Language of document : ECLI:EU:T:2015:445

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

30 juin 2015 (*)

« Marque communautaire – Procédure de nullité – Marque communautaire figurative représentant une main – Article 53, paragraphe 2, sous c), du règlement (CE) n° 207/2009 – Existence d’un droit d’auteur antérieur protégé par le droit national – Charge de la preuve – Application du droit national par l’OHMI »

Dans l’affaire T‑404/10 RENV,

Gambling Commission, anciennement National Lottery Commission, établie à Birmingham (Royaume-Uni), représentée par Mme R. Cardas, avocat, et M. B. Brandreth, barrister,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. P. Bullock, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

les autres parties à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été

Mediatek Italia Srl, établie à Naples (Italie),

Giuseppe De Gregorio, demeurant à Naples,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 9 juin 2010 (affaire R 1028/2009-1), relative à une procédure de nullité entre, d’une part, Mediatek Italia Srl et M. Giuseppe de Gregorio et, d’autre part, la National Lottery Commission,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. M. Prek (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. V. Kreuschitz, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mars 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 2 octobre 2007, la requérante, la National Lottery Commission, devenue la Gambling Commission, a obtenu, auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) et en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)], l’enregistrement sous le numéro 4800399 de la marque communautaire figurative reproduite ci-après :

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2        Les produits et services pour lesquels la marque contestée a été enregistrée relèvent des classes 9, 16, 25, 28 et 41.

3        Le 20 novembre 2007, Mediatek Italia Srl et M. Giuseppe de Gregorio (ci-après les « demandeurs en nullité ») ont présenté une demande en nullité de la marque contestée, sur le fondement, notamment, de l’article 52, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 40/94 [devenu article 53, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 207/2009] au regard du droit d’auteur, antérieur à la marque contestée, que posséderait M. Giuseppe de Gregorio sur le signe figuratif suivant (ci-après le « droit antérieur allégué » ou la « mano portafortuna ») :

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4        Par décision du 16 juillet 2009, la division d’annulation de l’OHMI a fait droit à la demande en nullité de la marque contestée. En substance, la division d’annulation a considéré que les demandeurs en nullité avaient démontré l’existence d’une protection du droit d’auteur dans la législation italienne susceptible de s’appliquer à la mano portafortuna ainsi que l’antériorité de ce droit par rapport à la marque contestée. Dès lors, estimant que le droit d’auteur allégué et la marque contestée étaient quasi identiques, la division d’annulation a conclu à la nullité de la marque contestée en application de l’article 53, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 207/2009.

5        Le 1er septembre 2009, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’annulation.

6        Par décision du 9 juin 2010 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré ce qui suit :

–        la représentation humoristique d’une main qui sourit est susceptible de relever de la protection accordée par les articles 2575 et suivants du Codice civile (code civil italien) ainsi que par la Legge sul diritto d’autore (loi italienne sur le droit d’auteur), en ce qu’elle présente une composante minimale de créativité ;

–        la présentation de la photocopie d’un contrat en date du 16 septembre 1986, par lequel un tiers se présentant comme l’auteur de la mano portafortuna cède, à l’un des demandeurs en nullité, ses droits de reproduction et d’utilisation sur cette œuvre ainsi que sur d’autres dessins figurant en annexe à ce contrat (ci-après le « contrat de 1986 »), suffit à attester de l’existence d’un droit d’auteur ;

–        la chambre de recours n’est compétente, en application de l’article 2702 du Codice civile, que pour apprécier le contenu de ce contrat et non la provenance des déclarations qu’il contient ;

–        les anomalies relevées par la requérante (mention d’une date erronée quant à la durée maximale de la protection du droit d’auteur, erreur dans la date du cachet postal, qualité artistique différente de la mano portafortuna par rapport aux autres dessins figurant en annexe au contrat de 1986), ne permettraient pas de faire naître des doutes quant à la réalité du contenu de ce contrat ;

–        la marque contestée constitue, en application du droit italien, une reproduction non autorisée de la mano portafortuna et, partant, une violation du droit d’auteur ;

–        les éléments de preuve fournis par la requérante ne permettent pas de démontrer que la marque contestée a été créée de manière indépendante ;

–        l’auteur du signe constituant la marque contestée a seulement certifié que celui-ci était original « pour autant qu’il puisse en avoir raisonnablement connaissance » ;

–        dans la mesure où 400 T-shirts portant la mano portafortuna avaient été imprimés en 1988 dans la région de Naples (Italie), il est plus probable que les créateurs du signe constituant la marque contestée se soient plutôt inspirés de la mano portafortuna et non que la marque contestée soit le fruit d’une création indépendante ;

–        au titre des sanctions prévues par le droit italien, figure l’interdiction de faire usage de l’œuvre objet de la violation du droit d’auteur.

 Procédure devant le Tribunal et la Cour

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 septembre 2010, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée, en invoquant trois moyens, pris, le premier, d’une violation de l’article 53, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 207/2009, le deuxième, de l’illégalité du refus de la chambre de recours d’ouvrir une procédure orale ou de recourir à des mesures d’instruction, le troisième, d’une appréciation erronée par la chambre de recours de sa compétence pour examiner l’authenticité du contrat de 1986.

8        Par arrêt du 13 septembre 2012, National Lottery Commission/OHMI – Mediatek Italia et De Gregorio (Représentation d’une main) (T‑404/10, ci-après l’« arrêt du Tribunal », EU:T:2012:423), le Tribunal a accueilli ce recours en faisant droit aux premier et troisième moyens invoqués par la requérante au soutien de son recours. Il a également condamné l’OHMI aux dépens, y compris ceux exposés par la requérante dans la procédure devant la chambre de recours.

9        Le Tribunal a tout d’abord rappelé, aux points 14 à 21 de son arrêt, les règles et principes que la chambre de recours doit appliquer aux fins de vérifier si la preuve de l’existence d’un droit d’auteur protégé par une réglementation nationale a été rapportée. Il a jugé, au point 18 de son arrêt, que c’était sur le demandeur que pèse la charge de présenter à l’OHMI non seulement les éléments démontrant qu’il remplit les conditions requises, conformément à la législation nationale dont il demande l’application, afin de pouvoir faire interdire l’usage d’une marque communautaire en vertu d’un droit antérieur, mais aussi les éléments établissant le contenu de cette législation.

10      Ensuite, le Tribunal a relevé, au point 20 de son arrêt, que, selon sa propre jurisprudence, l’OHMI devait s’informer d’office, par les moyens qui lui paraissent utiles à cet effet, sur le droit national de l’État membre concerné au cas où de telles informations sont nécessaires à l’appréciation des conditions d’application d’une cause de nullité dont il a été excipé et, notamment, de la matérialité des faits avancés ou de la force probante des pièces présentées. Le Tribunal a précisé, en outre, que la limitation de la base factuelle de l’examen opéré par l’OHMI n’excluait pas que celui-ci prenne en considération, outre les faits invoqués explicitement par les parties à la procédure en nullité, des faits notoires, c’est-à-dire des faits qui sont susceptibles d’être connus par toute personne ou qui peuvent être connus par des sources généralement accessibles.

11      Enfin, à la lumière de ces principes, le Tribunal a jugé, aux points 23 et 24 de son arrêt, que c’était à juste titre que la chambre de recours s’était fondée sur les règles de droit italien déterminant la force probante du contrat de 1986, mais qu’il lui incombait de vérifier si cette dernière avait effectué une correcte interprétation du droit italien pertinent en concluant que, en application des articles 2702 et 2703 du Codice civile, le contrat de 1986 faisait pleinement foi en ce qui concerne la provenance des déclarations, c’est-à-dire du fait qu’elles provenaient de ceux qui les ont souscrites, et ce jusqu’à l’introduction d’une procédure d’inscription de faux.

12      À cet égard, le Tribunal a examiné, aux points 25 à 32 de son arrêt, les dispositions du droit italien, notamment l’article 2704 du Codice civile, tel qu’interprété par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) dans son arrêt n° 13912, du 14 juin 2007 (ci-après l’ « arrêt du 14 juin 2007 »). Après avoir relevé, au point 33 de son arrêt, que la décision litigieuse ne faisait aucune référence à cet article, le Tribunal a considéré, au point 35 de son arrêt, que, en application de la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione, il aurait été loisible à la requérante d’apporter la preuve que le contrat de 1986 avait été, en réalité, rédigé à une autre date que celle figurant sur le cachet postal, sans qu’il soit nécessaire qu’elle introduise une procédure d’inscription de faux. Le Tribunal en a dès lors déduit, au point 36 de son arrêt, que la chambre de recours avait effectué une interprétation erronée du droit national applicable en vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 et, partant, qu’elle avait mal apprécié l’étendue exacte de ses compétences.

13      Ayant constaté, au point 40 de son arrêt, que cette interprétation erronée du droit national pouvait avoir eu une incidence sur le contenu de la décision litigieuse, le Tribunal en a conclu, au point 41 de son arrêt, qu’il convenait d’annuler la décision litigieuse sans qu’il y eût lieu d’examiner le deuxième moyen invoqué par la requérante au soutien de son recours.

14      Par requête introduite au greffe de la Cour le 21 novembre 2012, l’OHMI a introduit un pourvoi par lequel il demandait à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal. À l’appui de son pourvoi, l’OHMI a invoqué trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 et de la règle 37 du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), tel que modifié, le deuxième, de la violation du principe du contradictoire en ce que le droit de l’OHMI à être entendu au sujet de l’arrêt du 14 juin 2007 n’a pas été respecté et, le troisième, de l’incohérence manifeste ainsi que d’une dénaturation des faits qui affectent le raisonnement et la conclusion du Tribunal.

15      Dans son arrêt du 27 mars 2014, OHMI/National Lottery Commission (C‑530/12 P, Rec, ci-après l’« arrêt de la Cour », EU:C:2014:186), la Cour a rejeté le premier moyen de l’OHMI, mais a fait droit au deuxième moyen. À cet égard, la Cour a relevé :

« 55 […] il est constant que l’arrêt du 14 juin 2007 n’a été mentionné ni au cours de la procédure devant l’OHMI ni dans les mémoires déposés devant le Tribunal, mais qu’il a été évoqué d’office par ce dernier après la fin de la procédure écrite.

56 Dès lors, il convient d’examiner si, en l’espèce, les parties ont bénéficié ou non, au cours de la procédure devant le Tribunal, de la possibilité de présenter leurs observations au sujet dudit arrêt.

57 Ainsi qu’il ressort des lettres qui leur ont été adressées le 7 février 2012 par le Tribunal et des questions qui y étaient annexées, les parties, si elles ont été invitées à faire valoir leur point de vue sur les dispositions de l’article 2704 du Codice civile, n’ont, en revanche, pas été mises en mesure de présenter leurs observations sur l’arrêt du 14 juin 2007, dont il n’était fait aucune mention dans ces lettres.

58 Par ailleurs, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 117 de ses conclusions, la lecture des points 32, 35, 36, 39 et 40 de l’arrêt attaqué fait clairement ressortir que le contenu de l’arrêt du 14 juin 2007 a joué un rôle déterminant dans le raisonnement du Tribunal. C’est parce qu’il a constaté que la chambre de recours n’avait pas tenu compte de cette jurisprudence, selon laquelle la preuve du défaut de véracité de la date du cachet postal peut être rapportée sans qu’il soit nécessaire de recourir à la procédure d’inscription de faux, que le Tribunal a considéré que la chambre de recours aurait pu accorder davantage d’importance aux anomalies alléguées par la NLC et qu’il convenait, en conséquence, d’annuler la décision litigieuse.

59 Il découle de ce qui précède que le Tribunal a violé le principe du contradictoire résultant des exigences relatives au droit à un procès équitable.

60 Il en résulte que le deuxième moyen invoqué par l’OHMI au soutien de son pourvoi doit donc être accueilli. »

 Procédure et conclusions des parties après renvoi

16      Par lettre du 7 avril 2014, le greffe du Tribunal a invité les parties à présenter, dans les deux mois à compter de la signification de l’arrêt de la Cour, leurs observations écrites, conformément à l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, concernant les suites à donner audit arrêt dans la présente procédure.

17      La requérante et l’OHMI ont déposé au greffe du Tribunal leurs observations dans le délai imparti, à savoir, respectivement, les 3 juin et 13 août 2014.

18      Dans ses observations, la requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée.

19      Dans ses observations, l’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, rejeter le recours et condamner la requérante aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant la chambre de recours en vue d’une nouvelle évaluation à la lumière de l’arrêt du 14 juin 2007 et faire supporter à chacune des parties ses propres dépens.

20      Au titre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a demandé aux parties de présenter leurs observations sur l’arrêt du 14 juin 2007. Les parties ont déféré à cette demande dans les délais impartis.

 En droit

21      À l’appui du recours, la requérante invoque trois moyens, pris, le premier, d’une violation de l’article 53, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 207/2009, le deuxième, de l’illégalité du refus de la chambre de recours d’ouvrir une procédure orale ou de recourir à des mesures d’instruction, le troisième, d’une appréciation erronée par la chambre de recours de sa compétence pour examiner l’authenticité du contrat de 1986.

22      Par son premier moyen, la requérante expose, en substance, que la chambre de recours a violé l’article 53, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 207/2009 en concluant que l’existence du droit antérieur allégué avait été démontrée par les demandeurs en nullité. Il convient d’examiner ce moyen conjointement avec le troisième moyen, par lequel la requérante soutient que la chambre de recours a, à tort, estimé qu’elle n’était pas compétente pour apprécier l’authenticité du contrat de 1986.

23      La requérante reproche, notamment, à la chambre de recours de s’être fondée sur le seul examen de la copie d’un contrat transférant la propriété de ce droit d’auteur en 1986 sans prendre en compte la probabilité des thèses défendues par les parties. Elle expose également que, dans la mesure où la chambre de recours est habilitée à statuer sur la validité d’une marque communautaire, elle doit nécessairement être en droit d’apprécier l’authenticité d’un document sur lequel reposent les prétentions d’une partie quand cette authenticité est contestée. En refusant de procéder à un tel examen, la chambre de recours n’aurait pas correctement apprécié l’étendue de sa compétence.

24      L’OHMI conclut au rejet de ce moyen. Il rappelle, notamment, que la chambre de recours était tenue de prendre sa décision conformément aux règles et principes du droit italien. Le contrat de 1986 constituerait un acte sous seing privé ayant fait l’objet d’une authentification par un notaire et, partant, présenterait la même valeur probante qu’un acte passé devant notaire. Ledit contrat ferait donc foi en ce qui concerne sa provenance. Il se déduirait des articles 2702 et 2703 du Codice civile qu’une autorité publique ne peut ignorer un acte faisant foi, à défaut d’introduction d’une procédure d’inscription de faux devant les juridictions italiennes en application de l’article 221 du Codice di procedura civile (code de procédure civile italien). Dès lors, la chambre de recours aurait seulement été en droit d’examiner le contenu du contrat de 1986 aux fins d’apprécier s’il démontre l’existence du droit antérieur. L’OHMI en déduit qu’il appartenait à la requérante, plutôt que de demander à la chambre de recours d’ignorer les éléments de preuve avancés par les demandeurs en nullité, d’introduire une procédure d’inscription de faux devant les juridictions italiennes tout en sollicitant une suspension de la procédure d’annulation de la marque contestée. L’OHMI estime en outre que les « anomalies » auxquelles se réfère la requérante, soit n’en sont pas, soit ne suffisent pas à démontrer que le contrat de 1986 constitue, en totalité ou en partie, un faux.

25      En application de l’article 53, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 207/2009, « [l]a marque contestée est également déclarée nulle sur demande présentée auprès de l’[OHMI] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon si son usage peut être interdit en vertu d’un autre droit antérieur selon la législation communautaire ou le droit national qui en régit la protection, et notamment […] d’un droit d’auteur ».

26      Il convient donc de vérifier si la chambre de recours a violé l’article 53, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 207/2009 en concluant que les demandeurs en nullité avaient apporté la preuve de l’existence d’un droit d’auteur sur la mano portafortuna, antérieur à la marque contestée.

27      Il ressort du libellé de l’article 53, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 que, lorsque cette disposition fait référence à la situation dans laquelle un droit antérieur permet d’interdire l’usage d’une marque communautaire, elle distingue clairement deux hypothèses, selon que le droit antérieur est protégé par la réglementation communautaire ou par le droit national.

28      S’agissant du régime procédural défini par le règlement n° 2868/95 dans le cas d’une demande présentée au titre de l’article 53, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, sur le fondement d’un droit antérieur protégé dans le cadre juridique national, la règle 37 du règlement n° 2868/95 prévoit dans une situation, telle que celle en l’espèce, qu’il incombe au demandeur de fournir des éléments démontrant qu’il est habilité, en vertu de la législation nationale applicable, à faire valoir ce droit.

29      Ainsi que la Cour a eu l’occasion de le rappeler, cette règle fait peser sur le demandeur la charge de présenter à l’OHMI non seulement les éléments démontrant qu’il remplit les conditions requises, conformément à la législation nationale dont il demande l’application, afin de pouvoir faire interdire l’usage d’une marque communautaire en vertu d’un droit antérieur, mais aussi les éléments établissant le contenu de cette législation (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, Rec, EU:C:2011:452, point 50).

30      Dans le cas où, comme en l’espèce, une demande en nullité d’une marque communautaire est fondée sur un droit antérieur protégé par une règle de droit national, il incombe aux instances compétentes de l’OHMI d’apprécier l’autorité et la portée des éléments présentés par le demandeur afin d’établir le contenu de ladite règle. Le Tribunal exerce un contrôle entier sur cette appréciation (arrêt Edwin/OHMI, point 29 supra, EU:C:2011:452, points 51 et 52).

31      En outre, il ressort de la jurisprudence du Tribunal que, dans les circonstances où l’OHMI peut être appelé à tenir compte, notamment, du droit national de l’État membre dans lequel un droit antérieur sur lequel est fondé la demande en nullité jouit d’une protection, il doit s’informer d’office, par les moyens qui lui paraissent utiles à cet effet, sur le droit national de l’État membre concerné au cas où de telles informations sont nécessaires à l’appréciation des conditions d’application d’une cause de nullité en cause et, notamment, de la matérialité des faits avancés ou de la force probante des pièces présentées. En effet, la limitation de la base factuelle de l’examen opéré par l’OHMI n’exclut pas que celui-ci prenne en considération, outre les faits avancés explicitement par les parties à la procédure en nullité, des faits notoires, c’est-à-dire des faits qui sont susceptibles d’être connus par toute personne ou qui peuvent être connus par des sources généralement accessibles [voir, par analogie, arrêt du 9 décembre 2010, Tresplain Investments/OHMI – Hoo Hing (Golden Elephant Brand), T‑303/08, Rec, EU:T:2010:505, point 67 et jurisprudence citée].

32      C’est à la lumière de ces principes que, en premier lieu, il convient de déterminer les règles et principes que la chambre de recours devait appliquer aux fins de vérifier si la preuve de l’existence du droit d’auteur alléguée avait été amenée.

33      La requérante se fonde sur la théorie de la balance des probabilités, en soutenant que la thèse qu’elle défend est plus probable que celle avancée par les demandeurs en nullité et que, partant, ceux-ci n’ont pas satisfait à la charge de la preuve qui leur incombait. Au contraire, la chambre de recours, ainsi que l’OHMI dans ses écritures, se réfèrent à la force probante que le Codice civile attribue au contrat de 1986. Il résulterait de l’application de ces dispositions que le contrat de 1986 fait pleinement foi quant à la provenance des déclarations de ceux qui les ont souscrites, et ce jusqu’à l’introduction d’une procédure d’inscription de faux devant les juridictions italiennes en application de l’article 221 du Codice di procedura civile (point 30 de la décision attaquée). La chambre de recours en a conclu qu’elle était seulement en mesure d’examiner le contenu du contrat de 1986 et qu’il pouvait raisonnablement être déduit de celui-ci l’existence d’un droit d’auteur sur la mano portafortuna antérieur à la marque contestée.

34      En application de la jurisprudence citée aux points 18 à 20 ci-dessus, dans la mesure où la question que devait trancher la chambre de recours concernait le point de savoir si, en application du droit italien, les demandeurs en nullité sont effectivement titulaires d’un droit d’auteur, c’est à juste titre que la chambre de recours s’est fondée sur les règles de droit italien déterminant la force probante du contrat de 1986.

35      En second lieu, il incombe cependant au Tribunal de vérifier si la chambre de recours a suivi une correcte interprétation du droit italien pertinent, en concluant que, en application des articles 2702 et 2703 du Codice civile, le contrat de 1986 faisait pleinement foi quant à la provenance des déclarations de ceux qui les avaient souscrites, et ce jusqu’à l’introduction d’une procédure d’inscription de faux.

36      Selon l’article 2702 du Codice civile, l’acte sous seing privé vaut preuve, jusqu’à inscription de faux, de la provenance des déclarations qu’il contient, c’est-à-dire du fait qu’elles provenaient de la personne qui l’a signé, que la personne contre laquelle il est invoqué reconnaisse sa signature ou que ladite signature soit considérée comme légalement reconnue.

37      L’article 2703 de ce même code dispose qu’une signature qui a été authentifiée par un notaire ou par un autre officier public autorisé est traitée comme ayant été reconnue. L’authentification est définie comme consistant en la certification par l’officier public que la signature a été écrite en sa présence. Il est également souligné que l’officier public doit au préalable vérifier l’identité du signataire.

38      L’article 2704 du Codice civile précise que la date de l’acte sous seing privé pour lequel la signature n’a pas été authentifiée n’est pas certaine et n’est pas opposable aux tiers, à l’exception de celle du jour qui suit l’enregistrement de l’acte sous seing privé, la mort ou l’incapacité physique du ou des signataires, du jour où le contenu de l’acte est reproduit dans des actes publics ou, enfin, du jour où est vérifié un autre fait qui établit d’une manière également certaine l’antériorité de l’établissement de l’acte.

39      Au point 30 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que le contrat de 1986 « [était] un acte sous seing privé et [faisait] donc pleinement foi de la provenance des déclarations de ceux qui les [avaient] souscrites jusqu’à inscription de faux conformément à l’article 2702 du Codice civile ».

40      Toutefois, force est de constater qu’il ressort de la lecture des articles 2702 à 2704 du Codice civile qu’une telle affirmation ne sera exacte, dans les circonstances de l’espèce, que si la signature des parties au contrat de 1986 peut être considérée comme légalement reconnue en ce qu’elle aurait été authentifiée en application de l’article 2703 du Codice civile ou à la condition que l’une des exceptions envisagées par l’article 2704 de ce même code trouve à s’appliquer.

41      Or, il ne saurait valablement être considéré que la circonstance alléguée au point 5 de la décision attaquée, c’est-à-dire la signature devant un notaire le 4 août 2008 d’un « contrat confirmatif de cession » qui confirmerait les clauses stipulées dans le contrat de 1986, est de nature à authentifier la signature des parties au contrat de 1986 au sens de l’article 2703 du Codice civile. En effet, une telle considération, qui aboutirait à rendre opposable aux tiers un contrat signé en 1986, par l’intervention d’un notaire près de 22 ans après cette date, apparaît en directe contradiction avec les termes mêmes dudit article 2703 selon lequel l’authentification consiste en la certification par l’officier public que la signature a été écrite en sa présence.

42      En outre, en ce qui concerne l’application de l’article 2704 du Codice Civile, il y a lieu de souligner que celui-ci permet de rendre opposable aux tiers un acte sous seing privé dont la signature n’a pas été authentifiée, à compter du jour suivant son enregistrement ou la survenance d’un fait qui établit d’une manière également certaine l’antériorité de l’établissement de l’acte.

43      En application de la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione, telle que figurant dans l’arrêt du 14 juin 2007, l’apposition sur un acte sous seing privé d’un cachet postal constitue un fait établissant la date certaine de cet acte au sens de l’article 2704 du Codice civile, dès lors que le cachet postal figure sur le corps du document lui-même. Il ressort également de cette jurisprudence que la preuve contraire de la véracité de la date d’un cachet postal peut être offerte sans qu’il soit besoin d’entamer la procédure d’inscription de faux.

44      En l’espèce, il convient de souligner que, si aucune référence n’est effectuée dans la décision attaquée à l’article 2704 du Codice civile italien, il y est mentionné la présence d’un cachet postal en date du 21 septembre 1986. Il ressort de l’examen du dossier de procédure devant l’OHMI que ledit cachet postal apparaît sur la première page du contrat, ainsi que sur l’annexe où figure le dessin de la mano portafortuna. Partant, il peut en être déduit que l’apposition dudit cachet postal répond aux conditions énoncées par la jurisprudence de la Cour de cassation italienne.

45      Ainsi, la présence de ce cachet postal est un élément permettant d’établir que le contrat de 1986 a date certaine à compter du 21 septembre 1986 et que, partant, en application de la lecture combinée des articles 2702 à 2704 du Codice civile, il fait foi quant à la provenance des déclarations qu’il contient, y compris à l’égard des tiers, depuis le 22 septembre 1986.

46      Toutefois, en application de la jurisprudence citée au point 43 ci-dessus, il était loisible à la requérante d’apporter la preuve que le contrat de 1986 avait été, en réalité, rédigé à une autre date que celle figurant sur le cachet postal, sans qu’il soit nécessaire qu’elle introduise une procédure d’inscription de faux.

47      Ainsi, en concluant au point 30 de la décision attaquée que le contrat de 1986 « [était] un acte sous seing privé et [faisait] donc pleinement foi de la provenance des déclarations de ceux qui les [avaient] souscrites jusqu’à inscription de faux conformément à l’article 2702 du Codice civile », alors que le déclenchement d’une telle procédure n’était pas nécessaire dans les circonstances de l’espèce, la chambre de recours a adopté une interprétation erronée du droit national applicable en vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 et, partant, a fait une mauvaise appréciation de l’étendue exacte de ses compétences.

48      En outre, il y a lieu de constater que la requérante a mis en exergue au cours de la procédure devant la chambre de recours certains éléments, qu’elle qualifie d’« anomalies », et qui seraient de nature à démontrer le caractère improbable de la rédaction du contrat de 1986 à la date alléguée. Ces éléments sont notamment constitués par les circonstances que la date du cachet de la poste (le 21 septembre 1986) correspond à un jour de fermeture des bureaux de poste et que la durée de protection des droits d’auteur de 70 ans, inscrite au contrat de 1986, correspond à celle applicable postérieurement à 1996, alors qu’elle n’était que de 50 ans à la date de rédaction alléguée du contrat de 1986.

49      Aux points 26 et 27 de la décision attaquée, la chambre de recours a expliqué ces anomalies par d’éventuelles erreurs du préposé ayant apposé le cachet postal et du juriste ayant rédigé le contrat de 1986.

50      Sans qu’il soit nécessaire d’examiner le bien-fondé de ces appréciations de la chambre de recours, il suffit de souligner qu’elles ont pu être affectées par l’interprétation erronée du droit italien, constatée au point 47 ci-dessus. Il peut, en effet, être considéré que la chambre de recours aurait accordé davantage d’importance à ces éléments dans l’éventualité où elle aurait estimé qu’il était loisible à la requérante de contester devant elle le caractère certain de la date figurant sur le cachet postal et que, dès lors, le contrat de 1986 ne faisait pas forcément foi quant à la provenance des déclarations qu’il contient.

51      Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation de l’OHMI, présentée dans le cadre de ses observations au titre de l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure, tirée de ce que la requérante n’aurait pas apporté de preuve que la date du cachet de la poste dont est revêtu le contrat de 1986 n’était pas fiable. En substance, l’OHMI soutient que la simple probabilité que la date du cachet dont est revêtu le contrat de 1986 ait été falsifiée ou dénaturée est insuffisante et qu’il aurait été nécessaire que la requérante prouve cette falsification ou de cette dénaturation. L’OHMI fait également valoir que la chambre de recours a pris en compte lesdites « anomalies » et a estimé qu’elles n’étaient pas de nature à mettre en doute les déclarations figurant dans le contrat de 1986.

52      En effet, d’une part, il convient de souligner que, dans la mesure où l’arrêt de 14 juin 2007, interprétant l’article 2704 du Codice civile, souligne que la preuve du défaut d’authenticité de la date d’un cachet postal peut être apportée sans qu’il soit besoin d’entamer la procédure d’inscription de faux, il implique nécessairement une plus grande liberté dans l’administration de ladite preuve contraire.

53      D’autre part, s’il est exact, ainsi que cela a déjà été souligné au point 49 ci-dessus, que la chambre de recours a répondu à l’argumentation de la requérante fondée sur l’existence de certaines anomalies dans le contrat de 1986, il demeure que cette analyse de la chambre de recours a été conduite sur la base du postulat erroné selon lequel ledit contrat faisait « pleinement foi de la provenance des déclarations de ceux qui les ont souscrites jusqu'à inscription de faux » (point 30 de la décision attaquée) et que son appréciation ne pouvait concerner que le contenu dudit contrat. Partant, il ne saurait être exclu que la chambre de recours ait abouti à une conclusion différente dans l’éventualité où elle aurait privilégié une interprétation plus large de sa compétence.

54      Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que la chambre de recours a estimé que les demandeurs en nullité avaient démontré l’existence d’un droit antérieur sur la base d’une interprétation erronée du droit national régissant sa protection et que cette erreur a pu avoir une incidence sur le contenu de la décision attaquée.

55      Par conséquent, il convient d’accueillir les premier et troisième moyens et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il y ait lieu d’examiner le deuxième.

 Sur les dépens

56      Dans son arrêt sur pourvoi, la Cour a réservé les dépens. Il appartient donc au Tribunal de statuer, dans le présent arrêt, sur l’ensemble des dépens afférents aux différentes procédures, conformément à l’article 121 du règlement de procédure.

57      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

58      En l’espèce, l’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter les dépens exposés par la requérante dans la procédure devant le Tribunal, conformément aux conclusions de cette dernière.

59      En outre, la requérante conclut à la condamnation de l’OHMI aux dépens qu’elle a exposés aux fins de la procédure devant la chambre de recours. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 136, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 9 juin 2010 (affaire R 1028/2009-1) est annulée.

2)      L’OHMI est condamné aux dépens.

Prek

Labucka

Kreuschitz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 juin 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.