Language of document : ECLI:EU:C:2005:94

Arrêt de la Cour

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
17 février 2005 (1)

«Libre prestation de services – Concurrence – Services d'affichage de messages publicitaires – Réglementation nationale instituant une taxe communale sur la publicité – Fourniture par les communes d'un service d'affichage public – Pouvoir des communes de réglementer la fourniture de services d'affichage de messages publicitaires – Imposition intérieure non discriminatoire»

Dans l'affaire C-134/03,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite par le Giudice di pace di Genova-Voltri (Italie), par décision du 10 mars 2003, parvenue à la Cour le 25 mars suivant, dans la procédure

Viacom Outdoor Srl

contre

Giotto Immobilier SARL,



LA COUR (troisième chambre),



composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, MM. A. Borg Barthet, J.-P. Puissochet, J. Malenovský et U. Lõhmus, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 9 septembre 2004,

considérant les observations présentées:

pour Viacom Outdoor Srl, par M. B. O'Connor, solicitor, et Me F. Filpo, avvocato,

pour Giotto Immobilier SARL, par Me G. Travaglino, avvocato,

pour la République italienne, par M. I. M. Braguglia, en qualité d'agent, assisté de M. O. Fiumara, avvocato dello Stato,

pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. Oliver et Mme K. Banks, en qualité d'agents, assistés de Me M. Bay, avvocato,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 28 octobre 2004,

rend le présent



Arrêt



1
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 CE, 82 CE, 86 CE, 87 CE et 88 CE.

2
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige de nature contractuelle opposant Viacom Outdoor Srl (ci-après «Viacom»), établie à Milan (Italie), à Giotto Immobilier SARL (ci-après «Giotto»), établie à Menton (France).


Le litige au principal

3
Il ressort du dossier que Giotto vend des biens immobiliers en France et que, par contrat conclu le 9 septembre 2000, elle a chargé Viacom (anciennement dénommée «Società Manifesti Affissioni SpA») d’effectuer pour son compte des services de pose d’affiches publicitaires sur le territoire de la commune de Gênes (Italie). Les services faisant l’objet de ce contrat ont été exécutés par Viacom pendant le mois d’octobre 2000.

4
Le litige opposant Viacom à Giotto concerne le refus par cette dernière de lui rembourser un montant de 439 385 ITL, soit 226,92 EUR, payé à la commune de Gênes au titre de l’«imposta comunale sulla pubblicità» (taxe communale sur la publicité). Selon le contrat conclu entre les parties, outre le prix de la prestation de services, Giotto s’est engagée à payer à Viacom les «charges spécifiques et établies» encourues par cette dernière dans le cadre de l’exécution de ladite prestation. Toutefois, devant le Giudice di pace di Genova-Voltri (Italie), saisi du litige, Giotto soutient que les dispositions de droit italien qui instituent et régissent la taxe communale sur la publicité sont contraires au droit communautaire, notamment à la liberté de prestation des services prévue à l’article 49 CE et aux règles en matière de concurrence prévues aux articles 82 CE, 86 CE, 87 CE et 88 CE.


Le cadre juridique national

5
La taxe communale sur la publicité et les droits d’affichage sont régis par le decreto legislativo nº 507 – Revisione ed armonizzazione dell’imposta comunale sulla pubblicità e del diritto sulle pubbliche affissioni (décret législatif nº 507 – Révision et harmonisation de la taxe communale sur la publicité et des droits d’affichage), du 15 novembre 1993 (supplément ordinaire à la GURI nº 288, du 9 décembre 1993, ci-après, le «décret législatif n° 507/93»), dans sa version applicable à la cause au principal.

6
L’article 1er du décret législatif nº 507/93 dispose:

«La publicité extérieure et les affichages publics sont assujettis, selon les dispositions des articles qui suivent, respectivement à une taxe ou à un droit en faveur de la commune sur le territoire de laquelle ils sont effectués.»

7
L’article 3 dudit décret législatif prévoit:

«1. La commune est tenue d’adopter un règlement pour l’application de la taxe sur la publicité et pour la fourniture du service d’affichage.

2. Dans ce règlement, la commune établit la manière dont s’effectue la publicité et peut limiter et interdire certaines formes de publicité particulières compte tenu de l’intérêt général.

3. Ce règlement doit en tout état de cause déterminer le type et la quantité des installations publicitaires, les modalités pour obtenir l’autorisation d’installation ainsi que les critères pour la réalisation du plan général des installations. Il doit aussi prévoir la répartition des surfaces des installations publiques destinées à l’affichage institutionnel, social ou en tout cas sans portée économique et celles destinées à l’affichage de nature commerciale, ainsi que la superficie des installations attribuées à des particuliers pour l’affichage direct.

[…]»

8
L’article 5, paragraphe 1, de ce décret législatif définit le fait générateur de la taxe sur la publicité:

«La diffusion de messages publicitaires effectuée par le biais de formes de communications visuelles ou acoustiques, distinctes de celles soumises au droit d’affichage, dans des lieux publics ou ouverts au public ou visibles de ces lieux est soumise à la taxe sur la publicité prévue par le présent décret.»

9
Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, du décret législatif nº 507/93, est redevable de la taxe «quiconque dispose à quelque titre que ce soit du moyen par le biais duquel le message publicitaire est diffusé». Selon le paragraphe 2 du même article, la personne qui produit ou vend la marchandise ou fournit le service faisant l’objet de la publicité est solidairement obligée au paiement de la taxe.

10
L’article 9 dudit décret législatif régit le paiement de la taxe. Son paragraphe 7 est libellé comme suit:

«Lorsque la publicité est effectuée sur des supports installés sur des biens appartenant ou donnés en jouissance à la commune, l’application de la taxe sur la publicité n’exclut pas celle de la taxe d’occupation des espaces publics ni le paiement de droits de location ou de concession, ces derniers devant être proportionnels à l’occupation effective du sol public par le support publicitaire.»

11
En outre, en ce qui concerne le service d’affichage public, l’article 18 du décret législatif nº 507/93 dispose:

«1. Le service d’affichage public est destiné à garantir spécifiquement la pose, par la commune, sur des supports destinés à cet effet, d’affiches de tous types, contenant des communications à finalité institutionnelle, sociale ou en tout cas sans portée économique, ou, le cas échéant, et dans la mesure établie dans les dispositions réglementaires visées à l’article 3, de messages diffusés dans le cadre de l’exercice d’activités économiques.

2. Le service doit être obligatoirement assuré dans les communes qui disposent, au 31 décembre de l’avant-dernière année précédant celle en cours, d’une population résidente supérieure à trois mille habitants; dans les autres communes, ce service est facultatif.

3. La superficie des installations à affecter aux affichages publics doit être établie par un règlement communal au prorata du nombre d’habitants et, en tout état de cause, ne pas être inférieure à 18 mètres carrés par tranche de mille habitants dans les communes dont la population est supérieure à trente mille habitants, et à 12 mètres carrés dans les autres communes.»

12
L’article 19, paragraphe 1, de ce décret législatif prévoit le paiement d’un droit d’affichage:

«La pose d’affiches publiques est soumise au paiement solidaire par le demandeur du service et par la personne dans l’intérêt de laquelle le service est demandé d’un droit, incluant la taxe sur la publicité, en faveur de la commune qui procède à son exécution.»

13
Dans la commune de Gênes, les dispositions du décret législatif nº 507/93 ont été mises en œuvre par le nuovo regolamento per l’applicazione dell’imposta sulla pubblicita’ e per l’effettuazione del servizio delle pubbliche affissione (nouveau règlement pour l’application de la taxe sur la publicité et pour la fourniture du service d’affichage public) adopté par délibération communale du 21 décembre 1998. Ce règlement communal a subi des modifications en 1999 et en 2000 et a été ultérieurement remplacé par un règlement adopté par délibération communale du 26 mars 2001.


Procédure préalable à la demande de décision préjudicielle et questions posées à la Cour

14
Dans le cadre du litige au principal, le Giudice di pace di Genova-Voltri a, par décision du 9 avril 2002, soumis à la Cour une première demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous a), b) et c), CE, 23 CE, 27, sous a), b) et d), CE, 31, paragraphes 1 et 3, CE, 49 CE, 50 CE, 81 CE, 82 CE, 86 CE et 87 CE.

15
La Cour a jugé cette demande irrecevable par ordonnance du 8 octobre 2002, Viacom (C-190/02, Rec. p. I-8287). En premier lieu, elle a constaté, aux points 13 à 21 de son ordonnance, que la décision de renvoi ne contenait pas d’indications suffisantes pour parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national. La Cour a ensuite précisé que les questions posées par le Giudice di pace étaient manifestement irrecevables au motif, notamment, que le juge national n’avait pas explicité, dans la décision de renvoi même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal, les raisons qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation de certaines dispositions communautaires en particulier ainsi que le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable audit litige (ordonnance Viacom, précitée, points 24 et 26).

16
Par décision du 18 décembre 2002, le Giudice di pace a ordonné la poursuite du litige au principal. Après avoir entendu les parties, il a estimé que persistaient certains motifs ayant déterminé le précédent renvoi préjudiciel à la Cour et qu’il convenait d’adresser à celle-ci une nouvelle demande de décision préjudicielle, limitée à l’interprétation des dispositions du traité CE en matière de libre prestation de services et en matière de concurrence. Il s’est donc proposé de remédier au caractère insuffisant des indications fournies à la Cour ainsi que de mieux spécifier, dans la nouvelle décision de renvoi, les circonstances de fait et de droit du litige au principal.

17
En ce qui concerne la pertinence des questions soulevées dans cette nouvelle décision pour la solution du litige au principal, le Giudice di pace précise que l’éventuelle incompatibilité avec le traité des dispositions nationales qui régissent la taxe sur la publicité et les droits d’affichage entraînerait l’illégalité ou la non-applicabilité desdites dispositions et priverait de fondement la demande de paiement introduite par Viacom, laquelle devrait donc être rejetée.

18
Au terme de son analyse juridique, le Giudice di pace résume comme suit les conclusions auxquelles il est parvenu:

« –     en application du régime prévu par le décret législatif n° 507/93, et ses modifications ultérieures, ainsi que des règlements communaux d’exécution, les communes, organes publics territoriaux, constituent des entreprises publiques qui, en l’espèce, exercent une activité économique (pose d’affiches);

l’activité exercée (pose d’affiches) constitue une activité économique exercée en concurrence avec les particuliers et susceptible d’affecter les échanges intracommunautaires;

eu égard à ce qui précède, il est raisonnable de penser que les droits et la taxe en faisant partie, perçus par les communes dans la gestion du service, constituent des droits spéciaux au sens de l’article 86 CE;

il paraît donc sérieusement douteux que le régime en cause soit compatible avec le droit communautaire; l’éventuelle incompatibilité du régime en question entraînerait l’illégalité de cette partie de la demande de paiement des prestations effectuées par Viacom au profit de Giotto, privant ainsi de fondement la demande principale de la demanderesse, objet du présent litige.»

19
Eu égard à ces considérations, le Giudice di pace di Genova-Voltri a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)
L’attribution à une entreprise publique (les communes) de la gestion d’une taxe et de droits tels que ceux examinés et relatifs à un marché qui constitue une partie substantielle du marché commun et sur lequel cette entreprise publique opère en position dominante est-elle contraire à:

a)
l’application des dispositions combinées des articles 86 CE et 82 CE;

b)
l’application des dispositions combinées des articles 86 CE et 49 CE?

2)
L’attribution à cette entreprise publique du produit de la taxe et des droits en question est-elle contraire à:

a)
l’application des dispositions combinées des articles 86 CE et 82 CE;

b)
l’application des articles 87 CE et 88 CE, dans la mesure où elle constitue une aide d’État illégale (non notifiée) et incompatible avec le marché commun?»


Sur la recevabilité des questions préjudicielles

20
Le gouvernement italien émet des doutes sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle estimant que le cadre factuel de l’affaire au principal, en particulier, n’est pas suffisamment décrit dans la décision de renvoi. Dans ses observations écrites, la Commission des Communautés européennes a également conclu à l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle dans sa totalité, eu égard aux diverses lacunes, contradictions et ambiguïtés que présenterait la décision de renvoi. Le cadre factuel et réglementaire décrit dans cette décision serait à ce point obscur que la Commission ne serait pas en mesure de suggérer à la Cour des réponses abordant le fond des questions préjudicielles. Toutefois, lors de l’audience, la Commission a estimé que, compte tenu de certains éclaircissements apportés par les parties au principal et par le gouvernement italien dans leurs observations et dans leurs réponses aux questions écrites qui leur ont été posées par la Cour, il était désormais possible d’apporter une réponse utile aux questions préjudicielles portant sur l’interprétation des articles 49 CE et 87 CE.

21
Il convient d’emblée de relever que, à la différence de la demande de décision préjudicielle ayant donné lieu à l’ordonnance Viacom, précitée, il ne ressort pas de manière manifeste de la décision de renvoi que le Giudice di pace ait omis de fournir à la Cour des indications suffisantes sur les raisons qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation de certaines dispositions du droit communautaire et sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige. En effet, dans cette décision, la juridiction de renvoi indique expressément que l’interprétation par la Cour des dispositions du traité relatives à libre prestation des services (article 49 CE), à l’octroi de droits spéciaux et exclusifs (articles 86 CE et 82 CE) et à l’octroi d’aides d’État (articles 87 CE et 88 CE) lui semble nécessaire dans la mesure où, si les dispositions nationales qui régissent la taxe sur la publicité et les droits d’affichage étaient considérées comme incompatibles avec ces dispositions communautaires, les charges instituées en faveur de la commune de Gênes par la législation italienne devraient être considérées comme illégales et, par conséquent, la demande de paiement présentée par Viacom serait privée de fondement légal et devrait être rejetée.

22
Cependant, selon la jurisprudence, pour que la Cour soit en mesure de donner une réponse utile aux questions préjudicielles qui lui sont soumises, encore faut-il que le juge national définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent ces questions ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles lesdites questions sont fondées (ordonnance Viacom, précitée, point 15, et jurisprudence citée).

23
Afin de s’assurer que les éléments fournis par le Giudice di pace répondent à ces exigences, il y a lieu de prendre en considération la nature et la portée des questions soulevées. Dans la mesure où l’exigence de précision quant au contexte factuel et réglementaire vaut particulièrement dans le domaine de la concurrence qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (ordonnance Viacom, précitée, point 22, et jurisprudence citée), il convient d’examiner en premier lieu si l’ordonnance de renvoi fournit des indications suffisantes pour permettre à la Cour de donner des réponses utiles aux questions portant sur l’interprétation des articles 82 CE, 86 CE, 87 CE et 88 CE.

24
En ce qui concerne le cadre réglementaire, il convient de constater que, en dépit de références ambiguës et contradictoires aux dispositions d’application du décret législatif nº 507/93 adoptées par la commune de Gênes, la décision de renvoi contient une description suffisamment claire et complète des dispositions de la législation nationale qui sont pertinentes pour l’examen des questions préjudicielles. En effet, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 39 de ses conclusions, ce sont les dispositions du décret législatif nº 507/93, applicables à l’échelle nationale, qui constituent les éléments essentiels du cadre juridique pertinent, les règlements communaux ne servant qu’à préciser certaines de ces dispositions. Parmi les éléments essentiels de ce cadre juridique figurent, notamment, les dispositions relatives à la perception d’une taxe communale sur la publicité et/ou d’un droit d’affichage, celles fixant les objectifs du service d’affichage public et celles octroyant aux communes le pouvoir de réglementer l’application de la taxe sur la publicité et la fourniture du service d’affichage.

25
En revanche, s’agissant du cadre factuel, force est de constater que la décision de renvoi ne fournit pas les informations nécessaires pour permettre à la Cour de répondre utilement aux questions préjudicielles portant sur l’interprétation des articles 86 CE et 82 CE.

26
Il convient de rappeler que ces dispositions du traité interdisent, en principe, aux États membres d’édicter ou de maintenir en vigueur des mesures permettant aux entreprises publiques et à celles auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

27
Ainsi que le souligne Mme l’avocat général au point 44 de ses conclusions, la délimitation du marché pertinent en termes de produit et d’aire géographique, ainsi que le calcul des parts de marché détenues par les différentes entreprises qui opèrent sur ce marché, constituent le point de départ de toute appréciation d’une situation au regard du droit de la concurrence.

28
En l’occurrence, le Giudice di pace se borne à donner quelques indications sur les services de pose d’affiches ou de mise à disposition d’espaces publicitaires fournis par les communes et à affirmer que ces services sont parfaitement interchangeables avec ceux offerts par les opérateurs privés. Toutefois, il ne ressort pas de ces indications que les clients faisant appel au service d’affichage public soient effectivement comparables à ceux qui s’adressent à des entreprises privées, notamment sur le plan du caractère commercial ou non du contenu de leurs campagnes publicitaires et du budget qu’ils y consacrent. En outre, la décision de renvoi ne contient aucune information sur le nombre d’opérateurs fournissant les services en question, ni sur leurs parts de marché respectives, même s’il semble découler de cette décision que l’aire géographique considérée comme pertinente se limite au territoire de la commune de Gênes. Cette délimitation du marché géographiquement pertinent apparaît cependant peu convaincante alors que, par ailleurs, le Giudice di pace fonde son raisonnement concernant l’affectation des échanges intracommunautaires sur le fait que le régime institué par le décret législatif nº 507/93 s’étend à l’ensemble des communes italiennes. En tout état de cause, les éléments de fait mentionnés dans la décision de renvoi semblent trop incomplets pour permettre de conclure que la commune de Gênes détiendrait une position dominante sur le marché pertinent.

29
Dans ces conditions, il n’est pas possible de déterminer si les articles 86 CE et 82 CE s’opposent à la perception d’une taxe communale sur la publicité dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal. Les questions préjudicielles portant sur l’interprétation de ces articles sont donc irrecevables.

30
Quant aux articles 87 CE et 88 CE, dont l’interprétation est également demandée par la juridiction de renvoi, il convient de rappeler que ces dispositions s’appliquent aux aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

31
À cet égard, il y a lieu de relever que la décision de renvoi ne contient pas de précisions suffisantes tant sur l’affectation des recettes tirées de la taxe communale sur la publicité que sur les modalités concrètes d’organisation du service d’affichage public, lequel doit être obligatoirement assuré dans les communes italiennes disposant d’une population résidente supérieure à 3000 habitants, ainsi que le prévoit l’article 18, paragraphe 2, du décret législatif nº 507/93. Par conséquent, sur la base des éléments d’information fournis par le Giudice di pace, il n’est pas permis de déduire quel degré d’autonomie juridique et budgétaire la commune de Gênes et d’autres communes italiennes accordent aux ressources humaines et techniques qu’elles consacrent à la prestation de ce service public, pas plus qu’il n’est permis de conclure que les recettes provenant de la taxe litigieuse servent entièrement ou en partie à financer les dépenses de fonctionnement de ce service. Contrairement à la position exprimée par la Commission lors de l’audience, il n’apparaît donc pas possible d’affirmer avec certitude que les recettes en question sont exclusivement affectées au financement du budget général de la commune et qu’elles ne pourraient en aucun cas être utilisées pour accorder une aide d’État au sens de l’article 87 CE.

32
Il s’ensuit que la question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 87 CE et 88 CE est également irrecevable.

33
En revanche, en ce qui concerne la question de savoir si la taxe communale sur la publicité constitue une entrave à la libre prestation des services incompatible avec l’article 49 CE, les éléments d’information fournis par la décision de renvoi sont suffisants pour permettre de répondre utilement à cette question.


Sur la question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 49 CE

34
Par sa question, le Giudice di pace demande en substance à la Cour si l’article 49 CE s’oppose à la perception d’une taxe telle que la taxe communale sur la publicité instituée par le décret législatif nº 507/93, à laquelle sont notamment assujetties les prestations de services d’affichage ayant un caractère transfrontalier en raison du lieu d’établissement soit du prestataire, soit du destinataire des services.

35
Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 49 CE exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services, même si cette restriction s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux d’autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber ou à gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues. Par ailleurs, la liberté de prestation des services bénéficie tant au prestataire qu’au destinataire de services (arrêts du 13 juillet 2004, Commission/France, C-262/02, non encore publié au Recueil, point 22, et Bacardi, C-429/02, non encore publié au Recueil, point 31, et jurisprudence citée).

36
En outre, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà admis qu’une mesure fiscale nationale entravant l’exercice de la liberté de prestation des services pouvait constituer une mesure prohibée, qu’elle soit appliquée par l’État lui-même ou bien par une collectivité locale (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2001, De Coster, C-17/00, Rec. p. I-9445, points 26 et 27).

37
S’agissant de la question de savoir si la perception par les autorités communales d’une taxe telle que la taxe sur la publicité constitue une entrave incompatible avec l’article 49 CE, il convient tout d’abord de relever qu’une telle taxe est indistinctement applicable à toutes les prestations de services qui impliquent une publicité extérieure et des affichages publics sur le territoire de la commune concernée. Les règles relatives à la perception de cette taxe ne prévoient donc aucune distinction tenant au lieu d’établissement du prestataire ou destinataire des services d’affichage ni tenant au lieu d’origine des produits ou des services qui font l’objet des messages publicitaires diffusés.

38
Ensuite, il convient de constater qu’une telle taxe ne s’applique qu’à des activités publicitaires extérieures impliquant l’utilisation de l’espace public administré par les autorités communales et que son montant est fixé à un niveau qui peut être considéré comme modeste par rapport à la valeur des prestations de services qui lui sont assujetties. Dans ces conditions, la perception d’une telle taxe n’est, en tout état de cause, pas de nature à prohiber, gêner ou rendre autrement moins attrayantes les prestations de services publicitaires devant être effectuées sur le territoire des communes concernées, y compris lorsque ces prestations ont un caractère transfrontalier en raison du lieu d’établissement soit du prestataire, soit du destinataire des services.

39
Il résulte des considérations précédentes que l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la perception d’une taxe telle que la taxe communale sur la publicité instituée par le décret législatif nº 507/93.


Sur les dépens

40
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.




Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)
Les questions préjudicielles concernant l’interprétation des articles 82 CE, 86 CE, 87 CE et 88 CE sont irrecevables.

2)
L’article 49 CE ne s’oppose pas à la perception d’une taxe telle que la taxe communale sur la publicité instituée par le decreto legislativo nº 507 – Revisione ed armonizzazione dell’imposta comunale sulla pubblicità e del diritto sulle pubbliche affissioni (décret législatif nº 507 – Révision et harmonisation de la taxe communale sur la publicité et des droits d’affichage), du 15 novembre 1993.


Signatures


1
Langue de procédure: l'italien.