Language of document :

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 11 juillet 2024 (1)

Affaire C237/22 P

Mylan IRE Healthcare Ltd

contre

Commission européenne

(Pourvoi – Médicaments à usage humain – Règlement (CE) no 141/2000 – Médicaments orphelins – Bénéfice notable – Exclusivité commerciale du médicament Tobi Podhaler, contenant la substance active tobramycine – Autorisation ultérieure de mise sur le marché des médicaments Tobramycin VVB et dénominations associées – Dérogation à l’exclusivité commerciale du premier médicament – Supériorité clinique du second médicament – Critères)






I.      Introduction

1.        Les « médicaments orphelins » sont des médicaments destinés au traitement de maladies relativement peu fréquentes (également qualifiées de maladies rares), ce qui rend difficile leur développement et leur commercialisation de manière rentable. Pour répondre aux préoccupations découlant de la disponibilité limitée de médicaments pour les patients souffrant de telles maladies, le législateur de l’Union a adopté un cadre législatif visant à encourager la production de tels médicaments. Ce cadre, comprenant notamment le règlement (CE) no 141/2000 (2) et le règlement (CE) no 847/2000 (3), prévoit plusieurs incitations à l’industrie pharmaceutique, dont une « récompense » revêtant la forme d’une exclusivité commerciale de plusieurs années.

2.        Pour obtenir une désignation en tant que médicament orphelin et bénéficier d’une telle exclusivité, le médicament doit apporter, entre autres, un bénéfice notable par rapport aux autres traitements autorisés.

3.        Dans le même temps, l’exclusivité commerciale n’est pas absolue. Une dérogation peut être accordée lorsque, entre autres, un médicament similaire est d’une plus grande innocuité, plus efficace que le médicament désigné en tant que médicament orphelin, ou cliniquement supérieur à celui-ci sous d’autres aspects.

4.        La présente affaire concerne principalement deux médicaments : le « TOBI Podhaler – Tobramycin » (ci-après le « Tobi Podhaler ») et le « Tobramycin VVB et dénominations associées » (ci-après le « Tobramycin VVB »). Ces deux médicaments sont indiqués pour le traitement de l’infection pulmonaire causée par la bactérie pseudomonas aeruginosa chez les patients atteints de mucoviscidose âgés de six ans et plus.

5.        Plus précisément, le Tobi Podhaler a été désigné en tant que médicament orphelin et a ensuite obtenu une autorisation de mise sur le marché (ci-après « AMM ») et, partant, l’exclusivité commerciale. Mylan IRE Healthcare Ltd (ci-après « Mylan ») est devenue par la suite titulaire de cette AMM.

6.        Toutefois, pendant la période de cette exclusivité commerciale, une autre société, UAB VVB (ci-après « VVB »), a obtenu une AMM pour le Tobramycin VVB, un produit similaire au Tobi Podhaler. À cette fin, VVB a sollicité et s’est vu accorder par la Commission européenne une dérogation à l’exclusivité commerciale du Tobi Podhaler.

7.        Cette décision a été attaquée par un recours devant le Tribunal, mais celui-ci a été rejeté. Par le présent pourvoi, Mylan cherche à contester ce qu’elle prétend être une interprétation erronée des critères permettant de déroger à l’exclusivité commerciale dont bénéficient les médicaments orphelins.

II.    Le cadre juridique

A.      Le règlement no 141/2000

8.        L’article 3, paragraphe 1, du règlement no 141/2000 dispose :

« Un médicament obtient la désignation de médicament orphelin si son promoteur peut établir :

(a)       qu’il est destiné au diagnostic, à la prévention ou au traitement d’une affection entraînant une menace pour la vie ou une invalidité chronique ne touchant pas plus de cinq personnes sur dix mille dans la Communauté, au moment où la demande est introduite, ou

qu’il est destiné au diagnostic, à la prévention ou au traitement, dans la Communauté, d’une maladie mettant la vie en danger, d’une maladie très invalidante ou d’une affection grave et chronique, et qu’il est peu probable que, en l’absence de mesures d’incitation, la commercialisation de ce médicament dans la Communauté génère des bénéfices suffisants pour justifier l’investissement nécessaire

et

(b)       qu’il n’existe pas de méthode satisfaisante de diagnostic, de prévention ou de traitement de cette affection ayant été autorisée dans la Communauté, ou, s’il en existe, que le médicament en question procurera un bénéfice notable à ceux atteints de cette affection.

9.        L’article 8 du règlement no 141/2000 dispose :

« 1. Lorsqu’une autorisation de mise sur le marché est accordée pour un médicament orphelin en application du règlement (CEE) no 2309/93 ou lorsque tous les États membres ont accordé une autorisation de mise sur le marché pour ce médicament, conformément aux procédures de reconnaissance mutuelle prévues aux articles 7 et 7 bis de la directive 65/65/CEE ou à l’article 9, paragraphe 4, de la directive 75/319/CEE du Conseil du 20 mai 1975 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments, et sans préjudice des dispositions du droit de la propriété intellectuelle ou de toute autre disposition de droit communautaire, la Communauté et les États membres s’abstiennent, pendant dix ans, eu égard à la même indication thérapeutique, d’accepter une autre demande d’autorisation de mise sur le marché, d’accorder une autorisation de mise sur le marché ou de faire droit à une demande d’extension d’une autorisation de mise sur le marché existante pour un médicament similaire.

[…]

3. Par dérogation au paragraphe 1 et sans préjudice des dispositions du droit de la propriété intellectuelle ou de toute autre disposition de droit communautaire, un médicament similaire peut se voir accorder une autorisation de mise sur le marché, pour la même indication thérapeutique, dans l’un des cas suivants :

(a)       le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché du médicament orphelin initial a donné son consentement au second demandeur ou

(b)       le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché du médicament orphelin initial n’est pas en mesure de fournir ce médicament en quantité suffisante ou

(c)       le second demandeur peut établir, dans sa demande, que le second médicament, quoique similaire au médicament orphelin déjà autorisé, est plus sûr, plus efficace ou cliniquement supérieur sous d’autres aspects ».

B.      Le règlement no 847/2000

10.      L’article 3, paragraphe 2, du règlement no 847/2000 dispose :

« Aux fins de l’application de l’article 3 du règlement [no 141/2000], on entend par :

“bénéfice notable”, un avantage important sur le plan clinique ou une contribution majeure aux soins prodigués au patient ».

11.      L’article 3, paragraphe 3, sous d), du règlement no 847/2000 dispose :

« On entend par “médicament cliniquement supérieur”, un médicament qui présente un avantage thérapeutique ou diagnostique notable par rapport aux effets d’un médicament orphelin autorisé, sous un ou plusieurs des angles suivants :

(1) efficacité supérieure à celle d’un médicament orphelin autorisé (évaluée d’après l’effet constaté sur un paramètre cliniquement significatif dans des essais cliniques appropriés et bien contrôlés). En règle générale, il s’agit du même type de preuves que celles requises pour étayer une allégation concernant l’efficacité relative de deux médicaments différents. Des essais cliniques comparatifs directs sont généralement nécessaires, mais les comparaisons peuvent également reposer sur d’autres paramètres, y compris des paramètres d’évaluation intermédiaires. En tout état de cause, l’approche méthodologique retenue doit être justifiée

ou

(2) plus grande innocuité pour une importante proportion de la ou des populations concernées. Dans certains cas, des essais cliniques comparatifs directs seront nécessaires

ou

(3) dans les cas exceptionnels où il n’est pas démontré que le médicament présente une efficacité supérieure ou garantit une plus grande innocuité, il est prouvé que le médicament apporte d’une autre façon une contribution majeure au diagnostic ou aux soins prodigués au patient.

III. Les faits et la décision de la Commission

12.      Les circonstances de fait sont exposées aux points 1 à 38 de l’arrêt attaqué (4). Aux fins des présentes conclusions, je préciserai ce qui suit.

13.      En 1999, Novartis Pharmaceuticals UK a obtenu une AMM pour le TOBI, un médicament indiqué pour le traitement de l’infection pulmonaire due à la bactérie pseudomonas aeruginosa chez les patients atteints de mucoviscidose âgés de six ans ou plus (5). Lorsque le TOBI a reçu son AMM, le règlement no 141/2000 n’était pas encore en vigueur.

14.      En 2003, sous l’empire de ce règlement, le médicament « Tobramycine (poudre pour inhalation) » (correspondant au médicament Tobi Podhaler) (6), qui est également destiné au traitement de l’infection pulmonaire chez les patients atteints de mucoviscidose âgés de six ans ou plus, a été désigné en tant que médicament orphelin. Ce médicament étant similaire au TOBI, le promoteur du Tobi Podhaler devait démontrer, afin d’obtenir la désignation en tant que médicament orphelin, que celui-ci apportait un bénéfice notable par rapport au TOBI. Cette condition était remplie en raison du fait que le Tobi Podhaler était plus facile à administrer.

15.      Cette désignation en tant que médicament orphelin a ultérieurement été transférée à Novartis Europharm Ltd.

16.      Lorsque la Commission a accordé une AMM au Tobi Podhaler en 2011 (7), cette décision a déclenché une période d’exclusivité commerciale de dix ans (qui a ensuite été prolongée de deux ans)(8). Cette période d’exclusivité commerciale empêche en principe l’entrée sur le marché, pendant celle-ci, de médicaments similaires, sous réserve de certaines dérogations, parmi lesquelles le cas d’un produit similaire cliniquement supérieur.

17.      En 2016, se fondant sur ce motif de dérogation, la Commission a accordé à VVB une AMM pour le médicament Tobramycin VVB. Pour adopter cette décision (ci-après la « décision attaquée ») (9), elle s’est fondée, en application des règles pertinentes, sur l’avis scientifique du comité des médicaments à usage humain, qui a conclu que le Tobramycin VVB était cliniquement supérieur au Tobi Podhaler, en raison du fait qu’il était d’une plus grande innocuité pour une importante proportion de la population, dès lors que, en bref, il entraîne une incidence moindre de la toux et de la nécessité d’interrompre le traitement (10).

IV.    L’arrêt attaqué et la procédure devant la Cour

18.      En 2016, Novartis Europharm a introduit un recours par lequel elle sollicitait, notamment, l’annulation de la décision attaquée au motif, notamment, que celle-ci violait ses droits d’exclusivité commerciale.

19.      La Commission, soutenue par VVB, a conclu au rejet de ce recours par le Tribunal.

20.      À la suite du transfert de l’AMM relative au médicament Tobi Podhaler à Mylan, cette dernière société a été autorisée à se substituer à Novartis Europharm dans le cadre de la procédure devant le Tribunal.

21.      Le Tribunal a rejeté le recours par l’arrêt attaqué (11).

22.      Par son pourvoi, introduit le 4 avril 2022, Mylan (ci-après la « requérante au pourvoi » demande à la Cour, premièrement, de déclarer le pourvoi recevable et fondé. Deuxièmement, elle lui demande d’annuler l’arrêt attaqué. Troisièmement, elle lui demande d’annuler la décision attaquée, si l’état de la procédure le permet, ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal. Quatrièmement, elle lui demande de condamner la Commission aux dépens qu’elle a exposés dans le cadre tant de la procédure devant le Tribunal que de celle devant la Cour. Enfin, elle demande à la Cour de condamner VVB à supporter ses propres dépens exposés dans les deux instances de la procédure.

23.      La Commission et VVB ont déposé leur mémoire en réponse le 15 juin 2022, par lesquels ils demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante au pourvoi aux dépens.

24.      Le 22 août 2022, Mylan a déposé une réplique, après y avoir été autorisée par la Cour. Le 3 octobre 2022, la Commission et VVB ont déposé leur duplique.

25.      Entre-temps, la Cour a accueilli la demande d’intervention que l’Agence européenne des médicaments (ci-après l’« EMA ») avait présentée au soutien de la Commission(12). Dans son mémoire en intervention, l’EMA demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante au pourvoi à supporter ses dépens. Mylan et la Commission ont présenté des observations sur ce mémoire en intervention respectivement les 14 et 6 décembre 2022.

26.      Mylan, VVB, la Commission et l’EMA ont été entendues en leurs plaidoiries lors d’une audience qui s’est tenue le 20 septembre 2023.

V.      Analyse

27.      Le présent pourvoi est fondé sur deux moyens. Premièrement, Mylan allègue que le Tribunal a commis une erreur dans l’interprétation de la notion de supériorité clinique au sens de l’article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement no 141/2000. Deuxièmement, Mylan invoque une erreur de droit pour insuffisance de motivation.

28.      À la demande de la Cour, les présentes conclusions ne porteront que sur le premier moyen du pourvoi. À cette fin, et compte tenu de la nature technique de la présente affaire, je commencerai par exposer les éléments pertinents du cadre réglementaire applicable et par les rattacher aux principaux faits de l’affaire (A). Sur cette base, j’exposerai ensuite les raisons qui m’amènent à conclure au rejet du premier moyen du pourvoi (B).

A.      Les éléments pertinents du cadre réglementaire et les principaux faits

29.      Il ressort de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 141/2000 que, pour qu’un médicament soit considéré comme un médicament « orphelin », il doit soit être destiné au traitement d’une affection entraînant une menace pour la vie ou une invalidité chronique ne touchant pas plus de cinq personnes sur dix mille dans l’Union (critère de prévalence) soit, quelle que soit la prévalence, il doit être peu probable que, en l’absence de mesures d’incitation, sa commercialisation génère des bénéfices suffisants pour justifier l’investissement nécessaire (critère du retour sur investissement).

30.      Cette disposition établit deux cas de figure qui sont susceptibles de conduire à la désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin.

31.      Le premier cas de figure est celui dans lequel le promoteur du médicament démontre qu’il n’existe pas de méthode satisfaisante de diagnostic, de prévention ou de traitement de l’affection concernée. Cependant, lorsqu’une telle méthode existe, cette désignation peut encore être accordée lorsque le promoteur démontre que ce médicament procurera un bénéfice notable aux personnes souffrant de cette affection (second cas de figure).

32.      C’est ce dernier cas de figure qui est pertinent en l’espèce.

33.      Le Tobi Podhaler est un médicament similaire au TOBI. Pour obtenir une désignation en tant que médicament orphelin, son promoteur devait donc établir l’existence d’un bénéfice notable par rapport aux traitements déjà autorisés tels que le TOBI.

34.      La notion de bénéfice notable est définie à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 847/2000 comme « un avantage important sur le plan clinique ou une contribution majeure aux soins prodigués au patient ».

35.      En l’espèce, le bénéfice notable apporté par le Tobi Podhaler consistait en « une contribution majeure aux soins prodigués au patient », au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 847/2000, en raison du fait qu’il « réduisait considérablement la durée d’administration du médicament par rapport au TOBI et qu’[il] pouvait être utilisé avec un système d’administration portable, ce qui présentait une commodité accrue pour les patients, susceptible de conduire à une amélioration de l’observance du traitement » (13). En effet, ainsi qu’il ressort du dossier de l’affaire et ainsi que Mylan en particulier l’a expliqué dans le cadre de la présente procédure, le TOBI est un produit liquide qui se prend en traitement par inhalation grâce à un nébuliseur, c’est-à-dire à un appareil qui pèse entre 1,5 et 2 kilos, tandis que le Tobi Podhaler consiste en une poudre à administrer avec un appareil d’inhalation portable de 20 grammes. En outre, le temps d’administration du TOBI est supérieur à celui du Tobi Podhaler.

36.      Il convient d’ajouter que les données recueillies pour démontrer le bénéfice notable apporté par le Tobi Podhaler (aux fins de la désignation en tant que médicament orphelin puis de l’AMM à ce titre) (14) ont également révélé qu’il présentait un risque d’incidence de la toux plus élevé que le TOBI et conduisait à un taux d’abandon plus élevé du traitement dans tous les groupes d’âge pertinents (enfants, adolescents et adultes). Cette intolérance était connue à ce stade et figurait dans le résumé de ses caractéristiques, qui introduisait une mise en garde spéciale et recommandait l’utilisation du TOBI en cas d’intolérance (15). Dans le même temps, ces effets indésirables ne s’opposaient pas à ce qu’il soit constaté que « le Tobi Podhaler offrait une efficacité et une sécurité comparables au TOBI » (16) et que, ainsi que l’a relevé le Tribunal en substance, que « lesdits profils [avaient] [donc] été jugés comparables ou similaires au niveau de la population dans son ensemble » (17).

37.      S’agissant à présent de la question de l’exclusivité commerciale telle que celle accordée au titre de la désignation du Tobi Podhaler en tant que médicament orphelin (et de son autorisation de mise sur le marché), il convient de rappeler qu’elle n’est pas absolue. Cela découle de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 141/2000, qui prévoit qu’il est possible d’accorder à un médicament similaire une AMM pour la même indication thérapeutique lorsque, notamment, « le second demandeur » (tel que VVB) peut établir que le second médicament (tel que le Tobramycin VVB), « quoique similaire au médicament orphelin déjà autorisé, est plus sûr, plus efficace ou cliniquement supérieur sous d’autres aspects » (18).

38.      C’est en se fondant sur ce motif de supériorité clinique que VVB s’est vu octroyer une dérogation à l’exclusivité commerciale accordée au Tobi Podhaler et a obtenu une AMM pour le Tobramycin VVB. À cet égard, la Commission a conclu plus spécifiquement que le Tobramycin VVB était cliniquement supérieur au Tobi Podhaler en ce qu’il présentait une « plus grande innocuité pour une importante proportion de la ou des populations concernées ». Il s’agit là d’un critère spécifique de supériorité clinique expressément prévu à l’article 3, paragraphe 3, sous d), point 2, du règlement no 847/2000 [qui, avec l’article 3, paragraphe 3, sous d), points 1 et 3, de ce règlement, détaille les dispositions de l’article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement no 141/2000 et sur lequel je reviendrai plus en détail dans la suite des présentes conclusions].

39.      Dans cette perspective, la présente affaire peut paraître quelque peu complexe, car le Tobramycin VVB est, en réalité, une copie générique du TOBI, ainsi que cela ressort de l’arrêt attaqué (19) et ainsi que cela a été rappelé à plusieurs reprises dans la présente procédure. Cette circonstance permettait à VVB de se fonder sur les données précédemment recueillies pour le TOBI, y compris celles précédemment utilisées aux fins de la comparaison entre le TOBI et le Tobi Podhaler (20). Ces données ont permis de conclure que, à l’instar du TOBI, le Tobramycin VVB présente une innocuité supérieure à celle du Tobi Podhaler pour une partie de la population concernée et qu’il est donc cliniquement supérieur à ce dernier, car il n’entraîne pas d’effets indésirables revêtant la forme de toux et d’interruption du traitement.

40.      À la lumière de ce qui précède, il peut paraître déroutant que la conclusion relative à la supériorité clinique du Tobramycin VVB par rapport au Tobi Podhaler, en raison de sa plus grande innocuité pour une importante proportion de la population cible, ait été formulée après qu’il a été conclu que le profil d’innocuité (et d’efficacité) du Tobi Podhaler est équivalent au profil d’innocuité du TOBI, alors qu’il doit en aller de même également pour le Tobramycin VVB, en raison du fait qu’il s’agit d’une copie générique du TOBI.

41.      Le Tribunal a abordé cet aspect de l’affaire et a considéré que « le fait que le Tobi Podhaler procure, pour l’ensemble de la population, un bénéfice notable justifié par une contribution majeure aux soins prodigués au patient[,] [...] dans la mesure où ces bénéfices l’emportent sur les risques d’effets indésirables[,] n’est pas en contradiction avec le fait que, en même temps et sur la base des mêmes données, le Tobramycin VVB présente une plus grande innocuité pour les patients potentiellement intolérants au Tobi Podhaler qui constituent une partie importante de la population cible » (21). Sur cette base, il a rejeté l’argument de Mylan tiré de ce que la conclusion de la Commission quant à la supériorité clinique du Tobramycin VVB par rapport au Tobi Podhaler était incohérente.

42.      Dans le cadre de la présente procédure, Mylan maintient qu’un médicament ne saurait être considéré comme apportant un « bénéfice notable » par rapport à un autre tout en étant en même temps cliniquement inférieur. Le premier moyen du pourvoi consiste, en substance, à critiquer l’interprétation faite par le Tribunal de la condition de supériorité clinique énoncée à l’article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement no 141/2000, au motif que le Tribunal n’a pas adopté ce que la requérante au pourvoi considère comme une approche « globale » s’agissant des trois critères (alternatifs) qui sous-tendent cette notion (à savoir, en bref, une plus grande innocuité pour une importante proportion de la population concernée, ou une efficacité supérieure ou encore une contribution majeure aux soins prodigués aux patients) (22).

43.      J’en viens maintenant aux raisons pour lesquelles il convient de rejeter cette allégation et, partant, le premier moyen du pourvoi.

B.      Sur les raisons pour lesquelles le premier moyen du pourvoi devrait être rejeté

44.      La requérante au pourvoi conteste, en substance, ce que le Tribunal a énoncé au point 132 de l’arrêt attaqué.

45.      Le Tribunal s’y est prononcé sur la notion de supériorité clinique et s’est concentré plus spécifiquement sur le critère de « plus grande innocuité pour une importante proportion de la ou des populations concernées ». Je rappelle qu’il s’agit d’un critère spécifique de supériorité clinique, énoncé à l’article 3, paragraphe 3, sous d), point 2, du règlement no 847/2000 [qui développe la règle prévue par l’article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement no 141/2000] (23) et sur lequel la Commission s’est appuyée en l’espèce pour accorder à VVB l’AMM du Tobramycine VVB, en dérogation à l’exclusivité commerciale dont bénéficiait le Tobi Podhaler.

46.      Dans ce contexte, le Tribunal a énoncé audit point 132 que « l’article 3, paragraphe 3, sous d), point 2, du règlement no 847/2000 prévoit expressément le critère d’une plus grande innocuité “pour une importante proportion de la ou des populations concernées” » et a conclu que « ce critère de la supériorité clinique doit être évalué individuellement, sans établir un rapport bénéfice/risque global pour l’ensemble de la population comme tel est le cas pour le bénéfice notable ».

47.      La requérante au pourvoi considère que cette considération est incompatible avec une considération formulée au point 124 de l’arrêt attaqué.

48.      Dans ce point, le Tribunal s’est prononcé (au premier chef) sur la notion de bénéfice notable et a relevé, entre autres, que les critères sur lesquels repose l’appréciation du bénéfice notable « doivent être appréciés dans leur ensemble grâce à une pondération et à une évaluation globale du rapport bénéfice/risque ».

49.      La requérante au pourvoi estime que l’énoncé du point 132 (avec lequel elle est en désaccord) est incompatible avec celui du point 124 (avec lequel elle est en accord, ainsi que je le comprends) en raison du fait que, selon elle, les deux notions (de bénéfice notable et de supériorité clinique) reposent sur les mêmes critères (l’efficacité, l’innocuité et la contribution majeure aux soins prodigués au patient), qu’elles sont donc interchangeables et doivent être appréciées de la même manière.

50.      Or, selon la requérante au pourvoi, le Tribunal a adopté, à tort, une approche « individuelle » de la notion de supériorité clinique, en ce sens qu’il a considéré qu’il suffit qu’un seul des trois critères (en l’occurrence, une plus grande innocuité pour une importante proportion de la population concernée) soit respecté pour que la condition de la supériorité clinique soit remplie (sans procéder à l’évaluation du rapport global entre l’ensemble des critères). Par ailleurs, le Tribunal a exigé (à juste titre selon la requérante au pourvoi) une évaluation « globale » de ces mêmes critères s’agissant de la notion de bénéfice notable, en ce sens que le rapport global entre les trois critères doit être favorable pour que la condition du bénéfice notable soit remplie.

51.      Cette approche différenciée implique, selon la requérante au pourvoi, que la condition de la supériorité clinique est soumise à des critères moins stricts que ceux qui s’appliquent au bénéfice notable, ce qui ne serait toutefois pas justifié et aboutirait à une situation incompatible avec l’interprétation téléologique du régime de dérogation établi à l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 141/2000 et avec les intérêts des patients.

52.      Je commencerai par examiner ces arguments en commentant brièvement la prémisse de la requérante au pourvoi selon laquelle les deux notions en cause seraient interchangeables ainsi que la nature des critères pertinents (1). J’expliquerai ensuite que la position de la requérante au pourvoi repose sur une lecture erronée des points précités de l’arrêt attaqué (2) et je conclurai en précisant que, contrairement à ce qu’elle soutient, le résultat auquel est parvenu le Tribunal dans cet arrêt est conforme à l’objectif poursuivi par le règlement no 141/2000 (3).

1.      Les notions en cause et la nature des critères pertinents

53.      Premièrement, une grande partie de la discussion dans la présente procédure s’est articulée autour de la question de savoir si les notions de bénéfice notable et de supériorité clinique sont interchangeables (ainsi que le soutient Mylan) ou si elles sont différentes (ainsi que le soutiennent VVB, la Commission et l’EMA).

54.      Je suis d’avis que, aux fins de la présente affaire, cette question peut être abordée assez brièvement. Bien que, ainsi que l’a relevé en substance le Tribunal sans que cela soit contesté dans le cadre du présent pourvoi, ces trois mêmes critères (une plus grande innocuité, une efficacité supérieure et une contribution majeure aux soins prodigués au patient) soient pertinents pour ces deux notions, cela ne signifie pas qu’elles sont interchangeables, contrairement à ce que soutient Mylan.

55.      À cet égard, j’observe qu’il existe des différences de libellés dans la manière dont ces trois critères sont abordés. En particulier, la définition du bénéfice notable figurant à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 847/2000 est plus ouverte, dès lors qu’elle fait référence non pas aux critères spécifiques d’innocuité et d’efficacité, mais à l’expression plus générale d’« avantage important sur le plan clinique » (24). En outre, l’explication donnée à la section précédente indique clairement que les deux notions s’inscrivent dans des contextes différents et ont, dès lors, une finalité différente (25).

56.      Il est vrai que, de manière assez déroutante, le considérant 8 du règlement no 141/2000 fait référence à un bénéfice notable, bien que la dérogation à l’exclusivité commerciale (à laquelle se rapporte ce considérant) repose sur la notion de supériorité clinique (26). Je n’ai pas de certitude quant à l’explication de cette incohérence et les travaux préparatoires n’éclairent pas non plus cette question (27). Cela étant, je ne partage pas l’avis de la requérante selon lequel cette incohérence atteste de l’interchangeabilité des notions en cause. La question de savoir si ces notions sont interchangeables doit être appréciée à la lumière du libellé, de l’objet et du contexte dans lequel elles apparaissent. Si les considérants constituent un outil d’interprétation utile à cet effet, ils ne sauraient supplanter le texte réglementaire principal. À cet égard, j’ai déjà brièvement expliqué en quoi celui-ci distingue les deux notions.

57.      Deuxièmement, une partie importante de la discussion dans la présente affaire s’est également articulée autour de la question de savoir si les trois critères pertinents (une plus grande innocuité, une efficacité supérieure et une contribution majeure aux soins prodigués aux patients) sont, dans les contextes respectifs des notions en cause, alternatifs ou cumulatifs.

58.      En ce qui concerne la notion de bénéfice notable, rien dans l’arrêt attaqué ne suggère que le Tribunal a exigé l’application cumulative de ces critères. Le Tribunal a été clair lorsqu’il a jugé que ceux-ci ne sont pas cumulatifs (28). Cela étant, l’interprétation de cette notion n’est pas en cause en tant que telle dans le cadre du présent pourvoi.

59.      Ce qui importe, c’est que le Tribunal soit parvenu à la même conclusion s’agissant de ces critères dans le contexte de la notion de supériorité clinique (dont l’interprétation est contestée par le présent pourvoi) (29). Cette conclusion est, à mon avis, parfaitement cohérente avec le libellé clair de l’article 3, paragraphe 3, sous d), du règlement no 847/2000 (cité au point 11 des présentes conclusions) et, en particulier, avec l’emploi de la conjonction « ou » dans la définition qui y est donnée (30). Ainsi, le fait que l’un des trois critères de la supériorité clinique qui y sont spécifiés (une efficacité plus grande ou une plus grande innocuité dans une importante proportion de la population concernée ou une contribution majeure aux soins prodigués au patient) soit rempli suffit pour conclure qu’un médicament est cliniquement supérieur à un médicament orphelin donné.

60.      Cela étant, la requérante au pourvoi explique qu’elle soutient non pas que les trois critères de la supériorité clinique sont cumulatifs, mais que leur rapport global devrait être évalué et qu’il devrait être favorable pour que soit accordée une dérogation à l’exclusivité commerciale d’un médicament orphelin. Il découle de ces arguments, ainsi que je les comprends, qu’une « évaluation globale » aurait nécessité, en l’espèce, qu’il soit démontré que la Tobramycin VVB présentait une efficacité accrue (outre sa plus grande innocuité dans une importante proportion de la population).

61.      Cet argument revient toutefois à dire que les deux critères de supériorité clinique concernés, à savoir une plus grande innocuité et une efficacité supérieure, doivent, en réalité, être appliqués cumulativement (bien que la requérante au pourvoi soutienne le contraire). Ainsi que je l’ai déjà expliqué, cette position est en contradiction avec le libellé de l’article 3, paragraphe 3, sous d), du règlement no 847/2000.

62.      Enfin, contrairement à ce que laisse entendre la requérante au pourvoi, je ne vois pas en quoi la conclusion qui précède serait remise en cause par l’emploi, dans la définition de la notion de supériorité clinique figurant à l’article 3, paragraphe 3, sous d), du règlement no 847/2000, de l’expression « avantage [...] par rapport ». Je partage l’avis de VVB selon lequel cet argument n’est pas suffisamment étayé. En tout état de cause, il découle de cette disposition que l’« avantage [...] par rapport » doit être démontré sous l’un des trois angles qui sont ensuite précisés, à savoir, une efficacité supérieure, une plus grande innocuité pour une importante proportion de la population concernée ou une contribution majeure aux soins prodigués aux patients. Par conséquent, l’expression « avantage [...] par rapport » n’affecte donc pas le caractère alternatif de ces critères.

63.      Cela étant, il me semble que la distinction opérée par la requérante au pourvoi entre ce qu’elle qualifie d’approche « globale » et l’approche « individuelle » que le Tribunal aurait établie aux points 124 et 132 de l’arrêt attaqué résulte d’une interprétation erronée des références qu’il a faites à l’« évaluation globale du rapport bénéfices/risques » (point 124, s’agissant du bénéfice notable), d’une part, et de l’absence de nécessité d’établir « un rapport bénéfice/risque global pour l’ensemble de la population » (point 132, s’agissant de la supériorité clinique), d’autre part.

64.      C’est cette question que j’aborderai à présent.

2.      La lecture erronée des points pertinents de l’arrêt attaqué

65.      Je dois admettre que les implications de la distinction exposée au point 63 des présentes conclusions sont susceptibles de ne pas être claires au premier abord. Toutefois, elles apparaissent plus clairement lorsque les passages en cause sont replacés dans leur contexte.

66.      Ainsi que VVB, la Commission et l’EMA l’ont fait valoir notamment lors de l’audience, la référence à l’« évaluation globale du rapport bénéfices/risques » au regard de la condition du bénéfice notable (point 124 de l’arrêt attaqué) répond à l’explication qui figure aux points 122 et 123 de l’arrêt attaqué.

67.      Il ressort de ces points que, dès lors que, en l’espèce, le bénéfice notable était revendiqué sur le fondement d’une contribution majeure aux soins prodigués aux patients pour l’ensemble de la population concernée, l’EMA et le comité des médicaments orphelins ont exigé, dans le processus ayant conduit à la désignation du Tobi Podhaler en tant que médicament orphelin, que l’innocuité et l’efficacité de celui-ci soient au moins équivalentes (à celles du TOBI) (31). À la lumière de cette exigence (qui, en l’espèce, n’est pas en cause en tant que telle) et étant donné que le bénéfice notable a été revendiqué pour l’ensemble de la population concernée, ainsi que je l’ai déjà relevé, il était nécessaire, à mon sens, de procéder à une « évaluation globale du rapport bénéfices/risques » (pour l’ensemble de la population concernée).

68.      En revanche, le motif de supériorité clinique invoqué par Tobramycin VVB en l’espèce était « une plus grande innocuité pour une importante proportion de la population concernée ». Il s’agit d’un motif explicite pour établir la supériorité clinique, prévu à l’article 3, paragraphe 3, sous d), point 2, du règlement no 847/2000, ainsi que je l’ai déjà expliqué et ainsi que l’a souligné VVB.

69.      Je rappelle que la population concernée par les trois médicaments en cause est constituée des patients atteints de mucoviscidose causée par la bactérie pseudomonas aeruginosa âgés de six ans et plus. Toutefois, lorsque le Tobi Podhaler a été évalué par rapport au TOBI, les effets indésirables de la toux ont été enregistrés dans tous les groupes pertinents, à savoir les enfants, les adolescents et les adultes. Ce sous‑ensemble de la population concernée au sens de cette disposition (les patients de toute classe d’âge pertinente souffrant des effets indésirables en cause) a ainsi été identifié comme étant le sous‑ensemble à l’égard duquel le Tobramycin VVB a été considéré comme cliniquement supérieur au Tobi Podhaler.

70.      C’est, à mon sens, cet aspect spécifique de l’affaire qui explique pourquoi, au point 132 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que le critère de la supériorité clinique en cause (une « plus grande innocuité dans une partie importante de la population cible ») (32) « doit être évalué individuellement, sans établir un rapport bénéfice/risque global pour l’ensemble de la population comme tel est le cas pour le bénéfice notable » (33).

71.      En effet, la supériorité clinique du Tobramycin VVB sur le Tobi Podhaler ne devait être établie que par référence à une plus grande innocuité pour le sous-ensemble donné de la population concernée [ainsi que le permettaient les règles applicables, à savoir l’article 3, paragraphe 3, sous d), point 2, du règlement no 847/2000], tandis que le bénéfice notable en termes de facilité d’administration du Podhaler Tobi par rapport au TOBI (et, par extension, par rapport au Tobramycin VVB), ainsi que l’équivalence en termes d’innocuité et d’efficacité, devaient être établis par référence à l’ensemble de la population concernée.

72.      Dans ces conditions, je ne pense pas que le Tribunal ait commis une erreur de droit en interprétant la condition de supériorité clinique prévue par l’article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement no 141/2000, telle que précisée à l’article 3, paragraphe 3, sous d), du règlement no 847/2000. Il résulte de ce qui précède qu’il est effectivement possible de conclure que, pour un sous-ensemble donné de la population concernée tel que décrit ci-dessus, le Tobramycin VVB est d’une plus grande innocuité que le Tobi Podhaler en raison du fait qu’il ne provoque pas les effets indésirables en question, sans contredire la conclusion selon laquelle le profil d’innocuité du Tobi Podhaler est équivalent au profil d’innocuité du TOBI/du Tobramycin VVB pour l’ensemble de la population concernée. Ainsi que l’a jugé le Tribunal et ainsi que l’a relevé VVB, le fait que les profils d’innocuité des deux médicaments soient comparables pour la population prise dans son ensemble ne signifie pas qu’ils sont équivalents pour tous les sous‑ensembles de cette population (34).

73.      En outre, cette conclusion est, à mon sens, pleinement conforme à l’objectif poursuivi par le règlement no 141/2000, contrairement à ce que soutient Mylan. C’est ce dernier aspect de la présente affaire que j’aborderai à présent.

3.      Sur l’objectif poursuivi par le règlement no 141/2000

74.      La requérante au pourvoi soulève deux moyens qui consistent à soutenir que l’arrêt attaqué entrave la réalisation de l’objectif poursuivi par le règlement no 141/2000, à savoir assurer que les patients atteints de maladies rares et dont les besoins médicaux ne sont pas satisfaits aient accès à un traitement adéquat (35).

75.      Premièrement, la requérante au pourvoi fait valoir que l’absence d’« approche globale », par le Tribunal, de la notion de supériorité clinique va à l’encontre des intérêts des patients, car elle est susceptible d’aboutir à la mise sur le marché de médicaments présentant un rapport global qui est défavorable. Tel serait le cas si un médicament A (dont le titulaire chercherait à limiter l’exclusivité commerciale d’un médicament orphelin B) s’avérait être, par rapport au médicament B, d’une plus grande innocuité pour 10 % de la population concernée mais d’une innocuité moindre pour les 90 % restants.

76.      J’observe que répondre à cet argument nécessiterait en principe de préciser si, indépendamment du critère de supériorité clinique invoqué, les (deux) autres critères doivent être évalués comme étant au moins équivalents. L’EMA a expliqué en détail lors de l’audience qu’une réponse affirmative en ce qui concerne les critères d’innocuité et d’efficacité découle par nature de l’évaluation effectuée dans un tel contexte.

77.      Cela étant dit, je ne pense pas que les faits à l’origine du présent pourvoi appellent un examen approfondi de cette question. Il est vrai que lorsqu’il est établi qu’un médicament présente une « plus grande innocuité pour une importante proportion de la population concernée », cela ne répond pas encore nécessairement à la question de savoir s’il présente un profil d’innocuité au moins équivalent pour le reste de la population. Toutefois, je comprends que, en l’espèce, une telle équivalence était établie. Il résulte de l’explication que j’ai donnée que, dès lors que le Tobramycin VVB constitue une copie générique du TOBI et qu’il avait été établi que les profils d’efficacité et d’innocuité du TOBI et du Tobi Podhaler sont comparables, il est difficile de voir comment la décision attaquée aurait pu aboutir à autoriser un médicament (le Tobramycin VVB) qui serait, à ces égards, moins bon que le Tobi Podhaler.

78.      Deuxièmement, la requérante au pourvoi fait valoir que la conclusion selon laquelle un médicament générique (tel que le Tobramycin VVB) est cliniquement supérieur à un médicament orphelin (tel que le Tobi Podhaler) signifie que des dérogations à l’exclusivité commerciale peuvent être accordées en l’absence de tout investissement dans la recherche. Je comprends cet argument comme reflétant la position de la requérante au pourvoi selon laquelle, dès lors que le développement d’un médicament générique n’exige pas d’investissements dans la recherche, cela exclut la possibilité pour un médicament générique d’être mis sur le marché en dérogation à l’exclusivité commerciale accordée au titre d’un médicament orphelin. En outre, je comprends cet argument en ce sens que, dès lors que l’objectif que poursuit le règlement no 141/2000 est également de récompenser les entreprises pharmaceutiques pour leurs investissements dans la recherche aux fins du développement des médicaments orphelins, les récompenses prévues par ce règlement ne sauraient être accordées aux entreprises qui ne réalisent pas de tels investissements.

79.      À cet égard, je rappelle que la possibilité d’obtenir, pour un médicament désigné en tant que médicament orphelin, une autorisation de mise sur le marché et donc une exclusivité commerciale a été conçue par le législateur de l’Union comme une récompense financière pour l’industrie pharmaceutique lorsqu’elle décide de s’engager dans ce qui est considéré, à première vue, comme une activité non rentable.

80.      En revanche, cette logique ne sous-tend pas l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 141/2000, qui introduit une possibilité d’obtenir une dérogation à l’exclusivité commerciale bénéficiant à un médicament orphelin. En effet, ainsi que cela découle du considérant 8 de ce règlement, cette possibilité avait été conçue par le législateur de l’Union non pas comme une récompense pour les investissements dans la recherche, mais comme une limite à cette récompense, dans l’intérêt explicite des patients (36).

81.      Je relève que le résultat favorable d’une demande de désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin est susceptible de conduire, sur le marché des médicaments, à un monopole (créé artificiellement et délibérément), qui est susceptible d’empêcher temporairement l’accès des patients à des médicaments similaires, y compris aux versions génériques des médicaments préexistants à l’égard desquels il a été établi que le médicament en cause désigné en tant que médicament orphelin présentait un bénéfice notable (37). À cet égard, le législateur de l’Union a décidé de limiter ce monopole en préservant la possibilité de mettre sur le marché les médicaments cliniquement supérieurs y compris, comme en l’espèce, lorsque cette supériorité clinique est pertinente pour une importante proportion de la population concernée. À mon sens, il n’est pas pertinent de savoir, dans ce contexte, si un médicament dont le développement n’a pas nécessité d’investissements dans la recherche offre un traitement notablement meilleur. Ce qui importe est de savoir si la circulation sur le marché d’un tel médicament respecte les conditions applicables et est donc conforme à l’objectif de santé publique susmentionné, qui est de garantir aux patients atteints de la maladie en cause l’accès à un traitement notablement meilleur. Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que l’objectif général qui sous-tend le cadre réglementaire applicable aux médicaments orphelins est de répondre aux besoins non satisfaits de tels patients.

82.      Enfin, les mêmes raisons me conduisent à rejeter l’argument de la requérante au pourvoi selon lequel, en adoptant la définition de la supériorité clinique à l’article 3, paragraphe 3, sous d), point 2, du règlement no 847/2000, la Commission a modifié le champ d’application de l’article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement no 141/2000. Indépendamment de la recevabilité de cet argument, qui a été soulevé à cet égard dans la réplique et qui ne soulève pas explicitement d’exception d’illégalité, je considère qu’il découle suffisamment des arguments présentés ci-dessus que, plutôt que d’altérer la portée de la notion définie à l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 141/2000, la définition de cette notion donnée à l’article 3, paragraphe 3, sous d), point 2, du règlement no 847/2000 est pleinement conforme à l’objectif susmentionné poursuivi par le législateur de l’Union.

83.      Par conséquent, je suis d’avis que l’examen de l’objectif poursuivi par le règlement no 141/2000 n’affecte pas la conclusion à laquelle je suis parvenu au point 72 des présentes conclusions.

VI.    Conclusion

84.      Pour ces raisons et sans préjudice de l’examen du second moyen de pourvoi, je propose à la Cour de constater que le Tribunal n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de la notion de supériorité clinique au sens de l’article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement (CE) no 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins et qu’il y a donc lieu de rejeter le premier moyen du pourvoi.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins (JO 2000, L 18, p. 1).


3      Règlement de la Commission, du 27 avril 2000, établissant les dispositions d’application des critères de désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin et définissant les concepts de « médicament similaire » et de « supériorité clinique » (JO 2000, L 103, p. 5).


4      Arrêt du 26 janvier 2022, Mylan IRE Healthcare/Commission (T‑303/16, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:25).


5      La mucoviscidose est une maladie génétique qui entraîne une infection chronique des poumons, l’infection chronique par pseudomonas aeruginosa en étant sa caractéristique typique. « Elle peut provoquer des dommages au tissu pulmonaire et une insuffisance respiratoire, qui est potentiellement mortelle ». Résumé public de l’avis sur la désignation de la Tobramycine (poudre pour inhalation) en tant que médicament orphelin pour le traitement de l’infection pulmonaire à pseudomonas aeruginosa dans la mucoviscidose, Agence européenne des médicaments (EMA), 6 février 2015, EMA/COMP/4684/2003 Rev.3.


6      Points 3 à 6 de l’arrêt attaqué.


7      Décision d’exécution C(2011) 5394 final, portant autorisation de mise sur le marché du médicament orphelin à usage humain « Tobi Podhaler – Tobramycine » au titre du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil.


8      À titre de récompense pour le respect d’un plan d’investigation pédiatrique approuvé. Voir article 37 du règlement (CE) no 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relatif aux médicaments à usage pédiatrique, modifiant le règlement (CEE) no 1768/92, les directives 2001/20/CE et 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) no 726/2004 (JO 2008, L 378, p. 1). L’exclusivité commerciale en cause a ainsi expiré en juillet 2023, ainsi que Mylan l’a également relevé lors de l’audience. Or, le présent litige porte sur les faits qui ont précédé cette date.


9      Décision d’exécution C(2016) 2083 final, du 4 avril 2016, concernant, dans le cadre de l’article 29 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, les autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain « Tobramycin VVB et dénominations associées » contenant la substance active « tobramycine ».


10      Voir, en particulier, points 18 et 137 de l’arrêt attaqué.


11      Cité en note en bas de page 4 des présentes conclusions.


12      Ordonnance du président de la Cour du 22 septembre 2022, Mylan IRE Healthcare/Commission (C‑237/22 P, EU:C:2022:726).


13      Point 4 de l’arrêt attaqué.


14      Il convient d’ajouter que le fait qu’un médicament soit désigné en tant que médicament orphelin ne permet pas automatiquement de le mettre sur le marché. Pour atteindre ce résultat, son promoteur doit solliciter et obtenir une AMM. Voir article 5, paragraphe 1, du règlement no 141/2000. Il s’agit de deux étapes différentes, comme expliqué aux points 92 et suivants de l’arrêt attaqué.


15      Points 137 et 138 de l’arrêt attaqué.


16      Point 122, in fine, et point 135 de l’arrêt attaqué.


17      Point 136 de l’arrêt attaqué.


18      Article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement no 141/2000. Mis en italique par mes soins.


19      Voir points 58 et 59 de l’arrêt attaqué.


20      Cet aspect a été contesté par Mylan dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, mais le chef de conclusions en cause a été rejeté et ne fait pas l’objet du présent pourvoi.


21      Point 141 de l’arrêt attaqué, mise en italique par mes soins.


22      Je relève que la Commission, sans soulever formellement d’argument d’irrecevabilité, observe qu’il existe un chevauchement entre les arguments soulevés par la requérante au pourvoi devant le Tribunal et ceux soulevés dans le cadre du présent pourvoi. Si je partage cet avis pour ce qui est de ce chevauchement, je ne pense pas qu’il entraîne l’irrecevabilité du premier moyen. En effet, la requérante au pourvoi explique en quoi la conclusion du Tribunal repose, selon elle, sur une interprétation erronée de la notion juridique en cause. Voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, Acino/Commission (C‑269/13 P, EU:C:2014:255, point 37 et jurisprudence citée).


23      Voir point 11 des présentes conclusions.


24      Je relève que, au point 120 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que « les conclusions de bénéfice notable et de supériorité clinique sont fondées sur les mêmes critères, à savoir sur la démonstration d’une efficacité supérieure, d’une plus grande innocuité ou d’une contribution majeure aux soins prodigués aux patients ». Ainsi que je viens de le relever, je suis d’accord sur le fait que ces critères sont, en général, pertinents pour les deux notions en cause, mais je ne suis pas certain que la définition ouverte de la notion de bénéfice notable amène à conclure que cette notion se limite nécessairement à ces critères. Voir, également, avis de la Commission sur l’application des articles 3, 5 et 7 du règlement (CE) no 141/2000 concernant les médicaments orphelins (JO 2016, C 424, p. 3), p. 5.


25      VVB, la Commission et l’EMA ont amplement commenté les différences entre les deux notions, y compris pour ce qui est des champs d’application respectifs de l’évaluation ou des conséquences du fait que les conditions du bénéfice notable ou de la supériorité clinique ne sont pas remplies. Pour utile que cette explication soit en général, il ne me semble pas nécessaire d’aborder ces différences dans le détail aux fins de la présente affaire.


26      La dernière phrase de ce considérant énonce que, « dans l’intérêt des patients, il importe que l’exclusivité commerciale accordée à un médicament orphelin n’empêche pas la mise sur le marché d’un médicament similaire pouvant procurer un bénéfice notable aux personnes souffrant de telles affections » (mise en italiques par mes soins).


27      Voir, pour le contexte historique, points 116 et 117 de l’arrêt attaqué, ainsi que proposition modifiée de règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil concernant les médicaments orphelins (COM/99/0298 final).


28      Point 121 de l’arrêt attaqué.


29      Point 131 de l’arrêt attaqué.


30      Et par les termes précisant qu’« un avantage thérapeutique ou diagnostique notable par rapport aux effets d’un médicament orphelin autorisé » doit être démontré « sous un ou plusieurs des angles suivants ». Mis en italique par mes soins.


31      J’observe que la communication de la Commission mentionnée en note en bas de page 24 des présentes conclusions relève (p. 6), dans le contexte du bénéfice notable, que, « [a]fin qu’il soit considéré comme apportant une contribution majeure aux soins prodigués au patient, le produit doit être au minimum équivalent aux médicaments autorisés sur le plan de l’efficacité, de la sécurité et du rapport bénéfice/risque ».


32      Mis en italique par mes soins.


33      Mis en italique par mes soins.


34      Point 136 de l’arrêt attaqué.


35      Voir considérant 2 du règlement no 141/2000, qui énonce qu’« il importe que les patients souffrant d’affections rares puissent bénéficier de la même qualité de traitement que les autres et il est par conséquent nécessaire d’inciter l’industrie pharmaceutique à promouvoir la recherche, le développement et la commercialisation de traitements adéquats […] ».


36      Voir note en bas de page 26 des présentes conclusions.


37      Voir, en ce sens, avis de la Commission cité en note en bas de page 24 des présentes conclusions, p. 6, section 6, avant-dernier point. C’est probablement pour cette raison que le Tribunal a itérativement jugé que la désignation en tant que médicament orphelin est soumise à des critères stricts. Voir arrêt attaqué, point 95 et jurisprudence citée, et arrêt du 9 septembre 2010, CSL Behring/Commission et EMA (T‑264/07, EU:T:2010:371, point 94). Voir, également, avis de la Commission cité en note en bas de page 24 des présentes conclusions, p. 5, section 5.