il ressort ainsi d’un courriel du 19 juin 2000 de HBG rapportant une réunion avec Veba, devenue une filiale de BP le 1er février 2002, que Veba avait discuté avec SNV des effets d’une augmentation de prix en Allemagne sur le prix aux Pays-Bas. De même, des courriels internes de KPN indiquent que les fournisseurs étaient tenus d’accorder des remises supplémentaires à un grand constructeur disposant d’une centrale d’enrobage dans une zone proche de la frontière avec l’Allemagne afin d’éviter qu’il se fournisse à l’étranger (considérant 174 de la décision attaquée, notes en bas de page nos 374 et 375). En outre, des notes manuscrites de HBG relatives à la réunion du 16 février 2001 mettent en évidence que les fournisseurs et les grands constructeurs avaient discuté de la pression causée par le faible niveau de prix en Allemagne et en Belgique (considérant 115 de la décision attaquée, note en bas de page n° 293). Enfin, la déclaration de BP du 12 juillet 2002 indique que le prix brut devait être baissé de temps en temps, « car la différence serait trop évidente par rapport aux prix pratiqués en Allemagne, en Belgique ou en France » (considérant 116 de la décision attaquée).

97      Enfin, la requérante n’apporte aucune autre explication convaincante eu égard au fait qu’elle n’a pas dénoncé l’entente. En effet, la requérante ne saurait se borner à affirmer qu’aucune disposition relative à la clémence n’aurait été d’application pendant la période antérieure à 1999, l’existence d’une telle disposition ne constituant en tout état de cause pas une condition nécessaire à la dénonciation d’une entente. De même, la seule circonstance selon laquelle la Commission procédait également à une enquête sur les règlements néerlandais d’attribution des marchés de construction routière et risquait de ce fait d’interpréter de manière négative le comportement des membres du W5 ne saurait expliquer pourquoi la requérante n’a pas dénoncé l’entente aux autorités compétentes, ni introduit une plainte auprès de la Commission.

98      Il convient par conséquent de rejeter la seconde branche du premier moyen et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

2.     Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 81 CE, des articles 11 et 16 du règlement n° 1/2003 et des principes de sollicitude, de bonne administration, d’égalité, de l’accès au dossier et de la présomption d’innocence 

 Arguments des parties

99      Par son deuxième moyen, qui comporte quatre branches, la requérante soutient que la Commission a violé l’article 81 CE, les articles 11 et 16 du règlement n° 1/2003 ainsi que les principes de sollicitude, de bonne administration, d’égalité, de l’accès au dossier et de la présomption d’innocence. Elle rappelle que le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui exige que les entreprises concernées aient été mises en mesure au cours de la procédure administrative de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 11, et arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T‑11/89, Rec. p. II‑757, point 39). La Commission serait ainsi notamment tenue d’accorder aux entreprises l’accès à l’ensemble des éléments à charge et à décharge du dossier (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 156). Elle serait également tenue de respecter la présomption d’innocence ainsi que le principe d’égalité de traitement (arrêt de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309).

100    En premier lieu, la requérante estime que ses droits de la défense ont été violés en raison de l’accès restreint au dossier que lui a accordé la Commission. Elle aurait en effet demandé à plusieurs reprises à la Commission de lui accorder l’accès aux documents qui auraient pu être pertinents pour comprendre le mécanisme de formation du prix du bitume, notamment les contrats d’échange conclus entre les fournisseurs et les enquêtes relatives au bitume concernant d’autres États membres, mais celle-ci s’y serait opposée en invoquant la nécessité de protéger des données économiques confidentielles. Elle aurait par ailleurs indiqué à la Commission qu’il était indispensable de procéder à une enquête complémentaire, notamment concernant les déclarations de certaines sociétés, mais celle-ci n’y aurait pas donné suite, malgré l’intervention du conseiller-auditeur. De manière générale, elle estime que, à partir de l’audition, la Commission a accordé beaucoup trop de crédibilité aux déclarations des fournisseurs.

101    En deuxième lieu, la requérante soutient que ses droits de la défense auraient été méconnus en raison de l’interférence ayant existé entre l’enquête de la Commission et celles menées par les autorités néerlandaises à son sujet ou celui de son groupe. Elle aurait ainsi informé la Commission dès le 21 décembre 2004 de son impossibilité de se défendre pleinement en raison de ces autres enquêtes. Ces enquêtes nationales auraient limité ses possibilités de collaboration avec la Commission, dès lors qu’une éventuelle reconnaissance de faute aurait pu être utilisée à son endroit dans des procédures judiciaires nationales lors d’actions en responsabilité civile.

102    En troisième lieu, la requérante reproche à la Commission de ne l’avoir informée qu’au stade de la décision attaquée de l’importance des reproches formulés au sujet du mécanisme d’indexation des prix des marchés publics de construction routière sur celui du bitume (indice CROW) au regard de la preuve de sa participation à l’infraction, alors même qu’il s’agit d’un grief très grave pouvant être réprimé pénalement. Elle souligne avoir notamment indiqué au conseiller-auditeur, après avoir reçu de la Commission le 24 mai 2006 des extraits de la réponse de Shell à la communication des griefs, qu’elle souhaitait avoir accès à la totalité de ce document afin de pouvoir répondre à des arguments à charge à ce sujet, mais que celui-ci a refusé de le lui transmettre en considérant qu’il ne comportait pas de nouvelles informations importantes.

103    En quatrième lieu, la requérante estime que ses droits de la défense ont été méconnus en raison de l’abstention du membre de la Commission chargé de la concurrence lors de l’adoption de la décision attaquée. Cette abstention constituerait une violation des principes de collégialité et de sécurité juridique et aurait dû amener la Commission à faire droit aux intérêts des entreprises concernées de la même manière que dans le cas de décisions non fondées sur une délégation (arrêts de la Cour du 23 septembre 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 5/85, Rec. p. 2585, et du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555).

104    La Commission rejette l’ensemble des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

105    La requérante soutient en substance que la Commission a violé ses droits de la défense en raison du refus de lui accorder l’accès à certains documents et d’une attitude prétendument favorable aux fournisseurs, de l’interférence entre l’enquête de la Commission et celles menées par les autorités néerlandaises, de différences entre la communication des griefs et la décision attaquée, et de l’absence de participation du membre de la Commission chargé de la concurrence à l’adoption de la décision attaquée.

 Sur le refus d’accès à certains documents complémentaires et sur l’attitude de la Commission prétendument favorable aux fournisseurs

106    La requérante reproche à la Commission de lui avoir refusé l’accès à des documents relatifs au mécanisme de formation du prix du bitume, tels que les contrats d’échange conclus entre les fournisseurs, ainsi qu’à des documents issus des enquêtes relatives au bitume dans d’autres États membres.

107    Il y a lieu de rappeler que l’accès au dossier dans les affaires de concurrence a notamment pour objet de permettre aux destinataires d’une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue, dans sa communication des griefs, sur la base de ces éléments. L’accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l’exercice effectif du droit d’être entendu (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 334, et la jurisprudence citée). Le droit d’accès au dossier implique que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, Rec. p. I‑11177, point 125, et arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, point 81). Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 99 supra, points 9 et 11, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 66 supra, point 68).

108    Par ailleurs, selon la jurisprudence, l’absence de communication d’un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l’entreprise concernée démontre, d’une part, que la Commission s’est fondée sur ce document pour étayer son grief relatif à l’existence d’une infraction (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 66 supra, point 71) et, d’autre part, que ce grief ne pourrait être prouvé que par référence audit document (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 66 supra, point 71, et arrêt Solvay/Commission, point 107 supra, point 58). La Cour établit à cet égard une distinction entre les documents à charge et les documents à décharge. S’il s’agit d’un document à conviction, il incombe à l’entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue aurait été différent si l’on écartait ce document. En revanche, s’agissant de l’absence de communication d’un document à décharge, l’entreprise concernée doit seulement établir que sa non-divulgation a pu influencer, au détriment de cette dernière, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 66 supra, points 73 et 74).

109    En ce qui concerne les contrats d’échange conclus entre les fournisseurs, alors que la Commission soutient n’avoir trouvé aucun élément de preuve permettant d’expliquer le prix élevé du bitume par l’existence de contrats d’échange entre les fournisseurs, le prix brut du bitume et les remises accordées au W5 étant fixés lors des réunions de l’entente et non par les seuls fournisseurs, la requérante n’a fourni aucun commencement de preuve de ce que leur non-divulgation aurait pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision attaquée.

110    En ce qui concerne les enquêtes relatives au bitume dans d’autres États membres, il ressort du dossier que la Commission a donné accès à la requérante à l’ensemble des documents saisis lors des inspections en Belgique et en Allemagne, à l’exception d’une série de documents qu’elle estimait n’avoir aucun lien objectif avec la procédure en cause et pour laquelle elle a établi des listes descriptives rendues accessibles à la requérante le 21 avril 2005 (considérant 45 de la décision attaquée). La requérante a alors sollicité un accès plus étendu aux différents documents mentionnés dans lesdites listes. À la suite de cette demande, une réunion a été organisée avec la Commission et a été suivie par une réponse écrite aux questions spécifiques de la requérante, indiquant que ces documents n’avaient pas de lien objectif avec la procédure en cause et n’étaient pas pertinents pour sa défense (considérant 46 de la décision attaquée).

111    Or, la requérante n’a pas fourni d’indication suffisante au Tribunal quant aux documents particuliers de cette liste auxquels elle souhaitait avoir accès et qui auraient été retenus par la Commission dans la décision attaquée comme éléments à charge.

112    De même, elle n’apporte aucun élément tendant à démontrer que des documents portant sur l’existence d’accords restrictifs de la concurrence entre les fournisseurs dans d’autres États membres pourraient comporter des éléments à décharge. Il y a lieu de souligner à cet égard que l’existence d’éventuelles autres ententes entre les fournisseurs n’est pas incompatible avec l’existence d’une entente bilatérale entre les fournisseurs et les grands constructeurs et qu’il ne saurait être fait grief à la Commission, dans le cadre de ce recours, de ne pas avoir inclus certains accords dans sa décision. En effet, un tel argument, à le supposer fondé, ne saurait avoir une quelconque influence sur la légalité de la décision attaquée.

113    Enfin, en ce qui concerne l’argument de la requérante tiré d’une attitude prétendument biaisée de la Commission en faveur des fournisseurs, alors même qu’elle lui aurait indiqué les insuffisances des déclarations desdits fournisseurs, il ressort du dossier que la Commission a tenu compte des observations de la requérante à ce sujet, notamment en invitant deux fournisseurs à confirmer leurs déclarations antérieures qui avaient été contestées lors de l’audition, en transmettant ces nouvelles déclarations aux autres participants à l’audition, dont la requérante, et en en tenant compte dans la décision attaquée. Il convient en outre de souligner qu’il ressort de la décision attaquée que la Commission n’a utilisé les déclarations effectuées par certains fournisseurs dans le cadre de leurs demandes de clémence que pour confirmer des faits étayés par d’autres documents, notamment les documents saisis lors des vérifications et les réponses de toutes les entreprises à ses demandes de renseignements et à la communication des griefs, ou pour fournir des détails complétant ces faits (considérant 87 de la décision attaquée).

114    Il convient dès lors de rejeter la première branche du deuxième moyen.

 Sur l’interférence entre l’enquête de la Commission et celles menées par les autorités néerlandaises

115    La requérante soutient que ses droits de la défense ont été méconnus en raison de l’interférence ayant existé entre l’enquête de la Commission et celles menées par la NMa à son sujet ou celui de son groupe.

116    Il convient de rappeler à cet égard que l’enquête de la Commission était entièrement dissociée des enquêtes menées par la NMa. La Commission soutient, sans être contredite sur ce point par la requérante, qu’elle n’a jamais demandé à consulter les demandes de clémence introduites par la requérante devant la NMa et qu’elle n’a utilisé aucun élément relatif à la requérante dans une autre affaire comme élément de preuve dans la décision attaquée. Par ailleurs, le fait que des informations figurant dans le dossier de la requérante pourraient être utilisées dans le cadre de procédures devant les autorités nationales ne saurait suffire à justifier la suspension de l’enquête de la Commission.

117    Il convient dès lors de rejeter la deuxième branche du deuxième moyen.

 Sur les différences entre la communication des griefs et la décision attaquée

118    Il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union, qui doit être observé, même s’il s’agit d’une procédure ayant un caractère administratif (arrêts de la Cour Hoffmann-La Roche/Commission, point 99 supra, point 9, et du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, C‑176/99 P, Rec. p. I‑10687, point 19).

119    En ce sens, le règlement n° 1/2003 prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, Rec. p. I‑7191, points 34 et 35).

120    Il convient également de rappeler que, selon la jurisprudence, la décision ne doit pas nécessairement être une copie exacte de la communication des griefs (arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 68). Dès lors, ce n’est que si la décision finale met à la charge des entreprises concernées des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs ou retient des faits différents qu’une violation des droits de la défense devra être constatée (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 26 et 94, et arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T‑39/92 et T‑40/92, Rec. p. II‑49, points 49 à 52). Tel n’est pas le cas lorsque les différences alléguées entre la communication des griefs et la décision finale ne portent pas sur des comportements autres que ceux sur lesquels les entreprises concernées s’étaient déjà expliquées et qui, partant, sont étrangers à tout nouveau grief (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 107 supra, point 191).

121    À cet égard, il doit être souligné que, pour faire valoir une violation des droits de la défense concernant les griefs repris dans la décision attaquée, les entreprises en cause ne sauraient se contenter d’invoquer la simple existence de différences entre la communication des griefs et la décision attaquée, sans exposer de manière précise et concrète en quoi chacune de ces différences constitue, dans le cas d’espèce, un grief nouveau au sujet duquel elles n’ont pas eu l’occasion d’être entendues (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 107 supra, point 192). En effet, selon la jurisprudence, une violation des droits de la défense doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, en ce qu’elle dépend essentiellement des griefs retenus par la Commission pour établir l’infraction reprochée aux entreprises concernées (arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T‑36/91, Rec. p. II‑1847, point 70).

122    En l’espèce, il ressort du dossier que les griefs exposés par la Commission dans la décision attaquée, relatifs au mécanisme d’indexation des prix des marchés publics de construction routière sur celui du bitume, figuraient dans la communication des griefs (points 71 à 75 et 124 à 127). Les membres du W5 ont d’ailleurs réagi à ce point dans leur réponse à la communication des griefs.

123    Il ressort en outre du dossier que la Commission a transmis à la requérante ainsi qu’aux autres parties le 24 mai 2006 des extraits de la réponse de SNV à la communication des griefs en date du 27 juillet 2005, qui lui permettaient d’étayer ce grief, afin de leur permettre d’y réagir. Elle a en outre indiqué dans la décision attaquée que les grands constructeurs contestaient ces affirmations de SNV (considérant 151 et note en bas de page n° 346 de la décision attaquée).

124    Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la Commission n’a pas modifié ses griefs relatifs au mécanisme d’indexation des prix des marchés publics de construction routière sur celui du bitume entre la communication des griefs et la décision attaquée. Il convient dès lors de rejeter la troisième branche du deuxième moyen.

 Sur l’abstention du membre de la Commission chargé de la concurrence

125    En ce qui concerne l’abstention du membre de la Commission chargé de la concurrence lors de l’adoption de la décision attaquée par le collège des commissaires, il convient de rappeler que celle-ci résultait de l’existence d’un conflit d’intérêts, le membre de la Commission ayant exercé préalablement des fonctions au sein de l’une des sociétés destinataires de la décision attaquée.

126    Le fonctionnement de la Commission est régi par le principe de collégialité découlant de l’article 219 CE. Ce principe repose sur l’égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision et implique notamment, d’une part, que les décisions soient délibérées en commun et, d’autre part, que tous les membres du collège soient collectivement responsables, sur le plan politique, de l’ensemble des décisions arrêtées. Le respect du principe de collégialité, et spécialement la nécessité que les décisions soient délibérées en commun, intéresse nécessairement les sujets de droit concernés par les effets juridiques qu’elles produisent, en ce sens qu’ils doivent être assurés que ces décisions ont été effectivement prises par le collège et correspondent exactement à la volonté de ce dernier.

127    Tel est le cas, en particulier, des actes, qualifiés expressément de décisions, que la Commission est amenée à prendre à l’égard des entreprises ou associations d’entreprises en vue du respect des règles de concurrence et qui ont pour objet de constater une infraction à ces règles, d’émettre des injonctions à l’égard de ces entreprises et de leur infliger des sanctions pécuniaires. Le dispositif et la motivation d’une décision constituant un tout indivisible, c’est uniquement au collège qu’il appartient, en vertu du principe de collégialité, d’adopter à la fois l’un et l’autre (voir, en ce sens, arrêt Commission/BASF e.a., point 103 supra, points 62 à 65).

128    En l’espèce, il n’est pas contesté que la décision attaquée a été adoptée par le collège des commissaires. En tout état de cause, la seule abstention du membre de la Commission chargé de la concurrence, en raison de l’existence d’un conflit d’intérêts découlant de l’exercice préalable d’une fonction au sein du conseil d’administration de l’une des sociétés destinataires de la décision attaquée, ne saurait suffire à remettre en cause la légalité de l’adoption de la décision attaquée, ni fonder la demande de la requérante tendant à ce que la Commission fasse droit aux intérêts des entreprises concernées de la même manière que dans le cas de décisions non fondées sur une délégation. À l’inverse, dans ce contexte spécifique, la participation du membre de la Commission chargé de la concurrence aurait pu remettre en cause la légalité de la décision attaquée. Il convient dès lors de rejeter la quatrième branche du deuxième moyen.

129    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas méconnu les droits de la défense de la requérante et, par conséquent, il convient de rejeter le deuxième moyen dans son ensemble.

3.     Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

 Arguments des parties

130    La requérante soulève un troisième moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation qui impose à la Commission, aux termes de l’article 253 CE, de faire apparaître de manière claire et non équivoque son raisonnement afin de permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑301/96, Rec. p. I‑9919, point 87 ; arrêt du Tribunal du 20 novembre 2002, Lagardère et Canal+/Commission, T‑251/00, Rec. p. II‑4825, point 155).

131    La motivation de la décision attaquée serait ainsi insuffisante en ce qui concerne la délimitation du marché pertinent et l’importance des contrats d’échange conclus entre fournisseurs pour la formation du prix du bitume. Il en serait de même concernant le lien entre les enquêtes effectuées par la Commission et celles des autorités de la concurrence nationale sur le marché du bitume ainsi que sur d’autres marchés au sujet des mêmes entreprises et concernant les relations entre les autorités de la concurrence compétentes. De même, la Commission n’aurait pas indiqué la raison pour laquelle Wegenbouw Heijmans a été destinataire de la communication des griefs, mais pas de la décision attaquée. Elle n’aurait en outre pas suffisamment étayé sa position quant à l’importance du mécanisme de l’indice CROW, ni expliqué la manière dont le membre de la Commission chargé de la concurrence a délégué son rôle dans l’adoption de la décision attaquée à l’un des autres membres de la Commission.

132    La Commission rejette les arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

133    Il convient de préciser que la Commission n’est pas tenue, dans la décision attaquée, de vérifier et de répondre à chaque allégation des parties présentée lors de la procédure administrative, mais qu’il lui appartient, conformément aux dispositions de l’article 253 CE, d’exposer de façon claire et non équivoque son raisonnement, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Cette exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I‑723, point 86, et Commission/Sytraval et Brink’s France, point 130 supra, point 63 ; arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 216).

134    En ce qui concerne la définition du marché en cause, il y a lieu de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence que la Commission n’était pas tenue d’y procéder (voir points 53 à 57 ci-dessus). Par conséquent, la Commission pouvait se borner à faire référence dans la décision attaquée au produit concerné par l’entente ainsi qu’au territoire géographique visé.

135    En ce qui concerne l’importance alléguée des contrats d’échange entre les fournisseurs pour la formation des prix du bitume, la Commission n’était pas tenue de motiver sa décision de manière spécifique sur ce point dès lors qu’elle a estimé qu’aucun élément de preuve ne permettait d’expliquer le prix élevé du bitume par l’existence de tels contrats, le prix brut du bitume et les remises accordées au W5 étant fixés lors des réunions de l’entente et non par les seuls fournisseurs pour être imposés aux grands constructeurs.

136    En outre, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas motivé le lien ou l’absence de lien entre son enquête et celles des autorités nationales de la concurrence. Il ressort cependant du considérant 373 de la décision attaquée que la Commission a précisé que l’infraction en cause différait des infractions commises par les grands constructeurs sur les marchés néerlandais en aval de la production de bitume ou de la construction routière, tant le produit concerné que les pratiques en question étant différents, certains grands constructeurs eux-mêmes ayant souligné ces différences dans leur réponse à la communication des griefs. La Commission a donc suffisamment motivé sa décision sur ce point.

137    La requérante soutient en outre que la Commission n’a pas suffisamment motivé son absence d’enquête sur d’autres éventuelles infractions commises par les membres du W5, afin de renforcer la crédibilité de sa thèse de l’existence d’une entente bilatérale. Il y a lieu de souligner que, d’une part, l’existence d’éventuelles autres ententes entre les fournisseurs n’est pas incompatible avec la théorie de l’existence d’une entente bilatérale entre les fournisseurs et le W5 et que, d’autre part, la Commission n’a pas exclu que les grands constructeurs aient participé à d’autres accords avec les fournisseurs (points 174 et 175 de la communication des griefs). Par ailleurs, il ne saurait être fait grief à la Commission, dans le cadre de ce recours, de ne pas avoir motivé le fait d’exclure certains accords de la décision attaquée si elle estimait ne pas détenir suffisamment de preuves à cet égard, un tel argument ne pouvant avoir une quelconque influence sur la légalité de la décision attaquée.

138    En ce qui concerne le fait que la Commission n’a pas indiqué les motifs pour lesquels elle n’avait pas adressé la décision attaquée à Wegenbouw Heijmans, qui avait pourtant été destinataire de la communication des griefs, il convient de rappeler que, si elle est tenue de mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de sa décision et les considérations qui l’ont amenée à l’adopter, il n’est cependant pas exigé qu’elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés au cours de la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 49). La Commission n’est dès lors pas tenue de motiver l’absence de référence à une société dans sa décision attaquée (ordonnance du Tribunal du 4 juillet 2008, Wegenbouwmaatschappij J. Heijmans/Commission, T‑358/06, non publiée au Recueil, point 27).

139    Il y a par ailleurs lieu de souligner que la Commission a exposé de façon claire et non équivoque son raisonnement en ce qui concerne l’importance du mécanisme de l’indice CROW dans les accords en cause dans la décision attaquée (considérants 25, 26, 94, 101, 107, 111 et 115 et voir points 38 à 40 ci-dessus), de manière à permettre à la requérante de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle. De plus, KWS a fait référence à ce type de clause dans sa réponse du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements, en indiquant que des remises spécifiques lui avaient été accordées pour les travaux pour lesquels aucune imputation n’avait été contractuellement convenue en cas d’augmentation du prix du bitume.

140    Enfin, sur l’absence de motivation de l’abstention du membre de la Commission chargé de la concurrence, il ressort clairement du contexte de l’affaire, mentionné par la requérante dans sa requête, que ledit membre avait déclaré publiquement l’existence d’un conflit d’intérêts en raison de l’exercice préalable d’une fonction au sein d’une des entreprises destinataires de la décision attaquée. Dans ce contexte, la Commission n’avait pas à motiver spécifiquement cette abstention dans la décision attaquée.

141    Le troisième moyen doit donc être rejeté dans son ensemble.

4.     Sur le quatrième moyen, tiré de l’appréciation erronée de la durée de l’infraction

 Arguments des parties

142    À titre subsidiaire, la requérante estime que la Commission n’a pas établi sa participation à l’infraction avant le 14 septembre 1999 ou, au plus tôt, avant le 19 février 1996, date de la première concertation sur le bitume, et que ses preuves ne vont pas au-delà du 29 janvier 2002.

143    La Commission rejette les arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

144    Compte tenu des éléments énoncés pour écarter la deuxième branche du premier moyen, il convient également de rejeter le quatrième moyen dans son ensemble.

5.     Sur le cinquième moyen, tiré de l’appréciation erronée de l’importance et de la gravité de l’infraction

 Arguments des parties

145    La requérante estime, à titre très subsidiaire, que la Commission a apprécié de manière erronée la gravité et l’importance de l’infraction et qu’elle a notamment méconnu son obligation de respect du principe d’égalité de traitement. La Commission n’aurait en effet pas pris en compte la nature exceptionnelle de l’infraction commise par les fournisseurs et les grands constructeurs sur un seul marché et aurait à tort accordé le même poids aux deux groupes pour déterminer le montant de l’amende, alors même que le bitume ne représentait qu’une faible part des coûts des grands constructeurs. Par ailleurs, elle estime que la Commission aurait dû la faire bénéficier de la jurisprudence relative au rôle exclusivement passif d’une entreprise dans une infraction (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 133 supra, point 167) et, dès lors, fixer une amende à un niveau moins élevé.

146    La Commission rejette l’ensemble des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

147    Aux termes des dispositions du point 1 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices sur le calcul des amendes »), le montant de base de l’amende est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction devant prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché quand il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Les lignes directrices sur le calcul des amendes opèrent ainsi une distinction entre les infraction peu graves (par exemple, restrictions le plus souvent verticales visant à limiter les échanges, mais dont l’impact sur le marché reste limité), les infractions graves (le plus souvent, restrictions horizontales ou verticales dont l’application est plus rigoureuse et dont l’impact sur le marché commun plus large) et les infractions très graves (pour l’essentiel, restrictions horizontales de type « cartels de prix », quotas de répartition du marché ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur).

148    Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la gravité d’une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et au regard desquels la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation (arrêts de la Cour Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 50 supra, point 241, et du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 43 ; arrêts du Tribunal du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, Rec. p. II‑2917, point 87, et du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 153). Par ailleurs, selon la jurisprudence, lors de la détermination du montant des amendes, il y a lieu de tenir compte de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité des infractions, tels que, notamment, le rôle joué par chacune des parties dans l’infraction et le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de l’Union (voir arrêt du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, points 168 à 183). Lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C‑51/92 P, Rec. p. I‑4235, point 110, et Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, point 207).

149    Le juge de l’Union a également reconnu la qualification d’infraction très grave par nature pour les ententes horizontales en matière de prix ou les accords visant notamment à la répartition des clientèles ou au cloisonnement du marché commun (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T‑148/89, Rec. p. II‑1063, point 109 ; du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 136 ; Groupe Danone/Commission, point 54 supra, point 147 ; Scandinavian Airlines System/Commission, point 148 supra, point 85, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, Rec. p. II‑1333, point 279). Ces accords peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de très grave, sans qu’il soit nécessaire que de tels comportements se caractérisent par une étendue géographique ou un impact particuliers (arrêts du Tribunal Brasserie nationale e.a./Commission, point 148 supra, point 178, et du 19 mai 2010, KME Germany e.a./Commission, T‑25/05, non publié au Recueil, point 83). Par ailleurs, une entente horizontale qui couvre le territoire entier d’un État membre et qui a pour objet et un partage de marché et un cloisonnement du marché commun ne saurait être qualifiée de peu grave au sens des lignes directrices sur le calcul des amendes (arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 148 supra, point 181).

150    En l’espèce, la Commission a estimé, aux considérants 312 à 317 de la décision attaquée, que la requérante avait participé et, partant, commis une infraction très grave à l’article 81, paragraphe 1, CE. Elle a souligné qu’une infraction consistant à fixer directement ou indirectement les prix de vente et d’achat et à appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant ainsi un désavantage dans la concurrence, faisait partie des infractions les plus graves par leur nature. Elle a en outre indiqué que les deux groupes impliqués dans l’infraction auraient dû être conscients de la nature illicite de l’entente, les membres du W5 ayant notamment délibérément infligé un désavantage concurrentiel aux petits constructeurs. Le caractère secret des arrangements conclus par l’entente constituerait à cet égard une preuve supplémentaire de leur nature illicite.

151    Il y a lieu de relever qu’il ressort de l’examen du premier moyen que l’entente consistait à fixer directement ou indirectement les prix de vente et d’achat et à appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant ainsi un désavantage concurrentiel. Or, les mécanismes ainsi décrits par la Commission relèvent des formes les plus graves d’atteinte à la concurrence.

152    La requérante se borne à chercher à établir une distinction entre plusieurs comportements relatifs à la même entente, en arguant du fait que la Commission aurait dû procéder à une appréciation distincte du comportement des fournisseurs et de celui des grands constructeurs, parce que le bitume ne représentait qu’une faible part des coûts des grands constructeurs. Il convient cependant de prendre en compte les accords conclus entre le W5 et les fournisseurs de manière globale, ceux-ci concernant à la fois le prix brut, la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs. Ainsi, les circonstances avancées par la requérante en l’espèce ne sont pas susceptibles de remettre en cause la validité de l’appréciation de la gravité de l’infraction à laquelle la Commission a procédé. Il s’ensuit que la conclusion de la Commission selon laquelle les accords et les concertations en cause constituaient, par leur nature même, une infraction très grave ne saurait être contestée.

153    Par ailleurs, en ce qui concerne le rôle prétendument passif de la requérante, il y a lieu de souligner que celle-ci n’a pas apporté d’élément de preuve permettant de mettre en cause son rôle au sein du W5 ou le rôle du W5 dans le fonctionnement de l’entente. Il ressort cependant de l’examen du premier moyen que de nombreux documents concordants permettent d’établir sa participation active à l’infraction.

154    Il convient enfin de souligner que, afin de tenir compte de l’importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans l’entente et de son impact réel sur la concurrence, la Commission a opéré une distinction entre les entreprises concernées en fonction de leur importance relative sur le marché en cause, mesurée par leurs parts de marché, et les a regroupées en six catégories. Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ de 9,5 millions d’euros pour la requérante et l’a placée dans la troisième catégorie. Compte tenu de la taille et du chiffre d’affaires du groupe Heijmans, la Commission a ainsi estimé qu’il n’était pas nécessaire de lui appliquer un coefficient multiplicateur afin de garantir l’effet dissuasif de l’amende.

155    Il résulte de ce tout ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation dans la qualification de la nature de l’infraction commise par la requérante.

156    Il convient dès lors de rejeter le cinquième moyen et, par conséquent, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

157    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Heijmans Infrastructuur BV est condamnée aux dépens.

Jaeger

Wahl

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 septembre 2012.

Signatures

Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 81 CE ainsi que de l’article 7 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003

Sur l’appréciation du cadre économique des accords

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Sur les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale

–  Sur l’absence d’examen de l’impact des comportements allégués sur les consommateurs finals

–  Sur les erreurs relatives au contexte dans lequel se sont inscrits les accords

–  Sur l’absence de définition du marché pertinent

Sur la preuve de la participation de la requérante à l’entente

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Principes généraux relatifs à la preuve de l’existence d’une infraction à l’article 81 CE

–  Période du 1er avril 1994 au 18 février 1996

–  Période du 19 février 1996 au 13 septembre 1999

–  Période du 14 septembre 1999 au 15 avril 2002

–  Sur l’absence de dénonciation de l’entente par la requérante

2.  Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 81 CE, des articles 11 et 16 du règlement n° 1/2003 et des principes de sollicitude, de bonne administration, d’égalité, de l’accès au dossier et de la présomption d’innocence

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le refus d’accès à certains documents complémentaires et sur l’attitude de la Commission prétendument favorable aux fournisseurs

Sur l’interférence entre l’enquête de la Commission et celles menées par les autorités néerlandaises

Sur les différences entre la communication des griefs et la décision attaquée

Sur l’abstention du membre de la Commission chargé de la concurrence

3.  Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

4.  Sur le quatrième moyen, tiré de l’appréciation erronée de la durée de l’infraction

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

5.  Sur le cinquième moyen, tiré de l’appréciation erronée de l’importance et de la gravité de l’infraction

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : le néerlandais.