Language of document : ECLI:EU:C:2005:623

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

20 octobre 2005 (*)

«Manquement d’État – Directive 90/388/CEE – Télécommunications – Article 4 quinquies – Droits de passage – Absence de garantie du caractère non discriminatoire de l’octroi des droits de passage – Non-transposition»

Dans l’affaire C-334/03,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 30 juillet 2003,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme A. Alves Vieira, MM. S. Rating et G. Braga da Cruz, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République portugaise, représentée par MM. L. Fernandes et P. de Pitta e Cunha, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Schiemann, Mme N. Colneric (rapporteur), MM. J. N. Cunha Rodrigues, et E. Levits, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 juin 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas assuré en pratique la transposition de l’article 4 quinquies de la directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence sur les marchés des services de télécommunications (JO L 192, p. 10), telle que modifiée par la directive 96/19/CE de la Commission, du 13 mars 1996 (JO L 74, p.13, ci-après la «directive 90/388»), la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2       Selon le vingt-troisième considérant de la directive 96/19, «les organismes de télécommunications bénéficient dans de nombreux États membres de privilèges légaux pour installer leurs réseaux sur des terrains publics et privés, sans frais ou contre simple remboursement des coûts occasionnés» et «si les États membres n’accordaient pas de droits similaires aux nouveaux opérateurs autorisés pour leur permettre de déployer leurs réseaux, cela les retarderait et reviendrait dans certains domaines à maintenir de facto des droits exclusifs en faveur des organismes de télécommunications».

3       L’article 2 de la directive 90/388 dispose:

«1.      Les États membres abolissent toutes les mesures accordant:

a)      des droits exclusifs pour la fourniture de services de télécommunications, y compris la mise en place et l’exploitation de réseaux de télécommunications nécessaires à la prestation de ces services

ou

b)      des droits spéciaux qui limitent à deux ou plus, selon des critères autres qu’objectifs, proportionnés et non discriminatoires, le nombre d’entreprises autorisées à fournir ces services de télécommunications ou à exploiter ces réseaux

ou

c)      des droits spéciaux qui désignent, selon des critères autres qu’objectifs, proportionnés et non discriminatoires, plusieurs entreprises concurrentes pour fournir ces services de télécommunications ou fournir ou exploiter ces réseaux.

2.      Les États membres prennent les mesures nécessaires afin de garantir à toute entreprise le droit de fournir les services de télécommunications visés au paragraphe 1 ou de mettre en place et d’exploiter les réseaux visés au paragraphe 1.

[…]»

4       Aux termes de l’article 4 quinquies de ladite directive:

«Les États membres n’opèrent pas de discriminations entre les fournisseurs de réseaux publics de télécommunications en ce qui concerne l’octroi de droits de passage pour la fourniture de ces réseaux.

Lorsque l’octroi de droits de passage supplémentaires à des entreprises désireuses d’établir des réseaux publics de télécommunications n’est pas possible en raison d’exigences essentielles applicables, les États membres assurent, à des conditions raisonnables, l’accès aux installations existantes établies en vertu de droits de passage qui ne peuvent être dupliqués.»

5       L’article 5, paragraphe 3, de la directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, relative à l’interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d’assurer un service universel et l’interopérabilité par l’application des principes de fourniture d’un réseau ouvert (ONP) (JO L 199, p. 32), prévoit que, pour déterminer la charge éventuelle que représente la fourniture du service universel, les organismes ayant des obligations de service universel calculent, à la demande de leur autorité réglementaire nationale, le coût net de ces obligations.

 La réglementation nationale

6       L’article 12, paragraphe 1, de la loi no 91/97, du 1er août 1997 (Diário da República I, série A, n° 176, du 1er août 1997, p. 4010), définit le «réseau de base de télécommunications» comme un réseau public qui répond aux besoins de communication des citoyens et des activités économiques et sociales sur le territoire national et qui assure les liaisons internationales.

7       Le paragraphe 2 dudit article 12, tel que modifié par la loi no 29/2002, du 6 décembre 2002 (Diário da República I, série A, n° 282, du 6 décembre 2002, p. 7556), définit la notion de réseau de base de télécommunications comme l’ensemble des éléments du réseau qui sont nécessaires à la prestation du service universel de télécommunications.

8       En vertu de l’article 13 de la loi n° 91/97, les opérateurs de réseaux de base de télécommunications sont exemptés du paiement des taxes et des droits sur la mise en place des infrastructures de télécommunications ou sur le passage des différentes parties de l’installation ou de l’équipement nécessaire à l’exploitation du réseau concerné.

9       Le 20 mars 1994, l’État portugais et PT Comunicações, la filiale de Portugal Telecom SA pour le secteur du service de téléphonie fixe, ont signé un contrat de concession pour la fourniture des services de communications considérés comme services publics, autorisant l’utilisation et l’exploitation par PT Comunicações des infrastructures de télécommunications pendant une période initiale de 30 ans.

10     Les règles de base de cette concession du service public de télécommunications, approuvées par le décret-loi no 40/95, du 15 février 1995 (Diário da República I, série A, n° 39, du 15 février 1995, p. 969), ont attribué à PT Comunicações le droit exclusif d’établir, de gérer et d’exploiter les infrastructures constituant le «réseau de base» de télécommunications. Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ces règles de base annexées au décret-loi no 40/95, ladite concession a pour objet «l’établissement, la gestion et l’exploitation des infrastructures qui constituent le réseau de base de télécommunications». Par la concession, il a en même temps été confié à PT Comunicações la détention des infrastructures, avec la charge de maintenir celles-ci en bon état de fonctionnement, de sécurité et de conservation, et de les développer, qualitativement et quantitativement, afin de garantir la fourniture des services de télécommunications d’utilité générale, au titre du service universel, sur tout le territoire national.

11     En contrepartie de ladite concession, PT Comunicações était tenue, selon les articles 24, 25 et 32 des règles de base de la concession, de payer à l’État concédant une redevance correspondant à 1 % du revenu brut d’exploitation des services concédés, le droit à une compensation étant prévu dans le cas où l’exécution des obligations du service universel impliquerait pour le concessionnaire des marges négatives.

12     Les infrastructures constituant le réseau de base de télécommunications ont appartenu à l’État portugais jusqu’à la cession, à la fin de l’année 2002, de ce réseau à PT Comunicações pour la valeur à cette date du montant total de la redevance due à l’État conformément au contrat de concession, de 1995 à la fin de sa période de validité initiale.

13     Un nouveau contrat de concession a été approuvé par le décret-loi n° 31/2003, du 17 février 2003 (Diário da República I, série A, n° 40, du 17 février 2003, p. 1044), qui a modifié les règles de base de la concession. Les obligations de l’opérateur du réseau de base ont été pour l’essentiel maintenues. L’article 6, sous b), de l’annexe dudit décret-loi prévoit que, en sa qualité de concessionnaire, PT Communicações est dans l’obligation de fournir les services qui font l’objet de la concession du service public de télécommunications, en assurant l’interopérabilité, la continuité, la disponibilité, la permanence et la qualité de ces services.

 La procédure précontentieuse

14     Par lettre de mise en demeure du 2 mai 2002, adressée aux autorités portugaises, la Commission a invité ces dernières à présenter leurs observations sur le fait que l’exemption du paiement de toute taxe au titre de l’installation de ses réseaux, accordée, en vertu de l’article 13 de la loi n° 91/97, à PT Comunicações, l’unique entreprise responsable de la gestion et de l’exploitation du réseau de base de télécommunications, constituait une infraction au principe de non-discrimination en ce qui concerne l’octroi de droits de passage prévu à l’article 4 quinquies de la directive 90/388.

15     Par lettre du 2 juillet 2002, le gouvernement portugais a exprimé son intention de remédier au prétendu traitement discriminatoire. N’ayant toutefois été destinataire d’aucun élément de réponse complémentaire, la Commission a émis, par lettre du 19 décembre 2002, un avis motivé invitant la République portugaise à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

16     Le gouvernement portugais n’ayant pas répondu audit avis motivé, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

17     La Commission soutient que, par l’exemption résultant de l’article 13 de la loi n° 91/97, conjointement avec le décret-loi n° 31/2003 et précédemment avec le décret-loi n° 40/95, qui établissent que PT Comunicações est responsable de la mise en place et de l’exploitation du réseau de base, la République portugaise a accordé à cette entreprise un traitement différent de celui dont bénéficient les autres opérateurs et qui, à défaut de justification précise, est contraire à l’article 4 quinquies de la directive 90/388.

18     Dès lors que PT Comunicações fournit, par son réseau de base de télécommunications, des services qui sont en concurrence directe avec ceux fournis par d’autres opérateurs, les privilèges en cause conféreraient à PT Comunicações un avantage direct sur ses concurrents. Le fait que les nouveaux opérateurs supportent des charges plus élevées que l’opérateur historique serait susceptible d’entraîner un retard dans le développement des réseaux de ces derniers.

19     Selon la Commission, la différence de traitement en cause n’est pas justifiée.

20     En revanche, le gouvernement portugais fait valoir qu’il n’est pas légitime de qualifier de discriminatoire le traitement distinct de situations différentes. Toute entreprise chargée d’assurer le service universel serait soumise à des obligations de développement et d’entretien du réseau qui ne sont pas imposées aux opérateurs concurrents.

21     Ledit gouvernement fait remarquer que l’exemption du paiement de taxes éventuellement dues pour l’occupation du domaine public et la possibilité d’effectuer des travaux sur ce dernier en étant dispensé d’agrément municipal poursuivent un seul but, à savoir la suppression des obstacles au développement des infrastructures du réseau de base, en facilitant la réalisation des travaux nécessaires à l’implantation, à la conservation et à l’entretien de celles-ci. Il n’y aurait eu aucune intention d’accorder à PT Comunicações un avantage sur ses concurrents.

22     Le gouvernement portugais rappelle que PT Comunicações est tenue de donner un accès au réseau de base aux opérateurs concurrents de manière transparente et non discriminatoire. En d’autres termes, celle-ci ne pourrait retirer, dans le cadre de la prestation de services de télécommunications, aucun avantage de l’exemption de taxes dont elle bénéficie au titre du développement et de l’entretien du réseau.

 Appréciation de la Cour

23     L’article 4 quinquies de la directive 90/388, exigeant que les États membres n’opèrent pas de discriminations entre les fournisseurs de réseaux publics de télécommunications en ce qui concerne l’octroi de droits de passage pour la fourniture de ces réseaux, est une expression particulière du principe général d’égalité [voir, par analogie, en ce qui concerne l’article 7, paragraphe 5, de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20), arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, non encore publié au Recueil, point 47].

24     L’interdiction de discrimination, qui fait partie des principes fondamentaux du droit communautaire, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une telle différenciation ne soit objectivement justifiée (voir, notamment, arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, Rec. p. I-4973, point 67).

25     En l’espèce, il est constant que PT Comunicações est exempté du paiement des taxes et des droits liés à la mise en place des infrastructures de télécommunications ou au passage des différentes parties de l’installation ou de l’équipement nécessaire à l’exploitation du réseau concédé.

26     Il convient de constater à titre liminaire qu’il n’est pas décisif à cet égard que cette exemption résulte de l’article 13 de la loi n° 91/97, conjointement avec le décret-loi n° 31/2003 et précédemment avec le décret-loi n° 40/95, comme le soutient la Commission, ou qu’elle découle plutôt, ainsi que le fait valoir le gouvernement portugais, de la jurisprudence des tribunaux administratifs portugais, selon laquelle l’occupation du domaine public pour la prestation d’un service public ne peut donner lieu à une taxation que s’il y a un usage individuel de biens semi-publics, afin de satisfaire, outre des besoins collectifs, des besoins individuels. En effet, dans ces deux cas, c’est en vertu de la situation juridique interne de l’État membre concerné que l’exonération existe.

27     En outre, il n’est pas exclu de comparer la situation d’une entreprise chargée d’assurer le service universel, qui est soumise à des obligations de développement et d’entretien du réseau, à celle des autres opérateurs de télécommunications qui assurent les services de leur choix, selon les conditions qu’ils estiment être les plus avantageuses.

28     Il est vrai que l’occupation du domaine public à des fins individuelles peut être distinguée de l’occupation du domaine public à des fins de satisfaction de besoins collectifs. Toutefois, contrairement à ce que le gouvernement portugais soutient, la comparaison des situations des entreprises du secteur des télécommunications ne doit pas être limitée aux seules entreprises soumises à des obligations de service public.

29     En effet, la situation de PT Comunicações en tant que fournisseur d’un réseau public doit être comparée avec celle des concurrents de cette entreprise qui exercent leurs activités également sur le marché des télécommunications et souhaitent mettre en place des réseaux alternatifs. À défaut, le but poursuivi par la réglementation communautaire, à savoir l’établissement d’un marché compétitif dans le secteur des télécommunications, serait gravement menacé. Ainsi qu’il découle du vingt-troisième considérant de la directive 96/19, si les États membres n’accordaient pas aux nouveaux opérateurs autorisés les mêmes droits et privilèges légaux pour installer leurs réseaux sur les terrains publics et privés que ceux dont bénéficient les organismes historiques de télécommunications, le déploiement des réseaux de ces nouveaux opérateurs serait retardé, ce qui reviendrait dans certains domaines à maintenir de facto des droits exclusifs en faveur desdits organismes.

30     Il importe, dès lors, de vérifier si le traitement différencié constaté en l’espèce, consistant en l’exonération du paiement des taxes et des droits en vertu des mesures nationales en cause, est justifié au regard de la directive 90/388.

31     Premièrement, il convient de constater que, en vertu de l’article 9, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, sous a), des règles de base de la concession du service public de télécommunications, l’État portugais a chargé PT Comunicações de la mission de maintenir les infrastructures concernées en bon état de fonctionnement, de sécurité et de conservation, ainsi que celle de les développer, qualitativement et quantitativement, afin de garantir la fourniture des services de télécommunications d’utilité générale, au titre du service universel, sur tout le territoire national.

32     Or, la compensation des coûts résultant d’une telle obligation n’est, en l’espèce, pas de nature à justifier une discrimination entre les opérateurs en ce qui concerne l’octroi de droits de passage.

33     En effet, le coût net de l’exécution d’un service universel aurait dû être évalué conformément à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 97/33, lu en combinaison avec l’annexe III de cette dernière. Or, une telle évaluation des coûts nets fait défaut en l’espèce. Par conséquent, il n’y a lieu ni de déterminer si l’exemption de taxes municipales constitue une mesure de financement de la prestation du service universel ni si, comme le soutient le gouvernement portugais, cette exemption n’excède pas ce qui est nécessaire pour couvrir le coût du service au sens de la jurisprudence Altmark Trans et Regierungspräsidium Madgeburg (arrêt du 24 juillet 2003, C‑280/00, Rec. p. I‑7747).

34     Deuxièmement, le fait que PT Comunicações soit tenue de donner un accès au réseau de base de télécommunications aux opérateurs concurrents de manière transparente et non discriminatoire n’est pas non plus de nature à justifier la différence de traitement en cause. Certes, des arrangements de partage ou de coordination ainsi que l’instauration de règles de répartition des coûts du partage de la ressource ou du bien foncier sont encouragés à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre») (JO L 108, p. 33). Toutefois, l’accès des autres opérateurs au réseau ne saurait justifier un traitement différent en ce qui concerne les coûts générés par la mise en œuvre d’un réseau nouveau.

35     Troisièmement, le fait que le gouvernement portugais entende, dans le cadre de la transposition de la directive 2002/21, garantir l’instauration d’une taxe municipale sur les droits de passage transparente et non discriminatoire, ne saurait être pris en compte dès lors que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé.

36     Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en n’assurant pas la transposition de l’article 4 quinquies de la directive 90/388, la République portugaise a manqué à ses obligations.

 Sur les dépens

37     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      En n’assurant pas la transposition de l’article 4 quinquies de la directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence sur les marchés des services de télécommunications, telle que modifiée par la directive 96/19/CE de la Commission, du 13 mars 1996, la République portugaise a manqué à ses obligations.

2)      La République portugaise est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le portugais.