Language of document : ECLI:EU:T:2022:297

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

18 mai 2022 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un fauteuil – Dessin ou modèle communautaire antérieur – Preuve de la divulgation – Article 7 du règlement (CE) no 6/2002 – Motif de nullité – Absence de caractère individuel – Article 25, paragraphe 1, sous b), et article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑256/21,

Domator24.com Paweł Nowak, établie à Zielona Góra (Pologne), représentée par Me T. Gawliczek, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Ivanauskas et Mme E. Śliwińska, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

les autres parties à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Piotr Siwek, demeurant à Gdańsk (Pologne),

Sebastian Didyk, demeurant à Gdańsk,

représentés par Me W. Gierszewski, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 15 mars 2021 (affaire R 1275/2020‑3), relative à une procédure de nullité entre, d’une part, MM. Siwek et Didyk et, d’autre part, Domator24.com Paweł Nowak,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, MM. F. Schalin (rapporteur) et I. Nõmm, juges,

greffier : Mme R. Ūkelytė, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mai 2021,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 17 août 2021,

vu le mémoire en réponse des intervenants déposé au greffe du Tribunal le 10 août 2021,

à la suite de l’audience du 24 janvier 2022,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 12 juillet 2016, la requérante, Domator24.com Paweł Nowak, a présenté une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1).

2        Le dessin ou modèle communautaire dont l’enregistrement a été demandé et qui est contesté en l’espèce est représenté dans les vues suivantes :

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3        Le produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé relève de la classe 06.01 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspond à la description suivante : « Fauteuils ».

4        Le dessin ou modèle contesté a été enregistré le 18 août 2016 en tant que dessin ou modèle communautaire sous le numéro 3304021-0001 et publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 2016/157, du 22 août 2016.

5        Le 6 février 2019, les intervenants, MM. Piotr Siwek et Sebastian Didyk, ont introduit, en vertu de l’article 52 du règlement no 6/2002, une demande en nullité du dessin ou modèle contesté.

6        Le motif invoqué à l’appui de la demande en nullité était celui visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 1, du même règlement. Les intervenants ont fait valoir que le dessin ou modèle contesté n’était pas nouveau et qu’il était dépourvu de caractère individuel au sens des articles 5 et 6 du même règlement.

7        À l’appui de la demande en nullité, les intervenants ont invoqué plusieurs dessins ou modèles antérieurs et, à ce titre, ils ont produit, notamment, un document imprimé issu d’un site Internet comportant un article intitulé « What is the Best PC/Desk Gaming Chair 2015 ? Ultimate Guide to the best PC Gaming Chair » (Quelle est la meilleure chaise de jeu pour PC/bureau 2015 ? Le guide fondamental de la meilleure chaise de jeu pour PC) comprenant, notamment, l’image d’une chaise dénommée « DXRacer FE08NB PC Gaming Chair », telle que représentée ci-après, outre les commentaires de plusieurs clients en 2014 :

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8        Le 27 avril 2020, la division d’annulation a fait droit à la demande en nullité, considérant que le dessin ou modèle contesté ne présentait pas de caractère individuel au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002.

9        Le 22 juin 2020, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation.

10      Par décision du 15 mars 2021 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En particulier, premièrement, elle a considéré que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué au public au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Deuxièmement, s’agissant des produits en cause, elle a relevé qu’il s’agissait de chaises dont la destination était identique à celle d’un fauteuil, à savoir permettre à un individu de s’asseoir. Troisièmement, s’agissant de la liberté de création, elle a relevé que le créateur disposait d’un degré élevé de liberté en ce qui concernait la forme, la silhouette, la taille de la chaise de jeu, la configuration des éléments composant ladite chaise ainsi que le choix des matériaux, des couleurs, des ornements et des motifs de celle-ci. Quatrièmement, s’agissant de la définition de l’utilisateur averti au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002, elle a considéré que celui-ci était tout membre du grand public utilisant et achetant habituellement une telle chaise et qui ferait preuve d’un niveau d’attention relativement élevé. Cinquièmement, s’agissant de l’impression globale, elle a considéré que le dessin ou modèle contesté et le dessin ou modèle antérieur produisaient la même impression globale sur l’utilisateur averti. La chambre de recours a donc considéré qu’il y avait lieu de déclarer nul le dessin ou modèle contesté en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 6 du même règlement.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la partie qui succombe aux dépens de la procédure devant le Tribunal ainsi qu’à ceux exposés par elle-même dans le cadre de la procédure devant la chambre de recours ;

–        condamner les intervenants à supporter leurs propres dépens.

12      L’EUIPO et les intervenants concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

13      La requérante invoque, en substance, deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, du même règlement et, le second, de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 6 du même règlement.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, du même règlement

14      Dans le cadre du premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours a erronément considéré que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué.

15      Premièrement, la requérante fait valoir, plus particulièrement, qu’il est impossible d’accéder au site Internet sur lequel le dessin ou modèle antérieur a été publié pour en vérifier le contenu. L’impression d’une page prétendument tirée de ce site Internet ne suffirait donc pas à prouver la divulgation.

16      Deuxièmement, les milieux spécialisés dans le secteur du jeu vidéo ne pourraient pas avoir connaissance de cette divulgation, puisqu’il serait impossible d’accéder au site Internet sur lequel le dessin ou modèle antérieur aurait été publié. Or, il appartiendrait aux intervenants, en leur qualité d’opposants devant la chambre de recours, de démontrer une telle divulgation, ce qu’ils n’auraient pas fait.

17      Troisièmement, la chambre de recours aurait violé le principe de répartition de la charge de la preuve en exigeant de la requérante qu’elle prouve l’existence d’un ensemble de doutes quant à l’authenticité des impressions issues du site Internet sur lequel le dessin ou modèle antérieur aurait été publié.

18      Quatrièmement, la chambre de recours aurait violé les limites du principe de libre appréciation des preuves en considérant que l’article intitulé « What is the best PC/Desk Gaming Chair 2015 ? Ultimate Guide to the best PC Gaming Chair » aurait une force probante supérieure aux éléments de preuve produits par la requérante.

19      L’EUIPO et les intervenants contestent les arguments de la requérante.

20      Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel.

21      L’article 5 du règlement no 6/2002 précise qu’un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public.

22      L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 prévoit qu’un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur industriel concerné, opérant dans l’Union européenne.

23      Il existe une présomption de connaissance des milieux spécialisés du secteur concerné de la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur lorsque la partie qui fait valoir ladite divulgation a prouvé les faits constitutifs de cette divulgation [voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Senz Technologies/OHMI – Impliva (Parapluies), T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 26].

24      Par ailleurs, la présomption prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 s’applique indépendamment de l’endroit où ont eu lieu les faits constitutifs de la divulgation, car il ressort de la première phrase de cette disposition qu’il n’est pas exigé, pour qu’un dessin ou modèle soit réputé avoir été divulgué au public aux fins de l’application des articles 5 et 6 de ce règlement, que les faits constitutifs de la divulgation aient eu lieu sur le territoire de l’Union (arrêt du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 27).

25      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si la chambre de recours a pu considérer, à juste titre, que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué au sens de l’article 7 du règlement no 6/2002.

26      À cet égard, les intervenants ont produit devant la division d’annulation un élément de preuve consistant en des impressions d’un article issu d’un site Internet intitulé « Gaming accessories guide Ultimate Weapon for Gamers » (Guide des accessoires de jeux vidéo L’arme ultime pour les joueurs), dont chacune des pages comporte l’adresse URL (Uniform Resource Locator) dudit site Internet. Il ressort de l’intitulé même de ce site qu’il est destiné aux joueurs de jeux vidéo et qu’il propose des guides sur les accessoires dans ce secteur.

27      L’article en question concerne un guide consacré à la meilleure chaise de jeu pour l’année 2015 et il présente une liste de chaises incorporant le dessin ou modèle antérieur, accompagnée d’informations telles que leur prix, leur notation et un onglet-lien se rapportant à un portail de vente en ligne. Ainsi que l’a constaté à juste titre la chambre de recours, la date de divulgation du dessin ou modèle antérieur peut être déduite du titre de cet article (« What is the Best PC/Desk Gaming Chair 2015 ? Ultimate Guide to the best PC Gaming Chair ») ainsi que des commentaires qui l’accompagnaient et qui émanaient de plusieurs clients, le premier de ces commentaires comportant la date du 9 novembre 2014 et le plus récent celle du 19 mars 2015. Il ressort donc de cet élément de preuve que le dessin ou modèle antérieur a au moins été divulgué entre 2014 et 2015, soit avant le 12 juillet 2016, date de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté.

28      Aucun des arguments de la requérante ne permet de remettre en cause ces constatations.

29      Premièrement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le site Internet dont est issue l’impression de l’article serait aujourd’hui inaccessible, ce qui empêcherait sa prise en compte en tant qu’élément de preuve dans la mesure où son contenu ne serait pas vérifiable, il convient de relever qu’une telle argumentation vise en réalité à remettre en cause la crédibilité de cet élément de preuve.

30      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que le principe qui prévaut en droit de l’Union est le principe de libre appréciation des preuves, dont il découle, notamment, que le seul critère pertinent pour apprécier la force probante des éléments régulièrement produits réside dans leur crédibilité. Ainsi, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut tenir compte, notamment, de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêt du 24 octobre 2018, Bayer/EUIPO – Uni-Pharma (SALOSPIR), T‑261/17, non publié, EU:T:2018:710, point 60 et jurisprudence citée].

31      De plus, s’agissant de l’appréciation de la crédibilité du contenu des blogs, le Tribunal a déjà jugé que la simple possibilité abstraite que le contenu ou la date d’un site Internet soient manipulés ne constitue pas un motif suffisant pour remettre en cause la crédibilité de la preuve constituée par la capture d’écran dudit site Internet. Cette crédibilité ne peut être remise en cause que par l’invocation de faits qui suggèrent concrètement une manipulation. De tels faits peuvent inclure des signes évidents de falsification, des contradictions incontestables dans les informations présentées ou des incohérences évidentes qui peuvent raisonnablement justifier l’existence de doutes quant à l’authenticité des impressions issues du site Internet en question [voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2021, JMS Sports/EUIPO – Inter-Vion (Élastique pour cheveux en spirale), T‑823/19, EU:T:2021:718, point 49 et jurisprudence citée].

32      Or, en l’espèce, force est de constater que les arguments de la requérante et les éléments de preuve qu’elle a présentés devant la chambre de recours et consistant, en substance, en des impressions de résultats de recherches infructueuses effectuées sur Internet avec les mots clefs « http ://www.gamingaccessories.com » ou « what is the best pc/desk gaming chair 2015 » ne permettent pas d’établir de tels faits concrets remettant en cause la crédibilité de l’élément de preuve présenté par les intervenants. À cet égard, le seul fait qu’un site Internet ne soit plus accessible parce qu’il a cessé d’être actualisé ou qu’il a été remplacé ne signifie pas que celui-ci n’a jamais existé et que les impressions issues de celui-ci aient été sujettes à une manipulation. En tout état de cause, la requérante aurait également pu s’appuyer sur un site d’archivage permettant de confirmer ou non l’existence d’un site Internet, ce qui aurait été de nature à soulever l’existence d’un doute quant à l’origine de celui-ci.

33      Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’élément de preuve présenté par les intervenants n’a pu être raisonnablement connu dans la pratique normale des affaires des milieux spécialisés du secteur du jeu opérant au sein de l’Union, il convient de rappeler qu’un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué une fois que la partie qui fait valoir la divulgation a prouvé les faits constitutifs de cette divulgation. Pour réfuter cette présomption, il incombe à la partie qui conteste la divulgation de démontrer à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires (arrêt du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 26).

34      Ainsi qu’il ressort des points 26 et 27 ci-dessus, les intervenants ont prouvé que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué. Il appartenait donc à la requérante de démontrer que, en l’espèce, les milieux spécialisés du secteur du jeu vidéo n’avait pas eu connaissance de la divulgation, ce qu’elle n’est pas parvenue à faire.

35      En effet, la requérante a uniquement soutenu que le site Internet dont sont issues les impressions n’était pas accessible et que, à supposer que celui-ci ait jamais existé, il était destiné à des clients américains. Toutefois, même si le site Internet est devenu inaccessible au cours de la procédure, la requérante n’est pas parvenue à prouver que celui-ci l’était également au cours des années 2014 et 2015, soit la période à laquelle les intervenants ont établi que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué. De plus, à supposer même que le site Internet soit effectivement destiné à des clients américains, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus qu’il n’est pas exigé que les faits constitutifs de la divulgation aient eu lieu sur le territoire de l’Union. La seule circonstance que le site Internet puisse être destiné à des clients américains ne suffit donc pas à prouver que les milieux spécialisés opérant au sein de l’Union n’avaient pas eu connaissance de la divulgation du dessin ou modèle antérieur.

36      Troisièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours aurait violé le principe de répartition de la charge de la preuve, il convient de relever que la chambre de recours a pu considérer, à juste titre, qu’il appartenait à la requérante de démontrer un défaut de crédibilité de l’élément de preuve en question. En effet, dès lors que les intervenants ont présenté un élément de preuve tiré d’un site Internet démontrant la divulgation du dessin ou modèle antérieur et ne suscitant pas de doutes sérieux quant à sa fiabilité et sa crédibilité, il appartenait à la requérante, invoquant un défaut de crédibilité de cet élément de preuve, de démontrer de manière concrète ce défaut de crédibilité, ce qu’elle n’est pas parvenue à faire en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2021, Élastique pour cheveux en spirale, T‑823/19, EU:T:2021:718, point 73).

37      Quatrièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours aurait violé le principe de libre appréciation des preuves, il convient de relever, ainsi qu’il ressort des points 26, 27 et 30 à 32 ci-dessus, que l’ensemble des preuves et arguments de la requérante ne permettent pas, en l’espèce, de douter de la crédibilité de l’élément de preuve présenté par les intervenants à l’appui du dessin ou modèle antérieur. Ainsi, la chambre de recours a pu considérer, à juste titre, au point 20 de la décision attaquée, que les éléments de preuve apportés par la requérante n’étaient pas « convaincants » et a dûment motivé les raisons pour lesquelles il n’y avait pas lieu d’en tenir compte et les raisons pour lesquelles l’élément de preuve présenté par les intervenants était crédible.

38      Il convient donc de rejeter le premier moyen.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 6 du même règlement

39      Dans le cadre du second moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours a erronément considéré que le dessin ou modèle contesté ne possédait pas de caractère individuel et qu’il produisait la même impression globale sur l’utilisateur averti que le dessin ou modèle antérieur. Plus particulièrement, la requérante soutient que, en premier lieu, la chambre de recours n’a pas correctement examiné la question de la nature et du secteur de la chaise de jeu dans laquelle le dessin ou modèle contesté a été incorporé, alors qu’il a une incidence sur le degré de liberté du créateur. Elle aurait dû, à cet égard, prendre en compte le fait que le dessin ou modèle contesté correspondait à un fauteuil de jeu de type « chaise de course ». En second lieu, la chambre de recours aurait erronément conclu que l’utilisateur averti, faisant preuve d’un niveau élevé d’attention, percevrait les dessins ou modèles en cause comme produisant la même impression globale alors que les différences existant entre ceux-ci constitueraient des caractéristiques essentielles de ce type de produit.

40      L’EUIPO et les intervenants contestent les arguments de la requérante.

41      L’article 25, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 dispose qu’un dessin ou modèle communautaire ne peut être déclaré nul que dans les hypothèses visées sous a) à g), dudit paragraphe, notamment dans l’hypothèse visée sous b), à savoir s’il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 du même règlement.

42      Selon l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.

43      Il ressort, par ailleurs, du considérant 14 du règlement no 6/2002 que, lors de l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle, il convient de tenir compte de la nature du produit auquel le dessin ou modèle s’applique ou dans lequel celui-ci est incorporé et, notamment, du secteur industriel dont il relève et du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.

44      L’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire procède, en substance, d’un examen en quatre étapes. Cet examen consiste à déterminer, premièrement, le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, deuxièmement, l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur ainsi que le niveau d’attention aux similitudes et aux différences dans la comparaison des dessins ou modèles, troisièmement, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle, dont l’influence sur le caractère individuel est en proportion inverse, et, quatrièmement, en tenant compte de celui-ci, le résultat de la comparaison, directe si possible, des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public, pris individuellement [voir arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 66 et jurisprudence citée].

45      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si, en l’espèce, la chambre de recours a pu considérer, à juste titre, que le dessin ou modèle contesté était dénué de caractère individuel.

 Sur le produit concerné par le dessin ou modèle contesté

46      Pour déterminer le produit auquel le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué, il convient de tenir compte non seulement de l’indication qui s’y rapporte dans la demande d’enregistrement dudit dessin ou modèle, mais également, le cas échéant, du dessin ou modèle lui-même, dans la mesure où il précise la nature du produit, sa destination ou sa fonction [voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2010, Grupo Promer Mon Graphic/OHMI – PepsiCo (Représentation d’un support promotionnel circulaire), T‑9/07, EU:T:2010:96, point 56].

47      Aux points 22 à 24 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que l’indication de produit du dessin ou modèle contesté était « fauteuils », mais qu’il était constant entre les parties que les dessins et modèles en cause montraient, notamment, des chaises de jeu. Elle a ensuite considéré que, indépendamment de la désignation de ce type de chaise en tant que « chaise de jeu pour PC » ou « chaise de jeu de style “course” », les dessins ou modèles en cause présentaient le même type de chaise dont la destination était identique à celle d’un fauteuil, et que la requérante n’avait pas indiqué en quoi la nature, la destination ou la fonction des chaises de jeu de type « course » auraient été différentes de celles des « fauteuils » ou « chaises de jeu ».

48      En l’espèce, la requérante se borne à faire valoir que, parmi les chaises de jeu, il existerait une catégorie particulière constituée d’un modèle de type « course » dont la forme du siège de style baquet serait générique de ce type de produit. Néanmoins, il convient de relever qu’aucun des arguments ou des éléments de preuve de la requérante n’établit en quoi de tels produits constitueraient une catégorie particulière, au sens de la jurisprudence, qui se distinguerait des « chaises de jeu » en général, de par leur nature, leur destination ou encore leur fonction [voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2019, Porsche/EUIPO – Autec (Véhicules motorisés), T‑209/18, EU:T:2019:377, point 35].

49      Partant, il n’existe pas de raisons objectives de distinguer, parmi les « chaises de jeu », une sous-catégorie plus étroite qui serait constituée de chaises de jeu de style « course ».

50      Il s’ensuit que la chambre de recours a pu considérer, à juste titre, que le secteur concerné était celui des « fauteuils » et, plus spécifiquement, des « chaises de jeu ».

 Sur l’utilisateur averti

51      La chambre de recours a considéré, en substance, au point 32 de la décision attaquée, que l’utilisateur averti de chaises de jeu était tout membre du grand public qui utilisait et achetait habituellement ce type de chaise, par exemple un joueur, et qui possédait un certain degré de connaissance dans ce domaine en s’informant sur le sujet, notamment sur Internet, et qui ferait preuve d’un niveau élevé d’attention.

52      Il convient de confirmer ces conclusions de la chambre de recours, qui apparaissent exactes au regard des éléments figurant dans le dossier de l’affaire et qui, au demeurant, ne sont pas contestées par les parties.

 Sur le degré de liberté du créateur

53      Selon la jurisprudence, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est défini à partir, notamment, des contraintes liées aux caractéristiques imposées par la fonction technique du produit ou d’un élément du produit, ou encore des prescriptions légales applicables au produit. Ces contraintes conduisent à une normalisation de certaines caractéristiques, devenant alors communes à plusieurs dessins ou modèles appliqués au produit concerné (arrêt du 18 mars 2010, Représentation d’un support promotionnel circulaire, T‑9/07, EU:T:2010:96, point 67).

54      L’existence de certaines tendances dans les lignes habituelles, de formes habituelles communément acceptées ainsi que l’existence de dessins ou modèles prioritaires qui comportent les mêmes caractéristiques d’ensemble que celles des dessins ou modèles en conflit ne constituent pas des contraintes liées aux caractéristiques imposées par la fonction technique d’un produit ou d’un élément du produit et ne répondent pas à des prescriptions légales applicables aux produits auxquels les dessins ou modèles en conflit sont appliqués [voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2015, Roca Sanitario/OHMI – Villeroy & Boch (Robinet à commande unique), T‑334/14, non publié, EU:T:2015:817, points 48, 50 et 52].

55      La chambre de recours a considéré, au point 27 de la décision attaquée, que la liberté du créateur dans l’élaboration des chaises de jeu n’était restreinte que dans la mesure où les chaises devaient comporter une assise, un dossier et des accoudoirs. En revanche, elle a estimé que le créateur disposait d’un degré élevé de liberté en ce qui concernait la forme, la silhouette et la taille de la chaise de jeu, la configuration des éléments composant ladite chaise ainsi que le choix des matériaux, des couleurs, des ornements et des motifs de celle-ci.

56      Il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 50 ci-dessus, le secteur concerné est celui des « chaises de jeu ». Ainsi, contrairement à ce que prétend la requérante, la chambre de recours a pu considérer, à juste titre, que la forme en baquet de l’assise ou encore l’insertion de coussins lombaire et cervical n’étaient pas des éléments imposés par la fonction technique du produit. Par ailleurs, la requérante n’a pas démontré en quoi ces éléments seraient nécessaires pour satisfaire des exigences ergonomiques, de durabilité, de stabilité, de confort ou encore de sécurité.

57      Partant, il convient d’approuver les conclusions de la chambre de recours telles qu’elles sont rappelées au point 55 ci-dessus.

 Sur l’impression globale

58      Selon une jurisprudence constante, le caractère individuel d’un dessin ou modèle résulte d’une impression globale de différence, ou d’absence de « déjà vu », du point de vue de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte de différences demeurant insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale, bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables [voir arrêt du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 53 et jurisprudence citée].

59      Des différences ne sont pas suffisantes pour créer une impression globale de différence lorsqu’elles ne sont pas suffisamment marquées pour distinguer les produits en cause dans la perception de l’utilisateur averti ou contrebalancer les similitudes constatées entre des dessins ou modèles (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2010, Représentation d’un support promotionnel circulaire, T‑9/07, EU:T:2010:96, points 77 à 84).

60      La chambre de recours a considéré, aux points 39 et 45 de la décision attaquée, que les dessins ou modèles en cause produisaient la même impression globale et que certaines différences dans leur apparence n’étaient pas susceptibles de modifier ladite impression.

61      En l’espèce, il convient de relever, à l’instar de la chambre de recours, que les dessins ou modèles en cause présentent tous les deux les caractéristiques d’une chaise composée d’une assise de style baquet rembourrée avec un haut dossier et un soutien au niveau des épaules en forme d’ailes, d’une base composée de cinq branches en forme d’étoile avec des roulettes, d’un coussin cervical, d’un coussin lombaire et de coutures décoratives sur les surfaces. Les différences entre les dessins ou modèles en cause se limitent, quant à elles, au motif précis et à l’agencement de la décoration des surfaces ainsi qu’à la combinaison des couleurs de la chaise et des coussins et à l’angle des branches de la chaise.

62      La requérante soutient que, pour une chaise de jeu de type « course », les différences entre les dessins ou modèles en cause seraient suffisantes pour les distinguer, notamment compte tenu du niveau élevé d’attention de l’utilisateur averti. Ce dernier ne se concentrerait d’ailleurs pas sur la forme de ce type de produit.

63      Néanmoins, pour les « chaises de jeu », contrairement à ce que soutient la requérante, la forme constitue une caractéristique essentielle de ce type de produit sur laquelle l’utilisateur averti se concentrera et qui est de nature à éviter toute impression de « déjà vu » au sens de la jurisprudence rappelée au point 58 ci-dessus. À l’inverse, les couleurs et les motifs ne suffisent pas à créer, en l’espèce, une impression différente dans la perception de l’utilisateur averti, même si celui-ci fait preuve d’un niveau élevé d’attention, dans la mesure où il est courant qu’un même modèle de chaise de jeu soit proposé avec des motifs et des couleurs différents. La différence liée au niveau de l’angle des branches de ces chaises n’est pas non plus suffisante, en l’espèce, pour créer une impression différente dans la perception de l’utilisateur averti.

64      Par ailleurs et en tout état de cause, il y a lieu de constater que, dans la mesure où les produits en cause concernent uniquement les « chaises de jeu », l’argument de la requérante, selon lequel il existerait une saturation de l’état de l’art en ce qui concerne les chaises de jeu de style « course », présente un caractère inopérant.

65      Compte tenu de ce qui précède et du degré élevé de liberté du créateur, la chambre de recours a pu considérer, à juste titre, que les différences entre les dessins ou modèles en cause ne suffisaient pas à produire des impressions globales différentes entre ceux-ci.

66      Il convient donc de rejeter le second moyen et, partant, le recours dans son intégralité, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le grief de la requérante, soulevé lors de l’audience, tiré de l’irrecevabilité, en tant qu’éléments nouveaux, de l’annexe B. 1 et des annexes 2 à 5 jointes respectivement au mémoire en réponse de l’EUIPO et au mémoire en réponse des intervenants.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et des intervenants.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Domator24.com Paweł Nowak est condamnée aux dépens.

Tomljenović

Schalin

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 mai 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.