Language of document : ECLI:EU:T:2023:512

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie – Gel des fonds – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Erreur d’appréciation – Droit de propriété – Droit d’exercer une activité économique – Droit à la réputation – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑526/21,

Mikail Safarbekovich Gutseriev, demeurant à Moscou (Russie), représenté par MM. B. Kennelly, SC, J. Pobjoy, BL, et Me D. Anderson, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes S. Van Overmeire et L. Bratusca, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, J. Laitenberger et Mme M. Stancu (rapporteure), juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 31 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Mikail Safarbekovich Gutseriev, demande l’annulation :

–        de la décision d’exécution (PESC) 2021/1002 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 70) et du règlement d’exécution (UE) 2021/997 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 3) (ci-après, pris ensemble les « actes initiaux »),

–        de la décision (PESC) 2022/307 du Conseil, du 24 février 2022, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 46, p. 97) et du règlement d’exécution (UE) 2022/300 du Conseil, du 24 février 2022, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 46, p. 3) (ci-après, pris ensemble les « actes de maintien »),

en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        Le requérant est un homme d’affaires en Biélorussie.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme. Ainsi qu’il ressort des considérants des actes attaqués, elle est plus spécifiquement liée, premièrement, aux élections présidentielles du 9 août 2020 qui ont été jugées incompatibles avec les normes internationales et ternies par l’oppression visant les candidats indépendants et la répression exercée de manière brutale contre des manifestants pacifiques à la suite de ce scrutin ; deuxièmement, à l’escalade des violations graves des droits de l’homme en Biélorussie et de la violente répression qui s’abat sur la société civile, l’opposition démocratique et les journalistes ainsi que sur les personnes appartenant à des minorités nationales ; troisièmement, à l’atterrissage forcé du vol Ryanair à Minsk (Biélorussie), le 23 mai 2021, au préjudice de la sécurité aérienne, ainsi qu’à la détention par les autorités biélorusses de M. Raman Pratassevitch et de Mme Sofia Sapega.

4        Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Lukashenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1) et, le 15 octobre 2012, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).

5        Le critère appliqué pour adopter les mesures restrictives à l’encontre du requérant (ci-après le  « critère général litigieux »)  est prévu, d’une part, à l’article 3, paragraphe 1, sous b), et, d’autre part, à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, de même qu’à l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006, dans leurs versions en vigueur au moment de l’adoption des actes attaqués.

6        L’article 3, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 prévoit l’interdiction d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union européenne aux personnes qui profitent du régime du président Lukashenko ou le soutiennent.

7        L’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, et l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006, lequel renvoie à la première disposition, prévoient le gel de tous les fonds et ressources économiques des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui profitent du régime  du président Lukashenko  ou le soutiennent, ainsi que des personnes morales, entités ou organismes qu’ils détiennent ou contrôlent.

8        Par les actes initiaux, le nom du requérant a été inscrit sur les listes des personnes, entités et organismes visés par les mesures restrictives qui figurent à l’annexe de la décision 2012/642 et à l’annexe I du règlement no 765/2006 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »).

9        Dans ces actes, le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant le requérant en l’identifiant comme un « [h]omme d’affaires, [propriétaire] des entreprises Safmar, Slavkali et Slavneft » et par la mention des motifs suivants :

« [Le requérant] est un homme d’affaires russe influent, qui a des intérêts commerciaux en Biélorussie, notamment dans les secteurs de l’énergie, de la potasse et de l’hôtellerie. Il est un ami de longue date [du président Lukaschenko] et grâce à ces liens, il a accumulé une fortune importante et gagné en influence au sein des élites politiques biélorusses. “Safmar”, entreprise contrôlée par [le requérant], a été la seule société pétrolière russe qui a continué d’approvisionner les raffineries biélorusses en pétrole lors de la crise énergétique entre la Biélorussie et la Russie au début de l’année 2020.

[Le requérant] a également soutenu [le président Lukashenko] dans ses différends avec la Russie au sujet des livraisons de pétrole. [Le requérant] est propriétaire de la société “Slavkali”, qui construit actuellement le complexe de Nejine, une installation d’extraction minière et de transformation du chlorure de potassium s’appuyant sur la formation saline de potasse de Starobine, près de Liouban. Il s’agit du plus gros investissement en Biélorussie, d’une valeur de 2 milliards de dollars. [Le président Lukashenko] a promis de rebaptiser la ville de Liouban en son honneur, pour l’appeler Goutserievsk. Ses autres activités en Biélorussie comprennent les stations-service et dépôts de carburant “Slavneft”, un hôtel, un centre d’affaires et un terminal aéroportuaire à Minsk. [Le président Lukashenko] est intervenu pour défendre [le requérant] lorsqu’une enquête pénale a été lancée contre lui en Russie. [Le président Lukashenko] a remercié [le requérant] pour ses contributions financières à des œuvres de charité et pour les milliards de dollars qu’il a investis en Biélorussie. [Le requérant] aurait offert de luxueux cadeaux [au président Lukashenko].

Il a également déclaré être le propriétaire d’une résidence appartenant de facto [au président Lukashenko], de manière à le couvrir lorsque des journalistes ont commencé à enquêter sur les avoirs de [ce dernier]. [Le requérant] aurait assisté à la cérémonie secrète d’investiture [du président Lukashenko] le 23 septembre 2020. En octobre 2020, [ce dernier] et [le requérant] ont tous deux été vus à l’inauguration d’une église orthodoxe, à laquelle [le requérant] avait apporté son soutien financier. Selon les médias, lorsque les employés grévistes des médias publics biélorusses ont été licenciés en août 2020, des professionnels russes des médias ont été dépêchés en Biélorussie par avion à bord d’un appareil appartenant [au requérant] afin de remplacer les travailleurs licenciés, et ils ont été logés à l’hôtel Minsk Renaissance qui appartient [au requérant]. [Le requérant] tire donc profit du régime [du président Lukashenko] et le soutient ».

10      Le 13 septembre 2021, le requérant a demandé la communication des éléments de preuve étayant l’inscription de son nom sur les listes en cause.

11      Le 20 septembre 2021, le Conseil a communiqué au requérant les documents WK 7409/2021 REV 1, WK 7409/2021 REV 1 ADD 1 et WK 8225/2021 EXT 4, contenant les éléments de preuve le concernant.

12      Le 30 novembre 2021, le requérant a contesté l’inscription de son nom sur les listes en cause et a demandé au Conseil de procéder à un réexamen.

13      Le 17 janvier 2022, le Conseil a répondu à la demande de réexamen du requérant et a informé ce dernier de son intention de maintenir son nom sur les listes en cause avec un exposé de motifs modifié en lui transmettant les documents WK 15386/2021 REV 1, WK 15436/2021 EXT 1, WK 15436/2021 ADD 1. En outre, le Conseil a accordé au requérant la possibilité de formuler des observations jusqu’au 2 février 2022 et lui a demandé de lui fournir les informations pertinentes concernant son rôle dans les entreprises Safmar et Slavkali et un aperçu indépendant de ses intérêts actuels « dans toute entité opérant sous la marque Safmar, ainsi que de sa participation dans Slavkali et les entités qui y sont liées ».

14      Le 31 janvier 2022, le requérant a demandé une prolongation du délai jusqu’au 11 février 2022 pour transmettre les informations demandées par le Conseil.

15      Le 11 février 2022, le requérant a contesté le bien-fondé de l’inscription de son nom sur les listes en cause et a transmis au Conseil plusieurs documents.

16      Par les actes de maintien, les mesures prises à l’encontre du requérant ont été prolongées jusqu’au 28 février 2023.

17      Dans les actes de maintien, le Conseil a justifié la prorogation des mesures restrictives visant le requérant en reprenant l’ensemble des motifs des actes initiaux, comportant, en substance, les quelques modifications suivantes, à savoir que le requérant est un « [h]omme d’affaires, actionnaire et président du conseil d’administration des sociétés Safmar et Slavkali », qu’il « est une connaissance de longue date [du président Lukashenko] », que Safmar est une « entreprise qui a été contrôlée par [le requérant] », qu’il « a été président du conseil d’administration et actionnaire de la société Slavkali » et que ses « autres activités en Biélorussie ont compris des stations-service et des dépôts de pétrole, un hôtel, un centre d’affaires et un terminal aéroportuaire à Minsk ». Le Conseil a également ajouté le motif suivant : « [Le requérant] a contribué à l’acquisition de scanners pour la Biélorussie pendant la crise de la COVID-19 ».

18      Le 25 février 2022, le Conseil a répondu au courrier du requérant du 31 janvier 2022 (voir point 14 ci-dessus) et l’a informé que deux semaines étaient une période standard pour une personne visée par les mesures restrictives ou un avocat agissant en son nom pour présenter des observations sur l’intention du Conseil de maintenir lesdites mesures et que, partant, il ne pouvait pas accorder au requérant un délai supplémentaire jusqu’au 11 février 2022 pour présenter des observations.

19      Le 3 mars 2022, le requérant a demandé que les documents et les éléments de preuves sur lesquels le Conseil s’était fondé pour maintenir son inscription sur les listes en cause lui soient fournis.

20      Le 28 mars 2022, le Conseil a informé le requérant que tous les documents et éléments pertinents sur lesquels il avait fondé sa décision lui avaient déjà été transmis le 17 janvier 2022 et avant cette date.

 Conclusions des parties

21      Par son recours, introduit le 27 août 2021, le requérant a initialement contesté les actes initiaux en tant qu’ils le visent. Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 4 mai 2022, le requérant a adapté ses conclusions pour viser également les actes de maintien en tant qu’ils le concernent.

22      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

23      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant manifestement non fondé ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués, ordonner que les effets de la décision d’exécution 2022/307 soient maintenus en ce qui concerne le requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/300 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

24      Au soutien de ses conclusions en annulation, le requérant invoque, en substance, quatre moyens. Les trois premiers visent tant les actes initiaux que les actes de maintien, alors que le quatrième vise exclusivement ces derniers.

25      Le premier moyen se divise en deux branches. Par la première branche, le requérant fait valoir que le Conseil a erronément interprété les notions de « soutien » et de « profit » au sens du critère général litigieux. Par la seconde branche, le requérant soutient que le Conseil a commis des erreurs « manifestes » d’appréciation en considérant qu’il existait une base factuelle suffisante pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause au titre du critère général litigieux. Le deuxième moyen est tiré d’une violation des droits fondamentaux. Le troisième moyen, soulevé à titre subsidiaire, est tiré de l’exception d’illégalité de l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/642 et de l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006. Le quatrième moyen est tiré d’une violation des droits de la défense.

26      Il convient d’examiner, tout d’abord, le quatrième moyen, qui a trait à la légalité externe des actes de maintien, ensuite ensemble la première branche du premier moyen et le troisième moyen, puis, la seconde branche du premier moyen et, enfin, le deuxième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

27      Par son quatrième moyen, qui ne vise que les actes de maintien, le requérant considère que le Conseil a violé son droit à une bonne administration, à un recours effectif et ses droits de la défense, tels que consacrés respectivement aux articles 41, 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), tout d’abord, au motif qu’il n’a pas obtenu d’éléments de preuve sérieux et crédibles ni d’éléments de preuve et d’informations concrets justifiant le maintien des mesures restrictives à son égard. Ensuite, ses observations détaillées présentées dans la requête, dans la réplique, ainsi que dans les courriers du 30 novembre 2021 et du 11 février 2022, n’auraient pas fait l’objet d’un examen minutieux et impartial de la part du Conseil. Enfin, il n’aurait pas pu utilement faire connaître son point de vue en raison du fait que le Conseil n’a pas pris en considération les éléments présentés dans le courrier du 11 février 2022, au motif qu’un délai de seize jours pour présenter des observations était suffisant.

28      Le Conseil fait valoir que le requérant avait renoncé dans la réplique au moyen relatif aux droits de la défense et que, donc, le présent moyen serait un moyen nouveau au sens de l’article 84 du règlement de procédure, et, en tout état de cause, conteste le bien-fondé des arguments du requérant.

29      D’emblée, il convient d’écarter l’argument du Conseil selon lequel le présent moyen serait un moyen nouveau au sens de l’article 84 du règlement de procédure. À cet égard, il suffit de constater que le moyen relatif à une violation des droits de la défense soulevé dans la requête portait sur la communication des éléments de preuve qui accompagnaient les actes initiaux et qui ont par la suite été communiqués au requérant le 20 septembre 2021 (voir point 11 ci-dessus), alors que le présent moyen, soulevé dans le mémoire en adaptation, porte, quant à lui, sur les actes de maintien qui ont été adoptés à une date ultérieure à celle du dépôt de la requête.

30      Quant au fond de ce moyen, premièrement, il convient de relever que les allégations du requérant relatives, d’une part, au fait qu’il n’aurait toujours pas obtenu d’éléments de preuve sérieux et crédibles ni d’éléments de preuve et informations concrets justifiant l’imposition de mesures restrictives à son égard et, d’autre part, à l’absence d’un examen minutieux et impartial de la part du Conseil, tendent, en réalité, à mettre en cause le bien-fondé des actes de maintien. Ces griefs seront par conséquent examinés dans le cadre de la seconde branche du premier moyen relative à l’erreur d’appréciation.

31      Deuxièmement, quant au délai laissé au requérant pour répondre aux éléments qui lui ont été transmis le 17 janvier 2022 (voir point 13 ci-dessus), il convient de souligner que l’obligation pour les institutions de l’Union de permettre aux personnes concernées de faire connaître utilement leur point de vue lorsqu’un acte faisant grief est en voie d’être adopté requiert seulement que ce point de vue ait pu être soumis en temps voulu pour que lesdites institutions puissent en prendre connaissance et, avec toute l’attention requise, en apprécier la pertinence pour le contenu dudit acte. Ainsi, lorsqu’il fixe le délai à l’expiration duquel des observations doivent lui être soumises, le Conseil doit tenir compte de la période dont il aurait besoin pour examiner ces observations (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, point 66). En outre, le caractère « raisonnable » du délai doit être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 92).

32      À cet égard, il convient de constater qu’il ressort de l’article 8 de la décision 2012/642 tel que modifié par la décision (PESC) 2021/353 du Conseil, du 25 février 2021 (JO 2021, L 68, p. 189), que les mesures restrictives en cause, concernant 180 personnes et entités, dont le requérant, arrivaient à échéance le 28 février 2022.

33      Or, il y a lieu de relever qu’un délai de trois semaines pour procéder au réexamen de la situation individuelle de 180 personnes et entités est un délai relativement court. Dans ces circonstances, fixer une date limite, en l’occurrence, le 2 février 2022, pour la présentation des observations sur l’intention de renouvellement de mesures restrictives est un moyen légitime pour le Conseil de s’assurer de la réception des observations et preuves soumises par les personnes et entités concernées avant la fin de la phase de réexamen et de l’obtention d’un temps suffisant pour les examiner avec la diligence requise (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 94).

34      Certes, le délai de seize jours accordé en l’espèce au requérant pour présenter ses observations sur l’intention du Conseil de maintenir son nom sur les listes en cause, impliquait pour sa part de prendre connaissance des modifications des motifs d’inscription de son nom sur les listes en cause ainsi que des nouveaux éléments de preuve transmis par le Conseil. Néanmoins, ainsi qu’il ressort des points 9 et 17 ci-dessus, les motifs d’inscription sur les listes en cause n’ont été que légèrement modifiés et ce, pour tenir compte des observations et des éléments de preuve présentés par le requérant concernant son rôle notamment dans les entreprises Safmar et Slavkali et un seul motif a été ajouté dans les actes de maintien, à savoir celui relatif aux contributions du requérant à l’acquisition de scanners pour la Biélorussie pendant la pandémie de COVID-19.

35      En outre, il y a lieu de souligner qu’il a déjà été jugé qu’un délai de douze jours pour présenter des observations dans le cadre d’un renouvellement de mesures restrictives était suffisant (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2020, Ocean Capital Administration e.a./Conseil, T‑332/15, non publié, EU:T:2020:308, point 191, et du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, point 68).

36      Dès lors, le délai de seize jours qui a été accordé au requérant pour faire part de ses observations sur le courrier du 17 janvier 2022 du Conseil n’apparaît pas déraisonnable.

37      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant selon lequel il avait explicitement demandé au Conseil la prorogation du délai accordé.

38      À cet égard, il convient de constater que, dans son courrier du 31 janvier 2022, le requérant a justifié sa demande de prorogation en raison, d’une part, du volume substantiel de preuves et d’observations transmis par le Conseil et, d’autre part, de la nécessité de collecter les informations utiles afin de répondre aux informations transmises par ce dernier.

39      Toutefois, il convient de noter que cette demande n’a été adressée au Conseil que deux jours avant l’expiration du délai de seize jours accordé par celui-ci, dans le contexte où, ainsi que cela est indiqué au point 34 ci-dessus, les motifs d’inscription figurant déjà dans les actes initiaux n’ont été que légèrement modifiés et un seul motif a été ajouté. En outre, les éléments de preuve que le requérant a soumis en annexe à son courrier du 11 février 2022 consistent en deux attestations relatives à l’actionnariat des sociétés Russneft et Neftisa datant des 9 et 10 février 2022. Il ressort du contenu de ces deux attestations qu’elles émanent de ces sociétés mêmes et ont été obtenues à la suite des demandes formulées par les représentants du requérant respectivement, les 8 et 9 février 2022, à savoir après l’expiration du délai fixée au 2 février 2022 par le Conseil. Or, le requérant n’a avancé aucun argument pour justifier une éventuelle impossibilité de formuler lesdites demandes avant la date du 2 février 2022. Enfin, il convient de noter que les informations relatives à la structure de l’actionnariat desdites sociétés fournies dans ces attestations avaient déjà été présentées par le requérant dans son courrier du 30 novembre 2021 et le Conseil les avait déjà prises en considération en vue de l’adoption des actes de maintien ainsi que cela ressort de son courrier du 17 janvier 2022 (voir point 13 ci-dessus).

40      Par conséquent, le Conseil n’ayant pas violé les droits de la défense du requérant ni le droit à une bonne administration et à un recours effectif, il convient de rejeter le quatrième moyen comme étant non fondé.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une interprétation erronée du critère général litigieux, et le troisième moyen, tiré d’une exception d’illégalité

41      En s’appuyant essentiellement sur la jurisprudence tirée de l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748), le requérant soutient que le Conseil a effectué une interprétation erronée en estimant que le critère général litigieux peut être interprété en ce sens qu’il englobe toute forme de soutien ou toute forme de profit, indépendamment de la matérialité de ce soutien ou de ce profit et indépendamment de tout lien direct entre le soutien ou le profit allégués et le régime du président Lukashenko. À ce titre, le requérant avance que, au sens de l’article 277 TFUE, une telle interprétation rendrait le critère général litigieux illégal. En effet, selon le requérant, si ce critère avait une telle portée, il serait disproportionné par rapport aux objectifs de la décision 2012/642 et du règlement no 765/2006 ou aux objectifs spécifiques de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), car il dépasserait les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de ces objectifs.

42      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

43      À titre liminaire, il convient de préciser que, ainsi qu’il ressort de l’exposé du troisième moyen figurant tant dans la requête que dans le mémoire en adaptation, l’exception d’illégalité soulevée par le requérant n’a pas de contenu autonome au regard de la première branche du premier moyen. Ainsi, il convient de traiter la première branche du premier moyen et le troisième moyen conjointement.

44      D’emblée, il convient de relever que l’argumentation du requérant comprend deux griefs. D’une part, le requérant soutient que le critère général litigieux doit être interprété en ce sens qu’il englobe uniquement le soutien ou le profit tiré du régime du président Lukashenko sous une forme financière ou matérielle. Toute autre interprétation serait illégale, car contraire au principe de proportionnalité. D’autre part, il fait valoir qu’un lien suffisant entre la personne visée par les mesures restrictives et ledit régime doit exister et que ce lien doit être étayé par des éléments de preuve suffisamment spécifiques, précis et cohérents.

45      Concernant d’abord ce second grief, il convient de noter qu’il n’est pas contesté par le Conseil, ainsi qu’il l’a rappelé également lors de l’audience, que le critère général litigieux implique qu’il doit exister un lien suffisant entre le régime du président Lukashenko et la personne visée par les mesures restrictives au motif d’avoir soutenu ledit régime ou d’en avoir tiré profit.

46      En l’espèce, la question de savoir s’il existe un tel lien suffisant entre le requérant et le régime du président Lukashenko sera examinée ci-après, dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, tirée d’erreurs d’appréciation.

47      Quant au premier grief, il y a lieu de rappeler que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, la Cour a jugé qu’il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Elle en a déduit que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée).

48      S’agissant des objectifs de la décision 2012/642, il y a lieu de constater qu’il résulte des considérants 1 à 5 de cette décision que l’objectif poursuivi par les mesures restrictives adoptées en application du critère général litigieux contre les personnes et entités qui soutiennent le régime du président Lukashenko ou en tirent profit est de faire davantage pression sur ce régime pour qu’il change et cesse ses politiques et activités ayant pour effet le non-respect persistant des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit en Biélorussie.

49      En effet, il ressort de ces considérants que l’inscription du nom de personnes sur les listes en cause a été progressivement étendue pour viser non seulement le cercle des personnes identifiées comme assumant une responsabilité particulière dans la nature frauduleuse des élections présidentielles et des atteintes aux normes électorales internationales ou celles responsables de violations graves des droits de l’homme et de la répression exercée à l’égard de manifestants pacifiques après lesdites élections, mais également les personnes et les entités profitant du régime biélorusse ou soutenant celui-ci.

50      À cet égard, notant que les élections présidentielles du 23 septembre 2012 avaient également été jugées incompatibles avec les normes internationales et que la situation concernant la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit ne s’était pas améliorée (voir considérant 8 de la décision 2012/642), le Conseil a, en substance, estimé que de nouvelles mesures devaient être instituées afin d’accroître la pression sur le régime du président Lukashenko et de l’obliger à modifier son comportement.

51      Sans contester en soi la légitimité de cet objectif et le fait qu’il correspond aux objectifs du TUE concernant la PESC énoncés, notamment, à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, le requérant estime, toutefois, que l’interprétation du critère général litigieux faite par le Conseil dépasserait les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de ces objectifs.

52      À cet égard, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient le requérant, l’objectif de faire davantage pression sur le régime du président Lukashenko pour qu’il change et cesse ses politiques et activités ayant pour effet le non-respect persistant des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit en Biélorussie peut impliquer que d’autres formes de soutien au régime du président Lukashenko ou de profit tiré de celui-ci que celles de nature financière ou matérielle soient visées par les mesures restrictives adoptées en application du critère général litigieux.

53      En effet, étant donné que le soutien au régime du président Lukashenko ou le profit tiré de ce dernier peuvent revêtir des formes multiples, les mesures restrictives contre les personnes et entités qui le soutiennent ou en tirent profit autrement que financièrement ou matériellement doivent être considérées non seulement comme appropriées, mais même comme nécessaires afin d’atteindre l’objectif mentionné au point 48 ci-dessus. Ainsi, il était loisible au Conseil d’estimer que, si les mesures restrictives en cause ne visaient que les personnes identifiées comme assumant une responsabilité particulière dans la nature frauduleuse des élections présidentielles et des atteintes aux normes électorales internationales ou celles responsables de violations graves des droits de l’homme et de la répression exercée à l’égard de manifestants pacifiques après lesdites élections, la réalisation des objectifs poursuivis aurait pu être mise en échec. Le choix du Conseil d’étendre le champ d’application personnel des mesures restrictives aux personnes qui tirent profit du régime ou le soutiennent est donc conforme à la finalité des mesures en cause, qui visent à faire davantage pression sur le régime du président Lukashenko afin qu’il cesse ces activités.

54      D’ailleurs, à cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort du considérant 6 de la décision 2012/642, que, en ce qui concerne les personnes et les entités qui soutiennent le régime du président Lukashenko, l’objectif est de cibler toute personne ou entité qui le soutient, en particulier, mais pas exclusivement, les personnes et entités le soutenant financièrement ou matériellement (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 84).

55      Quant aux enseignements à tirer de l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748), il y a lieu de constater que l’argumentation du requérant selon laquelle le soutien au régime doit être nécessairement de nature financière ou matérielle repose sur une lecture erronée de cet arrêt. En effet, à la différence de la présente affaire, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt susmentionné, les motifs justifiant les mesures restrictives adoptées à l’encontre de M. Chyzh faisaient explicitement et uniquement référence au soutien financier que ce dernier apportait au régime du président Lukashenko, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

56      En outre, dans l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748), le Tribunal s’est limité à constater l’absence, dans le dossier du Conseil, d’éléments de preuve permettant d’étayer précisément cette allégation de soutien financier, sans pour autant estimer que le critère général litigieux devrait être interprété en ce sens qu’il vise exclusivement le soutien financier ou matériel apporté au régime du président Lukashenko.

57      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter la première branche du premier moyen et le troisième moyen comme étant non fondés.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’erreurs d’appréciation

58      Ainsi qu’il ressort des points 9 et 17 ci-dessus, le nom du requérant a été inscrit et maintenu sur les listes en cause pour plusieurs motifs qui peuvent être regroupés en quatre motifs principaux relatifs, le premier, aux intérêts commerciaux du requérant en tant qu’homme d’affaires influent en Biélorussie, le deuxième, à sa relation personnelle avec le président Lukashenko, le troisième, aux journalistes russes dépêchés en Biélorussie par avion à bord d’un appareil appartenant au requérant et, le quatrième, à sa contribution à l’acquisition de scanners pendant la pandémie de COVID-19.

59      D’emblée, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119 et jurisprudence citée).

60      Il incombe à l’autorité compétente de l’Union, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cet effet, il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de ladite personne (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122).

61      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

62      L’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. Le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à des mesures restrictives et le régime ou, en général, les situations combattues (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kazembe Musonda/Conseil, T‑177/18, non publié, EU:T:2020:59, point 95 et jurisprudence citée).

63      En outre, le juge de l’Union peut aussi se fonder, tant à charge qu’à décharge, sur un élément produit par la partie requérante au cours de la procédure judiciaire. En effet, le fait qu’un élément ait été communiqué en tant qu’élément à décharge par la personne visée par les mesures restrictives n’empêche pas que cet élément lui soit éventuellement opposé pour constater le bien-fondé des motifs sous-tendant les mesures restrictives prises à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑166/18, non publié, EU:T:2020:50, point 124 et jurisprudence citée). Il en va de même des éléments communiqués par cette même personne à l’occasion d’une demande de réexamen des mesures restrictives la concernant.

64      Enfin, quant à la fiabilité et la force probante des éléments de preuve, y compris ceux provenant de sources numériques, il convient de rappeler que l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et que le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [arrêt du 12 février 2020, Kande Mupompa/Conseil, T‑170/18, EU:T:2020:60, point 107 (non publié) ; voir également, en ce sens, arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 224].

65      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’analyser le présent moyen, en examinant, dans un premier temps, l’exactitude des faits allégués par le Conseil en ce qui concerne notamment les deux premiers motifs, puis, dans un second temps, si ces faits peuvent justifier la conclusion selon laquelle le requérant peut être considéré comme une personne qui tire profit du régime du président Lukashenko ou le soutient.

 Sur les intérêts commerciaux du requérant en Biélorussie

66      En ce qui concerne le premier motif, le requérant soutient, en substance, que le fait d’être un investisseur important dans l’économie biélorusse ne saurait permettre de démontrer qu’il profite du régime du président Lukashenko ou le soutient et que les informations figurant dans les actes attaqués concernant sa propriété des entreprises Safmar, Slavkali et Slavneft ou concernant son implication dans lesdites entreprises ainsi que sur ses investissements en Biélorussie sont incomplètes ou erronées.

67      Premièrement, concernant Safmar, le requérant présume que, par la mention de la société pétrolière Safmar dans les motifs justifiant l’inscription et le maintien de son nom sur les listes en cause, le Conseil vise en réalité les sociétés Russneft et Neftisa, dont le requérant indique qu’elles opèrent sous la marque Safmar. Néanmoins, le requérant fait valoir qu’il a cédé la majorité de ses parts dans ces sociétés le 10 juin 2021, soit avant l’adoption des actes attaqués. Le requérant précise qu’il n’avait pas connaissance des mesures qui allaient être prises à son égard, que la décision de céder ses parts dans les sociétés précitées a été prise plusieurs mois avant l’adoption des actes initiaux et que cette information était publique. En tout état de cause, il fait valoir que la simple détention d’intérêts commerciaux dans la marque Safmar serait insuffisante afin de démontrer qu’il profite du régime du président Lukashenko ou le soutient.

68      Pour ce qui est des activités de Safmar pendant la crise énergétique entre la Biélorussie et la Russie et de l’allégation selon laquelle le requérant aurait soutenu le président Lukashenko dans ses différends avec la Russie au sujet des livraisons de pétrole, il avance que ces allégations sont erronées, infondées et non étayées par des éléments de preuve.

69      Deuxièmement, s’agissant de Slavneft, le requérant fait valoir qu’il n’est pas propriétaire de cette société, contrairement à ce que le Conseil affirme, mais qu’il a seulement occupé le poste de président de cette société de 2000 à 2002.

70      Troisièmement, en ce qui concerne Slavkali, en premier lieu, le requérant indique que celle-ci a été créée par une société anonyme anglaise GCM Global Energy Plc (ci-après « GCM ») aux fins de l’exécution de l’accord d’investissement conclu entre cette société et le gouvernement biélorusse en date du 5 octobre 2011 (ci-après l’« accord d’investissement du 5 octobre 2011 ») relatif au projet de développement du complexe d’extraction minière et de transformation de chlorure de potassium à Nezhinsky (ci-après le « projet Nezhinsky ») et qu’il est actuellement actionnaire minoritaire de GCM à hauteur de 9,00009 %, à travers la société mère de cette dernière, Lambency Holdings Limited (ci-après « Lambency »). Le requérant indique qu’il détenait une participation majoritaire dans la société GCM, mais que, au 10 juin 2021, il a cédé cette dernière à son frère. Le requérant souligne qu’il n’avait pas connaissance des mesures qui allaient être prises à son égard avant de céder ses parts dans la société GCM.

71      En second lieu, pour ce qui concerne le projet Nezhinsky, le requérant indique que le seul fait qu’il ait investi massivement dans ce projet ne saurait signifier qu’il profite du régime du président Lukashenko ou le soutient. En effet, si une telle conclusion pouvait être tirée de son investissement, la même logique devrait s’imposer à l’égard de toute société ayant investi en Biélorussie. Il souligne que, par le biais de GCM, il a obtenu le marché permettant à Slavkali de construire le projet Nezhinsky à l’issue d’une procédure spécifique prévue par la législation locale. Il indique que, à sa connaissance, GCM était la seule candidate à ce marché et qu’il ressort d’une jurisprudence constante que l’obtention de marchés publics ne permet pas de conclure qu’une personne profite du régime du président Lukashenko.

72      Quatrièmement, s’agissant de l’hôtel, du centre d’affaires et du terminal aéroportuaire mentionnés dans les actes attaqués, le requérant indique qu’il est erroné de qualifier ces projets comme « ses activités », dès lors que ceux-ci ont été mis en œuvre conformément à l’accord d’investissement du 5 octobre 2011, selon lequel, afin de pouvoir conserver la licence de construction du projet Nezhinsky, GCM avait l’obligation d’investir jusqu’à 250 millions de dollars des États-Unis (USD) en Biélorussie. En outre, les infrastructures en question profiteraient au peuple biélorusse et ne seraient pas destinées à être utilisées par le gouvernement biélorusse ou le régime du président Lukashenko.

73      Cinquièmement, dans son mémoire en adaptation, le requérant prend note de la suppression des mentions relatives à Slavneft et soutient, par ailleurs, que le Conseil laisse entendre que sa cession de la participation majoritaire dans les sociétés Russneft, Neftisa et Slavkali aurait eu lieu au motif de son inscription imminente sur les listes en cause. Néanmoins, il souligne que l’article de presse présenté par le Conseil en tant qu’élément de preuve no 15 du document WK 15386/2021 REV 1 ne permettrait pas de tirer une telle conclusion en l’absence de précisions sur les informations apparues dans des sources publiques avant l’adoption des actes initiaux. En outre, le requérant fait valoir que le fait qu’il ait eu des activités commerciales antérieures en Biélorussie ne saurait permettre de considérer que le critère général litigieux comme rempli.

74      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

75      À titre liminaire, il convient de constater que le requérant ne conteste pas être un homme d’affaires russe influent, ayant des intérêts économiques divers en Biélorussie dans les domaines indiqués dans les motifs d’inscription, à savoir l’énergie, la potasse et l’immobilier commercial.

76      Toutefois, le requérant estime que ses intérêts dans l’économie biélorusse ne justifient pas la conclusion selon laquelle il soutient le régime du président Lukashenko ou en tire profit. À cet égard, il  fait valoir, en substance, d’une part, que son implication dans l’activité des sociétés Safmar, Slavkali et Slavneft avait soit beaucoup diminué soit cessé à la date de l’inscription de son nom sur les listes en cause et, d’autre part, que ses activités économiques dans le domaine de l’immobilier commercial étaient des investissements qu’il avait effectués en vertu de ses obligations commerciales.

77      Le Tribunal estime opportun de commencer l’analyse de l’erreur d’appréciation par les intérêts commerciaux dans le domaine de la potasse et de l’énergie.

–       Sur les intérêts commerciaux du requérant dans le domaine de la potasse

78      Les intérêts commerciaux du requérant dans ce domaine concernent le développement du projet Nezhinsky, qui est une installation d’extraction minière et de transformation du chlorure de potassium s’appuyant sur la formation saline de potasse de Starobine, près de la ville de Liouban (Biélorussie). Le développement du projet Nezhinsky a lieu sur la base de l’accord d’investissement du 5 octobre 2011 entre GCM et le gouvernement biélorusse.

79      D’emblée, concernant l’ampleur de ce projet, il ressort des éléments de preuve présentés par le Conseil que le projet Nezhinsky est l’un des plus importants investissements effectués en Biélorussie.

80      En ce sens, plusieurs éléments de preuve produits par le Conseil, dont l’élément de preuve no 16 du document WK 7409/2021 REV 1 issu du site Internet officiel de la société Slavkali, qui développe le projet Nezhinsky, indiquent, premièrement, que le coût total de ce projet s’élève à 2 milliards d’USD. Cette information est confirmée également par l’accord d’investissement du 5 octobre 2011, lequel prévoit que l’investissement dans le projet Nezhinsky doit s’élever au minimum à 1,521 milliard d’USD. Deuxièmement, Slavkali est la deuxième entreprise en Biélorussie dans le secteur de l’extraction de potasse avec une capacité de production de chlorure de potassium de 2 millions de tonnes par an. Cette information est également confirmée par l’accord d’investissement du 5 octobre 2011, selon lequel le projet Nezhinsky doit avoir une capacité d’au moins 1,1 million de tonnes de chlorure de potassium par an. Troisièmement, le projet Nezhinsky a vocation à faire devenir la Biélorussie l’un des meneurs au niveau mondial dans le domaine de la production de chlorure de potassium.

81      Sans contester sérieusement l’ampleur de ce projet ni le fait qu’il y a investi de manière significative, le requérant soutient toutefois que sa contribution audit projet est, depuis le 10 juin 2021, limitée, en raison de son actionnariat minoritaire dans la société GCM, et que, en outre, le Conseil l’a erronément qualifié de propriétaire de Slavkali dans les actes initiaux. En revanche, le requérant ne remet pas en cause sa qualification d’« actionnaire » de cette même société, qui a été retenue par le Conseil dans les actes de maintien.

82      Afin de contester sa qualité de propriétaire de Slavkali dans les actes initiaux, le requérant se prévaut, en particulier, d’un organigramme montrant que, d’une part, GCM serait détenue en intégralité par Lambency, dont les actionnaires auraient été, jusqu’au 10 juin 2021, le requérant, à hauteur de 99,9997 % des actions, et son fils, à hauteur de 0,0003 % et, d’autre part, à la suite de plusieurs transferts ayant eu lieu le 10 juin 2021 entre le requérant, son frère et son fils, la structure de l’actionnariat de Lambency aurait changé en faveur du frère du requérant, qui détient depuis 89,59 % des parts, le requérant lui-même en détenant seulement approximativement 9 %.

83      Il convient de relever, à cet égard, que, s’il est vrai que le requérant n’est plus actionnaire majoritaire de GCM, il ne ressort pas du dossier dont dispose le Tribunal que, malgré ce changement d’actionnariat de GCM, le requérant n’est plus impliqué dans la société Slavkali et le projet Nezhinsky. En effet, le fait qu’il soit encore actionnaire de GCM démontre qu’il n’a pas renoncé au gain économique qu’il pourrait tirer de ce projet et que, par conséquent, ses intérêts commerciaux dans le domaine de la potasse étaient actuels au moment de l’adoption des actes initiaux.

84      En outre, ainsi qu’il ressort de l’élément de preuve no 16 du document WK 7409/2021 REV 1, mentionné au point 80 ci-dessus, le requérant détenait, à la date de l’adoption tant des actes initiaux que des actes de maintien, la qualité de président du conseil d’administration de cette société, ce qu’il n’a jamais contesté dans ses écritures.

85      Enfin, l’élément de preuve no 15 du document WK 7409/2021 REV 1, issu du site Internet « safmargroup.ru », que le requérant ne conteste pas, indique que Slavkali fait partie du Industrial and Financial Group Safmar (ci-après le « groupe Safmar ») qui est un conglomérat multisectoriel russe dont le fondateur et principal propriétaire (actionnaire) est le requérant. Selon le même document, ce groupe, dont le requérant est également le président du conseil d’administration, est responsable du développement stratégique des sociétés qu’il détient. Ces considérations ne sont pas infirmées par l’avis ad hoc de Safmar Financial Investments issu du site « safmarinvest.ru » produit par le requérant, dès lors qu’il en ressort à l’évidence que cette entité n’est pas la même que l’entité Industrial and Financial Group Safmar, à laquelle fait référence l’élément de preuve no 15 cité ci-dessus.

86      Il s’ensuit que, compte tenu de ses fonctions dans le cadre de Slavkali et du groupe Safmar, le requérant non seulement est toujours resté impliqué dans la gestion de Slavkali, mais il a également exercé le contrôle sur cette société, et ce même à la date d’adoption des actes initiaux.

87      Par ailleurs, comme le relève à juste titre le Conseil, le président Lukashenko a toujours identifié le requérant comme étant le meneur principal du projet Nezhinsky et ce dernier n’a produit aucun élément de preuve permettant de conclure que tel ne serait plus le cas. À cet égard, il importe en effet de rappeler qu’il ressort de l’élément de preuve no 16 du document WK 7409/2021 REV 1 mentionné au point 80 ci-dessus, que le requérant a bénéficié du soutien personnel du président Lukashenko pour ce projet, ce dernier ayant d’ailleurs affirmé qu’il était « naturel que [le requérant], qui avait créé des dizaines de sociétés et des centaines d’emplois, se soit vu confier la mise en œuvre du plus grand projet d’investissement de l’histoire de la Biélorussie indépendante ».

88      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de relever que, même si le requérant n’était plus, au moment de l’adoption des actes initiaux, actionnaire majoritaire de GCM, et donc indirectement de Slavkali, les éléments exposés aux points 83 à 87 ci-dessus, constituent un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant au Conseil de conclure que, au moment de l’adoption de ces actes, le requérant avait des intérêts commerciaux dans le domaine de la potasse en Biélorussie. En outre, contrairement à ce que prétend le requérant, ses intérêts commerciaux dans ledit domaine n’étaient pas réduits dès lors que, même s’il était devenu actionnaire minoritaire de GCM, il est toujours resté impliqué dans la gestion de Slavkali et a même exercé le contrôle sur celle-ci, ainsi que cela a été relevé au point 86 ci-dessus.

89      Il ressort de ce qui précède que la description des activités du requérant dans le domaine de la potasse, telles que ces dernières ont été retenues dans les actes attaqués, ne se révèle pas erronée.

–       Sur les intérêts commerciaux du requérant dans le domaine de l’énergie

90      Les intérêts commerciaux du requérant dans le domaine de l’énergie concernent, en substance, d’une part, les activités de Safmar dans ce domaine, et plus particulièrement le fait que cette entreprise a été la seule société pétrolière russe qui a continué d’approvisionner les raffineries biélorusses en pétrole lors de la crise énergétique entre la Biélorussie et la Russie au début de l’année 2020. D’autre part, les actes attaqués indiquent que les activités du requérant dans le secteur de l’énergie en Biélorussie sont liées également aux stations-service et aux dépôts de carburant de Slavneft.

91      S’agissant des activités de Safmar dans le secteur du pétrole visées par les actes attaqués, d’emblée, il convient de relever que les parties s’accordent sur le fait qu’il s’agit des activités de la partie du groupe Safmar active dans la production et le raffinage de pétrole russe, à savoir les sociétés Russneft et Neftisa. En outre, le requérant ne conteste pas que ces sociétés ont été les seules sociétés pétrolières russes qui ont continué d’approvisionner les raffineries biélorusses en pétrole lors de la crise énergétique entre la Biélorussie et la Russie au début de l’année 2020.

92      Cela étant précisé, il convient de vérifier quelle est l’implication du requérant dans Russneft et Neftisa, dont il conteste être le propriétaire, contrairement à ce qui a été, en substance, retenu par le Conseil dans les actes initiaux. En revanche, le requérant ne remet pas en cause sa qualité d’« actionnaire » de ces mêmes sociétés, qui a été retenue par le Conseil dans les actes de maintien.

93      Afin de contester sa qualité de propriétaire de Russneft et de Neftisa à la date d’adoption des actes initiaux, le requérant se prévaut, en particulier, d’un organigramme montrant que ces sociétés sont détenues en intégralité par des sociétés chypriotes, dont Lambency, qui sont à leur tour détenues par le requérant et par des membres de sa famille. Notamment, il ressort des organigrammes de ces sociétés que, jusqu’au 10 juin 2021, ce dernier détenait 99,9997 % des actions de Neftisa et 99,95 % des actions de Russneft et que, à la suite de plusieurs transferts ayant eu lieu le 10 juin 2021 entre le requérant, son frère et son fils, la structure de l’actionnariat des sociétés aurait changé, de sorte que le requérant ne détiendrait plus qu’approximativement 10 % des parts de Neftisa et 9 % des parts de Russneft.

94      Il convient de relever, à cet égard, que, s’il est vrai que le requérant n’est plus actionnaire majoritaire de certaines sociétés détenant Russneft et Neftisa, le fait qu’il en soit encore actionnaire démontre qu’il n’a pas renoncé au gain économique qu’il pourrait en tirer et que, par conséquent, ses intérêts commerciaux dans le domaine de la production et du raffinage de pétrole en Biélorussie étaient actuels au moment de l’adoption des actes initiaux.

95      Par ailleurs, malgré ce changement d’actionnariat, l’implication du requérant dans la gestion de Russneft et de Neftisa est confirmée par l’élément de preuve no 15 du document WK 7409/2021 REV 1, mentionné au point 85 ci-dessus, lequel atteste que Russneft et Neftisa font partie du groupe Safmar, lequel, ainsi qu’indiqué au même point, est un conglomérat multisectoriel russe dont le fondateur et le principal propriétaire (actionnaire) est le requérant. Selon le même document, le groupe Safmar, dont le requérant est également le président du conseil d’administration, est responsable du développement stratégique des sociétés qu’il détient.

96      L’avis ad hoc de Safmar Financial Investements, issu du site « safmarinvest.ru » et produit par le requérant, n’infirme pas ce constat, dès lors qu’il ressort à l’évidence que cette entité n’est pas la même que l’entité Industrial and Financial Group Safmar.

97      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de relever que, même si le requérant n’était plus, au moment de l’adoption des actes initiaux, actionnaire majoritaire de Russneft et Neftisa, les éléments exposés aux points 94 à 96 ci-dessus constituent un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant au Conseil de déduire que, au moment de l’adoption de ces actes, le requérant avait des intérêts commerciaux dans le secteur du pétrole en Biélorussie. En outre, contrairement à ce que prétend le requérant, ses intérêts commerciaux dans ledit secteur n’étaient pas réduits, dès lors que, d’une part, même s’il est devenu actionnaire minoritaire de certaines sociétés détenant Russneft et Neftisa, il n’a pas renoncé au gain économique qu’il pourrait en tirer et, d’autre part, il est toujours resté impliqué dans la gestion de ces sociétés et a même exercé le contrôle sur celles-ci, ainsi que cela a été relevé au point 95 ci-dessus.

98      Il s’ensuit que la description des activités du requérant dans les actes attaqués comme étant un homme d’affaires influent ayant des intérêts économiques dans le domaine de l’énergie ne se révèle pas erronée.

99      Certes, en ce qui concerne Slavneft, les éléments de preuve produits par le Conseil démontrent seulement que le requérant a été président de cette société de 2000 à 2002, ce que le requérant d’ailleurs confirme, et que sa nomination à ladite fonction a eu lieu avec l’accord des présidents de la Fédération de Russie et de la République de Biélorussie.

100    Toutefois, même si le Conseil n’a pas démontré que le requérant ait jamais détenu de parts dans Slavneft, cela ne suffit pas à remettre en question la conclusion tirée au point 98 ci-dessus, dès lors que les activités de Slavneft relatives aux stations-service et aux dépôts de pétrole ne constituent qu’une partie des activités du requérant dans le secteur du pétrole visées par les actes attaqués.

 Sur la relation personnelle entre le requérant et le président Lukashenko

101    Le requérant conteste, en substance, être un ami de longue date du président Lukashenko, comme cela est précisé dans les actes initiaux et notamment d’avoir été invité à une célébration de Nouvel An organisée par ce dernier. Il précise que, en tant qu’investisseur en Biélorussie, il maintient seulement par prudence des relations professionnelles avec les dirigeants politiques. Le requérant nie avoir offert des cadeaux luxueux au président Lukashenko, mais indique lui avoir offert des cadeaux symboliques de moindre coût. Il nie également l’allégation du Conseil concernant une résidence qui appartiendrait en réalité au président Lukashenko. Il indique s’être rendu en Biélorussie depuis la Russie afin d’échapper à une enquête pénale ouverte en 2007 à son égard en Russie et avoir pris un vol à l’aéroport de Minsk en direction de Londres (Royaume-Uni), mais nie toute aide du régime du président Lukashenko à cette occasion.

102    Le requérant indique qu’il reconnaît être une connaissance du président Lukashenko, ainsi que cela a été précisé dans les actes de maintien, mais souligne que cela ne saurait suffire à inscrire son nom sur les listes en cause. Il précise que le fait d’avoir reçu des félicitations de la part du président Lukashenko pour son anniversaire ne saurait démontrer un lien d’amitié avec ce dernier. Il reconnaît que ce dernier a déclaré qu’il allait rebaptiser la ville de Liouban en son honneur, mais avance que cette déclaration était purement humoristique. Il admet avoir réalisé des investissements considérables en Biélorussie et s’être activement impliqué dans des œuvres de charité, mais souligne que ces actes bénéficient au peuple biélorusse et ne sauraient démontrer un quelconque soutien au régime du président Lukashenko ou un profit tiré de celui-ci. Il reconnaît également avoir assisté à la cérémonie d’investiture du président Lukashenko, mais indique que, en tant qu’investisseur majeur en Biélorussie, il n’avait pas d’autre choix que de se rendre à une telle cérémonie.

103    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

104    D’emblée, il convient de constater que le requérant ne nie pas connaître personnellement le président Lukashenko. Il avance, toutefois, qu’il n’est pas ami avec ce dernier, mais qu’ils seraient de simples connaissances.

105    S’agissant des circonstances indiquées dans les actes attaqués qui seraient des indices de l’existence de la relation personnelle entre le requérant et le président Lukashenko, il conteste seulement avoir participé à une célébration de Nouvel An organisée par ce dernier et avoir engagé des chanteurs à cette occasion, avoir offert des cadeaux luxueux au président Lukashenko, détenir une résidence luxueuse qui appartiendrait de facto à ce dernier et avoir reçu l’aide de celui-ci afin de fuir une enquête pénale en Russie en 2007.

106    Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’exactitude des faits précités qui sont contestés par le requérant, il convient de relever, d’abord, que le requérant ne nie pas la véracité des autres faits allégués par le Conseil, à savoir avoir reçu des remerciements et des félicitations à l’occasion de son anniversaire de la part du président Lukashenko, la déclaration de ce dernier de son intention de rebaptiser une ville au nom du requérant, même si cette promesse avait un trait humoristique, et sa présence à la cérémonie d’investiture du président Lukashenko.

107    Ensuite, il ressort des éléments de preuves présentés par le Conseil que le président Lukashenko a fait, à plusieurs reprises, des déclarations élogieuses à l’égard du requérant et a même déclaré publiquement avoir contacté personnellement le président russe Vladimir Poutine pour soutenir le requérant dans le contexte de deux enquêtes pénales déclenchées contre ce dernier en Russie en 2020. Notamment, dans une déclaration officielle du président Lukashenko reprise par la presse, dont la teneur n’est pas contestée par le requérant, le président Lukashenko a précisé qu’il appréciait les qualités personnelles, professionnelles et commerciales du requérant et qu’il était toujours très attentif aux projets que ce dernier mettait en œuvre. Plus précisément, le président Lukashenko a déclaré que le travail du requérant en Biélorussie continuerait à être un exemple de coopération bilatérale réussie et d’investissements mutuellement bénéfiques. Par ailleurs, l’attachée de presse du président Lukashenko a également expressément déclaré, dans le cadre d’un entretien publié dans la presse, que le requérant était « une personne à laquelle le président [Lukashenko] fait absolument confiance ».

108    En outre, le requérant ne conteste pas avoir financé la construction d’une église, lors de l’inauguration de laquelle le président Lukashenko, qui y a assisté, lui a adressé des remerciements publics.

109    Enfin, le requérant indique lui-même que, en 2000, il a été nommé président de Slavneft par accord entre le président de la Fédération de Russie et le président de la République de Biélorussie, en l’occurrence, le président Lukashenko.

110    Il ressort de ce qui précède que la mention dans les actes attaqués relative à l’existence de la relation personnelle entre le président Lukashenko et le requérant n’est pas erronée en ce que ce dernier peut être considéré, à tout le moins, comme une connaissance de longue date du président Lukashenko.

 Sur le point de savoir si les faits établis par le Conseil démontrent que le requérant tire profit du régime du président Lukashenko ou soutient celui-ci

111    Il ressort des points 89 et 98 ci-dessus que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a pu considérer que le requérant était un homme d’affaires influent ayant des intérêts commerciaux en Biélorussie dans le domaine de la potasse et de l’énergie. Il en va de même de la relation personnelle entre le président Lukashenko et le requérant, tel qu’il a été constaté au point 110 ci-dessus.

112    Pour établir que ces éléments justifient l’adoption des mesures restrictives à l’égard du requérant dans les actes attaqués, le Conseil fait valoir, en substance, que, dans un pays comme la Biélorussie, des activités de l’ampleur de celle du requérant, dans de multiples secteurs et qui s’inscrivent dans la durée, compte tenu, en outre, des contacts du requérant avec le régime du président Lukashenko, ne sont pas possibles sans l’aval de ce dernier.

113    À cet égard, il convient de constater que, certes, le fait d’être un homme d’affaires influent en Biélorussie, pris isolément, ne suffit pas à établir que le requérant entretient de bons contacts avec les autorités publiques et que ses activités sont révélatrices d’une proximité avec le régime du président Lukashenko. En effet, à la date de l’adoption des actes attaqués, ni la décision 2012/642 ni le règlement no 765/2006 n’avaient instauré de présomption de soutien au régime du président Lukashenko à l’encontre des femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Biélorussie.

114    Toutefois, cet aspect ne saurait être écarté dans l’appréciation d’ensemble des différents éléments pertinents qui justifieraient le fait que le requérant soit considéré comme une personne qui tire profit du régime du président Lukashenko ou le soutient (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2015, Ternavsky/Conseil, T‑163/12, non publié, EU:T:2015:271, point 121).

115    À cet égard, premièrement, il convient de noter que les intérêts économiques du requérant en Biélorussie se distinguent par leur diversité et par leur grande ampleur dans plusieurs secteurs d’activités, notamment ceux du pétrole et de la potasse.

116    Deuxièmement, il importe de souligner que les secteurs du pétrole et de la potasse, outre le fait d’être qu’ils sont fortement réglementés en Biélorussie, sont deux secteurs stratégiques de l’économie biélorusse qui, ainsi qu’il ressort des éléments de preuve produits par le Conseil, jouent également un rôle dans la politique étrangère du régime du président Lukashenko.

117    S’agissant, en premier lieu, du secteur du pétrole, il ressort des preuves présentées par le Conseil, notamment de l’analyse publiée le 9 janvier 2020 sur le site Internet « novoyagazeta.ru » et produite en tant qu’élément de preuve no 1 du document WK 7409/2021 REV 1, que les relations avec la Russie dans ce domaine, comprenant l’achat de pétrole russe, constituent une des bases de l’économie biélorusse, de sorte que l’interruption de la fourniture de pétrole par la Russie au début de l’année 2020 a provoqué une crise d’ampleur en Biélorussie, qui a conduit à l’arrêt des exportations de produits pétroliers de ce pays.

118    Concernant, en second lieu, le secteur de la potasse, les éléments de preuve du dossier confirment que la Biélorussie est l’un des pays les plus riches au monde en réserve naturelle de potasse. En effet, il ressort de l’article publié le 9 septembre 2020 sur le site Internet « forbes.ru » et présenté comme élément de preuve no 2 dans le document WK 7409/2021 REV 1 que, en 2019, l’exportation de potasse a atteint 8,4 % de la valeur totale des exportations de la Biélorussie, soit 2,8 milliards d’USD.

119    Troisièmement, il y a lieu de constater que les circonstances dans lesquelles les entreprises du requérant développent leurs activités en Biélorussie, plus particulièrement dans les secteurs de la potasse et du pétrole, sont révélatrices de la proximité du requérant avec le régime du président Lukashenko et de ses très bons contacts avec les entreprises et les autorités publiques.

120    En effet, en ce qui concerne le secteur de la potasse, en premier lieu, il importe de souligner qu’il ressort de l’élément de preuve mentionné au point 87 ci-dessus que, pour le développement du projet Nezhinsky, le requérant a reçu l’appui inconditionné du président Lukashenko, ce dont il s’est ouvertement prévalu sur le site Internet de la société Slavkali. En outre, l’article publié le 9 mars 2018 sur le site Internet « navny.belsat.eu » et produit en tant qu’élément de preuve no 17 dans le document WK 7409/2021 REV 1 ADD 1 cite une déclaration du président Lukashenko selon laquelle le requérant serait « l’un des rares à avoir reçu des ressources minérales biélorusses ».

121    Certes, le requérant indique que, même si GCM a été la seule candidate, elle a obtenu le droit de développer le projet Nezhinsky à la suite d’un marché public qui a été attribué selon une procédure spécifique prévue par la législation biélorusse.

122    Toutefois, force est de constater qu’aucun élément de preuve produit par le requérant n’appuie cette affirmation.

123    En deuxième lieu, il ressort des articles publiés le 9 juillet 2019 sur les sites Internet « navny.belsat.eu » et « sputnik.by » et produits en tant qu’éléments de preuve nos 18 et 24 dans le document WK 7409/2021 REV 1 ADD 1, qui citent des déclarations faites par le requérant et par le président Lukashenko, que, dans le cadre du développement du projet Nezhinsky, le requérant a accepté que Slavkali n’entre pas en compétition avec le principal concurrent public biélorusse, Belarusian Potash Company, pour obtenir l’accès au marché de la potasse. À cet égard, le requérant a publiquement déclaré que « la politique tarifaire pour l’entrée sur le marché étranger sera coordonnée, et il n’y aura aucune concurrence », que « [t]out sera symétrique », qu’« [ils ont] un accord selon lequel lorsque [ils] parviendr[ont] à l’achèvement de la construction [, ils] signer[ont] tous les documents nécessaires » et qu’« [i]l y a maintenant un accord‑cadre pour qu[’ils] agiss[ent] à l’unisson ». En outre, selon l’article publié le 9 septembre 2020 sur le site Internet « forbes.ru » et produit en tant qu’élément de preuve no 2 du document WK 7409/2021 REV 1, Slavkali s’est engagée à vendre tous ses produits exclusivement par l’intermédiaire de l’entreprise publique Belarusian Potash Company, ce qui est d’ailleurs confirmé par l’accord d’investissement du 5 octobre 2011.

124    En troisième lieu, des avantages de nature économique ont été accordés à GCM en vertu de l’accord d’investissement du 5 octobre 2011 concernant le projet Nezhinsky.

125    En effet, il ressort des éléments de preuve du Conseil, notamment l’élément de preuve no 2 mentionné au point 123 ci-dessus et de l’article publié le 9 mars 2021 sur le site Internet « mbk-news.appspot.com » et produit en tant qu’élément de preuve no 7 du document WK 7409/2021 REV 1 qu’un prêt de 1,4 milliard d’USD a été accordé à Slavkali par une banque chinoise pour le développement du projet Nezhinsky et que ce prêt a été garanti par le gouvernement biélorusse. Le requérant conteste la fiabilité du second élément de preuve cité ci-dessus. Toutefois, il convient de constater que l’information contenue dans l’article de presse susmentionné relative à la garantie gouvernementale pour le prêt accordé à Slavkali est confirmée par l’article 4 de l’addendum du 21 novembre 2017 à l’accord d’investissement du 5 octobre 2011. En effet, cet article prévoit quant à lui que le prêt, à hauteur de 1,4 milliard d’USD, octroyé pour le projet par la China Development Bank pour le financement du projet Nezhinsky, dont la valeur estimée par le même acte était de 1,521 milliard d’USD, bénéficie de la garantie du gouvernement biélorusse.

126    S’agissant du secteur du pétrole, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient le requérant, le fait que les sociétés Russneft et Neftisa aient été les seules sociétés pétrolières russes qui ont continué à livrer du pétrole à la Biélorussie lorsque, au début de l’année 2020, la Russie a temporairement interrompu ses livraisons de pétrole vers la Biélorussie, afin d’inciter le président Lukashenko à aller vers une intégration plus poussée dans le cadre de l’Union de la Russie et de la Biélorussie, constitue un indice de la proximité du requérant avec le régime du président Lukashenko.

127    En effet, ainsi que le Conseil l’indique à juste titre, il ressort de l’article publié le 2 avril 2020 sur le site Internet « news.tut.by », produit en tant qu’élément de preuve no 3 du document WK 7409/2021 REV 1 et citant une déclaration du président Lukashenko, que ce dernier a défendu le requérant contre le président russe Vladimir Poutine lorsque deux enquêtes pénales ont été déclenchées contre le requérant en Russie en raison du fait que ses sociétés Russneft et Neftisa avaient été les seules à continuer d’exporter du pétrole vers la Biélorussie au début de la crise énergétique de 2020 entre la Russie et la Biélorussie.

128    Quatrièmement, il importe de rappeler que, ainsi qu’indiqué au point 110 ci-dessus, une véritable relation personnelle de longue date lie le requérant et le président Lukashenko.

129    Or, cette relation personnelle est, elle aussi, révélatrice de la proximité du requérant avec le régime du président Lukashenko et, contrairement à ce que prétend le requérant, du fait que, grâce à ces liens, il a accumulé une fortune importante et gagné en influence en Biélorussie.

130    En premier lieu, ainsi qu’indiqué au point 120 ci-dessus, pour le développement du projet Nezhinsky, le requérant a bénéficié du soutien personnel du président Lukashenko.

131    En deuxième lieu, il y lieu de rappeler que le président Lukashenko a défendu le requérant contre le président russe Vladimir Poutine lorsque deux enquêtes pénales ont été déclenchées contre le requérant en Russie en raison du fait que ses sociétés Russneft et Neftisa avaient été les seules à continuer d’exporter du pétrole vers la Biélorussie au début de la crise énergétique de 2020 entre la Russie et la Biélorussie.

132    En troisième lieu, le requérant confirme avoir fait partie du cercle de personnes qui ont assisté à la cérémonie d’investiture du président Lukashenko en septembre 2020 à la suite des élections présidentielles du 9 août 2020, lesquelles ont été jugées incompatibles avec les normes internationales et ternies par l’oppression visant les candidats indépendants et la répression exercée de manière brutale contre des manifestants pacifiques à la suite de ce scrutin.

133    Or, il ressort de l’article publié le 28 novembre 2020 sur le site Internet « news.yahoo.com » et produit en tant qu’élément de preuve no 14 du document WK 7409/2021 REV 1, dont le contenu n’a pas été contesté par le requérant, que ladite cérémonie a été secrète et que le requérant se serait rendu à Minsk pour cette cérémonie, dès lors qu’il est arrivé à Minsk un jour avant et qu’il est reparti pour Moscou le lendemain.

134    Cinquièmement, les éléments indiqués aux points 114 à 133 ci-dessus doivent être pris en considération également à la lumière des conditions dans lesquelles des activités économiques sont exercées en Biélorussie.

135    En effet, les pièces produites par le Conseil au sujet des conditions dans lesquelles des activités économiques sont exercées en Biélorussie peuvent être prises en compte dans le cadre de l’examen des éléments de preuve, non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent, conformément à la jurisprudence citée au point 62 ci-dessus.

136    En l’espèce, les éléments de preuve présentés par le Conseil relatifs à la situation économique en Biélorussie démontrent que, sous le régime du président Lukashenko, l’économie biélorusse se caractérise par le contrôle exercé par le régime tant sur le secteur public que sur le secteur privé et par un système qui récompense la loyauté envers le régime.

137    À cet égard, tout d’abord, parmi les éléments de preuve figurant dans les documents WK 8225/2021 INIT et WK 15436/2021 INIT, l’article publié sur le site Internet « cepa.org » daté du 30 juillet 2020, l’article publié sur le site Internet « naviny.belsat.eu » daté du 15 octobre 2015, l’article publié sur le site Internet « news.tut.by » daté du 13 décembre 2016, l’article publié sur le site Internet « en.belapan.by » daté du 9 juillet 2020, l’article publié sur le site Internet « russian.rt.com » le 22 mars 2016, l’article publié sur le site Internet « atlanticcouncil.org » daté du 13 octobre 2021, l’article publié sur le site Internet « belsat.eu » et consulté le 3 janvier 2022 ainsi que les rapports sur les oligarques biélorusses et celui intitulé « How did Lukashenko’s friends latch on the feeder ? » (« Comment les amis de Lukashenko se sont accrochés à la mangeoire ? ») publiés respectivement sur les sites Internet « czasopisma.isppan.waw.pl » et « cdn.3bls.eu », concordent sur le constat selon lequel l’exercice d’activités économiques significatives n’est possible qu’avec l’aval du régime du président Lukashenko. Parmi ces articles, celui publié sur le site Internet « cdn.3bls.eu » mentionne le requérant comme l’un des hommes d’affaires dont les activités bénéficient d’un tel aval.

138    Ensuite, il ressort également de ces éléments de preuve que les activités des hommes d’affaires biélorusses les plus influents dépendent fortement du régime du président Lukashenko et que, pour acquérir une telle position, il est nécessaire d’appartenir à un groupe restreint de personnes ayant la confiance de celui-ci. Notamment, l’article publié sur le site Internet « news.tut.by » indique que l’évolution du système politique autocratique en Biélorussie a produit son propre type d’hommes d’affaires étroitement associés aux autorités – les soi-disant « oligarques biélorusses » – dont la proximité avec le régime s’exprime non seulement par « des attributs politiques et sociaux » en exerçant des fonctions publiques telles que député, sénateur, ou membre du présidium d’un parti progouvernemental, mais également par la participation à des projets rentables dans le cadre de partenariats public-privé. Ainsi qu’indiqué au point 110 ci-dessus, le requérant est l’un des proches du président Lukashenko. De plus, le rapport publié sur le site Internet « cdn.3bls.eu » mentionne le requérant comme étant l’homme auquel le président Lukashenko fait absolument confiance. Par ailleurs, le fait que, ainsi que le requérant l’indique (voir point 102 ci-dessus), en tant qu’investisseur majeur en Biélorussie, il n’avait pas d’autre choix que de se rendre à la cérémonie d’investiture du président Lukashenko en septembre 2020 à la suite des élections présidentielles du 9 août 2020, est également de nature à étayer le constat opéré au point 136 ci-dessus.

139    Compte tenu de tout ce qui précède, il convient de relever que l’ampleur, la diversité et la continuité des intérêts commerciaux du requérant, tout particulièrement dans les secteurs stratégiques et réglementés du pétrole et de la potasse, de même que la relation personnelle qu’il entretient avec le président Lukashenko, sont révélatrices de la proximité des activités du requérant avec le régime de ce dernier.

140    Ainsi, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a considéré que la circonstance que, d’une part, le requérant est un homme d’affaires influent ayant des intérêts commerciaux en Biélorussie dans le domaine de la potasse et de l’énergie et, d’autre part, il entretient des liens personnels avec le président Lukashenko, constituaient un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir que le requérant tire profit du régime du président Lukashenko et le soutient.

141    Le premier motif d’inscription et de maintien est donc étayé à suffisance de droit, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’analyser l’appréciation par le Conseil des intérêts commerciaux du requérant dans le domaine de l’immobilier.

142    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant soulevé dans son mémoire en adaptation selon lequel les agissements passés ne peuvent pas fonder une inscription sur les listes en cause.

143    Il y a lieu de rappeler, à cet égard, qu’il a été établi que, à la date des actes initiaux et de maintien, le requérant était toujours actionnaire tant de Slavkali que de Russneft et de Neftisa. En outre, il a également été établi que ces sociétés appartiennent au groupe Safmar, qui est un conglomérat multisectoriel russe dont le requérant est fondateur, principal propriétaire (actionnaire) et président du conseil d’administration.

144    En outre, et en tout état de cause, la circonstance que les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause aient fait référence à des faits qui se seraient produits avant l’adoption des actes attaqués et qui seraient terminés à cette date n’implique pas nécessairement l’obsolescence des mesures restrictives maintenues à l’égard de la personne ou l’entité visée par ces actes. En effet, aux fins d’établir que le requérant profite du régime du président Lukashenko ou soutient celui-ci, une telle référence ne saurait, par principe, être considérée comme dépourvue de pertinence au seul motif que certains agissements relèvent d’un passé plus ou moins éloigné (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Boshab/Conseil, T‑171/18, non publié, EU:T:2020:55, point 84 et jurisprudence citée).

145    Cette interprétation est corroborée par l’article 8 de la décision 2012/642, aux termes duquel cette dernière fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée ou modifiée, selon le cas, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints, et par l’article 8 bis, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, dont il ressort que la liste figurant à l’annexe I dudit règlement est examinée à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois. Sous peine de priver ces dispositions de leur effet utile, il y a lieu de considérer qu’elles permettent le maintien sur la liste des noms de personnes et d’entités n’ayant commis aucun acte témoignant de ce qu’elles profitent du régime du président Lukashenko ou soutiennent celui-ci au cours de la période précédant le réexamen, si ce maintien reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’ont pas été atteints (voir, par analogie, arrêt du 12 février 2020, Boshab/Conseil, T‑171/18, non publié, EU:T:2020:55, point 85 et jurisprudence citée).

 Sur les autres motifs d’inscription

146    Selon une jurisprudence constante, eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).

147    Or, dans la mesure où les faits allégués dans les premier et deuxième motifs sont avérés à suffisance de droit et où ces motifs justifient en soi les inscriptions sur les listes des actes attaqués, il n’y a pas lieu de vérifier le caractère suffisamment précis et concret des troisième et quatrième motifs ni de contrôler si ces motifs sont étayés et peuvent constituer, en soi, une base suffisante pour soutenir ces actes.

148    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la seconde branche du premier moyen comme étant non fondée.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits fondamentaux

149    Le requérant fait valoir que l’inscription de son nom sur les listes en cause constituerait une interférence injustifiée et disproportionnée avec son droit de propriété, protégé notamment par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, sa liberté d’entreprendre, au sens de l’article 16 de la Charte et son droit au respect de sa réputation, lié au droit à la vie privée, au sens de l’article 7 de la Charte.

150    En effet, selon le requérant, une mesure de gel des fonds et des avoirs comporte une restriction à l’usage du droit de propriété, dès lors qu’il est dans l’incapacité de disposer de ses fonds ou de ses ressources économiques situés sur le territoire de l’Union ou de les transférer vers l’Union, sauf en vertu d’autorisations préalables. Sa liberté d’entreprendre serait également compromise et entravée, compte tenu des restrictions imposées sur ses ressources économiques. En outre, les mesures restrictives auraient eu une incidence sur ses activités professionnelles dans la mesure où elles auraient considérablement nui à sa réputation et auraient entravé sa vie privée en limitant ses mouvements et sa capacité à disposer de ressources économiques.

151    Le requérant ajoute qu’une restriction, qui serait conforme au droit de l’Union, devrait remplir deux conditions, à savoir, d’une part, poursuivre un objectif d’intérêt général et, d’autre part, être nécessaire et proportionnée par rapport à l’objectif visé. Or, en premier lieu, le requérant relève que les mesures restrictives adoptées par le Conseil ont pour objectif de répondre à des préoccupations concernant des violations des normes électorales internationales, des violations des droits de l’homme et la répression de la société. Néanmoins, l’inscription sur les listes en cause du nom du requérant ne servirait pas ces objectifs, dès lors que le Conseil n’aurait pas allégué que ce dernier a été impliqué dans de tels actes. En second lieu, le requérant soutient que l’imposition de mesures restrictives n’est pas davantage nécessaire ni proportionnée par rapport à la réalisation des objectifs des actes attaqués. En effet, il n’aurait pas soutenu le régime du président Lukashenko en violant des normes électorales internationales ou les droits de l’homme et n’aurait pas non plus profité des actions du régime du président Lukashenko.

152    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

153    À cet égard, il convient de rappeler que le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré par l’article 17 de la Charte. En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée, et plus particulièrement le droit au respect de sa réputation, l’article 7 de la Charte reconnaît le droit au respect de celle-ci. De même, la liberté d’exercer une activité économique est consacrée à l’article 16 de la Charte.

154    En l’espèce, les mesures restrictives frappant le requérant constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur propriété, du droit au respect de leur vie privée ou de leur liberté d’entreprise. Toutefois, les mesures en cause entraînent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété et affectent la vie privée et la liberté d’exercer une activité économique du requérant (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 167).

155    Cependant, les droits fondamentaux invoqués par le requérant ne constituent pas des prérogatives absolues et peuvent, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, point 138 et jurisprudence citée).

156    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la […] Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

157    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à une triple condition. Premièrement, la limitation doit être prévue par la loi. En d’autres termes, la mesure dont il s’agit doit avoir une base légale. Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est‑à‑dire la substance, du droit ou de la liberté en cause ne doit pas être atteint (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, points 170 à 173 et jurisprudence citée).

158    En l’espèce, ces trois conditions sont remplies.

159    En effet, en premier lieu, les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi », car elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, à savoir l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/642 ainsi que l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006. Ces dispositions sont suffisamment prévisibles pour les intéressés en ce qui concerne leur vocation à servir de bases juridiques pour l’adoption de mesures restrictives susceptibles de porter atteinte ou de limiter des droits fondamentaux (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 175 et jurisprudence citée).

160    En deuxième lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé aux points 48 à 54 ci-dessus, les mesures restrictives imposées au requérant visent un objectif d’intérêt général et ne sont pas excessives.

161    En outre, elles ont un caractère temporaire et réversible.

162    Tout d’abord, conformément à l’article 8 de la décision 2012/642 et à l’article 8 bis, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, le maintien du nom du requérant sur les listes en cause est soumis à un suivi constant visant à vérifier que ce maintien est compatible avec les critères d’inscription.

163    Ensuite, l’article 5 de la décision 2012/642 et l’article 3 du règlement no 765/2006 prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

164    Enfin, conformément à l’article 3, paragraphe 6, de la décision 2012/642, les États membres peuvent déroger aux mesures imposées au paragraphe 1 du même article lorsque le déplacement d’une personne se justifie pour des raisons humanitaires urgentes.

165    Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que la restriction des droits fondamentaux du requérant causée par les mesures restrictives qui lui ont été imposées est conforme à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

166    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments du requérant relatifs aux circonstances particulières le concernant et l’argument selon lequel il investit en Biélorussie depuis 2011, alors que le Conseil a le pouvoir de désigner les personnes profitant du régime du président Lukashenko ou le soutenant depuis 2012, et que, ainsi, le Conseil aurait eu le loisir d’inscrire plus tôt son nom sur les listes en cause si cette dernière inscription était réellement nécessaire. En effet, comme le souligne le Conseil dans ses écritures, l’approche de ce dernier a été progressive, dans la mesure où il a procédé aux inscriptions sur les listes en cause de manière graduelle, en fonction de l’évolution de la situation en Biélorussie, ce qui démontre effectivement l’objectif du Conseil d’appliquer les mesures restrictives de manière proportionnée.

167    Partant, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen et, avec lui, l’ensemble du recours, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire dans son troisième chef de conclusions.

 Sur les dépens

168    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Mikail Safarbekovich Gutseriev est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Svenningsen

Laitenberger

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.